La Chatte - Colette - E-Book

La Chatte E-Book

Colette

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Beschreibung

La Chatte est un court roman écrit par Colette. Le roman relate la passion d'un jeune homme, Alain, pour son animal de compagnie, Saha, une fascinante chatte de la race des Chartreux. Jeune marié, il reste impénétrable aux yeux de sa femme, Camille, qui se prend de jalousie pour la chatte, la favorite insurpassable. Dès lors, pour l'amoureuse délaissée, aucun procédé ne sera trop brutal pour écarter l'animal de son chemin. Alain semble indifférent au charme de Camille et reste fidèle à sa chatte. Extrait Chapitre 1 |«| Camille l’appelait en haut du perron, mais par caprice il s’abstint de répondre et gagna des ténèbres plus sûres, en tâtant du pied le bord de la pelouse tondue. Au haut du ciel siégeait une lune voilée, agrandie par la brume des premières journées tièdes. Un seul arbre, un peuplier à jeunes feuilles vernissées, recueillait la clarté lunaire et dégouttait d’autant de lueurs qu’une cascade. Un reflet d’argent s’élança d’un massif, coula comme un poisson contre les jambes d’Alain. – Ah ! te voilà, Saha ! Je te cherche. Pourquoi n’es-tu pas venue à table ce soir ? – Me-rrouin, répondit la chatte, me-rrouin… – Comment, me-rrouin ? Et pourquoi me-rrouin ? Est-ce une manière de parler ? – Me-rrouin, insista la chatte, me-rrouin… Il caressa tendrement à tâtons la longue échine plus douce qu’un pelage de lièvre, rencontra sous sa main les petites narines fraîches, dilatées par le ronronnement actif. « C’est ma chatte… Ma chatte a moi. » – Me-rrouin, disait tout bas la chatte. R… rrouin… Un nouvel appel de Camille vint de la maison, et Saha disparut sous une haie de fusains taillés, noirs-verts comme la nuit. – Alain !… On s’en va !… Il courut vers le perron, accueilli par le rire de Camille. |»|

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Veröffentlichungsjahr: 2024

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Table of Contents

1

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5

7

8

Série :Colette

|17| LA CHATTE

Ce roman fait suite à : |16| Sido

COLETTE

LA CHATTE

ROMAN

Paris, 1933

Raanan Éditeur

Livre 1223 | édition 1

raananediteur.com

1

Vers dix heures, les joueurs du poker familial donnaient des signes de lassitude. Camille luttait contre la fatigue comme on lutte à dix-neuf ans, c’est-à-dire que par sursauts elle redevenait fraîche et claire, puis elle bâillait derrière ses mains jointes et reparaissait pâle, le menton blanc, les joues un peu noires sous leur poudre teintée d’ocre, et deux petites larmes dans le coin des yeux.

– Camille, tu devrais aller te coucher !

– À dix heures, maman, à dix heures ! Qui est-ce qui se couche à dix heures ?

Elle en appelait du regard à son fiancé, vaincu au fond d’un fauteuil.

– Laissez-le, dit une autre voix de mère. Ils ont encore sept jours à s’attendre. Ils sont un peu bêtes en ce moment-ci, ça se conçoit.

– Justement. Une heure de plus ou de moins… Camille, tu devrais venir te coucher. Et nous aussi.

– Sept jours ! s’écria Camille. Mais nous sommes lundi ! Moi qui n’y pensais plus… Alain, viens, Alain !…

Elle jeta sa cigarette dans le jardin, en alluma une neuve, tria et battit les cartes du poker abandonné et les disposa cabalistiquement.

– Savoir si on l’aura, la voiture, le mignon roadster des enfants, avant la cérémonie !… Regarde, Alain. Je ne le lui fais pas dire ! Il sort avec le voyage, et avec la nouvelle importante…

– Qui ?

– Le roadster, voyons !

Alain tourna la tête, sans soulever la nuque, vers la porte-fenêtre béante d’où venait une douce odeur d’épinards et de foin frais, car on avait tondu les gazons dans la journée. Le chèvrefeuille, qui drapait un grand arbre mort, apportait aussi le miel de ses premières fleurs. Un tintement cristallin annonça que les sirops de dix heures et l’eau fraîche entraient, sur les bras tremblants du vieil Émile, et Camille se leva pour emplir les verres.

Elle servit son fiancé le dernier, lui offrit le gobelet embué avec un sourire d’entente. Elle le regarda boire et se troubla brusquement à cause de la bouche qui pressait les bords du verre. Mais il se sentait si fatigué qu’il refusa de participer à ce trouble, et il ne fit que serrer un peu les doigts blancs, les ongles rouges qui lui reprenaient le gobelet vide.

– Tu viens déjeuner demain ? lui demanda-t-elle à mi-voix.

– Demande-le aux cartes.

Camille recula, esquissa une mimique de clown :

– Pas charrier les Vingt–quatre heures ! Charrier couteaux en croix, charrier sous percés, charrier ciné parlant, Dieu le Père…

– Camille !

– Pardon, maman… Mais pas blaguer. Vingt-quatre heures ! Lui bon petit type, noir gentil messager rapide, valet de pique toujours pressé…

– Pressé de quoi ?

– Mais de parler, voyons ! Songe, il porte les nouvelles des vingt-quatre heures qui suivent et même des deux jours. Si tu l’accompagnes de deux cartes de plus à sa droite et à sa gauche, il prédit sur la semaine qui vient…

Elle parlait vite, en grattant d’un ongle aigu, aux coins de sa bouche, deux petites bavures de fard rouge. Alain l’écoutait sans ennui et sans indulgence. Il la connaissait depuis plusieurs années, et la cotait à son prix de jeune fille d’aujourd’hui. Il savait comme elle menait une voiture, un peu trop vite, un peu trop bien, l’œil à tout et dans sa bouche fleurie une grosse injure toute prête à l’adresse des taxis. Il savait qu’elle mentait sans rougir à la manière des enfants et des adolescents ; qu’elle était capable de tromper ses parents afin de rejoindre Alain, après le dîner, dans les « boîtes » où ils dansaient ensemble ; mais ils n’y buvaient que des jus d’orange parce qu’Alain n’aimait pas l’alcool.

Avant leurs fiançailles officielles, elle lui avait livré, au soleil et dans l’ombre, ses lèvres prudemment essuyées, ses seins, impersonnels et toujours prisonniers d’une double poche de tulle-dentelle, et de très belles jambes dans des bas sans défaut qu’elle achetait en cachette, des bas « comme Mistinguett, tu sais ? Attention à mes bas, Alain ! » Ses bas, ses jambes, voilà ce qu’elle avait de mieux…

« Elle est jolie », raisonnait Alain, « parce qu’aucun de ses traits n’est laid, qu’elle est régulièrement brune, et que le brillant de ses yeux s’accorde avec des cheveux propres, lavés souvent, gommés, et couleur de piano neuf… » Il n’ignorait pas non plus qu’elle pouvait être brusque, et inégale comme une rivière de montagne.

Elle parlait encore du roadster :

– Non, papa, non ! Pas question que je laisse le volant à Alain pendant notre traversée de la Suisse ! Il est trop distrait, – et puis au fond, il n’aime pas vraiment conduire, – je le connais, moi !

« Elle me connaît », répéta Alain en lui-même. « Peut-être qu’elle le croit. Moi aussi je lui ai dit vingt fois « Je te connais, ma fille ! » Saha aussi la connaît. Où est-elle, cette Saha ?

Il chercha des yeux la chatte et s’arracha de son fauteuil, épaule après épaule, et les reins ensuite, et enfin le séant, et descendit mollement les cinq marches du perron.

Le jardin, vaste, entouré de jardins, exhalait dans la nuit la grasse odeur des terres à fleurs, nourries, provoquées sans cesse à la fertilité.

Depuis la naissance d’Alain, la maison avait peu changé. « Une maison de fils unique », estimait Camille, qui ne cachait pas son dédain pour le toit en gâteau, pour les fenêtres du haut engagées dans l’ardoise, et pour certaines pâtisseries modestes, aux flancs des portes-fenêtres du rez-de-chaussée.

Le jardin, comme Camille, semblait mépriser la maison. De très grands arbres, d’où pleuvait la noire brindille calcinée qui choit de l’orme en son vieil âge, la défendaient du voisin et du passant. Un peu plus loin sur un terrain à vendre, dans les cours d’un lycée, on eût pu retrouver, égarés par paires, les mêmes vieux ormes, reliquats d’une quadruple et princière avenue, vestiges d’un parc que le nouveau Neuilly ravageait.

– Où es-tu, Alain ?

Camille l’appelait en haut du perron, mais par caprice il s’abstint de répondre et gagna des ténèbres plus sûres, en tâtant du pied le bord de la pelouse tondue. Au haut du ciel siégeait une lune voilée, agrandie par la brume des premières journées tièdes. Un seul arbre, un peuplier à jeunes feuilles vernissées, recueillait la clarté lunaire et dégouttait d’autant de lueurs qu’une cascade. Un reflet d’argent s’élança d’un massif, coula comme un poisson contre les jambes d’Alain.

– Ah ! te voilà, Saha ! Je te cherche. Pourquoi n’es-tu pas venue à table ce soir ?

– Me-rrouin, répondit la chatte, me-rrouin…

– Comment, me-rrouin ? Et pourquoi me-rrouin ? Est-ce une manière de parler ?

– Me-rrouin, insista la chatte, me-rrouin…

Il caressa tendrement à tâtons la longue échine plus douce qu’un pelage de lièvre, rencontra sous sa main les petites narines fraîches, dilatées par le ronronnement actif.

« C’est ma chatte… Ma chatte a moi. »

– Me-rrouin, disait tout bas la chatte. R… rrouin…

Un nouvel appel de Camille vint de la maison, et Saha disparut sous une haie de fusains taillés, noirs-verts comme la nuit.

– Alain !… On s’en va !…

Il courut vers le perron, accueilli par le rire de Camille.

– Je vois tes cheveux courir, criait-elle. C’est fou d’être blond à ce point-là !

Il courut plus vite, franchit d’un saut les cinq marches et trouva Camille seule dans le salon.

– Les autres ? demanda-t-il à mi-voix.

– Vestiaire, dit-elle sur le même ton. Vestiaire et visite des « travaux ». Désolation générale. « Ça n’avance pas ! Ça ne sera jamais fini. » Ce qu’on s’en fout, nous deux ! Si on était malins, on le garderait pour nous, le studio de Patrick. Patrick s’en refera un autre. Je m’en occupe, si tu veux ?

– Mais Patrick ne laissera le Quart-de-Brie que pour t’être agréable.

– Naturellement ! On en profitera !

Elle rayonnait d’une immoralité exclusivement féminine, à laquelle Alain ne s’habituait pas. Mais il ne la reprit que sur sa manière de dire « on » à la place de « nous » et elle crut à un reproche tendre.

– Ça me viendra assez vite, l’habitude de dire « nous »…

Pour qu’il eût envie de l’embrasser, elle éteignit comme par jeu le plafonnier. L’unique lampe, allumée sur une table, projeta derrière la jeune fille une ombre nette et longue.

Camille, les bras levés et noués en anses derrière sa nuque, l’appelait du regard. Mais il n’avait d’yeux que pour l’ombre. « Qu’elle est belle sur le mur ! Juste assez étirée, juste comme je l’aimerais… »

Il s’assit pour les comparer l’une à l’autre. Flattée, Camille se cambra, tendit ses seins, et fit la bayadère, mais l’ombre savait ce jeu-là mieux qu’elle. Dénouant ses mains, la jeune fille marcha, précédée de l’ombre exemplaire. Arrivée à la porte-fenêtre béante, l’ombre bondit de côté et s’enfuit dans le jardin, sur le cailloutis rosé d’une allée, étreignant au passage, de ses deux longs bras, le peuplier couvert de gouttes de lune… « C’est dommage… », soupira Alain. Il se reprocha mollement ensuite son inclination à aimer, en Camille, une forme perfectionnée ou immobile de Camille, cette ombre, par exemple, un portrait, ou le vif souvenir qu’elle lui laissait de certaines heures, de certaines robes…

– Qu’est-ce que tu as, ce soir ? Viens m’aider à mettre ma cape, au moins…

Il fut choqué de ce que sous-entendait cet « au moins » et aussi parce que Camille, en franchissant devant lui la porte qui menait au vestiaire et à l’office, avait haussé imperceptiblement les épaules. « Elle n’a pas besoin de hausser les épaules. La nature et l’habitude s’en chargent. Quand elle ne fait pas attention, son encolure la rend courtaude. Légèrement, légèrement courtaude. »

Dans le vestiaire, ils retrouvèrent la mère d’Alain, les parents de Camille, qui battaient la semelle, comme par le froid, sur le tapis de corde et y laissaient des empreintes couleur de neige sale.

La chatte, assise sur le rebord extérieur de la fenêtre, les regardait d’une manière inhospitalière, mais sans animosité. Alain imita sa patience et endura les manifestations du pessimisme rituel.

– Plus ça change…

– Ça n’a pour ainsi dire pas avancé depuis huit jours…

– Si vous voulez mon sentiment, ma chère amie, ce n’est pas quinze jours, c’est un mois – qu’est-ce que je dis, un mois ? – deux mois, pour que leur nid…

Au mot de « nid », Camille se jeta dans la paisible mêlée, si aigrement qu’Alain et Saha fermèrent les yeux.

– Mais puisque nous en avons pris notre parti ! Et même que ça nous amuse de loger chez Patrick ! Et que ça arrange très bien Patrick qui n’a pas le rond, – pas d’argent, pardon, maman… Nos valises, et hop ! en plein ciel, au neuvième ! N’est-ce pas, Alain ?

Il rouvrit les yeux, sourit dans le vague, et lui posa sur les épaules sa cape claire. Dans le miroir, en face d’eux, il reçut le regard de Camille, noir de reproche, qui ne l’attendrit pas. « Je ne l’ai pas embrassée sur la bouche pendant que nous étions seuls. Eh bien ! non, je ne l’ai pas embrassée sur la bouche, là ! Elle n’a pas eu son compte de baisers-sur-la-bouche aujourd’hui. Elle a eu celui de midi moins le quart dans une allée du Bois, celui de deux heures après le café, celui de six heures et demie dans le jardin ; alors il lui manque celui de ce soir. Eh bien ! elle n’a qu’à le marquer sur le compte, si elle n’est pas contente… Qu’est-ce que j’ai ? Je suis fou de sommeil. Cette vie est idiote ; nous nous voyons mal et beaucoup trop. Lundi j’irai tout bonnement au magasin, et… »

L’acidité chimique des pièces de soie neuve lui monta imaginairement aux narines. Mais le sourire impénétrable de M. Veuillet lui apparut comme en songe, et comme en songe il entendit des paroles qu’il n’avait pas encore appris, à vingt-quatre ans, à ne pas redouter : « Non, non, jeune ami, une nouvelle machine-comptable, qui coûte dix-sept mille francs, amortira-t-elle son prix de revient dans l’année ? Tout est là. Permettez au plus ancien collaborateur de votre pauvre père… » Et retrouvant dans le miroir l’image vindicative, les beaux yeux noirs qui l’épiaient, il enveloppa Camille de ses deux bras.

– Eh bien, Alain ?

– Oh ! ma chère, laissez-le ! Ces pauvres enfants…

Camille rougit et se dégagea, puis elle tendit sa joue à Alain avec une grâce si garçonnière et si fraternelle qu’il faillit se réfugier sur son épaule : « Me coucher, dormir… Oh ! bon Dieu, me coucher, dormir… »

Du jardin vint la voix de la chatte :

– Me-rrouin… Rrr-rrrouin.

– Écoute la chatte ! Elle doit être en chasse, dit sereinement Camille. Saha ! Saha !

La chatte se tut.