La Femme cachée - Colette - E-Book

La Femme cachée E-Book

Colette

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Beschreibung

La Femme cachée est un recueil d’histoires courtes de Colette, paru en 1924. Le recueil, qui emprunte son titre à la première nouvelle, se compose de vingt-deux courtes histoires. Nombre d'entre elles ont pour héroïnes des femmes à la recherche de leur identité. Au bal de l'Opéra, un mari reconnaît sa femme qui avait refusé de l'y accompagner: cachée par son déguisement, celle-ci adopte une attitude de libre et provocante séduction dont il ne l'aurait jamais imaginée capable («la Femme cachée»). Une péripétie à première vue anodine peut prendre la dimension d'une véritable révélation. Dans «la Main», une jeune femme découvre soudain le caractère «monstrueux» de la main de l'homme qui dort auprès d'elle. Mme de La Hournerie ne peut, en dépit de sa morgue aristocratique, supporter le regard désapprobateur qu'un jeune domestique porte sur sa nouvelle coiffure («le Juge»). Lors d'un dîner, Alice et son mari rencontrent par hasard la précédente épouse de ce dernier: sidérée par l'indifférence de cette belle femme, Alice se rend compte tout à coup que son mari n'est pas pour tout le monde un être précieux et exceptionnel («l'Autre Femme»). Irène, restée seule après avoir montré à ses amies le bel appartement qu'elle vient d'acquérir, mesure l'ampleur de sa solitude et le vide de son existence («la Trouvaille»). La difficulté d'aimer, l'infidélité ou la douleur causée par une rupture constituent en outre le thème de plusieurs récits («l'Aube», «Un soir», «l'Impasse»)... Liste des nouvelles La femme cachée-L’aube-Un soir-La main_L’impasse-Le renard-Le juge-L’omelette-L’autre femme-Monsieur Maurice-Le cambrioleur-Le conseil-L’assassin-Le portrait-Le paysage-Demi-fous-Secrets-« Châ »-Le bracelet-La trouvaille-Jeux de miroirs-L’habitude.

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Veröffentlichungsjahr: 2024

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Table of Contents

La Femme cachée

L’Aube

Un soir

La main

L’impasse

Le renard

Le juge

L’omelette

L’autre femme

Monsieur Maurice

Le cambrioleur

Le conseil

L’assassin

Le portrait

Le paysage

Demi-fous

Secrets

« Cha »

Le bracelet

La trouvaille

Jeux de miroirs

L’habitude

Série :Colette

|20| LA FEMME CACHÉE

Ce roman fait suite à : |19| Julie de Carneilhan

COLETTE

LA FEMME CACHÉE

RECUEIL D’HISTOIRESCOURTES

Paris, 1924

Raanan Éditeur

Livre 1226 | édition 1

raananediteur.com

Liste des nouvelles

La femme cachée

L’aube

Un soir

La main

L’impasse

Le renard

Le juge

L’omelette

L’autre femme

Monsieur Maurice

Le cambrioleur

Le conseil

L’assassin

Le portrait

Le paysage

Demi-fous

Secrets

« Châ »

Le bracelet

La trouvaille

Jeux de miroirs

L’habitude

La Femme cachée

Il regardait depuis longtemps le remous des masques devant lui, souffrant vaguement du mélange de leurs couleurs et du synchronisme de deux orchestres, trop voisins. Sa cagoule lui étreignait les tempes ; une douleur nerveuse naissait à la racine du nez. Mais il savourait, sans impatience, un état de malaise et de plaisir qui autorisait la fuite insensible des heures. Il avait erré dans tous les couloirs de l’Opéra, bu la poussière argentée du parquet de danse, reconnu des amis ennuyés et noué à son cou les bras indifférents d’une fille très grasse, déguisée comme par humour en sylphide. Embarrassé de son domino, trébuchant à la manière des hommes enjuponnés, ce médecin en cagoule n’osait pourtant retirer ni domino, ni capuchon, à cause de son mensonge de collégien

– Je passerai la nuit prochaine à Nogent, avait-il dit à sa femme, la veille. On vient de me téléphoner, et j’ai bien peur que ma cliente, tu sais, la pauvre vieille dame... J’avais une envie enfantine de ce bal, figure-toi. C’est ridicule, n’est-ce pas, un homme de mon âge qui n’est jamais allé au bal de l’Opéra ?

– Très, mon chéri, très ridicule ! Si je l’avais su, je ne t’aurais peut-être pas épousé...

Elle riait, et il admirait son étroite figure, rose, mate et allongée comme une dragée fine.

– Tu... tu ne veux pas y aller, toi, au bal vert et violet ? Même sans moi, si ça t’amuse, chérie...

Elle avait frémi d’un de ces longs frissons dégoûtés dont tremblaient ses cheveux, ses mains délicates, sa gorge dans sa robe blanche, à la vue d’une limace ou d’un passant très sale :

– Oh ! moi... Tu me vois dans une foule, et livrée à toutes ces mains... Qu’est-ce que tu veux, je ne suis pas bégueule, je suis... je suis hérissée ! Il n’y a rien à y faire !

Accoté à la balustrade de la loggia, au-dessus du grand escalier, il songeait à cette biche frémissante, en contemplant devant lui, sur le dos nu d’une sultane, l’étreinte de deux mains énormes, carrées, onglées de noir. Jaillies des manches passementées d’un seigneur vénitien, elles creusaient la blanche chair féminine comme une pâte... Parce qu’il songeait à elle, il tressaillit vivement d’entendre, à côté de lui, un petit « ha-ham »,un toussotement familier à sa femme... Il se détourna et vit, assis en amazone sur la balustrade, un long et impénétrable travesti, Pierrot par la souquenille à vastes manches, le flottant pantalon, le serre-tête, le blanc de plâtre qui enduisait le peu de peau visible au-delà du masque barbu de dentelle. L’étoffe fluide du costume et du serre-tête, tissée de violet sombre et d’argent, brillait comme l’anguille marine qu’on pêche, la nuit, au croc de fer, dans les barques à fanal de résine. Saisi d’étonnement, il attendit le retour du petit « ha-ham » qui ne revint pas. Le Pierrot-anguille, assis, insouciant, battait d’un talon pendant les balustres de marbre, et ne montrait de lui que deux souliers de satin, une main gantée de noir, pliée sur une hanche. Les deux fentes obliques du loup, soigneusement grillagées de tulle, ne laissaient passer qu’un feu étouffé d’une couleur indistincte.

Il faillit appeler :

– Irène !...

Et se retint, se souvenant de son propre mensonge. Malhabile aux comédies, il renonça aussi à déguiser sa voix. Le Pierrot se gratta la cuisse, d’un mouvement libre et populacier, et le mari inquiet respira.

– Ah !... Ce n’est pas elle.

Mais le Pierrot tira d’une poche une boîte d’or plate, l’ouvrit pour y prendre un bâton de rouge, et le mari inquiet reconnut une tabatière ancienne, ornée d’un miroir intérieur, le dernier cadeau d’anniversaire... Il posa, d’un geste si brusque et si involontairement théâtral, sa main gauche sur la région douloureuse du cœur, que le Pierrot-anguille l’aperçut.

– C’est une déclaration, Domino violet ?

Il ne répondit pas, à demi étouffé de surprise, d’attente, de mauvais rêve et écouta un long moment la voix à peine déguisée – la voix de sa femme. L’Anguille le regardait, cavalièrement assise, la tête penchée comme un oiseau ; elle haussa les épaules, sauta à terre et s’éloigna. Son mouvement libéra le mari inquiet, qui, rendu à une jalousie active et normale, recommença de penser, et se leva sans précipitation pour suivre sa femme.

– Elle est ici pour quelqu’un, avec quelqu’un. Dans moins d’une heure, je saurai tout.

Cent cagoules, violettes ou vertes, lui garantissaient qu’il ne serait ni remarqué ni reconnu. Irène marcha devant lui, nonchalante, il s’étonna de constater qu’elle roulait mollement des hanches et traînait un peu les pieds comme si elle portait des babouches. Un byzantin, d’émeraude et d’or brodé, la saisit au passage, et elle plia, amincie, dans ses bras, comme si l’étreinte allait la couper en deux. Le mari fit quelques pas en courant, et atteignit le couple au moment où Irène criait flatteusement :

– Grande brute !...

Elle s’éloigna, du même pas veule et tranquille, s’arrêtant souvent, musant aux portes des loges ouvertes, ne se retournant presque jamais. Elle hésita au pied d’un escalier, bifurqua, revint vers l’entrée des fauteuils d’orchestre, s’inséra dans un groupe bruyant et serré avec une adresse glissante, avec le mouvement juste d’une lame qui remplit son étui. Dix bras l’emprisonnèrent, un lutteur presque nu la plaqua durement contre le rebord des loges du rez-de-chaussée et l’y retint. Elle cédait sous le poids de l’homme nu, renversait la tête pour un rire que les autres rires couvraient, et l’homme à la cagoule violette vit briller ses dents sous la barbe du loup. Puis elle s’échappa facilement et s’assit sur les degrés qui conduisaient au parquet de danse. Debout derrière elle, à deux pas, son mari la regardait. Elle rajusta son masque, sa souquenille froissée, resserra l’enroulement du serre-tête. Elle semblait aussi tranquille que si elle eût été seule, et repartit après quelques minutes de repos. Elle descendit, mit ses bras sur les épaules d’un guerrier qui la priait, sans paroles, de danser, et dansa, collée à lui.

« C’est lui »,se dit le mari.

Mais elle ne dit pas un mot au danseur bardé defer et de peau moite, et le quitta paisiblement, après la danse. Elle s’en fut boire une coupe de champagne au buffet, une seconde coupe, paya, assista immobile et curieuse à un commencement de rixe entre deux hommes, parmi des femmes hurlantes. Elle s’amusa aussi à poser ses petites mains sataniques, toutes noires, sur la gorge blanche d’une hollandaise coiffée d’or, qui cria nerveusement.

Enfin l’homme inquiet qui la suivait la vit s’arrêter, comme heurtée au passage, contre un jeune homme qui affalé sur une banquette, hors de souffle, s’éventait de son masque. Elle se pencha, prit dédaigneusement par le menton un beau visage brutal et frais, et baisa une bouche haletante, entrouverte...

Mais son mari, au lieu de s’élancer et d’arracher l’une à l’autre les deux bouches jointes, s’effaça dans la foule. Consterné, il ne craignait plus, il n’espérait plus la trahison. Il était sûr à présent qu’Irène ne connaissait pas l’adolescent, ivre de danse, qu’elle embrassait, ni l’hercule, il était sûr qu’elle n’attendait ni ne cherchait personne et qu’abandonnant comme un raisin vide les lèvres qu’elle tenait sous les siennes, elle allait repartir l’instant d’après, errer encore, cueillir quelque autre passant, l’oublier, et goûter seulement, jusqu’à l’heure de se sentir lasse et de rentrer chez elle, le monstrueux plaisir d’être seule, libre, véridique dans sa brutalité native, d’être l’inconnue, à jamais solitaire et sans vergogne, qu’un petit masque et un costume hermétique ont rendue à sa solitude irrémédiable et à sa déshonnête innocence.