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Derrière son apparence de lycéen lambda, Cid Kagenô rêve pourtant de puissance, celle d'un être qui tire les ficelles dans l'ombre. Mais un tragique incident va rapidement mettre fin à ses ambi-tions... ou pas ! Réincarné dans un monde fantastique, il profite rapidement de la situation en montant sa propre organisation secrète, Shadow Garden, créant de toutes pièces une histoire dont il est le person-nage principal : « l'Éminence de l'Ombre ». Mais ses fantasmes pourraient bien s’avérer réalité…
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Seitenzahl: 281
Veröffentlichungsjahr: 2024
Cover
Pages couleur
Prologue
Chapitre 1 – Démarrer le tutoriel
Chapitre 2 – Devenir un personnage secondaire à l’académie
Chapitre 3 – Mes débuts officiels en tant qu’Éminence de l’Ombre
Chapitre 4 – Les deux facettes de Shadow Garden
Chapitre 5 – Mener avec brio la vie d’un personnage secondaire
Chapitre 6 – Quand des terroristes envahissent l’académie
Epilogue – Ma vision d’une parfaite Éminence de l’Ombre
Annexes
A propos de JNC Nina
Copyright
Pages couleur
Table des matières
Je ne me souvenais pas de l’élément déclencheur, mais je savais que j’avais toujours voulu devenir une Éminence de l’Ombre. Que ce fût dans les animés, dans les mangas ou dans les films, cette seule figure me suffisait dans une œuvre pour me réjouir. Les protagonistes ou encore les boss de fin ne m’intéressaient pas. Je préférais ceux qui se servaient de leurs talents pour intervenir en secret. C’était ce genre de rôle que je souhaitais assumer un jour. Pendant que les enfants de mon âge admiraient les héros, moi, je m’émerveillais devant l’inconnu qui tirait toutes les ficelles des coulisses.
Cependant, contrairement à tous ces autres enfants, cette passion ardente qui brûlait au plus profond de mon cœur n’avait jamais disparu. Karaté, boxe, kendo… J’ai appris à maîtriser les sports de combat pour me renforcer, tout en gardant mes capacités secrètes, afin d’être prêt pour le moment où je deviendrais une Éminence. Pas très bon à l’école, j’étais un élève discret qui n’aurait pas fait de mal à une mouche. Un véritable personnage secondaire, en somme. Mais, après les cours, je passais mon temps à m’entraîner.
Voilà à quoi ressemblait ma jeunesse. Mais, au fil du temps, l’anxiété commença de s’insinuer en moi. Je devais faire face à la réalité : peu importait à quel point je maîtrisais les arts martiaux, jamais je n’avais été en mesure d’acquérir le pouvoir de ces Éminences que j’adorais. Le mieux que je pouvais faire, c’était de gagner contre quelques voyous qui cherchaient la bagarre. Mais il m’aurait été difficile de rivaliser contre des hommes armés. « Une Éminence de l’Ombre qui se fait battre à plate couture par des soldats… » Risible, n’est-ce pas ?
Pourtant, j’avais la sensation que m’exercer pendant des décennies et devenir le combattant le plus fort du monde ne changerait rien à l’affaire. Ou peut-être que si, finalement. En suivant un entraînement adéquat, n’importe qui est capable de résister à une troupe de guerriers armés. Mais même si j’avais pu vaincre ces soldats, je n’aurais jamais pu survivre à une ogive nucléaire. J’aurais sans doute été pulvérisé à son contact, car telle était la limite des êtres humains. Une Éminence de l’Ombre, elle, par contre, ne se fait pas désintégrer par une bombe atomique. Je peux vous l’assurer. C’est pourquoi je souhaitais en devenir une.
Mais de quoi avais-je besoin pour échapper à cette terrible fatalité ? D’une incroyable force de frappe ? D’un corps en acier ? D’une endurance perpétuelle ? Non. J’avais besoin de quelque chose de bien différent. J’avais besoin de pouvoirs magiques, du mana, du chi, d’une aura spirituelle… Aucune importance. J’avais besoin d’un pouvoir encore inconnu de tous. C’était la conclusion à laquelle j’étais arrivé après avoir été confronté à la dure réalité.
Bien sûr, si quelqu’un vous disait vouloir obtenir des pouvoirs magiques, vous douteriez forcément de sa santé mentale. Moi aussi. Mais réfléchissez bien : si personne n’avait pu prouver l’existence de la magie, cela voulait dire que, à l’inverse, personne n’avait pu la réfuter. La santé d’esprit ne m’aurait jamais apporté le pouvoir auquel j’aspirais. C’était une chose qui dépassait le stade de la folie.
La suite de mon entraînement fut extrêmement difficile. Personne ne pouvait m’apprendre à maîtriser la magie. J’avais tout essayé : la méditation sous une cascade, le jeûne ou encore le yoga. À la recherche de forces supérieures, je m’étais même converti au christianisme. J’avais prié Dieu et pratiqué l’autoflagellation, sans succès. Mais, dans l’obscurité, tout ce que je pouvais faire, c’était continuer de suivre le chemin que je pensais être le bon. Le temps a passé et avec lui était arrivé l’été de ma dernière année de lycée. La magie, elle, demeurait inexistante.
***
Il faisait déjà nuit lorsque j’eus terminé mon entraînement habituel. J’enfilai les sous-vêtements que j’avais mis de côté, avant de mettre mon uniforme scolaire. Je n’avais toujours pas acquis de pouvoirs magiques, mais, ces derniers temps, je sentais que mon travail commençait à porter ses fruits. C’était le cas aujourd’hui aussi. J’avais la tête qui tournait et ma vue était trouble. J’avais même l’impression de ressentir la magie… Ou l’aura… Peu importe ce que c’était, je savais que la séance d’aujourd’hui avait été très enrichissante. Se retrouver nu dans la forêt permettait de ne faire qu’un avec elle, et la douleur physique qu’on ressentait en se tapant continuellement la tête contre un tronc d’arbre éliminait toute distraction et stimulait le cerveau pour qu’il s’éveillât à des forces inconnues. C’était une méthode d’entraînement extrêmement théorique.
Ah, ma vue se brouille de plus en plus, comme si je souffrais d’une commotion cérébrale.
Je descendais de la montagne en courant si vite qu’on aurait dit que j’étais en train de voler, lorsque j’aperçus une lueur vacillante. Deux mystérieux faisceaux de lumière se croisèrent, flottant dans l’air. Ils me guidaient, comme s’ils m’invitaient à les rejoindre.
« Serait-ce la magie ? »
Hésitant, je m’approchai pas à pas. C’était bien de la magie, j’en étais convaincu ! J’avais enfin réussi à trouver ce que je cherchais depuis tout ce temps ! Sans m’en rendre compte, je m’étais déjà élancé tel un étalon au triple galop. Et même lorsque mes pieds se prenaient dans les racines des arbres, je continuais de cavaler comme une bête.
« La magie ! La magie ! La magie ! Magie, magie, magie, magie ! »
Je bondis devant les deux lumières pour les saisir…
« Oh… »
Tout à coup, deux gigantesques phares m’aveuglèrent. Un crissement strident résonna dans ma tête. Le choc pulvérisa mon corps. Et c’est ainsi que je trouvai, enfin, la magie.
***
Lorsque je me suis réveillé, mon environnement était rempli de magie. Elle était différente des faisceaux de lumière que j’avais vus avant mon décès, mais ça, ce n’était qu’un détail.
D’ailleurs, en parlant de détail, il semblait que je m’étais réincarné grâce, je suppose, aux pouvoirs magiques que j’avais enfin acquis juste avant de mourir. Mais le comment n’avait pas d’importance. Le fait est que je me retrouvais maintenant dans le corps d’un petit garçon âgé d’à peine quelques mois. Ma conscience ne s’était éveillée que très récemment et ma notion du temps était encore vague, si bien que je ne saisissais pas exactement ce qu’il se passait. Je ne comprenais pas non plus la langue dans laquelle on me parlait, même si elle semblait appartenir à une civilisation européenne du Moyen Âge.
Quoi qu’il en fût, j’avais réussi à obtenir des pouvoirs magiques. C’était tout ce qui comptait. Le reste n’avait pas d’importance. Je m’en étais aperçu assez rapidement. Ma sensation en cet instant, en voyant des particules moelleuses et lumineuses flotter dans l’air, ressemblait à celle que j’avais éprouvée lorsque j’avais couru nu dans un champ de fleurs, à la recherche d’esprits lors d’un entraînement que j’avais effectué dans mon ancienne vie. Cet exercice n’aura pas été vain. Et pour preuve, je pouvais maintenant percevoir la magie et la manipuler comme s’il s’agissait de mon propre corps.
J’avais goûté cette sensation lorsque je m’étais autoflagellé… Ou alors peut-être était-ce quand j’avais prié et dansé à poil dans la forêt ? Ou peut-être que tous mes entraînements réunis avaient finalement porté leurs fruits… Après tout, je savais déjà que mon corps pouvait être renforcé. Il ne me restait plus qu’à profiter de ma vie de nourrisson et m’appliquer afin de devenir une Éminence de…
Ah… j’ai envie de faire caca…
D’ailleurs, on disait que les oiseaux bavaient en déféquant, mais il en allait de même pour les bébés humains. J’avais beau essayer de résister, mon instinct me soufflait de ne pas me retenir. Grâce à mes exercices, je devais être capable de resserrer mon sphincter, mais, pour le moment, tout ce que je pouvais faire, c’était pleurer afin qu’un adulte vînt s’occuper de moi…
***
Quelque dix années ont passé. La magie était incroyable. Elle permettait de dépasser légèrement les limites du corps humain. Je pouvais soulever un énorme rocher avec facilité, courir deux fois plus vite qu’un cheval, et sauter plus haut qu’une maison. Cependant, il m’était pour l’instant impossible de survivre à l’attaque d’une bombe atomique. Je pouvais me défendre plus agilement qu’avant grâce à la magie, mais la puissance de feu des armes terrestres restait toujours trop élevée pour moi. Malgré tout, même si l’absence de frappes nucléaires dans ce monde m’arrangeait bien, quel intérêt y avait-il à devenir une Éminence de l’Ombre ? Aucun.
C’était pourquoi je devais à tout prix acquérir le pouvoir de survivre à l’attaque d’une bombe nucléaire. Mes recherches et à mes sessions quotidiennes m’avaient permis de découvrir une chose qui pouvait m’aider à y parvenir, et je décidai d’en tirer profit : il semblait que j’étais né dans une famille issue de la noblesse qui avait produit des générations de Magelames, des chevaliers qui combattaient en renforçant leurs corps grâce à la magie. Évidemment, ce n’était pas mon cas. Je n’étais qu’un néophyte des plus ordinaires. Après tout, une Éminence de l’Ombre devait savoir dissimuler ses véritables capacités pour les révéler au grand jour le moment venu…
Malgré le fait que je ne me donnais pas au maximum, mes entraînements étaient quand même salutaires. J’avais pu apprendre à me battre en recourant à la magie de ce monde, ce qui m’avait permis d’analyser les tactiques de combats que j’avais assimilées durant ma vie antérieure. En toute franchise, elles étaient bien plus sophistiquées et réfléchies que celles de ce milieu-là. Les compétitions modernes d’arts martiaux en témoignaient : les méthodes et les mouvements inutiles étaient éliminés pour ne garder que les techniques supérieures des différentes disciplines et les fusionner dans le but d’obtenir une lutte parfaite.
Bien sûr, tout cela devait s’effectuer dans les règles, mais ce processus de « raffinement » pouvait aussi être mis à profit dans d’autres domaines, afin de fixer certaines règles équitables parmi les diverses techniques existantes. Ici, les technologies ne franchissaient pas les frontières des pays, et il en allait de même pour les suites enseignées dans les écoles d’arts martiaux. Certaines étaient même gardées secrètes, et, si elles ne l’étaient pas, il n’y avait de toute façon aucun organe de presse pour les communiquer au reste du monde. En d’autres termes, il n’y avait pas de fusion des écoles, pas de sélection, pas de polissage. En un mot, il n’y avait pas de « raffinement ».
Cependant, il existait quand même une différence fondamentale entre les combats de ce monde et ceux de mon lieu d’origine : la magie. Et grâce à elle, les capacités physiques de base étaient complètement modifiées. Prenons l’exemple de la puissance musculaire : si, en ayant recours à la magie, vous pouviez soulever une personne d’une seule main, alors les techniques newaza n’avaient plus aucun sens. Il en allait de même pour la position montée car la magie vous permettait de voler rien qu’en contractant les abdominaux. Et dans une posture de garde, votre adversaire risquait d’être emporté par la seule force d’un coup de jambe. Aucune de ces méthodes de combat ne pouvait être appliquée dans ce monde.
Chacun a sa propre façon de se battre, que ce soit les humains ou même les gorilles. Il faut aussi prendre en compte les différentes vitesses et distances entre les pas d’engagement et, par conséquent, l’espacement entre les opposants. C’est le plus important. Les arts martiaux ne sont finalement qu’un jeu de synchronisation. La distance, l’angle et le positionnement sont fondamentaux.
Il m’avait fallu beaucoup de temps pour appréhender le concept de distance. Ici, les adversaires se plaçaient environ à cinq mètres les uns des autres. Après tout, leurs enjambées étaient longues et rapides, alors je pouvais comprendre leur choix de se positionner aussi loin. C’était d’ailleurs ce qui m’avait le plus impressionné au début, mais c’était normal puisque les techniques défensives m’étaient encore inconnues.
Dans les arts martiaux, plus sa défense est mauvaise, plus on veut garder ses distances, en vain. Pourquoi ? Parce qu’on appréhende les attaques de son adversaire. On n’est en sécurité que lorsqu’on se met à l’abri des assauts. C’est le principe même des combats au corps à corps. « Frapper puis se retirer ? » Malheureusement, ce n’est pas comme ça que j’appellerais cette technique de mouvement de va-et-vient stérile et monotone. Et le fait qu’il y ait un écart de cinq mètres, de six mètres, de sept mètres, de dix mètres, ou même de cent mètres ne signifiait rien non plus. Personne ne peut lancer une offensive décente et toucher son adversaire à ces distances-là. C’est inutile. Il vaut mieux se rapprocher.
Mais, à une certaine proximité, chaque millimètre devient crucial. C’est la distance à laquelle notre coup porte et à laquelle nous pouvons réagir à l’attaque de notre ennemi, l’angle, etc. qui importent. La distance est une chose qui s’ajuste de peu. Il ne s’agit pas de courir cinq mètres pour attaquer puis sauter six mètres en arrière. Non, vraiment, les préjugés que j’avais sur ce monde et sur la magie m’avaient induit en erreur. Toutefois, j’étais heureux de dire que j’avais enfin pu « réduire la distance » entre lui et moi.
C’était ainsi que notre père nous entraînait quotidiennement. Ma sœur, de deux ans mon aînée, semblait très forte. Si les choses continuaient de cette façon, il était certain qu’elle prendrait un jour la tête de la famille. Dans ce monde, les femmes pouvaient aussi acquérir de la puissance grâce à la magie. Le fait que l’une d’elles devienne cheffe de clan était donc loin d’être rare.
C’est pourquoi, chaque fois que j’affrontais ma sœur lors de nos entraînements, je la félicitais à coup de : « Waouh, tu es vraiment trop forte… » Je ne pouvais pas me permettre de gagner. Si je voulais atteindre le statut d’Éminence de l’Ombre, je devais agir tel un personnage secondaire des plus banals.
***
Apprendre l’étiquette et créer des liens sociaux typiques d’un personnage secondaire me laissait peu de temps pour m’entraîner. C’est pourquoi je le faisais tard le soir, une fois que tout le monde était couché, ce qui me contraignait naturellement à réduire mon temps de sommeil. Mais je m’en accommodais, car j’avais mis en place une technique de repos unique : la magie et la méditation me permettaient de récupérer rapidement. Je n’avais donc pas besoin de dormir beaucoup pour être en forme.
Aujourd’hui encore, après un entraînement basique dans la forêt, venait le plat de résistance : il paraissait qu’un groupe de voyous s’était récemment installé dans un village abandonné à proximité. Après vérification, j’avais effectivement découvert la présence d’une bande de voleurs plutôt insignifiante. Je parvenais souvent à tuer de petits brigands solitaires, mais cela me ravissait toujours de me retrouver face à plusieurs malfrats. C’était le genre d’événements qui n’arrivait qu’une fois dans l’année. Puisque je manquais de partenaires d’entraînement qui égalaient mon niveau, ils étaient les bienvenus.
Aaah, si seulement ils pouvaient être plus dangereux à chaque fois.
Les voyous étaient généralement exécutés en privé, pratique assez courante dans les campagnes de ce monde. Il n’y avait que dans les villes qu’ils étaient dûment jugés. Mais puisqu’il n’y avait personne ici pour le faire, c’était à moi que revenait ce rôle. D’ailleurs, c’était l’occasion idéale pour essayer une nouvelle arme que j’avais créée récemment : la combi-slime. Mais qu’est-ce que la combi-slime, me direz-vous ? Laissez-moi vous expliquer.
Il existait dans ce monde un pouvoir magique appelé mana dont les gens se servaient pour renforcer leur corps et leurs armes pour les combats. Mais qui disait manipulation de ce mana disait perte : même si, par exemple, une épée de fer contenait 100 % de mana, uniquement 10 % étaient réellement utilisés, ce qui voulait dire que 90 % du mana étaient gaspillés. Une épée en mithril, métal qui avait la propriété de canaliser la puissance magique, aurait été considérée de grande qualité si seulement 50 % du mana étaient transmis lors de son usage. Je me suis alors intéressé aux slimes qui étaient, comme vous avez pu le deviner, des créatures magiques semi-liquides. Ils se servaient du mana pour se déplacer et changer de forme. J’avais également découvert que leur conductivité magique atteignait les 99 %. J’avais donc chassé plus de mille individus, écrasé leurs noyaux et utilisé le reste pour en faire de la gelée. J’avais même dû partir en expédition pour en trouver, à cause de la pénurie de slimes dans la région.
Je m’étais ensuite enduit le corps de ce mélange visqueux et facile à manipuler afin de me créer une cape qui, contrairement à une armure, était plus légère et confortable, ne faisait pas de bruit et suivait bien mes mouvements. Bien entendu, ses propriétés défensives étaient sans équivoque. Elle était de couleur noire, sans fioritures, et sa coupe, qui épousait parfaitement les courbes de mon anatomie, me permettait non seulement de voir mais de respirer. Je ressemblais à un criminel de bande dessinée policière. Je songerai peut-être à agrémenter son apparence lorsque je serai enfin devenu une véritable Éminence de l’Ombre.
La nuit était déjà bien avancée lorsque j’arrivai au village abandonné. Les voleurs, qui festoyaient autour d’un feu, avaient réussi à détrousser des marchands de passage.
Quelle chance ! Puisqu’ils n’avaient pas de plan, ils profitaient de leur butin tout de suite après l’avoir dérobé et disposaient donc encore d’une grande quantité d’objets très intéressants, qui finissaient toujours par m’appartenir. Après tout, c’était leurs prises qui me permettaient d’augmenter les probabilités que je devienne un jour une Éminence. Je me jetai dans la gueule du loup, remonté à bloc. L’attaque surprise n’était jamais une bonne stratégie.
« Yaaah ! Aboulez l’fric, bande de nazes ! criai-je, en interrompant leur festin.
— Quoi ? Mais qui c’est, ce nabot ? »
Bien sûr que j’étais un “nabot”, je n’avais que 10 ans.
« J’vous ai dit d’abouler l’fric ! » continuai-je en donnant un coup de pied à l’homme qui m’avait grossièrement insulté.
C’est alors que les bandits ramassèrent leurs armes posées au sol.
« Ne crois pas qu’on va être indulgents juste parce que t’es un gamin…
— Yaaah ! »
Je tranchai la tête de la personne qui ne cessait pas de jacasser dans le vide. Mon épée était également fabriquée à partir de gelée de slime et ne pouvait être dégainée qu’en cas de nécessité. De plus, elle possédait quelques fonctions supplémentaires très efficaces. La première : l’extensibilité.
« Prenez ça ! Et ça ! Et encore ça ! » m’égosillai-je en m’acharnant sur les voyous avec ma lame.
Celle-ci s’étirait avec la souplesse d’un fouet, mais coupait aussi bien qu’une épée en métal. C’était la première fois que je l’utilisais en combat réel, j’étais donc un peu inquiet du résultat, mais elle s’avérait finalement très pratique. Je continuai à m’amuser sur les autres…
« Yaaaaaah… Oh ? »
Jusqu’à ce qu’il n’en restât plus qu’un.
« Mais t’es qui, à la fin ?!
— Pas le choix, je vais devoir essayer la deuxième fonction de mon épée sur toi…
— Quoi ? Mais qu’est-ce que tu racontes ?
— T’as l’air plus fort qu’eux… C’est toi le chef de la bande, non ? T’as aucune chance de me vaincre, mais si t’acceptes d’être mon partenaire de combat, je te laisserai vivre pendant encore deux minutes. Alors j’te conseille de faire de ton mieux !
— Te fous pas d’moi, sale mioche ! J’ai été formé à la capitale royale !
— Arrête, tu gaspilles ta salive pour rien…
— La ferme ! »
Le chef se précipita vers moi, fou de rage. Je ne cherchais même pas à esquiver son attaque, pour le moins… futile. Il me trancha le torse avec son épée, puis je tombai à terre.
« Haha ! On fait moins l’malin, maintenant ! J’ai été formé à l’école Bushin de la capitale royale, après tout ! Mais qu’est-ce que…
— Je t’avais bien dit que tu n’avais aucune chance de me battre… »
Je me relevai comme si de rien n’était. Les fonctions défensives de mon équipement étaient très satisfaisantes, si bien qu’une offensive du faible niveau de ce voleur pouvait être entièrement neutralisée par ma combi-slime.
« Les techniques de la capitale royale ont la cote, ces derniers temps… Et si tu me montrais de quoi tu es capable ?
— J’vais pas m’gêner ! »
Il attaqua de nouveau en brandissant son épée aussi fermement qu’il le pouvait, mais je n’avais pas besoin de la mienne pour lui répondre. Je pouvais me permettre de compter sur mon agilité et mes réflexes.
Toutefois, ce style Bushin me plaisait bien. Il était rare, dans ce monde, que quelqu’un se battît en utilisant la raison et non en suivant une mentalité ou des conventions démodées. On pouvait le voir même dans les pauvres coups que donnait le brigand. Je devinais qu’il tentait d’être un peu plus rapide, d’avoir un demi-pas d’avance et de mener le combat avec ingéniosité. Cependant, sa dextérité au maniement de l’épée n’était pas suffisante. J’esquivai ses attaques à temps, avant qu’il ne s’interrompît.
« Pourquoi je n’arrive pas à te toucher ?
— Tu es plus faible que mon père, mais plus fort que ma sœur… Quoique, dans un an, elle t’aura largement dépassé.
— Sale morveux ! »
Je repoussai d’une légère pichenette son fer, qu’il brandissait avec violence, puis, en levant le genou, lui donnai un coup de pied sec et rapide dans le tibia.
« Aaargh ! Mais qu’est-ce que c’était que ça ? » gémit le voyou en se tenant la jambe, recroquevillé.
Le sang rouge écarlate qui coulait de sa blessure tachait le sol. L’astuce était simple : ma lame était comme le prolongement de mes orteils, aussi tranchante qu’un pic de glace. Tout cela grâce à la deuxième fonction de mon épée-slime. Je pouvais la dégainer dans la direction que je voulais, au moment où je le voulais. Parer un coup de pied était généralement difficile. C’est pourquoi cette fonction était très pratique lorsque je voulais infliger ce type d’attaque à mon adversaire. Je pouvais prévoir et bloquer n’importe quel assaut à l’épée, tout en frappant sa jambe avec un coup de pied unilatéral. Simple mais efficace.
« Bon, je pense qu’il est inutile de continuer…
— Non… Attends !
— Tu n’as même pas tenu deux minutes. »
Je donnai un second coup de pied au voyou, cette fois-ci dans la mâchoire, mon épée toujours dégainée au bout de mes orteils, pour l’embrocher. Son corps, encore pris de spasmes, tomba au sol tandis que je me dirigeai vers leur butin.
« Bon, puisque les œuvres d’art et la nourriture ne m’intéressent pas, je vais plutôt me concentrer sur les bijoux et l’argent. »
Il y avait plusieurs chariots remplis de produits de toutes sortes, ainsi que les cadavres des pauvres marchands assaillis.
« Vous voilà vengés. Ne vous inquiétez pas, je ferai bon usage de toute cette cargaison. Vous pouvez reposer en paix. »
Je récupérai ma récompense, puis me mis à réfléchir en silence. La somme représentait environ cinq millions de zennies, un zenny équivalant à peu près à un yen. Tout cela allait servir à financer mes activités d’Éminence de l’Ombre. J’aurais aimé que le monde devienne plus dangereux et que les bandits soient plus nombreux. Cela aurait été bien qu’on pût tomber sur eux n’importe quand dans la rue, comme dans les jeux vidéo !
« Dans ta prochaine existence, travaille plus dur et domine le monde ! » dis-je en levant le pouce vers le corps sans vie du chef des voleurs.
C’est alors qu’une chose attira mon attention.
« Une cage ? »
Elle semblait assez grande et robuste.
« Si elle contient un esclave, je passe mon tour. Je ne les supporte pas. »
Mais, intrigué, je soulevai la couverture, au cas où il y aurait quelque chose d’intéressant à récupérer.
« Oh… Je ne m’attendais pas à ça… »
À l’intérieur gisait un amas de chair en décomposition. Il avait à peine conservé sa forme humaine. Son sexe ainsi que son âge étaient impossibles à déterminer, mais il était encore en vie. Peut-être même qu’il était conscient. Le tas sanguinolent tressaillit alors que je l’observai.
Cette chose était ce qu’on appelle un Possédé : des êtres humains dont le corps se mettait à pourrir du jour au lendemain. L’Église prétendait recueillir les malades souffrant de la Possession démoniaque afin de les purifier, mais cela n’était qu’un prétexte pour les exécuter en douce. Elle les abattait, mais le peuple l’applaudissait et chantait ses louanges pour avoir maintenu la paix dans le royaume. C’était très moyenâgeux et, bien sûr, très excitant. Ce morceau de viande rapporterait probablement plus que le butin d’aujourd’hui si je le vendais à l’Église. Il me serait inutile de toute façon, et ça ne pourrait que lui rendre service.
J’insérai mon épée-slime à travers l’un des interstices de la cage lorsque je me rendis compte que l’amas de chair contenait une grande quantité de mana. Son incroyable force surpassait la mienne. Pourtant, je m’étais entraîné depuis mon plus jeune âge.
« Tiens… Ce flux d’énergie ressemble à un déchaînement de mana ! »
J’avais l’impression que cette chose était dans cet état à cause de l’emballement du mana. J’en avais moi aussi fait l’expérience, par le passé. Si je n’avais pas été capable de réprimer l’explosion de puissance magique en moi, j’aurais fini dans le même état que ce possédé.
En voyant l’effet du mana sur lui, je sentis qu’une de mes théories était plausible : en engendrant une explosion de mana, le corps pouvait s’habituer à sa puissance magique et muter pour gérer cette force plus facilement. Malheureusement, comme il était trop dangereux de provoquer intentionnellement un déchaînement de mana, j’avais abandonné l’idée de la tester.
Si, hypothétiquement, cet amas de chair était bien le produit d’un déchaînement de mana, je pourrais alors mener des expériences dessus… et me rapprocher un peu plus de mon souhait de devenir une Éminence de l’Ombre.
« Ce Possédé me sera finalement bien utile… »
J’attrapai l’amas de chair et j’y injectai un flux magique.
***
Un mois s’était écoulé. Je soupirai en me remémorant le jour où j’avais découvert le possédé dans le village abandonné dans lequel je me trouvais en cet instant. Comment en étions-nous arrivés là ?
Jusqu’ici, les expériences que je conduisais sur l’amas de chair s’étaient plutôt bien déroulées. Je pouvais me permettre d’en faire ce que je voulais, puisque ce n’était pas mon corps. J’y avais donc injecté du mana et passé mes journées à poursuivre mes recherches. Je m’amusais énormément. J’étais ravi de m’approcher toujours un peu plus de mon but et de sentir mes capacités croître sensiblement. Plus précis, plus délicat, plus puissant, mon contrôle du mana augmentait jusqu’à atteindre sa limite. Puis, le jour où je fus enfin devenu capable de dominer le déchaînement du mana, l’amas de chair se transforma en une elfe aux cheveux blonds.
Non, disons plutôt que j’étais tellement absorbé par la maîtrise du mana que je ne m’étais pas rendu compte que le morceau de chair était une elfe depuis le début. Il était impensable qu’un possédé pût retrouver sa forme originelle. Je lui avais dit qu’elle était libre de rentrer chez elle, lui avais souhaité bonne chance pour la suite, mais elle avait refusé de partir : elle affirmait vouloir me remercier pour l’avoir aidée. Sauf que cela n’avait jamais été mon intention. Son sauvetage n’était qu’une simple coïncidence, un produit inattendu d’une des nombreuses expériences que j’avais menées sur elle.
J’avais pensé à m'enfuir, car m’occuper d’elle aurait été bien trop embêtant, mais j’avais finalement décidé de lui faire jouer le rôle de la subordonnée de l’incroyable Éminence de l’Ombre que j’avais prétendu être en me présentant. Elle ne risquait pas de me trahir, elle qui semblait trop intelligente et compétente pour ça. Elle avait 10 ans, comme moi. C’était une elfe, mais elle n’avait pas l’air d’avoir un esprit précoce, malgré ce que racontait la légende.
« À partir d’aujourd’hui, tu t’appelleras Alpha. »
« Subordonnée », « Alpha », sa dénomination m’importait peu.
« D’accord ! » répondit-elle en hochant la tête.
Elle avait les yeux bleus, le teint pâle et des cheveux d’un blond doré. L’apparence typique d’un elfe.
« Et tu auras pour mission… »
Je m’arrêtai un instant pour réfléchir. Après tout, nous étions en train d’avoir une discussion très importante. Sa mission serait de m’assister, c’était certain, mais encore fallait-il poser les bases. Qu’était une Éminence de l’Ombre ? Comment comptais-je m’y prendre pour en devenir une dans ce monde ? Quel serait mon objectif ?
La clé résidait dans le contexte. Nous n’allions tout de même pas nous battre pour une raison futile. Les détails devaient être parfaits. Même après ma réincarnation dans ce monde, j’avais continué de rêver au genre d’Éminence que je voulais être et au but que je souhaitais atteindre. En combinant les dizaines de milliers de situations que je m’étais imaginées, j’avais enfin trouvé le mobile idéal.
« D’empêcher la résurrection du démon Diabolos.
— La résurrection du démon Diabolos ? répondit Alpha en inclinant légèrement la tête, en signe d’incompréhension.
— Tu dois bien connaître la légende selon laquelle, il y a bien longtemps, le démon Diabolos aurait menacé de détruire le monde mais aurait été terrassé par un groupe de trois héros, composé d’une humaine, d’une elfe et d’une hybride ?
— Oui, je la connais, mais ce n’est qu’un conte de fées…
— Non, ça s’est réellement passé et la vérité est encore plus complexe que ce que raconte la fable », répliquai-je, un sourire en coin.
J’avais réussi à créer un contexte digne d’une Éminence de l’Ombre en m’inspirant des contes de ce monde, ce qui était facile pour un enfant de mon âge.
— « Quand il a été vaincu, Diabolos a jeté un maléfice sur les trois héros au moment de leur mort. C’est ce qu’on appelle la malédiction de Diabolos.
— “La malédiction de Diabolos” ? Je n’en ai jamais entendu parler.
— Et pourtant, elle existe, plus connue sous le nom de Possession démoniaque, le mal dont tu étais atteinte.
— Vraiment ! s’exclama Alpha, les yeux écarquillés.
— Cette maladie, qui touche les descendants des héros, était autrefois curable. Tout comme elle l’a été pour toi. »
Après tout, il était difficile d’imaginer qu’Alpha, qui avait retrouvé son corps à la peau immaculée, avait souffert de la Possession démoniaque. Cela confirmait mes dires, même si tout n’était qu’un énorme mensonge.
« Être atteint de la Possession démoniaque prouvait que l’on descendait des héros. Les Possédés étaient chéris, protégés, appréciés et célébrés, comme leurs ancêtres. Mais ça, c’était avant.
— De nos jours, c’est tout le contraire… Pourquoi ? demanda Alpha, le visage plein de tristesse.
— Parce que certaines personnes ont déformé la vérité. Elles ont caché l’acte héroïque accompli contre Diabolos et le remède à sa malédiction, puis ont fait croire que les Possédés étaient des entités méprisables.
— Quoi ! Mais qui a bien pu faire ça ?
— Les mêmes personnes qui tentent de ressusciter Diabolos. Tous les individus touchés par la malédiction sont, sans exception, dotés d’une grande puissance magique et ont hérité du sang des héros. En d’autres termes, ils représentent à la fois un atout pour l’humanité et un obstacle pour les gens que je viens d’évoquer.
— C’est pour ça qu’elles essayent de se débarrasser de nous en nous appelant “Possédés” ?
— Exactement. Tu as été considérée comme une criminelle pour avoir contracté la Possession démoniaque. Tu as tout perdu, ta maison, ta famille… Ne détestes-tu pas les responsables ?
— Si… Bien sûr que je les déteste, comment pourrait-il en être autrement ?
— “L’Ordre de Diabolos”. Tel est notre ennemi. Il agit toujours dans l’ombre. C’est pourquoi nous devons en faire autant.
— S’ils ont une telle influence, alors qu’ils n’opèrent jamais au grand jour, c’est qu’ils doivent être extrêmement puissants. Beaucoup de gens se font sûrement manipuler sans même le savoir… »
Je hochai la tête en signe d’approbation.
« Le chemin sera semé d’embûches. Acceptes-tu malgré tout de collaborer avec moi ?
— Je mettrai même ma vie en jeu, si tel est ton souhait. Quant aux coupables, le châtiment qu’ils méritent est la mort ! » répondit Alpha en me regardant de ses grands yeux bleus, un sourire déterminé sur le visage.
Sa réaction m’alla droit au cœur. Cette elfe était une véritable dure à cuire ! Bien évidemment, l’Ordre de Diabolos n’existait pas. Nous aurions beau le chercher, il resterait introuvable. C’est pourquoi il me faudrait tuer des bandits au hasard en faisant semblant de les soupçonner de faire partie de l’ordre, ou encore m’immiscer dans des batailles menées par des personnages principaux et crier quelque chose du genre : « Le monde est sur le point de s’effondrer ! ». Ou encore : « La résurrection du démon Diabolos est proche ! » ; ou même apparaître sur des champs de bataille et anéantir des ennemis en les traitant de manipulateurs…
Aaah… Mon rêve prend forme !
Mais il me fallait trouver un nom pour notre organisation…
« Notre organisation s’appellera Shadow Garden. Dans l’ombre, nous chasserons ceux qui se cachent dans l’obscurité.
— Shadow Garden… Ça me plaît bien ! »
J’avais toujours été doué pour inventer des noms. Aujourd’hui était née Shadow Garden, l’organisation qui avait pour but de contrer l’Ordre de Diabolos. J’avais franchi une nouvelle étape sur le chemin qui allait me mener à devenir une véritable Éminence de l’Ombre.
« Enfin bon, pour l’instant, nous devons nous entraîner à la maîtrise de la magie et au maniement de l’épée. Je m’occuperai des grandes batailles, mais tu devras toi aussi participer à quelques petits combats secondaires. Mais pour ça, tu dois te renforcer.
— Je vois. Notre ennemi est dangereux, il est donc essentiel que mon niveau soit à la hauteur.
— Tu as tout compris !
— Nous devons aussi protéger les autres descendants des héros.
— Ah, euh… Eh bien… »
Elle avait raison. Il était important que mon organisation fût crédible. Mais nous n’avions pas besoin d’autant de membres. Deux personnes suffisaient amplement.
« Chaque chose en son temps. Pour le moment, nous devons devenir plus puissants. »