Au temps de la pensée et des roses - Jean Rigoulet - E-Book

Au temps de la pensée et des roses E-Book

Jean Rigoulet

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Beschreibung

Les mots deviennent le refuge de Petit Jean lorsque la vie le précipite dans un établissement spécialisé, après une dépression dévastatrice. D’une simple envie de se raccrocher à ses repères naît un voyage littéraire. Il replonge dans la douceur de son enfance dans le Périgord noir des années 1950, partage ses premières amours et dévoile les tumultes d’une vie marquée par l’excès. Entre lumière et obscurité, ce récit sensible esquisse les contours d’une existence aussi complexe qu’émouvante.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Voyageur impénitent, la vie de Jean Rigoulet a été marquée par une succession de métiers exercés avec passion. Par l’écriture de cet ouvrage, il illustre avec sensibilité que l’existence est un mélange de douleurs et de joies, chaque instant contribuant à façonner une trajectoire riche et vibrante.

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Veröffentlichungsjahr: 2025

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Jean Rigoulet

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Au temps de la pensée et des roses

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© Lys Bleu Éditions – Jean Rigoulet

ISBN : 979-10-422-6293-8

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Je dédie ce livre à mes enfants

Mumue, Bibiche, Salsa,

et à mes six petits-enfants.

 

 

 

 

 

Préface

 

 

 

1958, la guerre d’Algérie, nous avions quinze ans.

 

Nous quittions nos familles et nos campagnes, pour aller Petit Jean et moi à Toulouse rejoindre les bancs d’une école technique.

Elle était implantée dans les emprises de la gare Raynal, du nom de la rue avoisinante, mais aussi de celui d’un célèbre abbé Raynal, ami des philosophes, directeur du Mercure de France, faiseur de Révolution et qui était né à Lapanouse-de-Sévérac, mon village natal en 1713.

 

Notre amitié date donc de soixante-cinq ans ! Et pourtant… Certes, j’avais appris à connaître, pendant trois ans, outre ses compétences électriques, un complément de compétences éclectiques.

J’avais aimé ses talents de musicien à l’harmonica, chanteur-imitateur de Jean Claude Pascal (Nous les amoureux), danseur de cha-cha-cha, dragueur impénitent, parfois un peu affabulateur.

Nous l’avions surnommé « Modestou », mais il ne lui est resté que « Stou ».

 

Toutefois, malgré ses saillies verbales, et son élocution tonitruante, je n’avais pas imaginé à l’époque ses talents de conteur, son style à la fois cocasse et émouvant.

À la fois charmant et pétillant lorsqu’il évoque ses jeunes années, parmi les parents et ancêtres magnifiques dans ce terroir superbe du Périgord noir. Il devenait parfois l’auteur dramatique des épisodes sombres de sa vie de jeune adulte.

 

Qu’il soit le chantre de la famille et de sa Dordogne natale, ou le témoin sans concession des périodes dramatiques vécues, il apparaît soudain, à mes yeux, à la fois comme un véritable félibre du bonheur, mais aussi comme un écrivain de la souffrance et de la désillusion.

 

Victor Raymond Gaches

 

 

 

 

 

Chapitre 1

La campagne et l’enfance

 

 

 

Depuis longtemps, j’avais pris des notes sur un épisode difficile de ma vie, mais j’ai pensé qu’il serait injuste de laisser croire qu’elle n’est pas la même pour tous, faite d’une succession de joies et de peines. Ainsi, j’ai décidé de commencer un récit qui me passionne, puisqu’il s’agit parfois de ma propre vie. Mais, d’autres séquences seront la source de pure imagination ou simple roman.

Évoquer mes premiers souvenirs d’enfance, vous livrer mes sentiments, vous parler de mes prouesses et de mes excentricités, des défauts et des qualités que m’attribue mon entourage, vous livrer quelques secrets, voilà un exercice bien difficile, mais combien passionnant lorsque la vie vous a appris un peu à vous connaître.

 

Les évènements évoqués, en remontant plus de soixante-dix ans en arrière, sont exprimés parfois d’une façon désordonnée, peu importe, l’essentiel est de vous les faire partager.

 

Je vous raconterai quelques anecdotes bien amusantes, marquant ma plus jeune enfance. Même si le récit comporte quelques erreurs ou imprécisions, je tenterai de mettre l’accent sur la partie romancée pour ajouter un peu de piquant à certaines histoires rocambolesques.

 

Je vous parlerai de mes pérégrinations, de mes déboires, de mes échecs amoureux, mais aussi de mes succès.

Je ne vous raconterai pas toute ma vie émaillée de vagues et de creux, de succès et d’échecs, mais les péripéties de ma vie normale. J’en choisirai les moments les plus cocasses d’un côté, les plus douloureux de l’autre.

Je vous expliquerai comment je suis passé du rachitisme à l’obésité, et vous donnerai des conseils pour devenir épicurien.

J’aime le chaud et le froid, l’été et l’hiver, bref, les contraires en général, et les excès.

Je suis ainsi fait, on m’aime ou on ne m’aime pas. C’est la nature qui parle.

 

Le plus beau jeu, en famille, à l’aide des aïeux interposés et les plus sensibles à ce genre d’exercices, consiste à évoquer les souvenirs les plus lointains. D’ailleurs, qui n’affirme pas un jour, le premier souvenir de mon enfance remonte à telle époque.

Est-ce vraiment une réalité ? Ce temps fort ou parfois insignifiant n’a-t-il pas tout simplement un rapport avec une situation frappante à un instant donné de notre vie d’enfant ou d’adolescent, ou avec l’histoire racontée bien plus tard par un membre de la famille.

Il est bien hasardeux de dire, avec le recul du temps, s’il s’agit d’une joie intense ou d’un moment douloureux, bref d’un évènement particulièrement marquant.

 

En fait, j’affirme que le premier souvenir de mon enfance m’évoque avec précision, mais avec une certitude relative un voyage en landau assez rocambolesque.

La voiturette, poussée par ma mère durant une bonne douzaine de kilomètres à travers bois, routes et chemins de terre, n’avait pas le confort des poussettes d’aujourd’hui.

Ce premier souvenir me laisse bien perplexe. Le défilé incessant des branchages au-dessus de ma tête me provoquait une angoisse intrigante, une peur immense qui m’envahissait le corps et l’esprit tout entier.

 

Le matin, ma mère m’avait emmené à Périgueux en empruntant l’autobus du fameux Burette qui assurait la liaison quotidienne. Nous allions voir mon père rappelé militaire réserviste.

Si, à l’aller, il ne s’était pas posé de problèmes particuliers, au retour, le chauffeur Burette surnommé grincheux, avec un caractère épouvantable, était parti sans prendre sa cliente. Il ne restait plus qu’une solution pour regagner la ferme familiale à trente-cinq ou quarante kilomètres, celle de prendre le train jusqu’à la gare de la Gélie et ensuite, en plein bois, regagner à pied « Le Claidier »1 à dix bonnes lieues !

 

Le crépuscule tombant, ma jeune mère ne devait pas s’attarder pour regarder sur sa droite ou sur sa gauche, ni derrière elle, mais droit devant pour éviter les obstacles et les figures imaginaires que la frayeur engendre en pareil cas. De surcroît, il n’y avait sûrement pas de clair de lune du côté de Cendrieux dans les combes, et il devait être facile de confondre un vieux genévrier rabattu par le vent avec un sanglier mâle agressif.

 

Mon esprit de bébé décelait au cours du trajet, qu’il ne s’agissait pas du bercement habituel après la tétée de vingt heures, accompagné des traditionnelles paroles de la mémé Anaïs répétant sans cesse « bing bang, bing bang, bing bang » !

J’exprime ici mon premier souvenir avec conviction.

 

J’en perçois, bien d’autres, mais avec un flou qu’il m’est bien difficile de dissiper.

J’étais âgé d’un an et demi environ, lorsque les Allemands en débâcle firent brûler les fermes voisines près d’un PC de la Résistance. La colonne prenait le chemin du Claidier et tout le monde s’enfuyait pour coucher finalement dans la cabane à poules située à l’orée du bois en contrebas de la maison. La famille pensait qu’il allait être plus facile de s’échapper du côté de la forêt en cas d’alerte. Ce fut ainsi le cas, nous partîmes à la Brugueyrie nous réfugier chez les Duraton, des amis de ma mère.

 

Je me souviens bien, en fait, de l’affolement et de la précipitation lors du départ de la ferme avec la mère qui criait en patois : « les sous ! Les sous ! » La fortune ne devait pas être considérable, mais à cette époque un sou était un sou.

 

Je revois bien le bétail affolé, détaché à la hâte pour tenter de le protéger. Ces décisions ne servaient pas à grand-chose, en effet, comment les agneaux auraient pu se sauver devant une mitrailleuse allemande, si les SS avaient envie d’une grillade !

 

La réalité de ces souvenirs n’était pas tout à fait exacte. Ma mère m’avait apporté des précisions sur la véracité de ces évènements et mes confusions, mais en fait l’essentiel était relaté. Je vais donc retracer l’exactitude des faits pour être précis.

 

Pour ce qui concerne l’itinéraire en autobus, il s’agissait bien de Burette et de ses sarcasmes. En fait, l’histoire se passait vers Limeuil au lieu-dit la Pêchère. À cet endroit, maman et bébé attendaient le seul moyen de transport en commun pour rentrer à Cendrieux.

 

Quant à mon père, il emballait le tabac chez Guignol, avec Léon et Nitouche, au milieu de la plaine de Limeuil. À l’aller, pas de problème de transport avec Burette, mais au retour, à la Pêchère, les difficultés allaient surgir.

 

Le règlement stipulait qu’il n’y avait pas de possibilité de déclarer le landau en bagages à cet arrêt. Le voyage retour fut entrepris à pied, accompagné de Boby, le Fox-terrier du grand-père paternel.

 

J’ai pu effectuer ma première tétée sur le bord d’une route du côté de Pradelle, d’ailleurs, j’en effectuerais bien d’autres en adolescent, cette fois avec de belles filles et je vous en parlerais ultérieurement lors d’une adolescence passionnée.

 

À propos du retour de La Gélie au Claidier, les faits relatés par ma mère comme authentiques n’étaient pas tout à fait ceux que j’imaginais, mais se ressemblaient néanmoins.

 

Nous avions bien rendu visite à mon père rappelé militaire réserviste, mais pris le train de Périgueux à La Gélie.

À cette gare, nous devions retrouver le cousin Mimiche avec deux vélos, mais nous ne l’avons jamais vu venir.

 

Nous venions de passer trois jours cours Saint-Georges à Périgueux, chez la tante Louise, la femme du tonton Raoul qui travaillait dans un bar restaurant. En ces lieux, mon père venait nous rejoindre depuis son casernement, voilà pour la réalité avec le recul du temps.

Après cette mise au point, j’évoquais un autre souvenir : celui d’avoir vu une locomotive à vapeur qui, pour moi, ressemblait à un monstre d’acier. Mais cet épisode paraissait assez diffus, je ne pouvais vraiment pas certifier qu’il s’agissait de cette époque-là.

 

Noé, mon Grand-Père devait se trouver dans le cantou 2 de la cheminée en reniflant la marmite de soupe mijotant au-dessus du feu de bois. Suspendu à la crémaillère à hauteur de ses narines, ce bouillon lui permettait de percevoir les odeurs de raves, de patates, de haricots et de citrouille, parfumé d’un bout de lard rance.

 

De temps à autre, il devait tirer des petits coups répétés sur sa bouffarde usagée remplie de tabac bâtard qu’il faisait sécher dans le grenier. La découpe de ce tabac, finement émincé avec son couteau rasoir, était une véritable cérémonie avant de remplir sa blague en latex véritable. Aucunes miettes n’étaient laissées au hasard et s’il en restait un surplus, elles finissaient obligatoirement en chique.

 

Le fait de chiquer et de se la coincer de temps à autre derrière l’oreille n’est pas une légende, mais lui ne pratiquait pas cette méthode. Il se faisait gronder par la grand-mère au sujet de ses mouchoirs, car il les rendait dans un état lamentable, il faut bien le dire.

 

Il y déposait ses chiques déjà mastiquées, en attente de les sucer à nouveau et ils servaient aussi de replis pour les gros crachats remplis de goudrons et de nicotine. On aurait dit qu’il en avait essuyé les côtés d’une marmite sale lorsqu’elle a bien suinté, telle celle de cuisson du gimbourat3 par exemple.

 

Mémé Anaïs lavait sur le bord du ruisseau ou tout simplement à même une grosse bassine, elle avait donc un peu raison de se fâcher.

 

J’aurai bien des occasions de vous parler de mes grands-parents, mais je désire revenir encore sur cette date du 12 février 1943.

 

Au même moment en face de la petite propriété rurale, dans les forêts qui encadrent Murestril, s’organisait à flanc de coteau et dans les bois, une partie de la résistance en Dordogne.

 

Dans le prolongement de la chambre de mes parents, à quelques mètres derrière, ruminaient et soufflaient de temps à autre deux magnifiques couillards4 et l’unique vache laitière dormait paisiblement. Dans le cognassier et le tilleul bordant la mare de la basse-cour, les pintades s’étaient perchées pour dormir et les hululements d’une chouette allaient bientôt troubler le silence de la nuit.

 

Les moutons toujours affamés bêlaient lamentablement en désordre dans leur étable en bout de la grange, excepté la seule brebis noire qui émettait un son rauque du genre bémol, pour ponctuer la cacophonie du troupeau réclamant du foin.

 

La grand-mère Anaïs exprimait l’angoisse habituelle qu’elle manifestait à chaque évènement particulier. Elle prenait son air attristé et manifestait l’émotion déguisée des grandes catastrophes, sans pour autant être vraiment inquiète intérieurement.

 

Néanmoins, elle assurait, comme à l’accoutumée, toutes les tâches de fin de journée. Elle portait à bras d’homme une bonne souche d’arbre pour tenir le feu de cheminée toute la soirée, après avoir gavé quelques canards, mis la litière au bétail, soigné ses lapins, fermé la volaille dans la cabane du vallon, coupé la mangeaille des oisillons et ramené deux seaux d’eau accrochés aux extrémités de son cambalou5.

 

Ses activités de fin de journée n’étaient pas pour autant terminées, si elle en avait le courage et elle n’en manquait pas, elle faisait des crespélous6 pour tous les convives. Les trente-cinq heures la feraient bien sourire aujourd’hui !

 

Mes parents m’ont indiqué que ma date de naissance déclarée était le douze février de l’an 1943 vers dix-sept heures. Mon état civil fut libellé avec grand soin dans le livret d’usage par le secrétaire de la mairie de Cendrieux, à la plume d’oie trempée dans l’encre de Chine, en faisant ressortir les pleins et les déliés.

 

Le futur père avait en hâte, « enfourché son vélo » avant d’exprimer sa joie de voir arriver Petit Jean ou Arlette, pour aller chercher le médecin accoucheur généraliste de Sainte-Alvère ou la sage-femme accréditée. Heureusement, il n’y avait pas de verglas dans le virage du côté de la Font Luzière, car il aurait bien pu se retrouver en contrebas dans les taupinières.

 

Les grands-parents paternels sûrement prévenus arriveraient sans doute le lendemain matin, à moins que la Nenette ne soit déjà là pour faire la soupe. Sinon, ils allaient déambuler en fin de semaine, à pied au bout de l’allée bordée d’arbres fruitiers menant à la ferme, les vélos à la main.

 

Dans la cuisine se trouvait tout le nécessaire vital pour survivre pendant deux hivers rigoureux et il ne faisait jamais très froid dans la pièce commune.

 

La grande cheminée périgourdine où pouvait brûler n’importe quel bois, souches de noyer, châtaignier, branchages, vieux pruniers morts, bûches, était toujours active.

 

Les belles marmites en fonte culottées qui font la bonne soupe de campagne, les poêles à frire et à virols7 entreposées à proximité donnaient à l’ensemble un aspect convivial.

Les buffets étaient remplis de toupines en grès pleines à ras bord de graisse de canard, de quelques confits et de gésiers, réservés aux repas de fête en famille.

Il y avait aussi des provisions en tout genre. La mère étant plutôt du genre fourmi, elle accumulait des stocks de provisions courantes. Je ne me souviens pas de l’avoir vu manquer de vermicelle ou de nouilles, celles que l’on donne aux chiens aujourd’hui.

Je ne vous parle pas de la réserve de couennes ni des deux jambons suspendus aux poutres pour honorer les convives. Les petits salés n’étaient pas en reste ainsi que des jambonneaux et des pieds de cochons superbement préparés.

Je ne vous parle pas non plus des pâtés de campagne, de foie gras de canard, ou de lapins aux patates, des confitures en tout genre, et de tout ce que je dois oublier.

 

Le Grand-père effectuait d’ailleurs tous les matins ses frétiches8 devant le buffet avant d’aller battre sa faux. Après ce casse-croûte, il partait couper et rassembler la litière dans les bois pour épandre sous le bétail (mélange de fougères sèches, de feuilles et de bruyère qui en association avec les déjections animales assurait un bon fumier).

 

La grande table en chêne au milieu de la pièce avec ses deux bancs, la cuisinière à bois dans le coin gauche de la cheminée, la pendule dressée jusqu’au plafond rajoutaient un charme indéniable, dans la plus pure tradition périgourdine.

L’évier, situé en rentrant à droite, était équipé d’une superbe pierre massive dans laquelle une saignée conduisait les eaux usées à l’extérieur, à même la basse-cour. Cette pierre se terminait par un bec caractéristique dénommé pissarou en patois.

De part et d’autre de cet évier se trouvaient deux seaux d’eau avec leur couade9 utilisée par souci d’économie, mais aussi pour boire par grandes chaleurs l’eau fraîche tirée du puits ou de la source à la rivière !

 

L’immense pièce principale servait de cuisine, de salle à manger et de chambre à coucher pour les grands-parents et le cousin des Perroutis. Elle se dissimulait derrière un immense rideau accroché au plafond. Leur lit rouleau se trouvait à gauche en rentrant, la ganelle10 côté mur extérieur.

 

Il va être dix-sept heures, la future mère, Adèle, se tord de douleurs et pousse sous les impulsions du docteur Raleur.

 

Petit Jean se présente et se fait tirer aux forceps et voilà, je suis né, à la grande joie de tout ce petit monde qui m’entoure, mais si eux riaient, je pleurais ! La vie est ainsi faite, on ne naît pas en riant.

 

Ainsi, je vais avoir la lourde tâche de perpétuer le nom des Cabochon de Limeuil, car vous le verrez, personne n’en sera capable par la suite, quelle charge épouvantable !

 

Mon père Jean René Cabochon, agriculteur par alliance avec Adèle, avait « quelques bagages ». À l’époque, le brevet élémentaire du premier cycle lui aurait permis de devenir instituteur. Il était donc né à Limeuil en Dordogne le 7 juillet 1920. Il était le fils de Cabochon Jean Cyprien, un vrai gringalet, facteur alcoolique, mais ancien poilu jamais décoré officiellement, avec pourtant, une multitude de citations. Appelé Sylvain dit Guignol par les gens du pays et de Deleterre Françoise surnommée la Nenette agricultrice, large comme une barrique, boulimique, émettant des rots caractéristiques du fond du pharynx toutes les trente secondes après les repas. Sans doute, elle ne supportait pas ses excès de nourriture et de desserts en particulier, du genre îles flottantes ou charlottes à la crème anglaise en quantité industrielle.

 

Vous devinez le couple parfait, l’un disposant en permanence d’une bouteille de vin rouge à la main et l’autre du rouleau à pâtisserie, pour se faire respecter.

 

Ma mère Adèle Birouille, dite Lisette, agricultrice, couturière, matelassière, cuisinière, était née le 13 mai 1922 à Cendrieux.

 

Elle était la fille de Birouille Noé, dit Biroulet et d’Anaïs Baufretou dite Angèle.

Nöe était un homme génial, un grand-père que j’ai beaucoup aimé, et je sentais que cet amour était réciproque. Il adorait jouer de l’harmonica avec moi. Il était né à Mauzens Miremont le 25 décembre 1895. Nous partions assez souvent en vélo chez son frère André. Il exerçait la profession d’agriculteur, bûcheron, producteur de feuillards de châtaigniers pour effectuer des paniers, charbonnier à ses heures. Ancien combattant, il fut gazé à plusieurs reprises durant la Grande Guerre et participa à la défense du fort de Douaumont (Verdun 1916). Il me raconta souvent ses souffrances à la bataille du chemin des Dames.

 

Baufretou Anaïs dite Angèle était née à Cendrieux le 14 mars 1900. Agricultrice, fille d’Antonin Baufretou et de Anette Védrine. Elle me parlait souvent de sa mère partie nourrice en Algérie pour vendre son lait à la progéniture d’un officier.

Elle me racontait aussi que dans sa famille il existait de nobles vers Saint Laurent des Bâtons nommés De Gonthier. Cette situation me permit d’ailleurs de créer une gamme de foies gras du Périgord, sous l’étiquette Catherine de Gonthier.

 

Mes grands-parents maternels formaient un couple qui passait son temps en palabres, voire à s’injurier. Néanmoins, ils se cherchaient lorsqu’ils ne s’étaient pas vus depuis quelques instants. En fait, c’était au jeu d’une véritable comédie que mari et femme aimaient se livrer.

 

Je vois donc le jour, ce vendredi 12 février 1943, et provoque un pôle d’attraction dans la ferme du Claidier, chez les Birouille et les Cabochon pour la famille, les voisins et les amis.

 

Les Bartélémy, les plus proches voisins, étaient conviés au traditionnel apéritif au vin rouge. Seuls un vieux mur, une grange et leur cave assuraient la mitoyenneté et Guillotin Bartélémy allait très vite pour sauter la barrière s’il pouvait gagner un casse-croûte ou boire un verre de vin.

 

Cet homme, pourtant bon enfant, était toujours en quête de mendicité, ou cherchait toujours à profiter des autres. Il manifestait cet esprit de resquille sous prétexte de sa pauvreté.

 

Gaétan Cabriduche et la Mathilde, ces travailleurs assidus, ainsi que Novembre le grand-père tout courbé, avaient fait l’effort de traverser les quelques champs qui les séparaient du Claidier pour venir voir le nouveau-né, Petit Jean, d’ailleurs très vite appelé Jeannot, puis surnommé par ses Grands-parents paternels à Limeuil Coco.

 

C’est sans doute pour cette raison et par déviationnisme que j’adhérais au parti communiste français, bien plus tard, en 1968, pendant la guerre que livraient les étudiants à la société de consommation et aux bonnes mœurs.

 

Je compris d’ailleurs très vite que les libertés et mon chemin n’étaient pas de ce côté-là ! Je quittais le parti, après les évènements de Tchécoslovaquie, où mes camarades justifiaient l’intervention russe comme une défense de la démocratie et les acquis du socialisme (pas d’autres commentaires).

 

Ce surnom de Coco me venait aussi du côté bolchévisant de la famille, car truffé de fonctionnaires influencés par cette idéologie chez les Cabochon, les Deleterre, les Perruche et bien d’autres.

 

Mon grand-père Guignol ne cachait pas ses sympathies pour Maurice Thorez et le grand frère Staline, le père des pauvres et bienfaiteur de l’humanité.

Employé à la poste, il avait un emploi sûr, même s’il perdait du courrier et oubliait sa sacoche dans un champ, il ne pouvait pas être licencié.

L’oncle Robuste fera lui aussi une brillante carrière dans ce secteur, mais ne jouira pas très longtemps de sa confortable retraite, décédé presque aussitôt. Il avait pourtant réussi la prouesse de s’emparer du patrimoine global des Cabochon ne laissant rien à ses propres neveux. Quel dommage pour lui et sa chère épouse Miélette, un temps riche, mais rapidement malade et morte.

 

Et les Cantalous, nos voisins préférés et amis de toujours ? Je pense souvent à eux par affection, car ils étaient présents depuis la première heure. La Titir, cette femme exceptionnelle, assurait telle une mère l’intendance, ainsi qu’une présence amicale et très efficace.

 

D’une gentillesse remarquable, elle n’était pas tous les jours à la fête. Elle supportait les colères de son mari, le grand Paulo, bourru, coléreux et violent. Il lui flanquait des trempes de temps à autre, car elle se présentait parfois sans se plaindre, meurtrie, avec les yeux au beurre noir.

 

Leurs enfants Marcel et Sergio pointaient leur nez avant de partir chez Chanoutan pour un cours de solfège. Ils jouaient du saxo et du banjo à merveille, et la petite grange longtemps en ruine du côté du chemin leur servait de salle de répétition. Elle a été réhabilitée depuis quelques années par de nouveaux propriétaires.

 

Ce 12 février 1943 dans le monde n’est pas un jour de gloire pour tous.

 

Voici le résumé du journal L’action française, édition de Lyon du 12 février 1943.

Berlin, le 10 février 1943 – Le haut commandement des forces allemandes communique :

Dans la partie méridionale du front de l’est, les durs combats défensifs se sont poursuivis hier encore avec la même intensité. Du fait de nos puissantes contre-attaques, et de notre défense acharnée, les soviets ont à nouveau subi de lourdes pertes.

 

Dans le Caucase occidental, reprise de l’activité. Toutes les attaques ennemies menées en partie avec l’appui d’engins blindés ont été repoussées.

 

Dans la région du Donetz supérieur et à l’ouest du secteur de l’Oskol, les divisions allemandes ont non seulement arrêté en de nombreux endroits l’avance de l’ennemi, mais ont également rejeté les Soviets vers l’est.

 

L’adversaire a subi de lourdes pertes ; au cours de ces opérations, un régiment de cavalerie ennemi a été presque entièrement anéanti. La 168e et la 45e division d’infanterie se sont particulièrement distinguées dans ces combats.

 

Dans les secteurs central et septentrional, du front de l’est, la journée a été calme dans l’ensemble.

 

Sur le front occidental, la nuit dernière, des bombardements britanniques isolés ont effectué des raids de harcèlement inefficaces au point de vue militaire sur l’ouest de l’Allemagne. Des avions de combat allemands ont bombardé hier plusieurs localités du sud et du sud-est de l’Angleterre.

 

On mande de Berlin :

 

Le centre des violents combats qui se déroulent à l’est s’est maintenu dans la région du cours moyen du Donetz, où les Russes ont lancé une violente offensive.

 

Les troupes allemandes se trouvent aux prises avec un adversaire fanatique, qui se bat avec un acharnement bien supérieur à celui de l’hiver dernier. La Wehrmacht ne dispose d’aucune ligne de défense pourvue de points d’appui, mais uniquement d’un système défensif échelonné en profondeur et flanqué de fortifications.

 

« Aussi, déclare-t-on dans les milieux militaires du Reich, est-il parfaitement possible que l’adversaire ait réussi à pénétrer en quelques endroits dans le dispositif allemand. Le verrouillage et le nettoyage de ces poches ne pourront s’effectuer qu’au cours de combats ultérieurs. »

On souligne également à propos des informations de source adverse selon lesquelles Koursk et Bielgorod auraient été reconquis par les Russes que les combats se poursuivent actuellement dans les deux localités.

 

D’autre part, les combats dans la région de Novorossiisk se déroulent avec une violence accrue. Les Russes ont lancé de nouveaux renforts dans la bataille, dont le centre de gravité se situe au sud de la ville. Un porte-parole de l’armée a annoncé aujourd’hui à midi que les Russes avaient réussi à débarquer de nuit des troupes de renforts au nord-ouest de Novorossiisk.

L’adversaire a déployé une vive activité dans les secteurs du Kouban inférieur et du Don inférieur, sans toutefois que ces combats aient atteint la violence des attaques soviétiques dans le secteur central du Donetz.

Aucune opération d’envergure n’est signalée dans la région de Rostov.

 

J’ai emprunté ces textes à un journal nationaliste et pétainiste du Lyonnais du 12 février 1943 que m’avait offert mon fils Bibiche.

 

À la lecture du paragraphe précédent, vous pouvez vous rendre compte que la Deuxième Guerre mondiale entrait dans une phase décisive au jour de ma naissance. À cause de l’offensive gigantesque menée par les Russes sur le front de l’est, de l’action de la résistance intérieure à l’occupant, et de l’internationalisation du conflit, l’offensive des Allemands et de leurs alliés commençait à montrer des signes de faiblesse.

 

Des politologues occidentaux commençaient d’ailleurs à s’inquiéter du devenir de l’Europe en cas de victoire totale des Soviets.

 

Le gouvernement de Vichy avait beau stigmatiser les Gaullistes, les Francs-maçons, les Juifs et accepter l’invasion de notre patrie, rien ne pouvait plus désormais arrêter, au prix de sacrifices énormes, la libération des peuples vis-à-vis de la barbarie.

 

Cette période connaissait également une intense activité politique dans le monde.

 

Le général de Gaulle coordonnait l’action des forces libres et combattantes tant depuis l’Angleterre qu’en Afrique où il rencontrait les chefs militaires près du théâtre d’opérations.

 

Les Russes et Japonais continuent leurs palabres pour négocier les ressources de l’île de Sakhaline. Malgré l’adversité, ils se rencontraient à nouveau comme chaque année au sujet des pêcheries.

La grande île (sa superficie égale à peu près le septième de la France) est probablement un des lieux les plus déshérités de la planète. Cependant, son sol et les eaux qui l’environnent recèlent des richesses qui expliquent l’intérêt que Russes et Japonais attachent à sa possession.

 

En fait, je suis bien né pendant la Deuxième Guerre mondiale, mais n’en ai pas de souvenirs très précis, excepté peut-être lors de la débâcle allemande et ne m’en veuillez pas de cette dispersion par rapport au sujet. Je pense qu’il était nécessaire de parler de la situation dans le monde à ce moment-là.

 

Ce rappel historique qui fait un peu frémir, laisse perplexe sur la responsabilité des dirigeants politiques de l’époque et de leurs aptitudes à se prémunir contre le fascisme. Bien des similitudes peuvent être constatées de nos jours. Hélas, les criminels responsables de massacres demeurent impunis et aucun pays, voire groupe de pays ne peut contenir ou ne veut contenir par la force, ce cancer de notre société.

 

Comme les mêmes causes reproduisent les mêmes effets, soyons persuadés de la fragilité de la paix et de la démocratie et prenons garde.

 

Le laxisme, le manque de courage et de fermeté vis-à-vis de l’anarchie, le laisser aller, les promesses non tenues, les crimes impunis, engendrent la confusion et à terme la violence.

Le nombre de poudrières se multiplie et des innocents y laissent leur vie. Partout, le nombre de lazzarones augmente sans cesse.

 

Mais moi, en ce 12 février, je ne pense qu’à téter et dormir, mon esprit de nouveau né est bien loin de toutes les réflexions précédentes qui exprime un seul point de vue : le mien trop pessimiste pour certains, assez réaliste pour d’autres.

 

Le plus dramatique dans les discussions avec beaucoup de gens aujourd’hui, c’est de leur entendre dire que la guerre serait le seul remède à toutes leurs difficultés. Avec cynisme, ils pensent qu’après la tourmente et les massacres, il y aurait du travail pour tous.

 

De grâce, mesdames et messieurs, arrêtez vos fantasmes et pensez aux cortèges de souffrances endurées par les vôtres lors des conflits de ce siècle ou du siècle passé. Pensez au gâchis de connaissances, aux massacres d’innocents et que sais-je encore. Non, la guerre n’est pas une fatalité, elle n’est un remède contre rien. Elle est la terreur et la désolation. Vive la paix.

 

***

 

La soupe mijotait comme à l’accoutumée, dans la grosse marmite en fonte sur le devant du foyer, et je devais jouer dans les cantous de part et d’autre de l’âtre sur les deux petits bancs qui s’y trouvaient.

 

Je ne sais pas pour quelle raison ni quelle imprudence, je me suis retrouvé contre le trépied bien rouge, situé en plein foyer à même le tas de braises.

 

Vous pensez bien qu’à cette occasion, je devais me brûler et c’est au niveau du bas-ventre que l’accident se produisit, entraînant une brûlure profonde.

Toute ma vie en passant des visites médicales, les médecins m’ont tous demandé la signification de cette énorme cicatrice ! Il faut dire que la lésion était importante et que mes parents se sont fait des cheveux blancs à cette occasion.

 

Ce n’était pas le dernier souci que j’allais leur créer au cours de mon enfance et adolescence, car très vite je devenais un mauvais garnement, un intrépide et turbulent petit garçon.

 

Une autre histoire me revient aussi à l’esprit, toujours par rapport à cette marmite de soupe, tout simplement parce qu’elle était à ma portée.

 

Ah ! Ah ! La bonne soupe de la grand-mère Anaïs, elle finissait de cuire avec sa pléiade de légumes accompagnés d’un bon morceau de petit salé, ou d’une poule pondeuse farcie.

 

Avais-je observé les gestes de la cuisinière ? Je considérais sûrement qu’il n’y avait pas assez de viande pour tout le monde. Aussi, je décidais d’y rajouter le petit chien au grand désespoir de la grand-mère. Je ne me souviens plus si le chien s’en est sorti indemne ou complètement ébouillanté.

 

J’ai dû me rendre compte de ma bêtise, car le souvenir d’une fessée mémorable reste gravé dans ma mémoire. Le père Cabochon exécutait les sentences, et je puis vous dire qu’il ne se retenait pas, et qu’il faisait très mal.

 

Ainsi étais-je, lors de mon enfance, grand observateur de cette nature que j’aimais, de sa beauté, mais aussi de ses secrets, de ses cruautés. Grand amateur d’expériences en tout genre, je menais en fait une enfance un peu primitive, mais heureuse.

 

Mon premier défaut était celui d’avoir peur. Toujours, je ressentais une crainte et une angoisse qu’il m’était parfois bien difficile de dissimuler dans mon intérieur pour affronter le moindre problème. Je cachais mes difficultés, parfois je me sentais dans la détresse.

 

Je vous parlerais de ma campagne, l’univers où je me sentais le mieux, celle à laquelle j’étais si attaché et que j’avais pu découvrir à ma guise durant cette enfance passée dans une petite ferme du Périgord.

 

Je vous parlerai de l’environnement et des coutumes, des vieilles histoires périgourdines et des contes d’autrefois racontés par les anciens qui me fascinaient.

 

Je me montrais très tôt curieusement espiègle et cherchais toujours à me mettre dans des situations ambiguës, soit par des gestes hors du commun, soit par des actions de désobéissance qui ne pouvaient qu’entraîner des volées de bois vert.

 

Je faisais preuve dans certains cas d’un esprit un peu trop avancé pour l’époque, et ma cruauté se manifestait déjà par une certaine avertion des animaux, que je me plaisais à faire souffrir.

 

Dans la basse-cour polluée de la ferme où se trouvait une mare bordée de sureaux et de saules, je me livrais à des expériences sur les petits canards innocents.

 

J’en prenais un qui courrait derrière sa mère poule, dans la plupart des cas, pour l’immerger dans l’eau, jusqu’à ce que le malheureux ne fasse plus de bulles.

 

Je le déposais ensuite sur la berge, un peu étonné des conséquences d’un tel geste. Répétée plusieurs fois, cette opération mettait la grand-mère dans une rage excessive, car elle perdait d’un seul coup trois ou quatre canards !

 

Ces tests n’étaient pas du tout du goût d’Anaïs qui, en découvrant les cadavres, n’hésitait pas à tirer les longues boucles blondes de son Petit Jean !

 

Cette cour de ferme était extrêmement sale. Il s’y jetait la sortie des eaux usées de l’évier, de plus, les écoulements des eaux diverses du voisin Bartélemy se trouvant au-dessus, venaient s’y mélanger. Toute cette mélasse était piétinée aussi à longueur de journée, car les voisins disposaient d’un droit de passage pour se rendre au puits de la Mérillère (nom d’une parcelle de terre en contrebas).

 

S’ajoutaient à cette boue par temps de pluie, les divers excréments de la volaille et du bétail qui se décomposaient. En hiver, il valait mieux avoir une bonne paire de bottes pour se déplacer dans les parages pour traverser le tas de fumier et le purin en particulier.

 

Dans le bas, à côté du puits, se trouvait le poulailler qui avait servi de refuge pendant la guerre. Il ressemblait à une vraie petite maison bâtie à la lisière d’un bois de grands chênes et entourée d’un immense grillage pour protéger le site des prédateurs. Malgré ces précautions, le renard arrivait malgré tout à s’y infiltrer, il affolait les poules sur leur perchoir et se saisissait de ses proies.

 

Mais je reviens sur une histoire de canard. Un incident qui aurait pu tourner au drame s’est produit dans les années 50. Je conviais ma petite sœur, pour enterrer dans le jardin probablement une de mes victimes, un caneton. Je mettais en place le cérémonial, je faisais le curé et bien sûr la petite Arlette, en pleurs tenait le défunt alors que le grand frère jouait au fossoyeur.

 

Mandine Arlette, bien triste, voulut jeter au trou le cadavre du caneton, sans demander à son frère si le travail était terminé et, en se penchant en avant, elle prit sur la tête un magistral coup de pioche.

 

Pris de frayeur, je m’inquiétais et imaginais déjà le pire, d’autant plus que la blessure, de la largeur de l’outil, saignait abondamment.

J’appelais les parents au secours et tout se termina sans conséquence pour la sœur, à part la mise en place de quelques points de suture par le docteur Raleur. Pour moi, les gifles bien sèches assenées par ma mère ont marqué mes joues pendant plusieurs jours.

 

À l’arrivée de mon père, les choses se gâtèrent et les menaces qu’il proférait à table, pesaient sur l’ambiance. Il me disait qu’il ne pourrait pas me garder. « Nous allons te mettre en pension ou en maison de correction », rajoutait-il.

Il me disait souvent, avec son patois très approximatif, que j’étais une tête de bouc.

 

Je me sentais coupable et éprouvais un énorme sentiment de peur et de honte. En fait, ces discussions me traumatisaient tout en me laissant de marbre. Je ne voulais surtout pas ressembler à un tel animal qui sentait mauvais de surcroît.

 

Par ailleurs, s’il était bien une corvée que je ne voulais pas faire, c’était bien celle du berger.

En effet, partir garder les moutons comme il se disait couramment, représentait pour moi un véritable calvaire, même si bien plus tard, j’agrémentais ce travail en jouant du pipeau.

De plus, ces animaux sont idiots, même s’ils avaient assez à manger sur place, ils se déplaçaient sans cesse pour trouver encore plus de nourriture, ou tout simplement pour avancer plus loin.

 

En gardant mon troupeau, j’étais très attentif aux fourmilières que j’observais de très près, et avais la manie de retourner les pierres pour y rechercher quelques insectes particuliers.

Ma passion s’exerçait aussi vis-à-vis des lézards et bien sûr des serpents que je me plaisais à mettre en bouteille pour les ramener à la grand-mère. Vous imaginez un peu ses réactions avec à la clé toutes les histoires de sorcières du début du siècle dernier.

 

J’aimais jouer avec ce microcosme et le détruire ensuite totalement.

 

Un bout de journal dans la poche et une boîte d’allumettes prise en cachette, et le travail de nettoyage pouvait être effectué sans laisser de traces. Seule la haie voisine ou les bois attenants auraient pu propager le feu. Ces actions ponctuelles me rendaient heureux. Mais, pendant ce temps passé à mes occupations favorites, les moutons avaient fait du chemin.

 

Seuls, échappés dans les bois, ils avaient traversé la combe de Léon, rejoint le Pintrou et s’étaient dispersés un peu partout. Alertée, mémé Anaïs qui, il fallait bien le dire était la patronne en tout temps et en tous lieux venait néanmoins prêter main forte à son petit-fils, mais en vociférant et en disant tout de même en patois que j’étais aussi sot que Coutitou.

 

Susceptible, je n’appréciais pas et n’aimais pas que l’on m’assimile à un idiot, ni surtout à ce fameux gamin simplet acteur d’une histoire ancienne.

 

Coutitou, figure légendaire du Périgord, était au centre d’un conte d’autrefois. Je vous le livre tel que Grand-mère Anaïs me l’avait raconté en patois.

J’en ai donc fait une traduction approximative, en respectant le texte initial.

 

Une pauvre vieille, veuve, avait un fils qui n’était pas trop malin, il s’appelait Coutitou. Elle l’envoya chercher une bouteille d’huile et en revenant Coutitou rencontrait des gens sur son passage. Que portes-tu, Coutitou, lui demandait-on ? Et Coutitou distrait, laissait couler l’huile de la bouteille si bien qu’en arrivant chez lui, il n’en restait plus.

 

Coutitou, que tu es sot, lui disait sa mère. Une autre fois, quand tu iras chercher de l’huile, tu la porteras sous ton bras et si les gens te demandent ce que tu portes, tu leur diras que tu ne veux pas le leur dire, qu’ils sont trop curieux.

 

Coutitou, tu iras me vendre ce rouleau de toile.

Que portes-tu, Coutitou ? lui demandait-on. Je ne veux pas vous le dire, vous êtes trop curieux.

Il s’en va à l’église et dit à Saint-Antoine : je te vends ma toile, mais Saint-Antoine ne répondit pas. Saint-Antoine ? Je te la vends, car tu n’es pas curieux, tu es le plus brave des hommes, je te vends ma toile, c’est toi qui l’as. Et Coutitou retourna chez sa mère en fermant la porte de l’église.

 

Au retour, sa mère lui dit, tu as vendu la toile ? Où sont les sous. Écoute, lui dit Coutitou, je l’ai donné à Saint-Antoine parce que les autres étaient trop curieux.

 

Coutitou, va me chercher cette toile. Oui, mais la toile n’y était plus, ils l’avaient emportée.

Sa mère lui dit de porter un coup de trique à Saint-Antoine et de se mettre à sa place.

 

Sa mère partait au marché et comme Coutitou était sot, elle lui demanda de ne pas aller voir l’oie qui couvait en allant tirer à boire. Dès que sa mère fut partie, Coutitou alla voir l’oie en lui disant de ne pas le répéter. Caou… caou… caou… lui répondit l’oie et Coutitou lui tordit le cou et la déposa à côté. Il se mit à couver les œufs.

 

En rentrant, sa mère l’appela : Coutitou ? Où es-tu, Coutitou ? Je couve les œufs, répondit-il.

Que tu es sot Coutitou, que tu es sot.

 

Coutitou, lui dit sa mère, tu iras me chercher des épingles. Coutitou les mit sous son bras et il n’en avait plus dans la boîte en arrivant à la maison.

Sa mère lui dit : Coutitou, Coutitou, que tu es sot ; une autre fois, quand tu iras chercher des épingles, tu les mettras à la boutonnière.

 

Coutitou, tu iras m’acheter un cochon. Coutitou attacha le cochon à sa boutonnière et lorsqu’il arriva chez lui, il n’avait plus de gilet ni de veste.

 

Coutitou, lui demanda sa mère, tu iras m’acheter une auge pour faire manger le cochon.

Coutitou acheta une corde pour ramener l’auge et, en arrivant chez lui, le fond de l’auge était usé.

 

Coutitou, que tu es sot, mon Dieu que tu es sot !

 

Vous imaginez bien qu’en connaissant déjà cette histoire, je ne tenais pas du tout à m’identifier à Coutitou et encore moins à remplacer un palmipède pour couver des œufs.

 

Je me souviens aussi des bons moments d’enfance et de mes visites chez les voisins du moulin de Murestril où habitaient Les Rougière.

Il faut dire que le coin était plutôt accueillant. Dans l’étang, il était possible à l’époque de se baigner, c’est d’ailleurs ici que j’ai appris à nager, à pêcher la carpe et le gardon ainsi que la tanche, et en contre bas à braconner les écrevisses la nuit, un exercice que j’appréciais au plus haut point en accompagnant mon père.

 

Je trouvais du réconfort auprès de Louis et surtout de Lolette qui me donnait mon susucre. C’était le bonbon de l’époque, il faut bien le dire, et il était préférable de le croquer plutôt qu’avaler du phosphate pinard ou de l’huile de foie de morue !

Ces produits m’étaient imposés de force par les parents.

Ainsi, dès mon plus jeune âge, j’étais très maigre et atteint de rachitisme. Mais à force de me gaver de sucres et de sucreries, de fortifiants et de l’exceptionnel foie de morue, je grossissais progressivement pour arriver un peu plus tard gras comme une loche, avec des joues rondes !

Tout le monde me disait que j’avais bonne mine. J’étais mignon et gras à point lors de ma première communion.

 

Le travail essentiel de Lolette Rougière consistait à garder son troupeau d’une trentaine de vaches dans les champs de part et d’autre du moulin. Je me souviens de la gentillesse de cette fille, de son dévouement, de son attachement à la grand-mère Anaïs qui l’avait initiée au tricot et au cardage de la laine. Je la voyais de temps à autre aujourd’hui, mais hélas elle nous a quittés.

 

Par contre, son frère Milou avait la manie de faire peur en racontant des histoires de loup, ou tout simplement en imitant le cri de ces animaux !

 

L’étang de Murestril fut longtemps un lieu de rencontres pour la jeunesse du voisinage ou des villages assez proches de la ferme du Claidier.

 

Mon ami Raimondo Lamini représentait les plus grands et c’était le caïd.

Il plongeait d’une façon impressionnante et ramenait des serpents pour nous faire peur. C’était un garçon charmant surtout avec les filles et c’est toujours avec un grand plaisir que je le rencontrais aujourd’hui pour écouter ses histoires grivoises, mais surtout cochonnes.

De plus, grand collectionneur de fossiles devant l’éternel, il était devenu, en outre, un spécialiste incontesté de la préhistoire d’une part et du méchoui de l’autre. Malheureusement, il nous a quittés lui aussi. Je ressens un respect exceptionnel pour ce garçon, un vrai symbole d’amitié.

 

Par ailleurs, Raimondo n’a jamais caché ses origines italiennes, contrairement à certains qui préféreraient se faire passer pour des Corses, et ce n’est pas pour cela que nous ne l’aimions pas, bien au contraire. De plus, il avait su se faire apprécier, tout simplement.

Il y avait aussi les filles Barthelemy, en particulier ma copine Janie qui retrouvera plus tard ici son amoureux Michaël.

 

À Murestril, après la fin de la guerre, un Allemand était resté là comme employé agricole, et je me suis toujours demandé pourquoi cet homme avait quitté les siens.

 

Lors de la débâcle allemande, avait-il peur ou honte de rentrer chez lui ? Il était peut-être l’un de ces pacifistes allemands qui avaient si courageusement lutté contre le nazisme. Avait-il eu une aventure amoureuse dans le secteur, le mystère restait entier pour moi.

 

***

 

Avant d’aller à l’école à Sainte-Alvère, dans ma cinquième année, j’ai dû affronter une enfance relativement perturbée.

 

Les relations entre les grands-parents paternels qui affichaient nettement une préférence pour leur second fils Robuste, les histoires de politique lors des repas de famille, me traumatisaient et je me demandais bien pourquoi les gens pouvaient se fâcher, et faire autant de cinéma pour rien.

 

Mais, les rapports entre les deux familles n’étaient pas rompus pour autant, car ces altercations avaient souvent lieu sous l’emprise de l’alcool. Le grand-père Cabochon exerçant sa profession de facteur devait boire un verre de rouge dans chaque maison lors de sa tournée qu’il effectuait à pied, et il ne manquait pas de vin à la maison.

 

De sa vigne, cultivée avec amour et située sur les hauteurs de Limeuil, le grand-père faisait plusieurs barriques de vin destinées à sa propre consommation et à celle de Robuste bien entendu. Quant à Jean René, mon père, il n’y avait pas droit, puisqu’il était agriculteur et sensé posséder du même breuvage de base.

 

En rentrant de sa tournée, Guignol zigzaguait souvent, la musette en bandoulière sur le côté, avec parfois la verge sortie pour pisser en marchant et ainsi ne pas perdre de temps pour rentrer à la maison.

 

Il faut bien dire que la Nénette l’attendait de pied ferme et ne se gênait pas pour lui mettre une trempe si le besoin s’en faisait sentir et cela arrivait souvent. Pour se défendre, il rétorquait parfois « arrête, arrête Nénette ou je te mets la tête dans le placard », mais heureusement, il n’était jamais méchant.

 

Il y avait la petite mémé Anna, mon arrière-grand-mère paternelle, mais elle ne faisait pas de bruit et paraissait craintive vis-à-vis de sa belle-fille. Elle passait ses journées assise sur un banc au pied de l’enceinte du château, en observant les va-et-vient de population et de visiteurs.

C’était une femme d’une gentillesse remarquable et très douce.

 

La Nénette exerçait son autorité aussi sur sa mère. Elle l’hébergeait, car la pauvre femme était aveugle. Malgré ce handicap, sa fille ne se retenait pas pour lui infliger de bonnes paires de gifles, en particulier lorsqu’elle ne voulait pas manger.

 

Ces scènes traumatisantes pour un petit garçonnet me serraient le cœur et apparemment personne ne se rendait compte de rien ou c’était la loi du silence. Y avait-il seulement des témoins occasionnels ? J’étais honteux de cette situation, et de devoir garder ce secret en moi.

Il faut tout de même dire que battre sa mère pour un enfant est un acte infâme, mais de surcroît si elle est aveugle, cet acte ignoble est un délit grave.

 

***

 

Je fus très affecté et traumatisé lors de la maladie de mon père Jean René.

Au moment du déclenchement de sa dépression, j’assistais à des scènes d’une rare intensité qu’il m’est bien difficile d’évoquer aujourd’hui.

 

Comme dans toute maladie nerveuse, mal maîtrisée à l’époque, le vocable utilisé par l’entourage était la folie. La dépression nerveuse était mal ressentie, vue comme un mauvais mal incurable. C’est dans cette ambiance que j’ai dû affronter l’absence de mon père pendant un temps important puisqu’il fut hospitalisé à Bordeaux à l’hôpital St André durant de longs mois. Allez donc savoir si cet enfer n’a pas contribué à me faire vivre plus tard, des situations analogues.

 

Au tout début de la maladie, j’assistais aux courses poursuites pour rattraper mon père qui voulait s’enfuir. Mon Papa avait complètement perdu la parole, mais il effectuait malgré tout quelques tâches quotidiennes.

 

Je me souviens d’un retour des bois où les hommes étaient partis chercher une charretée de litière. Noë et Jean René n’échangeaient pas un seul mot et je ressentais bien que je vivais un moment terrible de ma vie d’enfant.

J’assistais aussi aux courses interminables pour rattraper mon père qui s’enfuyait avec son fusil. Le reste de la famille n’avait qu’un seul but, celui d’éviter le pire.

Enfin, mon père fut hospitalisé dans un service spécialisé à Bordeaux, où le traitement miracle de l’époque consistait à lui faire subir des électrochocs violents. Une période de galère allait commencer pour la famille Cabochon et en particulier pour ma mère.

 

Après avoir supporté beaucoup de chagrin et de peines, Lisette ma mère gagna son pari. Elle réussit à faire réintégrer son mari à la ferme familiale, après bien des péripéties. En exemple, son évasion de l’hôpital pour rejoindre la gare de Bordeaux où il tenta de vendre sa montre pour prendre le train et regagner son domicile.

Il n’y parvint pas et décida alors de suivre les voies ferrées en direction du Périgord. Heureusement, il fut intercepté par les forces de l’ordre vers les tunnels de Lormont. Ce fait divers avait fait l’objet d’ailleurs d’un article de presse.

 

Je me souviens bien de ce retour, car ma mère Lisette, pour faire plaisir à son mari, avait fait l’acquisition d’un poste de TSF. À l’époque, c’était un sacrifice financier, car l’appareil était beau, de marque Schneider, et il fonctionne toujours aujourd’hui entre les mains de mon fils Bibiche Jean-René.

 

Voguer de souvenir en souvenir est une chose facile, en assurer la chronologie est une autre affaire et me demanderait une réflexion approfondie et beaucoup de patience. Comme cette dernière n’est pas ma vertu essentielle, vous voudrez bien me pardonner si je vous livre ces souvenirs au gré de mes pensées.

 

En effet, je ne suis pas calme du tout, malgré les apparences, surtout avec mon chien que je dresse systématiquement à l’attaque contre les chats et les rats.

Les roubis11 étaient aussi des animaux que je n’appréciais pas.

Je me plaisais à les manipuler pour entendre leurs cris stridents et désagréables. Je les sortais des lapinières, où leur rôle consistait pourtant à protéger les lapins contre les rats, pour les jeter en l’air. En retombant, vous imaginez un peu la complainte des cochons d’Inde qui n’appréciaient pas du tout cette gymnastique forcée.

 

Mon chien assurait en même temps la garde du troupeau de moutons et j’aimais bien mater le bélier, surtout lorsqu’il voulait devenir méchant. Je commandais le chien qui faisait courir la bête jusqu’à épuisement. Lorsqu’elle était mise à terre, je la saisissais enfin et m’en servais de cheval pour remonter le coteau.

En arrivant à l’étable, vous pouvez être sûr que le bélier n’avait pas envie de charger !

 

L’attitude d’un bélier est imprévisible, il attaque toujours en traître par-derrière, ou sur le côté. Pour cette raison, je détestais cet animal infâme.

 

Dans certaines circonstances, contrairement à mes habitudes, je me plaisais à garder les moutons dans les tertres à proximité des champs de céréales.

Lorsque ma jeune voisine Janie m’accompagnait, j’étais heureux de pouvoir jouer au papa et à la maman, mais j’en espérais beaucoup plus. Parfois, j’entraînais la petite dans un champ de blé ou d’avoine.

 

Je la faisais coucher, et lui demandais de me montrer sa culotte.

Un jour, elle semblait réticente, et je lui dis : « Si tu me montres ton zizi, je te montrerai ma quéquette » et la petite répondait à mes sollicitations sans s’opposer, mais je la sentais gênée, elle le faisait vraiment pour me faire plaisir !

 

Les meilleurs moments passés ensemble avec Janie étaient bel et bien dans mon lit, mais il fallait pour cela que je sois victime d’une angine ou d’une vilaine rhino-pharyngite et qu’elle me rende visite. Là, c’était le pied, car elle rentrait gentiment près de moi sous les draps et je lui faisais enlever sa culotte pour mieux lui caresser le zizi. Nous devions avoir six ou sept ans, et les parents n’avaient pas grand-chose à surveiller ni à craindre !

 

Ma petite sœur Arlette que j’avais bien acceptée devait avoir à ce moment-là au moins deux ans, et en vilain garnement, je la faisais parfois pleurer sans raison.

 

Depuis ma plus jeune enfance, je me sentais attiré par le sexe opposé. S’il était des petits garçons qui ne voulaient pas se marier, ce n’était pas mon cas. Déjà à l’âge de quatre ou cinq ans, je voulais me marier avec la fille d’un coiffeur de Limeuil, Magalie Vignette qui nous a aussi quittés pour l’au-delà.

 

Un camarade d’enfance avec lequel j’entretenais des liens très amicaux s’appelait Georget, surnommé zazou, fils de nos voisins Cabriduche qui habitaient la ferme de La Bordelle.

 

Zazou ne parlait pas un seul mot de français, et les conversations entre nous ne posaient pas cependant de problèmes particuliers, les échanges avaient lieu en patois.

 

Je me souviens bien de la ferme de la Bordelle, et surtout de la pièce commune, véritable cuisine périgourdine pas souvent nettoyée, seulement balayée de temps en temps. Sur le sol en ciment gisaient de vieux journaux, des boîtes de sardines à l’huile vides, des épluchures de légumes et des excréments de poule ou de canard qui circulaient là comme dans leur basse-cour.

 

Sur la cheminée, les pots en faïence, les boîtes en fer et les lampes à pétrole étaient recouverts d’une épaisse couche de gras jaune, et le lampirou12 habituel en cuivre ne brillait pas beaucoup. Sur les buffets, étaient entreposés pêle-mêle des tas de choses comme dans un souk.

 

Dans cet environnement, je ressentais un peu d’appréhension lorsque j’étais invité pour une collation, car j’avais l’habitude chez mes parents de déjeuner sans problème. Malgré tout, je me laissais aller pour déguster les bonnes tartines de grillous13 de cochon étalées sur du pain chaud, grillé à même la braise de la cheminée.

Parfois, j’arrivais à convaincre Zazou que les rillettes seraient bien meilleures si elles étaient sucrées. Lorsque sa mère, Mathilde, s’apercevait de la supercherie, elle riait aux éclats et criait comme à son habitude d’une voix stridente.

 

Gaëtan Cabriduche, plus calme, riait aussi, mais d’une façon très particulière. Il émettait des sons bizarres saccadés, accompagnés d’un hochement de la tête sur le côté. Ces mimiques se terminaient toujours d’ailleurs par la mise en évidence d’un tic qui consistait à écarter les deux joues pour montrer les dents.

 

À cette époque, la solidarité entre voisins s’exprimait par une aide-permanente pour effectuer les travaux répétitifs.