Neuf cents centimètres cubes de trop - Jean Michel Zurletti - E-Book

Neuf cents centimètres cubes de trop E-Book

Jean Michel Zurletti

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Beschreibung

À la question, être ou ne pas être un animal, Paul, biologiste de renom, tente d’y répondre en mettant en scène sa propre finitude. C’est ainsi qu’il laisse sa vie entre les mains de la science et des calculs probabilistes. Alors qu’il avait programmé sa mort pour le jour de ses soixante-dix ans, détournant d’une manière cynique la découverte de son meilleur ami physicien, la fille de celui-ci lui apprend que son père est atteint d’une maladie incurable et lui promet le pire.


À PROPOS DE L'AUTEUR


Si Jean Michel Zurletti se passionne pour la littérature, il privilégie la réflexion et l’analyse aux récits, faits historiques et divertissements. Il se plaît à lire les œuvres complètes de plusieurs auteurs notamment Milan Kundera et Philip Roth.

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Jean Michel Zurletti

Neuf cents centimètres cubes de trop

Roman

© Lys Bleu Éditions – Jean Michel Zurletti

ISBN : 979-10-377-6979-4

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Paul va terminer sa conférence. Il est seize heures trente, ce mardi, il sait que c’est probablement la dernière conférence de son existence. Il n’éprouve ni nostalgie ni soulagement. Il n’éprouve rien, parce que c’est lui et lui seul qui en a décidé ainsi. Bientôt elle sera visible sur You tube, pour tous ceux qui souhaiteront la visionner après sa mort prochaine. Il conclut ainsi son discours en paraphrasant Alain Prochiantz, neurobiologiste : « L’art de ne croire en rien, ni nature, ni dieu, ce n’est pas si facile. Je refuse de me placer dans le grand fleuve de la nature. Les données scientifiques nous enjoignent de refuser un destin de singe, mais d’assumer celui singulier de sapiens. Non, que nous ne soyons pas des animaux, Darwin oblige, mais pour reprendre le hasard et la nécessite de Jacques Monod, le cerveau monstrueux de sapiens, ces neuf cents centimètres cubes de cortex en trop par rapport à nos ancêtres les bonobos, fait que celui-ci doit affronter la solitude de l’espèce, qu’un accident de l’évolution a placé hors de la nature et contraint à résoudre l’impossible oxymore, d’être ou ne pas être, un animal. Grande solitude de sapiens dans l’univers. Neuf milliards de sapiens accrochés sur une boule de 40 000 km de diamètre qui tourne sur elle-même à 2000 km/h et à 100 000 km/h autour du soleil et tout le monde s’en fout dans l’univers et ça va mal se terminer, il y aura bien un accident à un moment ou à un autre ». Il cite Jacques Monod dans le royaume et les ténèbres« sapiens, est une espèce tragique, s’il accepte ce message dans son entière signification, il faudrait enfin que l’homme se réveille de son rêve millénaire pour découvrir sa totale solitude, son étrangeté radicale. Il sait maintenant que comme un tzigane, il est en marge de l’univers où il doit vivre, univers sourd à sa musique, indifférent à ses espoirs, à ses souffrances ou à ses cris. On le sait, mais on ne veut pas le savoir, alors on jardine son jardin religieux et on recule dans le monde de la rationalité, et c’est le grand retour de l’obscurantisme. »

Paul avait soixante-neuf ans aujourd’hui. L’espérance de vie d’un homme de son âge en ces années 2020 est de 15 ans et 8 mois. Cette statistique ne faisait lien qu’avec le temps biologique de conservation d’une structure pluricellulaire, constituée en mode sapiens, et rien de plus. La réalité était tout autre. Désormais, ce qui s’offrait à un futur retraité, il n’en voulait pas. Profiter des seuls plaisirs que la vie permet à un déjà vieux, en faisant le deuil de tout le reste, non merci. Ce n’était pas pour lui. Il considérait que la diminution naturelle du désir et des capacités intellectuelles, allaient crescendo avec l’âge, pour se réduire à peau de chagrin et à la morne plaine des relations amicales, fades, égocentrées, faites de plaintes et jérémiades, sans autres finalités que d’épuiser, les longues heures de solitude, que la vieillesse réserve aux humains, maintenus en vie sous perfusion. Paul n’avait pas eu d’enfant. « Je rends hommage ici aux neuf cents centimètres cubes de trop de notre cortex cérébral qui m’éloignèrent du raisonnement d’un bonobo, qui me permirent de faire des choix rationnels : j’étais à la fois, bien trop intelligent et bien trop moche pour me reproduire. Faire une copie de moi-même, n’aurait eu vraiment aucun intérêt. »

Par choix mûrement réfléchi, et non par la seule volonté de ne pas rentrer dans le conformisme des statistiques, il ne lui restait mathématiquement, à partir de ce dernier anniversaire, un an à vivre, si les calculs probabilistes de son ami physicien, Marc, s’avéraient exacts. Paul se définissait lui-même comme un individu qui avait une tête un peu trop grosse, intelligence oblige, pour un corps d’aussi petite taille. La disproportion, il avait appris à en jouer, pour provoquer, ce qu’il aimait par-dessus tout, la démesure. En tout, même dans la mort.

« Ma mort, par son originalité, par son unicité, sera une première. »

Même si cet argument qu’il trouvait un peu léger n’était pas à l’origine de son geste, qu’il qualifiait plutôt :

« D’une opportunité qui ne sied qu’à des chercheurs de laboratoire de haut niveau. »

La date précise de sa mort reposait uniquement sur des probabilités. C’est la magie des mathématiques, le génie humain et son fabuleux cerveau. Paul avait une vision très Kantienne. La puissance de la raison : fruit de la subjectivité, de l’intuition et de l’imagination de celui qui cherche, auquel s’y ajoutent les capacités linguistiques d’inventer d’autres univers, d’autres chemins, d’autres horizons. Son ami Marc, représentait cet homme génial, qui prônait dans ses recherches, la puissance prédictive que possède les mathématiques. Il avait été capable de construire une structure moléculaire nouvelle, programmée pour changer d’état, avec la précision d’une horloge atomique. Et cette prédiction-là n’était pas fondée sur de la croyance. Paul, nommait cela, volontiers, le triomphe de la raison ou encore, la déraisonnable efficacité des mathématiques, sur laquelle reposait entièrement l’année, qui lui restait de vie.

Cette structure chimique à changement d’état programmé, Paul venait de se l’injecter par voie intra veineuse. Mais il avait pris soin, lui, le biologiste moléculaire de haut vol, d’utiliser cette structure sous forme de microcapsules, non pas pour y incorporer des rétrovirus ou des gènes modifiés, capables d’atteindre des tumeurs, mais d’y incorporer à la place, du cyanure.

Marc avait stocké dans son laboratoire, à moins cent quatre-vingts degrés, différentes catégories de microcapsules, dont chacune avait été programmée, en fonction des dosages, pour une obsolescence évaluée à la seconde près. Paul s’était injecté celles qui avaient été programmées pour une durée d’un an. C’était pour l’instant une limite temporelle inconnue. Marc, dans ses recherches, n’avait pas eu le délai nécessaire, à cette échéance, pour vérifier expérimentalement, ses calculs. L’incertitude demeurait.

Ce fut, en un coup de seringue, plusieurs centaines de milliers de microcapsules de cyanure qui étaient allées directement se fixer, comme autant de métastases, sur l’ensemble des organes vitaux de Paul. Son corps était à présent, entièrement miné, mais toute cette matière explosive devrait rester en sommeil pendant une année. Un an, avant la métamorphose, de l’état solide à l’état gazeux. Paul avait noté l’heure exacte, car à vouloir mourir dans un futur proche, autant que ce le soit pour satisfaire sa volonté de puissance sur sa future mort, à la seconde près.

— La précision du changement d’état est remarquable, calqué sur le fonctionnement d’une horloge atomique, avait prévenu Marc, très confiant dans ses calculs, sans se douter le moins du monde que son ami allait s’en servir à des fins mortifères.

C’était pour Marc, vingt années de travail, dans son laboratoire de recherches théoriques et d’essais empiriques, pour trouver la formule chimique exacte, permettant une programmation temporelle d’une structure vers un changement d’état. Le point de rupture instantanée et simultanée des enveloppes, de l’état solide à l’état gazeux, et la libération immédiate des médicaments, pourraient être planifiés en une seule injection, sur une année entière.

Paul est surtout un neurobiologiste, un éminent spécialiste du cerveau et plus précisément, il s’intéresse de très près à la morphogénèse, autrement dit, la migration neuronale lors de la construction du cerveau encore en gestation. Ce travail sur la programmation du passage d’une structure solide à l’état gazeux était plutôt de la compétence de Marc, son ami et collègue qui occupait la chaire de physique de la matière condensée. Mais Paul y avait activement participé, apportant sa connaissance fine en matière de chimie bio cellulaire. Lui-même y occupait une chaire de neurobiologie dans ce grand institut de recherches fondamentales et avec leurs équipes respectives, ils travaillaient un peu à temps perdu sur ce projet, comme un passe-temps, un moment de récréation, mais aussi comme un défi, sans savoir si cette découverte aurait vraiment, un jour des applications concrètes, comme c’est souvent le cas dans les sciences fondamentales. Pour Paul, la recherche était un jeu, mais un jeu qui n’était pas dépourvu d’enjeux, c’était fuir le monde pour prendre son plaisir au sérieux. Lui, comme Marc, avait ce goût pour la spéculation intellectuelle, qui en faisait parfois des hommes, froids et distants, voire pour Paul, une personne méprisante. Et d’ailleurs, l’une des blagues cyniques que Paul faisait à Marc, qui avait été dans les années soixante-dix, un communiste notoire, comme beaucoup de jeunes gens de cette époque.

— Mon cher Marc toi qui est un spécialiste de la mise en commun de tout ce qui existe, il y a au moins deux choses, je pense, que tu ne mettrais pas en commun.

— Ah bon et lesquelles ?

— Ton épouse et ton corps après ta mort.

— Mon épouse de l’époque, je suis bien trop jaloux, je le conçois, mais pour mon corps ?

— Eh bien, je ne pense pas que tu sois un adepte de la fosse commune et pourtant qu’aurait-il de si insultant pour un communiste, de se décomposer aussi, les uns contre les autres, mettre la mort en commun, après avoir vécus en commun, les uns avec les autres !

Marc répondait toujours dans ces cas-là par un haussement d’épaules.

— Si j’étais croyant, je dirais : cela n’a aucune importance, puisque l’esprit a déjà quitté le corps pour rejoindre les cieux. Mais en tant que lointain communiste, je peux te dire aussi que dans les régimes soviétiques, il le pratiquait communément, si je peux dire, ils appelaient cela des purges !

C’était, il y a cinq ans, au laboratoire alors que les premiers essais commençaient et que ceux-ci semblaient probants, qu’une idée extravagante traversa le crâne de Paul, idée qui dans un premier temps lui glaça le dos. La première nuit, il n’en dormit pas. Dans les jours qui suivirent, celle-ci devint obsessionnelle. Il lui sembla très vite impossible de s’en débarrasser, car elle cochait toutes les cases correspondantes à la conception théâtrale qu’il aurait pu envisager, pour une mise en scène anticipée de sa propre fin. Lui, le biologiste, avait tout de suite perçu comment il pourrait en trouver, bien avant tout le monde, une application immédiate. La fin de sa vie approchait à pas de géant, la fin de sa carrière était imminente. Il avait toujours crié haut et fort, un peu à tort et à travers, que le tragique de sapiens, c’était ces neuf cents centimètres cubes de cerveau en trop par rapport à son ancêtre le bonobo. Ce surplus, substrat constitutif de la souffrance hors norme de sapiens, lui avait offert le cadeau empoisonné de la conscience d’être et de sa finitude, de l’amour, de la science, de l’art, des armes, des dépressions, mais aussi des suicidés.

Aujourd’hui, Paul fête ses soixante-neuf ans et surtout son départ à la retraite. C’est aussi le premier jour de sa mort professionnelle, et le premier jour de sa disparition probable, programmée. Avec Marc, ils ont passé près de vingt ans au labo, ils ont travaillé ensemble sur le clivage atomique, la maîtrise temporelle du passage d’une matière organisée à l’état solide, à une matière organisée à l’état gazeux avec une précision programmatique de l’ordre d’une horloge atomique. Une des applications prévues, c’était la diffusion de médicaments, d’ARN messager, de gènes mutés réparateurs à des fins thérapeutiques. Mais il savait que comme toute découverte, elle pourrait être détournée à des fins bien moins orthodoxes et tomber dans des mains plus malveillantes du terrorisme par exemple : injecter un poison à retardement à tout un équipage d’un avion de ligne pour prendre les commandes d’un appareil.

Quelques d’amis sont là, mais à vrai dire plus des collègues de travail que des véritables amis. Paul, mis à part Marc, n’a pas vraiment d’ami, il a des connaissances avec lesquelles, il n’a pas pris le temps de consolider et de fortifier les liens. Souvent dans la dérision, dans le deuxième degré, il ne donnait jamais vraiment l’impression de prendre au sérieux les gens qu’il rencontrait. Et comme avec les femmes c’était très compliqué, son exigence en la matière l’avait propulsé dans un désert sentimental et sexuel. À soixante-neuf ans, il n’avait plus que son père claquetant dans un EPHAD.

Marc prend Paul à part, visiblement il souhaite lui parler.

— Tu as laissé traîner du cyanure dans le labo, tu m’avais dit que tu n’y toucherais pas, ne me dis pas que tu l’as fait !

Il détourne le regard et essaie de parler d’autre chose. Mais Marc, son verre de whisky à la main, le pousse et le dirige dans la cuisine.

— Réponds, tu l’as fait ? Oui ou non ?

— Je l’ai fait, j’ai assez fait souffrir de souris de laboratoire dans ma carrière, pour ne pas m’apitoyer sur mon sort.

Marc s’affaisse sur la chaise de la cuisine, pose son verre sur la table et prend sa tête entre ses mains. Marc, c’est son ami de trente ans. Ils ont travaillé ensemble depuis des années sur ce projet. Il en connaît les tenants et les aboutissants.