La Saga des Limousins - Tome 3 - Yves Aubard - E-Book

La Saga des Limousins - Tome 3 E-Book

Yves Aubard

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Beschreibung

Troisième tome de la Saga des Limousins, Les Grands voyages se déroule entre les années 1005 et 1010.

Jean va découvrir l’école de médecine de Salerne, il y sera tout d’abord heureux et y bénéficiera d’un enseignement de la médecine unique en son genre. Il rencontrera en Italie deux femmes qui lui feront quelque peu oublier Anne. Malheureusement les meilleures choses ont une fin et il y connaîtra également la prison. Il faudra que les Châlusiens s’en mêlent pour ramener le médecin de Salerne en Limousin.
Les affaires de cœur des deux fils de Lou s’arrangeront et ils épouseront les élues de leur cœur en un beau mariage à Limoges. Cependant les Vikings vont se mêler des aventures de nos héros, enlevant Emma, Mathilde et Isabelle.
Mais Lou et ses fils ne sont pas sans ressource devant ce coup du sort, ils vont entreprendre un grand voyage jusqu’au bout du monde connu et au mythique Vinland pour retrouver les Limousines.
Au cours de cette épopée, Jean aura l’occasion de montrer son génie en réalisant une opération jamais tentée sur sa propre épouse et Isabelle trouvera l’homme de ses rêves.
C’est ainsi que Lou et Mathilde vont voir naître leurs premiers petits- enfants .

Une grande aventure basée sur des faits réels pour plonger dans la France et l’Aquitaine au cœur du Moyen Âge !

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

À propos du tome 1

Yves Aubard ne s'attarde pas sur la noirceur des malveillants, ne laisse pas d'images cauchemardesques qui vont plomber le sommeil. Non, il entraîne le lecteur derrière des héros formidables dont on peut craindre un faux pas à chaque ligne mais qui se relèvent toujours, héros de l'ordinaire et de l'extraordinaire. -  Hélène Bessuges, La Montagne

EXTRAIT

Jean, Eudes, Étienne et leur escorte de quatre hommes partirent pour Salerne au début de l’année 1005. Ils avaient décidé de reprendre la même route que lors de leur voyage à Rome avec Guy et Lou deux ans plus tôt, mais Jean ne souhaitait pas passer par la ville éternelle. En effet le nouveau pape, Jean XVIII, élu depuis deux ans, était issu du parti des Crescentius et donc opposé à tout ce qui pouvait rappeler le pontificat de Sylvestre.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Yves Aubard est professeur de gynécologie, mais aussi auteur de La Saga des Limousins, un roman historique médiéval. Sa rencontre avec les organisateurs des fêtes de Bridiers a donné lieu à la rédaction d’un nouveau roman historique, qui servira de fil conducteur au spectacle de l’année 2017, commémorant le millénaire du monastère de La Souterraine.

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RÉSUMÉ DES LIVRES PRÉCÉDENTS

En l’an 968, sous le règne du roi Lothaire, Tristan, le forgeron du village de Châlus en Limousin, trouve en forêt un enfant abandonné âgé de deux ans environ, qu’il fait baptiser du nom de Lou par Ignace le curé du village. Lou grandit dans le foyer de Tristan et Gilberte son épouse, et son père l’initie aux mystères du travail des métaux. Devenu un forgeron réputé, Lou épouse Mathilde, jeune guérisseuse du village. Lou et Mathilde auront trois enfants, Eudes, Jean et Isabelle. Mathilde est amenée à assister Emma, l’épouse de Guy, le vicomte de Limoges, pour l’accouchement de son second enfant. Les choses se passent bien et pour remercier les jeunes Châlusiens, Guy invite Lou à une chasse au sanglier. Lors de cette chasse, Lou sauve Guy chargé par l’animal et il démasque un complot contre le vicomte. Ce dernier l’anoblit pour le remercier et lui confie le fief de Châlus avec mission de le fortifier.

Les Périgourdins ravagent Courbefy et assiègent Lou dans son fief sans succès. Les Limousins décident de mener campagne en Périgord pour punir de cette attaque Boson le Bel, le fils aîné du vieux comte du Périgord, qui a emprisonné son père et usurpé son titre. Les Limousins préparent leur campagne et construisent des machines de siège, dont Jean et Eudes, les enfants de Lou, ont imaginé les plans.

Boson s’est réfugié dans le château de Commarque, au Sud de ses terres. Après encore bien des péripéties, les Limousins parviennent à pénétrer dans la place. Boson II, le vieux comte du Périgord, est libéré et restitué dans ses prérogatives. Tandis que Lou rejoint sa famille en son fief de Châlus, le vicomte de Limoges fait un retour triomphal sur ses terres.

En cette fin d’année 999, Groux, le sorcier du village de Châlus, prêche sur son tonneau que la fin du monde est pour bientôt, mille ans après la naissance du Christ. Lou décide de prendre les avis de l’évêque de Limoges, de l’abbé de Saint-Martial et de Guy qui ne sont certains de rien. Finalement, la nuit du Nouvel An se passe bien et le 1er janvier de l’an Mil, aucune trace d’apocalypse n’est en vue.

Hildeburgue, la guérisseuse de Châlus, n’est plus toute jeune et elle présente ces derniers temps une grande faiblesse qui la confine le plus souvent au lit. Un soir elle fait un malaise qui la laisse presque morte, Jean parvient à endiguer le mal en lui faisant une saignée. Hildeburgue revient à elle le temps de conseiller à Mathilde d’envoyer Jean étudier la médecine à Salerne, mais elle meurt le lendemain.

Lou et Guy, ainsi que leur famille, se rendent à Brantôme au mariage de Will et Jeanne. En route ils sont attaqués par une bande de Vikings que les jeunes (Eudes, Adémar et Jean) mettent en déroute. Le chef des Vikings, qui est resté caché dans les sous-bois, tombe sous le charme d’Emma. Au mariage de Will, Grimoald l’évêque d’Angoulême, dérobe les présents faits aux mariés et accuse Simon de Ventadour, un troubadour, d’avoir commis le larcin. Grimoald est démasqué par Lou et ses fils et il est emmené prisonnier à Limoges. Guy en appelle au duc d’Aquitaine pour juger Grimoald, mais Alduin, l’évêque de Limoges, préconise de prendre l’avis du pape Sylvestre.

Vers la même période, Hugues de Cargilesse tente de prendre le château de Brosse qu’il possédait pour moitié avec Géraud, le jeune frère de Guy. Géraud et Adémar le chassent de Brosse, mais Hugues revient bientôt avec Guillaume d’Angoulême pour assiéger les Limousins. Guy envoie Lou et son fils Eudes à leur secours. Lou met en déroute les assiégeants parmi lesquels il retrouve son vieil ami Robert la Pogne. Cependant Adémar se fait prendre par Hugues de Cargilesse et Lou est obligé de rendre la forteresse de Brosse. Il laisse néanmoins Eudes caché dans les caves du château et ce dernier permettra aux Limousins de reprendre la place par la ruse. Hugues, amputé d’une main lors de son affrontement avec Eudes, parvient néanmoins à se réfugier dans la moitié du château qui lui appartenait avant le conflit. Jean invente une aiguille aimantée qui permet de creuser un tunnel dans une direction précise sous la muraille d’Hugues ; grâce à cela les Limousins surprennent la garnison d’Hugues et reprennent la totalité du château. Hugues va se plaindre à Guillaume d’Aquitaine qui l’éconduit, il tente alors d’assassiner Lou et Guy en pleine nuit, dans une auberge de Poitiers. Les Limousins ne se laissent pas surprendre et Lou tue Hugues lors de ce guet-apens.

Lou et toute sa famille accompagnent Guy qui va à Rome, emmenant Grimoald prisonnier pour obtenir l’avis du pape dans l’affaire du vol lors du mariage de Will. Sylvestre ordonne la libération de l’évêque et la restitution de l’abbaye de Brantôme. Isabelle fait préciser au Pape que Grimoald doit être remis au bras séculier pour le vol qu’il avait commis. Sylvestre propose à Jean de devenir l’un de ses élèves, Jean accepte et reste à Rome tandis que les autres Limousins rentrent en France.

À Rome Jean fait la connaissance des autres « escoliers » du pape, Théophylacte de Tusculum, Avicenne et Anne. Il se lie d’amitié avec Avicenne qui lui montre les erreurs de Galien en disséquant en cachette un cadavre humain. Il tombe amoureux d’Anne.

Pendant ce temps-là à Brantôme le bras séculier s’abat sur les fesses de Grimoald sur lesquelles Simon de Ventadour grave au fer rouge le mot « voleur ».

Foulques Nerra, le Comte d’Anjou, de retour de pèlerinage, se présente à Guy pour demander la main de sa fille Hermine. Eudes et la fille de Guy découvrent qu’ils sont amoureux l’un de l’autre et sont fort attristés à l’idée de ce mariage. C’est la période que choisit Jean pour rentrer de Rome en compagnie d’Anne. Le Pape Sylvestre est mort et ils sont en danger dans la ville éternelle où la famille Crescentius pourchasse les anciens alliés de Sylvestre et ses élèves.

Foulques Nerra invite dans sa ville d’Angers les Limousins pour son mariage avec Hermine. Il a organisé un grand tournoi pour fêter l’événement. Au cours des joutes les Angevins tentent d’anéantir les Limousins, il y a des morts et des blessés. Guy lui-même est touché à l’aine et il n’évite l’amputation de jambe que grâce à Jean qui réussit à suturer l’artère endommagée. Eudes et Lou, fous de colère, éliminent du tournoi les derniers opposants et battent finalement Lisois d’Amboise et Foulques, les deux derniers Angevins en lice. Foulques tente de faire assassiner Lou et sa famille, tandis que Jean utilise les terreurs nocturnes du comte d’Anjou pour le faire renoncer à la main d’Hermine. Les Châlusiens échappent à l’incendie de leur résidence et après qu’Eudes et Lou aient fracassé le nez de Foulques et de Lisois, les Limousins regagnent leur terre.

Les deux fils de Lou ont des peines de cœur. Eudes et Hermine s’aiment mais un fils de seigneur ne peut demander la main de la fille d’un vicomte. Jean n’ose déclarer son amour à Anne qui se lasse et décide de quitter Limoges pour mettre ses talents d’interprète au service du duc d’Aquitaine. Jean est en pleine déprime après ce départ, il décide de partir lui aussi pour étudier la médecine à Salerne.

SALERNE

Jean, Eudes, Étienne et leur escorte de quatre hommes partirent pour Salerne au début de l’année 1005. Ils avaient décidé de reprendre la même route que lors de leur voyage à Rome avec Guy et Lou deux ans plus tôt, mais Jean ne souhaitait pas passer par la ville éternelle. En effet le nouveau pape, Jean XVIII, élu depuis deux ans, était issu du parti des Crescentius et donc opposé à tout ce qui pouvait rappeler le pontificat de Sylvestre.

Le voyage jusqu’en Italie dura cinq semaines et se fit sans encombre. Jean avait décidé de ne s’attarder ni à la table du vicomte de Turenne, ni à celle du comte de Toulouse, pour éviter de perdre du temps en des civilités qu’il n’avait pas le cœur de faire. Étienne fut assez déçu car rien ne lui plaisait tant qu’un bon repas agrémenté de quelques chants de troubadours, mais Jean était d’humeur maussade et n’avait pas la tête à la gaudriole, il fallut bien s’en accommoder.

Salerne se trouvait au Sud de Rome, au-delà de la baie de Naples, la route passait donc à proximité de la ville éternelle. Jean décida de faire un détour par la demeure des comtes de Tusculum, qui se trouvait en dehors de la ville, pour y saluer Théophylacte son ami et ancien camarade d’études. Théo reçut chaleureusement Jean et s’enquit de la manière dont il avait échappé aux persécutions de la famille Crescentius. Quand il lui demanda ce que devenait Anne, le visage de Jean s’assombrit. Le jeune Limousin expliqua qu’elle avait trouvé un emploi auprès du duc d’Aquitaine, sans entrer dans des détails qu’il lui était pénible d’évoquer.

Jean fit part de sa décision d’aller à Salerne et Théo estima l’idée fort bonne. Salerne était une école en pleine expansion, qui constituait un véritable havre de paix au milieu des vicissitudes du monde.

Théo raconta à Jean ce qu’il savait de cette école :

– Salerne ne fut au départ qu’une émanation de la célèbre abbaye du mont Cassin, berceau de l’ordre des Bénédictins, située entre Naples et Rome au sommet du mont Éponyme. On dit que l’idée de cette école est venue de quatre sages : le Juif Helinus, le Grec Pontus, l’Arabe Adela et le Latin Salernus. La vocation de l’école est de réunir le savoir médical universel, sans tenir compte des conflits entre les hommes, des races où des religions, au sein d’une institution laïque.

Jean avait entendu parler de tout cela, mais la description qu’en fit Théo, lui donna de grands espoirs. Était-il possible que des hommes aient pu être assez sages pour créer un tel lieu, dédié à la recherche de la connaissance et sourd à toutes les querelles du monde extérieur ? Il n’osait l’espérer.

– Le maître de l’école s’appelle Théodus, continua Théo, c’est un homme de grand savoir dit-on, il faut que tu te présentes à lui, il a le pouvoir d’accepter ou de refuser les élèves selon son bon vouloir et ses décisions sont irrévocables.

– Sur quels critères fait-il son opinion ? demanda Jean, un peu inquiet par ce Cerbère dont il ne connaissait pas l’existence.

– Nul ne le sait, mais il a l’œil infaillible pour distinguer le futur bon élève du mauvais. Si tu es accepté, tu seras nourri et logé à l’école.

– J’ai l’adresse d’une femme de Salerne qui pourrait me loger, dit Jean.

– Tu verras bien ce qui te conviendra le mieux, répondit Théo.

Jean et son escorte prirent congé de Théo et parcoururent en six jours les soixante lieues qui les séparaient de Salerne. Ils passèrent tout d’abord au pied du Mont Cassin et de son abbaye. C’est dans la bibliothèque de cette célèbre abbaye que les premiers médecins de Salerne vinrent chercher les livres qui furent à la base de leur travail de traductions et de commentaires. Jean et ses compagnons de route furent émus par la beauté de ce lieu illustre, fondé six siècles auparavant par saint Benoît, mais ils ne s’y attardèrent pas. Ils arrivèrent à Naples, grande ville pelotonnée au pied du Vésuve, avec ses plages de sable noir et ultime étape avant Salerne, qu’ils rejoignirent enfin le surlendemain.

Salerne était une petite citée, calme par rapport à la ville grande et bruyante de Naples. Le golfe de Salerne était néanmoins d’une beauté frappante, la ville était en bordure d’une mer d’un bleu quasi irréel, où s’avançait la presqu’île de Sorrente et au bout de laquelle l’île de Capri sortait des flots comme un diamant de son écrin.

Ils n’eurent pas de difficulté pour trouver la maison de la tante du Vénitien de Limoges. La dame Iliana était très connue à Salerne et on leur indiqua sa demeure dès la première taverne du village. Iliana avait été informée de la venue des Limousins par un courrier de son neveu. La dame était la veuve d’un riche négociant en vin qui avait péri en luttant contre les Sarrazins, lors d’un de leurs nombreux raids dans la région. N’ayant pas eu d’enfant de ce mariage, elle avait atteint un âge respectable, qu’il eut été fort impoli de lui demander. Enfin, ultime avantage, elle parlait très correctement le français.

Elle fit un accueil chaleureux aux Limousins, heureuse de voir un peu d’animation dans sa grande maison. Elle proposa de les héberger tous pendant leur séjour. Jean se fit expliquer où se trouvait la célèbre école. En fait il n’aurait pas eu besoin de chercher bien longtemps, car la cité comptait peu de grands édifices, hormis la cathédrale et le château des princes de Salerne, il n’existait que deux lieux d’importance. Le premier était l’école elle-même, le second l’hôpital de l’école. Jean trouva judicieuse cette disposition où le savoir théorique pouvait être confronté immédiatement à l’expérience pratique auprès des malades.

Les Limousins furent heureux de pouvoir se reposer de leur long voyage et Jean décida d’attendre le lendemain pour se présenter à Théodus. Après un bon repas, préparé avec application par Iliana, les voyageurs se sentirent tous revigorés et de fort bonne humeur car, comme le disait Jean, « le moral et le gastre devaient être activés par le même nerf ».

– Si tu t’installes ici, dit Eudes à son frère et si tu y manges régulièrement, nous allons te retrouver gras comme un moinillon, tant cette Iliana a du talent pour accommoder les mets.

– Je pense qu’il vaudra mieux que je fréquente la cantine de l’école pour éviter cela, répondit Jean.

– Nous attendrons de savoir si Théodus t’accepte avant de repartir, reprit l’ainé.

– J’espère que je ne vous ai pas fait faire ce voyage pour rien, dit Jean le front soucieux.

Tôt le lendemain matin, le jeune Châlusien frappa à la grande porte de l’école. Une femme entre deux âges vint lui ouvrir. Manifestement on ne craignait pas les brigands dans ce lieu, aucun homme d’armes ne défendait l’entrée. La femme demanda en Italien quelque chose que Jean ne comprit pas. Si seulement Anne était là ! ne put-il s’empêcher de penser.

– Je voudrais rencontrer Théodus, tenta-t-il dans sa langue.

– Et que lui voulez-vous ? répondit la femme dans un Français très correct.

– Je voudrais étudier dans son école, dit simplement Jean.

– Beaucoup le veulent mais peu y sont admis, reprit la femme, je vais voir s’il peut vous recevoir, qui dois-je annoncer ?

– Jean de Châlus, répondit le jeune homme en se disant que Théodus ne serait pas plus avancé en entendant son nom.

La femme s’éclipsa, laissant Jean sur le pas de la porte. Elle revint cinq minutes plus tard, qui parurent une éternité au jeune Limousin.

– Théodus demande si vous êtes Jean le Sceptique ?

– C’est comme ça que le Pape Sylvestre m’avait baptisé en effet, répondit Jean, étonné de la question.

– Alors suivez-moi, Théodus va vous recevoir, dit la gardienne des lieux.

La femme conduisit Jean à travers le bâtiment, qui était très grand. Ils ne croisèrent personne sur leur chemin et ils arrivèrent bientôt devant une porte close à laquelle la femme toqua.

– Entrez, fit une voix à l’intérieur.

La femme poussa la porte et présenta Jean comme étant bien le fameux « sceptique ». L’homme qui se trouvait là devait avoir une cinquantaine d’années, il était encore robuste, seuls ses cheveux entièrement blancs trahissaient son âge. Il était vêtu très simplement de braies et d’une tunique resserrée à la taille par une ceinture. Pas un bijou, pas la moindre parure pour agrémenter ce simple appareil. Les yeux de l’homme semblaient transpercer Jean jusqu’au fond de son âme et le mirent mal à l’aise.

– Ainsi tu as été l’élève de Sylvestre ? demanda Théodus.

– J’ai eu ce grand honneur effectivement, dit Jean que la simple évocation de son maître remplissait toujours d’émotion.

– On dirait que le souvenir de Sylvestre t’émeut, reprit Théodus qui semblait lire les pensées du jeune Limousin.

– Oui, j’avoue que je pleure encore mon cher maître, confessa Jean.

– L’affection de l’élève pour son maître prouve sa grandeur d’âme, dit Théodus, et pour ne rien te cacher, moi aussi je pense toujours avec grande tristesse au décès de Sylvestre, Pape éclairé s’il en fut !

L’homme observa un instant de silence, comme s’il se remémorait le grand souverain pontife disparu.

– Je savais que tu devais venir à Salerne, reprit-il.

Jean en fut très étonné.

– Puis-je vous demander comment vous saviez cela ?

– Un de tes amis m’a prévenu de ta venue, il y a trois ans.

Jean ne voyait pas quel ami avait pu savoir qu’il irait un jour à Salerne et le dire au maître de l’école, à moins que Sylvestre lui-même n’ait informé Théodus. Le pape lui avait dit qu’il connaissait bien le directeur de l’école.

– Non ce n’est pas Sylvestre, poursuivit Théodus qui continuait à lire dans Jean comme dans son bréviaire, il s’agit d’Avicenne.

Mais bien sûr ! se dit Jean, Ali en quittant précipitamment Rome, ne pouvait omettre de passer par Salerne.

– Nous l’appelions Ali à Rome et effectivement j’ai eu l’immense honneur de me lier d’amitié avec ce grand esprit.

– Il semble qu’Avicenne te retournait bien cette amitié, il est resté trois mois dans notre école où il fut un enseignant bien plus qu’un élève. Mais il m’a vanté tes mérites, il m’a notamment expliqué que tu aurais des choses intéressantes à me dire sur le mal des Ardents.

– Vous a-t-il exposé ma théorie ?

– Non, Avicenne est bien trop honnête pour s’attribuer, ne serait-ce qu’en en parlant, la découverte d’un autre. Il m’a dit que tu expliquerais les choses le moment venu.

– Si j’ai le bonheur d’entrer dans votre école, je me ferai un plaisir de vous expliquer ma théorie.

– Tu auras ce plaisir car tu vas rentrer dans l’école, dit Théodus qui semblait avoir pris sa décision depuis longtemps, avant même d’avoir rencontré Jean.

– Merci, dit le Châlusien, le visage rayonnant d’un bonheur qu’il n’avait pas éprouvé depuis de longues semaines

– Ne te réjouis pas trop tôt, tu vas vite comprendre que la vie ici n’est pas de tout repos. Nous nous levons à six heures, le premier enseignement est celui de médecine. Puis il y a le cours de chirurgie et enfin la leçon de philosophie de la médecine. Le repas est pris chaque jour à mi-journée et en début d’après-midi, tu seras attendu à l’hôpital auprès des malades. En fin d’après-midi, tu auras un enseignement de pharmacie et botanique des plantes médicinales. Le dîner est servi et ensuite, trois soirs par semaine, les étudiants font une leçon sur un sujet donné par les maîtres. Ils doivent rassembler toutes les connaissances des anciens écrits et en faire une synthèse. La première leçon que tu nous feras aura pour titre « des causes du mal des Ardents ».

Jean se dit que vu l’emploi du temps annoncé par Théodus, il n’aurait guère le loisir de penser à autre chose qu’à la médecine, ce qui lui convenait fort bien.

– Ou vaut-il mieux que je loge ? demanda-t-il.

– La plupart des étudiants sont hébergés dans l’enceinte de l’école, c’est plus pratique pour tout. Mais certains vivent en ville, parfois avec femme et enfants, à toi de décider ce qui te conviendra le mieux. Combien de temps comptes-tu rester dans notre école ?

La question prit un peu Jean au dépourvu.

– Le temps qu’il faudra pour que je devienne un bon médecin, dit-il.

– Pour certains cela prend des années, pour d’autres cela n’arrive jamais, es-tu prêt à cette éventualité ?

– Je suis prêt à tout, dit Jean, du moment que j’apprends et que je progresse dans l’art.

– Fort bien jeune homme, présente-toi à l’école demain matin un peu avant l’aube pour ta première leçon de médecine.

Jean prit congé de Théodus et s’en retourna chez Iliana retrouver ses compagnons de voyage.

– Je suis accepté à l’école de Salerne, annonça-t-il à la compagnie, non sans une certaine fierté.

– Encore heureux, dit Étienne, du diable s’ils ne t’embauchent pas directement comme maître, savant comme tu l’es !

– Tu vas un peu vite en besogne, répondit Jean, les Magisters de Salerne ont tout à m’apprendre et devant eux je ne suis qu’un ignorant.

– Si toi tu es ignorant, alors moi je suis le grand sénéchal de France, dit Étienne qui ne voulait pas démordre de ses positions.

– Vas-tu loger ici ? demanda Eudes.

– Je pense que oui, si le loyer n’est pas trop cher, nous sommes à deux pas de l’école et le changement d’air me fera sûrement du bien car les occupations de la journée seront fort denses.

– Je pense qu’Iliana te demandera très peu, dit Eudes, nous avons discuté avec elle. La dame est tellement heureuse de s’occuper d’un jeunot comme toi, elle qui n’a pas eu d’enfant, qu’elle paierait presque pour que tu restes.

– C’est heureux car j’aurai peu de moyens, on ne vit ici que des oboles des riches patients qui viennent se faire soigner en ce lieu réputé.

– Il faudra tâcher de ne les tuer qu’après qu’ils aient payé, intervint Étienne, qui avait une confiance des plus relatives en la médecine.

– Bien, conclut Eudes, nous repartirons dès demain pour le Limousin en même temps que toi vers ton école.

Iliana prépara un bon dîner pour tout le monde, chacun put ainsi aller se coucher la panse bien garnie.

Le lendemain matin, après avoir fait ses adieux à son frère et à ses compagnons de voyage, Jean se présenta à l’école. Il avait une certaine appréhension, il entrait dans un monde nouveau pour lui. La femme qui faisait office de Cerbère le conduisit directement à la salle où avait lieu le cours de médecine. La pièce était grande, mais ce qui frappa le plus Jean, c’est la cacophonie qui y régnait. Une cinquantaine de personnes était là, discutant par petits groupes, et le jeune Limousin se dit qu’il avait devant lui la population de la tour de Babel. Tous les échantillons de la race humaine semblaient s’être donné rendez-vous en cet endroit. En premier lieu, il y avait beaucoup de femmes, ce qui surprit Jean qui s’attendait à voir une immense majorité d’hommes, or environ un tiers de l’assistance était féminine. Ensuite, les religions étaient également très hétérogènes. Certes la plupart des élèves semblaient d’authentiques Chrétiens, dont beaucoup de moines, mais les musulmans étaient également nombreux, reconnaissables à leurs turbans multicolores. Quelques Asiates discutaient entre eux, dont Jean douta qu’ils fussent Chrétiens. Par ailleurs, certains géants blonds sentaient fort le païen scandinave. Enfin les langues semblaient être également toutes représentées, si deux ou trois groupes s’exprimaient en français, les autres parlaient des dialectes que Jean ne put même pas identifier. Le grand brouhaha cessa soudain quand Théodus entra dans la pièce, accompagné d’un petit homme rondouillard, fortement dégarni et coiffé d’un chapeau plat.

– Prenez place, dit Théodus, en latin.

Des grands bancs étaient disposés de part et d’autre d’une allée centrale, donnant à la salle l’aspect d’une église. Tous les élèves s’installèrent, Jean s’assit vers le fond, à l’opposé de Théodus, à qui une place était réservée au premier rang. Le petit homme rondouillard alla se positionner derrière ce qui ressemblait à un hôtel et qui était en fait un pupitre, faisant face aux élèves.

– Comment s’appelle l’orateur ? demanda Jean à son voisin, un garçon dans ses âges qu’il avait entendu parler français.

Le jeune homme le regarda avec étonnement, puis s’apercevant qu’il était vraisemblablement nouveau, il répondit :

– C’est Aethon, le maître de médecine, on le surnomme Minimus Maximus où Mima pour faire plus court : petit par la taille, grand par l’esprit.

Le maître prit la parole en latin :

– Nous allons discourir aujourd’hui de la théorie des humeurs et plus particulièrement de l’humeur sanguine.

Sa voix était forte malgré sa petite taille et même Jean, depuis le dernier rang, n’eut aucune peine à l’entendre.

– Quelles sont les humeurs de l’organisme que vous connaissez ? continua Mima.

Plusieurs étudiants se levèrent.

Jean comprit que c’était la manière de signifier que l’on voulait répondre à la question, car le maître leur donna la parole chacun à leur tour. Tout le monde s’exprimait en Latin, qui semblait être le langage commun officiel de l’école.

– Le sang, le flegme, la bile jaune et la bile noire, dit le premier à qui Aethon donna la parole.

– Fort bien, ce sont là effectivement les quatre humeurs décrites par Hippocrate et entérinées par Galien, mais n’en a-t-on pas identifiées d’autres depuis quatorze siècles ? demanda le maître en donnant la parole à une élève qui s’était également levée.

– La semence, dit la jeune fille, qui selon le maître de Cos est secrétée par le cerveau chez l’homme et par la matrice chez la femme.

– C’est exact, dit Aethon, nous allons aujourd’hui commencer par le sang, la première humeur d’Hippocrate. Pouvez-vous me dire où est produit le sang ?

– Dans le foie si l’on en croit Galien, dit un homme au teint hâlé et qui portait un turban.

– Très bien, continua Aethon, et qui peut me dire comment circule le sang dans l’organisme ?

Personne ne se leva pour prendre la parole. Jean qui n’avait pas encore demandé à parler, voyant qu’aucun élève ne pouvait apporter de réponse à la question du maître, se dit qu’il connaissait au moins fort bien l’opinion de Galien sur ce sujet. Il avait passé des heures à étudier et dessiner pour bien comprendre, la circulation décrite par le maître de Pergame. Il se leva et Aethon lui donna la parole.

– Galien nous dit que le foie envoie le sang dans tout l’organisme par les deux veines caves.

– Fort exact, jeune homme dont je ne connais pas le nom, répondit Aethon

– Je suis Jean de Châlus, nouvel élève de l’école, dit le jeune Limousin en rougissant.

– Bien Jean de Châlus, peux-tu nous donner plus de précisions sur ces veines caves ?

– La veine cave supérieure va du ventre au thorax où elle se sépare en deux portions. L’une monte à la base du cou et se divise pour aller donner le sang aux deux bras. L’autre va vers les cavités droites du cœur desquelles le sang passe alors dans les cavités gauches du cœur.

Jean interrompit sa description, hésitant manifestement sur ce qu’il allait dire, puis reprit :

– Ce que je ne crois pas.

Un brouhaha s’installa dans la salle. Comment ce nouvel élève osait-il dire qu’il ne croyait pas une description de Galien ?

– Voilà un avis fort péremptoire jeune homme ! dit Aethon, qu’est-ce qui vous permet de mettre en doute la description du grand Galien ?

– Je crois qu’il n’existe pas de communication entre les cavités droites et gauches du cœur, c’est du moins l’opinion d’Avicenne.

– Je n’ai lu cela nulle part dans les écrits d’Avicenne, reprit Aethon.

– C’est que je le tiens de sa bouche même et qu’il ne l’a effectivement pas écrit, dit Jean très ennuyé par la tournure que prenait la conversation.

Il ne voulait pas avouer ici que son ami lui avait montré la chose lors d’une dissection de cadavre humain, il eut provoqué un scandale dès son premier jour d’arrivée à l’école.

Curieusement Aethon n’argumenta pas davantage et ne chercha pas à pousser Jean dans ses derniers retranchements. Il reprit la parole.

– Fort bien, notre nouvel élève met donc en doute la description du cheminement du sang faite par Galien. Je souhaite que vous réfléchissiez à cette question et que vous me fassiez des propositions pour expliquer les mouvements du sang dans l’organisme, cela fera l’objet d’une de nos séances nocturnes. Passons maintenant à une autre humeur, la semence que pouvez-vous m’en dire ?

Jean se rassit, estimant qu’il avait assez pris la parole pour aujourd’hui. Plusieurs élèves se levèrent.

– La semence des hommes est différente de la semence des femmes, dit un premier intervenant, chez l’homme elle est blanche et produite lors des coïts, tandis que chez la femme elle est rouge et sécrétée à chaque nouvelle lune.

– La semence de l’homme peut s’écouler de manière permanente en dehors du coït elle est alors associée à la « pisse brûlante », dit un autre élève.

Aethon n’intervenait plus, il se contentait de donner la parole aux différents élèves qui la sollicitaient, ce sujet inspirant manifestement plus l’assistance que les mouvements du sang. Jean apprit ainsi que les femmes n’étaient fécondes que quand leur semence ne s’écoulait pas, que si la semence de l’homme était produite par le cerveau, celle de la femme l’était par la matrice. Un élève qui était manifestement moine, si l’on s’en référait à sa robe de bure, précisa que l’Église interdisait à l’homme d’émettre sa semence en dehors d’un but de procréation et que la pratique de la masturbation et du coït interrompu, pour éviter la fécondation, était connue sous le nom de pécher d’Onan et devait être confessée. La question de la position de l’Église chrétienne sur le sujet fit débat, ce qui surprit beaucoup Jean. Il n’avait encore jamais vu un lieu où l’on discutait des positions de l’Église et où ses dogmes étaient remis en question tout autant que ceux des pères de la médecine.

Le cours se prolongea ainsi jusqu’à ce qu’Aethon reprenne la parole pour résumer ce qui avait été dit. Une élève se vit attribuer la tâche de décrire la circulation de la semence masculine du cerveau jusqu’à la verge lors d’une des séances nocturnes, comme les appelait le maître.

Le cours se termina avec le départ du maître et Théodus, prit la parole :

– Le cours de chirurgie se fera dans la salle Celsus.

Les étudiants sortirent et Jean, suivant le mouvement, en conclut que la salle Celsus se trouvait ailleurs. Une jeune fille s’approcha de lui, c’était celle qui avait été désignée pour la séance nocturne sur la semence de l’homme, elle lui parla en français :

– Ainsi tu connais Avicenne ? dit-elle

– Oui, je l’ai rencontré à Rome

– Donc juste avant qu’il ne vienne ici, je l’ai connu lors de son séjour à Salerne, nous fûmes bons amis.

Jean ne savait pas jusqu’où allait la notion de « bonne amitié » dans l’esprit de la jeune fille, son habit de novice et son air de parfaite sainte ne laissaient rien supposer de graveleux, bien qu’elle fut fort jolie.

– Ainsi tu es un nouvel élève, continua-t-elle, d’où viens-tu ?

– Du Limousin en Francie, dit Jean, et toi ?

– Je viens de Normandie et me nomme Béatrice, je suis fille bâtarde de Richard Sans Peur le duc de Normandie, je me destine aux ordres, bien que je n’aie pas encore prononcé mes vœux.

Jean ne fut pas étonné, de nombreux élèves étaient moines ou nones ou en passe de le devenir, la médecine passionnait beaucoup de clercs et de nombreux hôpitaux ou hospices étaient adossés à des monastères et tenus par des gens d’Église. Quant au fait d’être le bâtard d’un grand de ce monde, la chose était également fort courante. Cette progéniture illégitime n’avait pas les mêmes droits de succession que les enfants légitimes, mais selon les cas, ils étaient plus ou moins officiellement reconnus et bien traités. Les ducs de Normandie étaient réputés pour semer ainsi de nombreux bâtards sur leur terre, enfants qu’ils reconnaissaient souvent par la suite.

Jean et Béatrice, en suivant le groupe des élèves, arrivèrent dans une grande salle, toute aussi vaste que la précédente, mais qui était disposée différemment. Les bancs entouraient le centre de la pièce où était installée une grande table. Un homme était allongé sur cette table, recouvert d’un drap, il s’agissait semblait-il d’un patient. Debout au côté de ce patient se tenait un autre homme de grande taille, mais qui portait le même chapeau curieux qu’Aethon et que Jean identifia comme étant la coiffe des maîtres de l’école.

– C’est Etarus, le maître de chirurgie, on le surnomme maximus minimus ou Mami : grand par la taille, petit par l’esprit, expliqua Béatrice en s’asseyant aux côtés de Jean, sur un banc de la deuxième rangée.

Le maître attendit que les élèves soient assis pour prendre la parole.

– Je vais pratiquer devant vous aujourd’hui l’opération de la taille ou extraction de la pierre de vessie, quelqu’un peut-il me dire en quoi consiste cette célèbre intervention ?

– C’est l’extraction des cailloux de la vessie par incision du périnée, dit un élève.

– Voilà bien une définition incomplète, donnée par un esprit fort ignorant, répliqua Etarus avec colère, qui peut faire mieux ?

L’élève qui venait de répondre s’assit précipitamment, mortifié par les durs reproches du maître. Un autre téméraire se leva.

– Voyons ci celui-là sera plus éveillé, dit l’irascible enseignant.

– Il s’agit de l’incision paramédiane gauche du périnée, dit l’élève.

– Voilà qui est mieux, c’est curieux qu’il faille vous mettre à deux pour faire une cervelle entière, ironisa Etarus.

Le maître claqua des mains et quatre solides gaillards apparurent, venant se placer à chaque coin de la table, ils empoignèrent le patient par les bras et les jambes. Etarus, d’un geste théâtral, enleva le drap qui recouvrait l’homme, le jetant à terre. Le patient était totalement nu, les aides le mirent en position dite de la taille : couché sur le dos, les talons repliés sous les fesses, exposant ses parties génitales. L’homme se mit à parler en Italien, manifestement peu satisfait d’être exposé ainsi et fermement maintenu dans cette position fort impudique. Etarus, n’accordant aucun crédit aux récriminations du malade, leva l’index de sa main droite vers le plafond. Jean suivit la direction indiquée par ce doigt, pour voir s’il désignait quelque chose de précis vers le haut de la pièce ou vers les cieux. Ne voyant rien, il ramena son regard sur l’index, qui décrivit un arc de cercle et vint s’enfoncer profondément dans l’anus du patient. Ce dernier poussa un grand cri de surprise et de douleur. Etarus annonça d’une voix magistrale.

– Le premier temps consiste à palper la pierre de vessie à travers le rectum et à la pousser vers le périnée du patient.

Après quelques farfouillements qui parurent beaucoup plus longs au patient qu’à l’assistance et saisissant une lancette de sa main libre, Etarus reprit :

– Le second temps consiste à inciser le périnée paramédialement sur la sénestre.

Ce disant, il trancha la peau de l’homme avec la lancette, à l’endroit qu’il avait dit. Le patient poussa alors des hurlements de douleurs.

– Faites-moi taire ce braillard qui n’est même pas reconnaissant du soulagement que je vais apporter à ses grands maux, dit Mami à ses aides.

L’un des butors appliqua fortement sa grosse main sur la bouche du patient pour diminuer l’intensité de ses plaintes. Le maître continuait de sectionner les chairs du périnée, tandis que les quatre aides avaient toutes les peines du monde à imposer une immobilité bien relative au patient. Au bout d’une minute ou deux, Etarus déclara d’un air triomphal.

– Je sens le crissement de la lame sur la pierre, je procède alors à l’extraction de la lithiase à l’aide de ma main gauche, tandis que la droite continue de la pousser.

Joignant le geste à la parole, il posa son instrument, introduisit le pouce et l’index de sa main gauche au fond de la plaie, farfouilla une minute et sortit l’objet de ses recherches, la pierre de vessie, fort bien nommée en l’occurrence car elle ressemblait à un petit caillou. Il retira son doigt du fondement du patient. Ce dernier n’avait pas cessé de hurler pendant toute l’intervention, mordant jusqu’au sang la main qui tentait de le faire taire.

– Allez faire un pansement à ce bougre irrespectueux, dit Etarus avec emphase, tout en se lavant les mains dans une écuelle tendue par un assistant.

Les aides empoignèrent le patient par les bras et les jambes et l’emportèrent sans ménagement.

Jean était fort offusqué de ce qu’il venait de voir, les cris du malade et la grande douleur qu’il avait ressentie restaient dans son esprit. Il se leva pour demander la parole.

– Qui est ce nouvel élève qu’il va falloir que j’éduque ? dit Etarus en l’apercevant.

– Jean de Châlus, maître, n’est-il pas possible d’utiliser du sirop d’opium ou des éponges de mandragore pour diminuer les douleurs du patient lors de cette opération ?

– Voilà bien une idée saugrenue de novice ! dit Etarus, la douleur du patient est largement compensée par les bienfaits que nous lui apportons, elle ne doit pas préoccuper le chirurgien, ce dernier devant rester concentré sur son art et sur les gestes délicats qu’il a à réaliser. Dieu donne la maladie, pour une raison que lui seul connait, il est normal que quand nous privons Dieu de sa justice, il se venge en infligeant quelques douleurs au malade. Y aurait-il des questions plus intelligentes ?

Jean ne trouva rien à répliquer à cette logique simpliste, il se dit cependant qu’il aimerait bien mettre quelques coups de lancettes dans le périnée d’Etarus pour l’aider à comprendre ce que pouvait être la douleur.

– Et encore, dit Béatrice, ce malade avait bien une pierre de vessie, la dernière fois qu’il nous a fait cette démonstration, il s’était trompé de diagnostic, le malade n’avait pas plus de pierre que moi de poil au menton.

– Je comprends mieux son surnom, dit Jean.

Etarus se retira, fier comme un paon après cette magnifique démonstration chirurgicale.

Béatrice et Jean sortirent de la salle de cours, ils furent rejoints par un jeune homme également français, ami de Béatrice et qui s’appelait Alain.

– Tu as la langue bien pendue pour un nouveau, dit le garçon, tu as déjà pris la parole sur tes deux premiers cours.

– J’étais révulsé par le mépris d’Eratus pour les douleurs de son malade, dit Jean.

– Il faudra t’y faire, la chirurgie est source de grandes douleurs pour les patients, mais tu verras à l’hôpital des chirurgiens, au moins aussi experts que Mami et beaucoup plus soucieux de leurs malades rassure-toi. Hélas c’est Mami le maître de chirurgie et nous devons le supporter lors des leçons.

– Cette opération dont j’avais entendu parler, mais que je n’avais pas vue, est néanmoins assez extraordinaire, dit Jean.

– Oui, mais elle est rarement couronnée de succès, précisa Béatrice, car bien souvent la rétention d’urine n’est pas due à une pierre mais à la grosseur d’une glande à la base de la verge et alors l’opération est inutile.

– Sans compter qu’il y a des complications, dont la plus fréquente est la fistule urinaire par blessure de l’urètre. Le malade a des urines qui coulent par la plaie jusqu’à la fin de ses jours, précisa Alain.

– Etarus est devenu célèbre en faisant cette opération à Adalbéron, l’archevêque de Reims, dit Béatrice, mais mon père m’a dit qu’au sacre d’Hugues Capet, une forte odeur d’urine émanait de Son Éminence et que les grands du royaume l’avaient surnommée « Son Émanence ».

– Autre chose me trotte dans la tête, dit Jean, je crois me souvenir que dans le serment d’Hippocrate, le maître fait jurer aux élèves de ne pas faire l’opération de la taille, au même titre que de ne pas donner de poison ou de produit abortif.

– C’est exact, dit Alain, c’est pourquoi l’opération de la taille n’est pas faite par les médecins.

– Que me dis-tu là ? je viens d’en voir un, certes de la pire espèce, réaliser cette opération.

– Etarus n’est pas médecin, dit Béatrice, il est barbier, ainsi il abaisse les cristallins, il arrache les dents, les polypes de toutes sortes, et les pierres de vessie, mais il n’a pas le titre de médecin, même s’il en a toute la pédante emphase.

– Comment un non médecin peut-il être l’un des maîtres de l’école de Salerne ? demanda Jean incrédule.

– Théodus n’a que faire des titres, répondit Alain, il veut des gens qui savent faire et il tient à ce que nous apprenions tout ce qui touche à la médecine, libre à chacun ensuite de faire ce qui lui semble approprié. Ainsi tu verras ici la plupart des opérations réalisées par les barbiers, que dédaignent les médecins et tu apprendras les vertus abortives de certaines plantes, que les médecins ne sont pas censés connaître.

Tout en discutant, les jeunes gens étaient arrivés devant la salle où se tenait le troisième cours de la matinée, celui de philosophie de la médecine. En fait constata Jean, ils étaient revenus dans la salle du cours de médecine. Le maître les attendait et le jeune Limousin eut la surprise de constater qu’il s’agissait d’une femme de grande taille, coiffée comme ses collègues masculins du chapeau plat des professeurs de l’école.

– Il s’agit de dame Christine de Ruggerio, précisa Béatrice, dite Mama…

– Grande par la taille et par la pensée ? demanda Jean.

– C’est cela même, dit la jeune fille, je vois que tu as l’esprit rapide pour un garçon !

Christine prit la parole :

– Jeunes gens, j’aimerais aujourd’hui que vous répondiez à une question qui est fondamentale pour notre pratique : est-ce Dieu qui donne les maladies aux hommes ?

Plusieurs élèves se levèrent, Mama désigna celui qui avait été le plus rapide, un moine déjà d’un âge avancé.

– La chose ne fait pas de doute, dit l’élève, Dieu donne des maladies de gravité variable selon les pêchés des hommes.

– Alors n’allons-nous pas contre la volonté de Dieu en tentant de guérir les maladies ? répliqua Christine en souriant, car c’est là qu’elle voulait en venir.

– Non, reprit l’élève, car Dieu sait que nous allons intervenir et c’est lui qui nous permet de guérir le malade selon son bon vouloir.

– Quelqu’un a-t-il quelque chose à répondre à cela ? demanda Christine.

– Si c’est Dieu qui décide qui doit être guéri et qui doit mourir, nos interventions sont inutiles, argumenta un autre élève.

– Nous ne sommes là que pour soulager, dit une jeune femme, Dieu décide et nous aidons le malade à supporter sa décision.

– Et si on imaginait que Dieu ait beaucoup d’autres choses à faire que de s’occuper des maladies, intervint Alain, et qu’il n’ait aucun rôle dans leur survenue et dans leur guérison.

Cette idée très osée, déclencha un tumulte dans l’assistance, comment imaginer que Dieu n’ait pas un rôle déterminant dans l’apparition et la disparition des maladies ? Cela dépassait l’entendement de beaucoup d’élèves. Christine laissait la discussion aller d’un étudiant à l’autre, semblant prendre plaisir aux contradictions qui apparaissaient. Elle reprit finalement la parole, quand les élèves eurent épuisé tous leurs arguments.

– Vous venez jeunes gens, de reprendre la querelle des rationnels et des empiristes qui agite notre corporation depuis la nuit des temps. La médecine fut d’abord empiriste, entre les mains des divinités dont les sorciers et les chamans devaient s’évertuer à comprendre les désirs. Puis sont venus les rationnels, au premier rang desquels fut Hippocrate, qui ont cherché des causes à toute chose, niant l’omnipotence des divinités.

– Nous avons la preuve que les rationnels ont tort, dit le moine qui était intervenu en premier, les épidémies de peste sont bien l’œuvre de Dieu, il n’y a aucune cause à cette maladie, c’est Dieu qui la fait apparaître quand il veut, où il veut et qui frappe qui bon lui semble.

– Tu pars de l’idée qu’il n’y a pas de cause à la peste, intervint Alain que la question semblait passionner fort.

– Tout le monde sait cela ! répliqua le moine.

– Je te répondrai qu’il n’y a pas de cause connue à la peste, car nous sommes ignorants, on trouvera un jour la raison de cette maladie et on verra que Dieu n’a rien à voir là-dedans. L’homme des cavernes a longtemps cru que les divinités rendaient les femmes grosses avant de s’apercevoir que c’était lui en montant dessus.

La démonstration graveleuse d’Alain déclencha l’hilarité dans l’assemblée.

– Allons mon cher Alain ! intervint Christine, ton raisonnement est peut-être juste, mais j’aimerais que tu choisisses un modèle de démonstration moins indécent.

– Désolé maîtresse, c’est le premier qui m’est venu à l’esprit, dit le jeune homme d’un air penaud.

– Et sache pour ta gouverne, que l’homme peut rendre la femme grosse autrement qu’en lui montant dessus comme tu le dis de manière fort inélégante, les ribaudes de Naples te montreront tout un tas d’autres méthodes.

Cette fois-ci l’hilarité fut générale. Christine ramena le calme après quelques minutes et apporta la conclusion de cette leçon.

– Je n’ai pas la prétention de donner la réponse à cette question, chacun d’entre vous dans sa conscience devra faire son opinion, et exercer son art en fonction de ses convictions. Je vous rappelle que l’important est de guérir ou au moins de soulager le malade, peu importe que ce soit Dieu ou vous qui y parveniez.

La leçon se termina là-dessus. Dame Christine avait fortement impressionné Jean, elle était encore jeune, vingt-cinq ans tout au plus, et déjà maître de l’école de Salerne. Ce titre n’était cependant pas usurpé, pensa le jeune homme, la profondeur de pensée de Christine l’avait frappé, il ne doutait pas qu’elle l’impressionnerait tout autant en soignant les malades. Le sujet de la leçon l’avait également passionné, même si son opinion était faite, Hildeburgue avait forgé son esprit au rationalisme. La vieille guérisseuse niait toute intervention divine dans la survenue et la guérison des maladies et Jean avait un exemple en tête avec le mal des Ardents, où une maladie et une guérison imputées à Dieu avaient des causes sans rapport avec une quelconque intervention divine. Jean se dit qu’il en était sûrement ainsi de la peste et qu’il faudrait qu’il y songe. Ainsi cette première matinée de cours fut passionnante, tout ce que le jeune Limousin voulait voir, entendre et connaître était là dans cette école. Il fut heureux car il était désormais certain d’avoir pris la bonne décision en venant ici.

– Tu me sembles bien songeur le Limousin ! dit Alain, il ne faudrait pas que ce débat te coupe l’appétit.

Jean, tout en réfléchissant, avait suivi le flot des étudiants et ses deux nouveaux amis. Les trois jeunes gens étaient arrivés au réfectoire. Ils prirent place sur l’une des grandes tables où étaient servis des bols de soupe et un morceau de pain à tremper dans le bol. Le jeune Limousin se dit qu’il avait bien fait de loger chez Iliana, il aurait au moins un repas consistant chaque soir.

– Cet après-midi nous allons à l’hôpital, dit Béatrice après avoir englouti son maigre brouet.

– Comment s’y passent les choses ? demanda Jean.

– Il y a environ deux cent cinquante malades dans l’hôpital, chaque élève est responsable de cinq d’entre eux. Un magister supervise les élèves pour vingt-cinq malades.

– Ce qui fait qu’il doit y avoir environ cinquante élèves et dix magisters, estima Jean.

– Le bougre sait compter ! nota Alain.

– Comment sont attribués les malades ? demanda Jean.

– Les magisters font la répartition des nouveaux malades aux élèves, tu devrais hériter de cinq patients arrivants à l’hôpital, dit Béatrice, espère simplement qu’ils seront riches car tu vivras d’une partie de leurs oboles.

– Les malades sont plus nombreux que nous ne pouvons en recevoir, reprit Alain, Théodus est en train de faire agrandir l’hôpital, car toute l’Europe veut être soignée à Salerne.

Après le repas, Jean suivit Béatrice et Alain, vers le grand bâtiment qui jouxtait l’école. De nombreux patients faisaient la queue devant la porte principale, les uns debout, portant béquilles ou emplâtres, les autres alités sur des brancards de fortune ou dans des litières témoignant d’une quelconque importance.

– Les manants sont dans la même file que les nobles et les hommes d’Église ? Demanda Jean très surpris.

– Assurément, expliqua Alain, l’école soigne tout le monde de la même manière, nous ne connaissons même pas le nom des patients, c’est quand ils partent et donnent leur obole que l’on sait s’ils étaient plus ou moins fortunés.

Encore une chose que Jean trouva admirable dans ce lieu.

Les étudiants entrèrent par une porte sur le côté du bâtiment. Jean se retrouva dans une très grande salle où étaient installés les deux cent cinquante lits, contenant les patients en cours de traitement. La promiscuité était la règle, les lits n’étant espacés que de deux coudées environ. Par la plus élémentaire des décences, pensa Jean, les hommes étaient cependant séparés des femmes par une mince cloison qui coupait partiellement la pièce en deux par son milieu. Plusieurs femmes vaquaient d’un lit à l’autre.

– Ce sont les assistantes, expliqua Béatrice, la plupart sont des nones, les autres des filles de la ville ou des villages alentour.

Une volumineuse matrone à l’air renfrogné semblait organiser les tâches de chaque assistante et les rabrouait vigoureusement quand les choses n’allaient pas comme elle le souhaitait.

Ses deux camarades emmenèrent Jean vers l’entrée de l’hôpital où une petite pièce avait été aménagée et dans laquelle se tenaient les Magisters. Le jeune Limousin reconnut parmi eux ses trois professeurs de la matinée. Chaque malade entrait, exposait son cas devant les Magisters, ceux-ci décidaient s’ils prenaient ou pas le patient et l’attribuaient à un élève. Seulement dix lits restaient disponibles, il ne pouvait donc pas y avoir plus de dix entrants. Trois autres élèves étaient là avec Jean et Béatrice, attendant leurs nouveaux malades, Alain quant à lui était parti s’occuper de ses lits car aucun n’était vide.

Le premier patient était un enfant d’une douzaine d’années, amené par sa mère et qui était tombé du toit de sa maison sur lequel il était monté pour guerroyer contre le chat du voisin.

Un Magister, que Jean ne connaissait pas, dit qu’il prenait ce patient et apercevant le jeune Limousin au premier rang des étudiants, lui dit :

– Toi, le nouveau, tu prendras cet enfant dans tes lits et tu lui donneras les premiers soins.

Jean acquiesça de la tête.

Le second patient était un homme d’âge mûr qui s’était manifestement démis l’épaule.

– Je prends ce patient avec toi, dit Etarus, en désignant Béatrice.

– Misère, marmonna la jeune fille entre ses dents, ce lourdaud ne me lâchera donc jamais.

– Qu’a-t-il après toi ? demanda Jean.

– S’il a l’esprit plutôt sédentaire, il a les mains très baladeuses, dit Béatrice d’un ton laconique.

Béatrice s’éloigna, accompagnant l’homme à l’épaule démise vers un lit. La patiente suivante était une femme d’une bonne cinquantaine d’années qui, quand on lui demanda de quoi elle se plaignait, remonta simplement sa tunique pour montrer l’un de ses seins porteur d’une volumineuse tuméfaction de la taille d’une pomme.

– Je prends cette patiente, dit dame Christine, quel est l’élève que ce cas intéresse ?

Jean s’avança, le cas l’intéressait certes, mais ce qui le décidait encore davantage était l’idée de travailler sous la direction de Mama.

– Moi si vous le voulez bien, dit Jean.

– Fort bien jeune homme, je passerai voir cette patiente avec toi dans l’après-midi.

Plusieurs malades furent refusés, soit parce qu’ils présentaient des plaintes que n’importe quel guérisseur en dehors de l’hôpital pouvait prendre en charge, soit au contraire parce que leur cas était trop avancé et que la médecine ne pouvait plus rien pour eux.

Un homme se présenta, déclarant avoir de violentes douleurs abdominales qui lui coupaient les entrailles.

– Je prends ce patient, dit Aethon, et Jean de Châlus sera mon étudiant sur ce cas.

Plusieurs autres patients furent distribués aux quelques élèves qui avaient des lits vides. Christine, qui semblait avoir une prédiction pour les maladies des femmes, prit une jeune villageoise qui était amenée par son mari parce qu’elle ne pouvait pas avoir d’enfant, elle désigna Jean pour la seconder.

Enfin le dernier patient attribué à Jean fut pris par Aéthon, il s’agissait d’un homme d’aspect noble qui présentait une paralysie de tout le côté droit du corps et qui ne pouvait plus parler, son épouse l’accompagnait et il était allongé sur un brancard porté par quatre serviteurs. Bientôt les dix lits vacants de l’hôpital furent remplis, une quarantaine de malades attendaient encore dehors, la plupart restèrent sur place pour ne pas perdre leur rang pour les admissions du lendemain.

Jean alla installer ses cinq patients là où la matrone qui organisait les choses le lui indiqua. Il avait trois malades du côté des hommes et deux du côté des femmes, ce qui n’était pas très pratique, surtout qu’il devait guetter quand les Magisters se présenteraient pour examiner les patients. Jean décida de s’occuper de l’enfant en premier, car il semblait fortement souffrir de son avant-bras fracturé. Il savait ce qu’il avait à faire, il devait réaligner les os et les immobiliser, il avisa une assistante, lui demandant, mi en latin qu’elle comprenait fort peu, mi en Italien qu’il maitrisait très mal, le matériel nécessaire et de l’aide pour tenir l’enfant. L’assistante semblait habituée à ce genre de cas et reparut rapidement avec ce que Jean avait demandé. Quelques minutes plus tard, les os étaient alignés et le bras immobilisé, l’enfant avait beaucoup pleuré, mais à présent il était calme.

Jean alla ensuite au chevet de la femme qui avait la tuméfaction dans le sein. Il s’enquit de l’ancienneté de l’anomalie et de son évolution, là encore il se heurta au barrage de la langue, mais finit par obtenir les renseignements qu’il cherchait. Il examina attentivement la masse qui était irrégulière et bourgeonnante, la peau en était ulcérée et suintante en son milieu. Il terminait son examen quand la voix de Christine retentit dans son dos :

– Alors jeune homme, que pensez-vous de ce cas ?

– Il s’agit semble-t-il d’un cancer du sein dextre qui est apparu depuis deux années environ. La tumeur était indolore jusqu’à il y a quelques semaines, mais depuis peu elle s’est ulcérée, elle est devenue suintante et malodorante ce qui amène la patiente à consulter.

– Comment peut-on traiter la chose ?

– La cautérisation me semble illusoire compte tenu du volume de la lésion, je pense que l’excision est la seule solution.

Christine s’adressa alors à la patiente dans la langue du pays, lui donnant, ce qui sembla à Jean être des explications sur sa maladie et sur le traitement qu’on allait lui appliquer. Puis revenant vers l’élève :

– Ton observation est correcte et ton idée de traitement me semble sage, mais au lieu d’une simple excision, je ferai dès demain une ablation complète du sein de cette patiente, les tumeurs de cette taille récidivent trop vite si on se contente de les exciser, tu m’assisteras.

Sans attendre de réponse de son élève, dame Christine s’en fut vers une autre malade. Du coin de l’œil Jean regardait dans la salle des hommes si Aethon et l’autre Magister se dirigeaient vers ses patients. Comme ce n’était pas le cas, il alla voir l’homme qui avait les violentes douleurs au ventre. Il fut heureux de constater qu’il parlait français. Il l’examina soigneusement, lui faisant préciser ses symptômes, puis il lui palpa le ventre et lui prit le pouls, il en était là quand Aéthon arriva.

– Alors Jean le Sceptique, quel est ton diagnostic ?

– J’avoue que je n’en ai pas maître, je ne comprends pas la douleur de cet homme. Les troubles remontent à fort longtemps semble-t-il, les crises surviennent brutalement et repartent de la même manière, en des endroits différents du gastre. Aujourd’hui il a mal et son ventre est cependant souple, son pouls normal et il n’a pas de fièvre.

Aéthon s’adressa directement au patient :

– La douleur est-elle là ? dit-il en appuyant fortement sous les côtes du côté à gauche.

– Oui dit l’homme en faisant une horrible grimace.

– Et elle se dirige parfois vers les lombes ?

– C’est cela, fit l’homme.

– Plutôt vers la fin de chaque mois ?

– Exactement, dit l’homme, est-ce grave ?

– C’est assez sérieux, il s’agit du mal bleu, mais fort heureusement nous avons ici de quoi vous soulager.

S’adressant à une assistante qui regardait la scène d’un air blasé, il demanda :

– Amenez-moi l’onguent bleu et le médicastre de la même couleur.

Jean n’y comprenait rien, mais pensant qu’il était venu là pour apprendre, il ne dit mot. Il vit Aéthon passer l’onguent à l’endroit où il avait appuyé précédemment. Le malade dit se sentir beaucoup mieux. Aéthon précisa que le mal pouvait revenir et il préconisa de manière formelle la prise de deux médicastres bleus par jour, le premier au chant du coq, le second dès la chute du jour. Ceci devant être associé à l’application de l’onguent une fois par semaine, après les Matines du dimanche et pendant un mois. L’homme remercia vivement le Magister, jetant un œil méprisant à Jean, manifestement un élève pas très doué qui n’avait rien compris à son mal, puis il s’en alla.

– Je suis bien ignare, dit Jean, car je n’ai rien entendu à la maladie de cet homme et je ne connais pas ce remède bleu que vous avez employé.

– Pour le remède c’est simple, un peu de graisse de porc teinté de bleu pour l’onguent et pour le médicastre, une boule de mie de pain de froment également teintée.

– Je ne savais pas que ces choses-là avaient une action curatrice, dit Jean très surpris.

– Elles n’en ont aucune, expliqua Aéthon et cela tombe fort bien car cet homme n’est pas malade, c’est un hypocondriaque, ses symptômes ne correspondent à rien si ce n’est à ce qu’on lui suggère.

– Pourquoi lui donner un remède dans ce cas ?

– Parce que ce genre de malade a besoin de prendre quelque chose pour se croire guéri, il reviendra dans quelque temps avec des maux de tête ou d’ailleurs, nous utiliserons alors l’onguent et les médicastres rouges. Retiens bien jeune homme que nous devons soulager le malade, peu importe la manière et la maladie, du moment que nous parvenons à ce résultat.

– J’avoue que je suis assez déconcerté, dit Jean.

– Cela n’est rien, tu verras bien d’autres choses encore plus surprenantes, que penses-tu de notre deuxième malade ?

– Je ne l’ai pas encore vu, mais il m’a l’air d’avoir une hémi paralysie du corps droit qui s’accompagne souvent de l’impossibilité de parler. La cause de ce mal est inconnue, l’évolution est parfois régressive, mais le plus souvent le malade reste dans cet état jusqu’à sa mort. Il est important de connaître l’ancienneté du mal, s’il est récent la récupération est possible, sinon il n’y aura pas d’amélioration.

– Voilà qui est vrai et que peux-tu conseiller en cas de non amélioration ?

– Des soins tous les jours avec, pour éviter que les chairs ne pourrissent, des massages et essayer de faire bouger le côté paralysé, ce patient semble de noble condition, il aura probablement les moyens de s’offrir ce genre de soins.

– C’est exactement ce que je vais aller dire à sa femme, tu es plus à l’aise sur ce cas que sur le précédent semble-t-il !

Aéthon s’en alla vers le lit du patient. Jean vit que le Magister de l’enfant qu’il avait soigné arrivait à son lit, il s’y précipita pour recueillir les commentaires du maître.

– Voilà un travail correctement fait, dit le maître en prenant l’avant-bras immobilisé de l’enfant dans ses mains, peux-tu bouger les doigts ? demanda-t-il en Italien au jeune patient.

Pour toute réponse le marmot agita sans problèmes tous ses doigts.

– Fort bien, tu peux repartir, tu passeras dans une semaine nous montrer si tout va bien, tu dois garder ton bras immobilisé comme cela pendant un mois et ne t’avise pas de remonter sur le toit.

La mère de l’enfant acquiesça et partit avec le petit blessé.

– Tu te débrouilles bien pour un novice, dit le Magister en mettant une grande tape dans le dos de Jean.

– Merci maître, répondit-il, trouvant curieuse cette habitude de taper dans le dos des gens.

Il lui restait la patiente infertile, il revint donc vers la pièce des femmes et trouva le couple en pleine discussion, en Français. Christine apercevant Jean s’approcha également du lit. Le jeune Limousin était assez désemparé devant ce problème, n’ayant que fort peu d’expérience dans le traitement de l’infertilité en particulier et des maladies de femmes en général, car Mathilde avait toujours estimé indécent qu’il s’occupe de ces choses-là. Il confessa son ignorance à Christine, qui sourit et lui dit :

– J’avoue qu’à ton âge je n’en savais pas plus, regarde et écoute.

Elle s’adressa à la femme dans un français très correct, bien que teinté d’accent italien, car ce couple semblait originaire de Francie.

– Vos menstrues viennent-elles tous les mois ?

– Parfaitement, répondit l’homme.

Mathilde regarda le mari comme s’il s’était agi d’un poil pubien au milieu de sa soupe

– Votre épouse serait-elle muette ? demanda-t-elle au mari.

– Ma foi non, répondit ce dernier.

– Alors laissez-la me répondre, dit tranquillement Christine en tournant ostensiblement le dos au mari.

– Fort bien, dit l’homme, d’ailleurs je me retire, ce sont là affaires de femmes.

– Pensez-vous que la conception des enfants soit uniquement affaire de femmes ? demanda Christine, sans tourner la tête.

– Eh bien non, il faut bien qu’un homme y fourre son dard, répondit-il en s’esclaffant, ne faisant cependant rire que lui-même.

– Alors je demanderai au « dard » de bien vouloir rester là, car nous aurons à l’interroger plus tard, répondit Christine.

L’homme n’y comprenait rien, pourquoi cette femme voulait-elle interroger son mâle organe alors que son épouse était stérile ? Cependant le ton autoritaire de la Magister l’incita à ne pas faire de commentaire et à obéir à ses directives, il s’assit sur le tabouret qui se trouvait au bord du lit et prit un air renfrogné.

La femme, quant à elle était terrorisée, à l’infortune de ne pouvoir donner d’enfant à son mari, s’ajoutait la crainte de subir un examen douloureux et humiliant.

– Madame, reprit Christine, n’ayez crainte et répondez-moi en toute tranquillité, les flux menstruels sont-ils réguliers ?

– Parfaitement madame, deux jours après la nouvelle lune, mes flots arrivent, depuis mes douze ans.

– Combien de jours durent les menstrues ?

– Trois à quatre, les plus abondantes sont au second jour.

– Vous n’avez jamais eu de grossesse, d’enfant perdu ou de faux germes ?

– Aucunement madame.