Poutine et les drosophiles - Jean Michel Zurletti - E-Book

Poutine et les drosophiles E-Book

Jean Michel Zurletti

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Beschreibung

Le 24 février 2022, Vladimir Poutine donne l’ordre à son armée, massée à la frontière depuis des mois, d’envahir l’Ukraine. Pétro, jeune auteur-illustrateur pour la jeunesse ukrainienne, doit très vite troquer ses crayons de couleur et son bestiaire contre un fusil d’assaut. La confusion est totale dans son esprit : comment passer, si brutalement, de l’univers des jardins d’enfants, dans lesquels il chantait ses comptines, à la barbarie et à la brutalité de la guerre ?


À PROPOS DE L'AUTEUR


Jean Michel Zurletti privilégie la réflexion et l’analyse aux récits et faits historiques. Entre le roman et l’essai, ses textes décrivent son environnement direct avec une pincée de fiction.

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Jean Michel Zurletti

Poutine et les drosophiles

Roman

© Lys Bleu Éditions – Jean Michel Zurletti

ISBN : 979-10-377-7628-0

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Pétro habite et travaille dans la banlieue de Kiev. Il ne vit pas tout seul, ses animaux de compagnie, qui déambulent dans son appartement, sont couchés sur du papier canson. Ils marchent sur leurs deux jambes et sont bavards comme des pies. Pétro vient d’avoir trente ans et ses premières publications d’albums pour la jeunesse commençaient à lui procurer un succès d’estime, non négligeable, auprès du jeune public ukrainien. Ce jour-là, il venait de passer une partie de la nuit à confectionner avec précision, sur sa planche à dessin, une drosophile posée sur le nez de Pinocchio. Le corps d’une drosophile, les ailes comprises, c’est un assemblage très précis de petits détails et Pétro s’attachait surtout à ce que ce minuscule insecte ait un visage, ni homme, ni animal, mais plus prosaïquement le visage attendri et surpris, de quelqu’un qui vient de se poser, inopportunément, sur un nez aussi long. Pétro dessinait et se racontait des histoires, depuis qu’il avait réussi à mettre un mot derrière l’autre. Retranché dans sa bulle, son univers immédiat était constitué de ce qu’il appelait, son bestiaire humain : l’ensemble de toutes ces bestioles qu’ils dessinaient avec deux jambes et deux bras, dans des pantalons colorés, des salopettes, des robes rayées, des chemises à pois. Son bestiaire humain, avec lequel il dialoguait, comme avec ses pots, au café du coin. Et, bien entendu, il y avait dans ses contes, comme dans les cafés, des gentils et des méchants.

La frappe d’un premier missile raisonna, seulement à quelques kilomètres de chez lui, dans le silence du petit matin. Pétro d’un geste brusque, renversa le flacon d’encre noire, qu’il avait mal refermé. La tache se répandit sur le papier. La drosophile patiemment dessinée disparut aux trois quarts. Le nez de Pinocchio semblait avoir été soudain sectionné, en son extrémité. C’était une fin de nuit de travail qui partait en fumée, mais pas que cela. Au loin, l’autre fumée, épaisse, âcre et noirâtre, obstrua encore plus le ciel, déjà encombré du petit matin. Puis l’odeur de poudre atteint les narines de Pétro. L’illusion prit fin. Une deuxième explosion, puis une autre, puis une autre. L’impensable guerre avait commencé. Les soldats russes, massés aux frontières depuis des mois, déferlaient sur le pays. Les sirènes retentissaient. Pétro allait devoir quitter ses grenouilles, ses crocodiles, ses loups pour se mettre aux abris. Les loups (les vrais), les Russes ne tarderaient pas à envahir les forêts, les villes et les campagnes, pour manger les petits cochons ukrainiens. Ils allaient souffler sur les maisons de paille et de bois, mais dans la vie comme dans les fables, rien n’est écrit par avance, et il y a toujours des maisons de briques qui viennent se dresser face aux velléités des plus féroces.

Qui est Ana ? Elle est le personnage central de ce roman. Mais, ce ne sera pas la peine d’en écrire trop sur elle. L’essentiel peut être résumé ainsi. Ana a aménagé au dixième étage d’un vieil immeuble de Kiev. Elle a quitté la maison de ses parents. Elle gagne suffisamment sa vie grâce aux concerts et aux cours qu’elle dispense. Lorsqu’elle s’assoit au piano le matin très tôt, elle aperçoit de sa grande fenêtre, les immeubles voisins, les chambres, les cuisines et les salles de bains qui s’éveillent. Au rythme de ses accords, les lumières des habitations s’éclairent à tour de rôle, pendant que d’autres s’éteignent. Tous, semblant rejouer la même partition, à la même heure, en s’accordant sur la mélodie qui flotte dans son séjour. Ana est âgée de vingt-six ans, la nature lui a offert (le hasardeux coffret cadeau), la beauté, l’intelligence, la générosité et le talent. Ce soir, elle doit partir pour une série de concerts à Paris avec sa troupe, la première de sa prometteuse carrière de pianiste. Ana est promise à un grand avenir de concertiste. Dans son regard, on peut y découvrir, en filigrane, le mystère de l’évolution. Les premiers grains de matière, qui flottent dans un espace infini, jusqu’à la perfection des traits de son visage et le pétillement de ses yeux bleus. Ce matin-là, Ana n’a pas compris tout de suite ce qu’il se passait dans Kiev, sa ville qu’elle aimait tant. Soudainement, toutes les fenêtres se sont allumées dans le même tempo. Pour couvrir le fracas des premiers missiles, elle joua crescendo, en vain. À quelques kilomètres au loin, des fumées noires s’élevaient dans le ciel du petit matin. Tout s’écroula brutalement. Elle referma son piano et descendit rejoindre ses concitoyens dans les abris du métro. Les sirènes retentirent. « Quinze milliards d’années d’évolution », se dit Ana, « pour en arriver, malheureusement, aussi à ce type de forme de vie terrestre : l’homme animal, jouant avec la bombe ».

Le 24 février dernier, Vladimir Poutine annonce, depuis le Kremlin à Moscou, une opération militaire spéciale en direction de l’Ukraine voisine. De manière quasi immédiate, les chars russes pénètrent dans les deux républiques séparatistes de Donetsk et Lougansk, mais l’armée russe progresse aussi en direction de Kiev, la capitale. Ce n’est pas une opération militaire, comme il le prétend, mais bien une guerre qui débute.

Pétro parle très bien le français. Il réécoute, dès qu’il le peut, sur son portable, les podcasts que diffusent France culture « guerre en Ukraine », jour après jour, la guerre racontée au quotidien par des journalistes qui risquent leur vie sur place pour nous informer.

Au douzième jour de guerre : que penser de la proposition du ministère de la Défense, d’ouvrir des corridors pour permettre aux civils, d’évacuer Kiev et plusieurs villes du pays. Qu’en penser ? Quand la plupart des couloirs mènent, soit vers la Russie, soit vers la Biélorussie, proposition inacceptable, ont jugé les autorités ukrainiennes. Cynisme de la part des Russes, car ceux-ci bombardent constamment les zones résidentielles à Kharkiv. La ville est en situation de crise humanitaire. C’est comme si Hitler proposait des couloirs humanitaires pour aller directement à Auschwitz. Kiev se vide, mais se prépare aussi à résister. Poutine veut prendre Kiev pour y installer un gouvernement fantôme. « Poutine est fou, il nous emmène tous avec lui dans sa folie et nous entraîne vers une troisième guerre mondiale », hurle de colère, un survivant de Kharkiv.

Au quatorzième jour de guerre : la maternité et un hôpital pour enfants sont bombardés. En quoi étaient-ils une menace pour la Russie ? « Peuple européen, habitants de Marioupol, nous devons être unis pour condamner ce crime de guerre », hurle un rescapé. Un cratère béant au sein de l’établissement, au loin encore des bombardements se font entendre. Des enfants et des femmes enceintes quittent les lieux en silence, soutenant difficilement leur ventre, aidés par du personnel, sonnés par la violence de l’attaque, regards perdus, bandages de fortune. On dénombre au moins trois morts, dont une petite fille et dix-sept blessés. Washington, l’Union européenne et Londres condamnent cette attaque et l’Organisation mondiale de la santé, s’inquiète, l’OMS a recensé depuis le début de la guerre, dix-huit attaques contre des hôpitaux ou des personnels de santé. La guerre a déjà englouti tout le système de santé ukrainien.

Lorsque les sirènes retentissent, Pétro descend se mettre en sécurité dans les sous-sols du métro. Là, il s’interroge : comment en est-on arrivé là ? Ou comment en arrive-t-on toujours à la même solution finale et radicale pour résoudre les problèmes de possession de territoire : la guerre. Et si c’était une erreur historique et peut être fatale à l’humanité, qu’au vingt et unième siècle, un homme venu du peuple et ayant souffert dans son enfance, comme des millions d’enfants sous le régime soviétique, sans aucune capacité de résilience, ait pris le pouvoir en Russie. Le ressentiment, l’humiliation et la vengeance qui touchent un individu dans sa propre chair peuvent-ils, aussi simplement, être le moteur d’une troisième guerre mondiale, qui serait apocalyptique, à n’en pas douter ? L’histoire est surprenante. Après quelques recherches sur internet, Pétro découvre dans un article que la mère de Vladimir Poutine est une survivante. Maria Ivanovna Poutina a non seulement survécu à près de 900jours de siège de Leningrad, mais elle a également été sauvée in extremis par son époux. Comme l’a relaté Blasting News en 2015, cette femme aurait pu connaître un destin tragique et être enterrée vivante. Un bombardement dans la ville de Leningrad avait fait des centaines de victimes.Considérée comme mortepar les médecins, la future mère de Vladimir Poutine avait été placée dans un camion militaire chargé de cadavres, car considérée comme morte. C’est après une permission pour aller voir sa famille que le père du chef de l’état russe a reconnu les chaussures de sa femme, en passant devant le véhicule. Désirant des obsèques convenables pour son épouse, et non qu’elle soit enterrée dans une fosse commune, il avait demandé le retrait de soncorps. Maria Ivanovna Poutina n’était pas morte. Pétro aurait pu raconter la petite histoire qui annonçait la fin de l’histoire tout court, ainsi : en extirpant sa femme d’un tas de cadavres, d’une mort déjà actée, elle enfanta un monstre, qui soixante-dix ans plus tard déclencha dans sa folie meurtrière, la troisième guerre mondiale. Une guerre nucléaire qui effaça d’un coup d’éponge, en quelques minutes, quinze milliards d’années d’évolution. Mais il n’y aurait plus personne sur la terre pour la raconter.

Au treizième jour de guerre : Odessa, le grand port ukrainien de la mer Noire de près d’un million d’habitants, essentiellement russophone, a été relativement épargné par les bombes russes, mais l’armée de Vladimir Poutine se trouve désormais à 150 km au nord-est de cette ville. Là-bas, on se prépare à des bombardements, notamment venus de la mer. Mais la vie continue et les gens prennent des cafés dehors. La population est prête. Pour l’instant, les attaques par mer ou terrestres, sont localisées à une centaine de kilomètres, mais tout le monde pense que l’attaque par l’armée russe est inévitable, puisqu’Odessa est sur la route de ce que Poutine appelle : « la nouvelle Russie » et Odessa serait le terme pour mettre la main sur mille deux cents kilomètres de côte. Irpin a été bombardé près de Kiev, la situation est chaotique, les hôpitaux sont évacués, enfants et personnes âgées fuient vers Kiev.

Au quatorzième jour de guerre : La centrale de Tchernobyl n’est plus alimentée en électricité, mais pas de risque de fuite radioactive, indique l’agence internationale de l’énergie. Les États-Unis n’ont pas accepté l’offre polonaise de prêter des avions MIG29 aux Ukrainiens pour que cela ne soit pas considéré comme une provocation par Moscou. La Russie dénonce la guerre économique, car les sanctions prises à l’égard de Moscou commencent à avoir des conséquences très directes sur la vie des Russes. Plus de MacDo, plus de cartes de crédit à l’étranger, plus de pièces détachées. La TV d’État russe explique que la Russie possède assez d’armes nucléaires pour vitrifier tout l’occident. À Odessa, des volontaires remplissent des sacs de sable pour prévenir un hypothétique débarquement.

Dans le métro, les gens sont calmes et ils attendent patiemment la fin de l’alerte. Sur le bloc-notes de son téléphone, Pétro, pour tenter de mettre des mots sur ce qu’il se passe autour de lui, écrit : d’un point de vue uniquement biologique, un biologiste évolutionniste pourrait balayer d’un revers de main, toutes autres explications, historiques, politiques, sociologiques, psychologiques, philosophiques. Il irait à l’essentiel : le vivant. C’est aussi simpliste que lorsque j’écris pour les enfants, il ne faut pas croire que malgré les vertus et l’intelligence que l’on prête aux chefs de guerre, sur le fond, ils se battent toujours pour un morceau de terre, comme des enfants dans une cour d’école, qui délimitent leur territoire. Et quoique de plus logique, puisque l’homme animal