Rendez-moi mon cerveau - Jean-Michel Zurletti - E-Book

Rendez-moi mon cerveau E-Book

Jean Michel Zurletti

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Beschreibung

Igor, professeur de philosophie à la Sorbonne, est victime d’un grave traumatisme crânien qui lui fait perdre sa mémoire rétrograde. Le seul souvenir dont il a conscience est celui des publicités qui passent en boucle dans sa tête. Le procédé est celui bien connu des radios commerciales : un quart par heure sur une heure, par tranche de cinq minutes, avec un débit moyen de 300 mots par minute. Piégé par ce cerveau qu’il ne reconnaît pas, Igor sombrera rapidement dans le délire consommatoire. Réussira-t-il à se sortir de ce gouffre ?


À PROPOS DE L'AUTEUR


Pour Jean-Michel Zurletti, la littérature doit être sélective et non boulimique. De ce fait, il privilégie toujours la réflexion et l’analyse aux récits, aux faits historiques et aux divertissements. Rendez-moi mon cerveau est son huitième ouvrage.

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Jean-Michel Zurletti

Rendez-moi mon cerveau

Roman

© Le Lys Bleu Éditions – Jean-Michel Zurletti

ISBN : 979-10-377-8748-4

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Préambule

Être plus proche du terrain pour être plus proche de la réalité, même si cette dernière est indigeste, c’est aussi la force d’un récit. C’est le cas dans la description détaillée d’un crime de guerre, indigeste par nature. La publicité, névrose obsessionnelle de nos sociétés modernes, squatte tous les espaces : encombrement visuel et sonore conditionnant nos choix et nos interrogations de consommateur. Tout citoyen déambulant dans une rue est avant tout déterminé dans le choix de ses trajectoires et de ses stratégies par son budget qui donnent accès ou pas à l’injonction publicitaire. Pour l’écriture de ce roman, il m’aura fallu me déplacer jusqu’au cœur même du théâtre d’action (oh pas très loin) : m’installer à l’intérieur de mon automobile, et pendant mes trajets quotidiens, plonger dans le brouhaha : cris, rires, jubilations, fausses indignations, au cœur d’une radio commerciale qui explosent les audiences. Quelques heures non-stop, pendant trois semaines, pour récolter le Graal des sociétés de consommation : les bandes passantes publicitaires. À une heure de grande écoute, c’est une épreuve cognitive redoutable, mais aussi pleine d’enseignement sur l’annihilation de l’esprit critique et la fabrication de l’homo consommatus. Simplifications, raccourcis, caricatures, polémiques et surtout la puissance dévastatrice de la répétition des messages. Le choc est violent pour l’auditeur novice. Sur les quatre heures de programme, environ quinze minutes par heure sont consacrées aux bandes passantes publicitaires. Le matraquage est savamment orchestré en direction des classes populaires, des artisans et des classes moyennes, cœur de cible de leurs auditeurs. Pour l’écriture de ce roman, j’ai décidé d’enregistrer ces bandes passantes publicitaires avant de les retranscrire, dans leur intégralité, sous la forme d’un récit ordinaire, celui qui passe et repasse sur les ondes dans la plus grande normalité, comme une évidence, qui fait partie de la ration quotidienne qu’un citoyen doit être capable d’ingurgiter. Cette normalité du prix à payer pour pouvoir écouter la suite d’une émission, cette résignation est consternante. Il est de bon aloi, vous dira-t-on, d’écouter de la publicité sur ces radios commerciales, c’est, paraît-il, le prix à payer de la liberté, du dictat des radios publiques subventionnées (avec les impôts des citoyens, au service des gouvernants). Avec une interrogation : les auditeurs de ces radios commerciales seraient-ils capables de lire en continu, ce qu’ils sont capables d’écouter passivement, plusieurs fois, sur une heure de temps seulement ? En prenant la forme d’un récit ordinaire dans le corpus de ce livre, ces bandes passantes deviennent le témoignage d’une société infantilisante. Vidées de leur brouhaha : ponctuations, musiques, jingles, voix bizarres (souvent volontairement idiotes), débitées à trois cents mots minute ; leur nudité textuelle révélera, peut-être, d’autant plus, leur inconsistance, voire même la tristesse d’une époque difficile, qui convoque une publicité de survie. Je peux concevoir que le lecteur puisse trouver certaines séquences de ce roman imbuvables, mais ce ne sont que les faits, et rien que les faits. Il n’y a pas si longtemps, quelqu’un parlait déjà de « temps de cerveau disponible »…

Une jolie femme d’une quarantaine d’années est venue me chercher dans ma chambre d’hôpital. Elle m’embrassa comme on embrasse ordinairement son mari. J’étais un peu gêné qu’elle m’embrassât sur les lèvres, mais j’ai fait comme si de rien n’était.

— Enfin, chéri, me dit-elle, on va pouvoir rentrer à la maison. Les médecins qui te suivent depuis deux mois ont finalement donné leur accord.

J’avais donc une maison, première nouvelle. Cette femme était jolie, très souriante, et très serviable puisqu’elle rassembla toutes mes affaires avant de les glisser dans mon sac. Je dis mon sac parce qu’il était en ma compagnie, dans le placard, depuis le début de mon réveil, comme cette femme qui s’occupait de moi, elle aussi, depuis le début. Je dis le début, je pourrai dire l’origine parce que j’étais incapable de penser qu’il y ait eu un avant cette chambre d’hôpital. Pourtant, à la différence d’un nouveau-né, je parvenais à nommer chaque objet qui se trouvait dans ma chambre : un lit, une table, des draps, un interrupteur… mais j’étais incapable de dire à mes médecins que tel objet m’ayant appartenu m’appartenait. Lorsqu’on ramena mon portable sur la table de nuit, je pus m’en servir aisément comme un ustensile qui m’était familier. Je savais parfaitement à quoi servait un téléphone portable, comment il fonctionnait, mais à quoi pouvait-il bien m’être utile ? Je ne connaissais aucune des personnes qui correspondaient à l’ensemble de mes contacts. Il y avait des noms et des prénoms dans l’ordre alphabétique et des photos de gens souriants, qui semblaient heureux d’être dans la situation, souvent avantageuse, dans laquelle ils avaient été photographiés. Mais qui étaient donc tous ces gens ? Un type revenait quasiment sur toutes les photos avec d’autres gens, des vieux, des jeunes, des enfants. Et ce type un jour, je le vis dans un miroir, un médecin me dira : « N’ayez crainte, ce n’est que vous et personne d’autre. »

— Moi ?

— Oui, vous étiez quelqu’un avant de vous réveiller dans cette chambre, plongé dans un profond coma. Quarante années de vie bien remplie avant un grand reset de votre cerveau et de votre « moi ».

Quarante années passées sur terre pour un humain, c’est déjà la moitié d’une vie. C’est l’âge de la maturité où les projets engagés durant la tendre jeunesse sont réalisés, où les grandes orientations ont été prises. C’est même déjà l’âge où des choix de jeunesse commencent à se défaire, l’âge du divorce ou la remise en question de sa vie professionnelle, parfois trop routinière. J’avais donc été un enfant, un adolescent puis très vite un adulte. Je m’étais marié avec cette jolie femme, j’avais eu des joies et des chagrins, j’avais perdu des êtres chers, j’avais été amoureux, j’avais fait l’amour, combien de fois et avec qui d’autre ? Un personnage amnésique comme moi, c’est tout le travail de l’écrivain qui est remis en question, toute l’essence même de la littérature, celle de détailler à son lecteur celui qu’est son personnage ? Quel est son passé ? Quel environnement l’a construit ? Le lecteur est curieux, il veut tout savoir et l’écrivain oublie parfois d’écrire quand il décrit de trop. Alors, confronté au phénomène de l’amnésie, pour l’écrivain, c’est la peur de la page blanche, l’obligation de construire un personnage sans histoire, c’est assurément la peur du vide. L’amnésique n’a pas d’histoire, je n’ai plus d’histoire, tout au moins, de mon histoire il ne peut en rester que des témoins qui pourront à leur manière la raconter avec toutes les déperditions qui en découleront, car il manquera évidemment l’essentiel, ce qui fait le sel des romans, l’intimité du moi des personnages, les doutes passés, les ressentiments, les mensonges. Sans ce moi, l’écrivain est orphelin de sa plume, il ne peut que tourner autour du pot comme une âme en peine qui a perdu justement l’âme et le cœur de son héros, de ceux qui campent avec générosité un personnage dans ses moindres recoins, pour l’inscrire dans la force pénétrante d’un récit. Reste le présent et le futur, mais il manque les racines, le pourquoi du comment, la cause et l’effet. L’écrivain prend toujours le train en marche dans un récit, mais il aime avoir dans ses bagages, les souvenirs du lieu d’où il vient de passer ses vacances et pour mon récit, la valise est vide, mais ce n’est pas très important. Ce qui m’est arrivé aurait pu arriver à n’importe quels autres personnages d’un roman d’anticipation, à la seule condition de vivre à notre époque et dans notre modèle économique capitaliste. Et qu’est-ce qu’un roman amnésique ? Si ce n’est un roman ou les visages ont disparu, ceux de l’enfance et des mariages coquins, des personnages sans embase qui répondent aux questions sans détour, avec délicatesses, car l’amnésique est un pacifiste par nature qui touche à la sagesse, qui l’exclu de fait de toutes positions politiques, toutes opinions et convictions en tous genres, toutes identifications à une religion, à une morale, à une idéologie, ni résistant, ni révolté et qui peut suggérer à ses interlocuteurs, des dialogues bien étranges :

— Êtes-vous de droite, Igor ?

— Non, je suis amnésique.

— Êtes-vous juif, Igor ?

— Non, suis amnésique.

— Plutôt café ou chocolat, Igor ?

— Ni l’un ni l’autre, je suis amnésique.

Mais ce dont j’étais à mille lieues de me douter c’était à quel point le cerveau d’un amnésique, vidé de son passé mnésique, présentait pour ceux qui pourraient en être intéressés, un temps de cerveau disponible (dixit certains patrons de grands médias d’une époque toujours pas révolue) sans équivalent.

Avec Marie, puisque cette jolie femme qui m’accompagnait se prénommait Marie, on a emprunté une voiture qui, m’affirma-t-elle, m’appartenait, ou plus précisément, nous appartenait à tous les deux. La voiture était stationnée sur le parking de l’hôpital. Lorsque je me suis approché de la portière entrouverte par Marie qui avait pris place au volant, une sensation étrange me traversa le corps et j’entendis très distinctement des voix inconnues sous forme de jingles qui ne semblaient pas venir de l’extérieur, mais tout juste de l’intérieur de ma tête : « Toyota relax, la plus fiable du marché. Toyota a confiance en ces véhicules et vous propose un programme inédit. Toyota relax à chaque entretien de votre Toyota dans le réseau agréé, et jusqu’à ses dix ans vous bénéficiez d’une nouvelle garantie additionnelle, et ce même si votre voiture est d’occasion. Avec Toyota Relax, il y a vraiment de quoi être détendu, n’est-ce pas ? Voir conditions sur Toyota.fr. En ce moment chez Audi, c’est prix coûtant sur les pneus Bridgestone et nouveauté avec votre carte de fidélité, profitez de quarante euros remboursés, en plus, rendez-vous vite dans vos centres auto Audi. Audi équipe, entretient et répare votre mobilité, offre valable jusqu’au 22 octobre, modalités dans les centres participants sur Audi.fr. »

Et puis, le vacarme a cessé. Je n’ai rien dit à Marie de cette étrangeté qui ressemblait à une résurgence passagère de ma mémoire engloutie à la vue de ce qui pourrait être ma voiture. On a traversé les rues de Paris. Ne me demandez pas pourquoi, mais je savais qu’on était à Paris et que telles rues débouchaient dans telles rues, par contre lorsqu’on arriva devant la porte d’entrée de notre immeuble et que Marie me confia « on est chez nous », je la regardais avec étonnement :

— Chez nous ?

On a pris un vieil ascenseur de cet immeuble bourgeois, mais cossu. On croisa un inconnu qui me serra la main chaleureusement, ravi, semble-t-il, que je sois de retour chez moi et Marie me dit qu’il était notre voisin depuis plus de quinze ans. Elle ouvrit la porte d’entrée et on pénétra dans un hall où je pus accrocher ma veste sur un porte-manteau en bois. Sur la droite, l’ouverture donnait sur la cuisine. C’est au moment précis où je posai le regard sur les portes de placards en aluminium et aux vitres teintées, au-dessus du plan de travail sur lequel rien ne traînait, que brutalement de nouvelles voix d’hommes et de femmes se firent entendre, un souvenir bruyant de ma vie d’avant le choc, peut-être, en ce moment chez Ixina c’est notre anniversaire tente de gagner un bon d’achat de 3000 euros sur votre nouvelle cuisine Ixina c’est notre anniversaire, mais les cadeaux c’est pour vous Ixina veillez à vos rêves tirage au sort réalisé du 1eroctobre au 31 octobre voir conditions sur Ixina.fr A tous ceux qui mettent les cuillères et les fourchettes séparément dans le bac du lave-vaisselle à tous ceux qui espace bien chaque assiette sinon ça ne lave pas aussi bien et à ceux qui rincent la vaisselle avant lors que ça ne sert à rien en ce moment pour son anniversaire Intermarché offre 70 % de remise immédiate pour la boîte de 26 tablettes original fairy soit seulement 2 euros 24 l’unité au lieu de 7 euros 48 et c’est aussi au driver Intermarché tous unis contre la vie chère jusqu’au 9 octobre 403 grammes soit simplement 56 euros le kilo modalités sur intermarché.com produit dangereux respectez les précautions d’emplois.

— Ça va ? me demanda Marie.

— Dis-moi, lui demandais-je, est-ce que l’on a un lave-vaisselle ?

— Bien entendu, il est là, regarde, près de l’évier !