Le Vol de l'ange - Franck Linol - E-Book

Le Vol de l'ange E-Book

Franck Linol

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Beschreibung

Pour dénouer cette double intrigue, l'inspecteur Dumontel part enquêter à Londres !

Limoges, été 2012. Karine Sanders, une jeune joggeuse, est mortellement agressée au bois de la Bastide. Quelques jours plus tard, Romain Keller, un convoyeur de fonds, disparait avec 2 millions d’euros.

Dans ce cinquième opus de la série « Meurtres en Limousin », Franck Linol met de côté les soucis, les questions existentielles et les problèmes de cœur de son héros, l’inspecteur Dumontel.

EXTRAIT

Alors qu’elle reprenait sa course à petites foulées, elle fut violemment bousculée dans le dos. Karine tomba à plat ventre. Avant qu’elle n’ait eu le temps de réaliser ce qui lui arrivait, deux bras l’avaient empoignée et la traînaient vers les fourrés. Elle se mit à crier, mais un coup de pied lui écrasa le visage. Aussitôt, elle sentit qu’un liquide chaud et épais giclait de ses narines. Le sang dégoulinait sur ses lèvres.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Franck Linol est né à Limoges où il est aujourd’hui enseignant et formateur à l’IUFM. Grand amateur de romans policiers, il apprécie tout particulièrement les atmosphères d’Henning Mankell et l’expression du sentiment tragique de la vie chez Jean-Claude Izzo. Il avoue un réel attachement pour l’œuvre de René Frégni. Il s’est lancé dans l’écriture pour simplement raconter des histoires, mais aussi pour témoigner des dérives d’une société devenue dangereuse pour la liberté de chacun.

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Remerciements :

Je remercie tous mes prochesqui m’encouragent chaleureusement.

Françoise Gonfroy pour son aidetrès précieuse.

Gérard Gonfroy pour ses conseils avisés.

Tous les collaborateurs de Gestepour la confiance qu’ils m’accordent.

Et tous les lecteurs pour leur fidélité.

La photo de couverture qui représentela place Denis Dussoubs à Limogesa été réalisée par Laura Veille.

L’histoire qui est contée est totalementimaginaire.

Ni les faits, ni les personnages n’ont existé.

Seules la ville et la région sont bien réelles :Limoges, la Haute-Vienne, le Limousin.

« Les folies sont les seules chosesqu’on ne regrette jamais »

O.Wilde

1

Aéroport de Bellegarde.

Mardi 5 juillet, 11 h 10.

— Nous y voilà ! Ne vous inquiétez pas, vous n’êtes pas en retard, commissaire !

Le lieutenant Dany Marval, le coéquipier de Franck Dumontel, commissaire à l’Hôtel de Police de Limoges, venait de stopper la Peugeot 308 sur le parking de l’aéroport. Il laissa le moteur tourner. Il n’avait pas l’intention d’accompagner son pote jusque dans l’aérogare.

— Ouais, c’est possible, mais au moins je suis sûr de ne pas rater mon vol…

Dumontel avait la main posée sur la poignée de la portière, mais quelque chose l’empêchait de l’ouvrir et de descendre de la voiture de service.

Il avait pesé le pour et le contre, mais il était arrivé toujours à la même conclusion : il devait se rendre à Londres, il n’avait pas le choix. Trois jours qu’il angoissait à cette idée.

Partir était pour lui une épreuve insupportable. Dès qu’il franchissait les frontières de la Haute-Vienne, il sentait une boule monter de son ventre et se coincer dans sa gorge. Il en avait parlé au docteur Mondrier, son psy, qui l’avait aidé à sortir de galères psychologiques à plusieurs reprises.

— Commissaire, vous souffrez d’agoraphobie, de claustrophobie et d’aérophobie…

— D’aérophagie ?…

— Ne faites pas l’idiot… sourit le psy, ce que vous vivez n’est pas une maladie, mais un symptôme.

Mondrier évitait de croiser le regard du flic. Il faisait semblant de prendre un air inspiré.

— Votre phobie est un cri d’alarme de votre organisme… quelques problèmes que vous cherchez à refouler se rappellent à votre bon souvenir.

— Quels problèmes ? demanda Dumontel.

— C’est à vous de me le dire…

Un silence s’installa.

Finalement, Mondrier rédigea une ordonnance : du Xanax, peut-être plus efficace que le « travail sur soi ».

Avec son thé, Dumontel avait avalé son comprimé de Xanax juste avant que Marval vienne le récupérer à son appartement de la rue du Général Leclerc.

— Bon, je vais te laisser, mon petit Dany…

« Mon petit Dany », c’était ridicule. C’était la première fois qu’il parlait ainsi au lieutenant Marval.

— Vous n’avez pas oublié de prendre votre « doudou », j’espère ?

— C’est Mondrier qu’il faudrait que j’emmène dans ma valise… bon, j’y vais, salut Dany.

— Prenez soin de vous, inspecteur !

Dumontel se retrouva debout sur le parking avec son sac en cuir à la main.

Un vent violent balayait le bitume en pulvérisant les flaques de pluie.

La Peugeot fila.

Le flic entra dans l’aérogare. Il sortit son billet et consulta le panneau lumineux : « Londres Stansted, 12 h 55 ».

Une horde d’adolescents braillards rejouait le film « À nous les petites Anglaises ».

Après avoir fait enregistrer son unique bagage, il se retrouva au contrôle de la sécurité.

Pour ce voyage, Dumontel avait décidé de partir incognito. Il avait laissé sa carte de police sur la table de nuit.

Aucun fonctionnaire ne le reconnut. Il en fut satisfait, mais dut vider ses poches, enlever ses chaussures et son ceinturon. Puis il fut fouillé par des mains expertes masculines.

La douane. Il se retrouva ensuite dans la salle d’embarquement bourrée d’Anglais qui avalaient des sucreries aux couleurs étranges en lisant des tabloïds.

Le Boeing de Ryanair attendait sur la piste.

Les passagers se mirent à courir sur le tarmac inondé.

Dumontel marcha lentement, monta sur la passerelle et se retrouva dans la carlingue. Il crut étouffer et faillit faire demi-tour. Mais le sourire de l’hôtesse l’en dissuada.

Dumontel cherchait le numéro de sa place lorsque la jeune femme lui expliqua – dans la langue de Shakespeare – que le placement était libre.

— Yes, sorry… crut-il bon de bafouiller.

Il se retrouva côté hublot au-dessus de l’aile de l’avion.

Lors du décollage, il eut l’impression que son estomac migrait vers sa colonne vertébrale.

Et puis, avec le virage un peu serré, l’envie de gerber. Il chercha un sac à vomir, dit « sac du mal de l’air », rien. Nouvelle angoisse lorsqu’il vit la robe rouge de sa jeune voisine. La robe, courte devant avec des volants de tulle, nouée dans le cou. Une blonde platine – sans trace à la racine des cheveux, la peau blanche d’une femme mordue par un vampire, un rouge à lèvres carmin – qui était branchée à son iPod, merde, et s’il lui gerbait dessus ! Quel gâchis !

Il ferma les yeux, tenta d’oublier où il se trouvait.

Le choc des roues sur la piste d’atterrissage le réveilla.

Stansted.

Il ne ressentit pas l’ivresse du voyageur professionnel qui frémit en apercevant la silhouette d’un douanier en faction.

Il déambula dans la zone de récupération des bagages, se posta devant un tapis roulant. Des valises qui avaient bourlingué dans les soutes : des rigides à poignée trolley, des souples, des marques, des discounts, mais pas son sac.

Lorsque le tapis roulant ne charria plus rien, il se rendit compte qu’il n’était pas au bon endroit.

Une dizaine de bus attendaient. Tous allaient à Londres.

Dumontel montra l’adresse de son hôtel, l’Ibis de Euston St Pancras, à un jeune pakistanais gentil et serviable, vêtu d’une chasuble orange.

— Five minutes, this bus… yes, this one, jump on !

Le voyage lui parut plutôt agréable. La campagne anglaise du nord-est était verte avec ces jolis petits villages, ce bocage bucolique, ces cottages, ces vieilles maisons en brique et ces manoirs mystérieux. Le charme britannique commençait à opérer. La circulation était fluide et le chauffeur du bus – la compagnie Terravision – roulait tranquille.

Après pas mal d’hésitations, il descendit à Liverpool Street.

— Liverpool ? no ! erreur… euh… « error », London ! dit-il au chauffeur qui se demanda bien quelle mouche venait de piquer ce « frog » à l’air paumé.

Dumontel regretta à ce moment-là de ne pas avoir bossé son Carpentier-Fialip lorsqu’il était au collège Gay-Lussac. Ce petit livre − l’Anglais Vivant − avec la carte de la Grande-Bretagne sur fond bleu foncé.

Il décida de marcher jusqu’à l’hôtel.

Il fut rassuré de trouver au guichet une Française qui lui remit la carte magnétique de sa chambre ainsi qu’un plan du quartier sur lequel elle entoura en rouge les bonnes adresses de pubs.

Après avoir pris une douche, il sortit et flâna dans les rues grouillantes et branchées du quartier St Pancras. Il fut bluffé par la façade néogothique du Midland Grand Hotel, les grandes demeures victoriennes et géorgiennes, le parc Saint James Garden.

Il pénétra dans un pub traditionnel, le Old Bell Tavern. Des rires, des cols blancs qui debout dégustaient leur pinte de bière, une odeur de friture et des écrans géants qui diffusaient un match de foot.

Il commanda un fish and chips et un verre de chardonnay « made in Australia ».

Très vite il fut pris par l’ambiance et se retrouva à soutenir l’équipe d’Arsenal.

Les « Gunners » pilonnèrent leurs adversaires de Newcastle.

Vers 23 heures, il réalisa qu’il était ivre.

Une pluie fine le dégrisa lorsqu’il regagna son hôtel.

Il n’arrivait pas à s’endormir.

Il pensait à ce qui l’attendait le lendemain.

Il ralluma et relut le SMS qu’il avait reçu trois jours plus tôt :

10h. le 6 juillet. Speakers’ Corner, Hyde Park, Londres.

2

Un mois auparavant.

Début juin.

Le dimanche, elle se levait tôt. Bien plus tôt que les jours de semaine où elle devait se rendre en zone industrielle nord, dans ce nouvel espace de commerces en plein air dénommé « Family Village ». Un tel nom était absurde. D’abord parce qu’il était de langue anglaise dans une région où les sensibilités occitanes étaient encore tenaces. Ensuite, l’idée que nos gouvernants se faisaient d’un « village familial » en disait long sur l’avenir radieux que l’on construisait pour les générations futures. Familles qui poussent leur chariot comme le bousier sa boule d’excréments, et relations humaines réduites au langage commercial nécessaire à la saisie du code de la carte bleue.

Chaque matin, à 8 h 50, elle garait sa voiture sur une des places tracées à la peinture blanche dans cette étrange étendue de parking qui restait à moitié vide, au grand désespoir des enseignes qui avaient fui le centre de Limoges. Il lui restait alors juste le temps de rejoindre son bureau de cadre commercial afin d’allumer son ordinateur à 9 heures pétantes.

Mais le dimanche, été comme hiver, Karine Sanders prenait son thé vers 6 h 30. Elle aimait ce moment de calme absolu qui règne à l’aube pour les lève-tôt. Et puis elle avait la paix. Son compagnon, au contraire, se laissait aller et émergeait vers midi. Là, avant de prendre sa douche, il demandait toujours dans un bâillement animal « ce qu’il y avait à bouffer aujourd’hui ».

Avant que son fauve, Fabien – bien rasé, le cheveu propre, vêtu de son survêtement – ne soit prêt à passer à table, elle avait le temps de flâner, de préparer le repas et surtout d’aller faire son jogging au bois de la Bastide.

Ce dimanche de juin, il faisait beau. Presque déjà trop chaud. Quelques stratus tentaient de résister aux attaques d’un soleil haut dans le ciel.

Karine et Fabien habitaient un F2 dans une résidence privée du quartier de la rue du Grand Treuil.

Elle enfila son bermuda, un T-shirt léger abricot – « Limouzi sexe and sun » – et des chaussures de course achetées en janvier dernier pendant les soldes.

Du troisième étage, elle descendit par l’escalier afin de s’échauffer.

Dehors, elle éprouva une sensation de liberté et de félicité.

Elle attaqua la côte. Une longue montée qui l’obligeait à traverser le quartier de la Bastide. Des jardiniers étaient courbés sur leur potager situé dans des jardins ouvriers récemment rénovés par la ville ; le terrain de pétanque était encore désert. Encore trop tôt pour taquiner le cochonnet.

Elle arriva enfin à l’orée du bois.

L’ancienne forêt qui entourait le château avait appartenu au baron Martin de la Bastide jusqu’à ce que la ville de Limoges rachète la propriété en 1975. Depuis, ce « poumon boisé » avait été aménagé en parcours santé et des allées serpentaient au milieu d’un relief parfois escarpé. Promeneurs et joggeurs trouvaient de la fraîcheur lors des canicules et, l’hiver, un abri sous les frondaisons de chênes.

Karine commençait à sentir des gouttelettes de sueur perler sur sa peau. Ce matin, elle se sentait bien. Sa foulée était fluide, assurée. En même temps, son esprit, animé par une lucidité inhabituelle, objectait, répliquait, réfutait, face aux questions concernant son travail et sa vie future avec son lion. Fabien n’était pas prêt pour avoir un enfant. C’est ce qu’il disait : « pas prêt ». Mais Karine ne savait pas ce qui se cachait derrière ce poncif. Les hommes sont lâches, elle l’avait compris depuis la rupture avec son ex, un beau parleur qui la trompait à la moindre occasion. Un jour, elle l’avait surpris dans la très conventionnelle position du missionnaire avec une jeune dinde qui gloussait sur leur canapé. Oui, il baisait cette blondasse sur leur canapé acheté à Conforama et dont le crédit n’était même pas terminé ! C’était stupide, elle en convenait, mais lorsqu’elle était rentrée en milieu d’après-midi – elle se tenait une migraine effroyable – et qu’elle avait vu le cul blanc de la gourde se dandiner, elle avait pensé au crédit du canapé ! Son mec, avant de faire sa valise illico, avait simplement répliqué : « excuse-moi bébé, c’est pas de ma faute… ».

Fabien, lui, n’était pas du genre à sauter sur la femme de ménage black de l’Ibis du coin. Non, il était plutôt paresseux et s’endormait dès qu’il avait enfilé son pyjama. Stratégie subtile pour ne pas procréer ? Les hommes sont prêts à toutes les vilénies.

Son esprit l’avait amenée à cette conclusion partielle lorsqu’elle eut soudain l’impression de ne plus être tout à fait seule. Elle se retourna. Rien. Il lui arrivait souvent de croiser des mémés qui promenaient leur caniche ou d’être doublée par des pros du marathon. Là, elle était seule dans une allée étroite qui traversait le bois. Et pourtant, elle éprouvait la sensation d’une présence, d’un regard qui la reluquait. Karine ralentit, tous les sens en alerte rouge. Des rais de soleil entaillaient la pénombre.

Elle crut voir une silhouette, à droite, dans le taillis. Des craquements de branches mortes.

Elle hésita : accélérer pour revenir sur une allée fréquentée ou s’arrêter pour s’assurer que c’était simplement son esprit qui déraillait. La veille elle avait regardé un reportage sur France 2 : « le fléau des joggeuses agressées ».

— C’est de l’intox… avait-elle lâché à Fabien, encore un truc pour empêcher les femmes de mener une vie normale et les obliger à rester cloîtrées dans leur cuisine !

— Tu exagères ! Comme toujours, dès qu’il s’agit des nanas… fais quand même attention quand tu vas courir au bois.

— Tu vois pas qu’ils sont payés pour foutre la psychose dans nos têtes ! Y a cent fois moins de joggeuses agressées que de femmes harcelées par leur patron ou violées !!

— Ouais chérie, si tu veux, j’ai pas l’âme à discuter ce soir, mais fais gaffe, c’est tout.

Cette mise en garde de Fabien lui revint dans l’oreille.

Elle cessa de courir et tourna sur elle-même, à la recherche d’un signe inquiétant.

Elle était essoufflée et tentait de ralentir sa respiration afin de faire le moins de bruit possible. Son cœur battait fort et ça n’était pas la conséquence de son effort. Non, Karine avait peur. Là, sur la droite, les branches avaient bougé. Elle en était sûre. Elle sentait la panique l’envahir. Impossible de repartir, de courir comme une folle pour rejoindre la grande allée. Impossible de crier.

« Calme-toi, il n’y a rien, tu délires… » Elle essaya de se raisonner. À gauche, cette fois-ci… elle en était certaine. La silhouette avait filé.

Karine réussit à marcher à nouveau. Elle ne savait plus dans quelle direction aller. Ses cuisses tremblaient, mais elle avançait.

Alors qu’elle reprenait sa course à petites foulées, elle fut violemment bousculée dans le dos. Karine tomba à plat ventre. Avant qu’elle n’ait eu le temps de réaliser ce qui lui arrivait, deux bras l’avaient empoignée et la traînaient vers les fourrés. Elle se mit à crier, mais un coup de pied lui écrasa le visage. Aussitôt, elle sentit qu’un liquide chaud et épais giclait de ses narines. Le sang dégoulinait sur ses lèvres.

L’homme était fort. Il la tirait sans aucune difficulté. Il s’enfonçait dans le bois. Elle tenta de réagir et de s’agripper au tronc d’un arbuste. L’homme lui broya une main avec la semelle épaisse d’une botte de moto. Elle lâcha prise avec un hurlement de douleur. Elle se mit à pleurer. Sa peau se déchirait, labourée par les ronces et les racines.

L’homme stoppa. La lâcha. Et elle le vit : le visage masqué par une cagoule noire, une veste de motard avec de grandes poches, un col montant, et un pantalon treillis de l’armée.

L’homme la regardait comme un fauve qui observe sa proie avant de l’achever. Dans ses yeux se lisait la jubilation : celle du prédateur qui jouit de sa supériorité. Il respirait fort.

Elle se mit à genoux et tenta de se relever. L’agresseur se jeta sur elle. Elle sentit son odeur, animale, acide, de la sueur aigre mêlée d’huile de moteur. Elle se débattit. Mais il l’écrasait de tout son poids.

Elle voulut crier à nouveau, mais il lui enfonça de la terre dans la bouche. Elle étouffait et son nez obstrué par du sang coagulé tentait de capter un peu d’air. Ce qu’elle ressentait ? Une épouvante, une terreur indicible qui masquait les douleurs de son corps.

Peur de cet inconnu, avec ses grognements monstrueux ? Peur de mourir, ici dans ce bois ? Peur de ce qui allait suivre…

L’homme lui arracha son T-shirt, son soutien-gorge. Il se mit à la renifler, puis il lécha ses tétons.

Karine s’abandonna, elle n’avait plus aucune force. Elle voulait que tout aille vite et que cet enfer se termine. Elle sentit qu’il lui enlevait son pantalon de jogging. Désormais, elle était nue et tremblait de la tête aux pieds, des convulsions qui tétanisaient ses muscles. Elle pleurait en secouant la tête de droite à gauche comme pour implorer on ne sait quel Dieu.

L’homme lui palpait le sexe ; il pétrissait, malaxait.

Puis elle ressentit un énorme choc sur toute la partie droite de son visage.

Karine perdit connaissance.

Vers 13 heures, mort d’inquiétude, ne voyant toujours pas revenir Karine, Fabien décida de prévenir la police.

3

Romain Keller serait bien resté au lit ce lundi matin. « Pourquoi était-on obligé de bosser ? Et pour 1500 euros par mois, primes comprises, et merde ! » Il en avait marre de son putain de boulot. Il fit l’effort surhumain d’attraper son portable qui sonnait. Il l’aurait bien balancé contre le mur.

6 h 30… Lundi, mardi, toute la semaine comme ça. Et pourquoi ? Que quelqu’un lui donne un seul argument qui tienne la route et il poserait un pied par terre. Mais aucune voix, même céleste, ne lui vint en aide.

Keller vivait seul depuis sa dernière rupture. Toujours la même chose. Il fallait qu’il tombe sur des petites flambeuses qui ne voyaient la vie qu’au travers des fringues de marque super tendance.

« Chéri, c’est quand que tu m’offres des lunettes de soleil Chanel ? S’t’plaît mon loup… t’auras plein de câlins, j’t’l’promets ». Il avait cédé, comme un débile. À toutes. Les sacs à main, les escarpins, les séances chez le coiffeur et les petites bagnoles de frimeuses. Au final, ces histoires se terminaient toujours pareil : un découvert bancaire énorme, des dettes, des emprunts pour sortir du trou et la meuf qui fait sa valise. « Romain, t’es un raté ; si tu crois que je vais passer ma vie à m’habiller à la Redoute et à conduire une Clio d’occase, tu t’illusionnes ! Tchaooo ! » La dernière avait quitté son appartement du quartier de la ZUP de l’Aurence il y avait maintenant six mois. Ces ruptures l’affectaient toujours beaucoup car il avait tendance à tomber amoureux en un clin d’œil. Et ce genre de nanas, en matière de clin d’œil, elles savaient y faire. Et lui, Romain, tombait régulièrement dans le panneau.

Et une fois encore, il avait dégusté lorsque Natacha avait fait sa valise, enfilé son blouson et filé sans se retourner. Par la baie vitrée, il l’avait vue se diriger d’un pas décidé, en tortillant des fesses, vers le parking de la résidence. Là, une BMW l’attendait…

Romain Keller finit par se lever. Son haleine était encore lourde et sa bouche pâteuse. Le whisky en trop grande quantité, le soir, ne lui réussissait pas. Il le savait, mais Natacha, il n’arrivait pas à l’oublier.

Il prit rapidement une douche, se rasa et se lava les dents. Il n’aurait pas le temps de prendre un petit-déjeuner. À 7 h 30, il devait être devant le local de son entreprise spécialisée dans le transport de fonds, la Brank’s. Le PDG qui avait créé cette société, un certain Mauret, se vantait de la puissance créative de son cerveau qui avait trouvé ce nom. Il expliquait dans le charabia d’un major d’une école de commerce que « c’était porteur ». « Brank’s » : cela évoquait la banque et le braquage. « Magnifique support marketing, porteur de sens, bien ancré dans la culture du client, mémorisable, facilement prononçable… », disait Mauret à chaque début de séance de son Conseil d’administration.

— Je me souviens de ce qu’un de mes profs nous racontait : une marque de vêtements japonaise implantée en France avait dénommé sa société « Konass ». Les « faces de citron » avaient fait faillite au bout de six mois !

Et Mauret riait aux éclats en allumant son cigare. Il était le seul à rire.

Romain était convoyeur de fonds à la Brank’s. Il détestait Mauret car il était autoritaire, imbu de sa personne, raciste, et ne cachait pas ses sympathies pour le Front National. On racontait que les meetings de ce parti étaient protégés par certains gros bras de la Brank’s, des proches de Mauret qui arrondissaient ainsi leurs fins de mois.

Mauret ne supportait pas le moindre retard, synonyme de licenciement immédiat « pour faute professionnelle grave ».

Keller arriva à l’heure. Il gara sa Clio d’occase sur le parking de l’entreprise. Les fourgons blindés monoblocs de plus de 7 tonnes attendaient, impeccablement alignés.

— Salut les « branques » ! lança-t-il à la cantonade.

Ses collègues, regroupés dans le vestiaire, avaient commencé à enfiler leur uniforme adapté et leur gilet pare-balles de 7 kg. On entendit des « salut Keller », et des rires.

Romain était apprécié : sang-froid, vigilance, professionnalisme, bon tireur et toujours de bonne humeur, ce qui se révélait déterminant pour supporter l’atmosphère confinée du camion et le stress dû au risque d’agression.

Le chef d’équipe, un ancien militaire, organisait ses groupes en fonction de ses effectifs, de la difficulté des missions et il utilisait Keller comme joker.

— Salut, Keller… répondit Vlamink, surnommé le « légionnaire » par les employés. En forme ? Aujourd’hui, tu feras équipe avec Leplant et Vila.

Les convoyeurs de fonds fonctionnent toujours par trois : un conducteur, et un garde qui surveille les alentours pendant que le messager transporte les sacs ou toute autre valeur précieuse dans la banque. Ou dans l’autre sens, de la banque vers le fourgon.

Keller était conducteur. Officiellement il n’était pas chef de voiture. Ce statut était réservé au messager, à Vila. Mais pour les tournées difficiles ou risquées, Keller se retrouvait toujours au volant.

Il avait passé son permis poids lourds avant de déposer sa candidature pour un emploi à la Brank’s.

Cela faisait maintenant 8 ans qu’il travaillait dans cette boîte.

Keller avait quitté le lycée l’année du bac. Il était tombé amoureux d’une fille plus âgée que lui ; elle l’avait embobiné pour qu’il abandonne tout. Au mois de mai, il débarquait au Maroc avec cette femme qui lui avait promis de faire fortune dans l’immobilier en quelques semaines.

Rapidement, riads, kasbahs, ksour et villas avec vue sur la mer n’avaient plus eu de secrets pour lui.

Il gagnait de l’argent en plumant des cohortes de retraités français. Mais le fric était dépensé au fur et à mesure par la nana. Un jour, à Tanger, on lui vola sa carte de crédit et il expliqua à un ami qu’il ne porterait même pas plainte, car le voleur ne dépenserait jamais autant que sa « femme ».

— J’en ai marre, disait-il, moi je clique sur mon ordi et elle, elle claque !

Un an plus tard, ruiné, après que la fille l’eut quitté, il revint en France. Il enchaîna les petits boulots qu’on lui proposait dans une agence d’intérim : vendeur de voitures d’occasion, de faux tableaux fabriqués en Thaïlande, gérant d’une pizzeria, jardinier chez un paysagiste, fleuriste, puis il avait fait du porte-à-porte, avec une valise remplie de bouteilles de bourgogne.

Mais il buvait davantage les échantillons qu’il ne vendait de caisses de Montrachet. Il fut viré.

Ensuite, dans un journal gratuit, il vit cette annonce : Entreprise de transport de fonds cherche homme de confiance ; réactivité et sang-froid ; honnêteté et droiture morale exigées, casier judiciaire vierge ; urgent. Il postula et, après une formation express, il fut intégré comme conducteur dans le personnel de la Brank’s avec un salaire de 1300 euros par mois.

Romain composa la combinaison du cadenas et ouvrit son casier. Contrairement à ses collègues, aucun poster de femme nue n’ornait l’intérieur de la porte métallique. Aucune autre photo, d’ailleurs.

Keller était costaud, genre vraiment baraqué, tout en muscles. Grand, le visage carré, surtout le menton, il avait paradoxalement des yeux de geisha. Toujours un sourire au coin des lèvres, comme si la vie n’était qu’un jeu. Une coupe de cheveux virile, courte, mais sans excès, avec des reflets grisonnants. Keller était connu pour avoir été ceinture noire de judo.

Il enfila sa tenue d’été : un polo bleu à manches courtes avec le logo de la société, un pantalon gris en toile et un blouson noir avec une bande réfléchissante en travers de la poitrine. « Pour que les truands puissent faire un carton comme à la fête foraine », aimait répéter Vila qui était le délégué syndical de la boîte. Vila avait animé la grève des convoyeurs de fonds au plan régional il y avait maintenant deux ans. Les revendications étaient claires : beaucoup trop de risques pour des salaires de misère. Aucun fourgon n’avait circulé. La finance paralysée. C’était la revanche de Vila qui, pour payer les études de ses deux gamins, devait se faire vendeur sur les marchés les week-ends.

« Merde, les gars ! Convoyeur, on ne s’en sort pas ! Et puis tous les jours, la trouille collée au bide quand tu tiens la sacoche à la main ! La Brank’s doit partager ses bénéfices ! ». Vila n’était pas un révolutionnaire – il militait à FO – mais la grève et les manifs, il en parlait tous les jours.

« Et on a fait cracher ces salopards d’exploiteurs ! Ah ! Sans nous, les petits convoyeurs, leur système est foutu ! »

Restaient les chaussures montantes. Keller était prêt. Il devait maintenant pointer son heure de prise de poste au « mouvement ». Là, on remettait aux convoyeurs le gilet pare-balles, le fusil à pompe, l’arme de poing de première catégorie chargée, le talkie-walkie.

Vila récupéra la feuille de route pour la journée, les clés des différents points desservis.

Leplant, le garde, suivait. Il avait déjà posé ses Ray-ban sur son nez.

— Keller, ton camion est paré ? Essence ? T’as vérifié les pneus ?

— Mais ouais, chef, comme d’hab, j’ai fait le plein vendredi soir avant de me casser… te bile pas, ma chérie.

— Je suis pas ta chérie, Keller, allez, on y va !

Les trois hommes sortirent sur le parking de la Brank’s et se dirigèrent vers le premier camion gris.

Début juin, le soleil cognait déjà comme lors d’une canicule meurtrière.

Keller s’installa au volant et fit démarrer l’engin. Vila s’assit dans la cabine à ses côtés. Leplant prit place dans la partie intermédiaire entre la cabine et le coffre.

— C’est parti ! Putain, on va crever aujourd’hui…

Impossible d’ouvrir les vitres. Une climatisation sophistiquée renouvelait l’air.

Keller manœuvra. Le camion pointa son nez dans la rue Lebon, en zone industrielle nord.

Il se glissa dans le flux déjà dense de la circulation et se dirigea vers le centre-ville.

4

La fille était en sueur, écarlate. Elle pédalait sur son vélo elliptique, tel un hamster qui se vide de son trop-plein d’énergie sur sa roue en plastique. Pourquoi Dumontel pensait-il à un cochon d’Inde en regardant cette femme qui s’agitait dans cette salle de remise en forme ? Il vit qu’elle lisait un magazine féminin − Biba ? − tout en éliminant ses graisses superflues. Certainement un article sur : « comment maigrir, comment sculpter son corps ? » Lui, Dumontel, avait décidé de se reprendre en main. Puisque personne – aucune femme en l’occurrence – ne s’était attelé à cette tâche ardue. Incognito, il s’était inscrit dans une salle de fitness. Cela faisait deux mois qu’il essayait d’être assidu. Il avait menti lors de son inscription. Hors de question de dire qu’il était flic. Et hors de question de fréquenter la salle de musculation du commissariat. L’animatrice qui l’avait reçu la première fois lui avait imposé des tests cardio-pulmonaires.

— C’est bien, Franck, vu votre âge, vous êtes en forme, les meilleurs tests du club…

Il avait été heureux d’entendre ce verdict. Une bonne journée commençait. Quoique… La jeune body-sculptée avait quand même balancé : « vu votre âge », et elle s’était permis de l’appeler par son prénom dès la première prise en main. Il n’avait pas échappé à Dumontel que l’adulte appartenant à la génération dominante hélait par leur prénom les gamins et les vieux.

Deux fois par semaine, il se rendait dans cette salle de musculation. Muni de sa clé USB, dans laquelle était téléchargé son programme personnel de remise en forme, et de la serviette obligatoire qui devait protéger les machines de la sueur des fessiers, Dumontel s’échinait pour tenter de repousser les affres de la vieillesse.

Des écrans télé diffusaient des clips pop insipides. Du genre Mika, Christophe Maé, Mylène Farmer. Parfois de l’électro-rock, variation de R’ n’B, avec Rihanna ou Beyoncé. Là, Dumontel levait la tête du rameur et matait le corps de rêve des divas métisses.

La fille en sueur était passée aux crunchs, exercices pour durcir les abdominaux, référence à la marque de produit chocolaté de Nestlé. Manifestement les barres de chocolat avaient fondu depuis belle lurette. Du flan au chocolat, oui.

Il fut surpris de croiser un ancien pote de son père. Un type de 78 ans qui en paraissait 60.

Son père n’était plus là. Il réalisa qu’il pensait souvent à lui. Sans nostalgie, sans tristesse, sans ressentiment. Il pensait à lui, c’est tout. Parce que c’était son père et qu’il était mort.

Il prit sa douche sur place et expérimenta un gel « au parfum exotique et ensoleillé, une promenade dans les jardins paradisiaques de Polynésie ». Bon, si les îles du Pacifique ressemblaient à cette odeur fruitée, assez capiteuse, mais tellement artificielle, il ferait l’économie d’un voyage.

Il arriva à l’Hôtel de Police vers 10 heures, les cheveux encore humides. Il salua les deux brigadiers qui assuraient l’accueil dans le grand hall. L’air résigné, de nombreux citoyens attendaient qu’on les appelle pour l’affaire qui les concernait.

D’une allure sportive, il monta l’escalier en métal. La séance de raffermissement musculaire lui avait donné de l’énergie.