Physiologie de la Chaumière - Anonyme - E-Book

Physiologie de la Chaumière E-Book

Anonyme

0,0

Beschreibung

Extrait : "Bien des gens s'imaginent encore que les élèves d'Hypocrate font leurs études à l'école de médecine, et que les nourrissons de Thémis sucent le lait de la jurisprudence, l'école de droit; erreur ! Il importe aux intérêts de l'histoire et de la morale de faire connaître la vérité..."

À PROPOS DES ÉDITIONS LIGARAN

Les éditions LIGARAN proposent des versions numériques de qualité de grands livres de la littérature classique mais également des livres rares en partenariat avec la BNF. Beaucoup de soins sont apportés à ces versions ebook pour éviter les fautes que l'on trouve trop souvent dans des versions numériques de ces textes.

LIGARAN propose des grands classiques dans les domaines suivants :

• Livres rares
• Livres libertins
• Livres d'Histoire
• Poésies
• Première guerre mondiale
• Jeunesse
• Policier

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern

Seitenzahl: 79

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



IDe la Chaumière examinée sous le point de vue scientifique, historique et comique

Bien des gens s’imaginent encore que les élèves d’Hypocrate font leurs études à l’école de médecine, et que les nourrissons de Thémis sucent le lait de la jurisprudence l’école de droit ; erreur ! Il importe aux intérêts de l’histoire et de la morale de faire connaître la vérité.

Le temple de la science, pour les deux écoles, c’est la Chaumière : la Chaumière est le peint central de tous leurs travaux pathologiques, législatifs et tabagiques ; c’est là qu’on rencontre des Justinien en herbe, c’est là qu’on voit pousser des futurs Dupuytren, c’est là qu’un jeune avocat commence brillamment sa carrière… d’électeur et de père de famille ; c’est là qu’un adolescent chirurgien se prépare à se lancer au rang des célébrités… vétérinaires, aux succès ébouriffants du strabisme et de la croix-d’honneur ; c’est là, enfin, que naissent et se développent toutes les gloires du pays, en fait de procès et de maladies, toutes les illustrations des tribunaux, des hôpitaux et de la garde nationale !

La Chaumière est un vaste établissement situé au sud de Paris, entre le cimetière du Mont-Parnasse et l’infirmerie des Pairs de France (vulgairement appelée le Luxembourg). N’allez pas conclure de ce triste voisinage que la Chaumière est un lieu de chagrin, d’affliction et de solitude ; au contraire, c’est le séjour le plus animé, le plus gai, le plus étourdissant qui se puisse rencontrer au milieu des morts et des mourants ; séjour enchanteur, empire fortuné des amours, des jeux, de la folie et des pipes culottées ; c’est le paradis de l’étudiant, sur la terre ; les grisettes sont ses houris, le cancan son Dieu, et le père Lahire n’est pas son prophète.

Il y a beaucoup d’appelés et pas mal d’élus dans ce jardin céleste ; car pour y être admis, on ne vous demande que cinquante centimes, une tenue décente, chapeau de rigueur, et trente centimes par contredanse.

L’entrée, garnie de fleurs, de lanternes et de sergents-de-ville, vous présente d’abord une allée tortueuse et fleurie dont l’aspect fait déjà pressentir les égarements de la vertu et les contorsions du plaisir. Vous arrivez bientôt sous un cintre de verdure entrelardé de lampions de couleurs, et alors se développe à vos yeux le spectacle le plus féerique, le tableau le plus merveilleux que l’invention puisse fournir aux imaginations les plus orientales du monde ; à gauche, c’est la galerie du restaurant, éclairée par cent mille becs de gaz, où vous voyez tant de groupes variés s’enivrer sur des tables de marbre aux flots du kirsch ou du punch brûlant et aux parfums du Havane ; là, une petite maîtresse prend une glace, ici une grande coquette se mire dans une autre… Les garçons passent : gare les tâches ! On appelle, on crie, on jure de tous côtés ; c’est un bruit, c’est un désordre échevelé ; la confusion est satanique. Mais regardez en face de vous : quel autre genre de délire ! c’est celui de la danse ; les robes s’en vont au vent, soulevées avec grâce et agitées par des bonds ; les écharpes sont flottantes et les chevelures bouclées serpentent mollement sur de blanches ou brunes épaules, les petits pieds sont impatients, les bras sont arrondis, les regards langoureux, les élans frénétiques, les mouvements voluptueux, et, au milieu de tant de charmes, un sourire agaçant ! une main pressée ! un mot d’amour !… Ah !… n’est-ce pas là le bonheur ? Attendez… Voyez à droite, à travers ces grands arbres… voyez les montagnes russes dont le char rapide achève d’entraîner la vertu qui chancelle ; montez à ce pavillon gothique, lancez-vous dans les airs, et dites-moi si l’ange le plus pur ne deviendrait pas un lutin, au milieu de tant de surprises, de sensations, de pièges et de séductions, au milieu d’une atmosphère si enivrante de parfums, d’harmonie et de fumée de tabac.

Vous avez glissé comme un sylphe, au bruit des quadrilles et des valses, à travers les feuillages et les fleurs, et vous voilà dans ces bosquets sombres et mystérieux, où des bancs de gazon vous offrent un repos si perfide.

Mais on entend bientôt sonner onze heures ; tout est fini, il faut partir ; la Chaumière va se fermer, les lumières s’éteignent, la musique cesse ; plus d’illusion, plus de plaisir.

Alors l’étudiant et la grisette se retirent, lui chez elle, ou elle chez lui ; mais toujours l’un avec l’autre, car l’étudiant et la grisette sont nés pour être unis ; Paul de Kock l’a bien remarqué : il y a dans chacun d’eux-mêmes goûts, mêmes passions, même insouciance de l’avenir, et l’étudiant ne saurait rien faire sans la grisette, « étant sa fortune liée avec cette compagne, » comme l’a si judicieusement observé le docte Pasquier… en parlant de tout autre chose.

Eh ! dira peut-être en lisant ces premières lignes le bon parent qui, du fond de sa province a envoyé son fils ou son neveu faire ses études… à la Chaumière, j’entrevois bien là quelques plaisirs pour mon Gustave (ou pour mon Alfred ou pour tout autre), mais les études ! le travail ?… – Patience, monsieur, nous y voici :

Justinien qui eut le premier l’heure use idée de resserrer le cadre des lois, de simplifier la législation et qui confia ce travail à MM. Tribonien, Théophile et Dorothée, a invité par son exemple Messieurs nos législateurs à simplifier de plus en plus la science des lois, et leurs élèves d’aujourd’hui ont si bien adopté ce système, que les plaisirs de la Chaumière leur offrent maintenant assez de sujets d’études d’observation et de matière de travail pour les instruire suffisamment, et les lancer dans la carrière.

En effet, vous conviendrez avec moi que, pour peu qu’on ait lu son code, on trouve à la Chaumière mille occasions d’en tirer des applications et d’en expliquer le sens ; – tantôt, c’est une querelle entre deux rivaux, et vous avez à examiner le droit de chacun ; tantôt, c’est une maîtresse insultée et vous cherchez la peine applicable au délit ; une autre fois, c’est une désobéissance de votre jeune épouse, et vous avez à lui rappeler l’article du chapitre VI du titre du Mariage où il est dit :

La femme doit obéissance à son mari.

Et vous pouvez ajouter avec toute la dignité que donne l’érudition.

Sic volo, sic jubeo, stet pro ratione voluntas !

Enfin, il se présente souvent jusqu’à des questions de succession et même de paternité !…

Il en est de même pour l’étudiant en médecine, c’est à la Chaumière qu’il trouve la première occasion de tâter le pouls à une personne qui se trouve mal, – d’examiner une contusion, causée par un maladroit dans un cancan exagéré, – d’étudier les symptômes de la fièvre, chez une grisette horriblement vexée par une rencontre inattendue, – les attaques de nerfs, – les syncopes, les palpitations de cœur ; – combien de fois sa femme n’a-t-elle pas besoin de son secours à la vue d’un ancien ? – Et son ami, un peu trop rassasié de gâteaux et de Champagne ne lui offre-t-il pas une ample matière à examen sur les effets de l’indigestion ?… C’est là où il trouve encore des sujets vivants pour lui faire étudier l’anatomie, les merveilles de l’organisation humaine, les mystères de la propagation des êtres, et l’initier complètement à la connaissance du corps humain… féminin.

Eh bien ! quoi de plus instructif qu’une soirée à la Chaumière. La Chaumière ! c’est le palladium des sciences médicales et législatives. – il y a bien encore par-ci par-là dans les écoles, des cours, des professeurs, des examens à subir ; mais tout cela n’est qu’un petit cérémonial auquel on ne se soumet plus que par habitude, par complaisance ; le temps et le progrès en feront bientôt justice. – Déjà les professeurs ont renoncé pour leurs leçons, à faire l’appel nominal si rigoureux autrefois ; ils reconnaissent donc l’inutilité de la présence de leurs élèves, et nous devons dire, à la louange de ceux-ci, que la Chaumière est bien plus fréquentée que les écoles de droit et de médecine.

Quel est donc le fondateur de cet établissement, et à qui la France est-elle redevable d’un monument si précieux ? Voilà ce que nous avons cherché dans la nuit du temps, dans la poussière des archives, dans les nuages de la tradition. C’est le héros que nous avons voulu déterrer pour lui élever une statue, et voici coque nous avons trouvé.

Vers l’année 1788, un Anglais nommé Tinkson établit sur le boulevard extérieur, non loin de l’Observatoire, quelques petites cabanes couvertes en chaume, sous lesquelles il appela les danseurs au son d’une musique non champêtre ; le temps le favorisa dès les premiers jours, il fit beau, et son établissement plut… au public. – La jeunesse s’y porta en foule, et ce fut le bal des chaumières ; mais rien ne prospère sans entraves, sir Tinkson avait un voisin, restaurateur, du nom de Philard, le restaurant du sieur Philard avait pour titre la Polonaise, et la Polonaise attira quelques danseurs qui passèrent des agitations de la danse aux douceurs de la table : en revanche, il arriva aussi que des enfants de Momus quittèrent à leur tour la table pour retourner à la danse. Les deux voisins travaillèrent donc à se faire concurrence et ils se virent d’un mauvais œil. Cependant, ils sentirent bien que s’ils pouvaient se nuire ils pouvaient encore mieux se favoriser mutuellement. – L’Anglais, naturellement industrieux, va au-devant des traités de commerce, sir Tinkson vint trouver Philard.

– Moi porter tort à vous, lui dit-il, et vous porter tort à moi, voulez-vous être accommodés ensemblement ?

Le Français est né malin, et le père Philard répondit :

– Eh bien soit, vous ferez danser mes convives, je ferai manger vos danseurs, réunissons nos industries.

– Goddem !… Yes !…

Et le traité fut conclu.

Les deux établissements n’en firent plus qu’un qui prit le nom de Grande Chaumière