Le Mont des Légendes - Valérie Lys - E-Book

Le Mont des Légendes E-Book

Valérie Lys

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Beschreibung

Les enquêteurs, au sommet du Mont-Saint-Michel, contemplent son histoire.

Un moine de la congrégation de Jérusalem est retrouvé mort dans le clocher de l’abbaye du Mont-Saint-Michel, une lance plantée dans le crâne.
Il se murmure sur le Mont que le Diable serait de retour et rôderait la nuit au cœur des ruelles anciennes et dans la baie pour punir les pécheurs.
Velcro, Déborah et le commissaire Delcourt débarquent donc sur la Merveille de l’Occident afin de mener l’enquête et vont devoir se plonger dans les méandres de son histoire, dans ses légendes ancestrales, dans le quotidien de ses habitants aussi…
L’équipe de la PJ rennaise parviendra-t-elle à garder pied dans le monde des vivants et à percer les mystères de ce lieu emblématique et envoûtant ?

Les saints les guideront-ils vers la vérité ?

EXTRAIT

La nuit venait de tomber. Le Mont-Saint-Michel se dressait devant moi telle une profiterole flottant au-dessus de sa mer de chocolat noir. Les lumières de la petite cité jouaient avec l’étendue sombre et immobile du sable. Comme des feux follets égarés, elles crapahutaient au hasard et semblaient parsemer le dessert sucré de pépites d’or. Régal des sens. Féerie du décor. Désorientation absolue. Le site était sublime et solitaire. À cette heure avancée, les touristes étaient partis. Nous étions là, tous les trois, ébahis par ce monde parallèle.

À PROPOS DE L'AUTEURE

Née dans le Val de Marne, Valérie Lys, est médecin biologiste et vit dans les environs de Rennes depuis une vingtaine d’années. Elle y dirige un laboratoire d’Analyses Médicales. Elle est aussi expert en réparation juridique et dommage corporel.
Mariée, mère de trois enfants, passionnée de peinture et de littérature, elle écrit depuis l’enfance : théâtre, nouvelles fantastiques, polars… Ses multiples voyages sont une source d’inspiration.
Elle est membre fondateur et vice-présidente du collectif rennais CALIBRE 35, dont le but est de dynamiser la scène rennaise de l’édition polar.

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Couverture

Page de titre

CE LIVRE EST UN ROMAN.

Toute ressemblance avec des personnes, des noms propres, des lieux privés, des noms de firmes, des situations existant ou ayant existé, ne saurait être que le fait du hasard.

Le Mont des légendes

La nuit venait de tomber. Le Mont-Saint-Michel se dressait devant moi telle une profiterole flottant au-dessus de sa mer de chocolat noir. Les lumières de la petite cité jouaient avec l’étendue sombre et immobile du sable. Comme des feux follets égarés, elles crapahutaient au hasard et semblaient parsemer le dessert sucré de pépites d’or. Régal des sens. Féerie du décor. Désorientation absolue. Le site était sublime et solitaire. À cette heure avancée, les touristes étaient partis. Nous étions là, tous les trois, ébahis par ce monde parallèle.

Delcourt, habituellement si loquace, restait bouche bée. Il était pourtant à l’origine de cet état de grâce. Homme bedonnant, chauve, aux phalanges impressionnantes, portant bretelles et lunettes en écaille d’un autre temps, il était chef à la Police Judiciaire de Rennes. Je l’avais croisé à plusieurs reprises lors de descentes dans le Nord-Ouest alors que j’étais encore commissaire à la PJ parisienne, puis c’est naturellement qu’il était devenu mon collègue lors de ma mutation dans la capitale bretonne. Bourru de prime abord, il s’était révélé être un partenaire de premier ordre. Il menait ses équipes d’une poigne ferme mais dans un gant de velours.

Déborah se tenait à ma droite. De profil, son cou longiligne formait presque un angle droit parfait avec les contours du Mont. Ses cheveux blonds, au carré approximatif, encadraient un visage aux traits réguliers mais sévères. D’éternels escarpins à talons hauts galbaient ses mollets alertes. Le temps n’avait pas de prise sur sa silhouette. Depuis quelques années maintenant, elle me secondait dans mes enquêtes. Son aide était précieuse et sa présence m’était devenue indispensable. En l’observant de la sorte, je me rappelai notre première rencontre dans les bureaux de la PJ rennaise. Je l’avais trouvée insignifiante, plutôt quelconque même. Depuis, j’avais compris que cette première impression m’avait été dictée par la peur, la peur de l’affrontement avec mes démons intérieurs. Aujourd’hui, je me rendais compte qu’elle m’avait conquis dès notre première rencontre grâce à la finesse de son esprit et à son allure. J’aimais travailler avec elle et je ne m’interrogeais pas davantage.

Elle regardait fixement devant elle. L’aura du site paraissait la fasciner.

— Lieu plein de mystère ! susurra Delcourt.

Déborah ne répondit rien mais à vrai dire, il n’y avait rien à répondre. Il suffisait de se laisser envoûter par l’endroit. Puis finalement, alors que l’on ne s’y attendait plus, elle parla, comme à elle-même :

— Je suis venue ici il y a de nombreuses années maintenant. Ce fut une période très noire de ma vie. J’en garde d’horribles souvenirs…

J’observai ma partenaire. Ses yeux étaient sombres et bouleversés. Elle devait revivre des moments difficiles de son passé. Je m’approchai d’elle et fixai le lointain dans la même direction.

— Il ne faut pas regarder en arrière lorsque le passé est douloureux. La nostalgie n’apporte que de la tristesse et du désespoir.

— Vous devez avoir raison, Commissaire, mais il faut être très fort pour faire abstraction du malheur. Je ne sais pas si je suis assez solide pour cela.

Delcourt commençait à s’impatienter. Il tira machinalement sur ses bretelles et remonta son pantalon d’un geste désinvolte.

— Il est prévu que monsieur Cadule vienne nous chercher ici, d’une minute à l’autre. Il nous suffit de patienter un peu. Il y a plus laid comme paysage, n’est-ce pas ? poursuivit-il.

La beauté du lieu nous aurait permis, en effet, d’attendre le directeur du site une éternité, mais pas la fine pluie qui s’était mise à tomber. Un frisson parcourut Delcourt. Son imposant squelette vibra de haut en bas.

— C’est bien parce que c’est un ami de longue date que j’ai accepté de l’aider, reprit-il. La PJ d’Avranches aurait dû prendre l’enquête en main, mais bon, ils ont accepté de nous la laisser… Cadule doit avoir des relations haut placées qu’il a fait jouer…

Sans cesser de regarder au loin, Déborah reprit pied dans le présent. Ce fut comme si elle s’était secouée pour faire tomber les feuilles jaunies qui s’accrochaient encore à elle. Elle prit la balle au bond :

— Vous nous avez dit que l’on avait retrouvé un moine perché au sommet du clocher ?

— Pas perché, Déborah, le crâne traversé d’une lance et trépané.

— Quelle horreur ! Qui pourrait en vouloir ainsi à un moine retiré du monde ?

— Les voies du seigneur sont impénétrables, Déborah, déclara Delcourt. Quant au retrait du monde, lorsque l’on vit au Mont-Saint-Michel, les interférences avec autrui doivent être fréquentes, non ?

— Ne croyez pas cela, Commissaire Delcourt. Les moines de Jérusalem n’ont que peu de contact avec les touristes. Ils vivent dans leur presbytère et l’abbaye est interdite au public pendant leurs offices.

Déborah avait réponse à tout. Comme à son habitude, elle avait dû potasser le sujet dès qu’elle avait été mise au courant de l’affaire.

— En tout cas, il paraît qu’il n’est pas beau à voir, perché au sommet de l’une des poutres du plus haut point de l’abbaye !

— Au moins, il est mort face à une vue magnifique sur toute la baie.

— En effet, de là-haut, on domine tout jusqu’à la ville d’Avranches. Nous y monterons pour nous faire une idée par nous-même, mais il se dit que c’est une ascension pour la moins sportive !

Delcourt avait l’air bien renseigné.

Pris par notre discussion, nous n’avions pas entendu le bruit du moteur qui approchait. À n’en pas douter, il s’agissait du directeur du site, monsieur Cadule, comme l’avait appelé Delcourt. La bruine avait cessé. Nous vîmes descendre d’une Land Rover flambant neuve un homme de grande taille, brun, à l’embonpoint débutant sur une quarantaine bien assumée. Bel homme, en résumé, et le sachant probablement. Son sourire était avenant et sa poigne ferme. Une certaine sérénité émanait du personnage. Il me faisait penser à un phare indestructible malgré les tempêtes, comparaison sûrement en rapport avec la vue de bout du monde qui s’offrait à nous.

— Bonjour Philippe, s’exclama Delcourt en ouvrant les bras pour une accolade de bienvenue.

Les deux hommes étaient à l’évidence heureux de se retrouver. Nous attendions patiemment, Déborah et moi-même, que les effusions cessent. Le vent soufflait fort maintenant et la nuit était totalement tombée.

Delcourt s’écarta enfin de son ami.

— Philippe, je te présente le Commissaire Velcro et Déborah, sa fidèle collaboratrice. À eux deux, ils font une équipe d’enfer. Je te garantis qu’ils vont la résoudre en un clin d’œil, ton affaire.

— Madame, monsieur, enchanté, nous salua le directeur. Allez, venez, je vous emmène.

Nous grimpâmes tous dans le 4×4. Nous étions d’heureux veinards, à pouvoir encore arriver au pied du Mont-Saint-Michel en voiture. Les bus dormaient d’un sommeil lourd sur le bas-côté, masses sombres et inquiétantes. Il n’était que vingt et une heures. Quelques kilomètres nous séparaient du Mont. D’immenses parkings, vides à cette heure, formaient une sorte de damier géant. Nous passâmes devant de vastes établissements hôteliers éclairés. La route se prolongeait encore pour se transformer en un pont de bois moderne. Une calèche vide nous croisa. Le pont était si étroit qu’il nous obligea à nous immobiliser afin de laisser passer les deux percherons à l’allure d’un temps révolu. Après un bref salut, le conducteur nous dépassa enfin. Des bancs avaient été régulièrement disposés le long du pont ainsi que des arrêts de bus. En période de pointe, j’imaginais facilement la similitude entre la fréquentation de ce pont et la station Châtelet-les-Halles du Métro parisien. Nous arrivâmes au pied du Mont. Nous garâmes la voiture sur l’une des places de parking réservées puis franchîmes le porche de pierre. L’écusson qui le surmontait, lustré par les siècles et les intempéries, ne laissait plus apercevoir aucune armoirie. Seules les chaînes du pont-levis pendaient de part et d’autre. Le fameux restaurant de la Mère Poulard déployait sa devanture rouge. Les larges baies vitrées nous permirent d’admirer la salle et la préparation de la fameuse omelette battue et rebattue jusqu’à ce que la mousse blanchâtre déborde de la cuve cuivrée. Quelques convives se délectaient de ces énormes choucroutes gallinacéennes. Hormis les touristes qui dormaient dans les hôtels du Mont, la foule avait laissé place à un calme religieux qui se prêtait magnifiquement au lieu. L’artère principale était quasi déserte. Nous suivîmes notre guide. Déborah peinait avec ses talons peu appropriés au relief de la rue pavée. Nous laissâmes sur notre gauche La Porte du Roy, antre de souvenirs en tous genres. La mère Poulard avait pondu tout au long de la rue. À gauche, un hôtel, à droite une biscuiterie avec ses fameux paquets jaunes et orangés : galettes de l’Abbaye pur beurre, biscuits aux pépites de chocolat et aux éclats de caramel au beurre salé, galettes sablées d’autrefois. Je m’étais immobilisé devant ces merveilles sans même m’en rendre compte.

— Alors Commissaire, on rêve ?

Déborah s’était retournée et souriait d’un air amusé en me regardant baver d’envie. Je sursautai, pris en flagrant délit de péché de gourmandise.

— J’arrive Déborah, j’arrive.

Un deuxième hôtel Poulard nous tendit son porche ouvert. L’établissement Les Terrasses Poulard occupait le bas de la première montée vers l’abbaye. Des lanternes de fer forgé encadrant l’entrée éclairaient les larges marches de pierre.

Un peu plus haut, les boutiques baissaient leurs rideaux. Les armes du Moyen Âge, épées, fléaux, trébuchets, couillards ou triple dagues, battaient retraite au fond de leurs vitrines, les présentoirs de cartes postales cessaient leurs valses diurnes. Sans nous en rendre compte, nous nous étions mis à chuchoter les rares mots que nous échangions. En levant les yeux, nous aperçûmes l’ombre de l’abbaye qui nous dominait par son ampleur. Nous nous sentions protégés, comme si un esprit supérieur et bienfaisant nous enveloppait de ses longs bras. La montée était rude et mon souffle commençait à se faire court. Delcourt, lui, frais comme un gardon, papillonnait au côté de son ami. Je ne sais pas comment mon collègue gérait son embonpoint mais à chaque fois qu’il était confronté à un effort physique, il paraissait vingt ans de moins que moi. Au bout de quelques centaines de mètres d’ascension, mon front devint moite. Mes cuisses se gélifiaient et mon rythme cardiaque frôlait l’overdose. Nous nous arrêtâmes devant le musée aux portes closes. Il était fermé au public, mais une cage de la taille d’un homme accroupi était encore pendue à une potence. Je frissonnai d’horreur en pensant à ces pauvres hères qui avaient passé des journées en plein soleil enfermés dans cette prison, plus proche de la cage à oiseaux que de la geôle, à expier une faute le plus souvent dérisoire. Nous continuâmes à grimper.

Le responsable du site marchait devant nous d’un pas alerte. Il s’arrêta pour nous laisser le temps de le rattraper et se retourna vers nous :

— Je vous conduis directement à votre hôtel. Il est trop tard, ce soir, pour se rendre sur les lieux du crime. Cela se révélerait trop dangereux d’escalader la flèche de l’abbaye. Personne ne s’aventure là-haut à cette heure tardive. La victime ne risque rien. Elle ne va pas s’envoler.

Il accompagna la fin de sa phrase d’un petit rire sardonique qui tranchait curieusement avec la solennité des lieux.

Deborah le regarda d’un air sidéré.

— Vous ne voulez tout de même pas dire que le cadavre est toujours dans la flèche ?

Philippe Cadule repartit de son petit rire aigu.

— Lorsque vous aurez escaladé jusque-là, vous comprendrez pourquoi la maréchaussée y met le temps de la réflexion.

Devant nos airs incrédules, il tenta de se justifier.

— Je plaisante, conclut-il. Le corps n’a été découvert qu’en fin de matinée. La scientifique était débordée cet après-midi et c’est très risqué de grimper là-haut de nuit. Un binôme monte la garde pour préserver la scène de crime. Toute la clique va arriver demain matin. En vous levant tôt, vous aurez la primeur de la scène. Ça vous va ?

L’ami de Delcourt m’avait l’air d’être un drôle de bonhomme. L’opposé du commissaire, lui-même bourru, introverti et ignorant le sens du mot « humour ».

Nous arrivâmes devant l’hôtel Saint-Pierre. Le paradis ne devait pas être très loin. Un peu plus haut, le musée historique détaillait le raffinement de la torture d’antan, purgatoire obligatoire pour les mécréants que nous étions devenus au fil des siècles. À sa gauche, la boutique Les Trois Lutins Tentateurs du Diable. Le ton était donné. Nous pénétrâmes dans l’hôtel. Le cadre était magnifique avec les poutres de bois cloisonnant le plafond, le dallage ancien et les pierres apparentes. Au centre de la salle trônait une immense cheminée. Des casseroles et des moules cuivrés pendaient le long des pierres d’époque et délimitaient des renfoncements aux formes arrondies. Après un rapide tour du propriétaire, nous découvrîmes une charmante cour intérieure dans laquelle des tables nous promettaient un petit-déjeuner enchanteur.

L’hôtelière nous emmena alors dans nos chambres. Des poutres sombres ornaient le plafond et les murs. Les doubles rideaux ainsi que le dessus-de-lit beige avaient été choisis avec goût. Pour une fois, l’État n’avait pas lésiné sur les moyens. Certes, j’allais être obligé de partager la mienne avec Delcourt mais la vue était magnifique. La baie s’ouvrait devant nous. La nuit empêchait de bien voir mais le réveil s’annonçait idyllique. Un lever de soleil depuis le Mont-Saint-Michel ! Dommage que ma femme soit restée à Rennes ! Quoique du haut de notre 28e étage de la tour des Horizons, la vue des matins clairs était également une véritable splendeur.

Philippe Cadule nous salua rapidement et nous donna rendez-vous pour le lendemain matin huit heures.

— Je prends le lit de droite si ça ne vous fait rien, Velcro.

Delcourt avait d’office, sans attendre ma réponse, balancé son sac sur le lit. Son crâne chauve luisait sous la lampe du plafonnier. Il avait détendu ses bretelles et son ventre prenait ses aises, débordant au-dessus de sa ceinture.

— C’est vous le chef, lui répondis-je en souriant d’un air amusé.

Je déposai mon sac sur le lit de gauche et mon portable sur la table de chevet après avoir réglé l’alarme sur 7 h 00.

Un rapide tour dans la salle de bains pour m’apercevoir qu’elle était tout aussi belle que le reste de la pièce. Des poutres apparentes partout. Un miroir occupait tout un pan de mur. Face à moi, un homme d’une cinquantaine d’années, bedonnant, grisonnant, aux tempes dégarnies, à la barbe taillée à la va-vite et au regard d’un bleu vide, me regardait sans étonnement. Le temps faisait vraiment des ravages. Une chappe de plomb me tomba dessus comme la foudre. Une milliseconde s’était écoulée avant que je comprenne que cette tête était la mienne, mon image m’avait sauté à la gorge. J’étais aussi décati que Delcourt. Je tentai malgré tout de redresser mes épaules, de rentrer le ventre et de sourire à ce miroir pourtant si cruel mais le mal était fait et mon moral dégringola au 36e dessous. Mes dents brossées et mon pyjama de vieux enfilé, je sortis de cette maudite pièce. Delcourt attendait patiemment son tour, assis sur le bord du lit. Il dut apercevoir mon air raviné car il m’observa attentivement avant de me lancer un « Quelque chose ne va pas Velcro ? » qui se voulait paternel mais qui ne fit qu’aggraver mon spleen.

— Tout va bien, collègue. J’ai fait une mauvaise rencontre dans la salle de bains, c’est tout.

Delcourt partit d’un grand rire.

— Velcro, vous n’allez pas me dire que vous avez peur des petites bêtes ? Vous savez, nous sommes dans des lieux vieux de plusieurs siècles, alors les araignées et autres saletés de ce genre sont chez elles. Et puis, entre nous, ce ne sont pas elles qui vont pouvoir avoir la peau d’hommes comme nous, si ?

Je le regardai, étonné.

Bien que côte à côte, nous étions à ce moment-là sur deux planètes différentes.

— Je crois au contraire que cette bête-là va finir par nous tuer…

Visiblement, Delcourt ne comprenait rien à ce que je lui racontais. Ce qui était logique, en fait. Je le vis sortir une épaisse serviette de toilette de son sac de voyage. Il la roula sur la longueur et partit d’un pas décidé dans la salle de bains.

— On va voir qui va passer un mauvais quart d’heure ! Faites-moi confiance, Velcro. Vous pouvez dormir sur vos deux oreilles.

Je soupirai mais il ne m’entendit pas. Il avait déjà refermé la porte derrière lui. Un grand silence s’ensuivit. Je l’imaginai observer chaque mur de la pièce avec attention afin de découvrir l’objet de mes inquiétudes. Peut-être, d’ailleurs, était-il en train de le découvrir, comme moi quelques minutes auparavant.

Je me couchai et me plongeai dans une grille de mots croisés qui me sauvait à chaque fois.

Laclos m’apprenait à ne pas me battre contre des moulins, ni des fantômes d’ailleurs. Progressivement, mon cerveau se détourna de ses préoccupations philosophiques et s’attela à la sémantique de notre bonne vieille langue.

Je crois que je m’assoupis rapidement. Dans un demi-sommeil, je sentis une main saisir mon livre et le déposer sur la petite table, puis une voix me susurra :

— Je n’ai pas trouvé votre monstre, Velcro. Il a dû partir par la fenêtre. Bonne nuit.

J’entrouvris les yeux. À son regard perdu, je fus persuadé, qu’au contraire, nous avions bien croisé le même monstre.

Sept heures.

Mon portable émit sa douce musique de chambre choisie pour un réveil tout en douceur. Une demi-heure plus tard, nous étions attablés, Delcourt et moi-même, devant un copieux petit-déjeuner sur la terrasse intérieure que nous avions repérée la veille.

Déborah nous avait rejoints. Elle portait un pantalon beige en toile légère, agrémenté d’un polo bleu roi qui rehaussait son teint clair. C’était, je crois, la première fois que je la voyais en baskets. Elle réussissait à garder une silhouette très féminine malgré cette tenue décontractée. Un maquillage léger soulignait le bleu de ses yeux et donnait du relief à ses pommettes.

Notre hôtesse vint nous saluer et nous demander si nous avions passé une bonne nuit.

Visiblement, elle savait qui nous étions et ce qui nous amenait au Mont.

— Je m’appelle Catherine. Si vous avez besoin de la moindre chose durant votre séjour, n’hésitez pas à venir me voir. Je ferai le maximum.

C’était une brunette mince à la coiffure rétro. Ses cheveux raides, coupés court au niveau de la nuque et plus longs sur les tempes, lui donnaient un air de Uma Thurman dans Pulp Fiction. Des yeux noisette pétillants et des lèvres rouges et pulpeuses animaient son visage rond. Seules ses mains rougeaudes aux ongles courts rappelaient qu’elle devait souvent aider en cuisine.

— Merci Catherine, lui répondit Delcourt en lui faisant son plus beau sourire.

À peine étions-nous en train de plier nos serviettes que l’imposante silhouette du directeur encadra la porte-fenêtre de la cour.

— Chers amis, votre nuit a-t-elle été bonne dans ce lieu plein d’histoires et de mystères ?

Son ton volontairement théâtral nous fit sursauter.

Delcourt lui serra la main d’une façon digne d’une amitié d’adolescent et lui assura que notre nuit avait été des plus réparatrices. L’homme se dirigea ensuite vers Déborah, lui prit la main et la lui baisa avec distinction.

— Merveilleux, alors en route.

J’avais l’impression d’être un scout au départ d’une journée d’escalade. L’ambiance n’était décidément pas adaptée au programme qui nous attendait.

Le Mont-Saint-Michel n’était pas encore ouvert au public. Le calme régnait dans la Grande rue. Les boutiquiers levaient leurs rideaux et tiraient leurs présentoirs sur le trottoir.

Une odeur sucrée flottait dans l’air, témoignant de la préparation des barbes à papa et autres douceurs.

Nous commençâmes à monter l’artère principale. À son extrémité, des escaliers irréguliers nous attendaient sur la gauche. Nous laissâmes La Croix Blanche sur notre droite, restaurant ma foi fort attrayant, puis l’hôtel Du Guesclin. Delcourt, comme à son habitude, galopait devant. Il discutait avec le directeur comme si de rien n’était. Déborah suivait, alerte, elle aussi. Je fermais la marche, quelques mètres en arrière, en bon commissaire protecteur, bien évidemment. Je fus attiré par une curieuse enseigne représentant un mouton allongé. L’hôtel Le Mouton Blanc, situé dans un renfoncement, montrait des murs en colombages comme on en voyait rarement. Je me promis de demander à notre hôte pourquoi de nombreux commerces s’affublaient de cette couleur blanche. Puis nous passâmes devant une affiche engageante qui nous promettait la visite des cachots et des prisons du Mont. Après quelques virages, l’escalier s’ouvrit devant nous, raide et droit. Il montait sans tergiverser vers l’abbaye. L’ascension n’était pas si terrible que ça. Puis l’escalier devint de plus en plus raide jusqu’à atteindre une partie voûtée. De nouveau à l’air libre, nous pouvions apercevoir les chapelles de la crypte et de l’église haute.

— Regardez les gargouilles, là-bas, en haut des contreforts. Magnifiques, non ?

Le directeur s’était immobilisé sur une marche. Nous stoppâmes à notre tour et suivîmes son doigt tendu vers la gauche.

— En effet, c’est un spectacle vraiment exceptionnel ! confirmai-je, enthousiaste.

J’étais sincère. Le site méritait vraiment sa renommée.

— À gauche, ce sont les bâtiments monastiques, continua-t-il.

Nous reprîmes notre ascension et arrivâmes tout en haut de l’escalier. Là, le portail de l’église s’ouvrait sur un dégagement, une plateforme sur laquelle les touristes devaient s’agglutiner avant de pénétrer dans le fameux lieu de culte.

Nous nous retournâmes. Le vide s’ouvrait sous nos pieds. Finalement, nous avions escaladé toutes ces marches sans trop de souffrance.

Le directeur nous observa tour à tour. Il paraissait fier du site dont il était responsable. J’appuyai mes mains sur mes genoux fléchis pour reprendre mon souffle, Delcourt recoiffa ses quelques cheveux résistants avec un peigne en corne qu’il gardait toujours méticuleusement dans une de ses poches. Quant à Déborah, elle admirait une espèce de tour carré ornée en son sommet d’arcades gothiques du plus bel effet.

— C’est la citerne de l’aumônerie, chère madame. Il y en avait quatre au Moyen Âge.

Le directeur avait suivi le regard de ma collaboratrice et anticipé sa question.

— Et cette vue que nous avons d’ici, c’est impressionnant, vraiment ! ajouta Déborah.

— Vous comprenez pourquoi on l’appelle « Le gouffre », j’imagine.

— En effet, du haut de l’escalier, c’est vertigineux.

Je me redressai.

Je commençais à apprécier notre escapade. L’enquête n’allait probablement pas être très compliquée à résoudre, aussi allions-nous avoir le temps de visiter le Mont-Saint-Michel et toutes ses merveilles… du moins c’est ce que je croyais.

En contrebas, dissimulé derrière les hauts murs de l’abbaye, on pouvait apercevoir un parc longeant les contreforts du bâtiment religieux, interdit au public. Un jardinier était déjà à l’œuvre à cette heure matinale. Sa carrure était impressionnante vue d’en haut. Ses cheveux ras et ses maxillaires que l’on devinait robustes le prédestinaient davantage à une carrière de lutteur qu’à celle de jardinier de monastère. Je n’eus pas le temps de le détailler davantage car mes compagnons de grimpette commençaient à pénétrer dans l’abbaye. Le silence régnait. Aucune musique religieuse, aucun moine, ne venaient troubler la solennité du lieu. Philippe Cadule passa devant et nous entraîna vers une porte dérobée derrière l’autel. Il introduisit une énorme clé dans la serrure et poussa délicatement le battant. Un petit escalier en colimaçon occupait tout l’espace.

— L’ascension commence, madame, messieurs. Ne partez pas trop vite car vous risquez de vous essouffler rapidement et d’avoir du mal à atteindre votre but.

Delcourt haussa les épaules d’un air hautain. Il avait déjà escaladé les premières marches. Il disparut d’ailleurs rapidement derrière le premier colimaçon. J’avais toujours eu horreur de ces marches à monter par séries espacées par des paliers de pierre. J’avais besoin de m’arrêter régulièrement pour reprendre mon souffle, mon rythme cardiaque étant assez rapide à la base, tout en étant en parfait état. Aussi, pris-je mon temps. Rapidement, le silence ne fut plus interrompu que par des soupirs et des bruits de respiration rapide. Le bois remplaça progressivement la pierre. Nous approchions de la charpente de l’abbaye. Puis, tout devint plus vaste. En levant la tête, j’aperçus le haut de la flèche. Nous débouchâmes sur un chemin de ronde qui longeait le bord du clocher. En nous penchant, nous pûmes nous rendre compte de la hauteur à laquelle nous étions déjà montés. Le vide était impressionnant et la rambarde, certainement contrôlée régulièrement, paraissait néanmoins bien dérisoire pour nous retenir.

— Tout le monde est là ? chantonna presque notre guide. Eh ben dites donc, on est sacrément sportif, les Rennais !

Delcourt tapa amicalement sur l’épaule de son ami en se fendant d’un sourire forcé.

— On s’entraîne, on s’entraîne.

Déborah me jeta un regard rempli de connivence. Je crois que nous étions du même avis et que nous trouvions ce Philippe Cadule horripilant.

— Vous voyez, là-bas, continua-t-il. Il y a une échelle de meunier. Elle est très raide, presque posée à la verticale tant il y a peu de place, et si vous tombez…

Il ne finit pas sa phrase mais son index pointé vers le bas nous permit aisément de comprendre que cette chute, si chute il y avait, serait la dernière pour celui qui en serait victime.

— Je vais passer en premier. Vous n’aurez qu’à faire exactement comme moi. OK ?

Déborah fixait l’échelle avec insistance. La connaissant, je savais que ce n’était pas la peur qui la scotchait sur les barreaux. Elle s’interrogeait. J’en eus la confirmation lorsqu’elle interpella le directeur.

— Vous n’allez pas nous dire que le corps est tout là-haut ?

L’horripilant homme mit ses mains sur ses hanches et d’un air goguenard répondit :

— Et bien, si ! Notre victime est là-haut. La police scientifique n’étant pas encore arrivée, je n’ai pas d’argument pour vous dire si elle a été tuée là-haut ou si le meurtrier l’a tirée, morte, jusque-là mais…

— Vous plaisantez ! Comment voulez-vous que quelqu’un traîne un corps sans vie jusqu’ici et le hisse sur cette échelle. Il faudrait être un surhomme !

— Madame, vous êtes au Mont-Saint-Michel. Tout est possible ici. L’aide des anges est partout. Si surhomme il n’y a pas, en revanche, les Saints peuvent donner un coup de main, vous savez !

— Très bien, intervins-je. Tout ça est passionnant, mais une chose est sûre : la scientifique n’étant pas encore passée, c’est sur-chaussures et gants obligatoires pour tout le monde ! Hors de question de polluer davantage la scène de crime !

Je sortis alors de mes grandes poches l’attirail que je venais d’énumérer, en suffisamment d’exemplaires pour nous équiper tous les quatre. J’avais été bien inspiré d’embarquer ça avec moi, ce qui n’était habituellement pas mon genre. Mais cette fois-ci, une intuition peut-être, j’y avais pensé…

— C’est une blague ! s’exclama Cadule. Vous ne me ferez pas mettre ces machins !

— Alors vous resterez nous attendre ici ! répliquai-je calmement.

Cadule s’exécuta alors en soufflant. Déborah et moi ne pûmes réprimer un sourire.

Elle commença l’ascension. Nous lui emboîtâmes le pas. Prudemment. À tout moment, l’échelle menaçait de basculer en arrière et risquait de nous jeter dans le vide.

Je m’immobilisai quelques secondes afin de laisser un espace vital entre moi et Delcourt. Levant la tête, j’observai les poutres qui s’enchevêtraient harmonieusement pour former la charpente de la basilique. Dire que ce chef-d’œuvre avait été réalisé par des hommes ayant vécu plusieurs siècles avant nous ! Le génie humain me paraissait sans limites, perché comme je l’étais à ce moment-là. Combien d’ouvriers besogneux avaient perdu la vie en assemblant cette cathédrale de bois ? Le directeur et Déborah, arrivés au sommet de l’échelle, s’étaient hissés sur l’étroite plateforme. Delcourt en fit de même. Le lieu était si exigu qu’ils furent obligés de se tasser les uns contre les autres afin que je puisse, à mon tour, terminer mon ascension. Je m’extirpai tant bien que mal du dernier barreau. Le silence était total. Seuls les cris de quelques goélands troublaient la solennité du moment et du lieu. Face à nous, immobile et livide, un moine en chasuble écrue nous observait. Nous n’eûmes pas besoin de nous approcher beaucoup pour constater qu’une lance lui transperçait le crâne. Ses yeux bleu azur ouverts sur l’éternité donnaient un caractère mystique à cette scène impressionniste. Si nous ne nous étions pas trouvés face à un meurtre, nous aurions pu nous croire figurants d’une scène biblique d’un grand maître de la Renaissance. L’homme était d’un blond tirant sur le roux, mince et longiligne. Ses traits anguleux mais réguliers lui donnaient un air de sagesse, accentué par la pâleur de son teint. Pâleur liée à sa carnation habituelle, mais probablement aussi à l’hémorragie importante dont il avait été victime, comme en témoignait la large tache noirâtre sur le sol.

— Frère Victor. Un moine sans histoires de la congrégation de Jérusalem, qui vivait au Mont-Saint-Michel depuis plusieurs années. Il a disparu hier. Les autres Frères l’ont cherché partout, croyant qu’il avait fait un malaise ou qu’il lui était arrivé un accident. Vous pensez bien qu’ici, il n’est pas question de fugue ou de disparition suspecte. Le Père supérieur a même émis l’hypothèse qu’il soit tombé d’une des rambardes du Mont à marée haute et que la mer l’ait emporté. Mais il était là. C’est le sonneur de cloches qui l’a aperçu ce matin en faisant son tour. Il faut vous dire que chaque premier lundi du mois, un contrôle visuel est effectué par les membres de la basilique afin de s’assurer que tout est en ordre.

Philippe Cadule n’en dit pas plus. Il était visiblement mal à l’aise devant la scène macabre. Il avait perdu de sa superbe et ses mains jointes, dans leurs gants, se tordaient en des mouvements semi-convulsifs.

— C’est l’Archevêque Aubert.

Au contraire du directeur du site, Déborah avait parlé d’une voix posée et sans émotion palpable. Nous nous retournâmes tous les trois vers elle. Son regard était fixé sur le moine mais il se prolongeait beaucoup plus loin, traversait le corps sans vie et se perdait dans le labyrinthe de sa réflexion. Depuis le temps maintenant que je la connaissais, je savais que ce labyrinthe était plus tortueux que celui menant au Minotaure, mais que Déborah, telle Ariane et son fil, en trouvait toujours l’issue. Elle nous dévisagea à son tour.

— Monsieur Cadule, commença-t-elle. Vous qui êtes le directeur du Mont-Saint-Michel, la similitude entre ce meurtre et l’histoire du Mont n’a pas dû vous échapper, n’est-ce pas ?

L’homme interpellé se redressa imperceptiblement. Il était piqué au vif. Déborah lui faisait l’affront de douter de ses connaissances historiques. Il avait beau être avant tout le gestionnaire et l’administrateur du site, il n’en était pas moins amateur d’histoire.

Déborah nous observa tour à tour puis reprit :