Erhalten Sie Zugang zu diesem und mehr als 300000 Büchern ab EUR 5,99 monatlich.
Toya, plus connue sous le nom de Victoria Montou, est une figure historique de la révolution en Haïti, elle incarne la résistance de ces Femmes, ces Hommes d'Haïti qui ont refusé l'esclavage. Toya née au Dahomey vers 1730, ambitionne de devenir l'une des plus grandes guerrière du royaume en entrant dans les Minos, ce régiment d'élite composé exclusivement de Femmes. Blessée au combat face aux esclavagistes européens, elle est capturée, vendue à Ouidah, puis déportée à Saint-Domingue. C'est une guerrière farouche, dès son arrivée sur l'île, elle s'évade, se retrouvant dans la densité de la forêt, découvrant une femme, en fuite comme elle, entrain d'accoucher d'un petit garçon, elle va perdre la vie, faisant promettre à Toya de s'occuper de cet enfant comme si c'était le sien. Toya accepte, dépitée, elle doit retourner à la plantation sucrière Duclos, acceptant son sort, elle va éduquer le garçon, lui apprendre l'art de la guerre. C'est Jean Jacques Dessalines, futur empereur d'Haïti, découvrez ce destin hors norme dans ce premier volume.
Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:
Seitenzahl: 636
Veröffentlichungsjahr: 2024
Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:
Du même auteur,
Le Cri de l’innocence
Solitude, l’enfance (volume 1)
Solitude, révolte (volume 2)
Akoni Yoruba
Voleurs d’âmes
Toya, Dahomey (volume 1)
Toya, Haïti (volume 2)
30 Héroïnes noires
Insoumis
Retrouvez Gabriel sur l’ensemble de ses réseaux,
Gabriel Souleyka
www.tiolejaeditions.com
AVANT PROPOS
1. DAHOMEY
2. ENDURER
3. OUIDAH
4. DESTIN
5. ABOMEY
6. VODUN
7. ACCOMPLIR
8. AGBARAYA
9. VAINCRE
10. GUERRE
11. DISPARAITRE
12. DEPORTEE
Quand j’ai entrepris d’écrire une partie de l’histoire des Antilles, la Guadeloupe, 1802, Solitude et les autres ont focalisé mes pensées. Mais que serait un roman historique sur ces périodes sans Haïti ? Un orphelin littéraire en quelques sorte. Ainsi, à peine la rédaction de Solitude terminée, je cherchais à raconter une autre histoire.
Toussaint Louverture, Jean-Jacques Dessalines, figures officielles de la révolte de Saint-Domingue, ayant permis de proclamer la première République noire. Les œuvres ne manquent pas à leur sujet, alors j’ai exploré d’autres voie, fidèles à mon engagement Afroféministe, c’est Toya qui s’est imposée à moi.
Icône Haïtienne, une vie totalement déroutante par la richesse de sa personnalité. Des recherches laborieuses, afin de vous restituer ce que fut son combat. Tioleja éditions, sous l’élan de Yasmina Fagbemi Edwards, ont impulsé cette création. Qu’elle en soit remerciée, parce qu’il va de soi que nous restons fidèles à ce crédo : Connaître son histoire est un acte de résistance. Les Femmes du Dahomey sont particulières, hier comme aujourd’hui, incarnant le courage et une résilience hors-norme. Le Bénin est un pays qui ne manque pas de trésor, vous allez en découvrir l’un des plus précieux : Toya.
Gabriel Souleyka
D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours craint de finir seule, dans un lit, dompté par le temps, loin de la terre sacrée d’Alkebulan, la terre qui m’a vu naître, ce Dahomey que je chéris depuis toujours. Finissant par expirer pour rejoindre mes ancêtres avec le déshonneur de n’avoir pu honorer mon royaume. Je vais m’éteindre avec un titre de Duchesse impériale, parce que mon fils pense qu’il va pouvoir me faire briller plus que le soleil sur ma nouvelle terre d’Haïti. Mais je ne suis que Toya Agbaraya, combattante du Dahomey, Victoria Montou n’a été que l’écho de mon essence. Le médecin se démène, il ne comprend pas que tout chemin a sa destination finale, mon âme dit que nous sommes arrivées. Si je quitte ce monde sans conter mon histoire, alors ma lutte sera vaine. Telle la providence, Marie fait son entrée, j’envie quelque peu sa jeunesse, sous ses airs innocents, elle évoque la hargne que j’avais quand j’ai quitté le foyer qui m’a vu naître.
Elle s’installe près de moi, je perçois dans son regard une compassion qui me dérange, pourquoi être triste ? Après tout, j’ai vécu comme je l’ai voulu, élevant le père de cette Nation, restant fidèles à mes principes. J’invite Jean Baptiste à quitter la chambre, tout médecin qu’il est, je veux que mes mémoires demeurent dans le secret de mes paroles, le moment venu, il pourra toujours les lire. Il se fait insistant,
— Madame, loin de moi l’idée de vous déplaire, mes instructions sont formelles, l’Empereur m’a ordonné de vous soigner comme si je devais le soigner lui-même !
— N’en déplaise à mon fils monsieur Mirambeau, ne voyez-vous-donc pas que je me présente déjà à la porte ?
— Peut-être que je…
— Il suffit, aussi précieux soit l’affection qu’il me porte, personne ne peut échapper à ce qui m’attend, je dois maintenant laisser mon héritage.
Il incline la tête avec déférence,
— Que les Haïtiennes, Haïtiens, puissent prendre en considération mon engagement pour la cause ! Car tous sauront que les Femmes ont donné plus que leur cœur dans cette lutte ancestrale !
Il quitte enfin la chambre, me laissant seule avec ma scribe attitrée. Connaissant sa fougue, je l’invite à ne pas me couper la parole, elle arrangera mes mots de la meilleure des manières. Parce que je vais à présent plonger dans les arcanes de souvenirs enfouis derrière mon esprit. C’est dans le village de Tauli que je suis née, de l'ancien royaume d'Ardra, au nord de Wydah, unifié en Dahomey. En l’an de grâce 1730, sans même une date approximative, sachant seulement que la saison des pluies n’avait pas encore commencée. Je ne sais rien de ma naissance, si ce n’est que je suis la seconde après mon frère Akouwègnon. Je suis la fille de Sourou, du peuple Fon, ma mère Houéfa est morte en couche, en mettant au monde mon frère Mahutin. J’avais seulement trois ans quand c’est arrivé, je ne garde que le souvenir diffus d’un sourire maternelle.
Grandir sans l’affection de celle qui m’a portée des mois durant demeure une faille que j’ai longtemps masqué. Je suis donc l’ainée des filles, au sein d’une fratrie conséquente, mon père est marié à plusieurs femmes comme le veut la coutume, c’est l’un des meilleurs potiers de la région. La responsabilité des plus petites m’a tout de suite concernée, bien que notre société ne soit pas négligente avec les femmes, il faut pouvoir s’affirmer pour déterminer sa place. Dès mon plus jeune âge, j’ai manifesté un désir d’égalité avec les garçons. Ils passent des rites initiatiques, sont encouragés dans les disciplines martiales. Tandis que je dois regarder nos grandes sœurs préparer les repas, organiser le nettoyage de nos cases. Mon père à voulut me détourner, rappelant la place d’une petite fille responsable, mais la force intérieure m’habitant s’est révolté. D’abord ouvertement, sans succès, puis de façon plus insidieuse, je vais en reparler après.
Revenons à Tauli, je pourrais vous dire que c’est le plus bel endroit du monde, que la végétation luxuriante vous enivre à chaque pas, mais je serais mesurée. Nos Magnolias embaument l’air d’un parfum particulier, les manguiers demeurent intacts, offrant continuellement des fruits aussi suave que noble. Cette vision semble paradisiaque, je n’en ai pas d’autres, c’est ce que mon cœur retient. Car lorsque je ferme les yeux, c’est d’abord ce qui me revient, n’y voyez aucune volonté d’embellir la réalité, je veux seulement dire combien mon royaume était beau avant d’être souillé par l’esclavage. Pour nous permettre de vivre décemment, mon père dispose de quelques terres arables, cultivant le maïs, le manioc, l’igname et le coton. En complément, pour faire face aux périodes difficiles, nous produisons des poteries, sculptures de bois pour les cérémonies, pouvant aussi apporter la protection dans chaque maison. Notre village semble modeste, pour l’étranger y passant, pour moi c’est un univers.
Il est organisé autour d’une grande place centrale, là où se trouvent les bâtiments importants. La maison de notre chef, Mahougnon le bien nommé, une grande case servant à organiser les réunions communautaires, des greniers à grains pour répondre aux famines pouvant survenir. Nos maisons sont disposées tout autour, en cercle, formant ainsi des rues étroites, petites bâtisses en terre battue à la couleur ocre d’un rouge brun. Une famille peut disposer de plusieurs cases, souvent les mêmes, alignées sur une seule ligne. D’autres sont plus modestes, logeant plusieurs générations malgré la promiscuité. Les toits de chaumes empêchent les pluies de pénétrer, ralentissent le vent sans l’empêcher de venir effrayer les plus petits par ses mélodies. Tout autour du village, nos champs s’étendent à perte de vue, agrémenté de plusieurs grands palmiers à huile, qui par leur taille souveraine, offrent une ombre protectrice toujours bienvenue en période de grandes chaleurs.
Je souffre intérieurement de l’absence de ma mère, puisqu’à mon âge, douze ans, je suis désigné pour m’occuper pleinement de mes frères et sœurs. Je ne vais pas me plaindre, puisqu’il me revient de plein droit de m’occuper de ma famille. Mais mon père se fait de plus en plus distant, on se retrouve dans une case, à une dizaine, ne recevant que rarement la visite des adultes. Mes journées deviennent terriblement monotones, dès l’aube, je dois m’accorder sur le rythme du village. Mon réveil se fait au chant des coqs, l’agitation est immédiate, chacun prépare sa journée. Ceux qui doivent s’occuper des champs sont déjà prêts, ils se rendent aux cultures, pour permettre au village de subvenir à ses besoins élémentaires. Les artisans se mettent à l’œuvre dans les ateliers, pour faire naître les poteries, tisser les plus beaux textiles, créer des pièces de bois, tellement réaliste pour certaines, que j’ai l’impression qu’elles vont prendre vie.
Je ne suis qu’une petite fille, alors je dois suivre les traditions, m’occupant d’abord du nettoyage de la case, la préparation du premier repas du matin. Heureusement que les autres dorment, que je suis aussi assisté de mes sœurs, ensemble, on s’échine avec un balai manuel à nettoyer l’allée de nos cases. Je dois ensuite m’affairer au repas, les céréales sont une composante importante de notre alimentation. Le matin, on consomme une bouillie épaisse préparée à partir de mil, maïs ou sorgho. Cette bouillie est cuite dans de l'eau ou du lait, je dois la servir chaude, elle est essentielle à chacun pour bien commencer la journée. Mais personne ne veut manger de la bouillie chaque jour, bien que moi cela ne me dérange pas, alors je dois varier. Pour cela, notre nature bienfaitrice est généreuse, nos légumes, nos fruits font de parfaits partenaires.
Tout ceci est prenant, il me faut plus d’une heure pour bien préparer ce repas et commencer celui du midi. Faisant bouillir de l’igname, des patates douces, du manioc, pétrissant la farine de maïs pour confectionner les galettes, le pain. Ma force est surprenant pour mon âge, ces jours ont façonné mes muscles, ce qui va s’avérer utile par la suite. La spiritualité est tout aussi importante que de préparer les repas. Notre vie est menée selon les principes du Voodoo, nos divinités sont partout dans le village, dès que le soleil se lève, on rend hommage. Que ce soit en priant, avec des salutations, même des libations. D’ailleurs, la préparation des repas le matin, implique celle des offrandes à destination des esprits et divinité. Des fruits, des fleurs, de la nourriture fraîche, des objets dans lesquels on insuffle nos prières.
Cependant, bien que le matin soit consacré à ces actions religieuses, chacun vaque à ses occupations, son labeur dans les champs, les marchés, les maisons. Ce qui ne nous empêche pas de réciter nos prières, des incantations visant à solliciter une protection pour que la journée se passe sans accrocs. En vérité, notre croyance se reflète dans l’ensemble de notre quotidien, véritable spiritualité permettant de rappeler que nous ne sommes que de passage dans ce monde, que la nature ne nous appartient pas. Nos prêtres, prêtresses, peuvent nous guider pour mieux appréhender nos tracas. Par l’intermédiaire de conseils, de consultations, prédictions, même des remèdes face à des maux qui dépassent notre capacité à pouvoir les affronter sereinement. Ainsi, le Vodun n’est pas une religion à proprement parler mais un état d’esprit permanent.
Bien que je sois jeune dans l’appréciation que l’on fait de la jeunesse, si on se réfère aux nombres d’années. Je ne suis pas satisfaite de mon sort, m’en remettant souvent à l’appréciation de la prêtresse que j’ai choisie implicitement. Mahougbé m’a toujours accompagnée, de ma naissance jusqu’au prémices de ma vie de femme. Sa conception, clairement matriarcale, m’a tout de suite mise en confiance, si bien que je l’ai prise comme référence pour mes demandes aux Divinités. J’ai pris le parti de lui confier mes préoccupations, sur le fait qu’une condamnation à vie servile au service des hommes ne me convient pas du tout. Répétant, comme une litanie, que la grande Reine Tassine Hangbé avait ouvert une voie qui ne pouvaient plus se refermer.
Mon éducation a été formatée de façon à être une bonne épouse, une bonne mère par la suite, ce qui implique de savoir tenir la maison. C’est tout naturellement que je me suis appliqué à rater l’ensemble des repas, des tâches, si bien qu’aucun de mes oncles, frères, cousins, ne voulaient plus entendre parler de mes préparations. Bien que mon jeune âge ne me permette pas de débattre âprement, ma malice n’a d’égale que dans la nature environnante. Ils aiment le piment ? Très bien, j’en mettais tellement qu’une rivière ne pouvait pas éteindre le feu dans leurs bouches. Ils veulent un pain tendre, pour préserver leurs dentitions ? Parfait, quand on m’a mise à la préparation, mes galettes étaient tellement dures qu’elles pouvaient servir de briques, de planches et de brise dents. Les hommes de ma familles ont tenté de me redresser à leurs manières.
Une chaleur écrasante enveloppe le village, les travailleurs des champs souffrent en silence, les autres étouffent en silence. Se plaindre n’est pas dans notre culture, une fois que j’ai accompli mes tâches du matin, je trouve refuge à l’ombre d’un Baobab. Pensive, je m’imagine déjà combattre contre les esclavagistes, fière guerrière du Dahomey, Mahougbé vient rompre ces songes. Elle s’assoit près de moi, sans un mot, se contentant de sourire, presque en communion avec les esprits de la nature. L’affection que je porte à cette prêtresse est sans équivoque, prenant le relais de ma mère disparue, ma confiance lui est acquise. Elle sait que je suis fasciné par les histoires mystiques, toujours avide d’en apprendre plus sur le Vodun, sa voix est délicate,
— Toya, tu es destinée à de grandes choses, je l’ai vu, je le vois, les ancêtres parlent à travers toi, tu es en capacité de changer le destin du Dahomey !
— Je ne suis qu’une petite fille insolente !
— Nos femmes sont le socle du Dahomey, ne doute jamais de ce que tu es, car tu feras de grandes choses, je le sais !
— Quand les Adja-Fon se sont installés sur le plateau d’Abomey, ils ne sont pas venus pour créer le Vodun.
— Je le pensais pourtant.
— Les Yorubas d’Ifé à Oyo, Ashanti du Ghana, ont contribué à notre essor spirituel. Houégbadja a permis que le Vodun rythme nos vies.
J’écoute avec une attention totale, ses paroles envahissent mon cœur, devenant une source de force intérieure. Sa présence m’apaise mais plus encore, elle me revigore, me donnant l’impression de me donner une énergie invisible, spirituelle pour faire de moi un soleil fugace. Elle poursuit,
— La route qui mène à la sagesse est ardue, semé d’obstacles en tout genre. Mais tu ne seras jamais seule pour cheminer, les esprits sont toujours avec toi et moi aussi ! Je serais toujours au-dessus de ton épaule, n’en doute jamais !
Une brise légère vient caresser mon visage, soufflant à travers les feuilles du baobab, apportant une sensation de tranquillité. Je ferme alors les yeux, laissant les paroles de Mahougbé envahir tout mon être,
— Tu n’es pas une simple petite fille Toya, non, tu es l’un de nos flambeaux, protégeant le Dahomey !
J’ouvre alors les yeux, le cœur léger, rempli d’une détermination nouvelle. Sachant que le chemin qui s’ouvre devant moi est tout sauf facile, mais je suis prête pour cette épreuve. C’est par ce biais que les Divinités nous font gravir les marches menant à une meilleure foi. Si Mahougbé dit vrai, ce dont je ne doute pas, alors je suis invincible, prête à prendre ce destin qui s’offre à moi, avec toute la force de mon âme. Je me redresse, pleine de cette nouvelle détermination, de simples paroles ont pris le dessus sur ma condition de femme du village. Le voyage doit commencer, celui menant vers une sagesse intérieure inédite, Mahougbé se met alors à prier en silence. Je la laisse sous le baobab, avec le sentiment de devoir accomplir mon devoir. Lorsque je traverse le village, assommé par la chaleur, l’agitation tranquille me conforte, définition simple du bonheur. Une étrange énergie s’insinue en moi, comme si à chaque pas, mon destin se rapprochait.
J’arrive à la lisière du village, marquant un arrêt, pour abreuver mes yeux du paysage qui s’étend devant moi. Vers l’horizon, les montagnes bleutées se dressent fièrement, gardiennes silencieuses de notre histoire, veillant sur le Dahomey et toute la terre d’Alkebulan. Les paroles de Mahougbé deviennent soudainement plus claires, elle me répète depuis mon plus jeune page que la sagesse est dans la nature environnante. Alors je sors du village, m’aventurant plus loin derrière nos champs, à la recherche des secrets de mon âme. J’avance sans aucune crainte, laissant la beauté, la tranquillité s’imprégner en moi. Le chant des oiseaux devient une mélodie évidente, le vent caresse ma peau, le ciel du bleu de l’enfance m’apaise. A cet instant, la communion est totale, mon espoir s’élève, les tourments ne sont plus là. Mon cœur murmure à moi-même,
— Tu dois rejoindre le rang des Minos !
Je m’assois à un endroit des plus paisibles, non loin de la rivière sacrée, la lune dévoile sa parure dans l’azur de la journée. Ce que mon cœur demande est une évidence, rejoindre l’armée du royaume est le meilleur choix, mon destin se forgera avec l’épée et la lance. J’écoute le silence, pleine de ce nouvel espoir, le temps accélère, me prenant par la main pour me faire danser. Les étoiles se montrent, fidèles au serment fait à la lune, donnant encore plus de solennité à l’instant. Je suis une petite fille de dix ans, avec la certitude d’accomplir un grand destin, faire la fierté de mes ancêtres. La nuit recouvre tout, l’obscurité apporte quelque chose de sacrée, je me dois de retourner au village, mes petites sœurs, mes frères attendent certainement mon retour, pour s’assoir autour d’un repas concocté par mes soins.
Lorsque je reviens, la monotonie me guette, mais je m’en sépare immédiatement, servant le repas aux autres. Ma volonté est maîtresse de tout, la peur n’a jamais habité mon cœur, pas plus que les doutes, alors je sais que je dois défier les normes sociales du village. Quand je vais trouver mon père, il est en grande discussion avec mes oncles, devisant sur les récoltes, les prix des marchandises, je viens rompre sa litanie,
— Père, je suis résolue à m’engager dans notre grande armée !
L’un de mes oncles manque de s’étouffer, tous me dévisagent durement,
— Les femmes du Dahomey se sont toujours tenue face à nos ennemis, je vais donner ce sens à mon existence !
Mon père inspire longuement, sourit, se tourne vers moi,
— Ma petite, tu es d’abord la gardienne de tes frères et sœurs, ta mère a quitté ce monde trop tôt ; tu n’as que douze ans…
— Tu ne veux pas voir ta fille s’élever au-dessus de sa condition ? Suis-je condamné à la cuisine et au ménage ?
— Il ne s’agit pas de cela, nous sommes nés sur ces terres, acceptant notre sort, nos devoirs doivent dépasser nos rêves ! La guerre, c’est quelque chose de particulier, je ne le sais que trop bien.
— Les miens sont bien trop grands pour rester enfermés dans ma tête, par respect pour nos traditions, je suis viens pour t’en parler, mais je ferais ce que j’ai à faire !
— Très bien, tu sembles déterminé, animé par une colère dont j’ignore tout, dès demain, tu vas aller te mesurer aux garçons du village, ils préparent les rites de passages, après, tu sauras si c’est toujours ce que tu veux !
— Je le ferais !
— Personne ne te soignera, ni ne séchera tes larmes ma fille !
— Qui va soigner les garçons ?
Ils éclatent tous d’un rire gras, me fixant, ils constatent que je suis sérieuse, puis plus personne ne parle, je me retire en baissant la tête, mes oncles se lancent dans des débats dont je ne veux rien savoir. Cette nuit, je ne vais pas m’endormir avec des rêves impossible, je dois trouver des alliés au village, pour accomplir ma quête. D’autres femmes partagent certainement ma vision, mais se voient muselé par le poids des hommes devenu trop grand. Lorsque j’aurais affronté ces jeunes garçons, je formerais un front contre nos conditions. Car je crois fermement que le pouvoir de changer le monde réside en chacun de nous, tant que nous resterons unis dans notre lutte, rien ne pourra nous arrêter.
J’ai à peine 12 ans, fière de mes stratégies novatrices pour être dispensé de bien des préparations. Mon père a tenu promesse, l’aube se lève à peine, que je suis incité à rejoindre les garçons. Ils ont la bonne idée de m’inclure dans les jeux de préparations, en vue de des rites de passage à l’âge adulte. Oubliant que mon grand frère me fait déjà une bonne guerre depuis plusieurs années. Je me retrouve, de bon matin, ralliant le point de rendez-vous près de la rivière sacrée, avec une trentaine de petits, non pas que je sois grande, mais malgré tout, je dépasse la majorité d’entre eux d’une bonne tête. Mon corps est taillé par les quelques années de longues tâches, ma discipline permanente, inconsciente, marcher chaque jour, porter de l’eau, des sacs de légumes, du bois pour le feu. Cela aura forgé un physique à la hauteur de ce qui m’attend, car Sémévo lance la première salve,
— Mon père dit qu’une fille ne peut pas rivaliser avec nous, je suis d’accord avec lui, on va te montrer comment pleurer petite !
Je croise fièrement les bras,
— Tu as l’air de mieux connaître le secret de la vallée des larmes que moi, sache que personne ici ne pourra me faire pleurer !
— Se vanter permet de masquer la peur, on va rapidement être fixé !
— Si je dis que je suis meilleure que vous je me vante, si je dis que je suis plus faible que vous, je mens, laissons les actes trancher entre nous !
Chacun des garçons affiche une mine ahurie, à croire que j’ai annoncé que j’allais prendre la vie de l’un d’eux dans l’instant. Seul Sémévo semble déterminer à tester mon endurance, peut-être ma force par la même occasion,
— Les paroles ne servent que ceux qui les écoutent, tu vas lutter avec Gbèdo, il va t’apprendre à sangloter en silence !
Je le dévisage longuement,
— Mes larmes sont pour les Dieux, aux Hommes, je n’offre que ma hargne !
— Il va la mettre en lambeaux alors !
— Tes paroles se dissipent comme de la fumée dans le vent, sans atteindre personne et sans laisser de trace !
— Si tu veux, mais mon homme va-t’en laisser, sois en certaine !
Gbédo s’avance, je ne le connais pas autant que l’autre, n’ayant retenu que son front des plus imposants. Je détaille son ossature lourde, ses épaules large, on pourrait croire qu’il a déjà atteint l’âge d’homme. Il s’adresse à moi d’une voix grave,
— Je n’aime pas taper les filles, si tu veux partir, fais-le maintenant !
— Quand on est sur le champ de bataille, la seule échappatoire est en face, pas derrière !
— Très bien, tu as déjà mangé de la terre ?
— Qu’est-ce que…
J’ai à peine le temps de comprendre ses paroles, qu’il plonge littéralement sur moi, m’enserrant fortement pour me faire tomber. Il devrait savoir que j’ai plusieurs frères, avec lesquels je m’amuse fréquemment, je descends vers le sol, presque accroupis, quittant son étreinte. J’administre un coup puissant dans ce qui fait sa virilité, son cri strident, très féminin, fige toute l’assemblée. Sans que je ne comprenne pourquoi, le brave Sémévo vient à la rescousse de son soldat. M’envoyant un coup de pied que j’évite de justesse, je recule pour évaluer la situation, les autres garçons prennent le parti d’applaudir. Je les tance tous,
— Ça suffit, je n’ai rien à prouver, je ne suis pas votre ennemi, il viendra un jour, je vous le promets, ou nous devrons faire face, ensemble, à ceux qui nous chassent, vous vous souviendrez alors que je ne suis pas celle qui recule, celle qui renonce !
Ils se regardent tous, presque gênés par mes paroles, Sémévo s’avance alors, le visage rouge de colère et sans doute de honte,
— Tu es une petite arrogante, Toya. Mais tu as raison sur un point, nous devons nous soutenir les uns les autres.
À ma grande surprise, Les autres acquiescent, leur attitude hostile se transforme en une sorte de respect. Je sens une lueur d'espoir naître en moi. Peut-être que je ne suis pas aussi seule que je le pensais. Peut-être que je peux trouver des alliés dans cette communauté exclusivement masculine, des personnes prêtes à se battre à mes côtés pour un avenir meilleur. Je garde la tête haute, pendant que Gbédo me toise d’un drôle d’air, mes muscles me font mal, mes genoux tremblent, mais je reste debout. Ce n’est que le début, car désormais, ils vont m’en faire voir de toutes les couleurs. Je sais très bien qu’ils sentent leur autorité menacé par mes actes, ils sont déterminés, même s’ils ne montrent rien, à me faire ravaler ma volonté. Sémévo prend la parole avec vigueur,
— Elle a lutté avec courage, mes frères, personne ne vient ici sans montrer sa véritable force, montrez les poids !
Les garçons fouillent alors dans un petit abri au bord de la rivière, pour en extraire d’énormes pierres, de toutes les tailles. En les voyant faire, je perçois que cela pèse le poids d’un homme, ils jettent tout au pied de Sémévo. Il est triomphant face à cette épreuve, un défi de force appel de l’endurance et une certaine habitude que je n’ai pas. Ce ne sont pas des pierres qui me feront renoncer à mon destin. Alors je m’avance avec détermination, ce défi est de la force brute, il faut soulever ces poids pour aller le plus loin possible. Naturellement, je dois reconnaître que plusieurs d’entre eux sont plus forts que moi, mais ce qui compte, c’est de le faire avec autorité. Sémévo commence, il soulève facilement le premier, sûr de sa supériorité, je suis déconcerté par la facilité de son exécution. J’en suis presque déboussolé, mais je reste stoïque face à lui.
C’est maintenant mon tour, les regards se font moqueurs à présent, oubliant que j’ai terrassé leur lutteur favori. Je saisis les pierres du mieux que je peux, sans avoir la technique adéquate, puisque je tombe à la renverse. Peu importe, je me redresse, malgré la douleur lancinante dans mes muscles, la tentation de m'effondrer et d'abandonner me gagne, je refuse de céder. Je crie de toute ma rage, pliant les jambes, remontant avec la pierre dans les mains. A chaque pas, soupirs, la souffrance s’empare de tout mon être. La sueur perle sur mon front, renforçant ma résolution, je marche difficilement, mais j’atteins la fichue ligne, complétement harassée, je jette la pierre avec colère. Me tourne vers chacun d’eux,
— Je veux vous voir les porter vous aussi, celui qui ne le fait pas devra lutter avec moi, c’est compris ?
Sémévo rit de bon cœur, les idiots s’exécutent,
— Que personne ne gémisse, soyez donc des hommes !
Chacun y va de sa force, certains sont ridicules, d’autres font preuve d’une solide détermination. Ceux qui échouent sont durement rabroué par Sémévo, ce dernier ne veut absolument pas perdre la face. Me croyant enfin tiré d’affaire, ayant fait mes preuves par deux fois, c’est loin d’être terminé. Voici venir un autre défi, Sémévo me tance du regard,
— Un guerrier avec de la force est une aubaine, mais la vitesse du guépard est un atout majeur, notre rite comporte une épreuve de course, tu te sens capable d’essayer ?
— Je pense que tu as compris que je n’allais pas partir d’ici sans l’absolution de vous autres, peut-être même que je passerais ce rite aussi !
— Nos traditions sont séculaires, tu penses les remettre en cause ?
— La grande Tassin Hangbé l’a fait et elle a eu bien raison !
— Tu n’es pas reine !
— Je suis l’unique reine de mon cœur, alors cette course ?
Les garçons vont tout au bout de l’allée, s’assurant qu’il n’y a pas d’épines sur le chemin, retirant les petits morceaux de bois, les pierres, tout ce qui gêne. La distance est assez longue plus de deux cents pas, ce n’est qu’une course parmi d’autres, j’en ai fait et j’en ferais encore. Gbédo apporte alors des sacs de grain, aussi lourd que moi, un sur chaque épaule, il en jette un à mes pieds. Je comprends alors que cette course va être des plus compliquée, je ne sens même plus mes bras. Pourtant, je ne peux pas reculer une fois de plus, Sémévo ouvre la voie, prenant un sac, il s’élance dans sa course folle, arrivant jusqu’à la ligne, il esquive un demi-tour, revient presque à la même vitesse en hurlant de douleur. C’est à présent mon tour, la chaleur écrasant pèse maintenant encore plus lourd que d’habitude, mais je prends le sac. J’ai l’impression de porter un corps.
C’est difficilement que je le pose sur mon épaule, un autre garçon s’exécute à son tour, je suis rassurée de le voir souffrir. Gbédo me fait signe d’attendre, j’en profite pour chercher un second souffle, l’autre est déjà prêt, au signal, on se met à courir furieusement. Mes muscles brûlent encore plus de fatigue, j’avale de la poussière, même des mouches je crois. Ma course est rectiligne, à contrario de l’autre qui ne fait qu’aller de droite à gauche, ce n’est pas lui qui court, c’est son sac. Mes jambes sont sur le point de lâcher, mais ma volonté fait le reste, après mon aller-retour, je dépose doucement le sec, comme pour dire qu’il n’est pas si lourd. Alors qu’au fond de moi, j’ai envie d’hurler de douleurs, de maudire cette course et toute cette fatigue, mais je sais largement faire illusion.
Sémévo semble satisfait, ainsi que les autres, ils me félicitent un à un, me croyant tiré d’affaire, je dois maintenant les accompagner. Ils répètent les uns les autres que notre force ne sera pas mise à contribution, ce qui au fond me rassure, car bien que la plus courageuse, je ne pourrais pas suivre. Gbédo m’interpelle en murmurant,
— Tu es bien brave, cette fois c’est le courage qu’il faut !
— Que veux-tu dire ?
— Nous allons affronter le seul danger qui peut terrasser le plus grand des guerriers !
— Une bête fauve ?
— Non, le roi serpent !
Me voilà bénie, de façon ironique, nos féticheuses manipulent les serpents, mais depuis que je suis toute petite, j’en ai une aversion maladive. On pénètre la densité de la forêt, se regroupant de plus en plus, bien que le soleil soit au plus haut, l’épaisseur végétale nous absorbe dans une obscurité lancinante. Les quelques rayons de lumières qui percent donnent une atmosphère des plus lugubres. Je sais que les serpents sont un tracas, mais il y a bien d’autres bêtes en capacité de nous réduire à rien qui rodent alentour. Je ne vois pas ce que nous allons pouvoir faire si l’une d’elle se décide d’agrémenter son repas d’un petit garçon, où d’une petite fille. A chaque pas, je fais attention, les pièges naturels ne manquent pas, l’un des nôtres se brise la cheville devant nous. Au moment de son cri, Sémévo lui couvre la bouche habilement.
La peur s’insinue sournoisement au sein du groupe, se nourrissant de l’ensemble de nos craintes. Le moindre craquement inattendu provoque un sursaut, une onde de panique très perceptible. Cela finit par me gagner, mais je lutte contre l’embrasement de mon esprit. Mon objectif est tout tracé, rejoindre les Mino, devenir l’une de nos grandes guerrière, marquer l’histoire du Dahomey. Quand la bataille fera rage, il ne sera pas question de fuir, l’ennemi pourrait très bien envoyer des maléfices de toutes sortes, dont des serpents. Je glisse entre les racines tortueuses, ignorant les épines qui lacèrent mes jambes, mes sens aux aguets, prête à affronter cette épreuve. Je n’ai jamais entendu qu’un petit avait péri après avoir rencontré un serpent, mais certains de nos hommes ont succombé au détour d’une mauvaise confrontation. Ma confiance dans les Dieux guide mes actions.
Après ce qui semble une éternité, nous parvenons devant une hutte étrange, une structure que je n'avais jamais vue auparavant : la demeure des serpents, sanctuaire de nos féticheurs. À peine sommes-nous arrivés qu'un féticheur émerge, son allure désordonnée trahissant une transe profonde. Puis, le son caractéristique des reptiles se fait entendre, une dizaine de serpents se faufilent entre ses pieds nus. Je reste imperturbable, tandis que certains autour de moi cèdent à la peur. Après tout, une créature si petite ne peut m'engloutir. Les morsures, bien que mortelles, ne sont qu'un obstacle de plus à surmonter. Sémévo nous met au défi de saisir l'un de ces serpents pour prouver notre bravoure. Sans grande hésitation, je choisis un serpent d'une teinte plus claire, me rappelant que les plus sombres sont souvent les plus dangereux.
Tandis que certains refusent catégoriquement l'épreuve, je m'empare du mien qui, étonnamment docile, se contente de siffler entre mes mains fermes. Certains refusent de le faire, tandis que j’exhibe le mien, qui finalement se laisse prendre docilement, se contentant de siffler. Sémévo me fait signer de le lâcher, j’ai bien envie de lui lancer à la figure, car il n’est ni le chef, ni le général du village après tout. Le féticheur s’avance alors, sa voix rauque me fige,
— Vous voyez des serpents, mais les esprits de la forêt parlent à travers eux, ce sont des messagers, si vous montrer du respect, ils le sauront, si vous montré du dédain, de la méprise, alors ils seront sans pitié !
Fort de ces conseils, nous repartons par le même sentier, beaucoup plus serein qu’à l’aller. Sémévo me félicite chaleureusement à mon grand étonnement,
— Tu as montré ta vaillance aujourd’hui, bien que tu ne passes pas le rite, je dirais à tous nos hommes que tu as ta place autour du feu !
— Je serais une Mino, le respect s’imposera alors !
— Tu l’as déjà gagné auprès de nous, je te soutiendrais si c’est ton souhait, car ce chemin est semé d’embûches, j’ai entendu tellement d’histoires sur ces guerrières !
— Lesquelles ?
— Tu les connais sans doute, des morts lors des épreuves d’admission, lors des entraînements, les mauvais traitements dans les rangs, des relations interdites !
— Ce ne sont que des rumeurs, qui ne reposent sur rien, je préfère penser à leur bravoure, leur volonté indestructible face à l’ennemi !
— Puissent les Dieux te donner raison alors !
Je rentre au village la tête haute, avec une certaine fierté, portée par une détermination encore plus forte qu’avant. Mon destin n’est pas dans le nettoyage des cases, dans la préparation des repas, il est au bout d’une lance. Lorsque j’entre dans la case familiale, mon père à son air des mauvais jours, je devine qu’il imaginait que j’allais rentrer blessée, porté par les garçons, afin de rire de moi. Il doit supporter l’évocation de ma journée devant les frères et sœurs, je ne me prive pas de raconter chaque détail, sans rien exagéré, puisque je connais la verve de Sémévo. Malgré tout, j’espère voir dans le regard de mon père, une once de fierté, il se contente de hocher plusieurs fois la tête, finissant par me couper,
— Ma fille, tes actes ne sont que des jeux d’enfants, mais ce ne sont pas ceux d’une épouse, d’une mère ! Que diras l’homme qui te prendra un soir de lune pour faire de toi la mère de ses enfants ? La guerre abîme l’âme, le cœur, pour toujours.
— Qui te dit que je veux épouser qui que ce soit ? Puis tu n’arrêtes pas de parler de la guerre, tu es potier, que sais-tu de la guerre ?
Il prend une respiration profonde.
— Parce que c’est ton destin, depuis que le monde est monde, les ancêtres ont tracé nos chemins ! Par le passé, j’ai eu à connaître la guerre.
— Alors je serais dans les rang de notre armée, marchant fièrement pour le Dahomey ! Ainsi, je vais honorer ce que tu as vécu visiblement.
— Le rêve est la clé de l’espoir, la force de tourner cette clé c’est le courage, tu n’as que 12 ans, tu ne sais rien de cette vie !
— Celle qui m’a mise au monde a quitté cette vie dont tu parles, me laissant seule sur le chemin, j’avance pour façonner mon avenir !
— C’est un chemin périlleux, ton avenir passe par l’obéissance à ton père ! Je ne permettrais pas que tu te perdes dans des chimères, sur un champ de bataille, personne n’épargne les femmes.
Mon cœur se serre à cette simple évocation, je pensais à un soutien, la déconvenue est totale. Pas d’encouragement, ni de réconfort affirmant mon choix, ce ne sont que le reflet des conventions ancestrales. Je ne dois pas rester dans la case, il va faire faner mon espoir par ces mots inaudibles. Ma sortie se fait devant son visage impassible, je ne manque pas de le saluer pour ne pas donner l’impression d’être blessé plus que de raison. L’unique personne de ce village qui pourra raviver la flamme de ma détermination est souvent en veille, Mahougbé, qui a toujours compris mes aspirations. Lorsque je pénètre sa case, elle est déjà baignée d’une lumière tamisée par les nombreuses bougies, les murs ornés de symboles mystiques. Elle m’accueille avec un sourire bienveillant, à croire qu’elle sait,
— Assieds-toi ma fille, les esprits me parlent de toi, ils murmurent sans cesse, courage, grandeur, bataille !
Je suis tout de suite revigoré,
— Ton courage va t’ouvrir la porte de l’armée royale, ton nom sera chanté à travers les âges !
Les mots de Mahougbé sont un baume, ils m’enveloppent d’un sentiment de réconfort. J’envisage mon avenir sans le subir à présent, devenant maîtresse de mon destin. Dans cette lumière douce, les effluves d’encens, tout devient clair, ma voie est tracée par les ancêtres, à chaque génération, le peuple a besoin de Héros,
— Je suis prête à suivre le chemin qui s’offre à moi !
Elle hoche la tête, me laissant voir une sagesse ancestrale dans son regard.
— Tu as déjà commencé ton cheminement, mais souviens-toi, la grandeur n’est pas dans la victoire, elle est dans la sagesse à endurer les épreuves, se sacrifier jusqu’à l’ultime !
Je comprends partiellement ce qu’elle veut me dire, je préfère savourer ce soutien, me disant que les épreuves forgeront mon esprit et mon corps. Nous adressons nos prières aux Divinités, mon cœur frémit à chaque mots, connaître sa place dans ce monde est un privilège. Je n’ai que 12 ans, une enfant pour certains, une jeune fille pour d’autres, mais dans mon esprit je suis une Femme libre. Lorsque je rentre à la case, tout le monde est endormi sauf mon père, il donne l’air de m’attendre,
— Que disent les Divinités ?
— Que je défendrais le peuple, incarnant cette continuité !
— Tu es aussi têtue que celle qui t’as mise au monde !
— C’est un héritage que j’accepte, si cela signifie que les femmes du Dahomey pourront me voir comme le symbole de l’émancipation !
— Notre terre n’est pas celle de l’oppression de nos femmes, mais qui tiendra nos foyers si elles partent toutes à la guerre ?
— Ce royaume est comme une famille, il tient par des piliers essentiels, la femme, l’homme sont ensemble mais forment chacun l’un de ces piliers !
Mon père sourit de façon étrange,
— A ton âge, tes propos sont ceux d’une personne ayant bien trop vécu !
— J’ai dû prendre la charge des plus petits, me plaçant plutôt dans l’âge adulte !
— Je le conçois ma fille, mais ce que tu veux faire va défier l’ordre établi au village, quand tu es partie voir la prêtresse, tes oncles sont venus parler, ils veulent briser ta volonté !
— Et toi, que dis-tu ?
— Tu vas devoir renforcer ton corps, ils vont proposer un duel avec Sémévo !
— Un duel ?
— Cela est clair, ce jeune est prometteur, il a raconté tes exploits de ce jour, il symbolise l’humiliation qu’ils veulent mettre en œuvre afin de te renvoyer dans ta case !
— Tu ne me dis toujours pas ce que tu en penses ?
— C’est simple, tu veux devenir une guerrière, me donnant l’impression que tu ne vas pas fléchir, ne pas écouter ton vieux père ! Un roseau ne se brise pas, il reste souple, par ce duel tu vas prouver que tu n’es pas juste une branche qui éclate en morceaux !
Je préfère ne pas répondre, gardant à l’esprit nos traditions, il fait l’effort de se montrer magnanime et compréhensif. Une femme doit toujours prouver ce qu’elle vaut, bien que nos hommes passent des rites pour marquer la fin de l’enfance, aucun d’eux n’est contrait de démontrer sa valeur. Certains seront paysans, d’autres manieront le bois, la terre, très peu seront des guerriers, cela est inscrit en nous dès la naissance selon moi. Et si je n’accomplis pas mon destin par moi-même, qui le fera ? Qui viendra tracer ma voie ? Je suis l’unique coursier de mon cheval.
— En quoi consistera ce duel ?
— Un combat au bâton !
— Les règles ?
— Celui qui abandonne regardera le vainqueur avec amertume !
— Il peut donc me briser le dos sans que cela n’embarrasse personne ?
— Tu peux aussi refuser, je ne te connais pas de talent dans le maniement des armes !
— Je manie le pilon pour faire la bouillie, rien de plus !
— Tu dois accepter ton destin, tu es née femme, ce qui fait de toi une futur mère, une épouse !
— Je refuse cette fatalité père, je vais accepter ce duel et si les divinités le veulent, je serais victorieuse !
Je me retire sous le regard étrange de mon père, je perçois une fierté mais aussi de l’inquiétude. Lorsque je m’installe sur ma couche, les pensées se bousculent, ils veulent donc m’humilier en public, devant tout le village. Rien ne va me détourner de mon objectif, la guerre repose d’abord sur de la stratégie, je le sais pour avoir écouté les nombreux récits sur nos femmes légendaires. Je ferme les yeux, car demain, à l’aube, je vais devoir préparer mon corps pour réussir cette épreuve. Mon sommeil est des plus paisible, aucun cauchemar pour venir me troubler, lorsque le soleil se lève, je me redresse. Mes pieds nus accueillent la fraîcheur du sol de la case, les premiers rayons de lumière filtrent à travers la toiture de la case. J’aime particulièrement ces moments de silence, l’impression de communier avec tout ce qui m’entoure.
Tout est calme, les femmes sont les premières à se faufiler dans le village, les tâches quotidiennes viennent déjà nous happer. Je saisis mon vieux balai en paille, commençant frénétiquement à balayer le sol en terre battue afin de le rendre aussi lisse qu’un tapis. Je me dis que cela va renforcer mes bras, après tout, un balai, un couteau, un bâton, ne sont que l’extension de mon corps. Je connais mon destin, mais je reste attaché au fait que l’on doit toujours maintenir nos habitations propres, nous y vivons la majeur partie du temps. C’est ainsi que nous maintenons nos traditions, en perpétuant ce que faisaient nos anciens avant nous. Maintenant que j’ai allégrement balayé le sol, je dois m’atteler à la préparation des différents repas pour la famille. C’est à l’arrière des cases que se trouvent notre cuisine rudimentaire.
J’allume le feu, plaçant quelques morceaux de bois sous l’énorme marmite noircie par le temps. Mes tantes sont déjà en train de couper les différents légumes, l’odeur « terreuse » vient me taquiner, j’ai toujours aimé cuisiner. Quand je serais une Mino, je ne manquerais pas d’impressionner mes sœurs avec des ragouts digne de ce nom. En attendant, je prépare des ignames, nettoies le poisson séché, lave quelques gombos, des feuilles d’amarante. Je me lance maintenant dans la préparation, faisant bouillir l’igname dans de l’eau salée, jusqu’à qu’ils tendre. J’égoutte et réserve pour me lancer dans la préparation du bouillon, dans lequel je vais incorporer mes gombos et mes feuilles d’amarante. Je prépare aussi mon poisson, un peu de sel, du piment, de l’huile de palme pour le faire revenir quelques minutes.
Je dois aussi préparer des boules de mil ou de sorgho pour agrémenter le ragout, il va tenir au corps toute la famille. Mes cousines sont aussi à la tâche, Akofa vient vers moi en riant sans que je comprenne pourquoi.
— C’est vrai ce que l’on raconte ?
— Quoi donc ?
— Nous revenons du puit, le village ne parle que de ça, tu vas te battre dans un duel à mort avec Sémévo ?
Je ne peux réprimer un rire,
— A mort ? Qu’est-ce que tu en penses ?
— Tu es complétement folle si c’est vrai !
— Rassure-toi, il n’y aura pas de mort, juste un combat au bâton afin de déterminer si je peux emprunter la voie menant vers les Mino !
— Cousine, tu es une fille, pourquoi vouloir te battre comme un garçon ?
Je continue de remuer mon ragoût,
— Parce que je veux prouver que nous sommes aussi fortes que les hommes, nous disposons des mêmes droits !
— Tu te trompes, on donne naissance à des hommes, eux ne le feront jamais !
— Je ne suis pas condamné à l’accouchement et aux tâches ménagères, je ferais ce qu’il faut pour accomplir ma destinée !
— J’irais masser ton dos quand Sémévo va le fracasser alors !
— Peut-être que c’est lui que tu devras masser, qui sait, par la suite, il pourrait même t’offrir ce que tu souhaites, un joli bébé !
Akofa se retire, affichant son mécontentement, cela prouve que j’ai atteint ma cible, les autres cousines se contentent d’hausser les épaules, néanmoins, dans leurs regards, je ne vois que du respect. Au fond-elle, je suis certaine qu’elles souhaitent ma réussite, car quand j’aurais ouvert cette voie, celle de la reconnaissance de notre position au sein du village, d’autres viendront après moi. J’ai l’impression que l’amnésie est collective, nous avons pourtant écouté les mêmes histoires sur nos guerrières redoutables, nos reines. Malgré mon âge, je vais leur montrer à tous, que je suis une digne fille du Dahomey. Maintenant que mes tâches sont terminées, me voilà prête pour mon premier entraînement. J’aurais souhaité les conseils de l’un de nos guerriers, mais personne ne prendra cette peine, il va me falloir m’habituer au fait que je serais souvent seule pour affronter mon destin.
En premier lieu, je dois choisir le bon bâton, un manche lisse, que je récupère facilement dans la remise des outils. Il est presque de ma taille, mais je le trouve bien léger pour l’usage que j’en ai. Je dois impérativement l’alourdir, afin d’augmenter ma vivacité quand je devrais affronter mon adversaire. La chance me sourit, quelques bagues de fer sont ajustées pour le manche, j’en glisse une dizaine. Maintenant que j’ai le bon outils, direction la rivière sacrée, je sais déjà où je vais pouvoir m’exercer, à l’abri des regards indiscrets. Connaitre son adversaire est un avantage, Sémévo doit penser que ce sera une formalité de m’humilier aux yeux de tous. Alors personne ne doit savoir comment je compte me perfectionner à l’art subtil du maniement du bâton.
La chaleur est accablante, presque sèche, peu importe, je considère que l’on doit pouvoir se battre dans toutes les conditions, qu’il pleuve, vente ou sous le soleil brûlant. Après une longue marche, je m’assure que personne n’est à côté de moi, je prends place devant un arbre imposant. Je sors un morceau de charbon que j’ai gardé utilement, il me permet de tracer des croix, cela va me servir de cible. Sémévo faisant deux têtes de plus, je prends ce repère pour me familiariser avec sa corpulence. Avant cela, je dois faire connaissance avec ma nouvelle arme, elle doit faire partie de moi, répondre à toutes mes demandes. Je le sous pèse, le fait glisser le long de mes mains, il me faut comprendre sa nature, son essence. Finalement, c’est une bonne chose de n’avoir personne pour m’enseigner cet art, car Sémévo en a bénéficié dès son plus jeune âge.
Je ne pourrais jamais rattraper ces années, mon unique avantage réside dans mon apprentissage personnalisé. Il ne comprendra pas mes mouvements, puisque je vais les inventer, que ce soient mes attaques où mes parades. Le bâton obéis à une certaine logique, j’ai souvent entendu que son maniement rejoint celui de la machette, du sabre, du couteau. Les angles sont donc rudimentaires, monter puis descendre pour couper, piquer, par en haut, en bas, dans tous les sens finalement. Je commence donc par l’ensemble des anges possibles, le tenant fermement à deux mains. Cela me ralentis considérablement, à une main, c’est plus fluide, je donne des numéros à mes attaques. Le 1 vers la tête en partant de la droite, le 2 en partant de la gauche, puis le 3 repart vers le torse, le 4 revient, le 5 pique, le 6 part du genoux vers le haut, le 7 fait la même chose de l’autre côté. Le 8 part de loin, tombant comme le marteau sur l’enclume.
Après une bonne heure, je ne sens presque plus mes bras, puisque je le fais des deux mains, si la droite est fatiguée, la gauche doit prendre le relais. Je me sens prête à frapper l’arbre, dans la mesure où il ne m’a rien fait, je me prosterne devant lui conformément à nos traditions.
— Gardien des secrets anciens, témoins des divinités, je suis Toya, fille de Sourou du peuple fon. En ce jour, sous le ciel du Dahomey, j’adresse ma prière, majestueux conservateur de nos œuvres. Arbre vénérable, pilier de la terre qui nous porte, je t’adresse le salut, ainsi qu’à l’ensemble de la forêt, sous l’autorité des Divinités. Ton tronc robuste, tes racines profondes, portent la sagesse des ancêtres. Pardonne-moi pour les coups que je vais porter, ils ne sont pas l’expression d’une haine, d’une violence. Non, je cherche la force que tu incarnes, chacune de mes frappes est un écho de gratitude, pour le lien sacré entre notre monde et le tien. Que tes feuilles dansent toujours au rythme du vent, tes branches s’étirent vers le ciel, je t’implore pour ta bénédiction. Fait de moi ton instrument, mon cœur s’ouvre à toi, ton énergie bienveillante fera de-moi ton protecteur, les Divinités nous couvrent de leurs miséricorde.
Maintenant que ma prière est faite, je repère mes marques, allant et venant de plus en plus vite dans mes frappes. La vitesse est un atout que je dois utiliser, Sémévo est plus fort que moi, à tous les niveaux, mais s’il ne peut pas me toucher, il ne peut pas me faire mal. Les angles sont une base, mon agilité doit faire la différence, je dois pouvoir frapper dans n’importe quelle position. Je le fais debout, assis, sur le ventre, le dos, accroupis. Étant donné la position du soleil, cela fait plusieurs heures que j’enchaine les mouvements. Un arrêt s’impose, je dois boire pour continuer, mon corps veut arrêter, je dois le dompter. Ma volonté est ma seule ressource, lorsque je me rafraichis, une pensée fulgurante traverse ma tête. Je veux perfectionner mes attaques, alors que je devrais travailler les esquives pour appliquer mon crédo, s’il ne peut pas me toucher, il ne peut pas me faire mal.
Je reprends ma position, pris par une nouvelle fulgurance, Sémévo doit tenir son bâton, que ce soit à une ou deux mains. Il va essayer de me frapper autant qu’il le pourra, visant sans doute ma tête, puis mon torse. Si je fais comme lui, je ne pourrais pas prendre l’avantage, il va me dominer obligatoirement. En revanche, si je cible que ses mains, rien d’autres, il ne pourra plus tenir son arme, il sera alors à ma portée. Ma stratégie est en place, je me dois de renforcer ma précision, mon agilité. Je prends de nouveaux repère, telle une bénédiction, deux branches se distinguent, on dirait des bras avec les mains au bout. C’est parfait, je me lance dans mes répétitions, avec la certitude que je pourrais remporter ce duel et prouver à tout le village que je suis digne de devenir une Mino. Pendant que je perfectionne mes mouvements, Akofa vient me déranger, se place derrière moi, puis m’interrompt.
— Je vois ce que tu veux faire, tu penses que ça va fonctionner ?
— Si tu le vois, alors tu le sais, non ?
— C’est impossible, Sémévo est réputé, je l’ai vu mettre par terre des Hommes du village, des guerriers !
Je pose mon bâton, me tourne vers elle,
— Quand tu dis qu’une chose est impossible, c’est toi qui la rends impossible !
— On a toutes une limite Toya, ce duel va te faire connaître la tienne !
— Ma limite est simple, ne pas avoir de limite, en tant que femme, tu devrais plutôt prier nos Divinités pour que j’en sorte victorieuse !
— Tu penses que tu vas changer quelque chose ? Cela fait des générations que nos traditions nous imposent cette vie.
— Tu connais mal l’histoire du Dahomey, le royaume est le fruit du courage de nos Femmes, nos Hommes, personne n’impose quoi que ce soit. Les Mino en sont le meilleur exemple. Qui sait, peut-être qu’un jour tu rejoindras les rangs !
— Je suis sceptique, mais je vais prier pour ta réussite, tu sembles tellement déterminée.
Je reprends mon bâton, le faisant tournoyer habilement au-dessus de ma tête.
— Tout ce que je sais, c’est que je serais prête, il me reste quelques jours, le moment venu, je ne vais pas reculer.
Elle reste encore un peu, ne ratant rien de ma prestation, je ne suis certainement pas la plus adroite, ni la plus rapide. Je suis seulement certaine de ma stratégie, s’il ne peut pas tenir son bâton, il ne pourra plus me frapper. Le soleil s’éloigne vers son couchant, cela signifie que je dois rentrer au village. Mon corps, par l’intermédiaire des crampes qui me prennent, me confirme que j’ai bien travaillé. Avant la nuit ne recouvre tout, je dois consulter Mahougbé, non pas par superstition, mais bel et bien dans le respect de nos traditions et de sa spiritualité. Nos vies sont régies par les Divinités, à toutes les étapes, ma jeunesse ne me dispense en rien de ces consultations. Si ma défaite est actée, alors je n’y pourrais rien, mais serais en mesure de mieux la comprendre et de l’accepter. Ce qui en soit ne changera pas ma destinée finale.
J’aime toujours la fraîcheur du soir, le village s’anime d’une espèce de candeur, les gens rentrent des activités, les repas se prépare, les effluves se mélangent. Quand j’arrive devant le temple, les torches sont déjà allumées, leur lueurs dansent sur les murs, dans un jeu d’ombres mouvantes. Mes mains sont calleuses, mon souffle est court, je dépose mon bâton à l’entrée en signe de respect. Lorsque je pénètre le temple, mon esprit actionne la dévotion, devenant révérencieux à chaque pas. Je trouve Mahougbé assise sur un tapis coloré, elle tourne la tête vers moi, m’adresse un sourire, un regard perçant déshabillant presque mon âme. Le silence règne, alors je le brise,
— Mawu na kpɛ yi (
Que Dieu te bénisse)
Mahougbé, l’humble servante que je suis vient chercher conseil et bénédictions en ce lieu sacré.
— Que les ancêtres te protègent, approche, parle librement, cette nuit, les Divinités nous submergent de leur sagesse.
Je m’assois près d’elle, pleine de ma dévotion, sans que je comprenne, l’émotion me gagne, parce que je sens que ce combat va changer ma destinée.
— Je suis venue te dire que je suis prête, je pense avoir trouvé la faille de mon adversaire. J’appréhendais ce duel, désormais j’ai hâte d’y être.
— Ne doute jamais de tes capacités, lorsque je t’ai dit que tu étais un flambeau, cela prend tout son sens.
— Je ne veux pas offenser les Divinités, ne suis-je pas trop arrogante dans ma démarche ? La certitude que j’ai trouvé la faille me conforte, mais peut-être que je me berce d’illusions ?
Elle me sourit doucement,
— Ma fille, ce n’est pas la force qui fait un guerrier, c’est d’abord son cœur, sa détermination, sa sagesse et sa capacité au compromis.
J’acquiesce de la tête, cherchant la voie,
— Ce duel m’a été imposé, je ne veux pas démontrer que je suis la meilleure, mais bien que je sois digne de porter une épée quand je serais une femme, que je pourrais défendre le royaume.
Mahougbé se lève en s’appuyant sur un bâton, s’approche de moi, avec l’impression de flotter.
— Tu as cette lumière en toi, tu le sais, qui peut éteindre le soleil ?
— Personne, enfin je crois.
— Parfaitement, personne, au-delà de cela, tu vas appendre à écouter ton âme, elle va te murmurer des secrets.
— Lesquels ?
— Que tu fais partie d’un tout, la terre, le ciel, les animaux, la création dans son entièreté. Quand tu es en harmonie alors rien ne peut te briser, comme rien ne peut éteindre le soleil.
— Comment puis-je l’apprendre ?
— Quand tu t’entraînes au maniement du bâton, prend le temps de fermer les yeux, de faire silence en toi, respire profondément, sens la terre sous tes pieds, le vent sur ton visage, tout ce qui t’entoure. Tu verras ton adversaire comme un obstacle à surmonter, qui n’est pas infranchissable ; c’est seulement un obstacle. Ferme tes yeux maintenant, tu vas voir, c’est naturel.
Je m’exécute, laissant les sensations m’envahir, j’ignore si ses paroles ont pu influencer mon âme, mais je sens la chaleur du sol, le chant des grillons me parvient comme s’il était très proche. Je réalise alors que cela va plus loin que de chercher à toucher ses mains, Mahougbé a raison, être une guerrière implique de dépasser le fait d’être porteur d’une arme. On doit se connecter à ce qui fait notre essence, la vie, les dons que les Divinités nous ont accordées dans leur miséricorde infinie. Mon cœur murmure, dans le silence du temple,
— Mahougbé, je veux incarner notre peuple, être plus qu’une guerrière.
— Ce combat n’est qu’un obstacle, il y’en aura d’autres mais ton chemin reste le même, tu seras ce que tu dois devenir. Un symbole Toya.
J’ouvre les yeux, elle me sourit encore,
— Je ne vais pas te décevoir, ma responsabilité est lourde, je l’accepte volontiers.
Sans que je sache comment elle a pu faire cela, elle me tend le bâton que j’avais laissé à l’entrée. Je voudrais lui dire que j’ai mal au bras, que j’ai passé la journée à frapper un arbre. Mais je le prends sans rien dire, il me semble encore plus léger qu’au matin,
— Montre-moi donc ce que tu as appris aujourd’hui.
Elle me fixe avec une intensité nouvelle, ses yeux sont habituellement doux, bienveillant, maintenant, j’y vois une détermination farouche. Sa main se pose contre la mienne, me faisant ressentir une chaleur douce et étrange.
— Toya, écoute-moi avec attention, accepter ce combat n’est pas seulement une épreuve, c’est un acte de rébellion envers la caste patriarcale du village.
— C’est eux qui ont voulu ça, je ne vois pas en quoi ce serait une rébellion.
Elle se met à sourire,