Sous le voile de l’Islam - Marga d’Andurain - E-Book

Sous le voile de l’Islam E-Book

Marga d'Andurain

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Beschreibung

Certains casaniers nostalgiques ou neurasthéniques ont imaginé, répandu et fait admettre au rang des vérités premières, une formule, qui est la plus absurde et la plus décevante dans le répertoire des romances sentimentales : « Partir c’est mourir un peu. »
En vérité, partir c’est rompre des chaînes, c’est ressentir dans tout son être l’euphorie de la liberté, c’est s’offrir à des émotions inconnues, à des sensations nouvelles et à toutes les perspectives de l’aventure ; c’est vivre intensément et passionnément.
Des deux pigeons de la fable, celui qu’il faut envier et admirer, c’est le voyageur, bien qu’il ait souffert au cours de sa vie vagabonde et qu’on nous le représente rentrant un soir au nid, l’aile basse et traînant le pied. Celui qu’il faut plaindre c’est le gardien du pigeonnier, dont la vie monotone et banale s’est écoulée dans l’attente, la solitude et une nonchalante sécurité.

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Sous le voile de l’Islam L’extraordinaire aventure de Mme M. d’Andurain

Marga d’Andurain

1934

© 2023 Librorium Editions

ISBN : 9782385740887

UNE FRANÇAISE SOUS LE VOILE DE L’ISLAM

Une femme, une Française, s’est faite musulmane pour visiter le Nedje.Arrêtée à Djedda, elle a été condamnée à mort…Mme d’Andurain contera prochainement aux lecteurs de l’« Intransigeant »l’odyssée de son extraordinaire aventure

L’extraordinaire aventured’une Française au Nedj

Mme d’Andurain, condamnée à mort àDjedda, a écrit, pour l’« Intransigeant »,le récit de son voyage

Elle entra dans mon bureau avec une vivacité qui me surprit. Elle semblait extrêmement pressée. Elle parla avec une volubilité tout à fait personnelle. Elle paraissait tenir difficilement en place.

Rien, pourtant, ne la pressait particulièrement ce jour-là. Cette parole qui coule impétueuse, comme un gave roule ses pierres, est sa façon habituelle de parler. Elle ne reste jamais en place, et c’est bien là la cause de tous ses malheurs, si l’on peut dire d’une aventure dont on est revenue qu’elle soit un malheur.

Mme d’Andurain

— Oui, monsieur, vous aussi vous avez annoncé ma condamnation à mort ! Certains de vos confrères ont même été jusqu’à prétendre que j’avais été pendue. Or, monsieur, j’aurais été lapidée et non pendue…

— L’un ne vaut guère mieux que l’autre, madame.

— Pas du tout. Pendue passe encore, mais lapidée… On souffre au moins deux heures !

J’avais devant moi la vicomtesse d’Andurain. Vous souvenez-vous ? Au mois de juin dernier, une courte dépêche datée de Djedda annonçait le jugement et la condamnation à mort de cette Française, arrêtée dans un hôtel indigène de la capitale du Hedjaz.

Une aventure extraordinaire et mystérieuse dont manquaient tous les détails. On la disait mariée à un cheik qui n’était à vrai dire qu’un chamelier du désert. Qu’allait-elle faire en Arabie ?

Le fil de son aventure se déroulait rapide comme sa parole. Une extraordinaire aventure, en vérité, engendrée par un goût du risque peu commun, un mépris des contingences, une confiance et une audace moins commune encore.

Mme d’Andurain est d’origine basque. Elle a de sa race, à un suprême degré, ce goût des lointains voyages, le courage et la volonté. Il y a quelques siècles elle eût frêté des caravelles pour aller conquérir quelque lointain Eldorado. Au vingtième siècle, que vouliez-vous qu’elle fît ?

Après son mariage au sortir du couvent, et après avoir visité en voyage de noces toute l’Amérique du Sud, l’Europe lui sembla un pays inhabitable. L’Orient l’attirait. Elle y partit. Au Caire, elle vendit des meubles anciens et des perles de culture. Puis elle partit encore. Et un jour, traversant le désert de Syrie, elle décida de s’établir à Palmyre.

Son mari était resté au Caire.

Son mari a horreur des voyages, horreur du désert et aucun intérêt pour les Arabes. Mais il ne sait résister aux désirs de sa femme. Il va donc à Palmyre la rejoindre. Un merveilleux hôtel abandonné dressait, en plein désert, sa silhouette de palace. Après de longues tractations et bien des aventures avec l’autorité militaire, le ménage d’Andurain se rendit propriétaire de l’hôtel.

Le vicomte avait également un parfait mépris pour le métier d’hôtelier. Une seule chose le passionne dans l’existence, l’élevage des chevaux de pur sang. N’ayant rien à faire, tout naturellement, il éleva des pur sang à Palmyre. Comme le désert ne connaît pas de pâturages et par conséquent ne produit pas de foin, pour nourrir ses chevaux il fit venir, à grands frais, des betteraves et du lait condensé.

La fortune de la famille risquait fort d’être convertie en boîtes de lait dont les chevaux faisaient la plus grande consommation, quand Mme d’Andurain fit comprendre à son mari que l’élevage des pur sang n’était pas une occupation en rapport avec leur situation géographique.

Parmi les rares voyageurs qui, de loin en loin, faisaient escale à l’hôtel Zénobie, vint, un jour, un marin anglais qui raconta merveille du Nedj, un pays mystérieux où aucun Européen ne s’était encore aventuré. Il n’en fallut pas plus pour donner à Mme d’Andurain l’impérieux désir de s’y rendre. Et comme chez elle les désirs se traduisent généralement en actes, elle résolut de partir sur-le-champ. Mais pour aller au Nedj, il fallait pour le moins être mariée à un Nedjien. Qu’à cela ne tienne, Mme d’Andurain épouserait un Arabe.

Deux jours plus tard, un chef du désert vint à passer à Palmyre. Il avait dans sa suite un méhariste du nom de Soleiman qui appartenait justement à une tribu du Nedj. Ceci se passait un lundi. Le mercredi, Mme d’Andurain partait avec Soleiman qu’elle devait, par la suite, épouser et se convertir à la religion musulmane pour accomplir son voyage.

Ce que fut ce voyage, elle va vous le dire elle-même dans les mémoires dont nous commençons demain la publication.

Ce sont les premiers articles qu’elle publie. Et, sauf son mari d’occasion, tous les témoins vivent et peuvent attester de la vérité du récit.

On l’a accusée d’espionnage. Elle s’indigne. Quand on la connaît, on comprend fort bien que le goût seul de l’aventure ait pu l’entraîner dans cette expédition hasardeuse. Elle la trouve, elle, parfaitement naturelle.

— Si j’étais Anglaise ou Américaine, nul ne s’étonnerait d’un pareil voyage. Parce que je suis Française, on veut lui donner des raisons qu’il n’a pas.

Mme d’Andurain n’est pas faite pour vivre dans un petit appartement parisien, entre un mari en pantoufles et des enfants qui vont bien sagement à l’école. Voilà tout.

ROBERT DUBARD.

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Des deux pigeons de la fable…

Certains casaniers nostalgiques ou neurasthéniques ont imaginé, répandu et fait admettre au rang des vérités premières, une formule, qui est la plus absurde et la plus décevante dans le répertoire des romances sentimentales : « Partir c’est mourir un peu. »

En vérité, partir c’est rompre des chaînes, c’est ressentir dans tout son être l’euphorie de la liberté, c’est s’offrir à des émotions inconnues, à des sensations nouvelles et à toutes les perspectives de l’aventure ; c’est vivre intensément et passionnément.

Des deux pigeons de la fable, celui qu’il faut envier et admirer, c’est le voyageur, bien qu’il ait souffert au cours de sa vie vagabonde et qu’on nous le représente rentrant un soir au nid, l’aile basse et traînant le pied. Celui qu’il faut plaindre c’est le gardien du pigeonnier, dont la vie monotone et banale s’est écoulée dans l’attente, la solitude et une nonchalante sécurité.

Mme d’Andurain, qui est détentrice du brevet de pilote (à droite),photographiée avec une amie devant son avion

Les chevaliers, portant la croix sur la cotte de mailles, qui couraient à la délivrance du Saint-Sépulcre, les navigateurs qui poussaient leurs caravelles dans les mers périlleuses, à la recherche de nouveaux mondes, imaginés comme des paradis, tous les amateurs de fuyantes fortunes, les chasseurs de rêves, les explorateurs de l’inconnu, les amants des Sirènes, et les chevaucheurs de la chimère, tous ceux, en somme, qui ont fait bon marché de leur vie et semblent l’avoir gaspillée aux quatre vents de l’aventure, ont, au contraire, donné à cette vie, si brève et si précaire que nous mesure la Providence, un maximum de valeur et de beauté. Sancho Pança aura beau multiplier les aphorismes de la sagesse, la raison qu’il symbolise est infiniment moins séduisante que l’idéal dont son maître Don Quichotte était épris.

Née à Bayonne, dans une famille basque, dont on peut remonter pendant plusieurs siècles les générations de magistrats, notaires, préfets, généraux, fonctionnaires de toutes sortes, et nobles gentilshommes vivant sur leurs terres ou même figurant à la cour, on me destinait, ainsi que beaucoup de mes aïeules, aux paisibles joies matrimoniales et provinciales, dans quelque sous-préfecture des Basses-Pyrénées, avec la diversion des vendanges à la campagne et des bains de mer à Biarritz ou à Saint-Jean-de-Luz.

Cependant, dès ma plus tendre enfance, je ne sais quel atavisme obscur me marquait de goûts particuliers. Certes, je fûs d’abord une petite fille déférente avec mes parents, suffisamment consciencieuse à l’égard de mes devoirs religieux et scolaires ; mais, en réalité, l’obéissance me gênait toujours.

Je n’essayerai pas de vous dissimuler que le goût de l’indépendance est en moi, depuis que j’ai pris conscience de ma personnalité. Il s’est manifesté d’abord par des symptômes anodins : fuite de la maison paternelle, dès l’âge de trois ans, chute dans le gave avec la bicyclette de ma sœur, trop grande pour mes petites jambes et que j’avais enfourchée sur le chemin de halage, malgré le danger, malgré la défense de mes parents, et mille autre entreprises du même ordre.

Mais à mesure que j’avançais en âge mon cas s’aggravait. J’acquérais un secret mépris et une horreur de la vie paisible et ponsive dont ma famille donnait l’exemple et que menaient, comme elle, toutes les familles des environs. Le code des convenances, le rite des réceptions, l’affreuse banalité des visites échangées, me causaient des haut-le-cœur. Ayant à peine atteint huit ans, je me disais qu’il suffisait de vouloir pour réussir et je me jurais à moi-même que je partirais le plus tôt possible vers des pays de liberté et de soleil.

Alors mon indiscipline intérieure, que j’avais un peu retenue jusque-là, dissipa soudain les apparences de ma docilité extérieure. Les choses se gâtèrent, l’insubordination devint le moindre de mes défauts et on me mit pensionnaire au couvent, à 9 ans révolus.

Le franchise nette et brutale qui domine chez moi, me rendit odieuse. On vous apprend, on vous ordonne pendant toute votre enfance de dire la vérité, on vous enjoint de ne jamais mentir, et, lorsque vous vous conformez trop complètement aux conseils reçus, vous êtes maladroite, vous vous faites détester.

Je ne saurais vous énumérer les ordres religieux successifs qui ont eu, tant en France qu’en Espagne, la charge de mon instruction et de mon éducation. Dans chaque établissement on me congédiait pour impertinence, révolte, dissipation. On ne pouvait cependant pas me reprocher d’être paresseuse et mauvaise élève. Une des rares fois où je finis l’année au couvent j’eus tous les premiers prix de ma classe, sauf celui de sagesse, s’entend ; je reçus, ce jour-là, avec une pile de livres, une couronne de lauriers et l’accolade très pieuse de monseigneur Gieure, l’évêque de Bayonne, qui était venu présider la distribution des prix des Ursulines de Fontarabie.

Mais en l’espace d’un matin mon prestige s’écroulait d’un coup ; soit que j’aie violé la règle avec scandale, soit que j’aie fomenté la révolte dans un dortoir, ou que j’aie entrepris quelque folle équipée.

En désespoir de cause, ma famille fit l’essai, tout aussi vain, d’une éducation à la maison, avec une institutrice. Je reconnais lui avoir fait perdre la tête ; cependant mon caractère vif et franc lui plaisait, et lorsque, au bout de six mois, la pauvre fille annonçait à mes parents son départ immédiat, la vie lui étant devenue impossible dans notre atmosphère, elle rejeta toutes les fautes sur ma sœur, dont le caractère faux, mielleux et sournois lui était particulièrement antipathique.

Je venais d’accomplir ma quinzième année quand, pendant les grandes vacances, je rencontrai à Biarritz mon cousin Pierre d’Andurain. Il avait quitté le pays depuis quelques années, je le reconnus pourtant, bien que l’ayant à peine entrevu, autrefois, chez mes parents, car j’étais trop jeune alors pour figurer à table, lorsqu’il y avait des invités à la maison.

Il me plut instantanément, je l’invitai à la campagne pour une comédie que nous devions jouer chez des amis ; il fit plusieurs séjours à la maison ; notre mariage fut décidé entre nous.

Mon père objectait mon extrême jeunesse et l’instabilité de mon caractère. Mon absence complète d’expérience, d’ordre, d’esprit pratique et d’économie ménagère s’aggravaient à ses yeux du fait que mon cousin n’avait aucune situation et qu’il vivait dans une oisiveté complète.

Pendant quelques jours notre projet parut sérieusement compromis. Mais ma mère comprit que nulle puissance au monde ne serait capable de nous retenir ; craignant le pire, convaincue que le mariage s’imposait, ma chère maman devint mon alliée la plus déterminée pour obtenir le consentement de mon père. Elle a, autant que moi, lutté opiniâtrement et employé tous les moyens pour convaincre mon père.

Je ne saurais dire quel argument fit céder celui-ci. On l’avait leurré en lui annonçant que mon cousin avait une situation dans les assurances ; le directeur d’une importante compagnie s’était aimablement prêté à cette comédie, mais nous lui avion bien promis de partir en voyage de noces et de ne plus revenir. Je ne suis pas sûre que papa ait ajouté beaucoup de crédit à toutes nos raisons ; il estima peut-être qu’il valait mieux ne pas prolonger un conflit avec la fille irréductible que j’étais.

Ma première entrevue avec ma future belle-mère fut comique. Elle eut lieu chez d’autres cousins ; j’entrai au salon tellement travestie qu’au premier abord ma mère ne me reconnut point. En effet, je portais une des robes longues de ma cousine et j’avais établi mes cheveux en chignon ; mais aussitôt l’entrevue terminée je reprenais mes robes courtes, je relâchais me cheveux dans le dos, je montais à cheval et faisais l’ascension des arbres les plus vertigineux. Malgré ma réputation de fillette déchaînée (facile à obtenir en province quand on a du sang dans les veines) je restais une enfant parfaitement naïve et parfaitement saine. Entre nous, je croyais, à l’époque-là et même quelques mois après mon mariage, que les enfants se procréaient et venaient au monde par le nombril. Mais j’avais l’audace des grands capitaines et un ardent désir d’émancipation. Mon mariage et celui de ma sœur furent célébrés le 11 février 1911 ; le mien avec un contrat stipulant le régime dotal.

Je prie mes lecteurs d’excuser l’incursion dans mon enfance, que je viens de leur imposer ; elle n’est point de nature à me gagner leur sympathie, mais ce préambule à l’exposé des événements dont j’entreprends le récit, n’est certainement pas inutile à leur intelligence. La très simple narration que je me propose de rédiger n’a point la prétention de traiter des cas psychologiques et de soumettre mes états d’âme au public. Je me glorifie d’avoir l’esprit dénué de toutes complications et le cœur fermé aux divagations sentimentales ; cependant il m’a paru nécessaire de me présenter, sans artifice, au début de ce livre, telle que j’étais pendant les premières années de ma vie et telle que je suis encore aujourd’hui. Désormais, si vous le voulez bien, nous ne parlerons plus de ma personnalité, vous la connaissez suffisamment ; nous ferons ensemble l’examen objectif des événements les plus pittoresques auxquels j’ai participé.

 

 

 

Les méharistes de Palmyre défilent devant les ruines de la cité morte

 

Première vision de Palmyre

 

 

Kariatin, avec ses vergers, est le dernier îlot de verdure sur le chemin de Palmyre. Quand on l’a traversé, on n’a plus devant soi que le désert : une immense étendue où poussent uniquement, par places, des touffes clairsemées. Après la brève saison des pluies il produit une herbe fine tout émaillée de fleurs qui fait de cette région un immense pâturage temporaire pour les chameaux ou les gazelles. C’est, alors, un terrain hospitalier aux bédouins nomades. Mais à la saison où nous étions arrivés, il n’était pas tombé d’eau depuis plusieurs mois : l’herbe et les fleurs avaient depuis longtemps disparu. Le désert avait son aspect normal, celui que je lui ai vu si souvent depuis lors, mais qui me paraissait nouveau : une immense plaine poussiéreuse, lumineuse, dorée et vide. Mon âme a été du premier coup conquise par le désert, car il donne l’impression la plus forte du silence, de la liberté et de l’infini…

Rien n’est venu rompre la monotonie de nos derniers cent kilomètres, qu’une tour byzantine à demi ruinée : Ksar-el-Heir, et, trente kilomètres avant Palmyre, un petit puits, flanqué d’un poste turc, délabré : Aïn-el-Beida.

À notre droite une longue ligne de montagnes bleues court vers l’est, parallèlement à notre piste.

Vers la gauche aussi paraît maintenant une ligne de hauteurs. La dernière partie du trajet se fait entre ces deux chaînes qui se rapprochent et bientôt se rejoignent devant nous, barrant l’horizon. Nous les atteignons au point de leur soudure, peu avant le coucher du soleil. Soudain le paysage a cessé d’être monotone. Au nord une haute falaise verticale se détache, parmi les collines aux formes heurtées. Des plaques de sable miroitent sur les crêtes et dans les vallons se creusent des ombres puissantes. Devant nous, dans l’amphithéâtre, se dressent les ruines de plusieurs tours carrées.

Nous nous engageons entre ces bastions et, aussitôt, surgissent d’autres tours inégales, les unes en ruine, réduites à des pans de murs, émergeant des décombres, les autres presque intactes encore, hautes et sévères. Nous suivons la vallées des tours, puis nous nous élevons, un peu, vers le petit col. Au point culminant de ce col c’est l’étonnant spectacle auquel je m’attendais si peu : une vaste étendue de ruines dorées, auxquelles le soleil couchant apporte, dans un air transparent, des couleurs légères et chaudes. Les hauts murs jaunes sombre du sanctuaire de Bêl dominent le groupe serré des maisons basses et grises du village arabe.

La ville antique captive notre regard ; elle présente un enchevêtrement de colonnes, de parois monumentales, que deux mille ans et le soleil du désert ont revêtu d’une patine extraordinaire d’ocre rouillé. La tache vert sombre de l’étroite oasis, sur une montagne la silhouette d’un château qui semble imaginé par Gustave Doré, au-dessous de nous, issue du flanc de la montagne, la source, le filet d’eau auquel l’oasis doit son existence et, au bord de cette eau, des chameaux, des bédouins accroupis et quelques soldats préparant leur repas du soir. Derrière la source, l’oasis et les ruines qui couvrent une trentaine d’hectares, partout le désert sans limite, où ondulent, très loin, quelques lignes de collines. Parmi le sable qui poudroie, nous apercevons, à l’horizon, une nappe d’eau qui n’est pas un mirage : c’est une lagune d’où Palmyre tire son sel. Que l’on imagine ma surprise. Je ne savais rien de Palmyre. Le matin même, en quittant Damas, elle n’était pour moi qu’un nom. J’avais seulement, dans la mémoire, quelques bribes de l’histoire de la reine Zénobie. Je savais que Palmyre ou, en arabe, Tadmor, « ville des Palmiers », avait été une cité puissante dans l’antiquité et que Zénobie en avait fait la capitale de l’Orient. Or, subitement, se révélait à moi la plus majestueuse et la plus inattendue féerie.

Il y a six ans que j’ai ressenti cette puissante émotion, que j’ai aimé ce spectacle, le plus beau que j’aie rencontré. La vie arabe dans ce cadre monumental présente une série de tableaux qui ne me lassaient pas et dont aujourd’hui je garde le souvenir vivant et la nostalgie.

Avec ma spontanéité coutumière, je décidais, à l’instant, que j’habiterais à Palmyre. Six mois plus tard nous y étions installés.

Arabes et Bédouins, très curieux par nature et encore plus de ce qu’ils ignorent totalement, se précipitèrent chez moi et m’invitèrent à qui mieux mieux.

Ces gens me plurent toute de suite, les visites que je leur rendais sous la tente me causaient une joie complète.

Leur accueil enthousiaste, leur si généreuse hospitalité, la grande simplicité de la réception, leur sentiment de l’honneur me charmaient.

À peine arrivée chez un cheik je m’accroupis comme tous les hommes présents, autour du feu, où sont alignées les cafetières au long bec et les théières. Le service ne chôme pas ; il est vrai que le nombre d’hommes oisifs qui vous entoure est impressionnant. L’un broie le café dans un mortier de bronze, et le pilon frappe en cadence, tantôt lent, tantôt rapide, selon l’inspiration de l’artiste.

La nuit, la veillée, c’est le « guetta », poète qui improvise des récits difficiles à comprendre ; on en devine une partie aux mimiques expressives du récitant et il nous séduit, car il s’en dégage une véritable harmonie sauvage.

Je vais toujours faire un petit tour sous la tente des femmes, où elles vivent entourées d’une foule de gosses.

La nuit on me met, non loin de l’âtre, un petit matelas, caché par un paravent de jonc, dont toutes les fibres sont réunies les unes aux autres par des laines de couleur, tissage inédit du désert.

Le cheik vient me border, dans ce lit où je dors toute habillée, sous les couvertures de parade de la tribu.

Au matin je me régale du lait de chameau, qui « te donnera beaucoup de force » me disent mes hôtes avec une telle conviction que je les crois. Cette atmosphère de confiance, de repos, me donne une impression de satisfaction intérieure totale que je ne saurais exprimer exactement et que je n’ai jamais éprouvée dans la société européenne.

Le matin, suivant le temps et la saison, on m’offrait une chasse à la gazelle ou au faucon.

Partons à la gazelle, dis-je un jour à Naouaf. On s’empile dans une grande auto américaine, trois devant, je suis entre le cheik Sattam et son chauffeur nègre, trois sur les strapontins, quatre dans le fond.

Depuis des heures, de secousses en secousses, nous abattons des kilomètres monotones lorsque, brusquement, Embarak, le chauffeur nègre, appuyant à fond son pied nu sur l’accélérateur, nous crie : « Ha ! ha ! ha ! Ghazellan ! » (gazelle). Sortant de la torpeur où le soleil nous avait plongés, nous regardons, cherchant de la main nos fusils dans le désordre inextricable de l’auto. Chacun scrute l’horizon en chargeant ses armes. Sattam défait sa cartouchière pour en tirer plus facilement les balles. Et l’auto, marchant à cent dix à l’heure, nous amène près du troupeau affolé des farouches gazelles. Bêtes de sang et de race, d’une finesse et d’une grâce délicieuses, elles fuient sur leurs pattes grêles à une allure vertigineuse. Leurs grands yeux noirs nous regardent, furtivement, pendant l’effort intense qu’elles fournissent. Victimes de la nature, elles portent sur elles leur condamnation, une cible. Une cible vivante formée par le haut de leurs fesses blanches et le bout de leur queue noire… elles fuient et sont ainsi placées le mieux possible pour le tir.

Le soir arrive et depuis le matin nous ne nous sommes rien mis sous la dent. Le gibier mort ne manque pas, à table… ou plutôt à la cuisine.