Ça va être ta fête ! - Cécile Delacroix - E-Book

Ça va être ta fête ! E-Book

Cécile Delacroix

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Beschreibung

Chroniques de la vie extraordinaire de femmes ordinaires.

De la Saint-Roméo à la Saint-Aimé, en passant par la Saint-Vincent-de-Paul, Cécile Delacroix revisite les saints pour mieux égratigner les humains ; les hommes de préférence, tour à tour lâches, escrocs, machos mais tendres aussi. En une quarantaine de courtes chroniques de la vie ordinaire, toujours drôles, souvent désopilantes, parfois même dramatiques, elle nous emmène dans la vie de femmes aimantes, amantes, soumises ou révoltées, qui nous touchent parce qu’elles nous ressemblent.
La rupture à la Saint-Sylvestre, les déboires d’une actrice à la Saint-Oscar, la retraite tant attendue de Martine à la Sainte-Félicité, le week-end en amoureux d’amants adultères à la Saint-Fidèle, les gaffes de Sophie à la Sainte-Prudence... Cécile Delacroix s’empare de l’éphéméride pour revisiter avec humour les aléas de la vie, de l’amour, de l’amitié. Avec une tendresse grinçante, elle dresse le portrait de femmes, jeunes ou moins jeunes, en prise avec un quotidien qu’elles tentent désespérément de maîtriser ou d’infléchir. Une grande bouffée de rire en ces temps où la place des femmes est constamment discutée par des hommes bien intentionnés.

Un ouvrage décalé qui propose une plongée dans la vie de femmes, en proie aux aléas de la vie, qui font souvent montre de beaucoup d’imagination pour en sortir !

EXTRAIT DE 3 FÉVRIER - SAINT-OSCAR

Faire du cinéma, une sinécure ? Mon œil, oui ! Plus je réfléchis, plus je me dis que j’aurais mieux fait de finir ma licence d’économie et gestion. Je serais bien au chaud, peinarde, à tenir la comptabilité de magasins de fringues ou de pharmacies dans le cabinet de Papa.

Évidemment, quand mon agent m’a parlé d’un rôle dans le prochain Deneuve-Luchini-Seigner, j’ai plongé direct. J’ai pas raisonné, j’ai même pas lu le scénar et j’ai signé tout de suite. J’ai imaginé que ça allait booster mon CV. Et pi aussi compléter mon numerus de contrats d’intermittent. Cela dit, j’en suis à combien là ? Je dois pas être loin des cinq cents heures, ça devrait au moins me permettre d’atteindre le plancher pour cette année. J’ai vraiment eu du pot de trouver cet engagement de soi-disant voyante dans les soirées business branchées, l’été dernier. Suffisait de tirer les cartes en plissant les yeux d’un air pénétré, de raconter n’importe quoi en roulant les R, trop fastoche. Jamais j’aurais pu espérer qu’on nous paie en cachets pour annoncer des prédictions bidon. Y’aurait pas eu l’obligation de se teindre les cheveux en noir corbeau, j’ouvrais mon cabinet. Dire que j’ai démissionné pour faire ce film à la con, ah la gourde, comme je m’en veux !

À PROPOS DE L'AUTEUR

Cécile Delacroix est née à Paris à la fin du siècle dernier. Danseuse classique contrariée, pianiste laborieuse, elle s’est finalement résignée à une carrière de juriste, sans pour autant perdre de vue son goût pour la créativité ou renoncer à ses ambitions artistiques. C’est en s’inspirant de sa vie mais aussi de celle de ses consœurs, de ses amies qu’elle a écrit ces chroniques, pour le simple plaisir de réinventer des histoires de tous les jours. Ça va être ta fête ! est son premier ouvrage édité.

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Cécile Delacroix

Ça va être ta fête !

« Quand tu auras fini d’écrire tes trucs, là, faudrait me vider le lave-vaisselle. »

Ma mère

À toi

1er janvierNouvel An

Je te l’ai dit cent fois que je n’en pouvais plus de tes absences, de tes lâchetés, de tes réflexions acides, de ces petites mesquineries qui me blessaient toujours un peu plus. Mais tu riais de mes chagrins, que tu trouvais ridicules et que tu appelais faiblesses.

Je te l’ai dit chaque matin : « Quand tu pars, dis au revoir. » Je te l’ai dit chaque soir : « Quand tu rentres, dis bonsoir. » Mais tu ne disais jamais rien.

Je te l’ai dit chaque année : « Aujourd’hui, c’est notre anniversaire, j’ai préparé quelque chose de spécial. » Mais toi, tu l’avais encore oublié.

Je te l’ai dit chaque mois de mai : « Ce dimanche, c’est la fête des mères, pense à appeler la tienne. » Mais toi, tu soufflais avec agacement en levant les yeux au ciel.

Je te l’ai dit à chaque fois que je te parlais d’organiser les vacances : « Et si on allait à la mer cet été, pour changer ? » Mais comme tu n’aimes que la montagne, on passait le mois d’août dans les Alpes, à faire ces randonnées que je déteste et qui m’obligeaient à porter tour à tour nos enfants trop las de grimper, en plein soleil, sur des sentiers escarpés.

Je te l’ai dit chaque mois de septembre : « Demain, c’est la rentrée des classes, ce serait gentil que nous y allions tous ensemble pour une fois, ça leur ferait plaisir. » Mais tu répondais : « Demain ? Ah non, demain ça ne m’arrange pas. »

Je te l’ai dit pour chaque 31 décembre : « Bonne année chéri, du succès, du plaisir, du bonheur. » Mais toi, tu soupirais : « Ça ne peut pas être pire que l’année dernière. »

Je te l’ai dit tout ça mais je ne te le dirai plus.

Si tu es arrivé à ce point de ma lettre, tu auras compris que je te quitte.

Si tu t’imagines que c’est un coup de tête, un coup de chaud, un coup de sang et que je vais revenir penaude, en te demandant pardon, tu te trompes.

Si tu t’imagines que c’est un départ improvisé ou précipité, tu te trompes plus encore. J’ai vidé notre compte commun, le plan d’épargne logement ouvert à mon nom par mon père mais que tu approvisionnais. Et aussi le livret de Caisse d’Épargne sur lequel tu déposais le liquide de ta comptabilité pour plus de discrétion fiscale et dont je t’ai arraché la procuration l’an dernier, souviens-toi. J’ai vendu la montre en or de ton grand-père et ta collection de timbres qui, soit dit en passant, valait beaucoup moins que tu ne pensais. J’emporte l’argenterie, la petite lithographie de Matisse qu’on nous avait offerte pour notre mariage et les médailles de baptême des petits.

Si tu t’imagines que je n’arriverai pas à me débrouiller sans toi, tu te trompes de nouveau. J’ai trouvé un boulot, cela fait trois mois que je travaille sans même que tu t’en aperçoives. J’ai loué un appartement, les enfants ont chacun leur chambre. Tout est en ordre.

Si tu t’imagines que je vais me sentir seule, là carrément je t’arrête : je pars avec ton ami Pierre, celui que tu trouves si bête, que tu accuses de vivre aux crochets de tes impôts parce qu’il est fonctionnaire et dont tu te moques parce qu’il est célibataire et sans enfant à son âge.

Autant que tu le saches, il n’est ni bête, ni vraiment célibataire depuis des années et c’est le père de Nicolas.

Finalement, ça, je ne te l’avais pas dit.

Salut mon vieux, et bonne chance.

Premier dimanche de janvierÉpiphanie

La semaine prochaine, il y aura fête au bureau : le directeur organise un pot. Un pot de départ. Pour fêter son propre départ.

Ne te réjouis pas, il ne prend pas sa retraite et il ne quitte pas non plus l’entreprise, tu ne vas pas t’en débarrasser comme ça. Il part parce que promu. Directeur à l’international. Je te dis pas le montant de ses appointements mensuels et des petits à côté qui vont avec pour ne pas choquer. Par exemple, la facture de ce fameux pot de départ, elle passera direct en note de frais, ne t’inquiète pas pour lui.

À peine avais-tu reçu le mail collectif d’invitation qu’un second mail arrive sur ton ordinateur. Tu n’en crois pas tes yeux. La secrétaire dudit directeur nous informe aimablement de l’ouverture d’une enveloppe de dons pour lui faire un joli cadeau. À lui le cadeau, pas à elle.

Alors, on est bien d’accord : participer à une souscription à l’occasion d’un vrai départ ou encore pour envoyer des fleurs au mariage ou à l’enterrement d’un collègue - surtout si tu ne l’aimais pas -, tu le fais avec plaisir. Mais demander aux agents d’entretien, aux secrétaires ou aux assistants de se cotiser pour honorer un gars même pas agréable qui gagne dix fois leur salaire au bas mot, ça te laisse carrément pantoise.

Comme tu es rancunière et que tu détestes ce type qui t’a fait un certain nombre de crasses au cours des quatre années durant lesquelles il t’a soi-disant dirigée, tu décides de faire la grève de la subvention. Et tu insinues perfidement dans les couloirs, au self, à la machine à café, que c’est lui-même qui a suggéré la levée de fonds participative.

Donc, tu ne paies pas. Et tu ne réagis pas davantage aux trois messages de relance qui t’informent que, l’achat du joli cadeau étant imminent, tu ferais mieux de te grouiller un peu pour avoir la chance d’en être. Tu joues la morte mais tu ne vas pas t’en tirer comme ça. On te prévient alors, toujours par mail, c’est tellement plus personnel, qu’il faut impérativement passer au bureau des hôtesses d’accueil pour signer la carte de vœux qui lui est destinée. Mais discrètement, n’est-ce pas, c’est une surprise.

Tu te contrefous de signer ladite carte, d’autant que tu n’as même pas contribué au joli cadeau, je te le rappelle. Mais un matin, à ton arrivée au bureau, on te happe sans te demander ton avis et on te met, presque de force, un stylo dans la main.

La carte est gigantesque. Elle représente un oiseau exotique plutôt moche, avec de grosses serres, tu ne comprends même pas la signification du symbole, ou plutôt tu as peur que ton mauvais esprit te la fasse comprendre de travers. Et tu constates avec stupeur que plusieurs collègues, passés avant toi, ont rédigé à son intention d’interminables paragraphes singulièrement élogieux alors que tu sais parfaitement, de leur propre aveu, qu’ils le prennent pour un clown incompétent.

Tu te tortures pour trouver une formule passable. Tu finis par écrire « En souvenir de nos symposiums du vendredi », en t’abstenant de préciser « où je me suis copieusement emmerdée chaque semaine ». Puis tu ajoutes « Bon vent », comprendre « Bon débarras », en sachant que lui y verra un encouragement sincère pour la poursuite de sa brillante carrière. Tu es un peu tentée de signer non pas par ton prénom mais par les lettres DTC, pour « dans ton cul », mais tu te dégonfles par pure lâcheté.

Tu vas au pot, bien sûr, tu ne manques jamais une occasion de boire gratos. Du coup, tu te fades le discours d’adieu émouvant par lequel il explique que ce moment n’est pas si triste puisqu’il restera non loin de nous. Ça te met quasi les larmes aux yeux.

Non pas parce qu’il part. Parce qu’il reste.

Puis il déclare solennellement avoir aimé travailler avec tous et avec chacun. Jusque-là, tu suis à peu près avant qu’il n’insère un saugrenu « l’homme est un animal qui s’habitue à tout » qui te perd complètement. Tu récupères le fil lorsqu’il poursuit par un feu nourri de compliments hirsutes. Sur le lieu qui nous accueille : « Quelle belle salle ! » Sur le mémoire que nous venons de produire collectivement : « Quel superbe rapport d’activité ! » Sur les étudiants que nous recrutons en masse pour réduire les frais de personnel : « Quels jolis et frais stagiaires ! » Sur le groupe de travail interne nouvellement créé à son initiative : « Quelle formidable cellule de gestion des archives ! » Sur les cadeaux qui l’attendent : « Quelle merveilleuse et inattendue surprise ! »

Tu en sors tout ébouriffée.

Une fois qu’il a enfin conclu en remettant, avec confiance, son successeur entre nos mains affectueuses, tu fonces direct au buffet pour siffler une coupe de champagne et tâcher d’effacer de ton visage l’ironie insolente que tout cela t’inspire.

Et quand, à la fin de la joyeuse cérémonie, il vient te faire une grosse bise pour te remercier de l’avoir autant gâté, tu le regardes avec un bon sourire et, droit dans les yeux, d’un ton mielleux, tu lui dis : « De rien, vraiment de rien. »

1er févrierSainte-Ella

Depuis quelque temps, elle n’arrive plus à se lever le matin. Bien sûr, elle sait qu’elle se couche trop tard. Mais c’est plus fort qu’elle, chaque soir, malgré ses bonnes résolutions, elle ne peut pas s’empêcher de faire durer la soirée pour reculer l’arrivée du jour suivant.

Alors, elle s’occupe, elle tourne, elle bricole. Elle regarde pendant des heures mille bêtises sans intérêt sur son ordinateur. Des émissions télévisées sottes montrant des filles qui comparent leurs robes de mariée, des pâtissiers qui s’affrontent à coups de mille-feuilles ou des décorateurs qui rénovent au rabais des maisons moches pour parvenir à les vendre à des acheteurs gogo. Des diaporamas d’opérations de chirurgie esthétique ratées ou de bébés animaux si mignons. Des vidéos de recettes de cuisine qu’elle ne fera jamais.

Souvent, elle s’endort, le portable en équilibre sur les genoux, se réveille en sursaut, remet en arrière l’émission dont elle a raté l’essentiel. S’endort de nouveau. Se réveille encore, pose l’ordinateur, attrape son téléphone portable, joue à des jeux stupidement addictifs. Puis se rappelle qu’elle n’a pas sorti le linge de la machine à laver et se lève pour l’étendre. Retourne se coucher, se décide à éteindre la lumière. Mais du coup, elle n’a plus du tout sommeil. Rallume, rebranche l’ordinateur, s’assoupit, éteint, rallume pour vérifier qu’elle a bien réglé l’alarme pour se réveiller à temps demain matin. Trois alarmes en fait. À 7 heures, 7 h 05 et 7 h 10 pour être sûre. Regarde l’heure qu’il est pour compter le temps de sommeil qui lui reste : 3 heures du matin, parfois un peu moins, souvent un peu plus. Décale les heures de réveil à 7 h 10, 7 h 15 et 7 h 20, ça n’a l’air de rien mais dix minutes de grâce, en marginal, ça change tout. Puis elle finit par tomber dans un sommeil visqueux.

Quand ça sonne le lendemain, elle néglige la première alerte, bouge mollement à la suivante et se fait violence pour s’arracher du lit à la troisième, désespérée de la journée qui l’attend.

Depuis quelque temps, si elle n’arrive plus à se lever le matin, c’est aussi parce qu’elle n’aime plus son travail. Elle y part de plus en plus en retard, en traînant les pieds et son ennui avec. Elle n’aime pas non plus les gens qui travaillent avec elle. Ceux qui prennent des airs importants pour évoquer des points d’intérêt mineur, qui utilisent, pour parler de choses simples, des mots compliqués, anglais de préférence, qui inventent des procédures, pardon des process, inutiles et qui convoquent des réunions interminables où l’on ne décide de rien mais qu’on conclut invariablement par : « Bon, alors, on fait comme on a dit. »

Ce matin, donc, elle a négligé la première alarme, comme d’habitude, mais aussi la deuxième et la troisième. C’est la sonnerie du téléphone qui la réveille. Elle décroche, articule péniblement « allô » d’un souffle vaseux.

C’est le bureau, on l’attend, il est plus de 10 heures. Que se passe-t-il ? Tout va bien ? La voix pincée d’institutrice de sa directrice lui remet tout de suite les idées en place.

Non, ça ne va pas. Elle est malade. C’est la première fois de toute sa carrière qu’elle fait ce coup-là.

Non, ça ne va pas du tout. C’est une grosse gastro, il y a une épidémie sévère en ce moment. Elle n’a pas trouvé d’excuse crédible plus répugnante et, de fait, elle entend parfaitement au bout du fil le hoquet de dégoût à peine réprimé de sa directrice distinguée, qui n’aime pas parler de ces choses-là. Alors elle enfonce bien le clou, elle donne des détails.

Non, ça ne va pas, mais alors pas du tout, du tout. Elle a vomi toute la nuit et d’ailleurs, elle va raccrocher parce que ça recommence. « Oui, oui, prenez le temps qu’il faut » crie, éperdue d’horreur, sa directrice distinguée à nom à particule.

Elle raccroche et elle se lève, fraîche comme un gardon, enchantée du bon tour qu’elle vient de jouer. Quel jour est-on ? Mercredi ? Pour une gastro, elle doit bien pouvoir tirer trois jours d’absence. En plus, c’est tellement contagieux qu’on sera trop content qu’elles restent éloignées du bureau, elle et sa gastro. En ajoutant le week-end, ce sont donc cinq jours de vacances inattendues qu’elle vient de gagner en quelques secondes.

Elle file à la cuisine préparer le petit-déjeuner qui devrait normalement la révulser. Des œufs, du jus d’orange, un yaourt avec du miel, elle a vraiment faim. Elle se fait couler un bain et y trempe longtemps sans regarder l’heure, en écoutant à la radio des animateurs dont elle ignorait complètement l’existence.

Ensuite, elle emmène sa gastro au cinéma, étonnée de trouver la salle quasi vide, hormis quelques couples de retraités qui se répètent trop fort à l’oreille les répliques qu’ils ont mal entendues. Puis elles s’offrent une petite balade au parc, sans les enfants bruyants qui sont encore en classe, reniflent des fleurs, s’achètent une glace dans un cornet et un journal de ragots plein d’images et de publicités racoleuses. Le soir venu, elle sort sa gastro au restaurant du coin et prend même un dessert. Elle rentre, se couche aussitôt et s’endort comme un bébé, sans brancher le réveil.

Pendant les quatre jours suivants, qui filent comme le vent, on les voit partout toutes les deux, bras dessus, bras dessous. Au marché, au musée, à la piscine, chez le coiffeur. Elles passent ensemble des heures exquises.

Le soir du dimanche, le cœur serré, au moment de se résoudre à régler de nouveau l’alarme du lendemain matin pour retourner travailler, elle est tout à coup saisie d’un spasme douloureux et d’une nausée violente.

Zut.

Cette fois, elle l’a.

3 févrierSaint-Oscar

Oh là là, mais qu’est-ce qu’il fait froid, j’en peux plus, je grelotte sous mon chiffon, on va encore me crier dessus pour que je reste immobile. Quelle idiote, j’aurais dû penser à mettre mon Damart du ski.

Faire du cinéma, une sinécure ? Mon œil, oui ! Plus je réfléchis, plus je me dis que j’aurais mieux fait de finir ma licence d’économie et gestion. Je serais bien au chaud, peinarde, à tenir la comptabilité de magasins de fringues ou de pharmacies dans le cabinet de Papa.

Évidemment, quand mon agent m’a parlé d’un rôle dans le prochain Deneuve-Luchini-Seigner, j’ai plongé direct. J’ai pas raisonné, j’ai même pas lu le scénar et j’ai signé tout de suite. J’ai imaginé que ça allait booster mon CV. Et pi aussi compléter mon numerus de contrats d’intermittent. Cela dit, j’en suis à combien là ? Je dois pas être loin des cinq cents heures, ça devrait au moins me permettre d’atteindre le plancher pour cette année. J’ai vraiment eu du pot de trouver cet engagement de soi-disant voyante dans les soirées business branchées, l’été dernier. Suffisait de tirer les cartes en plissant les yeux d’un air pénétré, de raconter n’importe quoi en roulant les R, trop fastoche. Jamais j’aurais pu espérer qu’on nous paie en cachets pour annoncer des prédictions bidon. Y’aurait pas eu l’obligation de se teindre les cheveux en noir corbeau, j’ouvrais mon cabinet. Dire que j’ai démissionné pour faire ce film à la con, ah la gourde, comme je m’en veux !

Mais c’est pas vrai, pourquoi il veut une autre prise, le gros naze ? Ça fait la huitième au moins. Elle était très bien celle-là, c’est quoi le problème ? Et voilà, je le sentais, j’en étais sûre, c’est reparti. Faut recommencer tous les réglages son, y’en a pour des plombes, et évidemment repasser au maquillage. En plus, avec le soleil qui se lève, il va vouloir changer les filtres sur les objectifs pour qu’on croie à l’extérieur nuit, c’est malin. À ce rythme, je vais jamais être à l’heure pour prendre ma caisse chez Sephora. Et si je me fais virer là-bas, c’est pas avec le pognon de ce matin que je vais payer mon loyer.

Trente minutes de pause ? Hop, au moins je vais pouvoir passer à la cantine me faire un petit café, ça va me réchauffer. C’est couillon ce costume sans poche, j’en aurais profité pour piquer un peu de bouffe.

Ben dis donc, elle est pas fraîche la Deneuve, ça lui réussit pas non plus les prises de nuit. Pi l’autre, là, comment elle s’appelle déjà ? Elle a vachement grossi, j’aurais été dix fois mieux dans son rôle. En plus, ma mère elle m’aurait reconnue au moins, en allant voir le film. Parce que là, cachée sous mon drap, y’a zéro chance qu’elle me repère.

C’est la dernière fois que j’accepte de jouer un rôle de cadavre.

23 févrierSaint-Lazare

Samedi midi, elle s’est risquée à lui téléphoner pour savoir si ses vacances se passaient bien, s’il faisait beau et si sa mère était contente de l’avoir auprès d’elle. Puis, au détour d’une phrase, elle lui a demandé, sur un ton qu’elle souhaitait léger, quel jour il pensait finalement rentrer à Paris et il a répondu : « Mardi, je prends le train mardi. » Elle a dit « ah ». Pas un long soupir de soulagement joyeux. Juste un petit « ah » interrogatif, bref et sec, pour avoir l’air désinvolte. Elle a ajouté « au revoir » et elle a raccroché.

Depuis samedi midi, elle réfléchit. Doit-elle, ou pas, aller l’attendre à la gare ?

Pour ne pas céder trop vite à une pulsion de midinette qui la déçoit d’elle-même, elle joue à hésiter, à peser le pour et le contre.

Du côté du pour, elle classe le confort d’esprit d’avoir une échéance certaine à son attente qui dure depuis plus de trois semaines. Elle met aussi, du moins l’espère-t-elle, la surprise heureuse qu’il aura à la voir sur le quai.

Du côté du contre, elle ne sous-estime pas le risque qu’elle prend à dévoiler ainsi son attachement et l’ascendant supplémentaire qu’elle lui donne dans leur relation débutante mais déséquilibrée, depuis l’origine, à son détriment à elle.

Mais au fond, elle se ment. Elle sait déjà qu’elle ira. Pourtant, elle ne connaît pas l’heure de son arrivée, elle n’a pas osé la lui demander de peur qu’il ne diffère de nouveau son retour. Quand il avait dit : « Je pars passer quelques jours dans ma famille, je t’appelle après », elle n’avait pas imaginé qu’il serait aussi peu pressé de la retrouver.

Pour se faire croire qu’elle n’a pas encore arrêté sa décision, elle consulte les horaires sur internet, ça n’engage à rien. Le premier train du matin arrive à 7 h 52. Celui-là, elle l’écarte d’emblée, elle n’imagine pas un instant qu’il soit capable de se lever assez tôt pour l’attraper. Le suivant, celui de 10 h 02, lui paraît plus vraisemblable.

Le mardi matin, c’est le cœur battant qu’elle prend le métro pour arriver à l’heure à un rendez-vous qu’elle n’a même pas.

Les travaux récents de modernisation de la gare de Lyon ont profondément modifié les espaces. En mieux, dirait-elle volontiers. C’est plus large, plus clair, plus gai. Il y a même, appuyé contre une rambarde, un piano rouge sur lequel un musicien inspiré joue du Bach, au milieu d’un cercle d’admirateurs attentifs et de valises à roulettes.