L'or de la momie - Valérie Lys - E-Book

L'or de la momie E-Book

Valérie Lys

0,0

Beschreibung

Lors d'une visite au Louvre, Adrien Velcro et sa collaboratrice Déborah sont témoins du vandalisme d'une momie égyptienne, commence alors une enquête des plus étranges....

Le commissaire Delcourt ayant décidé de célébrer ses soixante ans avec ses anciens collègues de la PJ parisienne, c’est tout naturellement qu’il invite Adrien Velcro et sa collaboratrice Déborah à se joindre aux festivités.
Profitant de cette opportunité, le commissaire et sa fidèle acolyte se rendent au prestigieux musée du Louvre afin d’en admirer les trésors. Mais leur visite ne se passe pas vraiment comme prévu : une momie égyptienne est vandalisée. Présents sur place, les deux policiers sont des témoins de premier ordre et se retrouvent malgré eux plongés dans les méandres d’une enquête délicate. Rapidement, les faits troublants s’enchaînent. Un meurtre commis dans un laboratoire de recherches et le signalement d’un bébé en danger interpellent le commissaire Velcro. Un lien peut-il exister entre tous ces évènements ? L’enquête mènera le commissaire Velcro et sa fidèle Déborah de Paris jusqu’au grand Nord, de l’époque des pharaons jusqu’à l’aube d’avancées médicales pleines de promesses.

Accompagnez le commissaire Velcro et Déborah dans leur nouvelle aventure aux multiples rebondissements !

À PROPOS DE L'AUTEURE

Née dans le Val de Marne, Valérie Lys, est médecin biologiste et vit dans les environs de Rennes depuis une vingtaine d’années. Elle y dirige un laboratoire d’Analyses Médicales. Elle est aussi expert en réparation juridique et dommage corporel. Mariée, mère de trois enfants, passionnée de peinture et de littérature, elle écrit depuis l’enfance : théâtre, nouvelles fantastiques, polars… Ses multiples voyages sont une source d’inspiration. Elle est membre fondateur et vice-présidente du collectif rennais CALIBRE 35, dont le but est de dynamiser la scène rennaise de l’édition polar.

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern
Kindle™-E-Readern
(für ausgewählte Pakete)

Seitenzahl: 214

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



Couverture

Page de titre

Retrouvez ces ouvrages surwww.palemon.fr

CE LIVRE EST UN ROMAN.

Toute ressemblance avec des personnes, des noms propres, des lieux privés, des noms de firmes, des situations existant ou ayant existé, ne saurait être que le fait du hasard.

Chapitre 1

Nous faisions face à la pyramide du Louvre, version triangulaire du monolithe emblématique des années 70, à la différence près qu’au lieu de nous élever vers les limbes, nous nous apprêtions à descendre vers les siècles passés. Une semaine plus tôt, mon ancien chef divisionnaire Delcourt, muté comme moi à la brigade rennaise, nous avait invités, ma coéquipière Déborah et moi-même, à fêter ses soixante ans. Jusque-là, rien de bien extraordinaire, sauf qu’il avait décidé de revenir sur Paris et de rassembler tous nos anciens collègues parisiens à la PJ. Arrivés la veille, nous avions convenu, surtout Déborah d’ailleurs, que nous ferions tous les deux une escapade au Louvre en attendant le grand soir.

Aspirés par le célèbre triangle de verre, nous débouchâmes au milieu du hall Napoléon. Face à nous s’ouvrait l’aile Sully, réservée à l’époque médiévale et à la civilisation égyptienne. Déborah en était férue. Après avoir emprunté le chemin se faufilant entre les renforts de la tour du vieux Louvre, nous montâmes à l’étage. L’enfilade de sarcophages était impressionnante. Couchés le long des murs ou debout dans des vitrines trônant au centre de la pièce, ils affichaient tous une conservation impeccable. Quelques-uns retenaient davantage l’attention, comme celui, gigantesque, en pierre sculpté de symboles égyptiens, le sarcophage de Iniouya, un fonctionnaire important de la fin de la XVIIIe dynastie, qui cumulait les titres de scribe royal et de grand intendant de Memphis. Divinités à tête d’ibis, Anubis, hiéroglyphes et représentation des quatre fils d’Horus ornaient les parties latérales tandis que le couvercle montrait l’homme allongé dans toute sa splendeur passée, portant sa longue jupe plissée et sa perruque inversée volumineuse à la mode de l’époque.

Déborah déambulait lentement dans les salles. Audiophone aux oreilles, elle s’arrêtait longuement devant les pièces les plus spectaculaires et commentées. Personnellement, je préférais avancer au gré de la foule, flâner, en quelque sorte, entouré de toutes ces vies disparues depuis si longtemps. La nostalgie m’envahissait devant certains objets du quotidien tels que des soucoupes, des ébauches de cuillère et d’ustensile de cuisine. Parfois, Déborah m’interpellait discrètement pour me faire partager une émotion particulière. Elle me prenait le bras, m’invitant à admirer ce qui la touchait le plus. Je devais reconnaître que l’Égypte ancienne me bouleversait moins que ses doigts crispés sur mon biceps. Depuis plusieurs années maintenant, nous faisions équipe et, bien souvent, notre binôme avait prouvé son efficacité et sa solidité face à des évènements tragiques. Mes épaules lui avaient parfois servi de refuge tandis que ses bras m’avaient laissé entrevoir des tentations dont j’ignorais l’existence avant de la connaître.

Perdu dans mes souvenirs, je me retrouvai devant une vitrine attirant une foule particulièrement dense. Déborah jouait habilement des coudes et finit par réussir à coller son nez contre la paroi en verre. Il s’agissait de l’unique momie du musée. Magnifiquement préservée, c’était un homme vivant à l’époque ptolémaïque, d’après les indications du panneau explicatif.

— Regardez, commissaire, la qualité de la conservation.

Le corps du défunt était soigneusement enveloppé dans des bandelettes de lin. Son visage avait dû initialement être recouvert d’un masque qui maintenant était posé à côté du corps. Un large collier était disposé au-dessus de la tête. Un tablier cachait en partie ses jambes et une enveloppe recouvrait ses pieds, comme pour éviter qu’il n’attrape froid lors des longues nuits d’hiver égyptien.

— Il s’appelait Pachéry, on dirait, reprit ma collègue.

Je me demandais bien comment son nom pouvait être connu mais, après tout, Champollion était passé par là depuis tout ce temps. Les hiéroglyphes avaient dévoilé tous leurs secrets grâce à la pierre de Rosette.

Le masque était orné d’un scarabée ailé, symbole de renaissance. Le large collier ousekh qui couvrait sa poitrine de son vivant était constitué de plusieurs rangs de perles et comportait des fermoirs en forme de tête de faucon. Sur le tablier qui voilait son corps figuraient diverses scènes réparties en registres. La momie allongée était entourée des déesses Isis et Nephthys et des quatre fils d’Horus. Enfin, sur la boîte à pieds prenaient place deux représentations du dieu funéraire Anubis. Les panneaux énuméraient le nom des dieux auxquels le défunt avait confié sa destinée, appelant de tous ses vœux un bel enterrement dans la nécropole. Toutes ces informations étaient détaillées sur un élégant écriteau recouvrant presque la totalité du mur faisant face à la momie.

— Vous vous rendez compte, commissaire, du privilège de cet homme ? En Égypte ancienne, rares finalement étaient ceux qui avaient accès aux pratiques funéraires garantissant une vie éternelle. Beaucoup devaient se contenter d’une simple fosse creusée dans le désert et de quelques modestes offrandes. La préservation du corps était un gage supplémentaire de passage dans l’autre monde.

— Si cela pouvait leur permettre de partir plus détendus, alors tant mieux pour eux, lui répondis-je, légèrement ironique.

— Ils croyaient en la vie de l’au-delà. Leur civilisation était très évoluée.

— D’autres civilisations croient aussi en une vie éternelle, encore aujourd’hui. Vous pensez réellement que cela rend les hommes meilleurs, Déborah ?

— Ça leur permet de mieux supporter les affres de leur existence sur terre, en tout cas…

— Plus de résignation, moins de rébellion. Cela aurait pu être la devise du clergé pendant plusieurs siècles.

— Encore aujourd’hui dans certaines contrées, commissaire mais, c’est vrai, il y a de mauvais hommes partout.

Déborah ébaucha un sourire digne d’une mère attendrie par la naïveté d’un jeune enfant. Je comprenais bien que l’homme, perdu dans l’univers, avait toujours eu besoin de réponses à ses multiples interrogations. L’existence d’un monde meilleur, et surtout d’un meilleur avenir, lui apportait un soulagement certain et lui permettait de tolérer des conditions de vie si difficiles parfois. Mais de nos jours, avec les progrès scientifiques, les découvertes médicales en tous genres, comment était-il possible de continuer à croire en une explication métaphysique de la vie ? Les verrous de nos interrogations sautaient les uns après les autres. La vie n’était le fait que d’un pur hasard ; en tout cas, j’en étais persuadé. Elle n’avait aucun but et disparaissait ou évoluait au gré des évènements.

Déborah écoutait ce que l’historien lui susurrait dans les oreilles. Au bout d’un moment, elle commenta ce qu’elle venait d’entendre :

— D’après ce que l’on sait, commissaire, les premières momies n’étaient que des corps enveloppés dans des bandes de lin imprégnées de résine. Puis, les méthodes ont évolué mais le nombre de momies augmentant beaucoup par la suite, la qualité de leur préservation a eu tendance à décroître. Selon les périodes, la momie pouvait être recouverte d’un vêtement, d’une résille de perles, d’un masque, d’une planche décorée en bois ou d’un cartonnage. À l’époque ptolémaïque, différents éléments en cartonnage étaient installés sur la momie avant qu’elle ne soit déposée dans son cercueil. C’est ainsi que l’on a pu dater, entre autres, l’époque de notre monsieur Pachéry.

Nous reculâmes de la vitrine où les visiteurs, toujours plus nombreux, s’agglutinaient.

Déborah avait réussi à s’extirper de cette glu humaine et me devançait de quelques pas. Je devinais difficilement ses larges épaules qui lui donnaient un port si distingué et mettaient en valeur son cou fin et long.

C’est alors qu’une alarme retentit, stridente et lancinante, tandis que toutes les lumières de la salle s’éteignaient. En un quart de seconde, la panique s’empara de l’aile Sully. Il fallait dire qu’aucune lumière extérieure ne pénétrait dans la salle et que la pénombre était totale. La foule criait et se bousculait. Des enfants s’étaient mis à pleurer. Dans l’obscurité, trouver la sortie était devenu mission impossible car je ne parvenais pas à repérer les enseignes lumineuses localisant théoriquement les issues de secours. Je réussis à me caler contre ce qui me sembla être un recoin de mur. Par moments, des mains me labouraient les côtes, des pieds me heurtaient au hasard. Une haleine chaude et haletante me priva un instant d’oxygène, rapidement remplacée par un hurlement douloureux émis à deux doigts de mon tympan gauche. Je m’accrochai un peu plus à mon recoin, un instant déséquilibré par cette terreur si soudaine. Déborah avait disparu. L’obscurité m’empêchait de discerner sa silhouette. La folie paraissait s’être emparée de la foule alors qu’aucun signe objectif de danger n’était perceptible. Aucune fumée ni aucune odeur suspecte d’intoxication n’indiquaient un éventuel incendie. Aucun son ne confirmait une attaque armée ou un acte terroriste. Une simple coupure d’électricité avait suffi à déclencher une peur irraisonnée et allant crescendo. Je tentai de calmer les gens qui m’entouraient, espérant ainsi un apaisement avec effet boule de neige. Mais le contraire se produisit et, au lieu de les rassurer, le son puissant de ma voix les alarma un peu plus. Parfois, on pouvait entendre des bruits de chute. Certaines personnes devaient heurter les vitrines tels des insectes pendant une nuit d’été.

Le temps semblait interminable. Au bout de longues minutes, des points lumineux apparurent les uns après les autres, éparpillés dans la salle de façon aléatoire. Les téléphones portables entraient en action. Leurs faisceaux, dirigés au hasard dans toutes les directions, laissaient deviner un désordre surprenant. Des masses mouvantes entassées, des bras agités tendus vers le plafond, des silhouettes immobiles et raides. Toute la panoplie des réactions humaines face au danger était concentrée dans cette salle plongée dans le noir. Les sarcophages, imposantes masses rectangulaires, ajoutaient à l’angoisse et à l’imagination exacerbée par l’onde de peur. Tels des zombis statiques, ils semblaient surveiller cet amas de chair humaine désordonnée et prisonnière.

— Commissaire, vous allez bien ? entendis-je soudain près de moi.

Déborah avait réussi à rejoindre mon refuge Le faisceau lumineux de son portable éclairait le bas de son visage. Elle souriait. Son regard était calme.

— Ah, vous voilà, lui répondis-je, faussement en colère. Je vous avais pourtant bien dit de ne pas toucher aux boutons.

Elle se mit alors à rire de ma blague stupide. Son attitude tranchait tellement avec l’ambiance qui nous entourait que je me surpris à aimer cette situation burlesque.

— Désolée, la prochaine fois, je vous écouterai, commissaire.

Elle avait éteint son portable. Je ne distinguais plus ses traits. J’imaginais son air faussement contrit.

Le brouhaha général s’atténua progressivement. Au vu de l’absence d’évènement dramatique, les personnes présentes dans la salle commençaient sans doute à comprendre que la situation n’était pas si grave et qu’une banale panne électrique était probablement à l’origine de ce désordre. De fait, nous entendîmes bientôt une voix ânonner dans les haut-parleurs.

— Mesdames, messieurs, nous sommes désolés pour cet incident. Veuillez garder votre calme. Il s’agit d’une simple panne. La lumière va revenir dans quelques instants. Nous mettons tout en œuvre pour que ce désagrément soit résolu au plus vite.

Comme souvent, les mécontents répondirent vertement à la voix tandis que des soupirs de soulagement se firent entendre aux quatre coins de la salle, alternant avec rires nerveux et échanges verbaux peu amicaux entre voisins improvisés pour qui cette promiscuité s’avérait trop pesante.

Cela faisait presque dix minutes que nous étions ainsi bloqués lorsque, soudain, la lumière revint. Un immense « ah » de libération paraissant sortir d’une seule gorge emplit la salle. Le soulagement se lisait sur les visages. Chacun reprit ses esprits. Les uns se passaient les mains dans les cheveux pour se recoiffer, les autres déplissaient leurs vêtements en tirant dessus nerveusement. Des enfants, aux yeux rougis par les larmes, se frottaient le visage comme s’ils se réveillaient d’un cauchemar tenace. Nous observions calmement la scène avec une surprenante impression d’extériorité. Immobiles, nous assistions au retour à la normalité de toutes ces personnes, suspendue pendant un moment par l’incertitude de l’incident.

La voix retentit une nouvelle fois pour s’excuser au nom du musée de ce désagrément, mais personne n’y portait plus attention.

En quelques minutes, l’aile Sully avait retrouvé son aspect habituel, grouillante de visiteurs, comme si rien ne s’était passé, sauf que lorsque nous sortîmes de notre recoin, notre surprise fut grande. Déjà, quelques personnes s’agglutinaient autour de ce qui était encore, quelques instants plus tôt, la momie de monsieur Pachéry.

La vitrine avait été ouverte. La momie était toujours allongée sur son socle, ses parures intactes. En revanche, son abdomen présentait une incision verticale, s’étendant de la pointe du sternum jusqu’à l’ombilic. Nous nous approchâmes. L’entaille avait été réalisée soigneusement. Les berges de la plaie étaient écartées et ne laissaient aucun doute possible : la momie avait été vidée de son intérieur. Un trou béant avait remplacé ce que j’imaginais avoir été les matières de l’embaumement, mélange de plantes et d’autres substances connues des savants de l’époque.

L’attroupement s’était reculé, comme par respect pour la momie, et un cercle de curieux s’était formé autour de la vitrine vandalisée. Vandalisée n’était d’ailleurs pas le terme exact car aucun acte d’effraction n’était visible. Il n’y avait manifestement aucun vol, aucune dégradation, aucune inscription malsaine. L’ouverture de la vitrine avait été réalisée sans saccage, les serrures n’étaient pas endommagées et la momie avait été, à l’évidence, techniquée avec une précision chirurgicale.

Les gardiens, curieusement inexistants depuis le début de la panne, étaient arrivés aussi nombreux qu’une nuée d’hirondelles au printemps. Mains sur les hanches, talkie-walkie à la bouche ou figés par la stupeur, ils étaient au moins cinq à tenter de comprendre ce qui avait pu se passer.

Déborah, en professionnelle, déambulait à travers la salle. Elle observait de ses yeux bleu sombre les moindres interstices et ouvertures. À la réflexion, même en pleine obscurité, les sorties étaient restées accessibles, les personnes présentes auraient pu sortir ou entrer à leur guise. Des intrus auraient très bien pu pénétrer dans la salle postérieurement à la coupure d’électricité. De plus, depuis le retour à la normale, la circulation des visiteurs avait repris et les coupables pouvaient s’être éclipsés sans aucune difficulté et être déjà hors du musée. Le travail de la police ne serait pas simple.

Je m’approchai d’un des surveillants. Grand et large, il gesticulait dans son uniforme vert des musées nationaux, le téléphone à l’oreille.

La discussion paraissait animée et faisait tanguer le badge pendu à son cou. Celui-ci indiquait qu’il s’appelait Aimé Bonaventure. Il ne pouvait trahir ses origines antillaises. Outre un physique qui ne faisait guère polémique, son nom ôtait le moindre doute pouvant persister. Son teint mat et lumineux, ses cheveux crépus aux légers reflets caramel et les traits fins de son visage s’alliaient parfaitement bien avec son prénom. Il parlait fort, avec un accent fleuri. Ses dents blanches apparaissaient derrière ses lèvres fines qu’il mordait et serrait l’une contre l’autre au gré de son échange. Je restai à l’écart. La conversation prit fin. Il empocha sans ménagement l’appareil tout en maugréant :

— Merde, alors !

— Excusez-moi, osai-je timidement.

Il se retourna vers moi, me dévisagea quelques secondes puis débita d’un ton énervé :

— Vous pouvez continuer votre visite, Monsieur. Merci de circuler. La coupure électrique est terminée. Tout va bien. Veuillez quitter la salle.

Je le regardai à mon tour, l’air étonné.

— Je n’ai pas l’impression que tout aille bien. Je crains, au contraire, que vous soyez face à un problème de taille. Je ne sais pas ce qui a pu se passer mais au vu de votre badge, il me semble que vous êtes l’un des gardiens de la salle, alors…

Il se tourna un peu plus vers moi. Ses yeux vifs fouillaient mon regard afin de comprendre qui pouvait être ce bonhomme à la cinquantaine épanouie, portant bedaine et barbiche rousse. Je lui épargnai l’autopsie virtuelle de mon esprit et me présentai :

— Commissaire Velcro, de la police criminelle.

L’homme recula instinctivement.

— Vous êtes déjà là ? Vous avez fait très vite ! Nous venons à peine de nous apercevoir du saccage de la momie. Pourquoi la crim se déplace-t-elle ? Il n’y a pas eu mort d’homme, à ce que je sache. Certes, son ventre a été ouvert, mais il est mort depuis des milliers d’années.

Déborah m’avait rejoint.

— En effet, vous avez raison. Il y a prescription, dit-elle.

Sa voix calme et douce tranchait avec l’angoisse visible du jeune homme. Lorsqu’il aperçut ma coéquipière, ses traits se détendirent légèrement.

— Pour tout vous dire, le commissaire Velcro et moi-même étions là en touristes pour visiter le Louvre.

— Ah, je comprends mieux maintenant !

Les collègues d’Aimé Bonaventure s’étaient attroupés autour de nous. Seuls trois d’entre eux surveillaient la momie et empêchaient les curieux d’approcher. Ils avaient tendu un ruban plastique rouge et blanc afin d’interdire l’accès à la scène.

Nous en étions là de notre échange lorsque trois hommes surgirent en haut des marches et se dirigèrent rapidement vers nous. À l’évidence, au vu de sa démarche et du léger retrait de ses deux acolytes, celui du milieu était le chef.

— Monsieur, Madame, je vous prierai de laisser travailler les employés du musée. Veuillez continuer votre visite…

Le surveillant s’interposa timidement et lui coupa presque la parole.

— Excusez-moi, monsieur le directeur, mais ce monsieur est de la police… de la police criminelle, même.

Le directeur, comme l’avait nommé le jeune Aimé, se recula de deux pas et nous dévisagea tous les deux d’un air étonné.

— Je ne crois pas un seul instant, Aimé, que ces deux personnes fassent partie de la police. Je viens à peine de les appeler. Ils ne peuvent pas être déjà sur place. Non, je suis persuadé qu’il s’agit, une fois de plus, de deux vermines de journalistes prêts à diffuser des immondices dans leur feuille de chou.

Bien que la hargne du directeur fût compréhensible, me faire traiter de vermine ne m’emballa pas. C’est avec un malin plaisir que je glissai ma carte professionnelle sous son nez, ce qui lui cloua le bec instantanément.

— Je ne comprends pas, souffla-t-il.

Aimé voulut reprendre la parole mais, d’un geste autoritaire de la main, le grand manitou lui interdit toute nouvelle intervention.

Nous lui expliquâmes alors le motif de notre visite et le hasard de la situation. L’explication dut lui paraître plausible car ses traits se détendirent et il nous offrit une poignée de mains beaucoup plus chaleureuse.

— Je suis désolé. Nous sommes tellement habitués aux médisances et aux fake news, maintenant, que je suis sur mes gardes en permanence. À n’en pas douter, les journalistes vont faire leurs choux gras de cette affaire. J’imagine déjà les gros titres : La momie du Louvre s’est fait Hara-Kiri ou Nouveau décès pour la momie du Louvre…

— Je comprends, ne vous inquiétez pas, Monsieur…

— Désolé, je ne me suis pas présenté : monsieur Paul Calbanan, directeur général du Louvre. J’occupe cette fonction depuis presque quinze ans, alors je sais de quoi je parle. Je connais les médias par cœur, commissaire.

Déborah n’avait pas bronché jusque-là. Elle fouinait du côté de la momie, tournant autour comme une mouche sur un bout de viande. En l’occurrence, le tas de viande n’était plus faisandé mais du style « corned-beef » américain.

— L’incision est vraiment très soigneuse, fit-elle remarquer. Le type savait probablement très bien ce qu’il faisait. Aucune déchirure au niveau de la paroi, aucun désordre dans les objets alentour. Pourtant, avec la panique qu’il régnait, il aurait pu être perturbé. Je mettrais ma main à couper que tout avait été préparé avec méticulosité. La coupure de courant fait certainement partie du plan. Qu’en pensez-vous, Messieurs ?

Le directeur dévisagea Déborah. Son air dégageait un certain dédain.

Un brin misogyne, notre directeur, pensai-je en moi-même.

— Madame, je ne cherche pas à vous contredire, mais il me paraît impossible de provoquer volontairement une coupure électrique de cette intensité. Les caméras se sont éteintes, les tracés au sol qui normalement s’allument dès qu’il y a obscurité ne se sont pas déclenchés. Même les panneaux au-dessus des sorties de secours n’étaient plus éclairés, et les écrans de contrôle de la salle de sécurité ont buggé. Il faudrait être sacrément fort pour être capable d’un tel exploit. Vous n’imaginez pas la sophistication de notre système. Il y a plusieurs niveaux de contrôle. À supposer que l’un soit défaillant, les autres prennent le relais. Là, tout a planté en même temps. Incroyable ! Le truc qui n’aurait pas pu arriver ! Non, je crois plutôt qu’il s’agit d’une défaillance de notre prestataire sécurité. Il a merdé et ils vont m’entendre ! Nous devions renouveler prochainement notre contrat, ils peuvent toujours se brosser.

Le langage cru du directeur ne collait pas avec sa fonction. L’émotion devait être la cause de cette spontanéité. Déborah et moi nous regardâmes du coin de l’œil. Le personnage était plein de paradoxes. D’allure sportive, svelte, la quarantaine, sa veste et ses chaussures laissaient imaginer un homme de goût et à l’aise dans la vie. Une ceinture grise en lézard affinait sa silhouette tandis que ses cheveux, coiffés avec soin, confirmaient qu’il devait accorder de l’importance à son aspect extérieur. Ses doigts, en revanche, paraissaient boudinés, et ses ongles étaient rongés jusqu’à l’os et d’une propreté loin d’être irréprochable. Il en était de même pour la barbe de quelques jours qui grêlait son menton et jouait avec des poils de moustache trop longs qu’il mordillait par habitude.

— Je suis d’accord avec ma collègue Déborah, repris-je. L’auteur de ce délit ne pouvait pas être là par hasard. L’éventration de votre momie était prévue. Votre coupable a-t-il sauté sur l’occasion ? Peut-être, mais j’ai du mal à y croire. La panne n’a finalement pas duré très longtemps. À tout casser, une dizaine de minutes. Il a été obligé de faire vite, vite et bien. Il connaissait les lieux et avait le matériel à disposition.

— Donc, vous insinuez que c’est un employé du musée qui a fait le coup ? questionna Paul Calbanan.

— Pas du tout. Un individu extérieur a tout aussi bien pu trucider la momie. Mais dans ce cas, il était déjà présent car il savait que l’électricité allait être coupée, ou il l’a coupée lui-même.

Nous en étions là de nos interrogations lorsque la cavalerie policière arriva. Nos collègues de la PJ débarquaient.

— Voilà l’équipe que vous avez appelée, monsieur Calbanan. Je crains malheureusement que vous ne soyez obligé de tout redéblatérer à nos collègues.

Me moquant gentiment de lui en utilisant un vocabulaire populaire, je lui tendis une main amicale. Déborah en fit de même. Nous nous éclipsâmes.

— Eh bien, commissaire, drôle d’histoire quand même ! J’ai hâte de connaître le fin mot dans les journaux.

— Moi aussi, Déborah, mais ce n’est pas notre affaire. Rappelez-vous que nous sommes en vacances, que nous n’étions que de simples touristes et que dès ce soir, nous fêterons Delcourt et sa nouvelle année. Alors, laissons-les se débrouiller.

— Bien parlé, collègue.

Sur ce, nous partîmes d’un bon pas et dans un éclat de rire vers la sortie. Nous en avions soupé du Louvre ! Le temps de descendre le grand escalier, nous entendîmes pendant quelques instants la discussion tendue et apparemment houleuse qui s’était engagée entre le directeur et l’équipe des brassards rouges.

Chapitre 2

Le commissariat s’était vidé de ses allées et venues habituelles. Le soir tombait. Seule l’équipe de nuit occupait le rez-de-chaussée. À l’étage, en revanche, l’animation grandissait. Le commissaire Delcourt finissait de disposer petits fours et bouteilles sur les tables qui avaient été rapprochées et recouvertes d’un drap blanc pour l’occasion. Il était méconnaissable. Habituellement peu préoccupé par son apparence, portant bretelles et pantalons d’un autre âge, il avait, pour la circonstance, enfilé un costume gris flanelle du plus bel effet et troqué ses bretelles pour une ceinture d’un ton plus soutenu. Sa chemise flambant neuve n’avait rien en commun avec les gris souris habituelles. Même ses chaussures avaient pris un coup de neuf et avaient, à l’évidence, fréquenté le cirage de près. Ses larges mains étaient toujours aussi impressionnantes. Ses doigts boudinés maniaient pourtant avec célérité les verres loués pour la fête. Au bout d’un moment, il se posa, recula de quelques pas et parut contempler ses préparatifs. Il passa ses doigts sur son crâne chauve et luisant. C’était un geste automatique qu’il répétait souvent durant nos enquêtes. Quelques gouttes de sueur apparaissaient sur son front qu’il essuya rapidement d’un revers de bras. Il ne nous avait pas entendus arriver.

— Bonsoir, commissaire Delcourt. Vous êtes magnifique ce soir.

Deborah savait comment aborder l’homme. La flatterie le déstabilisait et, bien qu’il s’en offusquât, la satisfaction provoquée par ce compliment transparut dans son regard.

— Ah, mes amis ! Je suis content de vous voir. Ça fait un drôle d’effet de se retrouver dans ce commissariat où nous avons travaillé de concert pendant tant d’années, n’est-ce pas, Velcro ?

— En effet, beaucoup de souvenirs remontent à la surface.