Rennes, échec au fou - Valérie Lys - E-Book

Rennes, échec au fou E-Book

Valérie Lys

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Beschreibung

D'étranges crimes à élucider pour le commissaire Velcro.

Au cœur du vieux Rennes, une librairie ancienne propose de beaux livres qui attendent les connaisseurs. Un lieu aussi suranné que tranquille...
Et pourtant, ce havre de paix va devenir le théâtre de vols étranges, puis de meurtres...
Velcro, commissaire à la Crim' délégué sur les lieux, saura-t-il découvrir la grille de lecture qui lui permettra de mettre fin à ce jeu pervers ?

Un polar palpitant à découvrir sans attendre !

EXTRAIT

— Vous pouvez me raconter ce qui s’est passé ici ? lui demandai-je.
— Je vais vous répéter ce que j’ai déjà dit à vos collègues. Je ne sais rien de plus.
— Ça ne fait rien. C’est toujours intéressant d’entendre les faits racontés de la voix même de la victime. Sans le savoir, vous pouvez me donner un renseignement précieux pour la suite de l’enquête.
— Comme vous voulez. Ça a commencé il y a environ un mois. La librairie ouvre à 10 heures. Ce matin-là, je me souviens très bien, c’était un mercredi, j’arrivai comme tous les jours vers dix heures moins dix. J’ai tout de suite vu que la porte avait été forcée. Elle n’est pas blindée. Le voleur a dû utiliser un pied-de-biche. Ça a été un jeu d’enfant. Je pousse la porte. J’entre dans la librairie, j’allume les lumières. Tout paraissait en ordre au premier coup d’œil. En y regardant de plus près, j’ai eu l’impression que les rayonnages étaient moins chargés que la veille. Il y avait comme de l’espace entre les livres. J’ai eu vite fait de constater qu’en effet, il en manquait. Un peu partout. Sans désordre apparent. C’est comme si quelqu’un était entré, s’était servi sur les étagères et était reparti tranquillement, sans rien déranger.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Née en 1962 dans le Val-de-Marne, Valérie Lys est médecin biologiste et vit dans les environs de Rennes depuis une vingtaine d'années. Elle y dirige un laboratoire d'Analyses Médicales. Elle est aussi expert en réparation juridique et dommage corporel.
Mariée, mère de trois enfants, passionnée de peinture et de littérature, elle écrit depuis l'enfance : théâtre, nouvelles fantastiques, polars... Ses multiples voyages sont une source d'inspiration.
Elle est membre fondateur et vice-présidente du collectif rennais CALIBRE 35, dont le but est de dynamiser la scène rennaise de l'édition polar.

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VALÉRIE LYS

Rennes,

échec au fou

DU MÊME AUTEUR

Auxéditions du Palémon

1. Rennes, échec au fou

2. Confessions rennaises

3. Grise mine à Fougères

4. Les Rouges et Noirs

CE LIVRE EST UN ROMAN

Toute ressemblance avec des personnes, des noms propres,

des lieux privés, des noms de firmes, des situations existant

ou ayant existé, ne saurait être que le fait du hasard.

À Georges qui m’a accompagnée

I

J’atteignais enfin la rue d’Échange. C’était une de ces nombreuses petites rues du centre-ville qui faisaient le charme du vieux Rennes. Elle était adossée à la cathédrale et faisait la nique au nouveau quartier du Bourg-l’Évesque. Quel contraste entre cette tour que les Rennais appellent « les Horizons », véritable mirador d’une architecture me rappelant la prison de la Santé, et cette charmante ruelle habillée de pavés inégaux et de maisons de guingois !

Qu’est-ce qu’elle grimpait cette rue d’Échange ! J’étais arrivé à la gare de Rennes, il y avait une demi-heure à peine et j’en avais déjà plein les bottes. Au propre comme au figuré d’ailleurs. La pluie m’avait assailli dès ma descente du train. Le ciel plombé pesait sur mes épaules. Mes lunettes pleuraient tout ce qu’elles voyaient. Mon nez gouttait comme au pire d’un coryza allergique. Je vous épargne l’état de mes chaussettes. J’avais l’impression de marcher sur un tapis d’algues oubliées par le reflux d’une grande marée. C’était visqueux, poisseux. En y regardant de plus près, je distinguais même des bulles qui éclataient le long de mes semelles fatiguées.

Cela me rappelait une enquête qui m’avait déjà amené à Rennes, quelques années auparavant. Un homme avait décapité sa maîtresse. Sinistre histoire… Je me souviens que la pluie ne nous avait pas quittés. Le ciel en dégorgeait des torrents sans discontinuer du matin au soir.

Enfin, j’avais atteint mon but : la rue d’Échange. Maintenant, il fallait que je trouve le numéro 3. Je regardai la plaque la plus proche : 38. Comme de bien entendu, le 3 était à l’autre bout de la rue. Tout en haut. Décidément, cette enquête commençait sous de mauvais augure.

D’ailleurs, je l’avais pressenti dès que mon supérieur m’avait appelé. Son sourire m’avait tout de suite donné la chair de poule. Je connais le divisionnaire Lefevre depuis bientôt dix ans. Je sais trop bien ce que signifie ce sourire enjôleur.

— Mon cher Velcro, entrez donc, me dit-il en me tapotant l’épaule.

Si j’avais su ce qui m’attendait, j’aurais pris mes jambes à mon cou.

— Un petit tour en Bretagne, ça vous plairait, non ?

— Araignées de mer, huîtres, crêpes et cidre bouché. Ok, patron. Je suis partant.

Le divisionnaire m’avait alors raconté l’affaire en détail. Tout du moins le peu qu’il en connaissait. Il avait reçu un coup de fil de son collègue rennais. Celui-ci lui avait parlé d’un libraire dont on volait des livres depuis quelques semaines et d’un cadavre retrouvé dans la réserve de sa librairie la semaine dernière. Aucun rapport apparemment entre les vols et le meurtre, car il s’agissait bien d’un assassinat. Vie tranquille du libraire et de la victime. Nul lien entre les deux hommes. Bref, son collègue breton pataugeait. Il avait besoin de l’aide de la capitale.

Et voilà pourquoi maintenant je grimpais la rue d’Échange. Je serrais mon imperméable contre moi en espérant garder secs quelques millimètres de peau. Les assauts de la pluie étaient décidément imparables. Je ressemblais à un rugbyman en pleine mêlée.

17, 15. J’approchais.

Numéro 3. Ça y était. Haletant, dégoulinant mais vainqueur, j’étais face à la librairieComète GAÏA.

Vous avez compris que je suis commissaire à la police criminelle. Commissaire Velcro, la trentaine arrondie par défaut, un mètre quatre-vingts grimpé sur la première marche d’un escabeau, barbu, baraqué et la bonne humeur du gars facile à vivre. Je trouve que mon nom me va comme un gant. Malgré ma jeune carrière, ma ténacité est déjà connue dans les couloirs du commissariat. On dit même que ma réputation dépasse les limites de la capitale. Je m’accroche à tous les indices, à toutes les pièces à conviction, à tous les suspects. À la moindre présomption, j’adhère. Et je tiens ferme. Jusqu’à résolution complète de l’enquête.

*

C’était une petite librairie, comme il en existait tant quand j’étais gamin. Petite devanture vieillotte. Boiseries vertes dont la peinture s’écaillait par endroits. On discernait mal l’intérieur tant les vitres étaient encombrées d’affiches. En revanche, on était surpris du rendu final parfaitement géométrique. Elles avaient été collées avec soin sur la vitrine. Il s’agissait essentiellement des publicités pour les concerts locaux.

Plus éclectiques, des affiches aux couleurs criardes annonçaient des concerts de rap dans un bar club voisin. À côté de ces annonces publicitaires, étaient collées des feuilles A4, photocopies piochées dans différentes revues. S’exprimaient Michel Onfray sur la philosophie d’aujourd’hui, Robbe-Grillet sur le dernier Goncourt ou encore Jean d’Ormesson sur l’avenir de l’Académie française.

Sur un des vantaux verticaux de la librairie, le programme des soirées littéraires du mois en cours vous renseignait sur les sujets abordés, les horaires et l’invité du jour.

J’adorais l’ordre qui s’exprimait au travers de toutes ces affiches. On se serait cru devant des vitraux. Une ambiance envoûtante se dégageait d’une telle devanture.

Qui pouvait bien vouloir foutre la pagaille dans un lieu pareil ?

Un frisson me fit redescendre sur terre. Demain matin, j’allais sûrement me réveiller avec un bon rhume de cerveau.

« Comète GAÏA ». Comment pouvait-on donner à sa librairie un nom pareil ? Malgré sa petite taille, c’était une boutique connue à Rennes. Elle était mentionnée dans certains guides touristiques locaux. Je les avais lus lors de mon premier passage dans cette ville, il y avait cinq ans à peu près. C’était à l’occasion de mon enquête sur le meurtre d’une jeune femme.

Mon pire souvenir professionnel ! Ce fut mon seul échec. Malgré tous mes efforts, je n’ai jamais réussi à dépister l’assassin de cette pauvre femme. On l’avait retrouvée étranglée chez elle. Il faut préciser, à ma décharge, que la PJ n’avait cessé de me mettre des bâtons dans les roues. Je n’avais même pas pu interroger le mari de la victime. Ni même le voir d’ailleurs. Un vrai fiasco !

Il faudrait qu’en rentrant à l’hôtel ce soir, je pense à demander un dictionnaire à l’hôtelier. Entre nous, je ne savais pas bien qui était cette « GAÏA » et je n’oserais certainement pas montrer mon inculture au libraire en lui posant la question. Il me semblait que cela avait un rapport avec la mythologie, mais, moi et les dieux, on a toujours fait deux.

J’entrai.

Personne.

On pénétrait directement dans une pièce unique, de petite taille. À droite, une table servait de comptoir. Des piles de livres parfaitement alignés y concurrençaient les pyramides égyptiennes. À gauche, des présentoirs. Quelques livres privilégiés étaient sagement posés sur des portoirs métalliques qui les maintenaient verticaux. Rien que quatre ou cinq livres. Pas plus.

Le fond de la librairie disparaissait derrière des étagères. Elles croulaient sous des livres de formats décroissants. Du plus grand à gauche jusqu’au plus petit à droite. En y regardant de plus près, j’eus l’impression d’un immense embrouillamini. Les auteurs français côtoyaient les auteurs étrangers. Les éditions de poche frôlaient les éditions limitées. Les romans dialoguaient avec les essais. Visiblement, le libraire avait opté pour un classement par taille et non par genre. Pour des affamés de lecture, c’était le paradis.

Deux bougies diffusaient une odeur entêtante de pot-pourri. Leurs flammes vacillaient au moindre de mes déplacements. Elles dessinaient des ombres mouvantes sur la tranche des livres. Ambiance d’enquête policière réussie !

— Bonjour Monsieur, puis-je vous aider, vous conseiller peut-être ?

Je sursautai. Je n’avais pas entendu l’homme s’approcher de moi. Il sortait d’une porte dérobée qui avait échappé à mon observation. La réserve, pensai-je.

— Je me présente, commissaire Velcro. Je suis chargé d’enquêter sur le meurtre qui a eu lieu dans votre librairie.

Je frottais mon imperméable pour égoutter l’eau accumulée avant de continuer :

— C’est ça que vous appelez « le crachin breton » ? Moi, j’appellerais plutôt ça « la mousson ». Heureusement que mon hôtel est tout proche d’ici. Je suis trempé jusqu’aux os.

J’apercevais une petite mare qui se formait autour de mes chaussures.

— Je suis désolé. Je suis en train de salir toute votre boutique.

— Ça ne fait rien, Commissaire, elle en a vu d’autres, ne vous inquiétez pas. Un petit coup de serpillière et il n’y paraîtra plus.

Poignée de main. L’homme qui me faisait face était en parfait accord avec sa librairie. Petit, trapu. Des cheveux gris, parfaitement raides et trop longs. Des cheveux filasse, qui fréquentent sûrement davantage les doigts du libraire que son peigne. Chemise de coton épais à carreaux rouge et noir. Jean informe et délavé. Sandalettes à lanières détonnant totalement sous ce climat. Tout le désordre humain dans sa perfection ! Rêveur, perdu, ailleurs.

— Ah oui ! C’est vous ! Je vous attendais. On m’avait prévenu de votre visite. Je vous en prie.

Plus je le regardais, et plus il me faisait penser au nain, Atchoum, de Blanche Neige. Gros nez, paupières tombantes, lèvres épaisses, yeux humides. Tout était pataud en lui. J’avais devant moi un véritable héros de roman policier. J’aurais été l’assassin, c’est un gars comme lui que j’aurais choisi comme victime.

— Vous pouvez me raconter ce qui s’est passé ici ? lui demandai-je.

— Je vais vous répéter ce que j’ai déjà dit à vos collègues. Je ne sais rien de plus.

— Ça ne fait rien. C’est toujours intéressant d’entendre les faits racontés de la voix même de la victime. Sans le savoir, vous pouvez me donner un renseignement précieux pour la suite de l’enquête.

— Comme vous voulez. Ça a commencé il y a environ un mois. La librairie ouvre à 10 heures. Ce matin-là, je me souviens très bien, c’était un mercredi, j’arrivai comme tous les jours vers dix heures moins dix. J’ai tout de suite vu que la porte avait été forcée. Elle n’est pas blindée. Le voleur a dû utiliser un pied-de-biche. Ça a été un jeu d’enfant. Je pousse la porte. J’entre dans la librairie, j’allume les lumières. Tout paraissait en ordre au premier coup d’œil. En y regardant de plus près, j’ai eu l’impression que les rayonnages étaient moins chargés que la veille. Il y avait comme de l’espace entre les livres. J’ai eu vite fait de constater qu’en effet, il en manquait. Un peu partout. Sans désordre apparent. C’est comme si quelqu’un était entré, s’était servi sur les étagères et était reparti tranquillement, sans rien déranger.

— Combien en a-t-il volé ?

— Une bonne vingtaine. Le voleur a pris son temps. C’est comme s’il était allé à la bibliothèque et avait emprunté tous les livres qui lui plaisaient. Il était sûr que personne n’allait venir le déranger. Il a fait comme chez lui.

— Et alors ?

— Et alors, j’ai fait une déclaration de vol à la gendarmerie. J’ai été remboursé grâce aux factures que je leur ai fournies. Et puis, j’ai repris le cours de mes affaires. Mais vous savez, le mal est dans la tête.

— Seulement le voleur ne s’est pas arrêté à ce premier vol, n’est-ce pas ?

— Absolument. La semaine suivante, rebelote. Exactement la même mise en scène. Ou plutôt l’ab­sence de mise en scène. Cette fois-ci, il n’a embarqué qu’une dizaine de livres. Un intellectuel, je vous dis. Un fou de lecture. Un type qui a peut-être épuisé tout le stock de la bibliothèque de son quartier.

Il sourit à cette idée. Mais rapidement son visage se rembrunit. Il continua :

— À partir de là, j’ai commencé à moins rire. Chaque matin, j’arrivais angoissé à la librairie. Je scrutais le moindre recoin pour voir s’il ne manquait pas un ouvrage. Ça tournait à l’obsession.

— Rien de plus normal, lui répondis-je pour lui remonter le moral.

Et puis je lui demandai :

— Qui travaille avec vous à la librairie ?

— Personne. Je travaille seul. Vous savez, de nos jours, les librairies indépendantes comme la mienne ont beaucoup de mal à s’en sortir. Je ne peux pas avoir d’employé.

— Donc, c’est vous qui ouvrez chaque matin. Vous avez plusieurs trousseaux de clefs ?

— Oui, c’est moi qui ouvre tous les jours. Et je n’ai qu’un trousseau. Il est toujours sur moi. J’y mets toutes mes clefs, celles de la librairie, de ma voiture et de mon appartement. Mais le voleur n’en a pas eu besoin. Il a trouvé une solution plus radicale.

Après une courte pause, il continua :

— Je dois vous dire que j’ai aussi une clef de la boutique que je laisse toujours sur place en cas d’extrême urgence. Mais personne ne sait où elle est.

Je m’approchai de lui et lui susurrai à l’oreille :

— Et à moi, vous pouvez me le dire ?

Il me regarda, surpris.

— Bien sûr. Vous êtes commissaire, non ? Je peux vous faire confiance.

— Évidemment, secret professionnel !

Nous n’étions que tous les deux. Il n’y avait personne d’autre dans la boutique.

— Je la mets dans la gouttière, juste au-dessus de la porte d’entrée, au niveau du store, me souffla-t-il plus qu’il ne me parla.

— Personne n’y a touché, ajouta-t-il. Vous savez, je suis célibataire. Ma vie n’est constituée que d’une succession d’habitudes. Je crois que je m’en serais rendu compte… Et puis il y a eu le cadavre…

Silence.

Pour le moment, il me faisait plutôt pitié, mon libraire. Résigné, apathique.

— Pouvez-vous me montrer la réserve, s’il vous plaît ? lui demandai-je.

Je commençais à avoir des fourmis dans les jambes. Mon pantalon en séchant me collait aux cuisses. J’avais besoin de l’assouplir en me dégourdissant un peu.

— Bien volontiers. Excusez-moi, je passe devant vous. Suivez-moi, je vous prie.

Nous nous engouffrâmes au fond de la librairie. Jusqu’à présent, aucun client n’y était entré. Il faut dire qu’avec le temps de chien qu’il faisait, il fallait être un vrai fanatique de littérature pour venir aujourd’hui chercher des nourritures terrestres.

Il n’y avait pas de porte mais un simple rideau. Il l’écarta et s’effaça pour me laisser passer. Je me trouvais dans un réduit pas plus grand qu’un placard à balais. Une cafetière était à même le sol. Une cuillère en plastique ainsi qu’un paquet de café entamé étaient alignés à côté. J’aperçus même deux vieux trophées sportifs coincés entre des cartons. Le libraire suivait mon regard. Il s’empara des coupes et d’un air embarrassé, les camoufla sous une caisse.

— Excusez le désordre, Commissaire. Ce sont des vieux souvenirs sans importance.

Il faudrait vraiment que je range.

Il devait se moquer de moi en parlant de désordre. Dans ce réduit minuscule, au contraire, tout était aligné au cordeau : des cartons pleins formaient une montagne rectiligne le long du mur du fond, trois balais et deux seaux étaient en ligne le long du mur d’en face.

On devinait des multitudes de livres rangés dans ces cartons. La plupart ne sortiraient peut-être jamais de leur emballage. Que de matière grise dépensée pour rien !

S’il y a quelque chose que je ne ferai jamais, c’est bien prendre la plume, pensai-je. Moi, mon truc, c’est la natation et les mots croisés. À eux deux, ils ne me déçoivent jamais. Et ils me flattent à la fois le corps et l’intellect.

Le libraire attendait. Il se racla la gorge. Je revins à la réalité.

— C’est donc là que le cadavre a été retrouvé la semaine dernière, lui demandai-je.

— En effet, c’est exactement là où vous êtes. Il était recroquevillé sur lui-même et à moitié caché sous les cartons. Le pire, c’est qu’en tombant, le corps a renversé tous les cartons. Je les ai retrouvés en désordre. C’était effrayant !

— Vous retrouvez un cadavre dans votre librairie et ce qui vous émeut le plus, c’est le désordre que cela entraîne ?… Vous êtes un homme surprenant, cher Monsieur !

Il me regarda et leva les bras au ciel. Aucun son ne sortit de sa bouche.

Je repris :

— Vous êtes d’un calme olympien pour raconter un meurtre. Je suis impressionné.

— Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise ? J’ai eu le temps de tourner cent fois cette histoire dans ma tête. Je n’y comprends rien. Je ne me connais aucun ennemi. Je n’avais jamais vu ce pauvre gars avant. On me vole des livres à deux reprises. Et puis la semaine dernière, j’arrive le matin comme d’habitude. Je fais le tour de la librairie. Rien ne cloche. Tous les livres sont à leur place. Il n’en manque aucun. Je vais dans la réserve pour me faire un café. Et là, je tombe nez à nez avec un mort. Un homme d’une trentaine d’années est là, étendu au milieu de mes livres. Il a la tête fracassée. Du sang partout. Il est entré chez moi, je ne sais pas comment. Il s’est fait tuer. Par qui ? Pourquoi ?

— En effet, vous avez de quoi rester zen, ironisai-je.

— N’est-ce pas ? me répondit-il avec un sourire contrit.

En fait, je commençais à le trouver sympathique mon libraire. Il paraissait tellement détaché de ce qui lui arrivait ! Il en avait presque l’air suspect.

Le divisionnaire Lefevre m’avait fourni le compte rendu de l’autopsie. L’homme était mort d’un enfoncement de la voûte crânienne par un objet non retrouvé sur le lieu du crime. La majeure partie du cerveau avait été réduite en bouillie. La mort avait été quasi immédiate. La victime avait été surprise, le coup ayant été frappé par-derrière. Un seul coup. Ça avait été le bon.

Il s’appelait Francis Ducas. Il était psychiatre à l’hôpital psychiatrique de Rennes. Un parcours sans histoire, marié, deux enfants. Heureux en ménage d’après son entourage. Il était responsable d’une antenne de psychothérapie de groupe à l’hôpital. Il mettait en scène des épisodes de la vie de ses patients. Ces comédies théâtrales, interprétées par les malades eux-mêmes, avaient, semble-t-il, nettement amélioré leurs pathologies. Il était très apprécié par ses collègues et ses patients. Tous avaient paru très affectés par sa disparition.

— Vous êtes sûr de n’avoir jamais vu cet homme auparavant ? demandai-je au libraire par routine.

— Comme je vous l’ai dit. Jamais.

L’homme secoue la tête pour confirmer sa réponse. Il fourre ses grosses mains dans ses poches. En sort un mouchoir ayant déjà essuyé plusieurs tempêtes. Un coup de tonnerre ébranle alors les rayons de la librairie. Puis le mouchoir retrouve la poche. Le calme est revenu.

Je prends congé du libraire. Juste quand je sors, une vieille dame franchit la porte. Elle manque de me crever un œil avec son parapluie. Ne s’en émeut pas pour autant.

— Bonjour madame Duranton, l’entendis-je dire à la femme. Visiblement une habituée qui avait bravé la tempête. Comment allez-vous aujourd’hui ? Et votre mari, est-ce que sa bronchite s’est calmée ?

— Ne m’en parlez pas, avec l’humidité que nous avons, il tousse de plus belle, répondit-elle d’une petite voix aiguë, charmante par ailleurs.

Elle devait s’approcher du libraire.

— Au fait, reprit-elle, avez-vous la date de la mise aux enchères des livres de collection dont nous avons parlé à ma dernière visite ?

— Pas encore, Madame. Mais je vous promets que dès que j’ai des nouvelles, je vous en fais part. Sachant la collectionneuse assidue de beaux livres que vous êtes, je ne me permettrais pas de vous faire rater un événement de cette importance. Il y aura certainement des pièces d’une grande qualité, qui sait, des pièces uniques, des premières éditions numérotées, peut-être même des incunables !

J’imaginais les yeux brillants de la vieille femme se voyant déjà en possession d’un livre rare. Mon Dieu ! Que certaines personnes sont bizarres !

Je n’entendis pas sa réponse.

Le libraire m’avait déjà oublié. Décidément, c’était un drôle de bonhomme !

II