Coup de boule - Jean Michel Zurletti - E-Book

Coup de boule E-Book

Jean Michel Zurletti

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Beschreibung

Berlin. Finale de la coupe du monde 2006. L’homme habillé de noir voit rouge. Il sort son épée et sectionne le cours du temps. Le taureau blessé s’écroule.

 — Carton rouge, monsieur Zinedine Zidane !


À PROPOS DE L'AUTEUR


Si Jean Michel Zurletti se passionne pour la littérature, il privilégie la réflexion et l’analyse aux récits, faits historiques et divertissements. Il se plaît à lire les œuvres complètes de plusieurs auteurs notamment Milan Kundera et Philip Roth.

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Jean Michel Zurletti

Coup de boule

Roman

© Lys Bleu Éditions – Jean Michel Zurletti

ISBN : 979-10-377-5971-9

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivante du Code de la propriété intellectuelle.

1

12 juillet 2006

Marie travaille. C’est une première pour sa jeune carrière de journaliste : elle couvrira ce soir à vingt et une heures au stadium de Berlin, tout au bord du terrain, la finale de la Coupe du monde France/Italie pour France Football. Zinedine Zidane, joueur emblématique de l’équipe de France, jouera à cette occasion le dernier match de sa formidable carrière.

Ce matin-là, Marie était descendue de sa chambre d’hôtel prendre un café dans une rue de Berlin très fréquentée. Elle se dirigeait vers un kiosque pour acheter la presse quotidienne, lorsqu’au carrefour de la rue, un énorme choc frontal. Une voiture et un piéton venaient de rentrer en collision. Malgré les soins d’urgence rapidement prodigués, pour le passant, la vie venait de s’arrêter, brutalement. Pour le conducteur du véhicule, elle venait simplement et pour toujours de changer de direction.

Un étrange pressentiment envahit Marie. Elle retourna s’asseoir au café, sortit son carnet de notes, qu’elle ne quittait jamais, et sur un coin de table écrivit :

« On est violemment propulsé du ventre de sa mère et littéralement jeté dans la vie avec plus ou moins de vigueur comme un ballon sur un terrain de football. Là, on est soumis aux aléas des trajectoires. Si le ballon était un marqueur on pourrait découvrir, tracés en noir dans le gazon, tous ces chemins de vie qui ne mènent nulle part, tous ces ratés, toutes ces tentatives infructueuses qui n’atteignent pas leur but. Et puis il y a ce ballon qui franchit la ligne pendant les prolongations, un tir malencontreusement dévié par un pied adverse, qui tape dans le poteau avant de rentrer dans le but, l’hasardeuse trajectoire, la mort subite comme sanction immédiate, comme pour ce piéton, juste pour quelques centimètres. »

2

Neuf mois se sont écoulés depuis la soirée du 12 juillet 2006. Dans le stadium de Berlin, une jeune femme fait mille et un pas, c’est Marie. Sous l’herbe folle, elle essaie de retrouver un rectangle de cinquante-deux mètres sur cent dix. Souvenir d’un illustre passé dont elle n’a pas encore fait le tour, aux temps révolus où la clameur déferlait des tribunes et le labourage des crampons se chargeait d’araser les velléités de repousses. Neuf mois de gestation pour accoucher enfin d’un procès. Le prévenu, Hans, se retrouve là où il souhaitait être : au centre du terrain médiatique. Marie aussi, mais comme témoin principal. C’est elle qui a sorti l’affaire, témoignages et vidéos à l’appui. Dans le box des prévenus, sur les deux hommes inculpés, un seul homme comparaît. Hans est accusé d’avoir commandité un meurtre. Karl n’a pas été jugé. Reconnu irresponsable, il a été interné. Mais il y a un autre fait que l’on a reproché à cet homme, bien plus grave encore pense-t-on aux conséquences économiques désastreuses : d’avoir tué le football. En effet, depuis neuf mois, le football professionnel a cessé d’exister. Tous les sponsors se sont retirés du jeu ; la cotation en Bourse des clubs s’est écroulée, tous ont fait faillite, les championnats se sont arrêtés, les joueurs sans travail, les stades abandonnés… Le football professionnel est mort. Restent dans les grandes villes, des stades déserts où l’herbe sèche a envahi les tribunes, des gamins qui courent dans le vide, des ballons dégonflés qui ne tournent plus rond.

Il est dix-neuf heures lorsque le procureur finit son réquisitoire :

— Monsieur Hans, s’il est un terrain où vous avez gagné, c’est le terrain médiatique. Cela fait neuf mois que vous faites la une de tous les journaux. Vous n’avez cessé de communiquer à la presse nombre d’écrits qui ont été autant de fuites pour orienter le procès sur le débat conceptuel afin de brouiller les pistes et jeter des doutes sur un sordide fait divers. Votre vie a été décortiquée et c’est nu comme le noyau d’un fruit que vous vous présentez devant cette cour. Votre enfance singulière a fait couler beaucoup d’encre dans les journaux à sensation et sur ce point vous avez réussi à retourner l’opinion sur le registre de la compassion, à en faire presque oublier que vous n’étiez qu’un assassin. Mais il est important pour comprendre les raisons de votre acte, d’essayer d’en démonter les confus mécanismes qui vous ont animé. Les témoignages que nous avons recueillis et vos déclarations concordent. Vous vous déclarez coupable mais vous affirmez « avoir agi pour le bien commun ». Vous vous présentez comme un surhomme adoptant une posture philosophique et moralisatrice. Loin des lieux communs habituels de l’argent et la starisation, vous dites le football représente, je vous cite : « les tenants et les aboutissants du non-sens de l’existence, il fallait selon vous que cesse l’illusion de croire que le dieu du football existât ». Sur ce postulat, vous avez mis en scène la mort « du dieu du football ». Pour que les jurés comprennent votre cheminement mental, vous nous avez administré lors des interrogatoires de véritables cours de philosophie pour expliquer votre geste. Ce qui a eu au moins le mérite de lever tout doute sur la non-préméditation de votre acte. Il s’est ensuivi un corpus de réflexions plus ou moins incertaines. Vous maniez le concept comme un maniaque. Votre regard sur le monde désincarné est un substrat de lignes, de ronds, de triangles abscons de tous sentiments, de passions, de chairs. La grâce n’est à vos yeux que mouvement, le rire, distorsion, le pas, trajectoire, l’amour, le x d’une équation à deux inconnues. Pour vous Dieu est statique. Seuls les hommes sont en mouvement et par là même définis par une trajectoire. Pour votre défense dans les faits qui vous sont reprochés, vous reconnaissez votre participation mais seulement en tant « qu’aléa ayant conduit deux trajectoires de vie vers une nécessaire collision ».

Bref, les concepts et les beaux discours n’éloignent qu’en paroles les hommes de leurs actes mais en aucun cas ne les justifient. En conséquence en retenant la préméditation, je demande contre vous la réclusion criminelle à perpétuité, assortie d’une peine de sûreté de dix-huit ans.

Hans sera condamné à vingt ans.

Partie I

Trajectoires

1

Leurs routes n’auraient jamais dû se croiser. Tout avait été parfaitement semé de manière à ne jamais soupçonner l’existence de leur rencontre. Semé, puis disséminé. Et Pourtant l’un était la thèse, l’autre l’antithèse. Quelqu’un se chargera un jour d’en faire la synthèse. Pour ce faire, il lui aura suffi de manipuler deux trajectoires dont le point de collision paraissait au départ plus qu’improbable.

Hans, aujourd’hui commissaire de police à Berlin. Sa mère était une prostituée. Entre deux passes, histoire de nier sa propre existence, elle lisait Nietzsche. Dans la grande rue commerçante de la vieille ville de Berlin, elle était surnommée la « pute intello », sans pour cela qu’elle n’attirât dans son lit, que des érudits. Faut dire que ses clients n’attendaient pas d’elle qu’elle leur fasse la conversation. La philosophie l’avait éloignée des affects, comme la prostitution du sexe. C’est avec une froide distance qu’elle abordait son rapport au monde. Son fils, elle l’avait dès sa naissance, comme toutes choses qu’elle approchait, conceptualisé. Il était devenu malgré lui son sujet d’analyse. Cet être qu’elle avait mis au monde, avant de lui trouver un prénom, elle en chercha une définition. À part la satisfaction de ses besoins physiologiques, le nourrir, le laver ; elle s’adressait à lui comme s’il n’était qu’un réceptacle de toutes sortes de réflexions philosophiques, un miroir sur sa quête de sens. Objet d’une spiritualisation de l’instinct maternel, il n’aura à ce titre tout au long de sa vie qu’une vague idée conceptuelle de l’amour de son prochain. Mais la question des origines n’est jamais une vue de l’esprit, la nécessité de connaître ses racines est toujours plus terre à terre, et à la question universelle que posa le petit Hans à sa mère :

— Sais-tu maman, parmi tous ces hommes que tu fréquentes, qui est mon père ? Celle-ci adopta une posture aérienne :

— Comment pourrais-je te dire qui est ton père, tu es le fruit de rencontres improbables, l’émergence sous forme humaine d’un aléa de mon existence.

C’est en plein vol que l’enfant récupéra les paroles de sa mère, mais pour lui, pas question de lâcher prise.

— C’est quoi un aléa de ton existence ?

— Un événement imprévisible qui a pris forme humaine, qui parle, pleure, mange et me pose des questions idiotes.

— Tous les enfants font cela…

— Tous les enfants ne débarquent dans le monde d’une manière aussi imprévisible que toi, la plupart sont prévus et ceux-là ne posent pas à leurs parents ce type de questions.

— Je ne suis pas un enfant comme les autres, alors ?

— Toi tu as été conçu pendant mes heures de travail, donc je t’ai fabriqué…

— Fabriqué, qu’est-ce que ça veut dire ?

— Comme un pot fabriqué par un potier, une horloge fabriquée par un horloger, sauf que nous les putes, on doit jeter tout ce que l’on fabrique. Car la fabrication n’est qu’accidentelle.

— Je suis donc un objet que l’on n’a pas jeté.

— Oui, mais un objet conçu pour rien, un objet sans objet, dont inutile…

La réponse avait le mérite d’être claire, surtout pour elle, car ce jour-là, Hans n’y comprit pas grand-chose et lorsque la porte de la chambre d’hôtel s’ouvrit, il alla comme à son habitude reprendre sa place sous le lit. Faut dire que plus tard le petit Karl, des pères improbables il en a entendu jouir, caché sous le lit, en attendant que sa mère finisse sa journée de travail. Il avait été conçu dessus mais rapidement elle lui indiqua que sa place était dessous. Cynique punition.

C’est là, sous le lit, qu’il récupérerait les livres de philo que celle-ci déposait au pied du lit, sur le poussiéreux tapis. C’est sous ce lit qu’il apprit à lire avec ce qu’il avait sous la main, Nietzsche, Kant, Schopenhauer… Cela lui permettrait au plus vite de comprendre les propos alambiqués tenus à son égard. C’est vrai que les gémissements simulés de sa mère, là-haut, sur les draps froissés, étaient pour ses clients, en apparence, bien plus accessibles que ses lectures. À son âge, que pouvait-il comprendre de Nietzsche, rien bien sûr. Pourtant Hans sera un converti nietzschéen par filiation pour le restant de son existence. L’improbable émerge toujours d’un aléa déclencheur : pour la naissance de Hans, l’éclatement d’un préservatif. Mais à quatre ou cinq pères potentiels par jour, cela diminuait considérablement la probabilité de retrouver son géniteur.

— Tu sais Freddy, je suis un enfant sans marque de fabrique, un enfant générique, distillait-il à demi-mot à celui qui deviendra plus tard son confident : le concierge de l’hôtel.

Sous ce lit, secoué de toutes parts, où il passait la plupart de ses journées, il apprenait à lire, en commençant par ce qu’il avait à sa disposition : la complexité. Bien sûr il ne comprenait rien à ces lectures accessibles à peu de monde mais l’imprégnation de la complexité ne laisse jamais un cerveau indifférent, quand on lui fait l’honneur, de le considérer à sa juste valeur. Est-ce par reconnaissance pour cette gustative nourriture que tout cerveau dévore, avec une gloutonnerie débordante, que lors de conversations entre adultes, par fulgurance, le jeune Hans alignait quelques phrases de très hautes tenues linguistiques, qui surprenaient bien des imbéciles qui l’entouraient. Mais jamais sa mère, qui voyait dans le mouvement de lèvres de son enfant, s’égrener une à une les pages d’un livre qu’ils étaient les seuls à connaître.

Plus tard, son obsession de toujours conceptualiser chaque moment de son existence le perdra dans une profonde solitude car le monde, apprendra-t-il, ne fourmille que d’exemples et d’illustrations. Qu’as-tu donné à manger à tes papilles, qu’as-tu donné à voir à tes yeux, qu’as-tu donné à entendre à tes oreilles ?

Nietzsche définissait la volonté de puissance « comme l’essence la plus intime de l’homme ». L’affirmation de cette volonté s’accroissant dans l’adversité. Chacun ne peut interpréter la complexité d’une pensée qu’en la réduisant dans le champ de ce qu’il est en capacité de comprendre. Le petit Hans l’appréhenda avec les outils qui siéent pourtant bien au-delà de son âge.

— Mon géniteur devait être très fort, lui seul a transformé en but sa tentative ! s’exclama-t-il devant Freddy. Son sperme s’est introduit dans l’ovule bien gardé de ma mère, en éclatant ce préservatif, comme on éclate les gants d’un gardien de but.

— Très fort, ou alors un égoïste, ton géniteur, peut-être animé seulement d’une puissante volonté de se reproduire par amour pour sa gueule, lui répondit Freddy, accoudé au comptoir, comptabilisant le nombre de passes de la journée.

— Tu devrais plutôt regarder le cul des filles, ça chaufferait moins dans ta tête !

Mais le jeune Hans poursuivit son discours, discours qui pour Freddy ne devenait rapidement qu’un lointain brouhaha.

— Ce but marqué dans l’adversité, mais dans quel but. Pourquoi m’avoir mis au monde ? Pour que je passe ma journée allongée sous ce « putain » de lit à attendre son retour, et puis d’abord, comment le reconnaîtrai-je, aurait-il une façon particulière de faire crier ma mère.