7 - Le cercle noir - Tome 3 - Franck Linol - E-Book

7 - Le cercle noir - Tome 3 E-Book

Franck Linol

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Beschreibung

Crimes, suspense, enquêtes,... Partez à la découverte d'histoires sombres et glaçantes !

Et revoilà le commissaire Gorce... mais il est à la retraite. Pourtant, il va croiser la route de Kevin Kotz. Un homme étrange... « Je vivais avec ma mère, passant mes journées dans ma chambre. Un soir, j’ai entendu un bruit anormal, en bas, dans le salon. Je suis descendu et j’ai découvert ma mère qui venait de se pendre. Elle avait accroché la corde à une des poutres du plafond et il lui avait suffi de faire basculer la chaise sur laquelle elle était montée. J’ai préparé un sac à dos, j’ai piqué le fric qu’elle conservait dans une boite en fer, et je suis parti. Depuis, je marche sur les routes. Au gré du vent. Quand je fais une halte, c’est pour tuer. » Troisième opus du Cercle Noir : 7 auteurs des éditions La Geste, 7 nouvelles...

Dévorez les sept nouvelles haletantes contenues dans ce troisième tome de récits énigmatiques écrits par les auteurs des éditions La Geste !

EXTRAIT

C’est le poids d’un regard posé sur lui qui le fit sursauter. Sortir de sa torpeur. Ils étaient là. Deux visages, le nez contre la vitre de la voiture. Quatre yeux qui l’observaient. Ils eurent un mouvement de recul quand il ouvrit les paupières et les dévisagea. Deux gamins, treize, quatorze ans peut-être. Des têtes d’adolescents boutonneux, au crâne rasé. La morve dégoulinant de leurs narines à vif. Des tatouages apparaissaient du col ouvert de leurs blousons jusqu’à leurs joues qu’ombrait un pâle duvet. Le bas de leurs jeans enfoui dans le contrefort de la Doc leur donnait une allure paramilitaire. Que renforçait les Perfecto sanglés sur leurs corps alourdis par les sodas et la bouffe de fastfood. Les doigts gantés de leurs mains serraient des battes de base-ball. Regards butés, immobiles. Ils avaient vu le fric étalé sur le siège.
L’un deux leva la batte au-dessus de sa tête et l’abattit sur la vitre qui explosa. Kevin se protégea des éclats et se coucha sur le siège. Le vent passa par l’ouverture amenant son odeur de sous-bois détrempé. La seconde batte étoila le pare-brise sans le fracturer. Il se laissa glisser sur la fausse moquette du tapis de sol. D’une main, il récupéra le Glock dans la poche de son blouson. Un troisième coup enfonça la portière et une charnière céda. Ils étaient de chaque côté de la Dyane. Et frappaient en cadence. Jusqu’à ce qu’ils s’épuisent. Il n’avait pas bougé. Son poing fermé sur la crosse. Il pouvait entendre leurs souffles.
— Tu vas sortir, enculé !
— On va te défoncer ta bagnole et ton cul.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE - À propos du tome 1

Ces sept histoires sont vraiment bien. Chacune dans un style différentes, mais bien écrites. - Cril87, Booknode

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7

© 2019 – La Geste – 79260 La Crèche

Tous droits réservés pour tous pays

LE CERCLE NOIR – OPUS 3

Franck Villemaud –Joël NIVARD –

Franck LINOL – Laurence JARDY – François CLAPEAU – Jean-Louis BOUDRIE –

Yves AUBARD

7

Préface

Les sept auteurs du Cercle Noir ont décidé de récidiver…

Revoilà le commissaire Gorce !

Ce troisième opus se situe entre l’année de la dernière affaire du grand flic limougeaud (Cercle Noir 2015) et les derniers jours avant sa mort… (Cercle Noir 2017).

Gorce est à la retraite et coule des jours tranquilles. Mais il croise la route d’un type étrange : Kevin Kotz.

« Je vivais avec ma mère, passant mes journées dans ma chambre. Un soir, j’ai entendu un bruit anormal, en bas, dans le salon. Je suis descendu et j’ai découvert ma mère qui venait de se pendre. Elle avait accroché la corde à une des poutres du plafond et il lui avait suffi de faire basculer la chaise sur laquelle elle était montée. J’ai préparé un sac à dos, j’ai piqué le fric qu’elle conservait dans une boite en fer et je suis parti. Depuis, je marche sur les routes. Au gré du vent.

Quand je fais une halte, c’est pour tuer. »

Une seule règle du jeu : imaginer la suite…

Les sept auteurs ont laissé libre cours à leur imagination.

Tauromachie

Franck Villemaud

« Je vivais avec ma mère, passant mes journées dans ma chambre. Un soir, j’ai entendu un bruit anormal, en bas, dans le salon. Je suis descendu et j’ai découvert ma mère qui venait de se pendre. Elle avait accroché la corde à une des poutres du plafond et il lui avait suffit de faire basculer la chaise sur laquelle elle était montée.

J’ai préparé un sac à dos, j’ai piqué le fric qu’elle conservait dans une boite en fer et je suis parti.

Depuis, je marche sur les routes. Au gré du vent.

Quand je fais une halte c’est pour tuer.

Hier, j’ai fait une halte.

Devant cette maison.

J’ai attendu tout le temps qu’il fallait pour y apercevoir de la vie à l’intérieur, puis je suis entré.

Pour vous.

Pas de chance, n’est-ce pas ?

— On ne peut pas toujours bien tomber.

— Votre calme est impressionnant, je dois le reconnaître.

— Comme je vous le disais tout à l’heure, je n’ai plus grand chose à perdre. Alors…

— Finalement, c’est une forme de soulagement pour vous que je sois venu à votre rencontre, si je vous comprends bien.

— Pas tout à fait. Pour être parfaitement honnête avec vous, je crois que je m’en fiche complètement. »

Kevin Kotz détourna le visage par réflexe. Un rictus d’insatisfaction venait de s’y afficher, et il espérait objectivement le masquer – tout en ayant conscience, ce faisant, qu’il était déjà trop tard. Sa légère manifestation de faiblesse avait évidemment été perçue, il devrait veiller à ne pas s’en autoriser d’autre.

Il reprit néanmoins rapidement le dessus, pour offrir à nouveau le regard aussi perçant que vide d’existence qui l’habitait au quotidien.

« Bien. Je reconnais que c’est intéressant. C’est la première fois que je me retrouve confronté à ça. Je veux dire, à quelqu’un comme vous, dans ce type de situation. Je vous avoue que cela a pour moi quelque chose de, comment dire…, d’attrayant.

— Je vous avoue que cela n’est absolument pas réciproque, j’espère que vous ne m’en voudrez pas.

— J’en suis moins persuadé que vous, mais quand bien même : cela ne change pas grand-chose à notre affaire au bout du compte, n’est-ce pas ?

— Non. Quant à cette première fois que vous évoquiez, croyez-moi, profitez-en au mieux, mon vieux. Je vous accorde très peu de chance d’être un jour à nouveau face à quelqu’un comme moi – du moins dans un tel contexte.

— Vous savez que c’est très prétentieux de votre part, ça… Vous vous estimez apparemment unique alors que, en dépit de l’image que vous essayez de me donner et de l’intérêt particulier que vous suscitez chez moi, vous êtes évidemment d’une banalité tout à fait sinistre. J’ai acquis une expérience certaine en la matière, vous savez – et, croyez-moi à votre tour, à l’aube de sa mort, chacun est malheureusement tristement semblable aux autres.

— Je veux bien vous croire. Mais nous ne parlons pas vraiment de ça, je me trompe ?

— Vous vous trompez, oui. La mort est exactement le sujet, je suis surpris que vous en doutiez.

— La mort ou la souffrance ?

— Sincèrement : vous connaissez des morts sans souffrance, vous ? Si vous songez à ce que l’on nomme absurdement une « belle mort », il me semble qu’elle impose, à tout le moins, la souffrance des proches, vous ne croyez pas ?

— à condition d’être aimé, vous ne croyez pas ? Pardonnez-moi, mais j’ai du mal à imaginer que, quand viendra votre tour, il y ait beaucoup de larmes versées, que votre mort soit belle ou non.

— Je vous adjugerais volontiers un point sur ce coup-là, si je n’étais pas mort depuis bien longtemps déjà. Et ce jour-là, la souffrance était bel et bien à mes côtés, je peux vous l’assurer.

— Vous voulez parler des contractions de votre petite maman, peut-être ? »

Kevin éclata d’un rire suraigu, qui n’avait toutefois rien de factice et qui sembla lui-même le surprendre. Mais la répartie l’avait beaucoup amusé, il ne pouvait que l’admettre, tout comme il se devait d’accepter son propre trouble face à une manifestation de joie oubliée depuis des années, si tant est qu’il ait déjà été amené à l’éprouver au cours de son existence.

« Bravo !!!! C’est brillant ! Et le pire, c’est que vous avez complètement raison.

— Eh bien, écoutez – Kevin, c’est ça ? : je dois bien admettre que c’est la première fois de ma jeune vie que j’ai l’occasion d’échanger avec un mort-né. Je devrais sans doute réaliser la chance que j’ai plus que je ne le fais.

— Excelleeeent ! Non, décidément, vous me plaisez : calme, auto-dérision, cynisme, tout cela en un moment pareil – je veux dire, avec ce que je suppose que vous devez endurer actuellement. Je ne m’y attendais pas, mais je crois sincèrement que nous allons prendre du bon temps tous les deux. Rassurez-moi simplement sur une chose : toute cette posture n’aurait quand même pas pour unique but de tenter de me séduire ?

— Vous séduire ?! Vous ? Voyons, Kevin, un peu de sérieux, s’il vous plaît.

— Reconnaissez tout de même que cela pourrait servir vos intérêts.

— Pardonnez-moi de devoir me répéter, mais, une fois encore, je me fiche complètement de ce qu’il est en train de se passer. Du coup, je ne saisis pas trop de quels intérêts vous parlez.

— Bien sûr… J’espère que vous ne m’en voudrez pas de me méfier malgré tout de toute tentative de manipulation grossière de votre part, quand bien même serait-elle, de toute façon, évidemment vaine. »

Pour la première fois de leur affrontement, le silence s’installa l’espace de quelques secondes – ce que Kevin interpréta aussitôt comme une victoire de sa part.

Il reprenait l’avantage.

Un avantage qu’il escomptait fermement faire fructifier.

« Vous ne dites plus rien ?

— Je devrais ?

— Non, évidemment non. C’est juste que vous ne m’avez pas habitué au silence, depuis le peu de temps que nous nous connaissons.

— Je vous connais bien plus que vous ne me connaissez, vous savez. Les garçons dans votre genre – vous savez : les paumés, les tarés, les pervers narcissiques… Eh bien, comment dire… Disons que, malheureusement, ils ont toujours un peu fait partie de ma vie.

— Snif, snif…

— Oh ! Séchez vite vos larmes, mon grand ! Après tout, je n’ai aucun droit de me plaindre : cela n’aura jamais été qu’un choix de ma part.

— Non, mais quel courage ! Quelles capacités d’introspection ! C’est proprement fascinant ! Pardon : on veut un gros câlin, peut-être ?

— Sans façon, merci. En fait, je cherchais simplement à vous dire par-là que, si je vous connais quasiment déjà par cœur, je dois toutefois vous concéder une particularité – qui se trouve, par ailleurs, être la cause de ce court silence dont vous vous étonniez à l’instant.

— Oui ?

— Votre manière de vous exprimer. Très étonnante pour un type comme vous.

— Merci. Le type comme moi apprécie, et tout particulièrement venant de vous, croyez-moi. à en considérer votre propre éloquence.

— Oui, mais en ce qui me concerne, Kevin, je viens d’un milieu aisé, bourgeois, j’ai fait des études – tout ce dont vous avez été privé, non ? à moins bien sûr que je ne me trompe complètement sur vous, mais j’en doute.

— Les voyages forment la jeunesse, que voulez-vous.

— Un peu décevant comme réponse, pour le coup, si je puis me permettre.

— Et pourtant… »

Il s’offrit un léger temps.

Celui de ménager un peu ses effets et de se redresser, afin d’adopter la posture adéquate à son récit à venir.

C’était son moment, les quelques minutes de gloire qu’il tentait de s’arroger chaque fois que cela lui était possible, mais, le plus souvent, son auditoire était bien trop en panique pour l’écouter réellement et profiter à sa juste valeur du privilège qui lui était accordé.

Pas aujourd’hui, il le pressentait.

Aujourd’hui, son public était évidemment le meilleur auquel il ait jamais été confronté ; celui, en fin de compte, qu’il espérait secrètement depuis tout ce temps, sur les routes assassines de son périple.

Du moins tâchait-il de s’en persuader.

« Bien. Depuis bientôt vingt ans, vous savez, la police de nombreux pays recherche l’auteur de plusieurs dizaines de meurtres, ou peut-être les auteurs – je ne saurais pas vous dire s’ils ont compris, à l’heure qu’il est et au bout de tout ce temps, qu’il s’agissait d’un seul et même assassin. Je leur concède qu’il n’y a rien d’évident à cela : je fais en sorte de varier les plaisirs, si vous voyez ce que je veux dire.

— Je vois très bien, oui.

— Je n’en doutais pas le moindre instant. Pour autant, il ne s’agit aucunement de ma part d’une quelconque volonté de brouiller les pistes – je m’adapte, en fonction de mon, ou de mes, interlocuteurs de l’instant ; de ce que je trouve sur place aussi : je m’imprègne des lieux, de ma ou de mes victimes, puis mes humeur et, disons, créativité m’inspirent la forme que je vais donner à chaque fin d’histoire. De fait, mais je sous-estime peut-être en disant cela le talent des profileurs en charge de ces affaires, je ne pense pas que l’on puisse parvenir à m’attribuer ce qu’ils définissent habituellement comme une signature.

— Tuer systématiquement avec un ustensile trouvé sur les lieux est, en soi-même, une signature, il me semble.

— Ce le serait, effectivement. à ceci près que, en l’occurrence, cela n’a rien de systématique. Parfois mes mains suffisent, et, là encore, la méthode peut varier. Je suis assez doué de mes mains, vous savez – elles ne sont pas si grandes, plutôt fines, mais pleines d’inventivité.

— Des mains d’artiste, n’est-ce pas ?

— Je n’aurais pas osé le dire ainsi, mais oui, tout à fait. C’est tout à fait cela.

— Eh bien, cela n’aura pas mis longtemps, dites-moi !

— Qu’est-ce qui n’aura pas mis longtemps ?

— Écoutez-vous, Kevin : je vous pose une question relativement anodine sur la manière dont vous êtes parvenu à développer le langage châtié dont vous faites preuve, et vous vous en saisissez aussitôt comme prétexte à développer tout un laïus puant de mégalomanie sur vos exploits criminels. Que vous ne manquez pas, par ailleurs, d’élever implicitement au rang tout à fait absurde d’œuvre d’art. C’est assez pathétique à observer, je ne vous le cache pas.

— Ah ! Nous en voilà donc rendus à notre premier changement de stratégie du jour ! Vos gros sabots pour ce faire sont, pour le moins, d’un pathétique tout aussi décevant que celui dont vous taxez mon attitude, je ne vous le cache pas. Le méchant n’aura donc pas cédé à mon charme. Si nous tentions d’éveiller sa colère, pour voir ce que cela donne ? L’option est certes risquée, mais sait-on jamais, n’est-ce pas ? »

Il ne s’était pas laissé déstabiliser, et il en retirait d’ailleurs une fierté certaine.

Quand bien même il se réjouissait par avance de n’avoir jamais connu écoute si studieuse à l’énoncé de ses exploits, il n’en prévoyait pas pour autant qu’elle serait mutique. Bien au contraire, il avait anticipé le fait qu’il serait interrompu, voire moqué – après tout, cela faisait partie du jeu.

Mais d’un jeu qu’il entendait mener désormais jusqu’au dénouement qu’il aurait décidé, en profitant de la moindre attaque de son adversaire pour mieux le contrer et en tirer bénéfice dans la lutte de domination qui s’était engagée dès les premières secondes de leur rencontre.

« Rhaaa, encore un échec, mince ! On parle de mon absence de papa et du suicide de mamounette tout de suite, ou vous préférez attendre un peu pour enclencher le plan « pitié » ?

— Excusez-moi, Kevin, mais est-ce que vous seriez assez aimable pour me dire comment exprimer, afin que vous finissiez par l’entendre, le fait que je me fiche éperdument de vous et de votre « œuvre » ? Tout autant que je me fous, par ailleurs, de l’issue de cette discussion, et vous en connaissez très bien la raison. Il se trouve que nous sommes réunis ici, tous les deux, à nous tenir compagnie, si j’ose dire, dans l’attente d’une issue que nous savons tous deux inéluctable et dont aucun de nous deux ne maîtrise parfaitement l’échéance exacte. Alors on papote, vous voyez ? Pour meubler, pour patienter, rien d’autre, en tout cas en ce qui me concerne. Je reconnais que j’en doute un peu plus s’agissant de vous.

— Allez, ce coup-ci, je vous l’accorde, ce satané point : effectivement, je ne m’en fiche pas. Je vous l’ai dit moi aussi : c’est la première fois que je me retrouve confronté à quelqu’un comme vous. J’espère que vous ne me tiendrez pas rigueur d’en être un minimum curieux – cela me paraît on ne peut plus humain.

— Ce n’est pas nécessairement le qualificatif que j’aurais privilégié vous concernant, mais d’accord, je peux le comprendre. Ce que je saisis moins bien, en revanche, c’est la raison pour laquelle, alors que vous prétendez être curieux de moi, vous persistez à ne parler que de vous.

— Si vous m’aviez laissé achever mon propos, au lieu de m’attaquer puérilement sur ma supposée mégalomanie, vous auriez pu constater que je me contentais de répondre à votre question et qu’il n’était aucunement dans mes intentions de dresser mon propre panégyrique criminel.

— Au temps pour moi, Kevin : je vous écoute religieusement.

— Bien. Vous m’interrogiez donc, je crois, sur les origines de mon parler, disons, abouti, alors même que, selon vous, je n’avais été en mesure de recevoir aucune éducation digne de ce nom. Cette dernière assertion, toute gratuite et sans fondement objectif qu’elle soit, n’en est pas moins vraie : je suis parti de chez moi à l’âge de quatorze ans et, à l’époque, cela faisait déjà longtemps que je n’avais pas fréquenté d’établissement scolaire. Mais, voyez-vous, je lisais. Beaucoup, et de tout. Bien sûr, ce n’était pas chez moi que j’allais trouver de quoi, du moins en format papier – et j’avoue que la lecture sur écran m’aura vite lassé, tant, d’ailleurs, par son contenu que par sa forme. Alors bientôt, dès mes huit ou neuf ans, je me suis résolu à aller me servir ailleurs. Les quelques pavillons alentour me suffisaient largement : personne à vrai dire ne se rend compte d’un livre manquant, à moins, bien entendu, de n’en posséder qu’un petit échantillon, ou que quoi que ce soit d’autre d’un minimum de valeur ne vienne à disparaître concomitamment. Mais, en dépit des clichés dans lesquels vous n’étiez pas loin de sombrer à l’instant, nous n’étions pas pauvres, loin de là – simplement dégénérés. De fait, notre rue regorgeait de résidences cossues au sein desquelles il était de bon ton d’afficher une bibliothèque fournie, quand bien même leur propriétaire n’aurait jamais commis l’effort d’en ouvrir le moindre volume.

— Et cela ne choquait personne que le petiot des voisins ne fréquente pas l’école, dans ce genre de quartier ?

— Vous avez la religion brève, dites-moi…

— Pardonnez-moi, Kevin, je ne fais que constater les incohérences de votre émouvant récit.

— Qui n’en sont pas. Dans ce genre de quartier, comme vous dites, on se fiche bien de la vie des autres, croyez-moi, du moment que leur regard sur vous sait se faire suffisamment obséquieux au moment de se croiser. Et puis, au bout du compte, j’ai bien peu de doutes sur le fait que mon existence avait été oubliée de tous depuis longtemps. Je ne voyais littéralement plus le jour depuis des années, ne sortant qu’à la nuit tombée pour « rendre visite » à mes charmants voisins. Aucune figure paternelle à se mettre sous la dent, ma mère aux yeux mangés de douleurs et substances aussi artificielles les unes que les autres – le drame familial devait sembler aller de soi pour tous, autant que la totale indifférence qu’ils y accordaient. J’étais objectivement mort depuis longtemps, et, pour ne rien vous cacher, je le suis par ailleurs de plus en plus. De mieux en mieux, si j’ose dire. Je peux poursuivre ?

— Je vous en prie. Si vous saviez combien j’ai hâte d’entendre la suite de cette histoire…

— Rhooo, le sarcasme, à présent – gardez-en un peu sous le coude, quand même, nous sommes loin d’en avoir encore terminé.

— Comptez sur moi, j’ai du stock.

— Bien. Lorsque…

— Ah ! un petit tic de langage, malgré tout, on dirait…

— Bordel de merde, vous n’allez pas la fermer ?!!

— Et une légère propension au pétage de plombs, par ailleurs. Dites-moi voir, Kevin, cette jolie carapace toute proprette à laquelle vous semblez tant tenir, ne serait-elle pas en train de gentiment se craqueler ? »

Il s’efforça de raccrocher son regard au moindre élément de la pièce susceptible de l’aider à juguler la fureur qui tentait de prendre possession de chaque parcelle de ses corps et âmes.

Il savait, pour avoir trop souvent connu cet instant, que, s’il la laissait faire, elle lui interdirait alors tout discernement. Il allait hurler, gesticuler autant que son corps en serait actuellement capable, devenir aveugle et sourd à toute forme de contrôle et d’intelligence, confisquer tout brio à sa performance – et il n’en était pas question. Il s’était fait surprendre, comme le gamin perdu et méprisé qu’il n’avait finalement jamais cessé d’être, en dépit de ses tentatives forcenées de gagner le respect qui lui était dû. Au gré de ses bientôt vingt ans d’errance criminelle, il avait fini par admettre que la peur qu’il imprimait consciencieusement ne serait jamais en mesure d’imposer le respect, qu’elle ne serait jamais source que d’auto-centrisme chez ses victimes, voire de pitié nauséeuse à son égard. Chaque fois, à la minute de s’en rendre compte, il lui avait alors fallu précipiter le dénouement de « l’entretien », laissant de fait son récit en suspens, pour substituer à la chute espérée avec tant de fièvre un carnage grossier parfaitement frustrant au bout du compte.

Coitus interruptus, en quelque sorte, qui avait chaque fois induit de longues minutes avant qu’il soit en mesure de recouvrer le minimum d’apaisement nécessaire à effacer les traces de son passage, puis à sélectionner l’ouvrage qui accompagnerait son chemin jusqu’à la prochaine halte – la prochaine tentative vers une jouissance totale devinée, mais qui lui était encore, désespérément, inconnue.

Il y croyait aujourd’hui, et il s’attelait à l’instant à y croire encore – c’était là, tout proche, à portée de quelques mots de plus, si tant est qu’il parvienne à tempérer sa rage et rasseoir sa domination.

Aujourd’hui, l’occasion était trop belle, presque inespérée, à vrai dire.

Aujourd’hui, il n’y avait pas de peur en face, pas d’auto-centrisme et encore moins de pitié.

Aujourd’hui, il n’y avait que sérénité affectée et écoute, qu’intérêt manifeste quand bien même il était non avoué – mais il était là, là et incontestable ; il s’en suffirait d’un rien pour qu’il ne devienne passion, admiration, respect.

Respect, oui.

Respect, enfin.

« Je nous servirais volontiers un verre pour détendre l’atmosphère, mais il se trouve malencontreusement que ma situation actuelle me l’interdit. »

Ne l’écoute pas.

Ne consens pas à devenir sa proie.

TU ES le prédateur, Kevin, c’est ta raison de vivre et ne l’oublie jamais, quand bien même les apparences joueraient ce soir contre toi. Alors, fais-lui lâcher prise, vite, utilise sa force pour la retourner – en commençant par te calmer. Calme-toi, Kevin, dépêche-toi, cela fait déjà trop longtemps que tu ne parles pas. Chaque seconde qui passe de ton silence lui offre autant d’opportunités de te déstabiliser plus encore, autant qu’elle risque de te faire perdre le fil de ta biographie et la puissance de ton moment.

La pièce est vide, complètement nue de meubles ou de décoration – cela lui avait sauté aux yeux en entrant, et c’est ce qui avait alors certainement rendu les choses plus compliquées qu’initialement prévu. Mais peu importe : tout était, au bout du compte, rapidement redevenu plus simple et, là, à cet instant précis, cela n’allait pouvoir que le servir encore. Là, à cet instant précis, Kevin comprit que c’est au creux de ce vide que son regard devait se lover pour qu’il reprenne pouvoir sur lui-même, se régénère, qu’il se retrouve enfin – c’était d’une évidence folle.

Parce que, de toute évidence, le vide était sa vie.

Parce que lui-même, Kevin Kotz, était incontestablement, proprement, littéralement, le vide.

Parce que ici, pour tout dire, au milieu du vide, il ne pouvait que se sentir chez lui comme nulle part ailleurs.

« Ce n’est pas nécessaire, croyez-moi. Je suis parfaitement détendu.

— Mais bien entendu. Bien, donc, où en étions-nous, déjà ? Ah ! oui : vous vous introduisez la nuit chez les voisins, vous piquez un bouquin, que vous lirez un peu plus tard sous la couette.

— C’est à peu près cela, oui. De fait, j…

— Laissez-moi faire, vous allez voir : au fil de vos petites cambrioles juvéniles, il se trouve alors que vous en profitez pour prendre chaque fois un peu plus de temps sur place afin de mater les jolies vies de familles desquelles vous avez été honteusement privées par une enfance si injuste ; voire, accessoirement, pour secouer frénétiquement votre petit robinet quand Madame et Monsieur veulent bien se résoudre à consommer l’union, ou peut-être même simplement quand Madame se lève la nuit pour faire pipi – et vous y prenez, je l’imagine sans trop de peine, de plus en plus goût. Du coup, une fois votre vilaine maman qui pendouille et vous sur les routes, vous continuez un temps vos visites çà et là votre chemin, jusqu’à ce qu’un jour, plus ou moins volontairement, vous vous fassiez surprendre et que tout ça ne dégénère en boucherie familiale. Oui, parce que ça tombe bien, finalement, ça, Kevin : ça faisait quand même un moment que votre conscience tordue vous soufflait qu’il serait temps de faire payer tout ce joli monde pour leur bonheur obscène, et, encore mieux, vous vous rendez compte que vous prenez un pied pas possible à cette première fois. Alors, ça devient une véritable hygiène de vie, mais comme vous n’avez pas l’honnêteté de vous avouer que tout cela n’est que pure rancune, vous parvenez à vous persuader sans rire que c’est une ŒUVRE ! Une putain d’ŒUVRE D’ART, Kevin ! Et une œuvre d’art chaque fois parachevée par le fait tellement romantique de repartir un bouquin sous le bras, comme à vos tout débuts, un livre pris au hasard dans la maisonnée et qui, s’ajoutant aux précédents, contribuera à vous « construire », vous et votre personnage ridicule d’assassin littéraire. C’est bien ça, cette fameuse signature dont vous souhaitiez vous enorgueillir en grande pompe devant moi, n’est-ce pas ? Ce livre manquant à chaque bibliothèque de vos scènes de crime et dont aucun flic n’aura remarqué l’absence.

— Vous n’êtes qu’une…

— Qu’une quoi, Kevin ?

— Qu’une…

— Qu’une espèce de saleté de rabat-joie qui prend un malin plaisir à bousiller tous vos effets, c’est ça ? Oh ! Toutes mes excuses, mon petit chou, vraiment ! Mais, j’avoue, oui, j’avoue ressentir un plaisir improbable à contempler la tête que vous faites suite à mon exposé. »

Sa tête.

Sa tête en implosion imminente et dévastatrice, inévitablement létale à toute lucidité si elle devait avoir lieu.

Sa tête en état d’urgence.

Pourtant, face à ce maelström qui menaçait d’engloutir sa tête et tout ce qui subsistait en lui de conscience, Kevin ne céda pas, à sa propre surprise, à la panique. Il avait peur, oui – la peur incomparable d’une défaite inconnue jusqu’alors plus encore que des conséquences qu’elle aurait sur lui comme sur son adversaire du soir.

Mais, paradoxalement, c’est bien cette peur qui fit œuvre de le rasséréner ; plus encore, il ne put que s’en rendre compte, de lui procurer une forme de bien-être parfaitement improbable. Quelques minutes plus tôt, son humanité avait été mise en doute aussi fortement qu’il la questionnait parfois lui-même, sans pour autant s’être jamais réellement attardé sur le sujet. Là, en une même discussion dont il ne saurait définir exactement la durée, il venait d’éprouver successivement le rire et la peur, et ce pour les toutes premières fois des bribes de vie qu’il n’avait pas refoulées.

Il savait rire, alors.

Ressentir de la peur, alors.

Être sujet aux émotions, alors.

Oui, au bout du compte, qu’importe ce qu’on lui opposerait à l’avenir de contestation railleuse ou terrifiée : Kevin, lui, savait désormais qu’il était humain.

Son regard balaya à nouveau la pièce, qui se para alors instantanément de couleurs nouvelles. Elle n’avait finalement rien de vide ; bien au contraire, elle était emplie de micro-détails on ne peut plus essentiels, comme autant de signifiants de l’histoire des lieux : un trait de feutre noir au mur, un éclat de carrelage, une auréole d’humidité venue un jour s’en prendre au papier peint déjà jauni par les fumées conjuguées de cuisine et de clopes.

Toute cette vie.

Cette vie aux murs et sol. Tout ce passé.

Toutes ces vie et passé en lui, lui Kevin Kotz, en cette infime et formidablement bouleversante seconde…

Il crut alors avoir gagné, définitivement gagné et quoi qu’il puisse dorénavant advenir. Mais c’en était évidemment trop pour lui, et si sa tête venait finalement de recouvrer l’apaisement, une décharge d’angoisse l’assaillit violemment dans la foulée : qu’allait-il bien pouvoir devenir maintenant, parmi toute cette humanité qu’il venait de rejoindre ? Tout ce temps, son existence ne s’était justifiée que par sa marginalité, son exclusion d’un monde alentour qu’il n’aurait de fait aucun mal à affronter en étranger à lui, en un ennemi intime qu’il prendrait un soin minutieux à briser froidement et sans pitié aucune. Mais demain ? Comment vivre tous ces demains, enfoui à présent au milieu d’un tas grouillant de congénères où il n’aurait plus d’autre choix que de survivre sans but ? Il n’avait jamais appris comment faire ça. Avait toujours refusé de l’apprendre, tant cela lui était inconcevable. Non, évidemment non, il ne saurait jamais faire « ça »…

Kevin replongea les yeux dans le tréfonds de ceux qui lui faisaient face. Tout cela était de sa faute, bien sûr. De quel droit tu m’as fait ça, toi, hein ? Pourquoi tu ne m’as pas laissé là où j’étais, hein, sale raclure de merde ? Dans le confort incomparable de mon vide indifférent à ta souffrance et à celle de chacun…

Je ne sais pas pour demain, mais crois-moi, aujourd’hui, tu vas devoir payer pour ça.

Et ce sera bien pire que par le sang, cette fois.

« Ma tête, vous dites ? Si vous voyiez la vôtre, franchement… Vous crevez de trouille, chaque trait de votre visage le hurle en dépit de toute la contenance que vous tentez d’affecter – alors, épargnez-moi votre condescendance, je vous en prie.

— à la seule et énorme différence que, de mon côté, je vis avec cette trouille depuis des années, Kevin, et que le visage que vous stigmatisez en espérant vous rassurer n’est rien d’autre que celui que j’affiche au quotidien.

— Non.

— Non ?

— Non, ce n’est pas ce visage-là, ou du moins plus lui. Parce que ce n’est plus cette peur-là. Parce que vous êtes désormais face à un ennemi bien plus redoutable que tous ceux que vous avez affrontés jusque-là, un ennemi que vous savez pertinemment ne pas être en mesure de vaincre. Pas cette fois.

— Nous voilà donc un point commun. C’est touchant.

— Faux, encore une fois. En ce qui me concerne, quoi qu’il arrive, je ne pourrai qu’être pleinement serein quand nous en aurons fini tous les deux.

— Nous verrons cela en temps voulu, si vous le voulez bien.

— Nous verrons, oui…

— à ce propos… »

Kevin les entendit, lui aussi.

Le bruit était encore lointain, mais elles ne tarderaient pas.

Bientôt la fin, alors. Il n’aurait pas le temps de lui infliger toute la souffrance qu’il venait de tacitement lui promettre, mais il savait qu’au moins il avait touché juste.

Il ne lui restait plus dès lors qu’à appuyer méticuleusement sur la plaie afin que, a minima, ce que son adversaire emporterait avec lui de souffrance au moment de se séparer soit inéluctablement associé à un humain répondant au nom de Kevin Kotz.

« Oui… Je dirais cinq minutes encore, environ – qu’est-ce que vous en pensez ?

— à peu près, oui.