Histoire de Mlle Brion, dite comtesse de Launay - Anonyme - E-Book

Histoire de Mlle Brion, dite comtesse de Launay E-Book

Anonyme

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Beschreibung

Extrait : "Trop sûre de mon obéissance et des devoirs que me prescrit l'amitié dont vous m'honorez; quand vous m'avez ordonné d'écrire mon histoire, vous avez peu réfléchi sur ce que me devait coûter le tableau de dix années de libertinage et l'aveu des erreurs d'une longue jeunesse."

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Introduction

L’histoire de MlleBrion, dite comtesse de Launay, a été fort mal à propos confondue par homonymie (Catalogue remanié du comte d’I***) avec l’ouvrage de Gaillard de la Bataille sur Mlle Clairon : Histoire de Mlle Cronel, dite Frétillon, etc. .

On ne voit pas bien ce qui a pu donner lieu à une aussi singulière confusion.

Ce petit roman, dont l’édition originale a paru en 1774 sous le titre de Nouvelle Académie des dames, et sans nom d’auteur, est resté anonyme.

Il contient d’intéressants détails sur des mœurs que nous connaissons bien ; aussi ne faut-il point le lire au point de vue documentaire, mais plutôt comme une œuvre littéraire, témoignage un peu timide des grands efforts que l’on faisait à cette époque pour amener de la liberté, de l’air, de la vérité, c’est-à-dire de la lumière dans les lettres.

À ce titre, l’Histoire de MlleBrion mérite notre attention.

Le bon ton qui règne dans cet ouvrage lui donne encore une place à part dans la littérature de mœurs au XVIIIe siècle, littérature si riche qu’elle nous servirait facilement à reconstituer l’histoire du temps, si même les documents originaux et les archives venaient à disparaître.

G. A.

Histoire de Mlle Brion dite Comtesse de Launay

Quelques traits de ma vie, madame, dont je vous ai fait part sans conséquence, et qui vous ont paru intéressants ; plusieurs anecdotes singulières dont vous avez été informée par la voix du public, vous ont fait naître le désir d’apprendre toutes les particularités de ma vie. Trop sûre de mon obéissance et des devoirs que me prescrit l’amitié dont vous m’honorez ; quand vous m’avez ordonné d’écrire mon histoire, vous avez peu réfléchi sur ce que me devait coûter le tableau de dix années de libertinage et l’aveu des erreurs d’une longue jeunesse.

À peine le public, ébloui par le mot chimérique de fille du bon ton, relevé du titre de comtesse, feint-il d’ignorer mes désordres passés, que vous m’obligez de déchirer le rideau que j’avais tiré sur mes premières années. Ce voile, qui n’était plus transparent qu’aux yeux de quelques amis particuliers, va disparaître ; pour vous obéir, madame, l’illusion va cesser.

Je crains bien que vous ne rougissiez de vos ordres, en parcourant ma vie. Vous m’avez connue bégayant le sentiment, paraissant aimer les plaisirs recherchés : si je vous ai paru voluptueuse, c’était par décence ; j’ai toujours été libertine par tempérament. Ne vous formalisez point si je vous peins le plaisir tel que je l’ai connu, tel que je l’ai goûté. Je n’ai point vu ce dieu rougir de l’encens que j’ai brûlé sur son autel. À ses pieds, d’un côté j’ai vu la volupté, de l’autre était le libertinage : ils encensaient le même dieu, qu’ils servaient différemment.

Je n’empêche point qu’une nonne qui chante les victoires de son directeur et ses faiblesses ne peigne Vénus sous le masque de la vertu, marchant les yeux baissés, le plaisir la suivant en long manteau sous le chapeau de la réforme. Pour moi, je n’aime point Vénus chargée d’atours : une simple gaze doit être sa seule parure ; et je veux que les amours qui folâtrent autour d’elle soient nues.

Je passerai, madame, légèrement sur mon origine : je sais trop combien l’énumération des titres est ennuyeuse, pour en fatiguer le lecteur. Ce n’est point l’histoire de ma généalogie que je prétends donner, c’est la mienne.

Ma mère, qui était la première de sa famille, comme elle prenait souvent plaisir à me le répéter, épousa en premières noces, peu de temps après ma naissance, Maclou Launay, homme connu sur la place, faisant du bruit dans Paris, et ayant un carrosse qu’il menait lui-même, c’est-à-dire, madame, qu’il était phaéton public, moyennant vingt sols par heure. Ma mère était de ces femmes qui portent et vont offrir dans les maisons les tributs ordinaires des saisons : bouquetière dans le printemps, on la voyait l’automne faire des spéculations sur des salades ; l’hiver, calculer les vigiles pour savoir quel profit on pouvait tirer sur les œufs frais.

Ma mère introduisit dans la maison un frère que je n’ai jamais regardé que comme un frère de mère, vu la surprise où son arrivée jeta Maclou Launay, qui, sollicité par son épouse, voulut bien permettre que ce prétendu fils portât son nom pour faciliter son avancement ; en effet, peu de temps après il parvint au grade de son protecteur.

Vous connaissez, madame, toute ma famille. Mon frère était placé et je restais seule à pourvoir quand ma mère vint à mourir.

Âgée de quatorze ans et n’apportant rien à la maison paternelle, on commença à me faire sentir combien je devenais à charge à ma famille. J’ignorais alors, madame, qu’une jolie figure fût un patrimoine d’autant mieux assuré qu’on n’en peut manger que le revenu en altérant pourtant le fonds. Si mon âge, ou plutôt l’ignorance dans laquelle j’avais été élevée, m’avait permis de le soupçonner, mon père le premier me l’aurait appris.

Comme je n’avais point d’autre lit que le sien, étant le seul qui fût dans la maison, je me suis rappelée depuis que le bonhomme avait eu toutes les peines du monde à se faire au veuvage. J’attribuais alors, tant j’étais innocente, à l’amitié paternelle des caresses, qui certainement lui rappelaient les doux moments passés avec Mme ma mère. Je m’aperçus que les jours qu’il rentrait un peu gris, ce qui lui arrivait souvent, sa tendresse augmentait. Aussi je puis dire que je n’ai jamais vu ma mère lui reprocher l’argent qu’il dépensait au cabaret. Enfin, madame, un bon jour il but tant, devint si tendre et si caressant que je fus forcée de quitter la maison paternelle.

Le premier usage que je fis de ma liberté fut d’aller trouver une petite compagne que je connaissais depuis ma plus tendre enfance : elle s’appelait la Dêpoix. Elle me reçut comme une ancienne amie et me mena chez son père, qui était commis à la barrière du Cours.

Le bonhomme, dont la cuisine n’était pas des mieux fondées, ayant peu de contrebandiers pour amis, s’aperçut du tort que faisait un nouvel hôte à son ordinaire ; il pria sa fille de me placer quelque part, sa misère ne lui permettant pas de me garder chez lui.

La Dêpoix, qui, par son métier de coiffeuse, se trouvait intéressée dans une espèce de commerce de galanterie, aurait été charmée de me garder avec elle ; ma figure, qui se décrassait tous les jours, lui promettait de la dédommager amplement des soins qu’elle aurait pris à me former.

Ne pouvant tirer aucun parti de ma jeunesse, vu les ordres de son père, elle me proposa de me placer chez une dame de ses amies qui m’aimerait beaucoup, me disait-elle, et qui aurait pour moi les meilleurs procédés du monde, pourvu que je voulusse me conduire par ses conseils et faire ce qu’elle me dirait. Je répondis à Mlle Dêpoix que, puisque mon malheur voulait que j’en fusse séparée, j’aurais pour la personne chez laquelle elle me placerait les mêmes égards que pour elle-même ; qu’elle pouvait compter en tout sur mon entière obéissance.

Voici, madame, mon entrée dans le monde et l’instant, pour ainsi dire, où commence ma vie. Peignez-vous une fille neuve au point d’ignorer qu’elle est jolie, pour qui le mot d’amour est étranger, qui connaissait presque la pratique du plaisir sans en avoir jamais soupçonné la théorie ; une fille trop ignorante pour savoir rougir, simple par innocence, et cependant d’une complexion libertine, conduite chez Mme Verne, qui tenait la maison la plus renommée de Paris.

Vous avez, sans doute, madame, entendu parler de la Verne, qui passait pour entendre le mieux son métier, qui avait les plus jolies filles, abbesse d’une maison où séjournait le dieu du libertinage ; pour tout dire enfin, la Paris de son temps.

Connaisseuse comme était la Verne, vous pouvez penser avec quel plaisir elle me reçut : une fille de mon âge et de ma figure était un trésor pour une femme qui aurait vendu le pucelage d’une poupée.

La Dêpoix, qui avait le département de la toilette des grâces qui composaient son sérail, fut amplement récompensée de ses peines et toucha, par avance, une somme sur la fortune que je devais faire.

Le premier soin de la Verne fut que mon entrée chez elle fût entièrement ignorée par ce qu’elle appelait les nouvellistes du sérail, mousquetaires, pages, gendarmes, qui, de son temps, payaient toujours fort peu ; mais en récompense venaient souvent, restaient très longtemps, et empêchaient beaucoup de gens de venir s’amuser, comme robins, financiers, clercs, tous gens tranquilles, que la vue d’un mousquetaire aurait mis dans le cas de manquer à quelque beauté de la façon du monde la plus offensante pour une jolie femme.

Je fus à peine entrée chez la Verne qu’elle me conduisit dans une chambre pratiquée sur le derrière de la maison, entièrement séparée du corps de logis qu’elle occupait, qui avait une sortie mystérieuse dans une allée voisine : ce passage n’était connu que de quelques prélats, intéressés par leur état à n’être libertins qu’avec décence et à prendre le mystère pour mentor de leurs plaisirs. Par là entraient quelques paillards honteux, gens de nom, que l’âge n’avait pas plus servi à corriger que réussi à faire prendre un directeur à leurs femmes, et qui venaient de temps en temps tenter de faire expirer chez eux le plaisir, et qui finissaient par essouffler deux ou trois filles à pure perte. On y voyait aussi quelques singes de la justice, pincés par état, qui auraient cru manquer à la gravité de la présidence, si dans leurs ébats ils avaient dérangé l’économie d’une longue perruque d’emprunt, à laquelle la plupart devaient tous leurs mérites.

La Verne appelait cette chambre son palais des vertus : c’était là qu’en femme rusée elle cachait les filles soi-disant pucelles, dont la virginité devait jouer un long rôle, avant que d’être abandonnée aux hommages du public et de devenir sœurs du sérail.

Sitôt que je fus entrée dans cette chambre, on songea sérieusement à ma toilette. La Dêpoix voulut se surpasser : elle épuisa son art pour me rendre jolie, et y réussit. Une figure fine, des yeux vifs, une taille de nymphe jointe à des grâces naturelles, promettaient une fortune à la Verne. Elle voulut ce jour-là que je dusse tout aux charmes d’une figure enfantine et novice sur laquelle brillaient les grâces de la plus tendre jeunesse. J’avais des yeux qui, par instinct, commençaient à parler le langage du plaisir, et dans lesquels on voyait naître les désirs. Pour tout dire, madame, j’étais assez jolie pour ne rien emprunter de l’art. Un petit déshabillé d’une toile de coton blanc très fine était ma seule parure. La livrée de l’innocence convenait au rôle que j’allais jouer. Tendre victime, je n’attendais que le moment d’être conduite à l’autel : le sacrificateur ne tarda pas à paraître. J’entends un carrosse s’arrêter dans une petite rue sur laquelle donnait une croisée de ma chambre. Je mets la tête à la fenêtre, et j’en vois sortir Mme Verne déguisée en dévote, une sœur de charité passée au bras, suivie d’un homme enveloppé dans un long manteau noir : je l’entendis nommer M. de R… J’ai appris depuis qu’il était évêque de B…, prélat libertin, qui avait été autrefois amant aimé de la Verne, et qui s’en tenait alors vis-à-vis d’elle au rôle de bienfaiteur. M. de R… l’avait deux fois fait sortir de Sainte-Pélagie, ce qui avait éternisé son attachement pour ce saint abbé, dont elle avait toujours gouverné les plaisirs depuis qu’elle avait cessé de les partager.

Au portrait que je viens de faire, madame, de M. de R…, il ne devait pas être novice dans une aventure galante : je le vis bientôt paraître. Il se présenta de la meilleure grâce du monde, loua avec finesse mes attraits, caressa en protecteur Mme