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"Avant de partir" raconte un parcours de vie marqué par de multiples turbulences. Ce témoignage retrace l’histoire d’un homme reconnaissant envers sa mère, ses grands-parents et ses enfants, dont les racines familiales ont forgé une personnalité étonnante et quelquefois difficile. Cet ouvrage propose des solutions efficaces pour dépasser la perte d’un être cher et construire un bonheur stable.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Antoine Grandjacques s’est épanoui pendant plusieurs années dans la pratique médicale. En étant au service de l’humain, il nourrit le projet d’écrire pour transmettre l’histoire des familles et des personnes qu’il a côtoyées tout au long de sa vie. Ce livre s’inscrit donc dans cette démarche et marque sa première expérience en tant qu’auteur.
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Seitenzahl: 307
Veröffentlichungsjahr: 2024
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Antoine Grandjacques
Avant de partir
© Lys Bleu Éditions – Antoine Grandjacques
ISBN : 979-10-422-1778-5
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Darwin nous a convaincus que nous sommes (avec les animaux) issus des racines de l’arbre commun du « vivant » dont nous n’appréhendons pas encore toute la « profondeur », la complexité des évolutions « génétiques » au fil du temps et des capacités d’adaptation au « milieu » qui déterminent l’habilité de chaque nouveau sujet à survivre en tant qu’espèce. Ce que nous décrivons comme notre « généalogie » nous situe sur des rameaux spécifiques de cet arbre au sommet duquel l’émergence du phénomène de « conscientisation », décrit par Teilhard de Chardin1 comme la « flèche » d’une évolution naturelle est venue ajouter dans notre espace de liberté (pour le meilleur ou pour le pire) des paramètres sociaux et culturels dépendant de nos croyances et de nos « savoirs », mais aussi des circonstances qui ont pu modifier, de façon quelquefois transmissible, nos comportements. Comme l’indique le titre de cet ouvrage, j’ai voulu, avant de quitter ce monde, rapporter avec mon histoire personnelle, celle de mes ascendants familiaux et de leurs comportements liés aux paradigmes sociaux et culturels des dix-neuvième et vingtième siècles qui ont remplacé la sélection millénaire de la « Naissance et du Nom » par celle d’une hiérarchie de classes fondée sur la réussite sociale et le respect de certaines « obligations sociétales » tant « morales » ou religieuses que politiques. Le XXIe siècle, que nous vivons, semble quant à lui se polariser sur le « primat » d’une liberté individuelle où tout devient possible pour chacun, au risque, si l’on oublie que cette liberté doit trouver sa limite dans celle d’autrui, de redevenir, au sens le plus primitif de l’évolution darwinienne, une « loi du plus fort ».
Ces quelques mots d’introduction ont pour objet de souligner le fait qu’il faut situer les événements et les comportements que je vais rapporter dans leurs contextes socioculturels, qui ne sont plus les nôtres. Les deux exemples dont j’anticipe ci-dessous une évocation abrégée fourniront, me semble-t-il, une assez bonne image, de cet impératif. Le premier de ces exemples est fondé sur la « prise en charge » d’un événement historique et de sa chronologie. Il concerne le fait qu’en 1940, notre gouvernement éperdu par la débâcle militaire de nos armées s’est, en démissionnant, défaussé de sa responsabilité au « profit » d’un vieux maréchal de 84 ans, retraité depuis plus de 20 ans, appelé pour sauver ce qui ne pouvait alors plus l’être. Appelle-t-on le grand-père lorsque le tueur est déjà dans la maison ? Le second exemple, fondé au plan moral sur la « bienséance » religieuse et villageoise du moment (1940-44), concerne au sein même de ma famille, le refus d’accueillir, dans ce qui était un refuge de guerre, une fille aînée veuve depuis longtemps, mais irrecevable du fait du caractère « illégitime » de son enfant de quelques mois… Refus qui, peu de temps après, a créé l’occasion de la mort de la mère et de son enfant… Comment ne pas souligner l’absurdité morale de cet exemple en rappelant que, dans le précédent « monde », condamné pour son esprit de « castes », la « barre de bâtardise », qui soulignait sur un « blason » l’illégitimité d’une naissance, ouvrait en considération du nom du géniteur2, les portes de la « noblesse » et de l’accès aux fonctions qui lui étaient réservées. Il me paraît essentiel à la lueur de ces circonstances, de ne retenir pour mon récit, que l’aspect factuel des comportements, sans en discuter les motivations imposées dans le contexte sociopolitique du moment, à des acteurs qui ont pu souffrir tout le reste de leur vie des conséquences de leurs choix.
Pour compléter cette préface, il me faut encore souligner que, hors la pression « villageoise » à laquelle ils n’ont pu se soustraire, c’est grâce à l’action généreuse de ces acteurs (mes grands-parents) que ma famille a bénéficié d’un refuge éloigné des horreurs de la guerre. Je suis sur ce dernier point conscient du fait que c’est à eux que je dois la petite enfance « normale » et heureuse que je vais raconter. Enfance qui n’a pas été, dans cette douloureuse période, partagée par le plus grand nombre de mes « congénères » (au sens étymologique du terme).
Si je veux, comme Einstein, croire que « Dieu »3 ne joue pas aux dés, je suis convaincu qu’il laisse une place au « libre-arbitre » de ses créatures. Amour et Hasard, qui sont deux diablotins malicieux, interviennent sans doute dans ce domaine en se moquant des idées reçues autant que des préjugés sociaux qui viendront souvent en « doublure » de cette histoire dans la société « de classes » du début du vingtième siècle. Le rapprochement de deux familles, que tout aurait dû séparer, a certainement été le résultat d’un tour de ces deux compères. Je parle ici des rameaux directs de mes deux lignées parentales auxquelles pour la clarté du récit, je dois ajouter l’incidence très particulière et importante du parcours hors du commun de ma grand-mère paternelle et de son fils… mon père. Il me faut maintenant, comme au théâtre, « planter » le décor avant d’ouvrir le rideau et de présenter ces acteurs familiaux dans l’ordre de leur apparition sur la scène de mon existence qui a débuté en juin 1937… Vous devinerez certainement très vite vers laquelle de ces « branches » va ma sympathie.
Du fait de la captivité qui lui a été imposée de 1939 à 1945, je n’ai connu réellement mon père et sa famille qu’après l’âge de huit ans. Ma petite enfance, à partir de sa deuxième année, s’est déroulée sous l’égide de ma mère et de ses parents. C’est la raison pour laquelle j’entrerai dans ce récit avec ma lignée maternelle dont la généalogie4 permet de suivre la trace depuis le moment (XVIe siècle) où un Surgeon venu de Catalogne 5après une escale en Languedoc, s’est installé à Bargemon, dans le Haut Var, pour n’en plus « bouger » jusqu’au début du siècle dernier.
Découvrons tout de suite ce village qui aurait, le 17 mars 1635, été le lieu d’une « apparition » de la Vierge guérissant une dame « Caille »6. L’évêque de Fréjus ayant admis dès 1641 le caractère miraculeux de cette apparition baptisée « Notre-Dame de Bargemon », le village était devenu un lieu de pèlerinages si fréquenté que le roi Louis XIII dut imposer un décret pour en réglementer l’afflux7. Hors cet événement miraculeux et aussi loin que l’on remonte Bargemon, bénéficiant en moyenne altitude d’un ensoleillement généreux, semble, hors la « saignée » de la « Grande Guerre », illustrée sur son monument aux morts, avoir vécu une histoire sans événement très marquant. Les hommes y étaient agriculteurs (et souvent braconniers), ils actionnaient aussi dans ce cadre d’activités, de nombreux moulins (à huile, à farine ou à foulon) animés par un réseau hydraulique bien entretenu. Cette « familiarité » de la terre et de ses métiers s’exerçait dans un tissu social et politique marqué par la qualité dont témoigne encore, tant pour la forme que pour le fond, la surprenante pertinence des « cahiers de doléances » rédigés par cette population « agraire » à la veille de la révolution et bien avant l’école républicaine de Jules Ferry. À partir du XVe siècle, Bargemon a aussi abrité une activité quasi industrielle, dévolue pour l’essentiel à sa population féminine : l’élevage du « magnan »8. Cette chenille jaunâtre, d’un peu plus d’un centimètre n’est autre que le ver à soie qui produit un filament continu dans lequel il s’enroule pour former le « cocon »9, un abri où il se transforme en papillon. Récupéré en ébouillantant ce cocon avant une éclosion qui le détruirait, ce fil d’une étonnante longueur10 constitue le matériau de la « soie naturelle »11…
Dans cette chaîne industrieuse, un nombre de cocons était préservé jusqu’à l’éclosion d’un papillon très vulgaire12 dont la femelle pond, dès ce moment, ses œufs alors désignés comme des « graines ». Ces graines devaient être « couvées » pour maintenir la ressource d’un élevage qui était pour l’essentiel le travail des « Magnanarelles », dont la « Mireille » de Charles Gounod13 perpétue le souvenir. Ces jeunes femmes avaient, outre le traitement des cocons, le « nursing »14 des graines transformées par leurs soins en « magnans », chenilles voraces, pour qui elles avaient la charge de cueillir les feuilles de mûriers dont ils se nourrissent à l’exclusion de toute autre provende.
Marquetant, d’un vert sombre et luisant, notre Provence peuplée d’oliviers et d’amandiers plus clairs, le feuillage de ces mûriers plantés par millions en France dès le début du XVe siècle15 rappelle cette industrie locale abandonnée depuis longtemps au profit de celle de grandes villes productrices de soieries artificielles et importatrices de soies « naturelles » de lointaines origines.
C’est plus tard, vers la fin du XVIIIe siècle, que les besoins croissants des armées 16et la proximité de nombreuses tanneries 17ont suscité, à Bargemon, l’installation d’ateliers de chaussures créant dans le village, jusqu’à 700 emplois de cordonniers. Emplois souvent « squattés » par des ouvriers italiens si travailleurs et compétents que « prenant le travail des français », ils étaient mal considérés18 et traités de manière intraduisible de « piantous » ou de « bâbbis ». Stable depuis la révolution où elle avait été comptée autour de 1600 habitants (sans doute lors des états généraux), la population de Bargemon a été marquée en 192119 par un « creux » de 1071 unités, conséquence des « tueries » de la « Grande Guerre ». Depuis ce moment après un « plus bas » de 812 habitants (1975), cette population s’élève de nouveau (1349 en 2018), en partie sans doute grâce au « charme » du village qui aurait été quelquefois surnommé « la perle du Var ».
Antoine, mon grand-père maternel, né dans ce village en 1881, était fils d’un ouvrier « journalier », tout petit propriétaire d’une centaine d’oliviers situés autour d’un « bastidon » 20privé de toute ressource en eau hors celle de sa petite citerne.
Écrasé à cinquante ans par le moulin où il était employé, cet homme avait laissé trois enfants (Antoine, 10 ans et ses deux sœurs de moins de six ans) dans le tout petit domaine où ils ont été élevés sans autres ressources que l’amour de leur mère et l’action de leurs jambes qui les conduisaient chaque jour à l’école, distante de plus d’un kilomètre. Seul homme de la famille, Antoine avait, dès que possible, dû passer de l’école à un emploi rémunéré dans « la chaussure ». Je raconterais comment, après son mariage avec Julie et la naissance de leurs trois enfants cet Antoine, échappant à la « grande guerre », a su, nanti d’un minimum scolaire, entamer une migration « commerçante » en plusieurs étapes qui le conduisirent à une relative aisance matérielle.
C’est dans les années 1930 que cette « migration » avait, comme nous le verrons, conduit Antoine et Julie à Toulon où ils habitaient, dans la « haute-ville », un immeuble haussmannien de la rue « Gimelli » toute proche de la gare. Dans cette rue, habitait, en vis-à-vis, « Mémère », veuve depuis 1929, de « Pépère » adjoint au maire et professeur agrégé d’italien. Enseignant « laïcard », ce Pépère avait, toute sa vie, déclaré son profond mépris pour toutes activités commerçantes. Pour lui, comme pour Charles Péguy21, l’argent, objet du « marché », était un diable dont il a transmis à sa famille, et pour longtemps, la détestation. Son petit-fils aîné, Ange-Toussaint, mon père, venait, de temps en temps, rendre visite à Mémère.
Ces visites furent pour lui, l’occasion de croiser Jeanne, qui venait chaque jour puiser l’eau fraîche d’une fontaine publique aujourd’hui disparue depuis très longtemps… Ils avaient tous deux un peu plus de vingt ans et Jeanne était bien jolie… si bien que les visites à la grand-mère et les « corvées d’eau fraîche » se multiplièrent.
Cette histoire romantique et bien banale que je tiens de ma sœur (qui la tenait de notre mère) n’a rien d’une fable et conduisit, en octobre 1936, au mariage de Toussaint et de Jeanne, nos parents. C’est ainsi que les « jeux de l’amour et du hasard » ont, avec celui de l’eau fraîche, permis la conjonction de deux familles dont les parcours sociaux et les options morales (que nous décrirons mieux) rendaient très improbable un quelconque rapprochement. Mon arrivée sur cette planète, en 1937, résulte de cette rencontre et ouvre la porte de ce récit.
Deux images, quasi photographiques, constituent mes premiers souvenirs. C’était au début de 1939 et j’avais moins de trois ans, mon père, mobilisé en septembre de la même année, y est encore présent. La première de ces images est celle d’un Noël, sans doute celui de mes deux ans. Je revois, perchés l’un au-dessus de l’autre sur une « sellette » de bois clair, deux chiens en peluche, un noir et un blanc, exactement semblables. Ils étaient fabriqués par « Papa » dont je n’ai su que bien plus tard les multiples talents et l’extraordinaire parcours d’une enfance marquée, à l’âge de 2 ans, par la mort de son père qui n’en avait alors que 22.
J’ai su depuis que nous habitions alors au quartier des « Moulins », dans la banlieue ouest de Toulon, un petit immeuble toujours existant. Je revois clairement la cuisine et la pièce de séjour, chichement meublées, de « notre maison » qui devait comporter en outre une, ou, sans doute, deux chambres.
Mes parents, ma petite sœur Colette (arrivée en 1938), et moi vivions là, du très modeste salaire de notre père alors « manœuvre » à l’arsenal maritime de Toulon. Ma seconde image un peu plus tardive reste immortalisée par une photo sur laquelle je regarde mon père accroupi face à moi, devant notre maison. Il me tient par la main. Je ne pouvais rien en savoir à ce moment, mais la guerre était déclarée, il était mobilisé et allait partir. Je ne le reverrai plus de cinq années à l’exception, quelques mois plus tard, d’une journée racontée par ma mère qui l’avait rejoint avec moi dans un « cantonnement » voisin de Nice d’où il devait repartir pour le « front ». Ce court moment restait pour « Maman » un souvenir très fort dont elle m’a souvent parlé, puisque je l’avais partagé… Mon insouciante mémoire d’enfant n’en a hélas rien gardé, mais son regard sur une photographie de ce moment, retrouvée après sa mort, et où je suis dans ses bras, me crie un bonheur que l’image fanée rend toujours évident à mes yeux.
C’est pour répondre à l’invasion de la Pologne par les armées hitlériennes que, le 3 septembre 1939, la Grande-Bretagne puis la France se sont, le même jour, déclarées en guerre contre l’Allemagne. Lancée 4 jours plus tard, une tentative française de percée offensive dans la région de la Sarre se heurtait à une défense « passive » du type « terre brûlée » et minée, sans véritable opposition militaire active. Hésitant à s’engager « trop loin » et sans support logistique suffisant, le haut commandement français abandonna cette « offensive » 22 après une dizaine de jours. Ce très court « prologue » militaire a été suivi d’une période de 9 mois pendant laquelle les nations « belligérantes » sont, de part et d’autre, restées l’arme aux pieds sans s’affronter. Pendant cette « parenthèse » que l’histoire a qualifiée de « drôle de guerre », la France organisait la mobilisation générale de ses forces (dont celle de mon père) cependant que la Grande-Bretagne détachait en appui, au-delà de la frontière franco-belge, un corps expéditionnaire de près de 300 000 hommes représentant environ 10 % de la totalité des forces engagées « dans ce conflit ».
La débâcle militaire française et le « repli » de Dunkerque
Nos stratèges du moment, persuadés qu’à l’exemple de 1914 les Pays-Bas seraient l’axe le plus probable d’une offensive allemande, y avaient regroupé le gros de leurs défenses23. La voie d’une invasion à travers la forêt des Ardennes, considérée par ces mêmes stratèges comme impénétrable à toute offensive, fut de ce fait beaucoup moins bien défendue. C’est le 10 mai 1940 que l’Allemagne Nazie lançait son offensive sur ces deux fronts : celui des Pays-Bas24 où ils étaient donc attendus, mais aussi celui de cet « infranchissable » massif des Ardennes, où ils l’étaient beaucoup moins. Sur ce second « front », l’assaut combiné, en « blitzkrieg »25, d’une puissante force blindée précédée d’une violente attaque aérienne et appuyée par une infanterie parfaitement entraînée fut irrésistible. L’armée française, alors réputée la meilleure du monde, mais certainement pas la mieux préparée à cet événement, s’est ainsi rapidement retrouvée, dans le « défilé des Ardennes », au bord puis en pleine débâcle… Un mois plus tard (le 14 juin), les Allemands entraient dans Paris par cette voie après une retraite de nos forces transformée en exode où nos populations civiles et militaires se repliaient, par tous les moyens disponibles, vers l’ouest, pour constituer la « poche » de Dunkerque où se sont rassemblées dans le port et sur les plages, nos troupes en déroute venues tant de l’est que du nord où le corps expéditionnaire britannique avait été refoulé en quelques jours sous une poussée allemande écrasant la Belgique. La remarquable organisation britannique d’un « pont de bateaux » de toutes tailles, tant civils que militaires a permis entre le 26 mai et le 14 juin 1940, « d’exfiltrer » vers l’Angleterre sous un déluge de feu allemand, tant aérien que terrestre, 338 226 hommes comprenant, outre 198 000 britanniques, environ 139 997 français et 16 816 belges26. Cette importante « exfiltration » a pu s’effectuer sous la protection héroïque d’unités essentiellement françaises 27revenues du nord et protégeant Dunkerque de l’assaut allemand. Dans les semaines qui suivirent, 191 000 autres combattants alliés (dont 144 171 Britanniques) purent aussi être évacués vers la Grande-Bretagne depuis les ports français du sud-ouest28 qu’ils avaient pu rejoindre.
Le Maréchal Pétain, l’armistice, ses conséquences politiques
C’est après cette « débâcle » qualifiée par Winston Churchill de « Désastre militaire colossal » que le vieux maréchal Pétain (84 ans), gloire militaire de la Grande Guerre, fut appelé (16 juin 1940) par le président de la République sur proposition de son Premier ministre démissionnaire Paul Reynaud, à prendre la tête du gouvernement29. Plutôt que d’être réduit à une capitulation30 qui aurait immédiatement entraîné sous la « Botte Nazie », l’occupation de tout le territoire national (et la mainmise sur notre très puissante force navale31), le maréchal Pétain décidait alors32 de négocier une convention d’armistice, signée le 22 juin suivant, dans le wagon où l’avait été celle qui marquait notre victoire de 1918. Exigés par une Allemagne victorieuse qui ne pouvait avoir oublié les « réquisitions » comparables qui lui avaient été imposées en 1919, 33les « termes » de cette « convention » furent acceptés dans la mesure où ils « promettaient » de ne pas outrepasser des limites définies par le chef de l’État français34. Dans ce cadre, la France était divisée en deux « zones », une « moitié » nord (52 % de son territoire) serait militairement occupée cependant que le « reste » non occupée militairement, serait, sous « son propre gouvernement », qualifié de « zone libre ». Une liberté dont la considération des forces en présence et de leur état préjugeait forcément de ses limites d’autant plus étroites que les textes définissant les clauses d’armistice35 soulignaient déjà qu’elles étaient appliquées dans une Europe sous contrôle « Nazi »36. Les termes de cette convention définissaient, dans son article 4, les prérogatives « militaires » de la France non occupée et dite « libre » ainsi que celles de son « Empire » :
Cependant et sur ce point, compte tenu du débat que n’a cessé d’entretenir une « arrière-garde » politique, trois remarques peuvent être retenues qui marquaient, pour nous, quelques « intérêts ».
1) Bien que la ligne de démarcation entre les deux « zones » soit étroitement surveillée, la partie « non occupée » de la France jouxtait, par son extrémité sud-ouest, la frontière espagnole dans une zone montagneuse difficile à contrôler. Cette particularité a permis, non sans risques, le passage en Espagne puis en Grande-Bretagne de nombreuses personnalités qui ont rejoint la France libre du général de Gaulle40.
2) Une plaque gravée sur le mur d’un édifice municipal du village de Sanary, sur la côte varoise, rappelle une liste de personnalités juives allemandes (dont l’écrivain S. Zweig) qui fuyant l’antisémitisme nazi s’y étaient déjà réfugiées.
3) Jacques Raphaël-Leygue rapporte41 une note de l’amiral Darlan retrouvée, après son assassinat, dans son bureau : « L’armistice a permis à la France (…) de rester en contact avec la partie la plus importante de l’empire. Si Hitler avait 42continué jusqu’au bout l’invasion de la France, il aurait pu conquérir, sans grandes difficultés, l’Afrique du Nord et organiser solidement un front ouest avant la fin du printemps 1941 ».
Pendant les cinq années qui suivirent, mon père, prisonnier dès la mi-juin 1940, vivra quelque part en Bavière, dans un stalag43 où il sera employé comme ouvrier agricole, dans une ferme où le seul homme présent semble avoir été le grand-père de 75 ans, les autres étant évidemment mobilisés.
Antoine et Julie, mes grands-parents ont, pour cette longue période de la guerre, constitué notre tutelle familiale. Ayant vécu la Grande Guerre44 et conscients des risques de l’ouragan qui se préparait, ils décidèrent rapidement pour nous éloigner des zones qu’ils pensaient à risque (le port militaire de Toulon en était), de nous entraîner dans un exode familial. Maman, ma sœur et moi avons vécu les trois étapes de cet exode cependant que Raphaëlle et ses enfants pour de funestes raisons que j’exposerai plus loin n’en vécurent que les deux premières. Félix, le frère aîné, poursuivra pendant toute la guerre son activité dans la restauration en « zone libre ».
La première étape, Fréjus
Nos grands-parents possédaient, à Fréjus et tout près de la plage, un joli cottage, flanqué d’une terrasse et d’un jardin, qu’ils avaient appelé « Feraja »45. Nous y avons retrouvé Raphaëlle et son fils Jean, exactement de mon âge, qui restera le compagnon de toute mon enfance, un frère plus qu’un cousin. Avec lui, dans cette maison, nous avons fait les 400 coups, dont les plus marquants auraient été le bombardement à coup de tomates mûres de la façade du voisin que nous n’aimions pas et l’arrachage, pour les jeter dans le puits, des plants de salade fraîchement repiqués par notre grand-père (que nous adorions)… Nous sommes alors passés près du coup de pantoufle dont il nous menaçait souvent, sans jamais l’exécuter.
Quelque temps après46, prenant conscience du fait que la base aérienne militaire voisine de notre maison pouvait constituer une cible de choix pour la Luftwaffe, la décision fut prise de nous en éloigner.
La deuxième étape, Saint-Raphaël
Nous allâmes à St-Raphael où Antoine avait acquis (comment ?) une belle maison à proximité de l’hippodrome de Valescure, en face d’une grande écurie où restaient quelques chevaux, un palefrenier et de nombreux mulots. De ce nouveau séjour, à peine plus long que le précédent, me restent de nombreuses images d’une vie de famille banalement heureuse dont quelques épisodes ont marqué ma mémoire : j’entends encore, à la radio, les discours du vieux maréchal Pétain de sa voix lente et solennelle, un peu chevrotante et quelquefois prophétique : « Je fais don de ma personne à la France, pour atténuer son malheur. »47,puis aussi : « Français, vous avez la mémoire courte. »… Nous défilions avec l’école maternelle, agitant de petits drapeaux aux trois couleurs en chantant « Maréchal nous voilà… ». Sa voix et cette chanson nous rassuraient sans doute dans ce que nous percevions de l’angoisse de notre mère et de nos grands-parents. Les marches du large escalier conduisant au vestibule de notre belle maison constituaient un piège où ma sœur, encore petite, tombait souvent. Le bruit sourd de cet accident suivi de la course de Maman marquent ce souvenir. Je revois alors Colette, le front décoré d’une bosse qui bleuissait à vue d’œil. Maman la traitait par l’effet de ses bras, qui arrêtaient les larmes, et par un emplâtre de beurre et de sel que comprimait une pièce de monnaie, maintenue par un bandage, qui devait réduire la bosse… À bien réfléchir, il me semble aujourd’hui qu’il ne pouvait s’agir de beurre, déjà bien rare, mais plutôt de margarine, d’apparition récente et probablement tout aussi efficace… M’interpelle aussi l’épisode des oreillons, affection assez désagréable, mais compensée par le fait que je restais à la maison et couchais dans la « grande chambre ». La fraîcheur délicieuse de la main de maman vérifiait sur mon front, matin et soir, l’évolution de la « fièvre »… Sans oublier non plus le délicieux petit verre de vin (et d’eau) sucré qui devait me servir de « fortifiant » pour combattre la maladie… Un autre souvenir amusant : celui de mon grand-père (Antoine) goûtant, pour l’exemple, l’huile de ricin qu’il prétendait nous faire avaler puis disparut aux toilettes dans la seconde.
Il n’a plus jamais essayé de nous convaincre. La mémoire olfactive, si prégnante, me rapporte aussi de ce moment une odeur particulière surpassant la senteur spécifique et puissante de l’écurie d’où elle provenait : c’était celle, délicieuse, du ragoût que mitonnait devant sa porte, sur un brasero improvisé, le palefrenier d’en face… mon grand-père m’expliqua qu’il cuisinait ainsi les nombreux mulots colocataires de son écurie. Cette réminiscence dont l’eau me vient encore à la bouche est peut-être à l’origine de mon goût pour la cuisine plus que les restrictions alimentaires du moment dont je n’ai pas souvenir.
La dernière étape, Bargemon
La préoccupation croissante de ces restrictions conduisit nos grands-parents à décider que nous devions émigrer à la campagne où nous pourrions améliorer notre ordinaire des fruits d’une activité agricole familiale. Nous irions à Bargemon, berceau de leurs deux familles dont j’ai déjà longuement raconté l’histoire. Jean, mon cousin nous accompagnerait, sa mère restant à Saint-Raphaël en conséquence d’une catéchèse villageoise étriquée dont nous verrons plus loin que le ridicule a fait mentir l’affirmation selon laquelle il ne tuerait pas. Ce beau village du Haut Var fut la dernière « époque » de notre exode dont il ne me souvient pas qu’il ne me soit jamais, au moins à ses débuts, apparu inquiétant dans une ambiance bien contenue par une famille attentive et rassurante. Pour l’enfant que j’étais alors mon premier souvenir de Bargemon reste la maison, un autre nid qu’il me faut ici décrire avant de m’intéresser au village dont j’ai déjà raconté l’histoire, mais dont il me faut encore décrire l’ambiance du moment, puisqu’elle allait changer les habitudes « citadines », qui avaient jusqu’alors été les nôtres.
Notre maison à Bargemon
Antoine et Julie, dont je raconterai plus loin le parcours de leurs vies, possédaient encore dans ce village une maison et quelques arpents de terre pompeusement désignés comme « nos propriétés ». Ceux qui, dans la prospérité d’aujourd’hui, pourraient sourire d’un attachement persistant au maintien de cet héritage minuscule ont oublié ou n’ont pas connu le très fort gage de survie alimentaire que constituaient alors les lopins de terre que j’aurais l’occasion de décrire. La maison, où nous allions habiter, était, en venant de la gare, à l’entrée du village et séparée par la route de la place « Moreiri », dont je préciserai l’origine de son nom. Le rez-de-chaussée abritait un atelier de menuiserie et nous allions occuper les deux étages supérieurs. Au premier étage était une pièce de séjour où nous prenions nos repas et ou mon grand-père écoutait chaque jour « Radio-Londres » sur un vieux récepteur de marque « Pilot » qu’il ne cessait de « bricoler ». Cette pièce donnait directement, par deux fenêtres, sur la cour de la mairie où déambulaient volontiers nos occupants italiens qui ne se sont jamais offusqués de cette « écoute » interdite, étaient-ils sourds, ou simplement bienveillants ? Accolée à cette grande pièce était la cuisine et son fourneau de fonte noire constamment allumé pour « tenir au chaud » la « pignate »48 d’où s’échappaient l’odeur des ragoûts mitonnés par Julie qui réussissait toujours à tirer parti des maigres ressources du moment. Au deuxième étage étaient les chambres dont je n’ai aucun souvenir sinon celui des soirs d’été où je restais dans la maison vide pendant que ma mère et ses parents « prenaient le frais » devant la porte près de ma sœur qui dormait dans son landau. J’avais 5 ans et dans cette solitude, je lançais un SOS : « J’ai peur, je veux quelqu’un… même un chien ! »
Bargemon, le village d’alors
On arrivait à la gare de Bargemon en empruntant le « train des pignes » qui faisait partie du réseau des « Chemins de fer du Sud-Est » disparu depuis49. De Toulon vers Carnoules et Draguignan (le chef-lieu), ce réseau ferré desservait les nombreux villages nichés au cœur de la forêt varoise. Pour mieux comprendre l’appellation de ce train, il me faut préciser que le pin qui pousse vite avait été choisi pour replanter les zones déboisées par le chantier de construction des voies ferrées. La pomme de ces pins, ici baptisée « pigne » (?), tombait aux pieds de leurs arbres où elles séchaient au soleil tout près de la voie ferrée… La projection, sur ces « pignes » devenues très combustibles, d’escarbilles incandescentes produites par la chauffe au charbon des locomotives à vapeur de l’époque, était souvent évoquée à l’origine d’incendies, fréquents en été, dans la région. L’odeur de ces incendies, chaude et très semblable à celle du four du boulanger, nous parvenait avec quelques poussières tièdes bien avant que le reflet rougeâtre des nuages n’en indique la source. Après le dîner, au moment où dans un vrai théâtre de rue, chacun sortait sa chaise devant sa porte, pour « prendre le frais » et faire la « causette » le feu, surpassait en intérêt les « nouvelles » du jour et nourrissait l’essentiel d’une conversation portant sur son importance, sa localisation et surtout sur les propriétaires sans doute concernés. De manière inconséquente, les cicatrices de ces incendies étaient replantées de pins qui, même s’ils poussaient plus vite, brûlaient bien mieux que la végétation primaire de nos forêts d’arbousiers et de chênes dont la variété résistante au feu reste le chêne-liège.
Ce « train des pignes » était alors semblable à ceux qu’ont illustrés tant de films sur l’Ouest américain… Panache de fumée blanche, halètement de la machine, grincement des freins, sifflement de la vapeur relâchée à l’arrivée, avant de faire le « plein » d’eau par le moyen d’une trompe mobile puisant dans un réservoir proche. La gare de Bargemon, ouverte en 1890, se situait à 386 mètres d’altitude, au point bas d’un relief ouvert d’où descend toujours la Doue50, une petite rivière nourrie de l’eau des collines51 qui la surplombent. Cette gare, ni ce train, n’existent plus, mais 200 mètres plus haut et à flanc de colline, le village et ses toits de tuiles rouges noyés dans la verdure peuvent toujours être aperçus. Du même endroit, les deux propriétés, un peu plus d’un hectare en tout, dont Antoine et Julie espéraient beaucoup pour notre subsistance, peuvent aussi être repérées : le « Foulon », héritage de Julie, dont subsiste encore, près d’un « bastidon » effondré, la ruine du moulin qui lui a donné son nom est encore visible à quelques centaines de mètres de la gare et au bord de la Doue, sur 900 mètres carrés envahis de « ronces ». Le chemin menant à « l’Estang », héritage d’Antoine, est repérable à plus d’un kilomètre à l’est du village, et sur le même plan que la flèche de son clocher. La correspondance, de la gare à la « ville », était alors assurée par un autocar « Citroën » beige précédé d’un étroit capot marron dissimulant un moteur converti au « gazogène »52 qui le hissait jusqu’au cœur du village. L’arrivée de ce « car » était annoncée pour nous, depuis la gare et le creux du vallon, par sa respiration asthmatique, d’intensité croissante à son approche, anhélant en « première » dans les lacets montants comme une bête agonisante, Il s’arrêtait d’abord en face de notre maison, en abord de la place Moreiri baptisée du nom d’une gloire ecclésiastique locale, auteur au 17e siècle d’un « Grand Dictionnaire Historique » qui, m’apprend Wikipédia, fut réédité 20 fois de 1674 à 1759 et traduit dans toute l’Europe. La statue assise au centre de la place maintient l’image de cet homme dont la mémoire s’est effacée bien avant l’inscription de son socle. Cette arrivée constituait une attraction attendue par quelques « vieilles » dames dont Julie et Béatrix, sa sœur, assises à l’ombre d’un grand micocoulier. Dans un cliquetis d’aiguilles, elles « avançaient » leur tricot tout en notant chaque arrivée et en faisant, au sujet des voyageurs reconnus, les « messes basses » qui détricotaient les réputations du voisinage. Les ai-je traitées de vieilles ? Ce qu’elles paraissaient être à mes yeux d’alors… elles ne le paraîtraient certainement pas à mes yeux d’aujourd’hui…