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C’était une opinion bien établie dans la famille et même dans Saint-Géran, que jamais on n’avait vu deux frères vivre ensemble sous le toit d’un Guilo. En effet, les vieilles gens rappelaient que par un rapprochement fatal, chaque fois que l’épouse d’un Guilo avait donné le jour à un deuxième enfant mâle, toujours cette naissance avait été suivie de douloureux événements. Rien, cependant, cette fois-ci, n’avait paru devoir confirmer cette tradition, et petit à petit, le pécheur et sa femme oublièrent la terreur qui les avait assaillit à la venue de leurs fils. Ils venaient d’atteindre leur vingt-troisième année, quand commence cette histoire... Est-ce que la tradition se poursuivra ?
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Veröffentlichungsjahr: 2019
Max du Veuzit
AMOUR FRATRICIDE
First published in 1951
Copyright © 2019 Classica Libris
Le petit hameau de Saint-Géran, situé sur la baie de la Fresnaye, dans les Côtes-du-Nord, n’est habité que par quelques familles de pêcheurs.
C’est dans cette pauvre bourgade que se dressait, il y a une cinquantaine d’années, la chaumière de Pierre Guilo.
Depuis de longues générations, les Guilo étaient pêcheurs, et Pierre, comme ses ancêtres, vivait péniblement du produit de sa pêche.
C’était un honnête homme dans toute l’acception du mot, et, bon camarade, hardi marin, toujours prêt à voler au secours des malheureux en danger sur la grande eau traîtresse, – il était aimé de ses proches et estimé du tous ceux qui le connaissaient.
Vingt-cinq ans auparavant, il avait épousé Catherine, une orpheline, aînée de sept enfants, qui ne lui avait apporté en dot que sa jeunesse et son courage.
Ensemble, ils vivaient, sinon aisés, du moins heureux, et la naissance attendue d’un enfant, au début de leur union, avait semblé devoir couronner leur bonheur,
Pourtant, quand Catherine avait mis au monde, le même jour, deux jolis petits garçons, robustes et bien constitués, une grande consternation avait régné dans la maison.
C’était une opinion bien établie dans la famille et même dans Saint-Géran, que jamais on n’avait vu deux frères vivre ensemble sous le toit d’un Guilo.
En effet, les vieilles gens rappelaient que par un rapprochement fatal, chaque fois que l’épouse d’un Guilo avait donné le jour à un deuxième enfant mâle, toujours cette naissance avait été suivie de douloureux événements.
Rien, cependant, cette fois-ci, n’avait paru devoir confirmer cette tradition, et petit à petit, le pécheur et sa femme oublièrent la terreur qui les avait assaillit à la venue de leurs fils.
Les jumeaux portaient les noms d’Ervoan et d’Yau[1].
Ils venaient d’atteindre leur vingt-troisième année, quand commence cette histoire.
Très grands tous les deux, très forts et très musclés, large d’épaules, les cheveux d’un blond roux, les yeux bleus et vifs, le front hardi, c’étaient deux beaux types de Bretons chez lesquels on retrouvait toutes les qualités physique de la race.
Quoiqu’ils se ressemblassent d’une façon frappante, leurs caractères étaient diamétralement opposés.
Ervoan était gai, vif et alerte. Il avait sans cesse le mot pour rire, et en toute circonstance, prenait le bon côté des choses.
Yan, au contraire, était sombre et taciturne. Tout jeune, il s’était fait remarquer par ses allures singulières, par ses longues rêvasseries, par son désir de solitude, et cette disposition à la mélancolie n’avait fait qu’augmenter avec l’âge.
Cette grande différence morale entre les deux frères n’avait pas arrêté leur mutuelle tendresse ; au contraire, chacun dans la contrée les citait comme étant le plus bel exemple d’amitié fraternelle.
Ervoan sacrifiait à son frère les divertissements bruyants qui l’attiraient, et Yan s’efforçait de rire et de s’amuser pour ne pas priver son « besson » d’une partie de plaisir où celui-ci n’eût pas été sans lui.
La demeure des Guilo, située à droite de Saint-Géran, était presque en dehors du village. Élevée à mi-côte, c’était une vieille bâtisse au toit de chaume, aux murs effrités, dont la façade, tournée vers la mer, permettait aux habitants de contempler sans trêve l’immense étendue d’eau mouvante, aux reflets miroitants gris ou bleus, selon le temps ou les heures, au murmure indéfini, et qui, dans le lointain, se confondait avec l’azur du ciel.
Du seuil de la porte, on apercevait aussi, suivant le pied des blanches falaises, le long ruban sinueux des grèves sombres où les rochers et les écueils pointus dressaient leurs crêtes brunes que la mer en écumant couronnait de mousse.
Derrière l’habitation des Guilo, et séparée d’elle par une longue bande de terrain inculte, une petite masure s’abritait, frileusement, eu ton dit, sous l’épais feuillage de trois grands chênes pressés contre ses murs et qui semblaient vouloir l’écraser de leur force.
Une jeune fille occupait seule cette misérable bicoque. Annaïc[2] Brunec était encore bien jeune, quand ses parents moururent.
Son père, un pêcheur comme Pierre Guilo, périt dans une tempête et sa mère en ressentit un si violent chagrin qu’elle ne lui survécut que peu de temps. L’enfant resta donc seule... ou presque seule, du moins. Une vieille cousine de son père la recueillit. La femme était très pauvre et sa charité envers l’orpheline avait l’intérêt pour but.
Elle se servit de la petite comme d’une servante, ne la nourrissant que de quelques croûtes de pain souvent dur, et lui demandant en revanche une somme de travail très importante pour une enfant si jeune. Annaïc poussa cependant comme poussent les fleurs des champs, sans qu’aucune main attentive l’eût soignée.
Quand la fillette eut sept ans, la vieille l’envoya sur les grèves, à marée basse, pour y ramasser des moules ou y pêcher des crabes.