Au pays des merveilles - Nathalie Jeanne - E-Book

Au pays des merveilles E-Book

Nathalie Jeanne

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Beschreibung

Chaque année, les enseignants recommencent une nouvelle année scolaire avec tous leurs espoirs ou parfois désespoirs. Comme une multitude de petites fourmis œuvrant sans cesse pour amener les enfants sur le chemin de la connaissance.

Ce chemin je l’ai pris pendant trente ans.


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Seitenzahl: 161

Veröffentlichungsjahr: 2025

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Couverture

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www.publishroom.com

 

ISBN : 978-2-38625-953-1

 

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit, est illicite et constitue une contrefaçon, aux termes des articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Page de Titre

 

Nathalie JEANNE

 

 

Au pays des merveilles 

J'étais maîtresse d'école

 

 

À mes lecteurs,

Ce témoignage relate principalement le côté sombre de situations et de rencontres professionnelles destructrices.

Toutefois et heureusement, durant ces trente années, j’ai aussi croisé le chemin de personnes formidables, bienveillantes, sympathiques, douces, sincères, dévouées et d’une extrême gentillesse.

Quelques élus, un inspecteur, des conseillers pédagogiques, des AESH, une dame de cantine, des ATSEM, des parents, des collègues enseignantes…

Merci à tous et à toutes de m’avoir souri un jour, d’avoir dit le bon mot, le mot juste, celui qu’il fallait à ce moment-là, pour illuminer une journée difficile.

Merci, mes chères collègues, à toutes celles que j’ai côtoyées tout au long de ces années, celles avec lesquelles j’ai partagé des rires, des larmes, ces moments de bonheur…

Avec toute ma gratitude,

Nathalie Jeanne.

Merci, tout particulièrement à mon mari et à mes deux adorables enfants,

avec tout mon amour.

Année scolaire 1978 / 1979

Je suis seule dans le couloir.

Derrière la porte.

J’ai très chaud.

L’atmosphère est lourde, étouffante, saturée de poussière.

Le stress et l’inquiétude décuplent mes sensations.

Ma peau est moite.

Mes bras, mon dos sont poisseux.

Mon polo tout en synthétique me colle désagréablement.

Je transpire.

La sueur dégouline le long de mon dos et sur mes bras.

Je tente d’essuyer la moiteur de mes bras.

J’ai si chaud.

Je sens la transpiration, une petite odeur d’enfant en fin de journée, qui a joué et couru au soleil sans retenue.

Il fait très chaud en ce mois de juin 79.

Je suis anxieuse.

De l’autre côté du couloir, ma mère fait le ménage dans la classe des maternelles. Depuis le début de l’année, elle est ATSEM, elle tient beaucoup à ce travail. Mon père est au chômage, alors cet emploi à l’école, c’est une chance. Elle a encore une heure pour tout nettoyer après la classe et, étant donné qu’elle est très méticuleuse et maniaque, je sais que j’ai du temps devant moi. Je ne suis pas allée jouer après l’école ce soir chez Anne-Sophie, ma meilleure amie. Pourtant, j’aime y aller, on s’amuse, je crois que l’on pourrait jouer sans jamais s’arrêter… Sans compter le goûter que sa mère prépare : du pain frais et croustillant beurré avec des carrés de chocolat noir Poulain, pour tout le monde. Elle est nounou, il y a une tripotée d’enfants chez elle. Elle est gentille, drôle et énergique, sa mère, je m’y sens bien.

Mais ce soir, je suis restée à l’école…

Par la porte entrebâillée de ma classe de CM1, j’espionne le maître qui écrit sur le tableau, avec ses grandes craies blanches, rouges, bleues, vertes, les exercices du lendemain.

J’ai trop envie de voir, de sentir encore l’odeur de la classe, de connaître à l’avance les exercices du lendemain. J’ai un peu peur que l’on me surprenne, j’ai chaud, mais l’envie est plus forte. J’ai besoin de savoir pour me rassurer, savoir que je pourrai le faire… le contrôle de demain.

Je dois bien travailler, je dois être une bonne élève. Je n’ai pas le choix.

Je dois travailler aussi bien que ma grande sœur.

À la maison, on compare. On ressort les carnets de Magali pour voir les notes, mieux, aussi bien, moins bien, meilleure.

C’est difficile, Magali est excellente.

J’ai peur de ne pas être à la hauteur.

Ma sœur est mon modèle.

Je veux tout faire comme elle.

Tout le monde admire Magali. Elle est sage, calme, gentille, elle travaille bien, elle est jolie. Elle a de beaux cheveux…, ils sont longs.

Moi, je suis comme un chien dans un jeu de quilles.

Je bouscule tout.

Je désobéis.

Je fais des comédies.

Je suis têtue, tenace.

Je tire la langue aux voisins qui ne me plaisent pas.

Je vole des bonbons.

Je donne des coups de pied aux garçons qui m’embêtent.

Et, j’ai les cheveux courts comme les garçons… comme une punition.

Mon père voulait un garçon.

Quand je suis née, il a dit « merde », on me le raconte comme si c’était une bonne blague.

Alors je joue au garçon.

On dit de moi que je suis chiante, ma mère dira usante.

Mais, je dois bien travailler.

Ça, pas le choix.

Pour leur prouver à tous que, moi aussi, je suis intelligente.

Je dois réussir.

Je dois avoir tout juste dans mes exercices.

Je dois être une bonne élève, car je veux devenir : maîtresse d’école.

Mon école sent le bois, la poussière et la cigarette. La classe est un vieux préfabriqué avec des murs tout fins, des fenêtres qui se basculent. Le sol est un vieux parquet tout usé, je revois encore sa couleur grise. Si le sale avait une couleur, il aurait la couleur de ce plancher qui ne voyait la cire qu’une fois par an à la rentrée de septembre.

Les tables sont en bois vernis, avec les chaises attachées inconfortables. Il y a encore des encriers et l’on s’en sert.

J’ai ma place près de la fenêtre, je prends toujours cette place, je m’évade et je regarde le ciel, les nuages qui bougent, qui sont libres, qui prennent toutes les formes qu’ils souhaitent.

Lorsque le soleil paraît, j’aime qu’il me chauffe le visage et les épaules, j’aime regarder à travers les rayons du soleil la lumière qu’il envoie sur la poussière qui tourbillonne suspendue dans l’atmosphère chaude de la classe. En fait, je rêve beaucoup, je n’écoute pas. Puis comme il faut se taire, ça ne se voit pas. La voix du maître me berce, semblable à une musique, alors je somnole et je rêve. Il a une belle voix, un beau regard noir avec des yeux rieurs et une belle moustache. Il fait souvent des plaisanteries et j’adore.

Je suis au spectacle.

Je demanderai à Anne-Sophie ce qu’il a dit, elle écoute tout le temps, rien ne semble lui échapper.

Mon maître fume du matin au soir en faisant la classe. On a l’habitude, mais ses cigarettes sentent moins bon que celles de sa femme. Alors, il ouvre toujours un peu la fenêtre, été comme hiver. J’ai attrapé un courant d’air à l’œil droit, mon œil coule. C’est ce que mes parents disent à l’oculiste : « Il faut demander au maître de fermer cette fenêtre et d’arrêter de fumer… » Pas facile en 1978, on respecte encore beaucoup les instituteurs et puis mes parents ont sympathisé avec lui, ma mère travaille à l’école, c’est lui le directeur. Par conséquent, ils n’ont pas envie d’être désagréables.

Sa femme, la maîtresse des CE1/CE2 est ma maîtresse préférée. En CE2, elle fumait des menthols du matin au soir, elle tenait sa craie dans la main droite et sa cigarette de la main gauche et je la trouvais tellement chic et élégante.

Alors, le soir en rentrant chez moi, je joue à la maîtresse.

J’ai piqué quelques craies du tableau en douce, j’écris sur ma porte de chambre de la main droite et de la main gauche, je fume mon crayon de couleur. Je mets un gilet blanc sur ma tête pour imiter les longs cheveux blonds de la maîtresse et pour cacher mes cheveux si courts, car maman a décidé que j’étais mieux les cheveux courts…

J’ai bien observé la chorégraphie.

Je pose mes poupées et mes peluches devant moi quand je n’ai pas réussi à persuader ma sœur de faire l’élève. De préférence, un enfant en particulier : le cancre de la classe, Patrick, car c’est plus drôle.

Je crie sur mon élève, je lui dis que son travail est sale et qu’il a encore trop de fautes.

Pauvre enfant ! Dans mes jeux, comme il a pu se faire brailler dessus.

Quelle image avais-je de lui ?

Bien des années plus tard, j’ai revu cet enfant, le cancre, celui de ma classe de CE2, celui que ma sœur devait imiter, Patrick, devenu un homme.

Il m’a avoué que l’école avait été un enfer pour lui.

Bêtement, je n’en avais pas conscience. Pour moi, c’était un garçon qui avait des difficultés, mais dans mon esprit enfantin, il s’en fichait, ce n’était pas si grave et puis il y avait les copains.

Juin 2009

— Je suis contente de te voir, Patrick. C’est chouette que tu sois venu voir tes nièces faire le spectacle. Comme c’est drôle de se retrouver après tant d’années !

— Oui, ça fait bizarre, ça fait longtemps…

— On a de bons souvenirs !

— Tu ne te rappelles pas… ?

— Non, quoi ?

— C’était horrible pour moi l’école !

— … C’est vrai… ?

— Je travaillais mal, tout le monde se moquait de moi et en plus, je me battais tout le temps avec les autres et j’étais tout le temps puni. C’était horrible.

— Oh ! Je ne m’en rendais pas compte, je ne me rappelle plus que tu te battais, je t’aimais bien.

— Ah bon ? C’est vrai ?

— Ben oui, on avait juste l’impression de t’embêter, de jouer.

Ce soir-là, je me suis rendu compte des différences d’interprétations des actes et des sentiments d’un enfant envers l’autre, c’est si compliqué pour les adultes, la communication. Alors pour les enfants, en considérant qu’ils n’ont pas tous la même interprétation des mots, le même niveau de vocabulaire, la communication atteint un haut niveau de complexité. Surtout lorsqu’elle est du registre de la moquerie, ce que l’on appelle maintenant : le harcèlement. Les enfants n’ont pas toujours conscience de la portée de leurs mots, de leur impact sur les autres enfants. Bien souvent, lors des récréations, il faut expliquer aux enfants que ce qu’ils ont dit à leur camarade est terrible, douloureux et blessant. Combien de fois les enseignants expliquent aux enfants : mets-toi à sa place… Est-ce que ce que tu viens de dire est gentil ?

À bien y réfléchir, cet enfant était harcelé par la classe et pourtant, si l’on nous avait demandé, il faisait partie du groupe, le groupe qui fonctionne où chacun a sa place. Du dominant au dominé. Du plus populaire à celui qui ne sait pas où est sa place. Mais c’était le groupe et mon souvenir englobe cet enfant.

Ce soir-là, j’ai eu le sentiment de réparer mes bêtises en lui disant que je l’aimais bien et que je me rappelais de lui à l’école.

Il était très étonné et, en même temps, il m’a semblé apaisé.

C’était un enfant gentil, qui était devenu un adulte gentil, avec un fond de souffrance.

Juin 1980

À l’école, nous fêtions les anniversaires et le maître proposait à tous les enfants que nous nous fassions des cadeaux, si on le voulait.

Ma mère faisait d’énormes tartes aux fraises. Pour une fois, j’étais la star. J’étais si fière de ces tartes couvertes de fraises.

Anne-Sophie m’avait offert le 45 tours du « Papa Pingouin ». Je souhaitais le dernier titre de Bashung « Gaby », j’adorais cette chanson. Sa mère, étonnée, voulait m’acheter un disque de Chantal Goya ! Mais ce n’était vraiment pas possible pour moi. Je me rappelle ce sentiment de colère envers cette chanteuse ; pour moi, elle béatifiait les enfants ! Alors sa maman ne pouvant se résoudre à offrir à une enfant de dix ans un « Bashung », j’héritais du « Papa Pingouin ». Étonnamment, j’ai aimé.

L’année d’après, elle céda et me fit cadeau de « Vertige de l’amour ».

Patrick m’avait offert des colliers et des bracelets qu’il avait fabriqués lui-même avec de jolies perles en bois rose, bleu-gris et couleur miel.

Il en avait fait plein, un sac rien que pour moi.

Tout le monde était ébahi, c’était joli et tellement gentil.

Je n’osais pas les mettre pour aller à l’école, mais je les portais à la maison.

Décembre 2023/2024

Je suis fatiguée.

Je n’ai plus envie.

Je n’ai pas réussi à établir un lien avec un enfant.

Il m’a dominée.

J’ai perdu ma force.

Je veux arrêter.

Je ne reconnais plus mon métier.

Je suis dépassée

Je donne tout.

J’ai tout donné.

Je continue encore jour après jour.

Mais je suis vidée tous les soirs,

tous les mercredis,

tous les weekends,

toutes les vacances.

Je suis usée,

Je dois arrêter.

Pourtant, la vocation était là…

Prérentrée août 2023

Depuis une semaine, voire deux, nous sommes déjà sur le pied de guerre.

Réunion avec la directrice.

Deux jours avant la rentrée.

— T’as vu ma liste de classe ?

— Quoi ?

— Pourquoi, cet enfant est encore inscrit ?

— Ah, c’est une erreur…

Une journée avant la rentrée, la directrice m’interpelle :

— Bon, en fait, tu l’auras dans ta classe. J’ai eu l’ITEP, au téléphone, ils ne le prennent pas parce qu’ils ne veulent pas que leurs élèves soient inscrits à l’hôpital de jour en même temps que les soins de l’ITEP… mais le problème, c’est que l’hôpital de jour n’a plus de place… Du coup, il n’a rien… alors, il reste à l’école chez nous.

— Mais… l’ITEP ne peut pas l’accepter maintenant ?

— Ben non, faut que ça repasse en commission…

— Comment je vais faire ? Tout le monde sait qu’il n’est pas scolarisable !

— Faut bien qu’il aille quelque part… Tu feras comme ta collègue de l’an dernier…

En gros, tu fais comme tu peux, tu le tiens au calme, sans lui demander quoi que ce soit qui pourrait le contrarier, car cet enfant est une bombe près d’exploser, à n’importe quel moment.

Tu serres les dents, les fesses, tout ce que tu peux, tu ne veux pas connaître sa vie, ses malheurs. Il est très violent envers tout le monde, les autres enfants, les adultes, et envers lui-même. Il dit des choses terribles, c’est une boule de souffrance. Je l’ai entendu hurler toute l’année dernière, j’ai vu sa maîtresse épuisée, désemparée, pleurer l’année dernière.

Alors, j’ai peur.

Je me sens affreuse, j’en ai tellement eu des enfants avec des histoires de vie épouvantables… Tu les gardes au chaud, toute la journée, tu veilles sur eux et le soir, tu sais que tu les rends à leur bourreau, à leur milieu de vie sordide.

C’est comme un malaise qui plane au-dessus de ma tête, je n’ai plus la force d’affronter tous ces démons. J’ai perdu mon énergie… et je ne veux pas laisser cet enfant entrer dans ma vie, je veux m’épargner, je ne souhaite qu’une chose qu’il parte, qu’il soit ailleurs…

J’ai honte.

Cette discussion lunaire et face à une directrice qui ne montrait aucun signe de compassion me glaçait dès la prérentrée. Son fonctionnement était simple ; si la situation lui échappait, elle se révélait la plus brutale possible. Ne jamais perdre la face.

Mais, moi, j’étais inquiète.

Septembre, octobre, novembre

Je fais connaissance avec la classe, avec tous ses enfants.

J’ai organisé un îlot en retrait où cet enfant peut travailler ou plutôt faire des activités au calme, pas plus de dix minutes maximum : pour qu’il se sente le mieux possible. Doser mes exigences, doser pour ne jamais le mettre à mal, éviter la crise… continuellement au bord du précipice. Pour m’aider, j’ai un collègue remplaçant qui n’a pas encore de poste, mais il ne fonctionne pas comme moi.

On ne se connaît pas. Il est sec, il est froid. Nous n’avons pas le temps de nous concerter. Il a été parachuté là, il fait ce qu’il peut, il est un peu partout pour aider dans l’école. Je lui explique comment faire, ce n’est pas toujours évident de donner des conseils à un homme qui a de l’expérience. Il fait à sa manière.

Il gère aussi parfois un autre élève qui se révèle de plus en plus compliqué au fil des jours.

Cet élève me tracasse, il est tout le temps en colère.

Il refuse le travail.

Il veut aller avec son copain dans l’îlot, mais il le perturbe et fiche en l’air les quelques minutes d’attention du petit.

Nous ne sommes qu’en octobre et la gestion du groupe est déjà très difficile. J’ai repéré les autres enfants qui étaient fragiles au niveau des apprentissages et psychologiquement. Ils sont nombreux.

Novembre

Ce qui devait arriver est arrivé, l’enfant a été placé en urgence. C’est-à-dire que la commission s’est réunie deux mois après la rentrée pour se rendre compte que ce petit n’allait pas bien du tout et qu’il fallait le sortir de sa famille.

Il est parti et je ressens un soulagement, j’ai honte de ce sentiment. Que suis-je devenue pour me réjouir du départ d’un enfant dans de telles conditions ? J’espère que cela ira mieux pour lui…

Mais ce que je n’avais pas vu venir, c’était l’autre, l’autre élève qui allait très mal, encore plus mal… depuis que son copain était parti.

Je pensais naïvement être soulagée dans la gestion du groupe classe, ne plus avoir peur sans cesse qu’une crise éclate, que la boule au ventre que j’avais tous les matins face à cet enfant disparaisse. Pouvoir travailler en étant apaisée, ne plus aller dans l’îlot toutes les cinq minutes, vérifier que tout se passait à peu près bien ou gérer la crise qui avait déjà commencé dans le rang dès 8 h 30. Je pensais être libérée pour pouvoir faire la classe en étant disponible, physiquement, mentalement…

Mais le mal était fait, pour moi, pour l’autre élève.

Celui qui est allé encore plus loin, celui qui m’a dominée, éprouvée, testée, usée.

Pauvres enfants. Tristes enfants.

Cet élève allait mal et il allait encore plus mal depuis que son copain avait été placé.

Il savait ce qu’il s’était passé puisque sa mère lui avait dit : « Si tu continues à être pénible, toi aussi, on va te placer. »

Cet élève en voulait à la terre entière et il devait me tenir responsable du placement de son copain, il devait me tenir responsable de tous ses malheurs, de sa vie si jeune et déjà si malheureuse…

J’étais démunie face à tant de détresse, face à la haine que cet enfant éprouvait envers la vie, envers l’école et qu’il avait cristallisée sur moi.

Moi, qui essayais de parler, de comprendre, de consoler, de mettre des limites, de gronder…

Rien ne marchait, je n’avais pas les outils…

J’étais démunie.

Mais pendant ce temps-là, je devais continuer de faire la classe. Ah ! Ben oui, ce n’était pas en option.

Il faut bien avancer, donc tu te démerdes pour gérer et supporter l’enfant qui a des difficultés comportementales avérées, fait des crises et t’insulte en continu.

Celui qui a des difficultés scolaires très importantes.

Ceux qui ont des difficultés scolaires importantes, ceux qui ont des troubles de l’attention avérés, ceux qui sont dys…, ceux qui sont hypersensibles, et surtout ceux qui avancent vite. Faudrait pas qu’ils s’emmerdent… sinon, ils risquent de te ficher le bazar.

Voilà un cas de figure type de toutes les classes dans les écoles élémentaires de France et de Navarre depuis quelques années.

Mais nous sommes sauvés puisque nos ministres nous disent que nous devons tirer vers le haut avec toute l’exigence nécessaire et aider les enfants en difficulté, afin de donner une chance à tous, avec cette merveilleuse chance de l’inclusion pour tous.

Chaque rentrée, les enseignants commencent une nouvelle année scolaire avec tous leurs espoirs ou parfois désespoirs. Comme une multitude de petites fourmis œuvrant sans cesse pour amener les enfants sur le chemin de la connaissance.

Ce chemin, je l’ai pris pendant trente ans.