Résilience - Daniela Knafo - E-Book

Résilience E-Book

Daniela Knafo

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Beschreibung

À Paris, alors que la montée du nazisme s'intensifie, Simon, âgé de 12 ans, découvre sa propre identité juive. Confronté à la déportation de sa sœur Léa, il entreprend tout ce qui est en son pouvoir pour la sauver. Au fil de son histoire, vous plongerez dans son voyage intérieur où il tire sa force des profondeurs de son être, nourri par une détermination inébranlable à survivre.

Résilience - Histoire d'une vie est un récit poignant et authentique basé sur la vie de Simon Kohn qui, à travers ses expériences et ses réflexions profondes, offre des leçons inestimables sur la persévérance et la foi en l'humanité.

À PROPOS DE L'AUTRICE

Coach professionnelle, hypnothérapeute, experte en programmation neurolinguistique, constellatrice familiale et spécialiste en Transgénérationnel, Daniela Knafo trouve sa passion dans l’exploration des relations humaines. Elle est l’auteure de plusieurs livres de coaching sur les thèmes du développement personnel et de la connaissance de soi.

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Seitenzahl: 186

Veröffentlichungsjahr: 2023

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Daniela Knafo

Résilience

Histoire d’une vie

© Lys Bleu Éditions – Daniela Knafo

ISBN : 979-10-422-0736-6

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

À Éliane, pour tous ces bonheurs partagés

pendant nos 60 ans de mariage ;

À mes enfants, à mes petits-enfants,

pour l’affection qui enchantent nos vies ;

À mes amis.

Simon Kohn

De la même auteure

Prologue

Mon visage se crispe, ma tête se baisse, des bruits assourdissants résonnent dans mon oreille droite, une douleur aiguë me surprend alors que je frotte autour de mon lobe avec mon index. Mes yeux se focalisent sur le tableau qui vient d’apparaître. C’est étrange, l’image semble floue. J’avance pour essayer de voir plus clairement. Les personnages peints bougent lentement, avec des mouvements fébriles, des visages hagards, marqués par la faim et la douleur.

Des personnes avancent devant moi, leurs regards sont vides. Je remarque que leurs lobes oculaires sont proéminents, le blanc de leurs yeux est presque invisible, et leurs lèvres tremblent sans émettre de mots, seulement des gémissements. Aussi étrange et effrayant que cela puisse paraître, j’entends ces plaintes accompagnées de gémissements, qui me donnent des haut-le-cœur. J’ai envie de faire quelque chose, mais je ne sais pas quoi faire ni comment les extraire de ce tableau macabre.

Au-dessus de moi, une colonne de lumière se forme, traversant le sommet de ma fontanelle et s’élève vers le ciel. Les larmes coulent de mes yeux sans que je puisse les retenir. Je prends chaque personne par la taille, les épaules ou les mains, enfin, ce qu’il en reste, car ils ne sont que des silhouettes décharnées, des croquemorts vivants qui se déplacent au ralenti. Les premiers contacts me dégoûtent. Je suis surprise par la légèreté de ces corps dépourvus de chairs, marqués par des trous, des brûlures et des amputations, autant de signes de leur souffrance. Je me mets à prononcer quelques mots : « Je comprends vos douleurs, vos souffrances. Vous devez sortir de ce tableau et monter vers la lumière. C’est votre place aujourd’hui. »

Derrière moi, la colonne de lumière les aspire, tandis que je dis à chacun : « Sois béni et rejoins la lumière. »

Il y a des personnes réticentes et d’autres qui sont recroquevillées, incapables ou désireuses de bouger. J’ai l’impression qu’ils n’ont plus foi en rien, qu’ils ont abandonné tout espoir. Ici, au moins, ils savent à quoi s’attendre et peut-être veulent-ils simplement abréger leurs souffrances.

J’essaie de leur parler, j’élève la voix, mais ils ne m’entendent pas. Tout semble irréel. Je me dis que je suis en plein rêve éveillé. Pourtant, les sensations, les odeurs âcres et nauséabondes, les bruits de fond des corps squelettiques qui se meuvent, et ce froid glacial qui me pénètre, tout cela me fait frissonner de stupeur et de désarroi. Le temps semble interminable jusqu’à ce que j’entende le tic-tac d’une horloge. Je lève les yeux et aperçois une étrange horloge avec un cadran de soixante secondes, mais l’aiguille tourne en sens inverse.

Il y a un compte à rebours, mais pour quelle raison ? Je suis surprise. Que va-t-il se passer pendant cette minute qui se décompte ? Le temps s’écoule, cette minute me paraît une éternité. Je me retourne, et derrière moi, je vois les corps monter vers la lumière.

« Allez, allez plus vite, s’il vous plaît ! Prenez ma main et montez vers la lumière. Il reste vingt secondes. » Le temps s’accélère, tout s’agite. Je ne sais pas ce qui va se passer. « 10, 9, 8, 7, 6, 5, 4, 3, 2, 1… » Un gong retenu et cela me fait sursauter. Le tableau se rétrécit, des barreaux apparaissent, entourés de fil de barbelés. Tout devient noir. Je me retourne, la colonne de lumière a disparu. Un silence pesant règne dans la pièce, toute vêtue de blanc.

« Est-ce un rêve ou une illusion ? »

Je me mets à murmurer : « Je vous bénis, qui que vous soyez. Vous avez une place dans mon cœur, et je vous reconnais pour avoir existé. »

Il me faut plus d’un mois pour me remettre de ce flash-back, qui revient de façon récurrente. Trois mois plus tard, je refais exactement le même rêve éveillé. Tout est identique, sauf les personnes. Ils sont encore plus nombreux, et je sens que ce sont d’autres individus. Leurs visages sont figés, entre sidération, peur et incompréhension.

Ce traumatisme, consciemment réel, plane dans l’air, comme une aura de mort. Ils semblent vivre un cauchemar dont ils espèrent se réveiller avec des sueurs froides. J’éprouve de la colère, de la rage envers eux.

« Pourquoi n’avez-vous pas dit “STOP ?” Pourquoi ne vous êtes-vous pas battus ? Après tout, si la mort était inévitable, pourquoi ne pas mourir dans la dignité ? » ai-je envie de leur crier, mais les mots ne restent que des pensées, bloquées au fond de ma gorge. Je pleure…

Je me ressaisis et me mets à l’œuvre, bien que je ne sache pas comment nommer cette action. Je refais mécaniquement la même gestuelle, prononce les mêmes mots que précédemment. La colonne de lumière réapparaît, et je supplie aux personnes récalcitrantes de quitter ce tableau et de se diriger vers elle. J’élève la voix comme si je grondais un enfant. Tout semble intemporel, jusqu’à ce que le tic-tac de l’horloge retienne à nouveau mon souffle, avec toujours 60 secondes à son compteur.

Cette fois-ci, je sais ce qui va se passer, alors j’insiste, je négocie, je continue de tendre mes mains à l’intérieur du tableau pour atteindre les personnes encore réfractaires. Il ne reste que 10 secondes, une personne me tient la main et ne veut pas la lâcher. J’ai peur, je vois le tableau se rétrécir et se transformer en grillage de barbelés. Je tire la personne vers moi, mais elle résiste. Je lui demande de me lâcher la main, une larme perle dans ses yeux avides d’humanité. À deux secondes de la fin du décompte, elle lâche enfin ma main. Je suis projetée en arrière, c’est fini ! J’ai heurté une chaise et ma cheville me fait mal.

Le rêve recommence, avec de moins en moins d’appréhension. Je me pose des questions :

« Que dois-je comprendre de tout cela ? Quand cela va-t-il s’arrêter ?

Ces gens ont-ils survécu ou ont-ils été brûlés ? »

Je n’ai pas de réponses, seulement des sensations. À mes yeux, ces personnes sont celles qui ont brûlé et péri. Leur âme n’est pas montée, et pour beaucoup, leurs mémoires n’ont pas été honorées. Puis je rêve de cette étoile jaune, et parfois, je visualise une jeune femme que je ne peux pas la décrire précisément, mais j’imagine son histoire de vie avant de se retrouver à Auschwitz.

Certains survivants de la Shoah ont choisi de se faire incinérer pour éviter à leurs descendants de se souvenir de leurs traumatismes. Une façon de ne pas laisser de trace de leur existence douloureuse.

En se faisant incinérer, il y a une sorte de loyauté familiale, une volonté de mourir sous les flammes, comme leurs parents ou en mémoire d’un ancêtre perdu dans les camps d’extermination. La colère, la tristesse et l’injustice m’envahissent. Toutes ces femmes et ces hommes pourraient être moi, mes frères, ma sœur, mes parents, mes grands-parents, etc.

« Comment peut-on faire ça ? » Je m’interroge : « Que valent le prix et la valeur de l’homme face à son ego ? »

Julien, par exemple, a dû prendre la décision difficile de faire incinérer ses parents pour respecter leur volonté, bien que cela ait été en contradiction avec la religion juive.

Pour ma part, je respecterai le choix de mon père, comme je l’ai fait pour ma mère. Le père de Julien a rejoint ses parents et son frère en optant pour l’incinération, en signe de loyauté familiale. Julien est devenu religieux. Ces personnes, qui ont vécu de près ou de loin cette période sombre, sont-elles des survivants de l’indicible ?

« La religion l’emporte parfois sur nos choix, et la loyauté familiale prime souvent sur nos convictions religieuses ».

Simon a vécu la Shoah en tant qu’observateur innocent au début, mais il a été brutalement précipité dans l’âge adulte. Il a dû faire face à des étapes de vie difficiles, abandonnant son enfance insouciante et son adolescence ignorée. Il a appris à jongler avec une réalité nouvelle.

Il n’a pas été dans les camps de concentration, mais il a été un collatéral, marqué profondément par toutes ces personnes mortes pendant la guerre et par leurs histoires tragiques. Sa sœur Léa, la mère et la sœur d’Éliane, et les épouses de ses frères qui ont toutes perdu leurs parents et maris, déportés à Auschwitz. Comment Simon a-t-il choisi de reconstruire sa vie après cela ?

En refoulant ses émotions, en coupant tout lien avec ce passé, en avançant à tout prix et en évitant de trop se replonger dans les souvenirs semble être les réponses et comportements qu’il a adoptés.

Quand nous perdons un être cher, nous traversons différentes phases du deuil : déni, culpabilité, colère, marchandage, douleur, reconstruction et acceptation.

« Comment faire face à la perte d’un être cher lorsque son corps n’est pas là ? Sans connaître les détails de ce qui leur est arrivé ni les circonstances de leur décès, on se retrouve seulement à imaginer et envisager les pires scénarios qui se répètent sans cesse.

Comment exprimer sa détresse quand des milliers d’autres personnes sont dans la même situation ? Comment peut-on se couper de ses émotions dans un collectif meurtri ? »

Apprendre à vivre avec une blessure d’injustice qui ronge de l’intérieur, tout en dissimulant sa vulnérabilité. Une blessure transmise de génération en génération au sein de la sphère familiale. La mère de Simon a traversé la perte de son fils en bas âge, Ernest, puis de sa fille Léa, déportée et décédée à Auschwitz. De plus, Simon a dû faire face au décès de sa fille Nathalie et de son fils Bernard. Tous ont porté cette blessure, cette douleur injustement.

Se plaindre, à quoi bon ? Comment crier sa douleur lorsque celle-ci est omniprésente dans un cœur écorché vif ?

Si, comme Simon, vous avez vécu les aléas de la vie, la guerre, la famine, les malheurs, vous vous interrogez peut-être sur la façon d’avancer malgré les épreuves sans jamais se résigner. Vous cherchez peut-être votre raison d’être.

Dans ce travail de mémoire, je me suis concentrée sur les perceptions, les ressentis et les émotions et les interprétations de Simon au fil du temps, à travers les événements et les expériences de sa vie. Ici, il ne s’agit que de son histoire de vie.

Le mot « résilience » colle à la peau de Simon. C’est toute son histoire de vie que je souhaitais partager à travers ce fil conducteur qui l’a poussé à agir et à avancer. Chacun de nous peut s’identifier à Simon, quelle que soit notre origine, notre couleur de peau, notre religion, notre pays et l’époque de naissance, notre préférence sexuelle, notre identité, etc.

Apprendre à mieux connaître l’histoire de nos parents, pour ne pas répéter les mêmes schémas, c’est une façon de se libérer des charges émotionnelles lourdes que nous portons depuis notre enfance, faites de blessures, de traumatismes et de choix difficiles.

La perception des événements diffère selon que l’on se place du point de vue d’un enfant, à travers ses yeux, ou en tant qu’adulte, en prenant en compte nos sentiments, nos expériences et nos ressentis.

« La vie n’a de sens que celui que nous décidons de lui donner. »

Résilience

La résilience est la capacité d’une personne à surmonter des événements désagréables ou des expériences traumatiques telles que le deuil précoce, l’abandon, la maltraitance, la violence sexuelle ou les périodes de guerre.

Il s’agit d’un concept à la fois physique et physiologique, qui concerne l’aptitude du corps à résister et à s’adapter aux chocs, qu’ils soient d’ordre émotionnel, physique ou mental. Face à ces expériences, la personne va, grâce à sa personnalité et à sa construction psychologique, agir pour retrouver son équilibre et reprendre positivement le cours de sa vie. Une personne résiliente est capable d’affronter les situations difficiles qui se présentent à elle, en prenant conscience de ce qu’elle est en train de vivre pour éviter de revivre des situations similaires à l’avenir.

La personne réussit à prendre du recul sur la situation d’urgence, à prendre le temps nécessaire avant d’agir, même si elle sait souvent que la situation lui échappe et malgré le stress qui peut souvent mener à une issue négative. La notion de résilience porte en elle une note d’optimisme. Dans chaque malheur, il y a un problème puis une petite lueur d’espoir, car rien n’est immuable.

« Le malheur n’est pas le chemin de notre destinée, c’est à nous de décider de changer de direction si celle-ci est plus douloureuse qu’une autre. »

Sommes-nous le chêne ou le roseau, comment nous construisons-nous à travers notre enfance, notre vécu, et les aléas de la vie ?

Le roseau s’adapte à la vie, quelles que soient les circonstances extérieures : orages, vents violents, foudre. Il danse avec les éléments et ne se brise pas. Il incarne la résilience et s’efforce de trouver le côté positif des choses, même si cela peut le conduire parfois à vivre une situation inconfortable.

Quant au chêne, aussi solide et robuste soit-il, il peut s’effondrer lors d’une tempête violente ou se briser au moindre coup de foudre. Il représente la personne qui préfère rester figée dans sa manière de voir les choses, sans vouloir s’ouvrir au monde avec un esprit plus ouvert et flexible. Le chêne symbolise la rigidité, tandis que le roseau incarne l’adaptabilité.

Rencontre avec Simon

J’ai rencontré Simon il y a plus de quinze ans. Après une carrière en tant que Directrice commerciale, j’ai plongé dans le monde enchanteur de la chaussure pour femmes, hommes et enfants. Simon, malgré son âge, continuait à travailler en tant qu’agent. Ma première réaction a été de lui poser la question suivante :

— Pourquoi, à votre âge, vous ne profitez pas de la vie ?

Sa réponse a été belle et surprenante :

— Le travail fait l’homme, je travaille à mon rythme et surtout, j’aime ça…

Ensuite, j’ai décidé de changer de cap et de suivre ma passion, qui était d’accompagner les personnes vers leur autonomie. J’ai choisi de devenir coach de vie, hypnothérapeute, formatrice professionnelle et enfin, de me consacrer à l’écriture de livres de développement personnel. Pendant près de 5 ans, Simon et moi avons perdu contact. Puis, ce rêve est revenu.

J’ai décidé de contacter Simon, mais impossible de retrouver son contact. Par pur hasard ou synchronicité, Simon a aimé l’une de mes publications sur Facebook, ce qui semblait improbable, et il m’a donné son numéro de téléphone. Nous avons eu une longue conversation, au cours de laquelle je lui ai proposé d’écrire son histoire de vie, comme il me l’avait suggéré des années auparavant. Il a accepté avec enthousiasme. Je ne savais pas encore comment nous allions procéder, mais une chose était sûre : je me sentais apaisée de l’intérieur.

Lorsque j’ai proposé cette aventure à Simon, écrire son histoire de vie, j’étais en train de finaliser les dernières corrections de mon dernier livre intitulé : « 321 TAC Technique d’Activation au Changement » aux Éditions Lanore.

Nous avons décidé de nous retrouver près de chez lui et de déjeuner ensemble au restaurant « Quai 33 ». J’ai souri, « 33 » est un maître nombre en numérologie, symbole de sagesse ultime. Pendant notre déjeuner, nous avons parlé de tout ce qui nous venait à l’esprit, de nos rêves, et bien plus encore.

Près de Simon, on ne peut que se sentir fort, confiant, comme si des ailes nous poussaient. Malgré le poids de son histoire, il dégageait une légèreté et une sérénité qui pouvait surprendre. Nous avons partagé notre repas, ri en nous remémorant nos voyages chez divers fournisseurs. Le personnel du restaurant connaissait bien Simon, depuis la perte de son épouse Éliane, il avait fait de ce lieu, sa cantine.

Nous discutions, le temps s’écoulait, puis un homme est venu nous interpeller :

— Je n’ai pas pu m’empêcher d’écouter ce que vous disiez, je voulais vous remercier pour ce que vous faites.

Au début, je n’ai pas compris ce qu’il voulait dire :

— Excusez-moi, de quoi parlez-vous ?

Il a répondu :

— De ce travail de mémoire…

J’ai eu envie de pleurer, car je n’avais pas vraiment envisagé notre projet sous cet angle : un travail de mémoire. J’avais surtout vu tout le bagage émotionnel, les loyautés familiales que Simon avait portées et la transmission qu’il avait faite à ses enfants. Et si raconter son histoire lui permettait de rompre avec les liens nocifs et répétitifs du passé ?

Ne me demandez pas pourquoi j’ai décidé d’écrire ce livre, je devais le faire, comme une force invisible et inéluctable qui me poussait en avant.

Dans ma propre famille, j’avais un oncle qui avait été envoyé à Auschwitz, dans les camps de concentration. Il avait réussi à s’échapper à trois reprises, puis avait été repris à chaque fois. En 1945, lorsque les Américains ont libéré l’Allemagne, il se tenait debout parmi les autres hommes alignés en rangées, attendant l’exécution imminente par les bourreaux SS. « Jamais deux sans trois », se disait-il intérieurement. Puis il a entendu un fusil-mitrailleur s’enrayer, suivi d’une rafale de tirs de tous les côtés. Le bruit était assourdissant dans ses oreilles. Il tremblait et tombait à genoux, attendant son tour. Après un moment de silence oppressant, un homme s’est tenu devant lui et lui a tendu la main pour le relever. Oui, il avait eu peur… Il s’est redressé, a regardé à sa droite, puis à sa gauche autour de lui, il a vu des corps éparpillés de ses frères de sang, qui étaient là comme lui.

Le 27 janvier 1945, les troupes soviétiques étaient entrées dans le camp d’Auschwitz et avaient libéré plus de 7 000 prisonniers qui étaient encore retenus. Illusion ou réalité, il ne pouvait le dire. Mon grand-oncle avait survécu trois fois à la mort. Il s’était marié avec une femme devenue orpheline, qui avait elle aussi perdu ses parents, frères et sœurs dans le même camp de concentration.

Simon et moi avons décidé de nous retrouver les vendredis après-midi, après sa sieste. Nous restions chez lui autour d’un thé Earl Grey pour moi, et pour lui, une infusion. À tour de rôle, nous achetions des pâtisseries.

Un rituel s’était installé naturellement. Je ne voulais pas d’entretiens solennels, cela aurait été pesant, surtout pour Simon, un homme optimiste dégageant une belle aura. Nous commencions par discuter de choses banales, puis je lui demandais toujours comment s’était passé sa semaine, s’il avait eu des flashs, des événements marquants, des souvenirs récurrents, ou s’il avait eu des difficultés à dormir. Chaque fois que nous nous retrouvions, je relisais les trois dernières phrases notées dans mon cahier, et nous reprenions naturellement le fil de nos échanges.

Nos rendez-vous ne dépassaient jamais 2 heures et demie, ce qui était déjà beaucoup lorsque nous explorions le passé. Les souvenirs affluaient pour lui d’une manière inattendue. Je venais chez lui le cœur léger, et je repartais encore plus légère. Je ne peux pas vous expliquer la sensation qui m’envahissait, comme si des nœuds inconscients en moi se dénouaient.

« La vie est belle, un joyau que je n’ai de cesse de polir pour en extraire ma vérité. C’est à travers les moments les plus difficiles que j’ai le plus appris sur l’être humain et moi-même. »

Ma mère : Dora

Ma mère, Dora Feuerstein, est née le 12 décembre 1888 à Oświęcim en Pologne. En 1940, la ville a été renommée par les Allemands Auschwitz pendant la seconde guerre mondiale, c’est à Oświęcim et dans le village voisin de Brzezinka (Birkenau en allemand) que les Allemands ont construit en juin 1940 le camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau où périrent plus d’un million de personnes, essentiellement juives.

Elle est décédée le 20 février 1978 à Henri Mondor (Créteil), à l’âge de 90 ans, et elle a été enterrée à Bagneux. Le nom de son père était Wolf FEUERSTEIN, et la mère de Dora s’appelait Rosa Harber. Mes parents se sont mariés le 28 juin 1910 et ont vécu au 234 avenue de la République à Maisons-Alfort, dans un pavillon. Ils avaient une cordonnerie juste à côté.

Ma mère a quitté la Pologne pour rejoindre sa sœur en France, qui s’était installée quelques années auparavant. Elle était mariée et ne voulait pas avoir Dora à la maison, d’autant plus qu’elle avait déjà trois enfants. Sa sœur et son mari tenaient un commerce de meubles dans le centre de Paris. Pour éviter d’avoir sa petite sœur à gérer, elle a organisé un chiddour, qui est une rencontre de deux personnes de même religion pour un éventuel mariage. Mes parents n’étaient pas vraiment compatibles, ayant des personnalités opposées. On les a mariés parce que mon père était un homme fort et solide.

Dora, ma mère, était une femme extraordinaire qui m’a profondément marquée par son intelligence. Elle avait même appris l’allemand gothique, une forme d’écriture chic qui n’est pas courante.