La Saga des Limousins - Tome 7 - Yves Aubard - E-Book

La Saga des Limousins - Tome 7 E-Book

Yves Aubard

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Beschreibung

Septième tome de la Saga des Limousins, Le Roi Henri se déroule entre 1031 et 1038.

Tandis que saint Martial acquiert définitivement ses galons de treizième apôtre du Christ au concile de Limoges, les enfants de Lou vont aider le roi Henri à sauver sa couronne. Alors que Jason et Abella auront affaire à un de leurs vieux ennemis, le duc Robert le Magnifique ne reviendra pas de son pèlerinage en Terre sainte.
Ainsi, c’est Guillaume, le fils bâtard de Robert, qui deviendra duc de Normandie, à l’âge de 8 ans, ce qui ne manquera pas d’attiser les convoitises. Bjarni, quant à lui, réglera un vieux compte avec Eudes de Blois, puis toute la famille se retrouvera à Châlus pour fêter Noël autour de Lou et Mathilde. Les murailles de Chabrol vont alors s’avérer fort utiles, car le seigneur de Châlus et sa famille seront assiégés sur leur terre. Mourir au combat en défendant les siens a toujours été le rêve de Lou, mais il n’est pas certain que le seigneur de Châlus puisse choisir sa manière de mourir.

Une grande aventure basée sur des faits réels pour plonger dans la France et l’Aquitaine au cœur du Moyen Âge !

EXTRAIT

En cette fin d’année 1031, les temps paraissaient bien incertains au royaume de France. La mort du roi Robert laissait le pays dans l’inquiétude. Après sa période de veuvage, la reine Constance semblait à nouveau prise par ses vieux démons et fomentait la révolte de son fils Robert contre son frère, le roi Henri, créant en Bourgogne ce qu’on appelait déjà la « ligue de la reine ». Le danger pour le jeune roi paraissait fort pressant car, si Foulques Nerra soutenait comme à son habitude les projets de Constance, pour une fois, Eudes de Blois faisait partie du complot. Angevins et Blésois, ennemis ancestraux, semblaient vouloir unir leurs forces pour mettre à mal le roi de France. C’est contre cette alliance redoutable que le roi Robert avait lutté toute sa vie avec un certain succès. Cependant, à peine couronné, Henri voyait toute la politique de son père réduite à néant.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

Ce septième tome est excellent. J'attends avec impatience le tome huit. - Cril87, Babelio

À propos du tome 1 - Yves Aubard ne s'attarde pas sur la noirceur des malveillants, ne laisse pas d'images cauchemardesques qui vont plomber le sommeil. Non, il entraîne le lecteur derrière des héros formidables dont on peut craindre un faux pas à chaque ligne mais qui se relèvent toujours, héros de l'ordinaire et de l'extraordinaire. -  Hélène Bessuges, La Montagne

À PROPOS DE L'AUTEUR

Yves Aubard est professeur de gynécologie, mais aussi auteur de La Saga des Limousins, un roman historique médiéval. Sa rencontre avec les organisateurs des fêtes de Bridiers a donné lieu à la rédaction d’un nouveau roman historique, qui servira de fil conducteur au spectacle de l’année 2017, commémorant le millénaire du monastère de La Souterraine.

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RÉSUMÉS DES TOMES PRÉCÉDENTS

Tome 1 : Le seigneur de Châlus

En l’an 968, sous le règne du roi Lothaire, Tristan, le forgeron du village de Châlus, en Limousin, trouve en forêt un enfant abandonné âgé de deux ans environ, qu’il fait baptiser du nom de Lou par Ignace, le curé du village. Lou grandit dans le foyer de Tristan et Gilberte, et son père l’initie au travail de la forge. Lou épouse Mathilde, jeune guérisseuse du village. Lou et Mathilde auront trois enfants, Eudes, Jean et Isabelle. Lou sauve la vie de son seigneur, le vicomte Guy de Limoges. Guy l’anoblit pour le remercier et lui confie le fief de Châlus avec mission de le fortifier. Peu après le miracle des Ardents à Limoges, les Périgourdins assiègent, sans succès, Lou dans son fief. Le vicomte Guy et ses Limousins décident de mener campagne en Périgord pour punir leurs belliqueux voisins. Boson le Bel, le chef périgourdin, s’est réfugié dans le château de Commarque, au sud-est de ses terres. L’armée limousine met le siège devant cette forteresse et finira par la prendre après moult péripéties, rétablissant Boson le Vieux, le comte légitime du Périgord, dans ses prérogatives.

Tome 2 : L’an mil

Grimoald, l’évêque d’Angoulême, dérobe les présents faits au mariage de Will (un compagnon d’armes de Lou) et Jeanne. Il est démasqué par Lou et ses fils, et il est emmené prisonnier à Limoges. Lou et toute sa famille accompagnent Guy qui va à Rome emmenant Grimoald pour le faire juger par le pape Sylvestre. Ce dernier ordonne la libération de l’évêque. Jean devient un élève du pape. Il se lie d’amitié avec Avicenne et tombe amoureux d’Anne. Mais le pape Sylvestre meurt, Jean et Anne doivent quitter Rome et rentrent en Limousin. À Limoges, Foulques Nerra, le comte d’Anjou, demande à Guy la main de sa fille Hermine. Eudes et Hermine découvrent qu’ils sont amoureux l’un de l’autre. Foulques Nerra a organisé un grand tournoi pour fêter son mariage avec Hermine. Les joutes sont sanglantes. Foulques tente de faire assassiner Lou et sa famille, tandis que Jean utilise les terreurs nocturnes du comte d’Anjou pour le faire renoncer à la main d’Hermine. Eudes et Hermine s’aiment, mais un fils de seigneur ne peut demander la main de la fille d’un vicomte. Jean n’ose déclarer son amour à Anne, qui se lasse et décide de quitter Limoges pour aller servir le duc d’Aquitaine. Ainsi les deux fils de Lou ont des chagrins d’amour. Jean, en pleine déprime, décide de partir pour étudier la médecine à Salerne.

Tome 3 : Les grands voyages

Jean arrive à Salerne. Il y obtiendra son diplôme de médecin et deviendra l’amant de Christine, un magister de l’école. Il apprend que Christine est enceinte de lui peu de temps avant d’être incarcéré à Naples car il a tué Etarus, un autre magister de l’école pour venger la mort d’un ami. Pendant ce temps-là, en France, Eudes s’illustre dans les tournois, et Guy accepte de lui donner la main d’Hermine. Lou et ses enfants décident de partir porter secours à Jean, ils parviennent à le libérer par la ruse ainsi que son compagnon de prison : Knut, le fils du roi du Danemark. Les Limousins rentrent à Châlus. Guy décide de marier son fils Adémar à Sénégonde du Périgord, et Jean retrouve Anne, à laquelle il déclare son amour. Ce sont donc trois mariages, avec celui d’Eudes, qui sont célébrés à Limoges. Peu après, Emma, Mathilde et Isabelle sont enlevées par des Vikings. Lou, ses fils et quelques compagnons partent pour libérer les femmes enlevées. Ils y parviendront mais devront voyager jusqu’au mythique Vinland. Isabelle y trouvera un époux viking, Bjarni, et Anne donnera naissance à Jason après une césarienne réalisée par Jean. Lou et ses compagnons regagnent ensuite le Limousin. Eudes découvre qu’Hermine a mis au monde sa fille Adalmode. Jean reçoit un courrier de Christine lui annonçant la naissance de leur enfant, Trotula.

Tome 4 : Le roi Robert

Lou et ses enfants font la connaissance de Robert II, le roi de France. Ce dernier propose à Jean, Anne, Isabelle, Eudes et Bjarni de rentrer à son service. Les jeunes gens acceptent. De leur côté, Guy, Lou, Mathilde, Raoul de Couhé et Aline de Bruzac partent en pèlerinage à Jérusalem. Sur leur route, les pèlerins sont incarcérés à Mâcon par l’évêque Brunon de Roussy. Eudes, Isabelle, Jean et Bjarni parviendront à les libérer. Les pèlerins reprennent leur route vers Jérusalem. Ils assistent au massacre des Bulgares par le basileus à la bataille de la passe de Kleidion. En France, grâce à Eudes et Bjarni, la ville de Sens tombe et Dijon ouvre ses portes au roi, qui prend ainsi possession du duché de Bourgogne. Hermine a accouché à Limoges de Guy-Lou, son second enfant. Jean, Eudes, Anne et Bjarni partent en Italie pour assister au sacre de l’empereur germanique Henri II et ils poussent jusqu’à Salerne. Pendant ce temps, les pèlerins ont visité Jérusalem et ils sont repartis par la mer. Ils font une halte à Salerne, ce qui leur permet d’aider Eudes, Bjarni et Jean à repousser une attaque sarrasine. Puis tout le monde rentre en France. Foulques Nerra remporte la victoire de Pontleroy sur Eudes de Blois, mais il échoue à prendre la ville de Tours. Tandis qu’Isabelle met au monde un garçon, Lou-Leif, le roi Robert fait couronner Hugues, son fils aîné, à Compiègne.

Tome 5 : Racines et honneurs

Ignace donne un indice à Lou qui lui permet de retrouver ses origines : le seigneur de Châlus est un descendant des comtes de Barcelone. Pour retrouver ses racines, Lou se rend en Catalogne avec Mathilde, Eudes et Robert de Ruffec. Lou aide la comtesse de Barcelone à repousser une attaque des Sarrasins et découvre qu’il a une sœur, Constance, qui va épouser Robert de Ruffec. Lou renonce à revendiquer des droits en Catalogne et il rentre dans son fief de Châlus. Adémar de Chabannes et les moines de Limoges prétendent que saint Martial fut contemporain du Christ et serait donc le treizième apôtre. Le roi Robert condamne au bûcher des hérétiques à Orléans. Les enfants de Lou, accompagnés de Bjarni et Nénad, décident d’aller libérer Avicenne qui est emprisonné à Hamadhan, en Perse. En route, ils croiseront l’empereur Henri II, Étienne, le roi de Hongrie et Basile II, l’empereur de Constantinople. Jean découvre la formule du feu grégeois, ce qui permet de prendre la ville d’Hamadhan et de libérer Avicenne. Le roi Robert récompense ses fidèles dès leur retour en France : Isabelle et Bjarni se voient attribué le comté de Dreux, Eudes et Hermine, celui de Sens, tandis que Jean et Anne sont fait seigneurs de Noisy. Hugues, le fils aîné du roi, meurt du « mal du côté », au grand désespoir de Jean. La mort frappe également l’empereur Henri II, le pape Grégoire VII, l’empereur Basile II et le vicomte Guy de Limoges. Jean parvient à découvrir la manière de soigner le mal du côté et il guérit ainsi Lou-Leif qui en était atteint.

Tome 6 : Troisième génération

Les enfants de Lou sont menacés de toutes parts : Isabelle et Bjarni sont emprisonnés à Rouen par Richard III, le nouveau duc de Normandie, Jean est enlevé par Eudes de Blois – qui veut lui faire avouer la formule du feu grégeois – et Eudes est assiégé à Sens pas ce même Eudes de Blois. Lou et ses vieux compagnons décident d’aller porter secours aux enfants, car le roi Robert dispose de peu de moyens. Tandis que Jean s’enfuit tout seul, il rejoint la troupe de Lou et, ensemble, ils parviendront à libérer Isabelle et Bjarni et à mettre en déroute les armées d’Eudes de Blois qui faisait le siège de Sens. Jason et Adalmode participeront largement à ces succès.

Jason va suivre les traces de son père, il part faire des études de médecine à Salerne. Il y tombe amoureux d’Abella, jeune étudiante italienne, et il sauve Trotula, sa demi-sœur, d’un « faux germe de la trompe ». En France, Adalmode succombe au charme d’Aurèle, un jeune novice, qui renonce à ses vœux pour elle. Il y aura à nouveau un triple mariage à Châlus : Jason épouse Abella, Trotula épouse Gariopontus (un collègue salernitain) et Adalmode épouse Aurèle. Les enfants du roi Robert se révoltent contre leur père, Eudes et Bjarni les ramèneront dans le droit chemin, mais le roi est las de toutes ces querelles familiales et il rend son âme à Dieu à Melun.

LE CONCILE

En cette fin d’année 1031, les temps paraissaient bien incertains au royaume de France. La mort du roi Robert laissait le pays dans l’inquiétude. Après sa période de veuvage, la reine Constance semblait à nouveau prise par ses vieux démons et fomentait la révolte de son fils Robert contre son frère, le roi Henri, créant en Bourgogne ce qu’on appelait déjà la « ligue de la reine ». Le danger pour le jeune roi paraissait fort pressant car, si Foulques Nerra soutenait comme à son habitude les projets de Constance, pour une fois, Eudes de Blois faisait partie du complot. Angevins et Blésois, ennemis ancestraux, semblaient vouloir unir leurs forces pour mettre à mal le roi de France. C’est contre cette alliance redoutable que le roi Robert avait lutté toute sa vie avec un certain succès. Cependant, à peine couronné, Henri voyait toute la politique de son père réduite à néant.

Lou, quant à lui, était rentré en Limousin dans son château de Châlus, avec Mathilde. Il préparait l’arrivée d’Aurèle et Adalmode. Si le château offrait tout l’espace nécessaire pour héberger cette nouvelle génération des seigneurs de Châlus, Lou voulait préparer le futur atelier de travail des orfèvres réputés qu’étaient sa petite-fille et son époux. Il avait choisi un emplacement à Maulmont, à proximité de l’ancienne forge de Tristan, au bord de la Tardoire. Mathilde, de son côté, était impatiente d’accueillir sa petite-fille dont la grossesse était maintenant bien avancée, l’accouchement étant prévu pour la fin de l’année.

– Je ne sais pas s’il est bien prudent qu’Aurèle et Adalmode fassent le voyage de Sens à Châlus, au milieu de la grossesse de notre petite-fille, dit un soir Lou à son épouse, alors qu’ils dînaient tous deux dans la grande salle du château.

– Bah ! les routes ne sont pas encore trop mauvaises. L’hiver n’est pas arrivé, répondit Mathilde pour calmer l’inquiétude de son émotif de mari.

– J’espère qu’elle ne fera pas comme Isabelle qui a accouché de Brunehilde au milieu des forêts de Germanie.

– Ta fille était à neuf mois de grossesse, tandis que ta petite-fille n’est que dans son cinquième mois, répondit Mathilde en riant. Tu t’inquiètes beaucoup moins quand tes rejetons sont sur un champ de bataille que lors des grossesses des filles de la famille.

– C’est que je trouve la guerre beaucoup moins dangereuse que la grossesse, affirma Lou. Dois-je te rappeler les frayeurs que nous avons eues lors de l’accouchement d’Anne au Vinland ?

– Eh bien, tout comme sur les champs de bataille, tes enfants ont su faire ce qu’il fallait, répliqua Mathilde, passant sous silence que, ce jour-là, elle non plus ne faisait pas la fiérote.

– Le seigneur des lieux serait-il prêt à accueillir deux misérables Bourguignons dans sa belle demeure ? demanda une voix féminine venue de la porte.

Lou et Mathilde se retournèrent tout de go, ils avaient reconnu cette voix.

– Par tous les saints ! s’écria Lou, Adalmode et Aurèle, nous ne vous attendions pas avant plusieurs semaines.

– C’est que nous avions hâte de revoir le toujours jeune seigneur de Châlus et sa ravissante épouse, minauda Adalmode.

– Vous avez bien fait en tout cas de voyager avant l’hiver et tant que cette grossesse n’est pas trop avancée, assura Mathilde en serrant sa petite-fille puis Aurèle dans ses bras.

– C’est moi qui ai un peu précipité les choses, avoua le jeune homme, car je ne me sentais pas l’âme d’accoucher Adalmode sur le bord d’une route.

– Surtout que, comme tous les hommes de la famille, tu ne manqueras pas de te pâmer lors de la naissance de ton enfant, ajouta Adalmode. Je préfère avoir Mathilde auprès de moi.

Après les premiers émois des retrouvailles, Lou questionna Aurèle sur la situation à Sens.

– La région est en proie à de grandes agitations, expliqua le jeune homme. Le jeune Robert a réuni autour de lui la noblesse de son comté pour contester la couronne de son frère Henri, la reine et les grands du royaume sont avec lui.

– La couronne de France n’a jamais été autant menacée, commenta Lou. Qu’en pense Eudes ?

– Il entend bloquer les conjurés à Sens s’ils font route vers Paris. Quand nous sommes partis, il se préparait à un nouveau siège, mais il n’avait aucune nouvelle du roi, il ne savait donc pas quelle serait sa stratégie devant une telle menace.

– J’ai peur que notre nouveau roi n’ait guère de stratégie, prédit Lou. En tout cas, il me paraît bien jeune et inexpérimenté pour affronter de tels périls.

– Espérons qu’il aura la sagesse de demander conseil à tante Isabelle ou à oncle Jean, commenta Adalmode.

– Je sens que notre famille va encore être sur la brèche, se lamenta Mathilde. Dieu et les rois ne pourraient-ils pas laisser nos rejetons en paix ?

– Fort heureusement, nous sommes assez loin de tout ce vacarme, rappela Aurèle. Quelles sont les nouvelles en Limousin ?

– Deux événements d’importance sont prévus, répondit Lou. Tout d’abord, l’arrivée dans la région des deux plus célèbres orfèvres du pays : leur atelier est en cours de construction à Maulmont, sur les bords de la Tardoire.

– Près de la cabane de père et oncle Jean ? demanda Adalmode.

– Cette illustre cabane se trouve en effet entre l’ancienne forge de Tristan et votre atelier, expliqua Lou. Le bruit de votre arrivée s’est répandu et j’ai déjà eu la demande de cinq apprentis de Limoges pour venir travailler sous vos auspices.

– C’est bien, estima Aurèle, car Adalmode va être assez indisponible dans les mois à venir et nous avons beaucoup de travail en commande.

– Ne compte pas trop là-dessus, mon cher époux. Je ne vais pas jouer les gestantes impotentes, s’insurgea Adalmode.

– Il faudra néanmoins trouver un juste milieu dans ton travail, déclara Mathilde. Il n’est pas bon que les femmes grosses s’activent outre mesure, surtout à proximité de leur terme.

– Eh oui ! ma chère enfant, fit remarquer Lou en souriant devant la mine renfrognée de sa petite-fille. Tu ne le savais pas mais, le cerbère le plus sévère à Châlus, ce n’est pas moi, c’est ma tendre épouse.

– Quel est le second événement d’importance dans la vicomté ? demanda Aurèle.

– Le concile qui doit se tenir à Limoges en novembre, répondit Lou, on va y discuter de deux questions d’importance.

– Quelles sont-elles ? s’enquit Aurèle que les affaires de l’Église intéressaient toujours, bien qu’il ait renoncé à son noviciat pour épouser Adalmode.

– On devrait trancher définitivement sur l’apostolicité de saint Martial et édicter les règles de la Paix de Dieu.

– Décidément, ce débat sur saint Martial ne sera jamais clos !

– Adémar de Chabannes entend bien emporter définitivement la décision, expliqua Lou. Il croyait l’avoir fait après le concile de Bourges, mais Pierre de Cluses est venu contester ses doctrines jusque sur le parvis de la cathédrale du Saint-Sauveur à Limoges.

– Pour ce qui est de la Paix de Dieu, j’ai entendu dire qu’un grand concile allait se tenir à Bourges début novembre, reprit Aurèle.

– Oui, deux semaines avant le nôtre, à Limoges. C’est à se demander ce qui peut se produire de nouveau en si peu de temps pour que les hommes d’Église veuillent se réunir à aussi brève échéance…

– En fait, si j’ai bien compris, expliqua Aurèle, le concile de Bourges réunira les prélats du nord du royaume sous l’égide d’Aymon de Bourbon, le nouvel archevêque de Bourges, successeur de Gauzlin, tandis que le concile de Limoges réunira plutôt les prélats du Sud.

– C’est en tout cas une belle marque d’honneur pour Jourdain, notre évêque, lui qui avait été contesté dans son sacerdoce par Gauzlin, précisa Lou. Je me souviens que c’est le roi Robert lui-même qui m’a dit avoir souhaité que le concile se tienne à Limoges : il espérait y voir définitivement tranchée la question du saint local.

– Quoi qu’il en soit, ce sera pour moi l’occasion de sortir un peu de mon atelier, se réjouit Aurèle, je suis curieux de savoir comment va se terminer l’affaire de saint Martial et si l’Église va parvenir à imposer cette fameuse Paix de Dieu qu’elle cherche à mettre en place depuis des années.

Le concile de Limoges s’ouvrit le 18 novembre et dura trois jours. Celui de Bourges avait eu lieu quelques semaines plus tôt. La foule des grands prélats était impressionnante. Outre Jourdain, l’évêque de Limoges, et son métropolitain Aimon de Bourges, on notait la présence des Aquitains : Arnaud de Vitabre, l’évêque de Périgueux et successeur du regretté Raoul de Couhé ; Rohon, l’évêque d’Angoulême, successeur du beaucoup moins regretté Grimoald ; Gérard de Blaye, le tout récent archevêque de Bordeaux ; Isembert, l’évêque de Poitiers. Tout comme leurs collègues aquitains, les prélats de Gascogne, d’Auvergne, du Rouergue et du Toulousain étaient très largement représentés. Ainsi, tout le monde ecclésiastique d’un grand quart sud-ouest du royaume avait fait le déplacement jusqu’à Limoges.

Adémar de Chabannes fut l’éminent secrétaire de ce concile, sa notoriété était devenue grande et sa plume réputée. Outre son activisme dans l’affaire de saint Martial, sa participation à l’éradication de l’hérésie orléanaise l’avait rendu célèbre et très populaire parmi les tenants de l’orthodoxie chrétienne.

Pendant la durée du concile, Aurèle ne manqua aucune des séances ouvertes au public et, surtout, il fut là le dernier jour, lors du rendu des conclusions des têtes pensantes de l’Église de France.

– Alors, mon cher Aurèle, quels sont les résultats de toute cette agitation des saintes méninges réunies à Limoges ? demanda Lou, qui ne s’était guère passionné pour les débats du concile.

– L’affaire de saint Martial est close, expliqua Aurèle, nous avons à Limoges la relique d’un authentique apôtre du Christ.

– Certains ont dû avaler leur chapeau, commenta Lou, je connais notamment un évêque de Limoges qui n’est guère convaincu de cette apostolicité.

– Jourdain a dû céder sous le flot des arguments brandis par Adémar de Chabannes. Une lettre du Pape Jean XIX, allant dans le sens de l’apostolicité, est venue emporter la décision finale.

– Adémar sort souvent et fort à propos de ses manches des documents écrits, décréta Lou.

– En effet, répondit Aurèle, et cette lettre papale m’a parue bien éloignée du style traditionnel des patriarches de Rome.

– Et qu’en est-il de la Paix de Dieu ? demanda Mathilde qui suivait d’une oreille distraite la discussion des deux hommes.

– Les grandes règles des conciles précédents ont été reprises et confirmées, expliqua Aurèle.

– Je me souviens que, dès le miracle des ardents, les prélats présents à Limoges à l’époque avaient déjà parlé de cette Paix de Dieu, expliqua Lou.

– En fait, la première assemblée d’importance sur ce sujet fut celle de Charroux, en 989. Ce fut le premier concile sur ce sujet, les décisions y étant consignées dans des canons, continua Aurèle.

– Que contient cette Paix ? demanda Adalmode.

– Tout d’abord, l’Église commence par penser à elle et à protéger ses biens : « Si quelqu’un viole une église sainte ou s’il veut en retirer quelque chose par la force, qu’il soit anathème − à moins de faire réparation », il s’agit là d’un canon émis à Charroux qui fut largement repris à Limoges.

– Je n’en attendais pas moins de nos prélats, ils savent protéger leurs intérêts, commenta Lou.

– Ont été également déclarés anathèmes ceux qui s’en prenaient aux pauvres, à leur bétail ou à leurs biens, continua Aurèle.

– Voilà qui me semble un peu plus chrétien et me plaît davantage, consentit Mathilde.

– Enfin, pour qui frappe monnaie, rognage et mutation ont également été sévèrement condamnés, poursuivit Aurèle.

– Que sont ces rognation et mutage ? demanda Mathilde peu au fait des turpitudes des faiseurs de monnaie.

– Le rognage, expliqua Aurèle, consiste à produire des pièces légèrement amputées d’une partie de leur métal précieux et la mutation consiste à diminuer la part de métal précieux contenue dans les alliages constituant la monnaie. Tout cela aboutit à des dévaluations qui permettent aux batteurs de monnaie de s’enrichir sur le dos des utilisateurs.

– Tous les préceptes de cette Paix de Dieu me semblent dirigés contre les nobles, constata Adalmode, ce sont eux qui pillent les biens de l’Église, massacrent les pauvres et battent les monnaies.

– C’est bien cela, admit Aurèle, la Paix de Dieu est une tentative du clergé pour mettre fin aux exactions des seigneurs et à leurs guerres privées.

– Voilà un vœu pieux qui me semble bien difficile à mettre en œuvre, déclara Mathilde.

– Surtout que ce n’est pas tout, ajouta Aurèle. Dieudonné, l’évêque de Cahors, appuyé en cela par une cohorte de représentants de l’abbaye de Cluny, a prêché la Trêve de Dieu.

– Je crois savoir effectivement qu’Odilon de Cluny milite dans sa région pour l’observation de ces périodes de trêve guerrière, rappela Lou.

– Il sera donc en effet prohibé de se trucider du mercredi soir au lundi matin, ainsi que pendant toute la période de l’Avent, à Noël, pendant le Carême et le temps pascal, précisa Aurèle.

– Voilà qui est curieux, fit observer Mathilde. Ainsi, depuis le lundi matin jusqu’au mercredi soir, on s’égorge, ensuite on prie pour se faire pardonner !

– C’est bien cela, confirma Lou, tu deviens une excellente chrétienne sur tes vieux jours.

– Eh bien, tout cela ne me réconcilie guère avec notre mère l’Église ! décréta l’irrémédiable mécréante.

– Cela va au moins dans le bon sens, estima Aurèle, on ne peut plus s’écharper que pendant la moitié de la semaine.

– Certes, intervint Adalmode, mais qui va faire respecter tous ces beaux préceptes ?

– C’est là toute la question, expliqua Aurèle. Aymon de Bourges a autorisé la création d’une milice de Dieu pour faire appliquer et respecter les recommandations émises au récent concile de sa ville.

– Cela me semble bien dangereux, estima Lou. Ce genre de remède peut s’avérer pire que le mal, ces milices vont commettre des exactions tout comme les troupes des seigneurs.

– L’Église introduit donc la notion de guerre juste et de guerre injuste, déclara Adalmode, songeuse.

– C’est bien cela, ces milices seront les armées de Dieu. Selon les mots d’Aymon, elles seront en « croisade pour notre Seigneur ».

– Je demande à voir la chose mais je crains le pire, continua Lou, quand les hommes se croient investis d’une mission divine, ils perdent toute mesure dans leurs actes. A-t-on créé une de ces milices dans la vicomté ?

– Non, répondit Aurèle, l’évêque Jourdain n’y était pas favorable et le vicomte Adémar encore moins.

– Au moins, nous sommes dirigés localement par des hommes de raison, conclut Lou. J’ai toujours pensé que nous tenions en Jourdain le meilleur de nos évêques depuis fort longtemps et Adémar n’est pas le fils de Guy pour rien, il sait flairer le danger.

MENACES SUR LA COURONNE

Jean était dans sa belle demeure de Noisy, en pleine discussion avec Anne, Jason et Abella, quand il reçut un message écrit apporté par un cavalier. Il en fit sauter le sceau, reconnaissant au passage la marque des Capétiens.

– Ma chère Anne, nous sommes invités par le roi Henri à nous rendre en son palais de l’île de la Cité à Paris.

– Quand cela ? demanda Anne.

– Dès demain.

– Que nous veut Henri ? s’étonna la jeune femme.

– Peut-être a-t-il besoin que tu reprennes les charges de traductrice et interprète que tu occupais auprès de Robert.

– Dans ce cas-là, il n’aurait pas demandé à te voir également, fit remarquer Jason à son père.

– J’ai entendu dire à l’hôpital que la situation du nouveau roi n’était pas fameuse, précisa Abella, ses frères Robert et Eudes en veulent à sa couronne.

– Oui, et ils sont soutenus en cela par la reine Constance, par Nerra et par Eudes de Blois, continua Jean. Tout cela fait beaucoup pour notre roitelet.

– Eh bien, conclut Anne, le mieux est de nous présenter à ce rendez-vous, nous verrons bien de quoi il retourne.

Dès le lendemain matin, comme l’avait demandé Henri, Jean et son épouse se présentaient au comte du Cierge au palais royal de l’île de la Cité. On les fit entrer dans un petit cabinet pour y attendre que le roi soit prêt à les recevoir. Leur surprise fut grande de se retrouver dans la même pièce qu’Eudes, Bjarni et Isabelle.

– Voilà une réunion de famille pour le moins imprévue ! déclara la comtesse de Dreux, fort heureuse de retrouver ses deux frères.

Les enfants de Lou ne s’étaient effectivement pas revus depuis leur séjour à Melun et l’enterrement du roi Robert. Chacun était retourné ensuite vers ses terres, vaquer à ses occupations. Les invités du roi furent introduits dans le salon où le souverain les attendait.

Henri était dans sa vingt-troisième année et ses visiteurs ne purent s’empêcher de faire la comparaison avec son père qu’ils avaient servi si longtemps : le jeune monarque avait belle allure. Il contrastait en cela avec Robert qui, pendant les dernières années de son règne, avait une mine fort médiocre. Cependant, Henri n’avait pas la prestance et la tranquille assurance de son père, on le sentait indécis et inquiet. Il prit la parole :

– Mes amis, je vous remercie d’avoir tous répondu aussi vite à mon invitation. J’ai voulu réunir les principaux conseillers de mon père, car je me trouve dans une situation des plus délicates.

– Nous avons promis à votre père de vous servir avec le même zèle que nous l’avons servi, assura Isabelle, vous pouvez donc compter sur nous quelles que soient les circonstances, Majesté.

– C’est heureux, se réjouit Henri, car les circonstances sont fâcheuses, ma mère et mes deux frères sont à la tête d’une importante rébellion, et naturellement Foulques Nerra les soutient.

– J’ai entendu dire qu’Eudes de Blois était également dans l’affaire, ajouta Bjarni qui regrettait encore de n’avoir pas étripé le bougre sur les murailles de Dreux, quand il le tenait à sa merci et qu’Henri lui avait demandé de le gracier.

– Oui, admit le roi quelque peu gêné, j’aurais probablement dû te laisser l’occire quand tu nous avais capturés alors que nous t’assiégions.

– Inutile de ressasser le passé, intervint Isabelle, nous avons donc en face de nous une formidable coalition. De quelles forces militaires disposez-vous, Majesté ?

– Hélas, mon père n’a jamais eu de troupes conséquentes et il me laisse très démuni, j’ai à peine un millier d’hommes autour de Paris.

– J’ai environ cinq cents hommes à Sens, ajouta Eudes, mais je pense qu’il vaut mieux les laisser là-bas pour le moment car nos adversaires rassemblent leurs forces en Bourgogne.

– J’ai également environ cinq cents hommes à Dreux, compléta Bjarni.

– Tout cela est bien dérisoire face aux dix mille combattants que peuvent rassembler nos adversaires en un tour de main, constata Jean.

– Il faudrait nous trouver quelque allié, reprit Henri.

– J’en vois un seul qui fasse la mesure, répondit Isabelle, c’est Robert de Normandie.

– Il est très affairé à pacifier son duché, objecta le roi. Aux dernières nouvelles, il faisait face à une révolte de ses vassaux.

– D’après les toutes dernières nouvelles, intervint Bjarni, il les a largement battus et ses ennemis le surnomment désormais « Robert le Diable » depuis qu’il les a écharpés et obligés à demander grâce à genoux.

– Pourquoi les Normands voleraient-ils au secours de ma couronne ? s’interrogea le roi.

– Parce que Robert est un homme de parole, expliqua Isabelle. Il a juré fidélité à son suzerain, le roi de France, il sera toujours pour vous un soutien indéfectible, tout comme son père le fut. Il n’a pas l’âme basse et fourbe des comtes d’Anjou ou de Blois.

– Il est assez humiliant pour moi d’aller lui demander secours, estima Henri.

– Voilà pourquoi, si Votre Majesté le permet, j’irai lui demander moi-même, ajouta Isabelle.

– Vous feriez cela pour moi, madame ? demanda le roi soudain plein d’espoirs.

– J’en ai fait bien plus pour votre père, Majesté, répondit Isabelle.

– Cela est vrai, admit Henri, et je sais par ailleurs que Robert ne peut rien vous refuser.

– Je me demande si nous ne pourrions pas également solliciter l’aide de Baudouin de Flandres, suggéra Eudes. Son fils a épousé votre sœur, il se sentira peut-être obligé de vous soutenir.

– Rien n’est moins sûr, déclara Isabelle, Baudouin est un ours solitaire qui n’a pas pour habitude de s’égarer dans des conflits qui ne le concernent pas directement.

– Fort bien, conclut Henri. Commençons par demander l’aide des Normands, nous verrons ensuite.

– Par ailleurs, reprit Isabelle, je pense qu’il serait opportun de renouer les liens avec le Saint Empire germanique. Votre père avait rencontré Henri II, il serait judicieux que vous renouveliez un pacte d’entraide avec Conrad de Salique. Si le roi et l’empereur s’entendent et se soutiennent l’un l’autre, peu de barons seront assez fous pour venir vous défier.

– Encore une idée qui me semble judicieuse, madame la Comtesse de Dreux, s’exclama le roi, soudain de meilleure humeur devant les perspectives d’alliance que lui proposait Isabelle. Anne, pourrez-vous me traduire les courriers que je vais rédiger pour mon cousin Conrad ?

– Naturellement, Majesté, répondit la femme de Jean.

– Quant à vous, messieurs, continua le roi à l’adresse de Jean, Bjarni et Eudes, puisque vos femmes sont occupées, il ne faut pas que vous soyez en reste, je vous demande de réfléchir à la manière de mener la bataille contre nos ennemis et de m’en faire un rapport dès demain.

Les hôtes d’Henri prirent congé et se retrouvèrent dans les appartements que Jean, en tant que médecin du roi, avait conservés au palais.

– Henri semble vouloir nous occuper comme le faisait son père, dit Bjarni.

– Oui, moi qui aspirais à une retraite paisible et méritée, reprit Eudes, il va falloir y surseoir.

– Tu n’abuses personne, mon cher Eudes, ironisa Anne, tout le monde sait bien que tu es ravi de guerroyer pour ton roi.

– Il est vrai que l’inaction est ce que je redoute le plus au monde, reprit le fils aîné du seigneur de Châlus.

– À mon avis, et vu la position de ton domaine de Sens, enchaîna Jean, tu n’auras guère l’occasion de t’endormir dans les années à venir. Même si nous matons Robert, la succession de Bourgogne s’annonce mouvementée et je sais que Rodolphe va bientôt quitter ce bas monde. Sa santé s’étant fortement altérée ces derniers temps, ses médecins sont venus prendre mon avis, mais je ne suis pas très optimiste.

– En tout cas, Henri semble vouloir écouter nos conseils, reprit Isabelle, mais je n’arrive pas à bien sonder son âme, il reste mystérieux sur bien des points.

– J’espère surtout qu’il nous laissera mener la campagne militaire, précisa Bjarni, son inexpérience en la matière pourrait nous être fatale à un moment où nos faibles effectifs nous imposent au contraire une grande habileté.

– Aussi, nous n’allons pas attendre qu’il prenne des initiatives malheureuses, proposa Eudes. Pendant qu’Anne et Isabelle accompliront leurs missions diplomatiques, je suggère que nous voyions comment, à un contre dix, nous allons empêcher nos ennemis de ravir la couronne.

Cette nuit-là, Eudes, Bjarni et Jean veillèrent fort tard pour discuter de la meilleure stratégie à opposer à la forte coalition qui se dressait contre le roi Henri.

La nuit du souverain fut également studieuse car, au petit matin, un serviteur apporta à Anne le texte rédigé par Henri et destiné à Conrad de Germanie qu’elle devait traduire. La femme de Jean se mit au travail sur-le-champ, tandis que son époux, Eudes, Bjarni et Isabelle se rendaient dans les appartements du roi.

Henri reçut rapidement tout son monde. Un air soucieux avait pris la place de l’euphorie de la veille.

– Il y a du nouveau, attaqua le roi, bille en tête. Il semble que nos ennemis nous aient pris de court.

Puis il demanda à un garde de faire entrer les messagers.

À peine ouverte la porte d’un petit cabinet attenant à la salle d’audience, les anciens conseillers de Robert eurent la surprise de voir entrer Hermine, Guy-Lou, Adémar et Tibelle.

– Que faites-vous là ? demanda Eudes fort étonné de voir toute sa famille. Pourquoi avez-vous quitté Sens ?

– Notre ville est aux mains des ligueux, annonça Hermine d’un air abattu.

– Comment cela est-il possible ? s’exclama Eudes.

Guy-Lou prit la parole, estimant qu’il relaterait mieux les événements militaires que sa mère, épuisée.

– Le lendemain de ton départ, en début de semaine, la ville a été traitreusement ouverte aux soldats de Robert et de sa mère, en pleine nuit, par quelques complices à l’intérieur des murs. Il n’y a pas eu de siège, la garnison a été totalement prise au dépourvu, tous nos hommes sont emprisonnés.

– Et comment avez-vous fait pour échapper à ce traquenard ? s’enquit Lou.

– Tu m’avais montré tous les souterrains de la ville, expliqua Guy-Lou, quand j’ai compris ce qui se passait, j’ai réveillé mère et les jumeaux et nous avons fui. Nous avons chevauché toute la nuit pour arriver à Paris où je savais que nous trouverions refuge.

– Bien, mon fils, tu as au moins évité que ces bâtards ne vous prennent en otages.

– Le problème, intervint Bjarni, c’est que plus rien ne retient les rebelles pour marcher sur Paris.

– Ce n’est plus de l’aide qu’il faut demander à Robert de Normandie, déclara Isabelle, c’est carrément l’asile.

– Je ne vais pas abandonner ainsi ma capitale, s’insurgea Henri.

– Je pense qu’il le faut, Majesté, conseilla Eudes, si les révoltés vous capturaient, ils pourraient vous destituer officiellement. Je propose que vous alliez chercher de l’aide en Normandie pendant que Bjarni et moi organisons la résistance sur place.

Le roi prit le temps de la réflexion : fuir devant ses ennemis en abandonnant Paris lui déplaisait au plus haut point. D’un autre côté, les arguments d’Eudes lui semblaient justes : s’il était pris, c’en était fait de sa couronne.

– C’est entendu, reprit le souverain, où pouvons-nous trouver Robert de Normandie ?

– J’ai déjà fait partir un courrier hier soir, déclara Isabelle, pour lui fixer rendez-vous dans sa capitale à Rouen. Il y a soixante lieux à parcourir, il nous faudra bien trois jours pour y parvenir.

– Mettons-nous en route dès à présent, proposa Henri, plus vite nous serons de retour avec les troupes normandes, plus vite nous pourrons secourir Eudes et Bjarni.

C’est ainsi que le roi et Isabelle partirent le jour même pour la Normandie, escortés d’une cinquantaine de gardes.

Bjarni et Eudes discutaient de la stratégie à adopter :

– Nous avions déjà peu de troupes, déclara le Viking, et nous voici privés de ta garnison qui est prisonnière à Sens.

– Cela est effectivement ennuyeux, admit Eudes, mais je songe néanmoins à récupérer mes hommes.

– En reprenant la ville ? demanda Bjarni avec étonnement. La chose me paraît difficile. La place n’est pas simple à investir, nos ennemis n’ont pu s’en rendre maîtres que par la ruse.

– Et c’est également par la ruse que je compte reprendre mes hommes, expliqua Eudes qui, se tournant vers Guy-Lou, lui demanda : sais-tu où les conjurés retiennent nos soldats ?

– Dans leurs baraquements à côté de la prison, répondit le jeune homme sans hésitation, et je crois qu’ils ont serré Monbœuf et ses sergents dans les geôles.

– C’est bien ce que j’espérais, déclara Eudes, il y a un souterrain qui mène jusqu’à la prison, c’est celui que Brunon m’avait fait prendre pour quitter Sens.

– Tu m’avais dit que ce maudit évêque l’avait fait murer pour éviter que tu ne reviennes par là avec des renforts, s’étonna Bjarni.

– C’est exact, répondit Eudes, et j’ai veillé à ce que le mur ne soit pas démoli pour éviter toute mauvaise surprise par ce souterrain.

– Alors, comment veux-tu libérer tes hommes par cette voie ? s’enquit Bjarni.

– Tu sembles oublier les effets de la poudre noire de notre cher Jason, précisa Eudes, ce n’est pas une porte murée qui va lui résister.

– Je pense en effet qu’on doit pouvoir faire exploser la chose avec la poudre noire, confirma Jean.

– Le bruit va réveiller les hommes de Robert, fit observer Guy-Lou.

– Certes, répondit Eudes, mais ils ne nous empêcheront pas de repartir par le souterrain. Je pense d’ailleurs que les insurgés laisseront peu d’hommes à Sens, Robert aura certainement besoin de ses troupes pour marcher sur Paris.

– C’est entendu, acquiesça Bjarni, tu vas tenter de récupérer tes hommes à Sens. Pendant ce temps-là, je fais venir les miens à Paris pour les regrouper avec les soldats d’Henri et nous nous préparerons à défendre la capitale.

– Comment vas-tu prévenir ta garnison à Dreux ?

– Les pigeons de Fulbert connaissent la route par cœur, déclara Bjarni, Lou-Leif et Orlon amèneront mes hommes, je vais rester ici pour organiser notre défense et choisir un lieu propice pour affronter nos adversaires.

– Je vais rester avec toi, proposa Jean, tu auras sûrement besoin du feu grégeois et de la poudre noire. Eudes, je t’envoie Jason, il saura faire exploser cette porte murée.

– Eh bien, notre stratégie me semble toute définie, estima Eudes. Si je récupère mes hommes, nous pourrons attaquer les conjurés sur leurs arrières et les prendre ainsi entre deux feux.

Quelques minutes plus tard, Jason arrivait en compagnie d’Abella dont la grossesse arrivait à son terme.

– J’ai rempli un tonneau de poudre noire, annonça le jeune médecin, c’est plus que suffisant pour faire exploser toute une muraille.

– Il va falloir traverser les lignes ennemies pour aller jusqu’à Sens, expliqua Eudes, il faudra être discrets.

– Deux bons paysans avec un charriot passeront inaperçus, répondit Jason.

– Trois paysans, fit remarquer Guy-Lou, j’ai largement atteint l’âge de prendre part à cette affaire.

Du haut de ses seize ans, le fils d’Eudes entendait bien faire partie de l’expédition. Jason jeta un coup d’œil à son oncle pour recueillir son avis.

– C’est entendu, confirma le comte de Sens, il est temps que tu passes aux exercices pratiques et que nous voyions si ta formation a été correcte.

Bjarni et Jean pensèrent chacun de leur côté qu’effectivement Guy-Lou serait à la hauteur : il avait atteint la taille de son père et ce dernier lui avait enseigné ce qu’il fallait savoir pour mater les adversaires de tout poil. Voyant que son frère obtenait gain de cause, Adémar tenta sa chance :

– Et moi, puis-je venir avec vous ?

– Certainement pas, intervint Hermine, qui voyait déjà avec regret partir l’un de ses fils dans cette expédition. À neuf ans, tu ne crois tout de même pas que tu vas aller à la bataille !

– C’est en effet un peu prématuré, admit Eudes en souriant à son deuxième fils, tu resteras pour protéger ta mère et ta sœur, ainsi qu’Anne et Abella. Tu seras le seul homme sur place, c’est une mission de confiance.

Adémar ne pipa mot se demandant si défendre les femmes n’était pas une mission de seconde importance. Mais il préféra se taire plutôt que d’affronter le courroux de sa mère.

– Il nous faut réfléchir à la manière de diriger cette campagne, reprit Bjarni. A-t-on une idée de l’endroit où se trouvent nos ennemis ?

– Pas vraiment, avoua Eudes, outre qu’ils ont pris Sens, pour le reste on ne connaît pas leur stratégie.

– La première des choses à faire est d’envoyer des éclaireurs pour nous renseigner, décréta Jean, et il te faut attendre les résultats de ces recherches avant de partir délivrer tes hommes.

– Soit ! admit Eudes, quel est l’état de nos réserves en poudre noire et en feu grégeois ?

– Nous disposons d’une grande quantité de feu grégeois, expliqua Jean, j’en ai accumulé de nombreuses barriques dans mes caves à Noisy en les faisant passer pour du vin de Bourgogne, je savais bien que cette réserve nous serait utile un jour.

– Quant à moi, j’ai stocké plusieurs boisseaux de poudre noire, ajouta Jason.

– Je n’en attendais pas moins de vous deux, ironisa Eudes.

– Comment utiliser ces deux armes ? demanda Bjarni. Les tubes de Jason pourraient nous servir à nouveau…

– Je les ai mis de côté après notre petite affaire à Sens, précisa le jeune médecin, ils sont dans les sous-sols de l’Hôtel-Dieu.

– Pour ce qui est du feu grégeois, reprit Jean, c’est sur l’eau qu’il est le plus intéressant, mais nous n’avons pas de bataille navale en vue.

– Si je parviens à libérer mes hommes, reprit Eudes, nous disposerons de trois corps d’armée : ma troupe, la garnison de Bjarni à Dreux et les hommes d’Henri à Paris. Il faudrait que nous coincions nos adversaires entre ces trois corps d’armée.

– Je vais songer à cela, annonça Jean, mais avant tout il nous faut savoir où sont nos adversaires et quelles sont leurs forces.

La réponse à ces questions ne tarda pas à arriver. Deux jours plus tard, les éclaireurs envoyés au renseignement revenaient, apportant des nouvelles inquiétantes : après avoir pris la ville de Sens par la ruse, les rebelles étaient partis vers le nord pour contourner Paris, ils avaient pris Senlis et Béthisy et ils se dirigeaient maintenant vers Poissy.

– Ils veulent isoler Paris avant d’en faire le siège, commenta Eudes, le roi a bien fait de partir au plus vite, j’espère qu’avec Isabelle ils ont pu se faufiler à travers les mailles du filet.

– Nous n’avons eu aucun bruit d’une éventuelle capture de Sa Majesté, précisa le chef des éclaireurs.

– Sait-on de combien d’hommes disposent nos adversaires ? demanda Bjarni.

– Environ cinq mille Bourguignons auxquels se sont alliés cinq mille Blésois, répondit le soldat. On dit que la reine Constance a promis à Eudes de Blois la moitié de la ville de Sens en échange de sa participation.

– Cette Constance a bien le diable au corps ! ne put s’empêcher de commenter Jean. Qui aurait cru qu’elle puisse un jour s’entendre avec le Blésois ?

– Nerra semble avoir eu plus de réticences, fit observer Bjarni, il n’a pas mis de troupe dans cette affaire. Guerroyer aux côtés des Blésois doit lui donner de l’urticaire.

– Cela m’arrange, commenta Eudes, ils ont dû laisser un minimum de gardes à Sens. Je pense que, si je parviens à libérer mes hommes, après avoir pris Poissy, les insurgés devront faire route vers le sud pour venir nous intercepter.

– Nous pourrons effectivement t’utiliser comme appât pour amener nos adversaires là où nous voulons les affronter, estima Bjarni.

– Il faut choisir cet endroit avec soin, commenta Jean, nous sommes tellement peu nombreux que toute fausse manœuvre nous serait fatale.

– Bien ! je commence à y voir plus clair, déclara Eudes, je vais libérer mes hommes à Sens. Bjarni, tu devrais aller au-devant de tes troupes pour en prendre la direction et toi, Jean, tu rassembles les troupes parisiennes.

– Il faut que nous puissions communiquer entre nos trois corps d’armée pour savoir où nous retrouver, nota Jason.

– La chose sera difficile, estima Bjarni, nos ennemis grouillent tout autour de Paris et les pigeons voyageurs ne peuvent trouver une troupe en marche.

– C’est pourquoi il nous faut prévoir dès aujourd’hui le lieu où nous voulons affronter Constance et sa ligue, déclara Jean.

– Père, j’ai songé à cela, intervint Jason.

Tout le monde se retourna vers le jeune homme. D’habitude, c’était Jean qui « songeait » dans la famille mais on savait que Jason avait hérité des méninges paternelles et qu’il avait souvent d’excellentes idées.

– Ainsi, mon fils, toi aussi tu « songes », reprit Jean, une lueur d’amusement dans l’œil.

– Oui, tout d’abord, quel est le moment où une armée est la plus vulnérable ? demanda le jeune homme à cette assemblée d’experts.

Il fallut peu de temps pour que lesdits experts tombent tous d’accord :

– Lors de la traversée des rivières, assura Bjarni se faisant le porte-parole des autres.

– C’est bien ce que j’ai pensé, reprit Jason. Pour venir de Poissy à la rencontre des hommes d’oncle Eudes, les conjurés devront franchir la Seine. Or nous disposons d’armes très efficaces sur l’eau, il faut donc les faire traverser à un endroit où il n’y a pas de pont, un gué un peu profond ferait bien notre affaire.

– Il y a plusieurs gués sur la Seine en amont de Paris, précisa Jean.

– Oui, reprit son fils, mais un seul se trouve juste après l’embouchure d’un affluent de la Seine, affluent dans lequel nous pourrions verser, à l’abri des regards ennemis, quelque mixture de notre composition.

Tout le monde garda le silence un instant pour bien comprendre l’idée de Jason.

– Ma foi, ce marmot me semble plutôt bien affûté du cortex, estima Eudes, et où se trouve ce gué fort bien venu ?

– À Villeneuve-Saint-Georges, annonça Jason, j’ai étudié les cartes, nous ne trouverons pas d’endroit plus propice pour attendre nos adversaires.

– Si j’ai bien compris, conclut Eudes, j’amène mes hommes sur la rive droite de la Seine à Villeneuve-Saint-Georges et j’attends que nos adversaires traversent.

– C’est cela même, confirma Jason, père nous rejoindra en ce lieu avec les troupes parisiennes.

– Et moi, j’arrive en provenance de Dreux dans le dos des conjurés, ajouta Bjarni, et j’étripe leur arrière-garde.

– Vos vieilles méninges fonctionnent assez vite, commenta Jason.

– Il va falloir que je trouve rapidement de nouvelles idées pour ce plan, estima Jean, sous peine de me sentir totalement inutile dans cette famille !

VILLENEUVE-SAINT-GEORGES

Dès le lendemain, Eudes, Guy-Lou et Jason avaient revêtu des habits de vilains et cheminaient vers Sens dans un chariot à l’arrière duquel ils avaient déposé un petit tonneau de poudre noire et dissimulé leurs armes.

– Si nous libérons tes hommes, déclara Jason, il est peu probable qu’ils puissent emporter leurs épées et leurs montures. Ta troupe va se retrouver quasi nue pour aller à la bataille.

– Finement analysé, monsieur le Stratège, aussi les vieilles cervelles ralenties de ton père et de ton oncle ont-elles prévu la chose : Jean va nous faire acheminer cinq cents chevaux et autant d’armements qui nous attendront près de la chapelle de Saint-Denis, à quelques lieues au nord de Sens.

– Il est bon de voir que vous n’êtes pas totalement racornis des méninges, commenta Jason en souriant.

Guy-Lou écoutait la conversation de ses deux compagnons de voyage sans y prendre part.

– Te voilà fort taiseux, mon cousin, nota Jason. Toi qui as pourtant la langue si bien pendue d’habitude, que se passe-t-il ?

– C’est que j’attends depuis tellement longtemps ma première bataille, avoua le fils d’Eudes, que j’en ai la glotte toute nouée.

La remarque fit sourire les deux autres, Eudes songeant qu’il ne pouvait pas renier ce fils : il avait connu les mêmes impatiences à son âge.

Les voyageurs arrivèrent en vue des murailles de la ville de Sens trois jours après leur départ de Paris. Ils avaient croisé en route plusieurs patrouilles de l’armée des rebelles qui ne s’étaient guère intéressées à ces trois bouseux dans leur chariot tiré par deux bœufs. Eudes ne mit pas longtemps à retrouver l’entrée du souterrain dans le champ à l’ouest des murailles. Les trois hommes attendirent la nuit pour pénétrer dans le tunnel afin qu’un maximum des gardes insurgés dorment au moment où ils libéreraient la garnison de la ville. Ils allumèrent des torches pour cheminer dans l’étroit boyau qui était muré depuis bientôt cinq ans. Une demi-heure plus tard, ils parvinrent devant la porte empierrée par Renon.

– Nous y sommes, déclara Eudes. À toi de jouer, Jason.

Le fils de Jean prit le tonnelet qu’il tenait sous son bras.

– Je vais mettre une faible quantité de poudre, expliqua-t-il, il ne faut pas faire écrouler tout le souterrain et une forte déflagration tirerait du lit tous les insurgés.

– Je pense que le bruit n’ira guère au-delà des prisons, estima Guy-Lou, nous sommes au fin fond des geôles au troisième niveau sous la terre.

À l’aide de sa dague, Jason avait descellé une pierre à la base de la porte murée. Il y déposa une petite quantité de poudre.

– As-tu une mèche ? demanda Eudes, qui savait que l’on devait amener le feu sur cette poudre.

– Non, répondit Jason, j’ai trouvé un autre procédé pour faire venir le feu jusqu’à notre poudre.

Ce faisant, le jeune homme entreprit de déposer une petite traînée de sa poudre sur le sol en rebroussant chemin dans le souterrain. Il traça ainsi une ligne sur une bonne quinzaine de coudées, jusqu’au premier virage du tunnel.

– Je pense que cela fera l’affaire, déclara Jason. Ici, nous serons à l’abri de l’explosion et des projections de pierres qu’il pourrait y avoir.

Eudes acquiesça de la tête. Jason pencha sa torche et le petit sillon de poudre noire s’enflamma.

– Bouchez-vous les oreilles, conseilla le jeune homme, ça va faire un boucan du diable !

Il ne fallut qu’une vingtaine de secondes pour que la flamme atteigne la réserve de poudre à la base de la porte. L’explosion qui suivit parut énorme aux trois hommes. Malgré leur torche, ils ne voyaient pas grand-chose car une épaisse fumée emplissait le tunnel. Eudes se précipita en premier dans le boyau pour voir l’état de la porte : un gros trou d’une coudée de diamètre se trouvait à l’endroit où Jason avait posé sa poudre. Plusieurs coups sur les pierres sus-jacentes les firent tomber et, bientôt, la voie fut libre. Le couloir qui se présentait devant eux était plongé dans le noir. De chaque côté se trouvaient des cachots dans lesquels des hommes, tirés de leur sommeil par l’explosion, tentaient de comprendre ce qui se passait. Eudes se précipita devant la première cellule et y reconnut l’un des sergents de sa garnison.

– Nous venons vous libérer, annonça-t-il à l’homme, où sont les gardes et combien sont-ils ?

– Ils sont à l’étage au-dessus, environ une dizaine, répondit le sergent, fort surpris de voir ainsi surgir son seigneur des entrailles de la terre.

– Dépêchons-nous, lança Eudes par-dessus son épaule à ses deux compagnons. Il faut profiter de l’effet de surprise, l’explosion a dû les réveiller. Ne laissons-leur pas le temps de s’organiser.

Les trois hommes coururent au fond du couloir où un escalier en colimaçon permettait d’accéder au second niveau. Eudes l’emprunta le premier, suivi de près par Jason et Guy-Lou. Un homme à la mine renfrognée surgit en haut de l’escalier, une lanterne dans une main et son épée dans l’autre. Eudes ne lui laissa pas le temps de réfléchir, lui enfonçant trente centimètres de bon acier châlusien dans le thorax. Les trois hommes surgirent au second niveau pour constater qu’une dizaine de gardes se trouvaient là. Les rebelles, tirés de leur sommeil par l’explosion, regardaient ces trois diables surgis des sous-sols en se demandant comment ils avaient pu arriver là. Eudes et ses compagnons, ne jugeant pas bon d’entreprendre une discussion explicative, se ruèrent sur les Bourguignons. La bataille fut assez brève, Guy-Lou se retrouva en face d’un garde ventru qui, voyant le jouvenceau se présenter devant lui, pensa qu’il n’en ferait qu’une bouchée. Erreur funeste, car le jeune homme, après quelques assauts furieux, pourfendit le Bourguignon comme les mannequins sur lesquels il s’entraînait d’habitude. Guy-Lou regardait d’un air étonné sa victime agonisant au sol, le spectacle était assez horrible. Loin d’éprouver de la joie après cette première victoire, il eut plutôt un sentiment de dégoût, mais déjà un second garde se présentait devant lui, une énorme hache à la main, coupant court à tous ses états d’âme. Il réagit très vite, se découvrant des réflexes qu’il ne se connaissait pas. Il para les coups de hache et parvint à reprendre l’initiative et, finalement, à trucider ce second garde. Après ce deuxième assaut, il fut surpris de constater que plus aucun bruit ne se faisait entendre autour de lui : Eudes et Jason avaient massacré le reste des gardes et le regardaient tranquillement finir son combat.

– Le petit se débrouille assez bien ! observa Jason en voyant s’écrouler le second adversaire de Guy-Lou.

– Le style est correct, admit Eudes, mais il est encore un peu lent, j’ai cru que nous allions devoir attendre toute la nuit pour qu’il en finisse.

Le petit en question était aussi grand que Jason et Eudes, mais il n’avait aucune envie de pavoiser.

– Il n’est pas temps de se paonner, déclara-t-il pour masquer son trouble. Toute la garnison bourguignonne va nous tomber dessus, il nous faut trouver les clés pour libérer nos hommes.

– C’est que le bougre a de la suite dans les idées, ironisa Eudes, ravi de voir que son rejeton ne le décevait pas dans la bataille.

Les trois hommes trouvèrent rapidement le trousseau de clés et libérèrent les sergents ainsi que Monbœuf qui se trouvait parmi les captifs.

– Y a-t-il d’autres gardes à l’étage au-dessus ? demanda Eudes au chef de sa garnison.

– Non, répondit Monbœuf, seulement des prisonniers, mais le reste de nos hommes se trouve dans les baraquements au-dehors où il y a encore une bonne vingtaine de gardes.

– Bien, continua Eudes, prenez les armes des hommes que nous avons occis. Nous allons libérer nos compagnons du premier étage. Et ensuite, il nous faudra attaquer les gardes des baraquements pour rendre la liberté à nos troupes, après cela nous nous enfuirons par le souterrain.

Le plan parut clair à Monbœuf qui ne posa aucune question. On récupéra encore cinq hommes détenus au premier étage. La troupe d’Eudes se composait maintenant d’une vingtaine de combattants.

– À présent, il nous faut occire les gardes des baraquements avant qu’ils ne donnent l’alarme à toute la garnison des rebelles, expliqua Eudes à ses soldats. Comment sont retenus nos hommes ?

– Ils sont enfermés dans cinq baraques, précisa Monbœuf, les gardes logent dans la sixième, la plus proche de la prison. En général, la nuit, une dizaine d’hommes patrouillent entre les baraques, les autres dorment.

– La moitié d’entre nous doit donc s’occuper des hommes qui patrouillent, l’autre de ceux qui dorment, ordonna Eudes.

Le comte de Sens divisa ses effectifs en deux groupes : Jason, Guy-Lou et lui-même poursuivraient les gardes en patrouille, c’est là qu’il faudrait être rapidement efficace car ces hommes pouvaient donner l’alarme si on les laissait s’échapper.

Les gardes qui patrouillaient résistèrent quelque peu, mais ils furent rapidement décimés et aucun ne parvint à s’enfuir pour donner l’alarme. Ceux qui se trouvaient dans la baraque connurent le même sort.

– Vite ! ordonna Eudes à ses hommes, il faut réveiller tous les prisonniers et les faire descendre rapidement dans le souterrain. Si le reste de la garnison bourguignonne nous tombe dessus, nous ne ferons pas le poids.

Chacun courut vers les baraquements, la cour devant la prison s’emplit des soldats de Sens dont plusieurs dormaient encore à moitié. Monbœuf et ses sergents réunirent à la hâte tout le monde vers la prison, tandis qu’on entendait des cris venus de la ville prouvant que l’ennemi avait compris qu’il se passait des choses anormales vers le quartier des prisonniers. Jason et Guy-Lou, qui avaient pris la tête du cortège des fuyards, entraînèrent les hommes vers le souterrain dont bien peu connaissaient l’existence.

Quand tout son monde eut pénétré dans la prison, Eudes en ferma la porte à clé de l’intérieur. Le volumineux panneau de bois retarderait la poursuite des Bourguignons. Il poussa ensuite devant lui les derniers fuyards vers le troisième niveau des sous-sols et le tunnel. Jason l’attendait à l’entrée du boyau.

– J’ai encore suffisamment de poudre pour faire exploser l’entrée du tunnel et l’obturer sur plusieurs mètres.

– Bonne idée, mon neveu ! estima Eudes. Pose ton tonneau ici et faisons un nouveau sillon de poudre comme tout à l’heure.

– Si l’on veut que le tunnel s’effondre, la charge doit être plus importante, expliqua Jason.

– C’est toi le maître exploseur, déclara Eudes, je te laisse juger du dosage.

Les hommes étaient déjà loin dans le tunnel quand Jason mit le feu à sa poudre. Avec Eudes ils se mirent à courir pour s’éloigner au maximum car Jason n’avait qu’une idée approximative de la longueur de tunnel qui allait s’écrouler. Le bruit fut bien plus fort que celui qui avait accompagné l’explosion de la porte. Il sembla aux deux fuyards que la terre tremblait sous leurs pieds, mais la voûte du souterrain ne s’effondra pas sur leurs têtes.

Quand ils parvinrent à l’air libre, ils constatèrent que tous les hommes étaient là, rassemblés par Guy-Lou et Monbœuf.

– Dépêchons-nous ! ordonna Eudes tout en s’ébrouant pour faire tomber la poussière qui recouvrait son heaume. Il nous faut gagner au plus vite la chapelle de Saint-Denis où doivent nous attendre armes et chevaux. Je ne serai tranquille que lorsque nous serons correctement équipés. Si les Bourguignons nous trouvent dans cet état, je ne donne pas cher de notre peau.

Il fallut aux fugitifs deux heures de marche forcée en pleine nuit pour parvenir à la chapelle. Là, Eudes eut la satisfaction de voir que Jean avait tenu parole : une dizaine d’hommes les attendait en gardant le troupeau des chevaux promis et cinq chariots bourrés d’armes. Les Sénonais prirent possession de ces équipements avec des grognements de satisfaction. Ils s’étaient sentis nus jusque-là, ils étaient maintenant prêts à fendre du Bourguignon.