Monsieur Ouine - Georges Bernanos - E-Book

Monsieur Ouine E-Book

Georges Bernanos

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Beschreibung

Fenouille, petit village du pays d'Artois. Steeny, un jeune adolescent maladif, vit avec sa mère, Michelle, et une gouvernante. Michelle a vu mourir son père, auquel elle était très attachée, alors qu'elle avait huit ans. Puis ce fut le tour de sa mère. Enfin son mari, Philippe, disparut en 1916, «englouti» par la guerre. Le fils s'appelle en fait Philippe, lui aussi: c'est sa mère qui lui a donné le surnom de Steeny, emprunté à un roman anglais. L'inquiétante Mme de Néréis, châtelaine locale, vient «enlever» Steeny avec sa voiture tirée par une non moins inquiétante et redoutable jument baie. Au château, il rencontre Anthelme de Néréis, personnage falot, aristocrate décrépit, et surtout M. Ouine. Professeur à la retraite, cet homme est cynique, étrange, sa réputation est douteuse mais il fascine Steeny. Un valet de ferme est envoyé auprès de Michelle pour l'avertir de l'absence de son fils. Le valet sera retrouvé mort...

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Monsieur Ouine

Monsieur OuineL’œuvrePage de copyright

Monsieur Ouine

 Georges Bernanos

L’œuvre

Elle a pris ce petit visage à pleines mains – ses longues mains, ses longues mains douces – et regarde Steeny dans les yeux avec une audace tranquille. Comme ses yeux sont pâles ! On dirait qu’ils s’effacent peu à peu, se retirent… les voilà maintenant plus pâles encore, d’un gris bleuté, à peine vivants, avec une paillette d’or qui danse. « Non ! non ! s’écrie Steeny. Non ! » Et il se jette en arrière, les dents serrées, sa jolie figure crispée d’angoisse, comme s’il allait vomir. Mon Dieu !

– Que se passe-t-il ? Voyons, Steeny, interroge une voix inquiète, toute proche, de l’autre côté des persiennes closes. Est-ce vous, Miss ?

Mais elle l’a déjà repoussé violemment, sauvagement, et reste debout sur le seuil, indifférente !

– Eh bien, Steeny, méchant garçon !

Il hausse les épaules, jette vers la porte un regard dur, un regard d’homme.

– Maman ?

– Je croyais t’avoir entendu crier, dit la voix déjà lasse. Si tu sors, prends garde au soleil, mon chéri, quelle chaleur !

Quelle chaleur en effet ! L’air vibre entre les lamelles de bois. Son nez contre la persienne, Steeny le hume, l’aspire, le sent descendre au creux de sa poitrine jusqu’à ce lieu magique où retentissent toutes les terreurs et toutes les joies du monde… Encore ! Encore ! Cela pue la céruse et le mastic, une odeur plus puissante que l’alcool où se mêle bizarrement l’haleine toujours moite des grands tilleuls de l’allée. Voilà que le sommeil l’a pris en traître, d’un coup sur la nuque, en assassin, avant même qu’il ait fermé les yeux. L’étroite fenêtre s’ébranle lentement, vacille, puis s’allonge démesurément comme aspirée par en haut. La salle entière la suit, les quatre murs s’emplissent de vent, battent tout à coup comme des voiles…

…………………………

– Steeny !

Ce sont les persiennes qui claquent, la lumière entre à flots dans la chambre.

– Quelle folie de choisir une place pareille pour dormir ! De l’autre côté de la pelouse, nous t’entendions. N’est-ce pas, Miss ?

– M. Steeny a seulement tort de faire la sieste, le médecin l’a défendu.

Elle pose la main sur son front, ou plutôt elle la place lentement, soigneusement, presse de la paume les tempes, glisse dans la chevelure emmêlée ses doigts mystérieux toujours frais.

– Si Madame veut le permettre…

Mais Madame secoue la tête, d’un air de consentir à tout – oui, qu’importe ! – pourvu que la nuit vienne bien vite. La nuit ! Et elle essaie vainement de réprimer un frisson de plaisir qui passe sur son joli visage ainsi qu’une ride sur l’eau.

– Steeny m’accompagnera. Je vais promener le chien.

– Non !

Maman fait un pas en arrière, appuie son épaule au mur, un bras plié sur sa poitrine dans un geste de défense. Ce « non », articulé pourtant presque à voix basse, vient de frapper l’air comme une balle. Est-ce bien ce petit garçon ?… Mais déjà elle redresse le menton, fait face, découvre ses dents éclatantes. Elle fait face de toutes ses forces, de tout son courage, de toute sa jeune vie à la présence familière, bien qu’invisible, au disparu, à l’englouti, à l’absent éternel dont elle a reconnu la voix.

– Je n’aime pas qu’on dise non, Steeny. Et souvenez-vous de ne jamais dire non à une femme, jamais. Ce n’est pas d’un gentleman.

Miss est rose de surprise, d’émotion, d’une sorte de saisissement délicieux. Elle enveloppe sa maîtresse d’un regard doré.

– Que Madame veuille bien le permettre, j’irai seule. N’est-ce pas, Steeny ? Du dehors, elle l’a saisi brusquement par la taille – aussi traîtresse, aussi souple qu’une bête, avec son immense chevelure qui flambe. Elle l’attire en pleine lumière, brutalement, au risque d’écraser sa poitrine contre l’appui de la fenêtre. Il connaît depuis longtemps cette violence calculée, sournoise, ces caresses féroces qui le bouleversent de curiosité, de terreur, d’une sorte d’écœurement inexprimable. Non, non, que ce secret-là reste entre eux ! Il refuse désespérément son regard, serre les dents pour ne pas crier. Maman sourit.

– Laissez-le, Miss.

Elle le laisse, en effet, il sent les cruels bras mollir autour de ses épaules, l’étreinte se dénouer aussi vite qu’elle s’est nouée, sous les yeux distraits de maman, vaguement complice. Et voilà qu’elles lui tournent le dos ensemble, s’éloignent, serrées l’une contre l’autre pour s’écarter le moins possible de l’étroite lisière d’ombre. « Menteuse, menteuse », bégaye-t-il pour lui seul à mi-voix. Pourquoi, menteuse ?…

Maman est une femme sensible, c’est-à-dire admirablement défendue contre les fortes déceptions de la vie, impénétrable. Aussi loin qu’elle remonte, dit-elle, le cours des ans, sa mémoire ne lui présente qu’une succession monotone d’événements futiles, pareille au déroulement de la mer sur une pente unie : le flot la caresse sans l’user. À l’ancien curé de Fenouille qui s’étonnait courtoisement de la trouver toujours si résignée, si docile aux volontés d’une Providence qu’elle feint pourtant d’ignorer – non par malice assurément, peut-être par on ne sait quelle méfiance entêtée, bien féminine, hélas ! à l’égard d’une philosophie spiritualiste souvent exigeante, avouons-le ! – elle répondait simplement : « La douceur a raison de tout. – Chère dame, s’écriait le bonhomme, vous venez de parler comme une sainte ! » Et c’est vrai que rien n’a résisté à cette douceur, jamais. À force d’en appeler sans cesse à ce témoin irrécusable – la douceur, ma douceur – il semble qu’elle se soit prise elle-même à son jeu, ainsi qu’un enfant fait du tigre imaginaire dessiné par lui sur le mur. Pour tant de pauvres diables, la douceur n’est qu’absence, absence de malice ou de malignité, qualité négative, abstraction pure. Au lieu que la sienne a fait ses preuves, prudente en ses desseins, hardie à prendre, vigilante à garder. Comment ne pas l’imaginer sous les espèces d’un animal familier ? Entre elle et la vie, le rongeur industrieux multiplie ses digues, fouille, creuse, déblaie, surveille jour et nuit le niveau de l’eau perfide. Douceur, douceur, douceur. À la plus légère ombre suspecte sur le miroir tranquille, la petite bête dresse son museau délié, quitte la rive, rame de la queue et des pattes jusqu’à l’obstacle et commence à ronger sans bruit, assidue, infatigable. La tache noire diminue insensiblement puis s’efface, avant que l’œil ait perçu autre chose qu’un mince sillage d’argent. Parfois, après dîner, sous la lampe, lorsqu’une lassitude légère invite au regret, au rêve, elle laisse retomber son menton entre ses mains, soupire. Elle songe à la force qui est en elle et dont le sort trop propice ne lui a pas permis de donner la mesure, cette expérience profonde des êtres, de leur faiblesse, de leur secrète fragilité – expérience dont elle serait bien incapable de faire profiter personne – à peine contrôlée par l’esprit, à peine distincte des obscurs pressentiments de l’instinct. « Je n’ai jamais rien compris à la vie, a-t-elle coutume de dire, sinon qu’elle m’a toujours portée au but que je voulais atteindre. » Et elle ajoutait non sans coquetterie, pour l’édification de l’ancien curé de Fenouille : « Toute petite, j’avais une peur affreuse des hommes, et puis j’ai connu un jour que cela qui gesticule n’est pas dangereux. » D’où lui vient ce souple génie, cette patience d’insecte, la clairvoyance inexorable qui lui permet d’attendre à coup sûr la lassitude de l’adversaire, le premier mouvement de faiblesse ou d’oubli ? De son père, peut-être, mort très jeune, dont elle revoit le visage livide, les yeux au cerne bleu, la bouche nerveuse, inquiète, faite pour le mensonge et la caresse – jusqu’à ce geste qu’il avait, qu’elle a elle-même, le recul imperceptible de tout le buste à la moindre apparence de contradiction.

– Ton grand-père, dit-elle à Steeny, était l’homme le plus délicieux, séduisant comme une femme ; ta bonne-maman l’adorait.

Elle l’avait adoré, en effet, au point de flatter le seul vice dont il fût capable, une paresse devenue bien vite monstrueuse, dévoratrice. Pour continuer à nourrir ce cancer, le modeste emploi perdu, le patrimoine dissipé, la malheureuse – selon le mot féroce, un des plus beaux du vocabulaire bourgeois – courut le cachet. Aux supplications de la famille elle répondait, avec la prodigieuse assurance des êtres sacrificiels : « Lucien est plus malade qu’on ne croit. » Paroles terribles auxquelles le malheureux, dévoré d’ennui, ne devait opposer qu’une résistance impuissante. Il finit par mourir, en effet, après une interminable agonie, prolongée des mois au milieu des impuissances et des sarcasmes de ses proches, d’une mort aussi lente que sa vie. Michelle alors avait huit ans. Elle se souviendra toujours de ce noir décembre, l’odeur de thé et de gaïacol, la pluie qui sonne aux vitres et ces terrifiants silences. Toute la nuit, sa mère exténuée trotte de la chambre à la cuisine, le parquet grince, l’eau siffle dans la bouilloire, les verres tintent – la petite fille s’endort d’un sommeil anxieux jusqu’à ce que la lumière éclate une fois de plus dans le couloir, fuse par les fentes de la porte. Faut-il appeler ?… Mais elle redoute plus encore de voir paraître sur le seuil, livide, le regard brûlant, impossible à soutenir, égaré dans un demi-sommeil qui ressemble à une espèce d’hallucination, celle que l’attente du malheur a comme métamorphosée, lui rend presque étrangère. Que peut-elle contre ces deux êtres menaçants liés entre eux par on ne sait quel pacte, partenaires d’un jeu sinistre ? Alors elle enfonce sa tête au creux de l’oreiller, recueille ses forces enfantines, s’exerce gauchement à sourire, en secret, pour elle seule. Douceur, douceur, douceur… Un sûr instinct l’avertit que toute révolte, pour un bref allégement, ne ferait que l’assujettir plus étroitement à ces deux compagnons, engagés dans une effrayante aventure.

Il s’agit seulement de fermer son cœur, rompre le contact – petit cœur rapide et sournois, qu’elle écoute battre un doigt sur la tempe – sa vie, sa petite vie, sa vie à couvrir, à défendre ! « Attention au cœur ! répète le médecin chaque soir, du fond de l’antichambre ténébreuse, prenez garde au cœur, le cœur peut flancher. » Elle a cru des jours et des jours son propre sort lié à celui de ce cœur fléchissant, prête à détester l’homme gris, taciturne, qui la tirait ainsi vers le noir, la mort, mais elle a fini par comprendre qu’il n’en était rien, que l’autre cœur une fois immobile, le sien continuerait sa tâche, avec ce grignotement de souris. Seulement l’habitude est prise de surveiller le petit serviteur trop fragile. Douceur, douceur… « Michelle est un ange, s’écrie maman, pauvre chérie, elle a l’air de tout comprendre, elle comprend tout ! » Et c’est vrai qu’elle comprend vaguement que la fin approche et – merveille ! voilà que ce jour redoutable est pareil aux autres jours, ni meilleur ni pire – les rideaux demi-clos, la table mise, la nappe blanche, des voix qui chuchotent. un suave silence… Vers le soir la misérable mère, à bout de forces, s’est jetée sur sa fille, farouche, aussi rouge qu’à la Chandeleur quand elle fait sauter dans la poêle les crêpes fumantes : «Ma chérie !… » Heureusement elle l’a reposée à terre presque tout de suite : «Ne prends donc pas tant sur toi, mon amour. Tu me fais peur ! Et encore : « Tu as été si forte, si patiente. Trois mois que je te délaisse, mon Dieu : Ah ! Mimi, nous ne nous quitterons plus. »

Elles ne se sont plus quittées, en effet. Maman est morte beaucoup plus tard, six mois après le mariage de Michelle, dans la maison de Philippe, à Béthune, – un de ces affreux cubes de briques, avec un perron minuscule. La foule absurde des dimanches du Nord passe sous les fenêtres, silencieuse, dans un nuage de poussière dorée. Les journaux du soir annoncent la mobilisation de l’armée russe. « Ménagez-la, soupire une dernière fois la mourante à l’oreille de son gendre. Ah ! oui, Philippe, ménagez-la, comprenez-la ! » Hélas ! hélas ! il est trop tard. Ce grand garçon au profil dur appartient à la race ennemie, dévoratrice, celle qui ne mesure pas son élan, se jette sur la femme aimée comme une proie. Un moment, elle a vu Michelle faiblir. Entre les puissantes mains, la fille si ferme, si sage, parut tout à coup un autre être, méconnaissable avec sa face creusée, douloureuse, les longues bouderies, le rire aigu, discordant qui traverse l’épaisseur des murs, secouant la vieille dame sur sa chaise : « On dirait le cri d’une oie sauvage, la nuit, quand le vent tombe.» Quelques semaines la maison de briques retentit de scènes furieuses, puis l’écho s’en apaisa par degrés, le silence se fit autour de l’homme avide, l’ingénieuse douceur recommença de filer ses toiles. « C’est un poète, soupire Michelle, un grand enfant. Il vous arrache de terre et cinq minutes après ne sait plus que faire de vous, cherche un coin sombre où déposer son jouet. » Le 28 décembre 1916 il disparut au cours d’une contre-attaque. « Outre les renseignements recueillis çà et là, et notamment le témoignage très précis du lieutenant Debouloy, il est malheureusement certain qu’aucun blessé n’a pu subsister longtemps sur tout le terrain compris entre Saint-Jean-du-Loup et la cote 193 en raison de l’épaisse nappe de gaz demeurée dans les fonds et qui rendait encore la position intenable le matin du 29. »

Steeny, n’est qu’un faux nom, un sobriquet emprunté par Michelle à son roman anglais favori. Steeny se nomme Philippe, comme son père – le disparu, l’englouti. Sans doute il n’aime pas trop le sobriquet, mais le vrai nom lui fait peur. Miss l’appelle ainsi quelquefois, par jeu peut-être – ou alors dans quel autre dessein ? Elle ose seule prononcer, généralement d’ailleurs à l’improviste, les deux syllabes funèbres, et Steeny frissonne malgré lui. Papa !… Le portrait du mort est sur sa petite table de travail, entre les deux vieux Quicherat ; il est sûr de le retrouver là chaque matin, le regarde à peine. Des années, ce père qu’il n’a jamais vu est resté pour lui un personnage légendaire, tout juste distinct de millions d’autres héros, ces Poilus cocasses, verbeux et sordides, dont le Journal de la Jeunesse lui retraçait l’histoire, – jusqu’au jour où s’étant glissé à quatre pattes au fond d’un des immenses placards du grenier que Michelle nomme, on ne sait pourquoi, le Purgatoire, et qui sert de seconde lingerie, il a soudain flairé une odeur étrange, étrangement vivante, aussitôt reconnue, – mais où ? mais quand ? – tabac, poivre, santal, le santal détesté par Michelle. Mon Dieu ! Tiré hors de sa cachette comme par une main furieuse, il s’est retrouvé assis par terre tenant serré sur sa poitrine, machinalement, un veston de velours raide et froid, qu’il a aussitôt rejeté dans les ténèbres. Depuis, le nom de Philippe lui fait peur. Pauvre Philippe ! Vingt fois, cent fois, il s’est promis, il s’est juré de remonter là-haut, – un après-midi pareil à celui-ci, lorsque tout dort. Être surpris par Michelle serait ridicule. Il prendra le plus possible de ces reliques au hasard, par brassées, à grands bras, ainsi qu’il eût emporté sous le feu son corps sanglant… L’odeur funèbre flottera longtemps encore, jusqu’au soir, et Michelle dira, penchant la tête et le nez froncé : « Pouah ! quelle horreur ! » Heureusement le butin sera déjà dans l’armoire, il aura la clef dans sa poche. « Steeny, tu as fumé, oui tu as fumé, je le jure ! Ta chambre pue le tabac, c’est dégoûtant ! »

Mais aujourd’hui, comme hier, comme toujours, ce n’est qu’un rêve : l’entreprise est téméraire, presque folle, d’introduire un mort au cœur d’une vie déjà si pleine. Depuis dix ans, sauf pour de brèves vacances, Philippe n’a vu du monde que la maison cernée par les pins, avec son jardin vieillot, son potager, ses charmilles. Au-delà, le village minuscule, et la mince route blonde, enroulée sur elle-même comme une vipère, et qui ne mène nulle part. Michelle a voulu cette solitude. « Je ne ferais pas de Steeny un de ces affreux petits hommes grimaçants, des singes, les potaches. » D’ailleurs, le seul collège passable est à Boulogne, – des prêtres du diocèse, d’anciens vicaires qui sentent la crasse et l’encre. J’ai rencontré le supérieur, jadis – une commère, une vraie commère, molle et joufflue, des hanches énormes. « Madame, nous vous prenons un enfant, nous vous rendrons un homme. – Un homme, monsieur ! Je sais ce que c’est, il a bien le temps d’être ça ! » Et sans doute elle aime passionnément son fils, mais elle éloigne le plus qu’elle peut l’heure certaine, l’heure fatale où elle verra paraître une fois encore, une dernière fois, l’ennemi de tout repos, le tyran, un autre Philippe… Un autre Philippe ?

* * *

– Hé bien, Steeny, tout seul ?

C’est la châtelaine de Wambescourt, Mme de Néréis, qui s’efforce de sourire, et ne réussit qu’une grimace compliquée tandis que sa pauvre tête folle s’agite en tous sens, cherche en l’air un invisible appui.

– Maman est là, répond insolemment Steeny. Elle fait la sieste, je pense. Voulez-vous…

– Non, non, restez, mon chéri ! N’allez pas…

Elle ramasse vivement autour d’elle les plis de son long manteau noir, laisse échapper son sac, le rattrape au vol, jette à la dérobée vers les persiennes closes, un regard craintif.

– N’allez pas ! Laissez Michelle dormir. C’est si bon de dormir, Steeny… Mon Dieu !

Elle s’étire au soleil avec un étrange frisson. La lumière fouille encore le misérable visage torturé où la bouche peinte éclate lugubrement.

– Ne m’accompagnerez-vous pas jusqu’à ma voiture, Steeny, mon ange ? Je l’ai laissée à l’entrée du parc, à cause des mouches. Le long de la rivière, c’était atroce : j’ai cru que la jument s’emballerait.

– Emballée ? Oh ! madame !…

Philippe hausse les épaules d’un air entendu. Il n’a peur d’aucun cheval, ces histoires de jument emballeuse le font rire.

– Vous vous moquez de moi, mon ange…

Elle le précède d’un grand pas hésitant, inégal, farouche. Les hauts talons de ses bottes glissent sur les aiguilles de pins et chaque fois qu’elle fléchit les genoux, se redresse, il flotte autour d’elle une odeur d’éther et d’ambre.

– Si ! vous vous moquez. Ne dites pas non, Steeny ! N’est-ce pas que je suis ridicule dans cette espèce de fourreau de soie, et mes longues pattes grêles ? J’ai l’air d’une araignée noire à tête blanche. Ça doit vous faire rire, hein, Steeny ?

– Moi ? Non, réplique tranquillement Philippe. Je trouve que vous ressemblez à un personnage de roman.

Elle s’est arrêtée soudain, la tête renversée en arrière, les sourcils levés, la bouche furieuse. Que va-t-elle dire ? Mais le regard que Steeny affronte avec une sorte de curiosité outrageante cède le premier, s’échappe. Elle lui tourne le dos, se jette en avant, comme pour rattraper son équilibre. Philippe pense à un gigantesque oiseau blessé qui marche sur ses ailes.

– Il ne faut pas, mon ange. Les personnages de roman, fi ! Et qu’est-ce que vous faites de ces gens-là, vous, Steeny ?

– Oh ! rien ! Voilà justement pourquoi je les aime. Ils ne servent à rien. Moi non plus.

Elle s’arrête encore, tourne à droite et à gauche des yeux de bête traquée, reprend sa course dansante. Steeny s’essouffle à la suivre. Il n’aurait sans doute, pour en finir, qu’à se couler doucement à travers le taillis, mais il aime mieux se dire que le sort en est jeté, que cette créature absurde disposera probablement de lui jusqu’au soir. Peut-être devra-t-il rentrer au crépuscule, affronter le sourire de Miss – et la douce voix de Michelle derrière la porte : « D’où vient-il ? Dîner chez Ginette ! Mais il est fou ! »

Car on ne voit plus que rarement Ginette à Fenouille bien que Michelle prenne encore sa défense, par habitude ou peut-être aussi en haine des pieuses rivales qui l’ont mise elle-même en interdit, repoussée peu à peu, sournoisement, des rives heureuses où la société bien pensante se livre à ses jeux innocents. La vieille marquise Destrées dont l’éternelle jupe noire dégage une odeur de cuir et qui brise le cou d’un lièvre d’une seule claque de sa main coupante, a dit une fois pour toutes : « Je n’interdis pas formellement ma porte à Mme Dorsel, mais Ginette s’est rendue impossible. » Elle ajoute : « Mon pauvre cousin Anthelme est devenu fou. » On raconte, en effet, que la maison tombe en ruines, – le toit crevé, la pluie ruisselante de marche en marche, en cascade, le vestibule croupissant, gorgé d’une eau noire que chaque pas fait jaillir du joint des dalles. Quarante ans, le bonhomme Anthelme a vécu là tranquille, mangeant bien, buvant mieux, l’haleine en fleur et pissant droit. Dix années n’eussent pas suffi à user sa culotte de velours. Jusqu’à cet automne augural où dans une rue de Vittel, il rencontra Ginette de Passamont, fille d’un pauvre pharmacien lyonnais – Ginette de Passamont qu’il ramenait quelques mois plus tard, avec son cortège de camarades recrutés au hasard des gares et des palaces et qui disparurent à la première gelée blanche sur les pelouses désertes, laissant le gros garçon entre les mains de son amie, bouche bée, grelottant dans sa chemise de soie, son mince complet havane, ses bottes fines… On le revit alors comme autrefois à travers la campagne, seul, poussant devant lui ses chiens, vieilli à peine et cependant méconnaissable, son visage baigné d’une lueur louche, suspecte. « Anthelme me dégoûte ! » fut le cri de toutes les femmes. Quelque temps encore, d’anciens compagnons de chasse, rencontrés par hasard, colportèrent de château en château d’extravagantes histoires, et que ce bon vivant, ce goinfre, ce cochon d’Anthelme, – sacré Anthelme ! – passe ses journées dans l’arrière-boutique du libraire Hudeville, s’inquiète du sort des artistes, parle d’entretenir à ses frais un poète, un penseur, un théosophe, n’importe lequel enfin de ces types formidables que la société condamne à crever de faim, laisse entendre qu’il a lui-même perdu sa vie, gâché son temps à courir au cul des bécasses comme un abruti. Néanmoins il a toujours eu du goût pour la musique, capable de retenir un air, de le jouer avec un doigt sur le piano. De plus il sonne du cor. Aussi compte-t-il piocher sérieusement la théorie, se décrasser l’oreille en assistant deux fois la semaine aux concerts de Boulogne… « Parce que la littérature, cousin, pour s’y mettre à mon âge, c’est le diable ! » Dès qu’on prononce le nom de sa femme, il se trouble, balbutie, ses lèvres tremblent. « Oui !… Oui !… contente seule… quelques amis parisiens… nous vivons seuls, absolument seuls… » Il a pourtant mis à exécution son projet le plus cher, recueilli un ancien professeur de langues vivantes, un homme considérable, malheureusement dévoré de tuberculose, M. Ouine, qui correspond avec le ministre de l’Instruction publique, est l’auteur d’une nouvelle méthode d’enseignement. D’ailleurs la société bien pensante n’a que des égards pour ce pensionnaire correct qu’on voit tirer son chapeau à tout venant et dont le doyen de Lescure déclare : « qu’il donne l’impression d’une rare puissance de soi, d’une incalculable force psychique. – Je n’ai jamais pu, au cours d’entretiens trop brefs, obtenir de sa courtoisie une parole pour ou contre la religion, il semble ne s’intéresser qu’au problème moral. »

Les médisants, qui lui prêtaient volontiers jadis d’amoureux desseins, plaignaient bruyamment ce pauvre Anthelme, se sont tus l’un après l’autre et plus d’une châtelaine déplore le choix qu’a fait ce gentleman d’une maison suspecte, qu’il soit impossible de le recevoir. Aux réceptions du jour de l’an, où Michelle est tolérée, on l’interroge encore, d’un air de fausse indifférence et de détachement : « il paraît que c’est un causeur exquis. » Hélas ! depuis deux ans Michelle ne met plus les pieds à Néréis. M. Anthelme est malade, peut-être fou, M. Ouine invisible, Ginette court les routes derrière sa grande jument normande, on la croirait poursuivie par des spectres. « Un soir du dernier hiver elle est entrée chez moi, s’est évanouie sur un fauteuil, est repartie, comme elle était venue, sans avoir ouvert la bouche. »

Philippe dénoue la longe, range la voiture au ras du talus. Mais déjà Ginette rassemble les rênes ; il a juste le temps de s’enlever de dessous les roues, de sauter en désespéré dans la légère caisse de noyer verni qui danse ridiculement sur ses ressorts. « Flûte ! quelle brute !… » La longue jument baie appuie sur le mors, fauche la route de ses quatre fers avec un puissant battement des hanches, et le grincement du cuir accompagne délicieusement l’odeur fauve du poil, de la belle robe luisante tachée de sueur. C’est la première fois que Steeny voit de près cette bête fameuse, et il n’a d’yeux cependant que pour la bizarre compagne qui vient de s’emparer de lui par surprise, l’entraîne au rythme accéléré, farouche, d’un rêve probablement insensé, dont il ignore tout. Comment l’a-t-il suivie sans discussion, cette Mme de Néréis que les plaisantins du village appellent injurieusement « Jambe-de-Laine » ? D’habitude il l’évite ou l’observe curieusement, sans répondre, au scandale de Michelle qui, d’ailleurs, accorde volontiers que Ginette a « des manières déconcertantes ». Et il ne fa pas suivie non plus par ennui, désœuvrement, ainsi qu’il a déjà fait tant de sottises restées secrètes : l’attaque perfide de Miss, l’indifférence de Michelle, le départ des deux amies, ces voix caressantes qui se mêlent si étroitement, s’épousent, le rire complice, à peine surpris, mais qui a creusé tout à coup entre lui et son monde familier un tel abîme de solitude, – ah ! ce rire intime, complice ! – et l’apparition de l’étrangère ne sont qu’une seule et même histoire dans l’éclatante nudité de ce jour torride. D’où vient que ces humbles conjonctures si peu distinctes, en somme, de tant d’autres incidents de l’existence quotidienne lui paraissent appartenir à un système ignoré de sensations, d’images, et comme à un autre univers ? À quelle minute, par quel miracle s’est rompue l’inflexible spire, est-il sorti de l’enfance, presque à son insu ? Qui pourrait le dire ? Mais il suffit que le prodige soit accompli : demain, demain qui n’était jusqu’alors que la pâle image d’hier encore au-dessous de l’horizon, le demain attendu d’un cœur tranquille, retrouvé chaque matin sans surprise, n’est plus. Ô merveille ! La vie vient de s’échapper de lui tout à coup, ainsi que la pierre d’une fronde !

– Penchez-vous un peu, mon ange.

Elle aborde un croisement au grand trot. Le talus s’élève doucement vers le ciel, s’abaisse puis accourt vers eux à toute vitesse. Les deux roues sautent en travers de la route avec un claquement aussi sec qu’un coup de pistolet. La voiture hésite un moment, s’incline, puis la haie file soudain comme une flèche au flanc de la bête impassible dont la croupe s’est seulement noircie d’une sueur frangée d’écume.

– Vous comprenez ? c’était pour mon virage, dit-elle d’un ton de confidence et d’excuse. Il fallait vous pencher un peu plus encore, cher ange.

Son pauvre visage taché de rouge ne s’anime pas, le regard cerné de bleu, en pleine lumière, laisse voir sa flétrissure. Mais les mains croisées sur les rênes n’ont pas molli. Où Philippe a-t-il déjà vu ces mains-là ? Est-ce parce que les manches découvrent un poignet trop grêle ? Comme elles sont nues !… Philippe remarque, en outre, que la cire des guides les a un peu noircies, qu’elles ressemblent à des mains d’écolière, tachées d’encre. Un ongle cassé saigne encore. Étranges mains comme suspendues entre ciel et terre, emportées dans un vol silencieux, derrière la bête farouche ! D’où viennent-elles ? Où vont-elles ? Vers quelle fatalité ? Tout à coup, Philippe appuie dessus ses lèvres.

Depuis une minute d’ailleurs la voiture roule dans l’herbe.

– Nous entrerons par les pâturages, Steeny, nous le devons. Il le faut. Jour et nuit, M. Ouine est à sa fenêtre, observe tout.

Elle saute à terre, caresse la longue encolure ruisselante.

– Vous voyez cette jument, Steeny ? Eh bien ! vous la retrouverez ici-même, elle n’aura pas remué une patte, sinon pour s’émoucher. On ne l’attache jamais.

– Oh ! dit Philippe, moi, vous savez, les bêtes dressées, les prodiges – pouah ! Pourquoi pas un cheval de cirque ? Est-ce qu’elle danse ?

* * *

La chambre de M. Ouine est tapissée de papier rose un peu fané, mais propre, et il a lui-même blanchi le plafond à la chaux. Malheureusement la crasse séculaire reparaît sous les badigeons, y dessine des caps, des golfes, des îles, toute une géographie mystérieuse. L’étroite fenêtre ne laisse passer qu’une lumière pauvre, encore assombrie par les sapins proches, trois arbres demi-morts, à la cime noire, et dont l’épaisse membrure craque sans cesse.

– De la chance… beaucoup de chance… répète le vieux monsieur d’une voix douce. Ordinairement je m’assoupis quelques minutes vers sept heures. Mais j’ai entendu distinctement claquer la porte du vestibule, mon sommeil est léger… De toute façon, il est préférable que nous ne parlions plus, d’ailleurs, de ce détestable malentendu.

M. Ouine était assis au bord du lit, les jambes pendantes, un chapeau melon posé sur les genoux, sa vareuse boutonnée jusqu’au col, ses gros souliers soigneusement cirés. On l’eût pris volontiers pour une sorte de contremaître, n’était l’extraordinaire noblesse d’un visage aux lignes si simples, si pures que ni l’âge, ni la souffrance, ni même l’empâtement d’une mauvaise graisse n’en altéraient jamais la bienveillance profonde, l’expression de calme et lucide acceptation.

– Écoutez, dit-il après un silence, écoutez… Entendez notre amie faire les cent pas dans le corridor, malheureuse créature ! Ah ! Philippe (il me serait trop pénible de vous donner ce nom absurde de Steeny), souhaitez de connaître la pitié, avant que l’expérience du dégoût en ait empoisonné la source !

Une de ses courtes mains caresse doucement la cloche de feutre, tandis que l’autre vient se poser sur l’épaule de Steeny.

– Ne vous étonnez pas de me trouver ici, Philippe, ne me plaignez pas. J’aime cette maison. J’y ai connu des heures inoubliables. Oui, des jours et des jours, cette chambre que vous voyez là, si niaise avec son lit de bonne, sa cuvette et son pot, a été comme un petit navire battu par la mer. C’est moi qui ai voulu son dénuement, sa pauvreté grossière si favorable à un demi-sommeil, riche en rêves. Que de fois ai-je dû frotter, cirer, polir les carreaux rouges avant que se dissipât cette odeur de moisissure et d’eau morte qui sort ici des murs mêmes, empoisonne jusqu’à l’air du jardin ! J’ai dû curer les joints, pavé par pavé, les imbiber de chlore comme autant de petites plaies. Oh ! vous ne me croirez pas, jeune homme : la boue ainsi mordue par l’acide, la boue d’un siècle ou deux, tirée de sa longue sécheresse, n’en finissait pas de sortir petit à petit sous mes doigts, d’y éclater en grosses bulles grises. Je me couchais exténué, tout en sueur, avec encore dans l’oreille ce claquement mou, horrible. Le passé est diablement tenace, mon garçon.

– Bah ! fait Steeny, je n’aurais pas pris tant de peine, monsieur Ouine. Pour moi, le passé ne compte pas. Le présent non plus d’ailleurs, ou comme une petite frange d’ombre, à la lisière de l’avenir. L’avenir !…

Il a tourné la tête d’instinct vers la fenêtre, le jour. Peine perdue. Le regard triste qu’il sent peser sur lui l’écarte déjà peu à peu, comme d’une pression mystérieuse, le ramène au lit dont le drap blême s’efface dans l’ombre.

– Je suis votre ami, Philippe, dit simplement M. Ouine, mais avec une autorité prodigieuse.

Il a dressé brusquement la tête et le temps d’un éclair – ô rêve absurde ! – Steeny a cru reconnaître le compagnon prédestiné de sa vie, l’initiateur, le héros poursuivi à travers tant de livres. Et de le découvrir si différent de ce qu’il imaginait, vieux et malade, il croit sentir sa propre poitrine se creuser du même feu sournois qui dévore celle-ci sous la pauvre vareuse de laine ; et, pour étouffer un sanglot dérisoire, il jette lui aussi la tête en arrière, affronte il ne sait quel défi porté par cette maison même et ses puissances secrètes, servantes diligentes de la plus secrète de toutes, la Mort – la Mort à l’ouvrage si près d’eux, sous leurs pieds… M. Ouine caresse toujours son chapeau.

– Vous êtes un brave petit garçon, excusez-moi, dit le professeur après un silence. J’ai honte de vous avoir parlé sur ce ton de sollicitude imbécile, paternelle. Plût à Dieu que je fusse seulement votre égal !

Son regard pâlit un peu tandis qu’il presse discrètement, des cinq doigts de la main restée libre, le haut de sa poitrine, à la naissance du cou. Rien d’autre, sinon peut-être la teinte grise des joues, leur affaissement, ne parut marquer cette défaillance, et pourtant l’instinct de Philippe, avec une force inouïe, l’avertit d’un danger proche, certain, hideux. Puis, tout s’effaça de nouveau.

– Oui, pardonnez-moi, reprit M. Ouine. En vous voyant tout à l’heure en compagnie de cette femme malheureuse, je n’ai pensé qu’à vous épargner un spectacle évidemment bien cruel pour un garçon de votre âge, avilissant. Mais sans doute êtesvous plus capable que moi d’en supporter l’humiliation.

– Quelle humiliation ? dit Philippe. Comment serais-je humilié de voir encore M. Anthelme, mort ou vif ? Et d’ailleurs qui vous prouve que Mme de Néréis… Pensez-vous qu’elle ne m’a rencontré que par hasard… j’aurais dû promener les chiens…

– Promener les chiens ! s’écrie le professeur de langues. Hélas ! il y a ici plus de chiens que vous n’en promènerez jamais, une belle meute !… Mon enfant, reprit-il, après un silence, j’ai fait pour l’homme simple et bon qui va mourir ce que je n’eusse fait pour aucun autre. Et non point par compassion, notez-le, je me méfie de la pitié, monsieur, elle exalte en moi des sentiments plutôt vils, une démangeaison de toutes les plaies de l’âme, un affreux plaisir. Il n’en est pas moins vrai que le spectacle d’une certaine dégradation est à la longue intolérable. J’ai protégé ces gens contre eux-mêmes, jugez s’ils me sont connus ! Pas une encoignure de ces chambres qui ne me rappelle un effort, une lutte, ou quelque piteux mensonge écrasé par hasard, ainsi qu’un insecte. À présent, la besogne est faite, hélas ! – plus rien à tuer. Leurs pauvres secrets traînent partout. Oh ! notez bien, ça leur est égal, ils vont et viennent comme jadis, répètent indéfiniment les mêmes fables, oublient que la cachette est vide. Au dernier degré de l’avilissement, un homme perd sa vérité pour toujours, – ceux-là marcheraient dessus sans la reconnaître. Il est très possible que notre amie vous ait rencontré par hasard, l’idée lui sera venue en vous voyant… Ah ! de Fenouille à Néréis, la jument devait trotter !

– Pour trotter, elle trotte, c’est sûr… Écoutez, monsieur Ouine…

– Dites simplement monsieur, Philippe.

– Non.      Oh ! non. Vous êtes M. Ouine, ou rien. Écoutez donc, monsieur Ouine. Si vous le croyez utile, j’irai volontiers dans la chambre de M. Anthelme, pourquoi pas ? Depuis ce matin, – on ne peut pas expliquer ça – ce qui m’arrive est extraordinaire. Le jardinier bourrant sa pipe, un char vide qui passe, il semble que tout me fasse signe, m’appelle… Comme cela s’est élargi brusquement autour de moi ! Comme la vie est belle et profonde ! Jamais la mort ne m’a fait moins peur que ce soir.

– Je vous apprendrai à l’aimer, dit tout à coup M. Ouine à voix basse. Elle est si riche ! L’homme raisonnable reçoit d’elle ce que la crainte ou la honte nous retient de demander ailleurs, et jusqu’à l’initiation du plaisir. Retenez ceci, Philippe : vous l’aimerez. Un jour même viendra où vous n’aimerez qu’elle, je le crains. Si ma modeste petite chambre, dans sa nudité, vous paraît douce, c’est justement qu’elle y est présente ; vous vous y êtes blotti dans son ombre, à votre insu.

Il venait de poser à ses pieds le ridicule chapeau de feutre et ses deux mains pâles, un peu gonflées, dessinaient un arbre mystérieux, on ne sait quelles grandes palmes invisibles.

– Eh bien ? fit Steeny, comme pour l’éveiller. Que décidons-nous, monsieur Ouine ?

Mais le regard du vieil homme lui fit aussitôt baisser les yeux.

– Je ne rentrerai pas ce soir, reprit l’enfant avec une colère soudaine. J’ai le cœur trop plein, trop lourd. D’ailleurs je hais la maison : aujourd’hui ou demain, qu’importe ? Tôt ou tard, il faudra bien que je traverse pour la dernière fois ce jardin ridicule, ses escaliers croulants, sa charmille et ses deux pâtures rôties. Pour la dernière fois, je verrai la façade bête et blanche, ce cube que soleil ni pluie n’arrivent à fondre, – et plaise au ciel que je retrouve à sa place une mare de chaux et de mortier !

Sur le seuil, M. Ouine lui fait un signe amical, referme soigneusement la porte. Mais c’est en vain que Philippe prête l’oreille. Le merveilleux silence de la petite chambre paraît seulement s’ébranler, virer doucement autour d’un axe invisible. Il croyait le sentir glisser sur son front, sur sa poitrine, sur ses paumes ainsi que la caresse de l’eau. À quelle profondeur descendrait-il, vers quel abîme de paix ? Jamais encore, au cours de cette journée capitale, il ne s’était senti plus loin de l’enfance, des joies et des peines d’hier, de toute joie, de toute peine. Ce monde, auquel il n’osait pas croire, le monde haï de Michelle – « Tu rêves, Steeny, pouah ! » – le monde de la paresse et du songe qui avait jadis englouti le faible aïeul, l’horizon fabuleux, les lacs d’oubli, les voix immenses – lui était brusquement ouvert et il se sentait assez fort pour y vivre entre tant de fantômes, épié par leurs milliers d’yeux, jusqu’au suprême faux pas. « Chez nous, aucune chance de vaincre, il faut tomber ; M. Ouine lui-même tombera. » Ainsi parlaient toutes les bouches d’ombre. Et pour lui, Philippe, en vérité, qu’importe ! Il s’étonne seulement de ne pouvoir faire une place à son nouveau maître parmi ses héros favoris. Quelle sérénité autour de ce bonhomme épais, au front livide… « C’est peut-être ce qu’ils appellent un saint ? » pense Philippe avec une terreur comique.

On ne peut pas dire que le silence soit rompu, mais il s’écoule peu à peu, suit sa pente. Derrière lui monte un frémissement presque imperceptible, qui n’est pas encore un bruit, le précède, l’annonce… « Zut ! s’écrie Philippe, Ginette pleure.

Il faut d’ailleurs beaucoup d’attention pour reconnaître cette plainte monotone qu’accompagne un bourdonnement plus grave – la voix de M. Ouine sans doute – et qui s’enfle tout à coup, puis retombe. Silence.

– Eh bien ! monsieur Ouine…

Le professeur de langues haussa tristement les épaules.

– Aimez-vous les odeurs, jeune homme ? Moi je les hais.

– Quelles odeurs ?

– N’importe. Peu de spectacles sont capables d’ébranler mes nerfs ; mais une certaine puanteur m’épouvante, je l’avoue. Oui, jeune homme, l’épouvante entre pas à pas en moi par les yeux.

Mains jointes, il flairait craintivement ses ongles, un à un.

– Notre ami ne sent pas bon, dit-il enfin, avec un sourire blême.

– Quel ami ? M. Anthelme ? Et pourquoi ?

– Gangrène diabétique, je pense, répliqua le vieil homme soudain apaisé. Heureusement cette corruption est indolore : jugez vous-même. Notre pauvre malade a pris le lit voilà six jours. À son habitude – car la négligence de ces campagnards est extrême – il avait gardé ses chaussettes. Nous les lui arrachâmes hier au fond d’un baquet d’eau tiède dans l’espoir de faciliter le décollage – hélas ! facile à prévoir – du derme. Mais il n’a pas cessé de fumer sa pipe, riant de nos grimaces ou les contrefaisant comme un singe… oh ! oh ! c’était un garçon vigoureux, plein de force.

Il parlait tranquillement, posément, d’une voix à peine assourdie, et pourtant Philippe croyait sentir, non sans un vague effroi, le même silence se reformer autour d’eux, silence vivant qui paraît n’absorber que la part plus grossière du bruit, donne l’illusion d’une espèce de transparence sonore. Car c’est bien, en effet, à la magie limpide de l’eau, à ses souples enveloppements, au miracle éternel de l’eau, que rêve Philippe…

– Que le bonhomme Anthelme s’en aille ainsi tout seul, sans tambour ni trompette, je trouve ça quand même un peu discret. Passe encore pour les voisins qui sont de méchantes bêtes ; mieux vaut, je pense, crever au bord d’un fossé que de voir accourir à son lit de mort la vieille Destrées par exemple – pouah ! la vieille avec son fusil, son imperméable et ses bottes – mon cousin par ci, mon cousin par là… c’est qu’elle sent le carnier, l’égorgeuse ! Seulement, ni prêtre, ni médecin, ni notaire… brrr… Oui, oui, vous pouvez rire, monsieur Ouine.

– Voyons, Philippe, pourquoi voulez-vous que nous n’ayons fait appeler ni médecin, ni notaire ? Il est vrai que nous ne donnerons au second que peu d’ouvrage. Mais un docteur de Boulogne est venu trois fois et nous le reverrons encore demain – visites de pure forme, d’ailleurs. Voici longtemps que notre ami n’est plus qu’une pauvre chair en pleine fermentation, saturée de sucre et d’alcool, un moût. Il en a même l’odeur miellée. Et quant au prêtre, notez bien que j’ai tenté l’impossible pour que Mme de Néréis ne lui interdît pas l’entrée de sa demeure : j’ai supplié, menacé, rusé, le tout en vain… Quel homme voudrait refuser à ce misérable, à ce déchu, la suprême chance qui lui reste d’entrer noblement dans la mort ? Peut-être même, je l’avoue, me serais-je résigné au scandale : M. l’abbé Doucedame n’a pas cru devoir en courir le risque… Honorez-vous Dieu, mon enfant ?

Il étendit aussitôt la main, l’appuya fortement sur la bouche de Philippe.

– Non, non, assez, pas un mot, vous allez dire une sottise, reprit-il sans cesser de sourire, bien que ses lèvres tremblassent d’impatience. Un garçon de votre âge ne répond pas volontiers à une telle question.

Il tourna brusquement le dos, fit quelques pas vers la fenêtre. Posée de biais sur le drap, la cloche de feutre laissait voir sa coiffe, jadis grenat, un mince croissant rose, pareil à une gueule délicate… « Couche-t-il avec ? » pense Steeny. Et il éclate d’un rire nerveux, trop longtemps contenu, irrésistible. Le ridicule globe noir rebondit au creux de l’oreiller, hésite, disparaît, flotte enfin dans la ruelle, roulant bord sur bord, ainsi qu’une bouée de liège balancée par la houle. « Laissez-moi ! Laissez-moi !… » Mais ses bras traînent, impuissants, comme si la force du rire les avait cassés. Plié en deux, hoquetant, il travaille à reprendre son haleine.

– Ne gesticulez plus, dit sévèrement M. Ouine. Tenez-vous tranquille, là, ainsi, tête droite. Les nerfs ne peuvent pas grand-chose, sachez-le, contre un homme debout. Et retenez encore ceci : les petits garçons ni les femmes ne devraient jamais rire, il y a une malice dans le rire, un poison. Avec un peu de bon sens, vous vous seriez épargné, devant moi, l’humiliation de cette stupide défaillance. Reprenez un peu d’éther.

– Quelle défaillance ? s’écrie Philippe, pâle de rage. Je me suis étranglé en riant, voilà tout.

– Je crains que vous ne soyez sujet à de pareils malaises, continua M. Ouine, impassible ; notre origine est double, hélas ! et le premier tiers de la vie suffit à peine pour tuer en nous la femme. Peut-être encore ai-je présumé de vos forces ? Je suis devenu un homme simple, très simple, je ne calcule plus. Après un certain nombre d’expériences inutiles – qui de nous n’a cherché la brebis perdue, rapporté l’agneau sur ses épaules ?… – je n’irai plus au-devant de rien. Comme ces gelées vivantes, au fond de la mer, je flotte et j’absorbe. Nous vous apprendrons ce pauvre secret. Oui, vous apprendrez de moi à vous laisser remplir par l’heure qui passe. Que de fois, des lisières du bois de Frescheville où j’allais relire d’anciennes lettres – des lettres de jeunes gens que je n’ai détruites qu’à regret, si injustes, si fières – je vous ai vu traverser la route pour monter vers Hagron, en tuant des merles ! Et du premier regard j’avais reconnu cette marche inégale, tour à tour impérieuse ou lente, et ces sursauts que vous avez comme d’un appel augural, ces haltes brusques, absurdes, en plein soleil… ah ! c’était bien là l’image que j’ai caressée tant d’années, une vie, une jeune vie humaine, tout ignorance et tout audace, la part réellement périssable de l’univers, seule promesse qui ne sera jamais tenue, merveille unique ! Car ne vous y trompez pas, Philippe, une vraie jeunesse est aussi rare que le génie, ou peut-être ce génie même, un défi à l’ordre du monde, à ses lois, un blasphème. Un blasphème. La Nature qui tire parti de tout, ainsi qu’une ménagère horrible, la couve d’une haine vigilante, entrouvre amoureusement ses charniers. Mais la jeunesse saute pardessus, s’envole… Quand tout s’altère, se corrompt, retourne à la boue originelle, la jeunesse seule peut mourir, connaît la mort. Ah ! Philippe, chaque pas que vous faisiez en avant, sous l’averse de feu, chaque pas que vous faisiez le soir au-devant de votre ombre, arrachait de moi une crainte, un scrupule, quelque mensonge épargné à mon insu. Un jour les lettres que je tenais entre les mains m’ont paru laides et tristes, je les ai jetées, recouvertes d’une poignée de terre, je n’ai même pas voulu les brûler. C’était pourtant le seul souvenir que je gardasse d’années telles que je vous souhaite d’en connaître ; mais votre présence les effaçait.

La voix s’est faite de plus en plus sourde, un murmure presque indistinct qu’enveloppe le même silence, comme éternel… Le crépuscule a l’air d’être venu là exprès, pour tenir ces paroles trop précieuses au creux de ses ouates grises. Tout ce que l’enfance a laissé en Steeny de malice, d’ironie, de cruauté, lui remonte à l’instant du cœur aux lèvres et sa jolie bouche a le pli brutal que Miss exècre, qu’elle efface parfois, distraitement, du bout de son doigt verni… Peut-on jouer avec ce vieil homme ? Où est le point sensible, vulnérable, de ce cou trop épais, proconsulaire, de la poitrine massive, des cuisses courtes posées gauchement sur le bord du lit – de ce corps, enfin, que l’on devine gras et fragile, pareil à celui d’une femme mûre ? Philippe voudrait rire, comme il a ri un moment plus tôt, comme il sait rire lorsqu’une certaine désolation qu’il connaît bien aussi, risque de devenir tout à coup intolérable, le rire que Michelle appelle « ton rire de bébé, ton rire idiot ». Va donc pour le rire idiot… Trop tard ! Un autre sentiment déjà l’emporte, surgi du fond le plus obscur, la part demi-morte et croupissante de l’âme, où veille une pitié difforme, élémentaire, aussi vorace que la haine. Quel triomphe facile vaudrait la joie déchirante, l’ébranlement intérieur d’une victoire remportée sur le dégoût, la soumission volontaire à une sorte de grandeur humiliée, méconnaissable, presque repoussante ? Il prend la grosse main molle, la presse doucement sur sa poitrine, puis sur ses lèvres, et il éclate en sanglots.

– Mon enfant, répète deux fois M. Ouine, sans hausser la voix mais avec une force effrayante.

L’ancien professeur a dénoué aussitôt les doigts amis, reste un moment courbé vers la terre dans l’attitude d’un homme frappé de quelque coup imprévu et qui n’épuise que lentement sa surprise, terreur ou joie. Mais il n’en achève pas moins la phrase commencée, reprend sur le même ton :

– Voilà ce que vous étiez dès lors pour moi, Philippe. Je vous ai attendu cependant. Il a fallu cette conjoncture imprévisible, l’extravagance d’une maniaque pour que nous nous rencontrions face à face, ici même, où je n’aurais jamais espéré de vous voir, dans cette chambre que vous n’oublierez plus, – qu’importe !… Et maintenant, un mot encore, le dernier : que pensez-vous de moi, oui, à cet instant ?

– Vous me faites peur, dit Steeny. Je vous suivrais au bout du monde.

Il secoue la tête, et le regard éclatant d’ironie, d’audace, d’une jeune et sauvage fierté :

– Demain, peut-être, dit-il, vous me ferez rire.

Mais déjà M. Ouine s’empresse autour de la table de bois blanc, la recouvre d’une serviette, y dispose un modeste couvert, ouvre un pot de marmelade. Le pain est justement ce pain de mie dont Philippe raffole.

– Vous boirez de ce vieux madère. Mon enfant, je vous ai quitté tout à l’heure dans l’intention de mettre fin à notre absurde malentendu. Bref, je pensais avoir facilement raison des caprices de ma pauvre amie, et qu’elle accepterait de vous reconduire ce soir chez vous. Il n’y faut plus songer. Notre malchance veut encore que le seul voisin capable de nous venir en aide, M. Malicorne, passe la nuit à Boulogne. Que faire ? Ma santé ne me permettrait pas de vous tenir compagnie et j’estime qu’il est bien tard pour vous laisser entreprendre seul une course de trois bonnes lieues.

– Bah ! dit Philippe la bouche pleine, je ne dormirai pas cette nuit.

– Reste à vous retenir ici. Mais nous devons d’abord rassurer madame votre mère. Le petit valet des Malicorne qui, sa journée faite, nous apporte chaque soir notre provision de lait, possédait jadis une bicyclette. Il l’a vendue. Néanmoins je l’ai fait partir aussitôt pour Fenouille, par les raccourcis. À quelle heure dînez-vous ?

– Huit heures, huit heures et demie, monsieur Ouine. Mais il m’arrive souvent d’affûter les ramiers, en lisière de notre bois, sous les grands chênes qui bordent la route. Alors je ne rentre guère qu’à dix heures. Et puis…

Il écarte les deux mains, rejette au néant l’image d’une Michelle plaintive, ses reproches distraits, ses longs regards.

– Et puis quoi ? Que voulez-vous dire ? interroge le vieil homme presque avec colère. Comptez-vous sur moi pour vous enlever aux vôtres ? Ai-je l’air d’un ravisseur d’enfants ? Hélas ! vous vous ressemblez tous : pas un de mes élèves jadis, qui n’ait fait le projet de me suivre, comme vous dites, au bout du monde. Il n’y a pas de bout du monde, cher garçon.

Sa voix s’adoucit brusquement, et Philippe crut voir glisser comme une eau trouble sur le globe des yeux que le léger pincement des paupières venait de recouvrir à demi.

– Mais chacun de nous peut aller jusqu’au bout de soi-même.

Un moment il demeura immobile, le buste incliné en avant, le cou un peu tordu portant la tête vers l’épaule dans une attitude incommode, presque effrayante, comme si la parole qu’il venait de prononcer l’avait lui-même cloué sur place.

– Vous coucherez donc ici, reprit-il enfin, dans ma chambre. Ne vous mettez pas en peine de moi, j’irai m’étendre sur le divan de la bibliothèque, cela m’arrive souvent, je m’y trouve bien. Peut-être irai-je d’ailleurs à la rencontre du petit valet, la nuit sera noire. Inutile de vous inquiéter pour Anthelme : l’événement n’est pas si proche que je l’aurais cru, le médecin n’attend rien avant la semaine prochaine ; ces agonies sont très lentes. Quant à Mme de Néréis ses insomnies sont imaginaires. Il est vrai qu’à ma connaissance, elle ne se dévêt que rarement : une chaise, un carré de tapis, l’angle d’un mur lui sont bons, le sommeil qui la saisit alors tout à coup est celui d’un petit enfant. J’ajoute que vous avez peu de chance de la voir quitter désormais son étage : elle aimerait mieux, je crois, d’être battue, vous pourrez reposer tranquille.

– Monsieur Ouine…, commença Philippe.

Il pleurait presque d’énervement, d’impatience, d’une sorte de colère sournoise aussi proche du rire que des larmes.