Lune de miel à la morgue - Franck Linol - E-Book

Lune de miel à la morgue E-Book

Franck Linol

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Beschreibung

L’inspecteur Dumontel revient pour une enquête où politique et meurtre sont étrangement mêlés...

Quatrième tome de la série « Meurtres en Limousin », Lune de miel à la morgue présente un Dumontel affaibli, en proie à des doutes et à des démons qui le poursuivent depuis la mort de sa collègue Rachida. Une jeune fille vêtue d’une robe de mariée en organza est retrouvée morte au pied du monument aux morts de Cieux. Aucune trace de violence ou de sang et la jeune fille reste inconnue des services de police. Peu de temps après, une autre jeune fille est découverte dans la même mise en scène macabre.
Dumontel va devoir comprendre les raisons de cette mise en scène sordide et tenter de démêler les fils de ce jeu de marionnettes étrangement lié aux monuments aux morts et à la Grande Guerre.
C’est le 5e roman de Franck Linol chez Geste Éditions.

Franck Linol, comme à son habitude, mêle action, bon vin, réflexions philosophiques, politiques et déambulations dans les rues de Limoges et dans la campagne limousine.

EXTRAIT

Dumontel s’approcha, suivi par ses trois collègues et vit.
Le monument avait été installé le long du trottoir, avec une simple grille basse en fer forgé qui délimitait l’espace commémoratif. Une plaque en marbre avec l’inscription : « Aux veuves et orphelins victimes de la guerre. » On y voyait la statue d’une jeune femme − une paysanne − vêtue d’une capeline avec une capuche qui recouvrait sa tête. Au sol, des couronnes de fleurs et des graviers blancs.
La statue avait la tête penchée sur le côté et elle regardait vers le parterre. Ses yeux pétrifiés fixaient un corps allongé entre les deux couronnes.
Le corps d’une jeune femme habillée d’une robe de mariée en tulle ou en organza. L’étoffe était transparente, légère, un peu rigide et aux
reflets changeants. Son visage, recouvert d’un voile garni de petites perles, était blafard comme le brouillard de l’étang. Elle semblait dormir. Les deux
mains rassemblées sur sa poitrine tenaient deux fleurs artificielles : un coquelicot rouge au coeur noir et un un bleuet.
Une gisante.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

Comme pour les précédents polars de Franck Linol, les pages tournent toutes seules. On rentre dans l'histoire, on retrouve avec délectation notre Limoges nimbé d'une atmosphère sombre et glauque, à l'unisson avec le spleen de Dumontel. -  Christian Laine, Potentia Verborum

À PROPOS DE L'AUTEUR

Franck Linol est né à Limoges où il est aujourd’hui enseignant et formateur à l’IUFM. Grand amateur de romans policiers, il apprécie tout particulièrement les atmosphères d’Henning Mankell et l’expression du sentiment tragique de la vie chez Jean-Claude Izzo. Il avoue un réel attachement pour l’œuvre de René Frégni. Il s’est lancé dans l’écriture pour simplement raconter des histoires, mais aussi pour témoigner des dérives d’une société devenue dangereuse pour la liberté de chacun.

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Remerciements :

Je remercie tous mes prochesqui m’encouragent chaleureusement…

Françoise Gonfroypour son aide très précieuse,

Tous les collaborateurs de Gestepour la confiance qu’ils m’accordent,

Et tous les lecteurs pour leur fidélité.

Merci à Catherine Mercier pour sa collaboration et sa disponibilité,

Merci aussi à Pascal François, auteur desphotos de la couverture.

L’histoire qui est contée est totalement imaginaire.

Ni les faits, ni les personnages n’ont existé.

Seule la ville et la région sont bien réelles :Limoges, la Haute-Vienne, le Limousin.

« Son expérience lui avait appris au moins cela :il n’existait pas de meurtriers ; mais des hommesqui commettaient des meurtres ».

Henning Mankell

1

Un long manteau noir. Avec une capuche. La silhouette marchait sur le trottoir à petits pas rapides.

Dumontel était sorti tôt ce matin-là. Il avait mal dormi. Il avait fini par s’endormir très tard grâce à un comprimé de Zopliclone. La chaleur étouffante de ces canicules estivales faisait que, même la nuit, le thermomètre restait bloqué au-dessus de 25 degrés. Et puis les fantômes qui le hantaient au moment où le soleil disparaissait derrière la ligne d’horizon. Il avait toujours dans sa tête le bruit mat du coup de feu – un pistolet 9 mm – qui avait avalé la vie de Rachida. Comme un écho qui n’en finit pas. Le claquement du flingue et le corps de Rachida qui ne bougeait plus. Avec cette tache noire qui imbibait le chemisier blanc. Dès que le soleil s’enfonçait dans la terre, l’écho revenait et tambourinait dans sa tête.

Alors, avec cette fournaise, en plus…

7 heures du matin. La douche lui avait fait du bien. Mais il se demandait pourquoi il s’était réveillé. Pourquoi il s’était levé. Pourquoi il vivait encore.

Le ciel était déjà bleu. Un bleu acier qui garde encore les cicatrices de la nuit, mais qui vire au bleu azuréen. Un ciel sans nuages qui annonce un soleil de plomb.

C’est après avoir regardé ce ciel qu’il vit la silhouette. Il ne sut dire s’il s’agissait d’un homme ou d’une femme.

Il entrevit un visage, anguleux et cadavérique, qui le fit frissonner. Les lèvres étaient blanches comme celles d’un clown. La peau paraissait tannée par un soleil africain. Un masque.

Et ces petits pas d’automate. Saccadés, nerveux, déterminés.

Dumontel fut envoûté par ce spectre qui disparut à l’angle du bar-tabac le Sénator en bas de l’avenue du Général-Leclerc.

Il se ravisa et rangea les clés de la Golf au fond de la poche de son jean.

Il irait à pied jusqu’au commissariat de l’avenue Émile-Labussière.

Le taxiphone tenu par un Arabe était déjà ouvert.

Après un court trajet dans des ruelles qui semblaient abandonnées, il pénétra dans le parc Victor-Thuillat. Dès qu’il fut sous les frondaisons des arbres centenaires, il sentit une fraîcheur tonique lui frapper la nuque.

En ce début du mois de juillet, le parc était magnifique.

Soudain, il sentit qu’on le suivait. Il ralentit son allure. Puis se retourna brusquement.

Il vit un visage hirsute, apeuré comme un animal qui se sent perdu.

Un type sans âge avait du mal à cacher sa qualité de SDF.

— M’sieur, excusez-moi, les toilettes…

— Les toilettes ? demanda Dumontel encore sur ses gardes.

— Est-ce qu’il y a des toilettes dans le parc ?

— Oui, il y en a. Au fond, là-bas… répondit le flic en indiquant la direction avec son bras.

— Merci, m’sieur.

L’homme repartit en se dandinant.

Dumontel remarqua alors qu’il avait chié dans son pantalon.

— Ouais, je sais, c’est trop tard ! dit le clodo en se retournant.

Et Dumontel lut dans son regard de la détresse et de la honte à la fois, mais surtout toute la misère de ce monde pourri par l’injustice.

Dany Marval, comme à son habitude, était déjà installé à son bureau, absorbé par une page d’Internet. Il buvait à petites gorgées un café long sans sucre.

— T’es déjà là ? s’exclama Dumontel. Tu le fais exprès : j’arrive toujours après toi. À moins que tu dormes ici !

— Bonjour, commissaire… dit Marval toujours concentré sur l’écran de l’ordinateur. Ça va, ce matin ?

— « Commissaire » ! Arrête un peu… tu sais bien que ça me met de mauvaise humeur. Les nouvelles ?

— L’opération « coup de poing » menée hier soir à la Bastide, un bide !

— Rien d’étonnant…

— Quarante collègues en arme ont été mobilisés ; je crois qu’on a été les seuls exemptés ! Fouilles des bagnoles, des caves, des immeubles, contrôles routiers et contrôles d’identité ! Tout le cirque ! Au final, une carabine 22 long rifle et deux fusils de chasse. Ah, si, j’oubliais… du cannabis. Et la préfecture déclare ce matin, dans le Popu, qu’il ne faut surtout pas stigmatiser les cités de Limoges…

— Je vois… je crois que je vais vraiment être de mauvaise humeur aujourd’hui, soupira Dumontel en se laissant choir lourdement sur son fauteuil.

— Vous avez vu l’appel du syndicat ?

— Non.

— Grève des PV ! J’ai vu Maillet hier soir. Ses troupes en ont ras-le-bol de la course au résultat…

Le capitaine Maillet avait mal réagi lorsque Dumontel avait été muté au commissariat de l’avenue Émile-Labussière, il y avait maintenant trois années. Un bras de fer discret mais tenace s’était instauré entre les deux hommes. Et puis, Maillet avait cédé et Dumontel, bien que radicalement opposé à ses positions syndicales et politiques, avait fini par avoir du respect pour cet homme que la rupture avec sa femme avait brisé comme une branche morte de châtaignier.

— Et comment ils vont se démerder ?

— Facile ! dit Marval, la bouille joviale. Ils vont régler leurs radars à 100 km/heure sur les boulevards limités à 50 ! Le Limousin est à la pointe de la lutte, camarade Dumontel !

— Plus de radars ? Dany, je ne sais pas pourquoi, mais je vais déjà un peu mieux.

Dumontel se leva et s’approcha de la baie vitrée. La lumière du parc Thuillat changeait.

Les contrastes se durcissaient entre l’ombre des séquoias, des cèdres, des liquidambars, des saules, et cette clarté aveuglante qui laminait les allées.

— Vous cherchez quoi ? demanda Marval. Je n’ai jamais osé vous demander ce que vous regardiez par cette baie vitrée…

— Je cherche la vérité dans la beauté de ce parc. Tu sais qu’à l’origine, au XVIIIe siècle, il y avait un domaine agricole dit de la « Grange-Garat » ? Figure-toi qu’il en reste quelques traces, des végétaux. Une vieille aubépine et quelques ifs… Et là, je regarde ce qu’est devenue la vie. Je vois la souffrance sociale et l’abandon des plus fragiles d’entre nous.

Dumontel venait d’apercevoir le malheureux sans-abri sortant à peine du parc pour remonter la rue Théophile-Gautier.

— Vous faites dans la voyance ? Je ne vous suis pas, inspecteur…

— Laisse tomber. Tu m’as posé une question, j’y ai répondu.

Marval posait souvent des questions à son coéquipier. L’air de rien. Car Marval était toujours un peu inquiet depuis que Rachida – OPJ au commissariat – était morte lors de la fusillade de l’hôtel de ville.

Dumontel avait craqué. Il avait fallu de longues semaines pour qu’il accepte de prononcer un mot de temps à autre. Et puis il avait fait le voyage en Algérie. S’était rendu en Kabylie.

En haut d’un sommet du Djurdjura, il avait dispersé les cendres de celle qu’il avait commencé à aimer.

À son retour, il n’était plus le même homme. Mais Marval savait que la douleur le lancinait toujours. Qu’elle montait des entrailles pour posséder Dumontel jusqu’à ce qu’il réussisse, le soir, à sombrer dans un sommeil de plomb, assommé par les somnifères.

Le commissaire jouait la comédie en tentant, maladroitement, de faire croire que ce drame était effacé de sa mémoire et que la vie avait repris, comme avant.

Mais Marval n’était pas dupe.

Il était le seul à connaître la vérité : elle n’était pas dans la beauté du parc. Non. Le commissaire Dumontel était un homme anéanti. Plus qu’ébréché, fracassé.

Et Marval avait peur pour cet homme désormais vulnérable.

La vérité, c’est que Dumontel était en sursis.

Qu’il attendait la première occasion pour mettre fin à ce supplice.

Marval savait que son pote, un jour, offrirait sa poitrine à une balle de 9 mm.

Pour en finir aussi avec cette culpabilité qui l’empêchait de vivre.

2

Vers 10 heures, le téléphone sonna. C’était Mangeard, le commissaire divisionnaire.

— Dumontel ? Ah, Dieu merci, vous êtes là. Foncez au tribunal ! On a de sérieux problèmes avec les gens du voyage.

— « Dieu merci » ?

— Écoutez, Dumontel, je n’ai pas le temps d’écouter vos commentaires philosophiques. Il faut immédiatement une vingtaine d’hommes sur place. Deux bandes rivales se foutent sur la gueule et ça peut dégénérer. Vous dirigerez l’opération. Avec doigté. Je ne veux pas de bavures avec eux. C’est un sujet trop sensible. Vous me comprenez ?

— Cinq sur cinq… On y va avec Marval, mais ce n’est pas une chasse aux Roms !

— Bien entendu ! Hé ! Dumontel ! Vous êtes athée ? Dieu merci ! Et Mangeard partit d’un rire sonore qui se termina par une toux qui faillit l’étouffer.

Dumontel ne put s’empêcher de sourire.

— Allez, Dany, rassemble les troupes disponibles et donne l’ordre à tous les véhicules en patrouille de se diriger vers le tribunal. Baston entre gitans, ça va être chaud !

Marval se leva et enfila son holster d’épaule dans lequel flemmardait son Sig Sauer. Un pistolet redoutable, véritable arme de guerre, équipé d’un chargeur de quinze cartouches.

— Pourquoi vous dites « gitans » ? demanda Dany en attrapant son blouson en jean.

— Les gitans, tu ne sais pas qui c’est ?

— On dit les « Roms »… Au Moyen Âge, on les appelait les « bohémiens » et puis les « Manouches » ou les « tsiganes Django Reinart », ça vous dit quelque chose ? Même si c’est pas du rock ! On les appelle aussi les « gitans » parce qu’on croyait que ces gens venaient d’Égypte…

Marval courait dans l’escalier en essayant de suivre Dumontel.

— Et ils viennent d’où, tes Roms ?

— D’Inde, il y a environ six cents ans. Leur langue, le romani, est proche de la langue hindoue.

— Magne-toi, Dany ! On s’en fout de ton incise didactique, ça coupe l’action !

— Non, on ne s’en fout pas ! Ces gens ont toujours été persécutés ! On en a fait des esclaves dans certains pays, on les a déportés, sédentarisés de force, et les nazis ont entrepris leur génocide ! Vous saviez que pendant la guerre il y avait un camp d’internement de Roms à Poitiers ?

Dumontel venait de sortir du bâtiment. Il s’arrêta, se retourna et regarda Dany droit dans les yeux :

— Qu’est-ce que tu cherches à me dire, Dany ?

— Que le ministre de l’Intérieur mène une politique digne des nazis !

— Tu n’y vas pas un peu fort, là ?

— C’est vous, l’ancien gauchiste, qui me dites ça ?… Vous avez vu comment on évacue les camps de Roms ? C’est du racisme d’État !

— Merde… Dany, tu me la coupes… tu milites au NPA ?

— C’est ça, foutez-vous de ma gueule !

— Tu te trompes, Dany. Tu as raison de me rappeler à l’ordre… Tu sais, je me souviens, quand j’étais gamin, j’habitais une petite école en pleine campagne, et je voyais souvent passer des roulottes tirées par des chevaux. Les hommes marchaient à côté de l’attelage, les femmes était assises et tenaient les rênes. J’étais intrigué par ces gens, leur peau mate, leurs vêtements colorés… J’étais fasciné : d’où venaient-ils ? Où allaient-ils ? Je me souviens des mises en garde de ma grand-mère : « Des voleurs de poules, des voleurs d’enfants ! » Tu as raison, Dany… mais il faut y aller !

— « La tribu prophétique aux prunelles ardentes… »

— Baudelaire ? J’ai appris ce poème à l’école…

Deux Peugeot 307 blanches bondirent hors du parking du commissariat, suivies d’un Renault Traffic avec cinq brigadiers à l’intérieur.

Dumontel était assis côté passager dans la première voiture.

Sur la radio, Marval lança un code 10/101 – troubles civils, demande d’aide mutuelle – à partir de l’ordinateur de véhicule.

Dumontel avait mis le gyrophare sur le toit et, en arrivant place Carnot, il fut bloqué par des automobilistes paniqués par l’armada qui hurlait.

— Dany, descends et vire-moi ces ploucs ! Marval s’exécuta et se transforma en agent de la circulation. Les voitures montaient dare-dare sur les terre-pleins et se rangeaient autour du bassin central agrémenté d’un jet d’eau pitoyable.

La patrouille motorisée enfila la rue François-Chénieux. Les six voitures traçaient et ignorèrent le feu rouge au coin de la rue des Coopérateurs. Le Traffic avait du mal à suivre.

La traversée de la place Denis-Dussoubs fut digne de la série des films Taxi. Les sirènes s’égosillaient et les pneus crissaient.

Lorsque la Golf stoppa en travers du boulevard Victor-Hugo – en face du restaurant le Versailles –, Dumontel et Marval eurent un moment d’hésitation avant de sortir.

La scène qui se déroulait sous leurs yeux était dantesque.

Une trentaine de types se castagnaient sur les marches du palais de justice, au milieu de la rue et jusque dans la fontaine de la place d’Aine. Des coups de pied, des coups de poing, une mêlée ouverte de rugby, des éclats de voix, des cris de douleur. Quelques corps étendus, sonnés, même pas sauvés par le gong.

Des quidams massés en bas du lycée Limosin observaient la bagarre, à distance.

— Putain, Dany ! Regarde-moi ça ! Ça me rappelle quand j’assurais la sécurité à la sortie du Stade de France… Tu sais, les OM-PSG… Allez, on y va !

Les flics armés de matraques en acier encerclèrent les belligérants et commencèrent à tabasser les plus énervés.

Dumontel donnait ses ordres et déjà les premiers gitans menottés étaient poussés dans le Traffic.

Les lieutenants Mandon et Maury mirent leur brassard orange « Police » et s’activèrent à sécuriser le théâtre des opérations. Ils repoussaient fermement les badauds qui, progressivement, se rapprochaient du ring. Aidé d’un brigadier, le capitaine Maillet contrôlait l’identité des individus qui avaient retrouvé leur calme. Le lieutenant Grenier venait de se prendre un marron et son nez pissait le sang. Dumontel avait rappelé le lieutenant Jolibois qui s’exposait trop. Tranquille papa de deux fillettes, on se demandait bien ce qu’il faisait dans la police. Pourtant, c’était un excellent flic, mais Dumontel savait que son collègue prenait son rôle de père de famille très au sérieux. Et il ne voulait pour rien au monde qu’il lui arrive quelque chose. Or, dans ce genre d’échauffourée, tout pouvait arriver. Même le pire.

Ils étaient tous là. Ses collègues, ses compagnons d’infortunes diverses, ces flics qui traînaient leur vie au milieu de cette violence et de cette misère et qui devaient quotidiennement tout encaisser sans rechigner.

Il ne manquait que Rachida.

Une heure plus tard, le calme était revenu. Des fonctionnaires de police avaient pris position sur le parvis du tribunal et en interdisaient l’accès.

À l’hôtel de police, une dizaine de gitans – venus spécialement de Châteauroux – avaient été placés en garde à vue. Maillet avait fait ouvrir quelques coffres de voitures immatriculées 36. Un fusil de chasse, des couteaux, des poings américains, une machette et un 6.65 mm : la récolte était correcte.

Dumontel venait de pénétrer dans le bureau directorial.

— Pas de casse, patron… si ce n’est le pif de Grenier. Mais Maillet a trouvé des armes, ça aurait pu dégénérer.

Mangeard semblait fatigué.

— Asseyez-vous cinq minutes, Dumontel… Cette rixe était un règlement de comptes entre deux bandes rivales. Rien à voir avec les délires xénophobes de notre ministre de l’Intérieur. Les gens du voyage de Couzeix associés à ceux de Limoges contre Châteauroux. Je vous annonce ça comme un match de foot ! Une affaire ancienne qui était jugée ce matin. Vous avez vu le résultat. Tout cela m’épuise… Deux ans de plus à supporter cette médiocrité, cette bêtise, cette brutalité quotidienne… Et encore, on échappe au pire. Je lisais récemment un article de Boris Cyrulnic qui expliquait que si nous nous disions tout ce que nous avions dans la tête, aucun couple, aucun groupe ne pourrait plus vivre ensemble. Nous sombrerions dans la barbarie…

Dumontel écoutait son supérieur sans l’interrompre, comme un confident ou un psychanalyste. Il était rare que Mangeard se laisse aller à des états d’âme ou à des confessions.

— J’ai encore pire, Dumontel. Mon collègue de Dijon vient de m’appeler. Figurez-vous qu’il vient d’arrêter un malade qui menaçait d’empoisonner le vignoble de la Romanée-Conti – aucun jeu de mots avec notre histoire précédente, les Roms ne produisent pas de vin, à ma connaissance ! Il exigeait une somme d’un million d’euros ! Prendre les vignes du Seigneur en otages ! Même les escrocs sont devenus fous. C’est ça qui me désole… On ne peut même plus faire confiance aux truands. Ils sont prêts à faire n’importe quoi.

Mangeard tripotait un ouvre-lettres en forme de feuille de ginko biloba.

Puis son visage s’éclaira, graduellement, comme un ciel après une matinée brumeuse.

— Avez-vous déjà trempé vos lèvres dans un verre de Romanée-Conti ? enchaîna-t-il avec un sourire gourmand.

La vie reprenait ses droits.

— Non, répondit Dumontel. Ça n’est pas dans mes moyens et personne n’a eu l’idée de me faire un tel cadeau.

— Mais personne ne pourrait vous faire un tel cadeau ! Inutile de téléphoner pour réserver une simple bouteille même dix années à l’avance. Tout est vendu, jusqu’à la fin du monde, des clients réguliers de la planète entière. Le nectar est issu d’une parcelle de un hectare seulement. Quatre mille flacons vendus scrupuleusement par caisses de douze. Ah ! Romanée-Conti, le cru le plus mythique…

Mangeard salivait, le regard malicieux et attendri.

— Un copain journaliste a un jour réussi à m’introduire dans le saint des saints. Et ce fut une expérience sensorielle absolue… une pureté totale des arômes… Et la finale, simplement, « grand » ! Quand je suis sorti, je me suis dit : « Mangeard, tu peux mourir. »

Dumontel réalisa alors qu’il ignorait le prénom de Mangeard. Jamais personne ne s’était d’ailleurs posé la question. Il y a des hommes, parfois, dont le nom suffit. Le prénom est inutile et même grotesque. Imaginez : « André Mangeard ? René ? Sébastien ? Patrice ? » Non, Mangeard, c’était « Mangeard ».

Et il ajouta, comme pour taquiner Dumontel :

— Finalement, peut-être que Dieu existe…

Le téléphone sonna. La grosse patte s’empara du combiné comme s’il s’était agi d’un hochet pour nourrisson.

— Dumontel, descendez immédiatement. Le reste de la bande de Châteauroux tente une incursion pour libérer « les camarades » ! Virez-moi tout ça ! Bon Dieu, j’en ai assez de ce bordel !

Dumontel s’éjecta de son siège. On entendait des cris, au rez-de-chaussée.

Il ouvrit la porte.

— Hé ! Dumontel ! Il faudra qu’un jour vous m’ameniez à votre Hydropathe. Là, c’est moi qui vous invite !

3

Le soir, le ciel se marbra de traînées mauves. La météo annonçait des orages. La Haute-Vienne était classée en zone de vigilance orange.

Dumontel était sorti tard du commissariat. Vers 21 heures, il se dit qu’il avait faim.

Il se gara avenue du Général-de-Gaulle, en face du pub le Lord John. Il marcha le long du trottoir, sous les marronniers, en regardant les voies de chemin de fer. Un train démarrait, prenait progressivement de la vitesse, avec ce bruit syncopé – tac tac… tac tac… tac tac – qui avait inspiré les bûcherons noirs américains. Ceux-ci, qui traversaient régulièrement le Texas et la Louisiane en train, jouaient de la musique pour se distraire. Et cette musique s’adapta au bruit de l’essieu du train sur les rails.

Appuyé sur la balustrade en ciment, Dumontel chantonnait un air de boogie – Honky Tonk Train Blues – en contemplant, en contrebas, le Paris-Toulouse qui disparaissait dans le tunnel.

Malgré l’heure un peu tardive, l’air était encore étouffant. Les martinets noirs poussaient de petits cris perçants. Avec leurs longues ailes effilées, ils effectuaient des vols d’une rapidité surprenante, changeant de direction, rasant les toits comme des avions de voltige.

Dumontel traversa l’avenue et s’installa à la terrasse de la brasserie le Jourdan. Les gens semblaient détendus et babillaient autour de sujets frivoles.

Le flic commanda un verre de tarriquet, faute de mieux.

Il était extrêmement rare qu’il dîne seul dans un restaurant. Il avait toujours considéré que cela représentait l’incarnation même de la solitude. Mais après cette journée mouvementée, il avait cédé aux charmes de cette soirée d’été.

Il commanda une tranche de thon accompagnée d’un excellent risotto au curry. Il écoutait les conversations des tables les plus proches. Le thon n’était pas assez cuit à son goût.

Il essayait maladroitement de se soustraire à ses démons. Faire comme si de rien n’était. Faire comme si Elsa ne l’avait pas quitté il y avait maintenant plus de trois années. Faire comme s’il n’avait pas bousillé la vie de Marie, celle qui était toujours sa femme légitime et qu’il revoyait de temps à autre lors de parenthèses toujours emplies de tendresse. Faire comme s’il pouvait continuer à regarder devant lui sans se préoccuper de ce qu’il traînait derrière lui.

Il ne pouvait guère continuer à tricher avec tout ça. La parenthèse se referma.

Il n’eut pas le goût de prendre un dessert.

Tout était factice. Inutile d’essayer de truander.

À cinquante ans bien sonnés, il devait accepter la réalité. Il était un type seul, sans avenir, fini.

Aucune alternative. Bientôt il aurait simplement le choix entre le cimetière et l’asile de vieux.

Il régla l’addition sans laisser de pourboire.

Il se laissa guider par ses pas.

Les rues de Limoges, fin juillet, la nuit. Une ville comme abandonnée. Des promeneurs qui attendent que la chaleur se soit estompée avant de réintégrer leurs appartements. Des flâneurs qui ne se sentent pas concernés par les reportages au journal de 20 heures sur les états d’âme de ceux qui sont partis en vacances. « Comment faites-vous avec la crise ?

— On va moins souvent au restaurant et on achète moins de glaces aux enfants. » La canicule au bord de la mer ? Les brumisateurs aux terrasses des cafés qui longent l’avenue de l’Océan ? Les prix astronomiques de la semaine en mobil-home ? Les algues qui prolifèrent – salauds de paysans – et qui empestent les plages ? Les conseils pour ne pas attraper de coups de soleil ni se faire piquer par les méduses ?

Limoges, l’été. On ferme. Ville pilonnée par les engins de travaux publics. Ville habitée par des fantômes.

Dumontel se laissa glisser vers les bords de Vienne en passant par le quartier de la cathédrale. Au pied des remparts de la cité, les ruelles du vieux quartier de l’Abbessaille vomissaient la chaleur accumulée dans la journée par les murs des maisons médiévales. Voyage dans le temps.

Il dégringola sur le boulevard, le traversa et prit le pont Saint-Étienne avec son dos d’âne. Il entendait l’eau de la Vienne se prélasser mollement entre les piles du pont.

Il se laissa aller dans la rue du Clos-Sainte-Marie. Il fut surpris par l’harmonie des lumières qui éclairaient les ponts, les remparts, les berges, les portes. Assis autour d’une table de jardin, des types en maillot de corps buvaient de la bière en philosophant sur Zidane.

Dumontel essayait de ne penser à rien. Il se souvint alors de la chanson de Gainsbourg, Ces petits riens, dans laquelle le compositeur disait : « Il vaut mieux ne penser à rien que de ne pas penser du tout. » Dumontel se demanda si cet aphorisme était bien du provocateur Gainsbarre.

Il passa sous le Pont-Neuf. Ses pas résonnaient. Assis sur un banc, deux SDF refaisaient leur vie, un litron pendait au bout de leur bras.

Plus loin, sur le quai de l’Auzette, un pêcheur profitait de la naïveté des poissons-soleil. Dumontel s’arrêta pour l’observer. Il se demanda comment il pouvait voir le bouchon. Lorsqu’il aperçut un chat noir couché à ses pieds.

Le type sortit la ligne de l’eau et s’en alla, suivi par le chat. En passant devant le flic, le pêcheur lui dit avec un sourire amusé :

— Il y a des chiens de chasse, pourquoi n’y aurait-il pas des chats de pêche ?… Bonsoir !

Dumontel pensa alors que, finalement, la vie méritait d’être vécue.

L’orage jouait à cache-cache, planqué derrière le clocher sans flèche de la cathédrale.

De retour dans son appartement, Dumontel fouilla dans son frigo. Il avait encore faim. Mais son garde-manger nécessitait un réapprovisionnement d’urgence. Il ouvrit la dernière boîte de pâté de Sarlat. Quelques tranches de pain de mie traînaient dans un paquet ouvert depuis des lustres. Il vérifia qu’aucune trace de moisissure ne s’y développait. Dumontel souffrait de nombreuses phobies, dont une liée à l’impression qu’il pouvait mourir empoisonné par de la nourriture avariée. Jamais il n’avait posé sur sa langue une goutte de yaourt dont la date de péremption était dépassée de plus d’une heure. Il avait une sainte trouille des confitures maison recouvertes d’une couche de champignons microscopiques et autres bactéries.

Il fut étonné de constater que la bouteille de rouge – « Les pampres » de Mas Laval – était à moitié pleine. Preuve d’optimisme, il aurait pu regretter qu’elle soit à moitié vide.

C’est en cassant la croûte devant la télé qu’il finirait la soirée.

Il prit en cours le journal d’Itélé. La présentatrice, qui se la jouait Claire Chazal, articulait en minaudant : « La police nationale ridiculisée… » Dumontel reposa son verre de vin rouge et se concentra sur le reportage.

Une affiche publicitaire faisait scandale. On y voyait un policier en uniforme, debout, avec la légende : « Poulet de Loué, élevé en liberté » ; à côté, d’autres flics entassés dans un fourgon. Le slogan : « Un bon poulet est un poulet libre. »

La médaille au publicitaire qui a conçu cette affiche ! pensa-t-il en souriant.

Il savait que, dès le lendemain matin, au commissariat, ce serait le sujet de discussion autour de la machine à café.

Alors qu’il pénétrait dans sa chambre, un coup de vent subit fit claquer la fenêtre. Enfin, l’orage semblait se montrer. Dumontel retourna dans le vaste salon afin de regarder l’avenue.

Les lampadaires commençaient à bouger. Par moments, ils étaient comme secoués par une main invisible. Des papiers voletaient au milieu de petites nuées de poussière.

Un éclair zébra le ciel noir. Puis un craquement long et plaintif.

De grosses gouttes éclatèrent sur les toits des voitures. Le grain déboula sur la ville.

Dumontel ouvrit la porte-fenêtre et s’avança sur le balcon. La température avait baissé d’un seul coup.

La touffeur avait été balayée, emportée on ne sait où.

Il resta quelques instants dehors. La pluie lui cinglait le visage et cette sensation lui faisait du bien.

À cet instant, il eut le sentiment de vivre une purification.

Mais combien d’orages s’étaient abattus sur sa vie pour tout détruire ?

4

Le lendemain matin, avant de prendre son service, Dumontel eut envie de revenir à Uzurat.

Cela faisait plus de six mois qu’il n’avait pas rechaussé ses Asics pour courir autour du lac.

Il se gara le long de l’avenue Louis-Armand.

Le ciel était encore chargé de nuages de traîne. Mais il régnait un calme rassurant et l’air était enfin respirable.

Dumontel était vêtu d’un jean 501, d’un T-shirt noir à l’effigie des Beatles – la traversée d’Abbey Road – et de boots marron. Il n’avait pas l’intention d’attaquer un footing.

Il marcha sur le sentier. Deux corbeaux fourrageaient dans l’herbe coupée. Ils ne semblèrent même pas remarquer la présence de cet homme, comme s’il n’était que l’ombre d’une apparence.

Dumontel constata que, depuis la dernière fois où il était venu, pas mal de choses avaient changé.

Les abords de la cascade avaient été dégagés et il fut surpris de ne voir que très peu de pêcheurs.

Il comprit vite la raison de cette désertion lorsqu’il aperçut des champs d’algues qui proliféraient à partir des berges. La pollution organique de la ville et de l’agriculture avait eu raison de la faune aquatique. Seuls les poissons-chats et les brochets s’en sortaient en restant maîtres du centre du lac.

Il se dit qu’il n’aurait absolument pas l’énergie de courir, même dix petites foulées.

Il mesura alors la profondeur du trou dans lequel il avait sombré depuis cette soirée où Rachida avait perdu la vie. La pente serait dure à remonter. En avait-il seulement le désir ? Il en doutait.

Mais il était là, à flâner autour de ce lac, et c’était plutôt un bon signe.

Une passerelle en métal enjambait le boulevard Robert-Schumann pour permettre aux joggers et aux promeneurs de rejoindre le bois de la Bastide. C’était nouveau, ça aussi.

Le camping était raisonnablement plein. Depuis que la ville avait cédé son exploitation à un coiffeur entreprenant, les caravanes et les tentes étaient revenues. Il sourit en pensant que souvent les choses tiennent à un cheveu…

Les animateurs du parcours accrobranche Tarz en arbre vérifiaient le matériel avant l’ouverture du parc au public.

Dumontel remarqua qu’un restaurant avait ouvert ses portes – les Tables du bistrot – dans une ancienne grange qui, au-dessus de la grande porte, avait conservé une ancienne publicité pour Pernod Fils.

C’est au moment où son regard s’était posé sur la peinture bleue délavée que son portable sonna.

— Oui ?

— Dumontel… vous êtes en retard ce matin, j’espère que tout va bien, dit Mangeard d’une voix inquiète.

— Pas de problème, patron – il eut un petit rire forcé. Simple petite promenade matinale.

— Ah ! j’aime mieux ça ! Ma femme adore les promenades, vous savez, mais elle ne supporte pas que je ne vienne pas avec elle. Ça fait toujours des histoires…

Simone Mangeard était une femme qui n’hésitait pas, lors d’un pince-fesse mondain, à faire remarquer à son mari qu’il avait enfilé une socquette à l’envers. Et elle s’assurait que la docte assemblée profitait bien de la remontrance.

— Bon, vous allez devoir rappliquer dare-dare. La gendarmerie de Bellac a une sale affaire sur les bras. Le procureur nous met sur le coup. Je vous expliquerai ça.

Mangeard raccrocha, comme à son habitude, sans salamalecs.

« Bellac, une sale affaire… » Ces mots rappelèrent au flic un très mauvais souvenir.

Dumontel n’aimait pas du tout ça. « Une sale affaire », c’était toujours un truc de dingue.

Il passa à toute allure devant le parc des expositions de la Bastide en lorgnant sur la réplique un brin ringarde de l’obélisque de Louksor. Il eut une pensée pour son grand-père qui, depuis la première foire de 1924, en avait manqué très peu, seulement lorsqu’il fut prisonnier de guerre dans un camp en Allemagne. Endimanché, il partait à pied, depuis l’impasse Clément-Ader et, avec des copains, il faisait un gueuleton dans un restaurant régional du sous-sol, après avoir acheté un carton de vin d’Alsace.

La Golf coupa par les petites rues calmes du quartier du Mas-Loubier.

Mangeard lisait des notes, sans lunettes.

Il sortait de chez le coiffeur et cela sauta aux yeux de Dumontel. Malgré une forte calvitie circulaire qui laissait apparaître une tonsure importante, la nuque et le tour des oreilles étaient taillés aussi impeccablement que les allées de buis des jardins de Versailles.

La séance chez le coiffeur ! C’était la sucrerie bimensuelle de Mangeard.

Il arrivait toujours en avance à son rendez-vous afin de se faire dorloter. Il se laissait aller dans un sofa aux couleurs vives. On lui apportait un café – sans sucre – et il dévorait les revues automobiles spécialisées.

Puis venait le moment du shampoing. Il adorait.

Josiane, sa coiffeuse attitrée, s’appliquait à lui masser le cuir chevelu lorsque celui-ci était couvert d’une mousse bien épaisse et embaumée à la lavande. Le divisionnaire fermait les yeux et ne bougeait plus, comme un gros chien à qui sa maîtresse frotte le ventre.

C’était certain, Simone, sa femme, n’avait pas des mains aussi expertes et aucun magazine sur les petits bolides ne pénétrait dans leur appartement.

Mangeard appuya son dos contre le dossier de son fauteuil directorial. Comme quelqu’un qui est épuisé et qui en a plein le dos.

— Il faut toujours qu’un fou furieux sabote mes vacances ! Je dois filer à Royan dans une semaine… À croire qu’ils le font exprès !… Ça va, vous ? demanda-t-il sur un ton paternel.

— Merci, ça pourrait être pire.

— Bon… Le Procureur vient de m’appeler, il a décerné une commission rogatoire conjointement à nos services et à la gendarmerie… L’adjudant-chef Vernat, de la gendarmerie de Bellac, souhaite du renfort…

— Vernat n’est plus à Mézières ?

— Non, il a été promu il y a trois mois, il commande la brigade de Bellac ; l’évolution de carrière de nos cousins germains ne semble pas beaucoup vous intéresser, Dumontel !

Mangeard se leva péniblement comme s’il soulevait une charge de 150 kilos pour la victoire d’un concours d’haltérophilie.

— Mais asseyez-vous, Dumontel, vous n’êtes pas du genre à rester au garde-à-vous…

— Vous savez bien que j’ai été exempté de service national…

— Oui, je suis au courant ! Vous vous en vantez bien trop souvent. Marcher au pas, vous auriez peut-être aimé ça ! Qui sait ?

Il fit une pause et regarda ses chaussures avec une moue désapprobatrice.

Dumontel vit une paire de pompes hors d’âge, déformées par les gros doigts de pied de l’homme.