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Paris. La défense. Tout va pour le mieux dans cet univers lisse et sans accroc. Le business est florissant, les projets s'enchaînent et Seconde chance est en passe de devenir le passage incontournable pour quadra et quinqua en mal de carrière. L'initiateur du projet Seconde chance a tout pour lui. Une femme aimante, une descendance, il est impeccable, soigné, sérieux, réalise les plus beaux PowerPoint et ses supérieurs ne jurent que par lui. Pourtant, il a raté sa vie. Il n'a pas réussi. Il rêvait d'autre chose. Alors pourquoi ne pas s'offrir à soi-même une seconde chance? Faire peau neuve, muter, devenir quelqu'un d'autre et revenir aux origines de ses déceptions? Seconde chance, c'est le récit d'un nouveau départ, d'un retour en arrière, d'une chute vertigineuse dans les méandres de la mémoire, des regrets, de la trahison et de la folie. Il y a ce qu'on est. Ce qu'on aurait voulu être. Et ce que l'on devient...
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Seitenzahl: 72
Veröffentlichungsjahr: 2018
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Seconde Chance - Léonel Houssam
Crédit photo couverture: Yentel.
Seconde Chance
Avant-propos.
Cette nouvelle parue une première fois grâce auxéditions La Matière Noire (aujourd’hui disparue) fut la première du genre et écrite sous le nom de Léonel Houssam. Elle a rencontré un succès d’estime mais surtout, elle a inauguré un cycle de rédaction de nombreuses autres nouvelles que je serai à même de publier au fil des mois.
En sortant des funérailles, ses yeux sont rouges. Elle semble me demander de lui faire l’amour pour compenser sa tristesse, sa mièvrerie, son impudeur, son petit côté « j’ai perdu mon frère, frime dans mon sexe hein ». Nous portons des « imper’ » et des parapluies, comme dans un enterrement américain, le drapeau sur le cercueil et un pasteur noir ressassant le mythe d’un monde uni. Ni elle ni moi ne souhaitons rester au vin d’honneur qui suit la cérémonie. Picoler Champagne et jus d’orange sur le souvenir d’un con mort, non merci, pas pour moi. Elle tenait à lui. Il tenait à elle. Ils étaient si proches que c’en était ambigu.
Elle me prend la main. Je lui referais bien le visage au pinceau. Demain, je reprends le chemin des miettes, la mallette à la main, les dents bien brossées, le cure-dent protecteur au fond de la poche.
Dans la voiture, nous nous taisons. Le bébé pleure dans son siège. Je passe mon gros index sous une larme et lui jette un sourire protecteur. La voiture ronronne, Mercedes 220D bleu ciel, une marmite dans le moteur et l’impression de puissance nostalgique.
- Il faudra me repasser une chemise pour demain, ma chérie.
La voiture est secouée sur le chemin de boue qui nous ramène à la maison. Des gens jettent des sacs au bord de la route, des femmes passent leur temps à me regarder en coin. Pour être franc, je ne dirai pas le nom de ma femme. Elle n’en vaut pas la peine. Sans elle, je serais sans doute plus pitoyable que ce que je suis aujourd’hui. Des Ricard sans la tête, mais des néons dans le ventre. La vie est un casino géant.
J’ai joui à 23h34. Le film défilait en streaming sur l’écran. Un type pénétrait des Japonaises à quatre pattes, une bonne dizaine, un peu identiques, et très expressives. Je vais faire un tour sur Google. Je tape le pseudo de mon pote : Trésor, artiste underground, animateur déjanté des nuits parisiennes, un OVNI fascinant les organes de presse « cools ». Il se frotte contre des filles sur une vidéo tournée au 223, un club connard ouvert pour accueillir la faune pétasse d’une civilisation sur le déclin. J’ai mon briquet en forme de flingue. Je braque les images et pan, comme dans Taxi Driver. Mon ami/ex-ami Trésor est là, luisant, le cheveu long et gras, la trogne velue et le hurlement facile. Il sent une odeur de salle de concert. Il est doté d’un sexe rabougri par les excès, et pourtant des myriades de jeunes salopes étudiantes viennent à lui, lui susurrant sans doute des promesses de succions.
En matant ces images, je sens la haine monter, la petite flaque de feu dans la tronche, j’ai envie de lui dire bonjour, lui montrer comme je travaille pour payer sa vie de dégénéré. Lui profite du système, se la coule douce, jouit péniblement dans les draps des autres. Je suis sûr qu’il a des croûtes de bouffe sur les murs de sa cuisine. Je ne donne pas cher de sa vie, sa vieillesse se résumera à des arrêts cardiaques en série avant une overdose d’asphyxie. Je ne donne pas cher de Trésor, je ne donne pas cher de ces nuits, ces picolos, ces drogues, tous ces pédés répugnants, ces gauchistes, ces gesticulateurs recyclant en boucle du vomi de techno-truie travaillée à coups de logiciels gratos. Tiens, moi, j’ai rien fait, je suis allé où ? J’avale deux cachets. Au lit. Demain, des dents auront poussé dans ma gorge.
Puis je me lève à 3h34. Je rallume l’ordinateur portable posé sur la table du salon. Je tape Trésor Tremblay sur Google Actualités. Les soiréesCrame ta vie font un carton. C’est juste un petit article dans les Inrocks mais c’est déjà beaucoup. En calbute, ankylosé par les cachets, je fulmine. Je le vois et trouve une interview de lui pour un webzine estampillé hype & punk. Il se la raconte, il s’autoproclame, il est là, posant comme un Kate Moss dans Vogue où je ne sais quelle rognure de papelard infect. Il a le regard vaseux derrière de grandes lunettes type Ray-ban années 80, une casquette arborant un patch de meuf black coupe afro cambrée et un slogan évocateur : Destroy The Night. Connerie, je souris ironiquement, et je tremble un peu. Il raconte qu’il ne fait pas de concessions, que lui ne se laisse pas bouffer, qu’il contrôle. Il sort des théories qu’il a piquées à d’autres, comme il m’a piqué, plus jeune, un ou deux textes pour se faire briller auprès d’éditeurs. Je ne sais pas. Les funérailles, la pluie, le froid de retour, ces conneries sur le réchauffement, la fin de l’Europe, LES TRAINS EN RETARD, LA MORT PAS LOIN ! Ça prend la tête, ça use. Je vais me recoucher. Elle ronfle, elle bave, elle expose son cul.
Bébé pleure. Je fais mine de dormir profondément. 4h17, je suis tendu comme une corde. Trier. Elle se lève, j’aimerais en faire autant et vérifier un truc sur Internet. J’aimerais voir ce qu’il a fait en 2002 pour finir à la Une de Trax. À l’époque, ils causaient de lui, le précurseur, mon cul, moi j’y étais, au moins en même temps, mais moi, j’ai fait des choix. Lui, en 2002, il a pris un chemin. J’attends qu’elle calme le marmot pour me lever et m’infiltrer jusqu’au clavier, vérifier tout ce bordel. Je me tourne, me retourne, le stress encore, l’angoisse de rater cette présentation, dans la matinée, cliquant vivement pour faire défiler les diapos de mon Powerpoint rôdé dimanche après-midi pendant le match de rugby. Elle faisait des cupcakes et nourrissait le nourrisson. Tête de con, vie tranquille. Je gagne ma vie et je gagne sa vie. Les photos de Trésor prolifèrent, ses expos, ses soirées en tant que DJ, en tant que slameur, en tant que boss de la nuit, des mites autour tortillant, prêts et prêtes à baiser avec le mec le plus en vue de Paname. J’ouvre mon compte fake : Anthony Veillon avec des photos de bogoss chopées sur Flickr, usurpées. J’ai mis pour la rubrique opinions politiques : jouisseur autosuffisant. J’ai adhéré à la page et au compte de Trésor. Je lis ses statuts. J’ai aussi échangé avec lui par MP, lui proposant mes services. Il m’a répondu poliment que je serais le bienvenu à ses soirées. J’avais du dégoût en lisant ça. Alors j’ai créé un second compte fake : Marion Ensemble. Une jeune fille de 18 ans, un peu barge avec des tatouages dégueulasses sur les épaules et en bas du dos, un truc qui se fait maintenant. Elle a des piercings et elle écoute des groupes qui ne passent pas à la radio. Sur les photos, elle porte des collants déchirés et elle fait la glamour dans sa salle de bain. Au début, ça ne prenait pas. Il est 4h57, j’ai peur qu’elle se lève et me grille. Effacer l’historique, les cookies et les mots de passe. Y penser. Finalement, je vois qu’il organise depuis février, des soiréesCamp de concentration pour Biatchs. Il aime la provoc’, les mecs underground aiment la provocation gratuite, en font des caisses, ils se pavanent, ils jouent les tarés. Là, il faut y aller avec des uniformes style SS, tout le monde fait ça pour se donner des airs d’insoumis au système. Il rit sur le bord d’un canal. Ça ressemble à l’endroit où se trouve le Point Éphémère, c’est un lieu de débauche, une sale case de nègres blancs jouant la faune. Ils puent l’imitation des prédécesseurs, ils sentent la raclure.
La plupart ont fini comme moi : mallette, voiture, bébé et sexe fixe.
J’envoie un message à Trésor. Il est 10h21, dans 9 minutes, j’animerai ma conférence sur le coaching en ligne. La boîte compte là-dessus pour relancer ses prestations pour les entreprises.
Marion Ensemble envoie le message : « Salut, jespere ke tu va bien. Je kif ce ke tu fais et jai jamais ose te parle mais je te trouve fun. ENTER. ENVOYER » Un collègue se pointe et me demande de signer une fiche. Je le fais. Il s’engage :
- T’as mauvaise mine. T’as vu que c’est pas facile de s’occuper d’un bébé !