Chroniques du dimanche - Hervé Bellec - E-Book

Chroniques du dimanche E-Book

Hervé Bellec

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Beschreibung

" Hervé Bellec est de ces auteurs rares qui ne peuvent laisser indifférent.

Tantôt drôle, gouailleuse, cinglante, tantôt sensible, tendre, émouvante, toujours vive, juste, aiguisée, sa plume vous fera passer du rire aux larmes.

À travers ses chroniques, véritables odes à la vie postées chaque dimanche sur Facebook, il croque avec recul et autodérision le quotidien, le sien et celui des autres… Les vacances, les femmes, les copains, les commerces, la fête… et la Bretagne, à laquelle il est viscéralement attaché, lui rendant hommage dans chacun de ses ouvrages."

À PROPOS DE L'AUTEUR

Hervé Bellec est un écrivain français né en 1955 à Fontenay-sous-Bois, en région parisienne, dans une famille bretonne originaire du pays Pourleth, dans le Morbihan . Il s'est installé à Brest dans les années 1970, attiré par la vague celtique et les idéaux de la Beat Generation .​

Avant de se consacrer à l'écriture, Hervé Bellec a exercé divers métiers : musicien dans le groupe de rock humoristique Fernand L'Éclair, barman pendant de nombreuses années, puis professeur d'histoire-géographie dans un lycée de Brest.​

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Seitenzahl: 155

Veröffentlichungsjahr: 2025

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Couverture

Page de titre

BIBLIOGRAPHIE

GARCE D’ÉTOILE

(Bretagnes, 1990 – Coop-Breizh, 2003, Géorama, 2018)

LA NUIT BLANCHE

(NiL éditions, 2000 – Coop-Breizh, 2006, Géorama, 2023)

LE BEURRE ET L’ARGENT DU BEURRE

(Blanc-Silex, 2002 – Coop-Breizh, 2005, Géorama, 2020 – Pocket, 2022)

FÉLICITÉ GRALL

(Robert Laffont, 2004 – Coop-Breizh, 2011)

UN BON DIEU POUR LES IVROGNES

(Coop-Breizh, 2006)

DEMAIN, J’ARRÊTE D’ÉCRIRE

(Coop-Breizh, 2007)

SUR LE CHEMIN DE STEVENSON

(Photos de Bruno Colliot – Ouest-France, 2007)

LES SIRÈNES DU TRANSSIBÉRIEN

(Géorama, 2008 – Pocket, 2017)

UNE HEURE DE SOMMEIL EN MOINS

(Coop-Breizh, 2009)

BRÈVES DE BRETAGNE

(Edicité, 2009 – Edicité/Géorama, 2014)

SI C’EST MA FEMME, JE SUIS PAS LÀ

(Dialogues, 2011)

MONTS D’ARRÉE

(Photos de Jean-Yves Guillaume – Géorama, 2013)

RESTER EN RADE

(Illustrations Philippe Kerarvran, Dialogues, 2013)

JE HAIS LES DIMANCHE, Saison 1

(Dialogues, 2015)

JE HAIS LES DIMANCHES, Saison 2

(Dialogues, 2016)

K.B.

(Illustrations : Alain Goutal – Dialogues, 2017)

LULU TOUT SIMPLEMENT

(Presses de la Cité, 2020 – Ookilus, 2020, Pocket, 2021)

BOUTS DE CHEMIN EN BRETAGNE

(Photos : Xavier Dubois – Ouest-France – 2020)

LA BALADE DE BOB KERJAN – Livre premier

(Géorama – 2020)

ÎLE WRAC’H – CARNET DE BORD

(Estampes de Jean-Pierre Blaise – Ouest-France – 2021)

CHEZ SCARLETTE

(Presses de la Cité, 2021 – Ookibus, 2021, Pocket, 2023)

LA BALADE DE BOB KERJAN – Livre Second

(Géorama, 2023)

LA VIE DES CIMETIÈRES

(Transboréal, 2025)

Il fait dimanche quand tu souris

Et par les persiennes baissées

Un rayon de soleil rougit

Les murs de notre nid douillet

Il fait dimanche au bord de l’eau

Vin blanc glacé sous les glycines

Quand sur ta bouche reviennent les mots

Ces premiers mots que l’on devine

Il fait dimanche et tous les jours

À chaque fois que tu souris

C’est la revanche de l’amour

Sur le temps qui passe sans bruit

IL FAIT DIMANCHE

chanson interprétée par Henri Salvador

Café de la Plage

S’agit pas non plus de raconter ma vie en long et en large, mais bien obligé d’admettre que ça m’a fait un sacré coup quand Marcel a profité de ce foutu dimanche pour fêter les trente ans du Café de la Plage. Chapeau, patron ! Quand il a ouvert son affaire, nous étions en 1986, une année pour moi un peu bancale. J’avais vendu le petit bistrot que je tenais depuis quatre ans à Plouguerneau et j’étais parti sur un coup de tête à pied jusqu’à Saint-Jacques-de-Compostelle – mais il me semble avoir déjà évoqué toute cette aventure dans un précédent livre. Pendant que je vagabondais la fleur aux dents, Marcel et Serge avaient ouvert ce fameux Café de la Plage à l’un des quatre coins de la toute aussi fameuse place Guérin et, me croirez-vous ou non, c’est sur leur comptoir que j’éclusai ma première bière pour fêter mon retour à la réalité. Les caisses étant vides, il me fallait de toute urgence trouver un boulot, un appartement, un aquarium avec un poisson rouge dedans, éventuellement une compagne. Je n’allais pas squatter à demeure les canapés des copains et le récit de mes élucubrations risquait de vite lasser.

Le seul domaine où je pouvais me targuer d’une certaine expérience, c’était le bistrot et sans doute m’étais-je fait une solide réputation de garçon de café puisqu’on faisait appel à mes services pour des remplacements ici et là. C’est ainsi qu’on me vit tirer des bières au Schtroumpf, au Cornouaille à Kerinou, ainsi qu’au Triskell bar – puissent les anciens s’en souvenir – et donc au Café de la Plage, en attestent ces quelques bulletins de salaires dûment comptabilisés pour ma future retraite. C’était au départ un petit bistrot de quartier, au même titre que le Triskell voisin dans lequel je devais travailler les cinq années suivantes, qui s’était vite taillé une réputation de rendez-vous un peu disparate d’artistes, d’étudiants, de musiciens, de chômeurs et, faut-il le taire, d’une sacrée belle galerie d’invétérés pochtrons comme nous l’étions tous un peu, n’est-ce pas, mais qu’on se rassure, je ne citerai ici pas de noms. Suivez mon regard, leurs cheveux sont aujourd’hui devenus tout gris et derrière leurs rides, les mêmes mimiques, les mêmes risettes, la même soif.

J’ignore comment Marcel a pu tenir le coup pendant trente ans. Je sais de quoi je parle, barman est un métier usant qui requiert une palette de compétences piochant dans des domaines aussi divers que l’animation, la comptabilité, le maintien de l’ordre, l’œnologie, la psychanalyse fut-elle de comptoir, la diplomatie, l’assistanat social et j’en passe. Parler de sacerdoce n’est pas exagéré et je me rappelle ces nuits où je suis rentré chez moi à deux heures du matin, vidé de toutes mes forces, abattu tel un vieux lion lardé de flèches assassines. Ce dimanche, le grand maître-limonadier a profité des chapiteaux de la Foire aux Croûtes pour offrir une petite fête à ses clients, à ses copains, à sa famille. Tout est là ! Les cacahuètes et la bière, le vin rouge et les lichouseries, une estrade avec des micros, une batterie, un piano… Bon anniversaire, Marcel, je t’embrasse. Longue vie à tous les bistrots !

22 mai 2015

Retour à Camaret

À la fin du mois de juillet 2013, des amis m’avaient gentiment prêté leur maison de vacances de Camaret, une adorable petite bicoque située sur les hauteurs de la ville au fond d’une impasse peu fréquentée. De fait, je n’avais en fond sonore que le ronronnement du frigo et les aboiements du chien des voisins qui s’appelait Messi, comme le joueur de foot ; je n’invente rien. C’était sans doute le havre parfait pour écrire, la villégiature idéale pour une résidence d’auteur, et c’était la raison première pour laquelle je me trouvais ici, bien décidé à reprendre la rédaction d’un roman qui sommeillait dans un fond de tiroir. « On ne te demande ni loyer, ni quoi que ce soit ! On veut juste que tu nous pondes quelque chose de valable ! » m’avaient averti les copains sans savoir qu’ils me mettaient en quelque sorte le couteau sous la gorge.

Hélas, rien ne sortait du clavier sinon une mélasse de mots extirpés laborieusement de mon cerveau anémié. Tout simplement, ce roman ébauché depuis trop longtemps ne m’habitait plus. Solitaire, je l’étais alors, et seul aussi. Je dois avouer que ce n’était pas la période la plus heureuse de mon existence, cependant j’essayais de prendre sur moi. Je marchais sur les dunes, le long des falaises et à travers les landes, guettant ici et là quelque étincelle d’inspiration, mais quand ça ne veut pas, ça ne veut pas. La Presqu’île avait pourtant vu défiler par le passé un tas d’écrivains et non des moindres : Saint-Pol Roux que je n’avais jamais lu, Louis-Ferdinand Céline que j’avais peut-être trop lu, ou encore Alain, le philosophe du bonheur ; hélas, pas un seul n’entendit mes supplications pour venir à mon secours. Oserai-je dire que j’en étais arrivé à peloter la croupe rugueuse de chaque menhir de l’alignement du Lagat-Yar en espérant qu’il me transmette un chouïa de sa force intérieure ? Penses-tu ! Pour me changer les idées, j’allais me baigner le soir dans une petite crique du côté du Veryar’h. Les naïades en bikini que je matais me rendaient mélancolique. Las, je m’avalais une bière ou deux au Notic, un minuscule bistrot du port, avant de remonter, lugubre, me faire cuire un œuf dans la maisonnette. Ce fut un fiasco intégral. Navré, je rendis en fin de semaine les clés aux propriétaires qui, au vu de ma tronche décatie malgré un subtil bronzage, ne cherchèrent pas à me réclamer leur dû. Qu’ils soient ici remerciés de cette délicatesse.

Presque trois ans plus tard, je reviens à Camaret sans avoir ajouté une seule ligne à ce foutu roman mais qu’importe, les librairies sont déjà pleines, les libraires passent leur temps à ouvrir des cartons et à renvoyer des invendus, alors un bouquin de plus ou de moins, qu’est-ce que ça peut bien faire ? L’air est encore un peu frisquet en ce dimanche de mai et je marche serein à travers les dunes, poumons grands ouverts à l’inspiration, dans les deux sens du terme. De mon petit doigt, je me cure l’oreille pour mieux entendre le grondement de l’océan. Aussitôt, mon petit doigt me souffle, l’air de rien : « Tiens, à propos, ce roman… Tu t’y remets quand ? »

29 mai 2016

Mamie Picole

Les jeunes l’ont surnommée ainsi quoiqu’il n’y ait rien de méchant dans leurs intentions. C’est même gentil, c’est juste pour rappeler qu’elle est la dernière chance pour s’approvisionner en munitions quand partout ailleurs le rideau a été baissé. Des packs de Kro, des bouteilles de pétillant bas de gamme, des fioles de vodka, elle en a à revendre et jusqu’à pas d’heure. Après quoi ils vont écluser le tout dans les coins ombragés des rives de l’Elorn en tirant sur des mégots chargés à Dieu sait quoi. Bien sûr, certains samedis soir, ça braille un peu dans le quartier et le joggeur du dimanche matin doit parfois faire des slaloms pour éviter des flaques peu ragoûtantes coagulant sur le trottoir, mais lequel d’entre nous n’a pas été jeune, lequel ne s’est jamais mis minable au moins une fois dans sa vie parce que c’est la vie, tout simplement, et que la vie, des fois c’est oui, des fois c’est non. Je sais de quoi je parle. Moi-même, quand le crépuscule s’abat sur le clocher de Saint-Houardon, je me dis qu’un petit coup de rouge ne me ferait pas de mal. Comme j’ai rarement de stock à la maison, j’attrape un blouson et je file tête baissée chez Mamie Picole. Ma foi, le rapport qualité prix de son saint-chinian se tient dans une bonne moyenne. Elle me propose toujours un pochon, histoire de cacher la bouteille au cas où je croiserais un importun.

Quarante-six ans qu’elle tient boutique rue des Déportés. Elle a commencé en 1969, elle me l’a dit, l’année où de Gaulle a mis les bouts, c’est vous dire, et elle est toujours là avec sa blouse en nylon, fidèle au poste, été comme hiver, sept jours sur sept, de sept heures du matin à neuf heures du soir, et parfois même plus tard le week-end, quand les derniers pochtrons cognent à sa porte tels des papillons de nuit sur une vitre. Premier mai, premier de l’an, lundi de Pâques, elle connaît pas. Avec, en prime, toujours un petit mot sur le temps, la pluie ou alors la chaleur ou encore les inondations, mais jamais de potins mal placés, jamais un mot plus haut que l’autre. Je vais vous le dire comme je le pense : malgré ses quatre-vingts heures de boulot par semaine, ça m’étonnerait fort qu’elle ait un compte bancaire au Panama.

Il n’y a pas que les soiffards qui viennent la voir en toute urgence le dimanche soir, loin de là. Parmi ses derniers clients de la semaine, les éternels étourdis qui ont oublié les croquettes pour le chat, les cuistots amateurs qui ont absolument besoin de la petite boîte de concentré de tomates à trente centimes, et puis cette tête en l’air en pleins ragnagnas qui s’aperçoit au dernier moment que sa boîte de tampons est vide. Fallait y penser avant, Nunuche, et merci qui ? Merci Mamie Picole, bien sûr. Dans ce cas également, elle me propose discrètement un pochon. Que j’accepte volontiers et dans lequel je planque aussi la bouteille. Des fois que. Je la remercie, lui bredouille un rien péteux qu’elle est indispensable. Elle hausse les épaules. Un jour ou l’autre, forcément, elle raccrochera sa blouse et ce jour-là, croyez-moi, on aura l’air malin, tous autant qu’on est. On sera comme des orphelins.

5 juin 2016

Le long des berges

J’habite à deux pas de la maison de retraite, ou plus précisément de l’Ehpad, comme on dit de nos jours ; en clair : Établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes. C’est moins poétique mais plus élégant, et sans doute plus sécurisant, que l’hospice pour les vieux qu’on a jadis connu. Bien que situé au centre-ville, l’endroit est verdoyant, paisible et agréable. De temps en temps, les canards de l’Elorn se pouillent avec les oies et tout rentre dans l’ordre dès qu’un grand cygne blanc se radine avec ses airs de Mère supérieure. Il se peut également qu’il y ait un peu de grabuge le samedi soir quand les jeunes désœuvrés du quartier ont un peu trop biberonné. C’est un peu la même chose avec les chats qui se battent comme les fauves qu’ils sont en déchirant la nuit de leurs cris rauques. Ça chahute un peu jusqu’à ce que les réverbères s’éteignent et c’est à ce moment-là que s’éveille le peuple des ténèbres. Dans un kan-ha-diskan un peu lugubre, les croassements des crapauds répondent aux ronflements d’un ivrogne endormi sur un banc.

Les anciens de l’Ehpad ont le sommeil fragile. Il y a toujours quelque chose qui les tracasse, la lune, les souvenirs, cette douleur à la hanche, et puis demain, c’est dimanche, les enfants vont venir faire une petite visite, enfin rien n’est sûr, ils ont dit peut-être. Dans ce cas, on ira faire une petite promenade le long des berges avant de prendre le café dans la salle commune. Certains ne se posent même plus la question et forcément, le dimanche sera pour eux d’autant plus amer. L’infirmière de service a fait sa tournée de distribution de somnifères mais j’en soupçonne certains d’avoir recraché la pilule, par peur de s’endormir à tout jamais, peur que le crapaud se transforme en Ankou et les emporte sur l’autre rive. L’infirmière a veillé toute la nuit, elle aussi, bien obligé. Au petit matin d’un dimanche comme les autres, une tasse fumante entre les mains, elle sort fumer sa cigarette avec une collègue. Assises sur un banc à l’abri du crachin, elles parlent à voix basse. Madame Lagadec a encore fait un cauchemar, monsieur Kerdoncuff s’est perdu dans les couloirs au milieu de la nuit en voulant aller faire pipi.

Le dimanche après-midi, le chemin des berges est arpenté en long et en large par les familles venues faire prendre l’air à leurs aïeux. Les fauteuils roulants sont de sortie, à tel point qu’on se croirait aux 24 heures du Mans dans une version prise au ralenti. Je préfère éviter et attendre la tombée du soir, une fois les lieux rendus à leur tranquillité, pour m’octroyer à mon tour une petite balade sur les rives de l’Elorn. Passant devant les chambres, on arrive à distinguer par les fentes des rideaux les télés qui se sont allumées. Il arrive qu’un vieil égaré – un évadé, allez savoir – pousse son déambulateur jusqu’à la rivière où, accoudé à la balustrade, il s’allume un cigarillo en observant, toujours avec le même émerveillement, la valse lente du grand cygne blanc qui en revanche ne lui prête aucune attention particulière ; mais que je sache, les volatiles n’ont nulle conscience de l’inéluctabilité des choses.

12 juin 2016

Vivement dimanche

À la lecture de certains de vos commentaires, je crains que ma chronique de la semaine dernière ait créé comme qui dirait un malentendu, un léger malaise. Loin de moi, pourtant, l’idée de vous mettre face à la vacuité de l’existence, de titiller votre culpabilité par-dessus le marché, et encore moins d’enclencher une polémique sur les conditions de vie dans les Ehpad. Je suis comme vous, ces maisons de retraite me foutent un peu le bourdon, autant pour moi que pour les autres, encore que j’ai la chance d’avoir une maman qui, malgré ses bientôt quatre-vingt-dix berges, prend encore tous les jeudis sa vieille Renault 5 pour aller faire ses courses toute seule à l’Intermarché du coin. Je sais que ce n’est pas donné à tout le monde.

Je n’avais pas d’autres ambitions que poser un décor, baisser un peu l’abat-jour en ce crépuscule du septième jour et témoigner de ma ville telle qu’elle est, côté cour et côté jardin. Ce vieux monsieur au déambulateur, s’offrant un cigarillo en observant la beauté du monde à travers la danse d’un cygne, a bel et bien existé. On se croisait de temps en temps, on se saluait d’un signe de tête. Le voyant, je me disais que je me remettrais moi aussi à fumer lorsque mes forces déclineraient, et puis un jour, il n’est plus revenu. Ainsi va la vie. De même, ces infirmières du dimanche matin qui, après toute une nuit de travail, lancent un regard fatigué vers la rivière en rêvant à je ne sais quoi – un lit douillet ou les bras d’un amoureux – ne sont pas sorties de mon imagination. Elles sont aussi vivantes que vous et moi. Aucune volonté de ma part de donner des leçons à quiconque, de disserter sur le bien et le mal, le yin et le yang, le zéro et l’infini, alors on n’en parle plus, d’accord ?

De quoi va-t-on donc parler ? Bonne question. Eh bien, du dimanche, pardi ! bien que nous soyons samedi au salon du livre de Vannes. Passant devant mon stand, les gens jettent un œil sur la couverture et disent à voix basse : « Moi non plus, j’aime pas les dimanches ! » Je réponds qu’ils peuvent feuilleter à leur guise, qu’on est là pour ça, qu’ils n’hésitent pas à demander une dédicace, mais ils se foutent de mes livres comme de l’an 40, continuent leur chemin, sont juste là pour espérer voir Michel Drucker en chair et en os. Je suis pitoyable pour défendre mes bouquins et il faut bien avouer que Drucker, c’est autre chose que Bellec. À la télé, au moins, les dimanches sont flamboyants, on rigole, on s’émeut, on chante et on n’emmerde pas le monde avec des histoires déprimantes d’infirmières aux yeux cernés et de petits vieux crachouillant des brins de cigarillo dans l’Elorn. Chez Drucker, mon bon monsieur, c’est la vie, la vraie, du moins j’imagine. Tout sourire, une dame un peu coquette, un peu timide, s’approche à petits pas de mon stand. Dieu merci, me dis-je, enfin une lectrice ! « Un renseignement, peut-être ? » « Avec plaisir, susurre-t-elle ! Pouvez-vous me dire où est-ce que Michel Drucker signe ses livres ? Il est formidable, n’est-ce pas ! »

L’instant d’après, mon voisin m’a fait remarquer que le regard que j’ai lancé à cette brave femme lui a fait penser à un bazooka ou quelque chose dans le genre.

19 juin 2016

Palmyre