Une campagne inédite - Valérie Michel - E-Book

Une campagne inédite E-Book

Valérie Michel

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Beschreibung

Sophie, bibliothécaire investie dans la médiathèque de sa ville, s’intéresse à un lecteur assidu, Damien, qui emprunte, étonnamment, énormément de livres. Intriguée par ses lectures, auxquelles elle prête également attention, elle finit par se lier d’amitié avec lui. Lorsqu’elle apprend qu’il s’est lancé dans l’écriture, peu confiant, elle lui propose de lui servir de critique littéraire. Engagée avec conviction pour la réélection du maire aux municipales, elle réussit à le convaincre de rejoindre le comité de soutien. Ensemble, ils vont vivre une campagne électorale inédite pleine de surprises et de moments mémorables…

À PROPOS DE L'AUTEURE

Ex-professeur des écoles, Valérie Michel se lance dans l’écriture grâce à des poèmes auxquels elle donne un rôle clef dans son premier roman, Comme une évidence, dans lequel les sentiments, l’amour en particulier, jouent un rôle majeur. Elle change ensuite d’époque, de ton, d’atmosphère, de thème, avec ses romans suivants, tous très différents : des policiers, des romances, des feel good, toujours sur fond de poésie. Elle y véhicule les mêmes valeurs que celles qu’elle défend dans son mandat de conseillère municipale, à savoir la liberté, l’égalité, la fraternité et la solidarité.

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Valérie Michel

Une campagne inédite

Roman

© Lys Bleu Éditions – Valérie Michel

ISBN : 979-10-377-3295-8

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

De la même auteure

Comme une évidence, septembre 2019, Le Lys Bleu Éditions

La lettre à Élise, décembre 2019, Le Lys Bleu Éditions

Les héros de la différence, mai 2020, Le Lys Bleu Éditions

Le rêve d’Emilie, mai 2020, Le Lys Bleu Éditions

L’imposture, juin 2020, Le Lys Bleu Éditions

Passage aux aveux, juin 2020, Le Lys Bleu Éditions

L’héritière, juin 2020, Le Lys Bleu Éditions

Il n’y a pas d’âge pour être heureux, septembre 2020, Le Lys Bleu Éditions

Toujours un mal pour un bien, septembre 2020, Le Lys Bleu Éditions

Sonate au clair de lune, mars 2021, Le Lys Bleu Éditions

Dédicace

À tous celles et ceux

qui ont perdu un être cher de la covid…

À tous les maires qui s’investissent

avec sérieux et réflexion pour l’épanouissement

et le bien-être de tous les habitants de leur ville…

Au maire admirable de ma propre commune

que je soutiens avec cœur et conviction

pour le soin qu’il prend de chacun

et l’essor qu’il donne à notre ville…

À tous les conseillers municipaux

et les comités de soutien qui épaulent les maires…

Dans cette fiction, toute ressemblance avec des personnes existantes, ou ayant existé, est purement fortuite.

Chapitre 1

Alors que Sophie met en place des livres récents, nouvellement étiquetés, dans les rayonnages de la médiathèque dans laquelle elle travaille depuis quelques années, une jeune femme s’adresse à elle :

— Excusez-moi de vous déranger…

— Je vous en prie, si je peux vous aider…

— Je n’ai trouvé aucun livre d’un auteur qui se nomme, enfin, se nommait, Monsieur Maurice Blanchot. J’ai cherché son nom ainsi que plusieurs titres de ses livres sur l’ordinateur, mais aucune réponse ne m’est fournie. Dois-je en déduire que vous ne les avez pas ?

— Cela est fort possible, mais je vais vérifier si vous avez une minute.

— Je vous remercie beaucoup. Pour tout vous dire, c’est le grand-père de ma belle-fille qui m’a suggéré de les lire. Il s’agit d’incontournables selon lui.

— Pouvez-vous m’indiquer les titres que vous aviez en tête, s’il vous plaît ?

— Bien sûr : « Thomas l’obscur » ou « L’arrêt de mort ».

— Effectivement, je ne trouve aucun ouvrage de cet auteur répertorié chez nous. Je suis désolée. Il faudrait consulter, je pense, une médiathèque plus grande. Nous n’avons malheureusement pas tous les titres existants.

— J’imagine bien. Cela est sans importance. Je vais tenter ma chance en passant commande chez notre charmante libraire.

— J’espère que vous pourrez les obtenir par ce biais.

— Si je le peux, je vais déjà découvrir l’un d’eux. D’après mon fils, la lecture y est plutôt ardue et complexe, la rendant rébarbative.

— À l’occasion d’une prochaine visite, vous me tiendrez au courant. Il s’agit d’un auteur que je ne connais absolument pas.

— Je vous rassure, il m’était inconnu il y a encore fort peu de temps. Mais je vous dirai ce que j’en pense.

— Au plaisir, dit Sophie.

— À bientôt. Au revoir.

Sophie retourne mettre les derniers livres reçus la veille dans les rayons appropriés. Cette belle brune aux yeux vert clair, maquillés avec délicatesse pour les mettre en valeur, bibliothécaire émérite de la ville de Corabières, organise de très nombreuses manifestations au sein même du cœur de la médiathèque, pour les enfants notamment : les séquences « 1, 2, 3 Bébé bouquine » où elle propose des comptines, des jeux de doigts et des lectures d’albums pour les tout-petits jusqu’à trois ans, les « racontages » qui s’adressent aux enfants de trois à dix ans pour leur faire découvrir des histoires, contes ou légendes, lus à voix haute par ses soins, les « ateliers des mots », des ateliers d’écriture destinés aux enfants de sept à onze ans afin qu’ils créent, avec de l’aide, des contes ou des poèmes, mettant en mots le fruit de leur imagination.

Cette jolie célibataire, la trentaine, propose ainsi toutes sortes de rencontres pour les jeunes, jusqu’à leur entrée au collège. Maud, sa collègue, la relaie pour les plus grands, les adolescents notamment. Toujours vêtue de bleu, sa couleur préférée, Sophie vient d’acheter, en s’endettant longtemps, un appartement dans le quartier La Fontaine de la ville de Corabières. Comme elle apprécie particulièrement le dynamisme de l’équipe de Monsieur le Maire, un homme sensible, humain, efficace et influent, elle s’est inscrite au comité de soutien afin de les aider à préparer la campagne électorale en vue des élections municipales qui se profilent. Le bilan de l’équipe sortante est visible : outre des réfections de voiries, des changements de luminaires de l’éclairage public, des créations de jardins, squares et espaces verts, le maire a entrepris plusieurs restaurations de bâtiments classés, valorisant le beau patrimoine de la ville (Église Saint Luc, Citadelle de Campigny), ainsi que la construction d’une superbe école, Arthur Rimbaud, avec des bâtiments certifiés « Haute Qualité Environnementale ». Son projet envisage, entre autres, la poursuite des améliorations et réfections, la réhabilitation de la résidence des châtaigniers, la reconstruction d’un gymnase et d’un groupe scolaire du Bois Joli, la création d’un mail piétonnier traversant la ville d’un bout à l’autre, la construction d’un centre culturel (grâce au Territoire) et d’une résidence pour personnes âgées, avec ouverture d’un centre médical en centre-ville.

Sophie, qui a vu sa ville se réveiller, s’enrichir et commencer à se métamorphoser, n’envisage plus qu’un seul avenir pour son lieu de vie : la poursuite des projets engagés par le maire pendant son premier mandat. Son soutien s’avère être un choix de forte conviction, dans lequel Sophie s’investit cœur et âme.

Chapitre 2

Sophie est intriguée par un monsieur, récemment inscrit à la médiathèque, qui vient vraiment souvent. En lecteur invétéré, il emprunte des livres, plus particulièrement des romans et des recueils de poèmes, en grande quantité. Sophie se demande ce qui peut justifier une lecture aussi abondante : un éloignement travail domicile extrêmement long en transport en commun, des soirées à mourir d’ennui, un métier dans la littérature, des études poussées comme une thèse de doctorat, le besoin de s’évader de la tourmente de sa vie ? En tout cas, les écrits qu’il choisit ont l’air sympathiques. Comme il vient de rapporter plusieurs livres de François Cheng, Sophie a décidé d’entamer le soir même la lecture du dernier de la pile rapportée. Il s’intitule « L’éternité n’est pas de trop ». Les autres, de prime abord, l’inspirent moins de par leurs titres évocateurs de réflexions philosophiques : « Cinq méditations sur la mort », « De l’âme », « Cinq méditations sur la beauté ». Même si elle adore la philosophie, ses envies de lire se portent actuellement sur des romans sentimentaux qui la transportent dans d’autres époques, d’autres lieux, d’autres cultures. Ses états d’âme du moment l’entraînent naturellement vers de belles histoires d’amour.

De par sa profession, Sophie dévore les livres. Elle en parcourt des centaines qu’elle lit en dégustant des chocolats : eh oui, elle apprécie les gourmandises qui régalent ses papilles au même titre que les lectures qui enrichissent sa culture générale. Les friandises complètent sa nourriture intellectuelle. Lorsqu’elle rentre chez elle ce soir-là, un peu éreintée après avoir répertorié et installé dans les rayonnages deux cartons entiers de livres récemment réceptionnés, elle se prépare un dîner rapide : un petit plat tout prêt à réchauffer qu’elle sort de son congélateur. Elle le choisit presque au hasard : le premier qui vient est un « lapin chasseur avec ses tagliatelles aux champignons ». Cuisiner pour soi-même n’est pas toujours très stimulant. Ce soir, en plus, dîner n’est pas sa priorité malgré la faim qui la tenaille depuis une heure : une envie tenace de lire ne la quitte pas, intriguée qu’elle a été par la remarque de ce « Damien Carville » qui lui a avoué son engouement en le lui rendant : « Vraiment excellent ce roman, j’adore cette écriture à la fois poétique et profonde. » a-t-il précisé, sans autre commentaire.

Sophie engloutit ses pâtes réchauffées au four à micro-ondes à une vitesse folle, sans réaliser vraiment ce qu’elle mange. Elle relit le synopsis une nouvelle fois pour mieux s’en imprégner : son esprit est happé par la curiosité que lui inspire ce livre, apparemment sensationnel. Elle ne doute nullement qu’il le soit, puisqu’écrit par un académicien.

Elle s’installe donc sur son canapé, avec une boîte de chocolats fins à portée de main et se lance à cœur perdu dans l’ouvrage. Le style d’écriture lui plaît d’emblée beaucoup, avec un esthétisme à couper le souffle. Elle bascule dans une autre dimension, au XVIIe siècle, à la fin de la Dynastie Ming. Pendant plusieurs heures, elle se laisse ainsi envoûter par la narration qui atteint des sommets d’une grande poésie où l’amour, le respect, la sensualité et la spiritualité prennent leurs titres de noblesse. Elle s’immerge pleinement, cœur et âme dans ce roman de vérité, pur, ce récit d’une passion soumise aux codes et aux interdits de l’époque, qui n’est pas seulement affaire de sens et d’émotions mais engage toute la dimension spirituelle de l’être humain. Sophie est emportée, subjuguée, fascinée. Elle enchaîne les chapitres de façon frénétique. Elle est juste éblouie : ah, le pouvoir et la magie des mots ! Quelle beauté et quelle poésie ils véhiculent lorsqu’ils sortent de la plume de Monsieur Cheng !

De toute la soirée, Sophie ne quitte son livre des yeux que lorsqu’ils se ferment d’épuisement par sa lecture passionnée, mais bel et bien soporifique lorsque la nuit s’avance.

À son réveil, le lendemain matin, elle réalise qu’elle a fait de beaux rêves : elle y a vécu des moments de tendresse, exacerbés par la sensibilité, la douceur, le respect et la délicatesse d’un amoureux sincère, pur et entier. Si la médiathèque n’attendait pas sa venue matinale, elle se serait volontiers replongée dans l’histoire commencée la veille pour poursuivre des rêves éveillés cette fois. Malheureusement, le quotidien et le petit déjeuner l’appellent. Elle se lève pour démarrer une nouvelle journée de labeur.

Sophie avale rapidement un thé bien chaud et bien sucré avec de la brioche avant de prendre une douche pour achever de se réveiller.

Avant de partir à son travail, elle veille à mettre une machine à laver en route : elle va bientôt manquer d’affaires chaudes en cet hiver rigoureux. Lorsqu’elle franchit le seuil de son appartement, un courant d’air glacial la surprend, la préparant à affronter l’air froid qui l’attend pour se rendre à pied à la médiathèque. Quelqu’un a laissé la fenêtre du palier ouverte…

Après avoir fermé sa porte et rangé ses clefs dans son sac à main, elle enfile ses gants pour éviter les engelures qui la guettent : ce matin, tout est blanc alentour, le gel a sévi durant la nuit, recouvrant les voitures, les trottoirs, les arbres et l’herbe d’un givre brillant qui scintille au soleil.

En ce mercredi de janvier, Sophie s’apprête à œuvrer pour les enfants. En effet, elle anime ce jour plusieurs ateliers où différentes familles se sont inscrites pour joindre l’utile à l’agréable : occuper la longue journée de repos en évitant de « scotcher » les enfants devant la télévision ou les jeux vidéo et les sensibiliser à la lecture et au plaisir des livres dès le plus jeune âge.

Après dix minutes consacrées aux tout-petits avec de nombreuses comptines mimées et divers jeux de doigts (« Toc, toc, toc », « Monsieur l’escargot », « Doigts frappés », « Pouces cachés », « Voici ma main », « Que fait ma main », « Frappe, frappe, frappe »), Sophie présente quelques petits albums permettant de faire appel au sens du toucher : les enfants, peu nombreux pour le bon déroulement de la séquence, découvrent plusieurs sensations et matières en passant leurs doigts sur les supports tantôt doux, tantôt rêches, lisses ou rugueux, ondulés, piquants ou pelucheux. Tous voient leur attention captivée par l’attrait de la découverte. Ils écoutent enfin une courte présentation du dernier magazine « Picoti » où ils retrouvent les aventures de leur ami Pikou, le petit chat.

En fin de matinée, Sophie reçoit des enfants de maternelle pour une rencontre « conteur » et « enfants » : elle a choisi pour ce matin trois courtes histoires en images à leur raconter. Elle sait qu’ils vont apprécier.

Après le déjeuner, elle se consacre aux lecteurs venus pour des emprunts ou des retours pendant que sa collègue, Maud, s’occupe de l’atelier des mots avec les plus grands, puis de la séance « Contes pour les jeunes » à l’attention des enfants du primaire.

Comme il semble que les visites se fassent rares cet après-midi, Sophie, inéluctablement attirée par la fin du livre de François Cheng, s’autorise un peu de lecture, un quart d’heure avant de partir. C’est à cet instant précisément que Damien fait son apparition avec son flegme et son sérieux habituels. Il est en train de sortir un livre de son sac lorsque Sophie lève les yeux :

— Bonjour. Désolée, je ne vous ai pas entendu entrer.

— Bonjour. Je n’ai pas souhaité non plus vous déranger dans une aussi plaisante et passionnante lecture.

— Je suis là pour accueillir et non pour lire, ajoute Sophie confuse, comme une enfant prise en flagrant délit, avec quelques rougeurs qui trahissent sa gêne. Vous désirez rendre ce livre, je présume ?

— Oui, je n’ai pas accroché avec cet auteur. Je venais donc reprendre un livre de Monsieur Cheng.

— Ah oui, je comprends, dit Sophie, troublée par le fait d’avoir été vue en train de lire justement l’un de ceux qu’il avait en personne ramenés la veille.

— Vous sembliez concentrée, vous appréciez ?

— J’adore, explique Sophie. Cette écriture, cette sensibilité, cette poésie, tout me plaît : les pensées et les émotions s’avèrent si délicatement exprimées dans cet univers sans liberté où les convenances privent les humains de communication, par respect et codes établis. Vous avez l’air d’aimer cet auteur tout particulièrement aussi, je me trompe ?

— Non. Effectivement, cette prose poétique me parle aussi. J’y suis sensible.

— J’avoue qu’il y a longtemps que je n’avais pas autant été charmée, enchantée, voire ensorcelée par une lecture. Et pourtant, je lis énormément.

— Cela ne me surprend pas. J’ai éprouvé ce même ressenti, cette espèce d’élan incontrôlable qui nous entraîne inéluctablement vers la passion, l’espoir, puis la spiritualité de ce moine qui l’aide à accepter le champ des possibles de la vie et la fatalité.

— Une fort belle histoire d’amour en effet, forte, pure, inconditionnelle, au-delà des sens, pour l’éternité. C’est si émouvant.

— C’est son âme sainte, immaculée, éthérée, au milieu des folies et abjections des hommes en général, qui nous fait vibrer, je crois.

— Vous avez sans doute raison.

— Je vais de ce pas choisir une nouvelle lecture. Mes emprunts d’hier ne suffiront pas à étancher ma soif jusqu’à la semaine prochaine.

— Je vous en prie, dit Sophie en lui offrant un immense sourire.

Damien, aux yeux de Sophie, est un homme étonnant, voire énigmatique : elle se pose beaucoup de questions à son sujet, de plus en plus, même. L’adéquation de leurs goûts en matière de littérature ajoute une part d’envie de découvrir celui qui se cache derrière une évidente sensibilité bien masquée. Qui est-il vraiment ? Quel métier exerce-t-il ? Pourquoi donc lit-il autant, et pas n’importe quel livre, en plus ? Vit-il seul ?

Sophie, troublée par leurs convergences d’idées et d’acceptions, a l’intention d’observer ses mains lorsqu’il reviendra auprès d’elle : peut-être est-il marié ? Mais dans ce cas, pourquoi s’enferme-t-il autant dans la lecture ? Elle en revient toujours à cette même interrogation… L’envie, pour elle, est forte de percer le mystère.

Lorsqu’il reparaît devant elle avec deux nouveaux livres à emprunter, elle remarque d’emblée qu’il ne porte pas d’alliance. La seule chose qu’elle peut en conclure, et encore, sans aucune certitude, c’est qu’il n’est, a priori, pas marié. Il n’empêche qu’il a certainement une compagne : un bel homme comme lui, cultivé de surcroît, ne peut être un célibataire endurci. À moins que…

Sophie, absorbée dans son questionnement intérieur, en oublie presque d’enregistrer les livres :

— Vous avez trouvé de nouveaux livres à votre convenance ? demande-t-elle avec une curiosité non dissimulée.

— Seule la consultation des ouvrages me le dira, répond-il.

Sophie se sent hébétée par sa question qu’elle juge finalement stupide. Comment peut-on émettre un jugement sur un livre sans l’avoir lu ? Heureusement, Damien la tire d’embarras en ajoutant :

— Les synopsis semblent porteurs et dignes d’intérêt, à mon avis en tout cas.

Sophie se demande immédiatement quelle est la nature du lien entre lui-même et les ouvrages choisis : il a bien l’air de sous-entendre qu’ils ne sauraient plaire à tout le monde, en revanche qu’ils lui conviennent personnellement… Elle lui précise dans la foulée :

— Je suis au regret de vous dire que vous avez atteint le quota maximal de livres à emprunter. Il faudra m’en ramener si vous désirez pouvoir effectuer d’autres lectures.

— Je note l’information, dit Damien simplement. Merci. Au revoir.

— À bientôt, lance Sophie, étonnée de s’être ainsi aventurée à haute voix sur son envie de le revoir.

Sitôt Damien parti, Sophie s’enquiert de la liste des ouvrages qu’il a empruntés. Sa collègue Maud a très bien pu en enregistrer d’autres auparavant, en son absence. Hormis deux romans de Monsieur Cheng et un recueil de poésies, Sophie remarque d’emblée une convergence dans la thématique des ouvrages : tous ont un lien plus ou moins direct avec l’écologie. Elle finit par en conclure, prudemment, qu’il doit conjointement lire certains livres pour le plaisir et d’autres pour un travail concernant la protection de l’environnement. Peut-être est-il journaliste ? Chroniqueur ? Saura-t-elle un jour ? Il est certain qu’elle est trop timide pour lui poser directement la question. Mais sait-on jamais ? L’avenir l’éclairera peut-être à l’occasion ? En attendant, elle compte rapidement terminer, dès ce soir, le beau livre qu’elle a commencé pour découvrir l’issue de l’histoire.

Chapitre 3

Une semaine plus tard, Damien revient à la bibliothèque avec trois livres à rendre. Sophie se fait une joie de constater qu’il vient systématiquement les jours où elle se trouve présente, même s’il ne s’agit peut-être que d’une pure coïncidence : elle a au moins le plaisir de le rencontrer et de pouvoir, même brièvement, s’entretenir avec lui.

— Bonjour, Monsieur Carville.

— Bonjour. Vous pouvez m’appeler Damien si vous le souhaitez. En m’appelant « Monsieur », vous me faites prendre une bonne dizaine d’années et je ne suis pas spécialement pressé de passer dans le clan des quadragénaires.

— Entendu, dit Sophie un peu surprise mais ravie de la demande. Vous avez déjà lu ces trois livres ? Enfin, se reprend-elle, je ne sais pas pourquoi je vous pose cette question qui peut vous paraître indiscrète. Cela ne me regarde pas en fait.

— Je ne suis pas de votre avis. Il est normal qu’une bibliothécaire s’intéresse aux mouvements des livres de sa médiathèque. Et je vais donc répondre à votre pertinente question : j’en ai lu un en entier (qu’il lui montre) et j’ai survolé les deux autres afin d’en extraire la quintessence qui pouvait m’être utile.

Puisque Sophie n’a pas l’impression d’être indiscrète, elle ose demander tout à coup, alors qu’elle enregistre les retours sur son ordinateur :

— Vous vous intéressez à l’écologie ?

— Je viens juste de terminer d’écrire l’histoire d’une vie d’un ami septuagénaire, décédé d’un cancer il y a quelques mois et qui avait consacré beaucoup de temps, sa retraite et fin de vie, à la permaculture. Ancien ingénieur agronome, il me confiait les résultats de ses réflexions, de ses propres essais, pratiques et recherches. Il possédait lui-même un jardin urbain en périphérie de la ville. Cet homme passionné et ingénieux, avec des théories avant-gardistes, méritait d’être connu. Il n’en a pas eu le temps et j’ai souhaité rendre hommage à son travail. Je me suis donc lancé dans l’écriture d’un ouvrage que j’ai intitulé « La permaculture, une vie, notre avenir ».

— Ah, cela est formidable, s’exclame Sophie. Je suis admirative. Le titre est déjà fort éloquent à lui seul et je comprends mieux la nécessité pour vous de vous pencher sur le sujet.

— Je me documente en effet. Vous savez, la permaculture est une véritable éthique ou une philosophie basée sur la prise en compte de la nature, de l’Être humain et du partage équitable au sein de la société.

— Très intéressant et bien dans l’actualité de la prise de conscience des hommes d’aujourd’hui.

— Il préconisait de remettre en cause tout le système politique qui prône le productivisme, la domination du marché, la consommation, etc. Pour cet homme extraordinaire, lucide et fascinant, il fallait modifier notre façon de vivre ensemble, notre conception de l’aménagement du territoire, notre approche de l’environnement… Sa vision s’avérait riche, pertinente et porteuse à bien des égards. Dans son propre jardin, il cultivait la terre en préservant sa fertilité naturelle. Je ne peux pas tout vous expliquer en quelques phrases…

— J’imagine bien puisqu’il vous a fallu écrire un livre entier ! Je vous félicite pour la réalisation de cet ouvrage ! Il faut des auteurs comme vous pour faire évoluer les idées et faire bouger les choses.

— Il ne s’agit que d’une bien modeste contribution. C’est Monsieur Campos qui aurait dû écrire son autobiographie… Je pense si souvent à lui et il m’a laissé tant de documents !

— Il doit être fier de vous et vous savoir gré de cette entreprise, de là où il se trouve… Sans doute ne s’est-il pas livré à vous par hasard ? Vous êtes publié ? demande Sophie, parce que j’aimerais beaucoup le lire, enfin vous lire, bafouille Sophie, un peu troublée.

Damien ébauche un demi-sourire qui montre à Sophie qu’elle a touché une corde sensible.

— Oh non, et je n’ai d’ailleurs aucunement cette prétention. Les éditeurs n’attendent pas après moi, ils reçoivent tellement de propositions ! J’écris pour sa mémoire et m’occuper l’esprit, voilà tout. Un récit comme celui-ci, quand bien même le thème de fond abordé est intéressant, ne retiendra pas l’attention, d’autant plus que j’intègre des poèmes dans le récit de ses aventures. Son jardin et ses propos respiraient la poésie ! Il préconisait un doux retour aux sources, le respect de notre terre et du cycle naturel de la vie censé en assurer la pérennité !

— Ah, voilà pourquoi vous lisez aussi des recueils de poésies, s’exclame Sophie spontanément, en réalisant dans la foulée qu’elle vient de se trahir en montrant clairement qu’elle s’est penchée sur ses centres d’intérêt littéraires…

— Exactement, enchaîne Damien amusé, presque en train de rire. J’apprécie énormément la poésie : j’aime la lire et l’écrire, lui la vivait. La vision planétaire de Monsieur Campos mérite bien un mélange de prose et de poésie…

— Moi aussi j’apprécie la poésie, dit Sophie, avouez que c’est étonnant.

— Je reconnais, ajoute Damien, qui commence à trouver la situation de plus en plus cocasse. Trop peu de gens y sont sensibles malheureusement et les éditeurs n’acceptent plus d’éditer des recueils de poésie, d’ailleurs. Alors, voyez, je suis bien loin d’être publié !

— Je sais que vous ne me connaissez pas et que vous allez peut-être me trouver inquisitrice ou mal élevée, mais je voudrais vous demander une faveur. Vous n’êtes pas obligé de me l’accorder bien sûr, mais je serais vraiment honorée si vous acceptiez…

— Demandez toujours… Au pire, vous essuierez un refus, dit calmement Damien.

— Vous allez penser que je ne suis vraiment pas gênée, hésite Sophie.

— Si vous ne me dites rien, je ne peux pas deviner, explique Damien.

— Vous accepteriez de me confier votre ouvrage ? J’aimerais tellement le découvrir. Comme je m’intéresse au développement durable également… N’ayez crainte : j’en prendrai le plus grand soin. Et surtout, je ne le montrerai à personne bien évidemment. Ne croyez surtout pas que j’aie à dessein de l’usurper. Enfin, vous voyez ce que je veux dire…

— Je pourrais me méfier en effet, dit Damien, mais quelque chose me pousse à croire que je peux vous faire confiance. En fait, je ne pensais pas le faire lire à qui que ce soit, à vrai dire, et l’idée m’enchante.

— Je le mettrai même sous clef chez moi lorsque je ne le lirai pas, si cela peut vous tranquilliser.

— Je ne m’inquiétais pas outre mesure, vous savez. Je n’avais carrément pas envisagé une telle proposition. Elle est tout à mon honneur : qui, à part vous, voudrait s’intéresser aux bafouilles d’un écrivain novice méconnu ?

— Votre compagne par exemple, tente Sophie, soucieuse d’en apprendre plus à son égard.

— Je ne l’aurais pas même fait lire à mes parents. Sans doute ne l’auraient-ils pas seulement apprécié ? Ils sont loin de Corabières, la ville qu’ils ont longtemps habitée. De toute façon, ils ont bien d’autres soucis. Mes écritures n’auraient pas eu grande valeur à leurs yeux. Les idées n’y sont pas de moi en plus ! L’écologie et le devenir de la planète sont certainement les cadets de leurs problèmes… Quant à mon style d’écriture… En ai-je seulement un ?

— Vous vous sous-estimez peut-être, dit Sophie.

— Je ne pense pas, non. J’aime vraiment écrire, il s’agit d’une extraordinaire aventure, mais de là à produire un texte de qualité… Vous jugerez par vous-même, en fait.

— Puis-je en déduire que vous acceptez de me le confier ? demande Sophie.

— Tout à fait, répond Damien, mais à la condition que vous me disiez ensuite sincèrement ce que vous en pensez, sans hésiter à me fournir une critique négative. Je ne suis pas susceptible et j’y vois peut-être l’unique chance de pouvoir m’améliorer.

— Vous me demandez de vous servir de critique littéraire en quelque sorte ?

— Oui, c’est ça. J’accepte si vous êtes vous-même d’accord pour endosser le rôle. Vous allez me servir de cobaye ! Si mon écriture s’avère indigeste, vous allez ensuite vous sentir obligée de la poursuivre… C’est à vos risques et périls !

— J’aime le risque ! lance Sophie radieuse. Affaire conclue alors ! Mais c’est vous qui me mettez la pression en fait… Je n’ai peut-être pas du tout la carrure d’une critique littéraire !

En plus, je n’y connais rien en permaculture ! Mon retour risque de ne pas être à la hauteur et vous allez en pâtir : au final, c’est vous qui vous exposez !

— J’en prends le risque aussi, dit Damien en souriant. Quelle plus grande joie pour un auteur que d’être lu ? J’ai déjà beaucoup de chance !

— On tope alors ? demande Sophie.

— On tope ! dit Damien en lui tendant sa paume ouverte.

À cet instant, une dame d’un certain âge entre dans la médiathèque avec sa petite-fille à la main.

Sophie, toute contente, s’empresse de leur souhaiter la bienvenue lorsqu’elles lui adressent ensemble un gentil bonjour.

— Je vous laisse, dit Damien. Je ne suis pas le seul à avoir besoin de vos conseils. Vous serez là demain à la même heure ?

Sophie, un peu perturbée, réfléchit et répond :

— Non, c’est ma collègue, Maud, qui sera là. Mais après-demain, je reprends le flambeau.

— Parfait. Je vous amènerai mon tapuscrit dans deux jours. Cela me laisse le temps de le relire attentivement pour enlever les ultimes dernières coquilles. À bientôt alors.

— Si vous en laissez, de toute façon, cela me donnera l’impression de me rendre utile, dit-elle en lui faisant un clin d’œil. À bientôt.

Sophie ne se reconnaît plus : voilà qu’elle fait des clins d’œil à un parfait inconnu ! Elle ! Si réservée d’habitude ! Elle réalise ainsi combien elle s’avère motivée par la nouvelle tâche qui va lui incomber…

Toute joyeuse, elle s’élance vers la mamie et sa petite-fille pour les aider dans leur quête et leur prodiguer quelques conseils.

Chapitre 4

Le lendemain soir, après une journée harassante comprenant la venue de plusieurs classes et ses courses en fin d’après-midi, Sophie se rend à une réunion du comité de soutien du maire en poste. Cette fin de mois de janvier fait en effet partie de la période préélectorale avant les municipales. Le maire se représente avec l’équipe qui lui est restée fidèle, mais pas dans son intégralité. À la suite de la dissidence d’un adjoint rêvant de devenir maire à sa place, certains conseillers municipaux ont saisi l’occasion de briguer un poste d’adjoint dans une liste concurrente en cas de réussite électorale, ambitions obligent.

Sophie, pour sa part, est convaincue que le maire est un élu soucieux de voir sa commune s’enrichir. Pendant son précédent mandat, il a assaini les finances, éliminé le problème d’emprunts toxiques contractés par un prédécesseur mauvais gestionnaire et redressé la trésorerie : il est capable à présent de pouvoir poursuivre sa politique d’investissements.

Sophie estime que sa ville a changé, qu’elle s’est réveillée et se métamorphose positivement, affichant désormais un bel essor : le maire y a entrepris d’innombrables projets qu’il est indispensable de poursuivre et d’achever grâce à un second mandat. Très dynamique et investi dans ses fonctions, il s’est lancé dans une amélioration visible du cadre de vie avec la création d’espaces verts agréables et verdoyants, de squares (dont certains avec des structures de jeux pour les enfants), la restauration du beau patrimoine historique de la ville qui comprend une église et une citadelle classées, la construction d’une superbe école, la réfection des voiries, le remplacement des éclairages publics. Tout faire en six ans s’avère impossible, Sophie le sait bien : elle le soutient donc avec conviction afin qu’il puisse poursuivre les transformations, les aménagements, les créations. Elle rêve de voir sortir de terre ce magnifique centre culturel pris en charge entièrement par le territoire, construction et entretien compris : il offrira une nouvelle belle médiathèque qui fera son bonheur, ainsi qu’un auditorium et des salles adaptées pour les conservatoires de musique et de danse, sans oublier les stationnements dans un parking en sous-sol. Sophie sait pertinemment que le maire de sa commune œuvre pour le bien-être de ses concitoyens avec une vision à long terme, respectueuse de l’écologie et du développement durable.

Si elle est entrée sur la pointe des pieds au comité de soutien, ravie de voir sa ville évoluer, Sophie a depuis rencontré de très nombreuses personnes qui, aidées par Monsieur le Maire, lui offrent leur reconnaissance. Plus encore, Sophie a découvert un humain, sensible, chaleureux, qui fait régner autour de lui une atmosphère joviale et conviviale. Elle assiste désormais aux réunions du comité de soutien avec joie et ferveur : elle y retrouve une sorte de grande famille où chacun se connaît, partage, échange, dans une émulation constructive et une bonne humeur incontestable. Les femmes et les hommes qu’elle y côtoie espèrent tous une éclatante victoire de leur leader aux élections.

Ce soir, l’objet de la réunion concerne le bilan de fin de mandat et les projets orientés vers les aménagements, les transports et l’environnement. Sophie écoute d’une oreille attentive, bien que moins intéressée que la première fois : la réunion concernait alors la petite enfance, la culture et les services à la population, des sujets qui l’avaient particulièrement passionnée. Elle se réjouit d’apprendre que la mairie a maintenu les 40 m2 d’espaces verts publics accessibles par habitant, sans compter les jardins privés, un taux bien supérieur aux 10 m2 conseillés. La réhabilitation de la citadelle, avec le défrichement plus que nécessaire de la végétation envahissante et destructrice, occasionnera par la suite une fort plaisante promenade au milieu des pierres mises en valeur et éclairées, agrémentée d’un théâtre de verdure et d’un parcours sportif. Sophie note également que la municipalité n’accepte la construction d’immeubles que si elle est en mesure d’offrir à leurs futurs résidents des transports à proximité. Ceux d’ores et déjà mis en place ainsi que ceux à venir, en site propre, sont bien sûr évoqués. La réalisation d’un mail traversant la ville avec une circulation douce (voie piétonne et piste cyclable) verra également le jour. Sophie ne peut s’empêcher de songer à Damien qui aurait certainement approuvé le regard écologique nécessaire porté vers un horizon plus lointain.

Après un apéritif commun autour d’un verre de l’amitié, Sophie rentre chez elle fourbue. Elle ressent une fatigue pesante qui l’a incitée à se dépêcher de partir, malgré la jovialité ambiante et la bonne humeur des uns et des autres. Elle mange, se douche rapidement et file sans tarder se coucher. Une page de lecture s’avère suffisante ce soir avant de tomber, anéantie, dans les bras de Morphée.

Chapitre 5

Le jour où Damien est censé lui amener son tapuscrit arrive enfin, pour la plus grande joie de Sophie : elle attend ce moment avec impatience car elle a hâte de découvrir sa prose. Elle a l’intention d’étudier le roman très sérieusement, en prenant maintes notes, pour le contenter. Elle souhaite aussi lui donner l’impression qu’elle possède un bon esprit critique.

Après d’innombrables allées et venues de lecteurs, étudiants ou retraités, Sophie aperçoit soudain Damien. Elle se redresse sur sa chaise pour se donner une meilleure contenance. Elle ne saisit pas franchement pourquoi cet homme parvient à la déstabiliser autant. Il lui fait un effet qu’elle n’avait jamais ressenti auparavant. Il l’attire et l’effraie à la fois. Il est toujours posé, direct, mais réservé et évasif dans ses réponses : il a l’art de noyer l’essentiel en le diluant dans le superficiel. Sa façon d’intervenir fragilise l’assurance de Sophie : elle a toujours l’impression de comprendre la réponse à moitié, comme si celle-ci n’était pas claire.

Il l’aborde ce soir une nouvelle fois sans hésitation, mais pas avec la spontanéité qui aurait dû être la sienne :

— Bonsoir. Vous ne lisez pas aujourd’hui ? Vous m’attendiez ?

Sophie, qui ne veut en aucun cas se montrer déboussolée ou excitée, répond d’un air faussement dégagé :

— Les tâches multiples m’accaparent. Je n’ai pas vraiment le temps d’anticiper. J’enchaîne sans me poser de questions. Mais je savais que vous viendriez, c’est vrai.

— Toujours prête à souffrir et à vous investir ?

— Je ne reviens jamais sur mes engagements.

— Cela est bon à savoir, dit-il. Et vous vous engagez souvent ?

Cette nouvelle question un peu « borderline » désempare Sophie, qui répond pourtant avec une feinte assurance :

— Je me suis engagée deux fois récemment : une fois en soutenant notre maire pour sa campagne électorale, une seconde fois en acceptant de donner mon avis sur votre ouvrage.

D’ailleurs, puisque je vous confie mes opinions, peut-être pourriez-vous me confier les vôtres ?

— À quel sujet exactement ? demande Damien qui ne saisit pas où la bibliothécaire veut en venir.

— J’aimerais aussi recueillir votre opinion sur la première mandature du maire et sur votre propre livre. Donnant donnant.

— Je vous ai déjà laissé entendre ce que je pensais de mon roman pourtant.

— Pas avec limpidité, je trouve. Vos propos ne sont pas toujours très explicites.

— Ça promet pour mes écrits alors ! Ne m’enlevez pas le soupçon de confiance en moi que j’avais tant peiné à acquérir, par pitié !

— Ah, vous voyez que vous n’êtes pas prêt à entendre toutes les vérités, alors…

— Mais si, bien sûr que si. Je vous en supplie, je n’aurais pas dû réagir ainsi, promettez-moi d’être honnête… Je ne suis pas au mieux de ma forme en ce moment. Je dors peu. Je suis un peu, comment dire, chagriné. Je n’ai pas besoin qu’on m’enfonce encore plus, alors que j’ai besoin de garder la tête hors de l’eau. Ce livre est bien loin d’être parfait, j’en ai conscience, mais il m’a aidé. J’ai besoin d’une critique pas d’une réduction en miettes.

— J’ai compris : vous attendez un jugement honnête de ma part mais pas trop hostile, c’est ça ?

— Disons honnête mais pas déstructurant.

Sophie se demande ce qui cloche chez ce bel homme qui l’interpelle : Mal dans sa peau ? Inquiet ? Perturbé ? Besoin d’être valorisé ? Soutenu, certainement… Sophie constate qu’il parle peu ou mal de lui-même. Elle a l’impression qu’il avance d’un pas pour reculer de deux. Sophie sent de sa part une inexplicable réserve, une fragilité, une vulnérabilité, voire une sorte de tristesse qui perce derrière un visage avenant. Il a des sentiments ambivalents, semble-t-il : la joie de se faire lire mais la peur de ne pas être compris ou mal jugé, voire incendié. Peut-être a-t-il seulement besoin d’être rassuré ?

— Et Monsieur le Maire ? Vous le trouvez comment ?

— En tant qu’homme, je ne le connais pas personnellement, il m’est donc difficile d’émettre un jugement. Par contre, je trouve que la ville s’est épanouie et dotée de beaux jardins. Elle s’enrichit d’infrastructures utiles pour les habitants et j’apprécie la mise en valeur du patrimoine historique.

— Vous trouvez donc que nous avons un bon maire ?

— Il semble bien investi dans sa fonction, avec une équipe dynamique à ses côtés, et à l’écoute : il a créé des commissions de quartiers, organise des réunions publiques, reçoit le samedi à la mairie. Il valorise les espaces verts. Et puis, je trouve que les spectacles proposés au théâtre sont abordables, diversifiés et de grande qualité.

— Nous sommes bien d’accord. Alors, j’ai une proposition à vous faire : vous accepteriez de faire partie du comité de soutien avec moi ?

Sophie qui le sait réservé s’étonne de l’entendre répondre :

— Pourquoi pas ?

— C’est vrai ? demande Sophie pour vérifier qu’elle a bien entendu et qu’il accepte volontiers.

— Oui, je suis plutôt très satisfait des projets engagés dans la ville.

— Vous accepteriez de signer votre engagement ?

— Oui, je viens de vous le dire !

Sophie part immédiatement chercher un bon de soutien et un stylo et revient radieuse en lui disant :

— Vous allez voir, les gens du comité de soutien sont vraiment très sympathiques.

— Je n’en doute pas, ajoute-t-il en signant.

— La prochaine réunion se déroule à la citadelle mercredi prochain, à 19 h ? Vous pourrez être là ? Je peux vous y emmener si vous voulez : le covoiturage est bénéfique à la planète, non ?

— Ce n’est pas de refus. Je suis disponible, répond Damien. Vous voulez que je vienne vous retrouver ici ?

— Non, je ne travaille pas ce mercredi-là. Vous habitez où ?

— Dans le quartier La Fontaine, sur la ville de Corabières.

— Non ! Nous sommes voisins ! J’y habite aussi ! Allée des bouleaux… au 8.

— Je suis un peu plus loin au 20.

— Parfait. Je passe vous prendre vers 18 h 45. Ça vous convient ?

— Nickel. Je vous confie mon tapuscrit ?

— Avec grand plaisir. Mais je ne l’aurai peut-être pas fini…

— Cela n’a aucune importance : il n’était pas censé être lu. J’aurais peut-être vos premières impressions quand même, dit-il avec des yeux qui s’illuminent.

Sophie croit comprendre qu’il aime ce qu’il a rédigé (elle voit bien la petite flamme qui s’allume lorsqu’il est question de son livre) mais qu’il a très peur de ne pas être apprécié. Il dénigre ce qu’il a écrit pour anticiper les réactions négatives, sans doute aussi parce qu’il n’a que peu d’estime de lui-même et qu’il ne sait vraiment ni ce qu’il vaut, ni comment s’évaluer.

— Je vous promets un premier retour si j’ai suffisamment avancé.

— Merci beaucoup. Je ne connais même pas votre prénom !

— Sophie.

— Merci beaucoup, Sophie.

— Ne me remerciez pas trop tôt… J’ai l’intention d’être honnête mais pas déstructurante, ajoute-t-elle en riant à pleines dents. J’ai l’intention de prendre des notes, vous savez. C’est le minimum attendu de la part d’une critique littéraire en herbe !

— L’auteur en herbe vous en sait gré. À mercredi !

— À mercredi Damien ! En fait, se ravise Sophie, il serait peut-être prudent que nous échangions nos numéros de portables : si jamais l’un de nous a une impossibilité, il ne pénalisera pas l’autre…

— Vous avez complètement raison. Je vous dicte le mien. J’inscris le vôtre.

Aussitôt dit, aussitôt fait. Mais Sophie enchaîne à nouveau :

— Vous ne croyez pas que nous pourrions nous tutoyer ? Si j’étais auteure, je n’aimerais que mon critique littéraire me vouvoie… Et vous ?

— Au contraire ! Je serai plus à l’aise, avoue Damien.

— À la bonne heure ! Je te dirai bientôt ce que je pense de ton roman, alors !

— Merci Sophie, je compte sur toi.