De Sarah à Denise - Annie Dhainaut-Mintz - E-Book

De Sarah à Denise E-Book

Annie Dhainaut-Mintz

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Beschreibung

Quand changer d'identité devient la seule chance d'être épargné.

De Sarah à Denise, deux prénoms pour une seule personne. Dans ce témoignage émouvant, l’auteur nous plonge dans l’Histoire. Et c’est avant tout l’histoire de Sarah, petite fille que la vie et l’atrocité vont transformer en Denise. Comment en est-on arrivé là ?
Effroi, solidarité, combat pour l’humanité, horreur absolue, et amour inconditionnel. À travers l’histoire d’une enfant, d’une famille, cet ouvrage bouleversant nous immerge dans une page essentielle de notre Histoire française. Terriblement actuel, cette lecture essentielle ne vous laissera pas indemne.

Un témoignage bouleversant sur le sort d'une famille juive durant la Seconde Guerre mondiale !

EXTRAIT

Ma mère s’est convertie à la religion catholique et a été baptisée la veille de son mariage, avant d’épouser mon père Jean à l’église Notre-Dame à Niort, le 2 mars 1946. Sarah a gardé son prénom Denise comme prénom de baptême. Son état civil restera Sarah. Elle n’a jamais évoqué devant nous les quatre années qu’elle a vécues, cachée entre Niort et Paris, comme frappée d’amnésie ni le fait que ses parents et toute la famille de Pologne aient disparu dans les camps d’extermination. Mon père et ma tante ont respecté son silence, un équilibre précaire entre le passé et le présent.
Boris Cyrulnik dit dans son livre Sauve-toi la vie t’appelle : « Il m’a fallu longtemps pour comprendre qu’avant de se risquer à parler, il fallait d’abord rendre les autres capables d’entendre. »

À PROPOS DE L'AUTEUR

Annie Dhainaut-Mintz est née à Niort en 1948. Avec force, patience et émotion, elle a reconstitué son histoire familiale, celle de sa mère qui est Sarah et Denise. Elle nous livre ici son premier ouvrage.

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Seitenzahl: 91

Veröffentlichungsjahr: 2016

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Annie Dhainaut-Mintz

De Sarah à Denise

“Remember only that I was innocent and, just like you, mortal on that day, I too, had had a face marked by rage, by pity and joy, quite family, a human face.”

Benjamin Fondane,1944, Mort à Auschwitz.Témoignage lu à Yad Vashem, Jérusalem

À mes sœurs, Martine et SylvieÀ mon frère, Jean-YvesÀ mes enfants,Stéphanie, Thomas, MatthieuÀ mes petits-enfants, Étienne, Nicolas, Clément, Noah, Benjamin, Adèle, Max et PaulÀ mes neveux et nièces, Antoine, Raphaël, Aurélia, ÉmilieÀ mes cousines, Émilie et Hélène

Avant-propos

Je suis hébétée… Ce 4 janvier 2005 je représente ma mère à la commission d’indemnisation au titre des victimes des législations antisémites en vigueur sous le régime de Vichy. Il aura fallu toutes ces années au gouvernement français pour officialiser un mea culpa et une réparation. Quel acte dérisoire face à tant de vies brisées. Mais un acte salutaire au regard de ceux qui aujourd’hui encore nient l’existence des camps et le génocide des Juifs.

Le 16 juillet 1995 – date anniversaire de la rafle du Vélodrome d’Hiver à Paris – le président de la République Jacques Chirac a solennellement « reconnu la dette imprescriptible de l’État français à l’égard des soixante-seize mille juifs de France déportés à Auschwitz qui ne reviendront pas ». Une mission d’études, présidée par Jean Mattéoli, a identifié les archives publiques et privées sur les avoirs détenus par les banques et les institutions financières provenant des spoliations durant la Seconde Guerre mondiale. Parallèlement, aux États-Unis, les organisations juives ont engagé les mêmes recherches pour les personnes concernées. Le 18 janvier 2001 les accords franco-américains signés à Washington(1) ont mis fin au contentieux entre les deux pays sur la question de la spoliation.

Après la reconnaissance des faits, arrive enfin le temps de la réparation sous des formes diverses, comme le programme d’indemnisation, la création d’une Fondation pour la Mémoire de la Shoah.

La commission réunie à huis clos a statué sur le dossier de ma mère. Elle me convoque ce 4 janvier 2005 rue de la Manutention à Paris, pour me faire part de ses conclusions. La séance ne dure que quelques minutes. Un rapporteur énonce les biens spoliés, l’appartement et son contenu, les biens professionnels dont les marchandises, la voiture Citroën avec sa remorque – mes grands-parents tenaient un commerce de chapellerie sur le marché de Niort et les papiers d’identité. La commission propose une indemnisation de trente mille cinq cents euros. Le silence envahit la salle. L’embarras est visible sur le visage des cinq rapporteurs présents. Leur regard converge vers moi… Ils attendent mon accord sur cette somme sur laquelle je n’ai pas de prise. Aucune compensation ne remplacera jamais la moindre vie humaine. Ce rendez-vous me plonge soixante années en arrière et restera gravé dans ma mémoire. Comme jamais auparavant, je prends conscience des raisons pour lesquelles mes grands-parents sont morts et j’en tremble de désespoir et de colère.

Quelques instants me suffisent pour imaginer le bonheur que nous aurions eu d’être ensemble, de découvrir à travers leur origine une autre culture qui m’aurait transportée au-delà des frontières vers ma famille polonaise. Mais l’idéologie et la barbarie d’un homme en ont décidé autrement.

Comment combler ce vide immense si ce n’est en racontant leur histoire, de l’arrivée de Benjamin et d’Ewa en France, au destin tragique qui les a conduits, eux et leur famille, vers les camps de la mort parce qu’ils étaient juifs ? Ce témoignage est le plus bel hommage que je puisse leur rendre pour qu’ils aient aussi leur place dans notre mémoire.

La chronologie du récit suit celle de l’histoire. Je reconstitue un puzzle dont les pièces se sont éparpillées depuis un siècle.

Après avoir rassemblé les souvenirs des proches encore vivants, les documents de mon père sur son engagement dans la résistance, les photos de famille, de longues années se sont écoulées avant que je puisse commencer à écrire, tant ma douleur et mon émotion étaient grandes.

1881Pascal et AmélinaMes grands-parents paternels catholiques

À Saint-Pierre-le-Vieux, fief des ducs d’Aquitaine, mes grands-parents paternels, Pascal Géant et Amélina Légeron, sont nés respectivement le 17 avril et le 20 mai 1881 dans des familles catholiques. C’est dans ce petit village de Vendée, proche de Maillezais, à la limite du marais poitevin, qu’ils se sont mariés le 18 juillet 1905. Ma tante et mon père sont nés dans la commune voisine à la Porte-de-l’Île. Yvette est née le 22 mai 1913 et Jean le 18 avril 1920, dans la maison familiale reconnaissable au palmier planté dans le jardin, arbre emblématique qui indique que le propriétaire est catholique. Des amis proches de mes grands-parents, protestants, vivant dans les Deux-Sèvres, ont eux planté un bananier. Cet arbre se retrouve aussi dans les jardins des marins qui ont franchi le Cap Horn en partant des côtes de l’Atlantique.

Le père de Pascal était agriculteur. Celui d’Amélina, tisserand, a confectionné le trousseau de sa fille dont il me reste encore aujourd’hui quelques draps dont je me sers. Sur ces immenses pièces de tissu rugueux, Amélina a finement brodé au point de croix rouge ses initiales A.L. Un siècle plus tard j’admire toujours le travail du tisserand et la qualité du tissu. Mon arrière-grand-père tissait aussi une toile appelée « droguet » faite de laine et de coton ou de laine seulement. Ce tissu, qui pouvait être luxueux, était la plupart du temps ordinaire et servait à la confection de vêtements quotidiens.

Pascal, que je n’ai pas connu, est un bel homme, de grande taille, à la moustache légèrement relevée. Son allure est hautaine dans son uniforme de militaire durant la Première Guerre mondiale où il est ambulancier. L’homme fier impressionne, sait se montrer plein d’humour en famille. La maladie l’a emporté le 16 juin 1945.

Amélina, appelée poum maman, ne sourit jamais sur les photos. Cela n’empêche pas notre unique aïeule d’être très affectueuse. Toujours présente dans notre petite enfance, elle nous a bercés, consolés comme aiment le faire les grands-mères. Cette femme mince à l’allure distinguée porte des robes sombres allant du gris foncé au gris clair selon les saisons. Elle rassemble ses cheveux fins grisonnants en un petit chignon recouvert d’une résille posé au-dessus de la nuque.

Nous nous retrouvions souvent à la Porte-de-l’Île, ma sœur aînée et moi-même, alors que nous étions bébé puis petite fille, entre quatre et sept ans. Nous dormions dans la bercelonnette en fer forgé blanc de notre tante et de notre père. Petites filles nous jouions dans le jardin avec nos landaus d’osier et nos poupées. Nos chapeaux de coton nous protégeaient du soleil ardent de l’été. Je conserve le souvenir d’un goûter que je préférais à tout autre, une tartine de pain de campagne, couverte de la crème épaisse formée à la surface du lait bouilli, et saupoudrée de sucre ! Ce lait frais que nous allions chercher à la ferme voisine le soir en évitant les oies. Nous vivions ces petits bonheurs de l’enfance avec les cousins et cousines de mes grands-parents. Où que nous tournions le regard, nous apercevions les ogives des ruines de l’Abbaye de Maillezais comme suspendues dans le ciel.

Dès le xiie siècle, les moines ont transformé tour à tour cette abbaye en forteresse puis en cathédrale. Ils ont façonné ce marais humide pour créer des zones cultivables et des zones d’élevage bordées de petits cours d’eau appelés conches où le promeneur non averti peut se perdre. Rabelais y a séjourné de 1521 à 1527 après avoir été novice non loin de là, à Fontenay-le-Comte. Je ne doute pas que cette terre sauvage et lumineuse qui s’étend jusqu’à l’océan l’ait inspiré. J’ai très souvent parcouru en « plate » mon cher marais poitevin en empruntant les petites rivières, bordées de frênes têtards et de saules. Ces conches sont recouvertes d’un tapis de lentilles vertes que seule la pigouille plongée dans l’eau dérange.

Après la naissance de Jean le 18 avril 1920, Pascal, Amélina et Yvette emménagent à Niort dans une maison de ville achetée rue Barbezière. Elle est construite en pierres blanches et fait l’angle avec la rue du Petit-Banc, où s’installera la famille Minc en 1937. Le premier étage est orné d’un balcon en fer forgé agrémenté de jardinières où notre tante Yvette cache des œufs en chocolat le jour de Pâques. Au rez-de-chaussée, la salle à manger/salon et la cuisine à haut plafond sont les deux pièces à vivre. À l’étage, trois chambres et une salle d’eau. De là un petit escalier arrive au grenier où Pascal installe un poulailler sur pilotis qui fut bien utile sous l’Occupation. Attenante au grenier, une petite chambre de service a servi de cachette à Sarah, ma mère, pendant la guerre.

Amélina et YvetteLa Porte-de-l’Ile

Le rituel du repas du dimanche midi est incontournable. Pascal officie dans la cuisine du sous-sol. Ses préparatifs commencent le samedi : il lave et prépare le « ventre de veau » qu’il fait cuire en pot-au-feu. Des légumes de saison accompagnent ce plat apprécié des amis parmi lesquels André et Louise Séguéla. Janine, leur fille unique, se souvient encore de ces repas délicieux au cours desquels son appétit revenait comme par miracle. Yvette, experte en desserts, prépare, tantôt une tarte aux pommes, tantôt des œufs à la neige. Le Saint Honoré de « Riquet » pâtissier et grand ami de mon père, s’impose comme le dessert incontournable des repas dominicaux.

Quelques souvenirs de notre tante Yvette me reviennent. Elle aimait plaisanter, truffer sa conversation de patois vendéen, « quaito quolé… que’q tu bignailles… », de jeux de mots et d’expression, « ben dame ». Son esprit vif nous enchantait. Elle cédait à tous nos caprices, comme emprunter ses robes et ses talons hauts qu’elle ne portait plus, pour marcher dans la rue en claquant le pavé, comme les dames… Elle nous gâtait en toutes occasions. Nous n’avions qu’elle, elle n’avait que nous, ses nièces et son neveu. À l’inverse de notre père à la peau claire et aux yeux bleus, Yvette a la peau mate, « signe lointain du passage des Arabes entre Poitiers et Tours en 732 », aimait-elle à plaisanter ! Ses yeux brun foncé, ses cheveux noirs coiffés courts, sa silhouette fine et élancée la distinguaient des autres femmes. Mes sœurs et moi la trouvions si belle sur les photos quand elle était jeune fille, que nous nous demandions pourquoi elle ne s’était jamais mariée. Nous la taquinions à ce sujet sans savoir que son grand amour était mort pendant la guerre.

Yvette

1901Mes grands-parents maternels, juifs polonais Benjamin et Ewa

Benjamin Mintz et Ewa Dluga sont nés en Pologne russe dans des familles bourgeoises juives ashkénazes. En lisant une copie du livret de famille de Benjamin et d’Ewa, délivré à leur mariage, je prends connaissance de leur lieu et date de naissance.