Bons baisers de Saint-Malo - Cicéron Angledroit - E-Book

Bons baisers de Saint-Malo E-Book

Cicéron Angledroit

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Beschreibung

Qui de plus compétent que René pour vous faire visiter la Bretagne en s’écartant des sentiers battus ? Vous allez voir, dans ce remarquable ouvrage, que la route de Saint-Malo à Cancale n’est pas si droite qu’elle en a l’air.


Un fils d’ostréiculteur disparaît dans des conditions mystérieuses. Et pourtant, on le voit partout. Nous ne serons pas trop de quatre - Vaness’, Momo, moi et René, qui s’impose comme un intrus - pour aider le commissaire Buan, pur Malouin depuis plusieurs générations, et son adjoint le commandant Blafard, à démêler les fils - de pêche - de cette intrigue particulièrement retorse. Vous vous doutez bien que si on vient en Bretagne, c’est plus pour se prendre les pieds dans le filet que se gaver d’huîtres et de galettes.


Un retour sur les terres maternelles pour René qui ne se fera pas sans vagues ni émotions fortes. Heureusement que la Bretagne offre ses terres de rêves, son littoral exceptionnel et la puissance de la cité corsaire pour cadre à cette enquête, parce que pas sûr que notre équipée marque durablement les mémoires locales. Pas besoin de remonter nos bas de pantalons car, même au sec, nous pataugeons allègrement. Cap à l’ouest !


À PROPOS DE L'AUTEUR


Banlieusard pur jus, l’auteur – de son vrai nom Claude Picq – est né en décembre 1953 à Ivry, ceinture verte de Paris transformée depuis en banlieue rouge. Il a été « poursuivi » par les études (faute de les avoir poursuivies lui-même) jusqu’au bac et est aussitôt entré dans la vie active par la voie bancaire. Très tôt, il a eu goût pour la lecture, notamment les romans : Céline, Dard, Malet et bien d’autres. Et très tôt aussi, il a ressenti le besoin d’écrire. Tel est pris qui croyait pendre est le dixième titre de sa série d’enquêtes humoristiques.

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Couverture

Page de titre

CE LIVRE EST UN ROMAN.

Toute ressemblance avec des personnes, des noms propres, des lieux privés, des noms de firmes, des situations existant ou ayant existé, ne saurait être que le fait du hasard.

Remerciements à Hugo Buan, mon talentueux confrère, qui m’a fait découvrir sa belle ville de Saint-Malo, et à Higgins pour sa patience. Le fait que mon commissaire soit l’homonyme d’Hugo n’est que pure coïncidence fortuite. La meilleure preuve, s’il en était besoin, est que son chien à lui s’appelle Clark et n’est pas de la même marque.

PRÉAMBULE

Pour celles et ceux qui entrent directement, par ce bouquin, dans l’univers de Cicéron et qui, de ce fait, n’ont pas eu le bonheur de lire les précédents ouvrages, voici une courte, mais opportune, présentation des personnages principaux :

Les Z’Hommes :

Cicéron Angledroit : Détective, la quarantaine indéfinie mais bien tassée, si vous voyez ce que je veux dire, pas très grand, mal peigné, assez loser et très opportuniste. Il est le père d’Elvira, une gamine préado délurée (Elvira Angledroit… autre calembour) qui vit à Paris chez sa grand-mère paternelle. Il fait ce qu’il peut pour vivre, c’est surtout un observateur. Il passe le plus clair de ses nuits, si on peut dire, chez Vanessa à Choisy. Son ancien deux-pièces de Vitry est devenu, désormais, son agence de détectives. Il a aussi un fils, Enzo, mais c’est une autre histoire (voir un peu après).

René : Caddie-man à l’Interpascher de Vitry… ouvrier et traîne-savate… un homme bourru, rustre mais attachant (un peu le Béru de San-Antonio en moins exotique). Ex-alcoolique pas anonyme, il fréquente, chaque matin, le même bistro (dans la galerie de l’Interpascher) que Cicéron… Ils se sont rencontrés à l’occasion d’un attentat qui a touché le troisième larron important de l’histoire (Momo). René, sous ses airs de boulet, est un homme bien et plein de bon sens qui se remet miraculeusement d’un AVC qui l’a transformé. Il s’est récemment mis en ménage avec Paulette, une ravissante quinquagénaire dont personne ne voulait.

André dit Momo : Un taciturne à l’allure de SDF, intellectuel « rentré », pas expansif ni vantard. Il vendait des Belvédère (journal d’insertion) à la sortie d’Interpascher… Il déployait une telle psychologie que cette activité était très lucrative pour lui. C’est le penseur de la bande. Il connaissait déjà René. Mais un attentat (lire Sois zen et tue-le) dans la galerie marchande l’a privé de son bras droit et lui a permis de sympathiser avec Cicéron. Son handicap et les soucis administratifs lui ont fait renoncer à son activité. Désormais, après avoir émargé à la Cotorep et à l’AAH (allocation aux adultes handicapés), la vie se montrant souvent facétieuse, il est devenu le bras droit officiel de Cicéron. Il a une chambre au mois à l’Hôtel de la Gare de Vitry.

Le commissaire Théophile Saint Antoine : Un flic à l’ancienne, près de la retraite, bien forgé par une longue expérience du terrain, désabusé mais très droit. Est devenu pote avec Cicéron, auquel il confie quelques affaires en marge quand il n’a pas, lui-même, les coudées franches. Pote, mais avec, quand même, la barrière des convenances et du respect qu’ont ancré, en lui, son éducation et une longue carrière poussiéreuse de fonctionnaire de terrain.

Les Nanas :

Vaness’ : Fliquette, adjointe du commissaire, qui accorde aussi ses faveurs à Cicéron. Mais c’est du donnant-donnant. À la moderne. Sexuellement, elle le bouscule un peu par sa jeunesse et il a, parfois, du mal à s’accrocher aux branches. Au fil des livres, Cicé et elle sont devenus concubins. Elle attend le troisième enfant de notre détective.

Monique : Veuve de Richard Costa qui a été au cœur de Sois zen et tue-le. Elle aussi maîtresse de Cicéron mais plus épisodiquement. Elle est également lesbienne et vit désormais avec Carolina, son ancienne belle-sœur (sœur de Richard). Le couple a un gamin : Enzo. Cicéron, ne sachant pas dire non, a accepté d’être le géniteur de cet enfant. Mais Carolina et elle en sont les parents officiels aux yeux de la loi.

Carolina : Juste ci-dessus évoquée, c’est le fantasme number one de Cicé. Manque de bol, lui, si talentueux d’ordinaire, se métamorphose en cloporte dès qu’il l’approche. Au fil des aventures, ils se familiarisent tous les deux mais ça n’est pas facile. D’autant que Carolina connaît très bien la relation « passée » de Monique et de Cicé et qu’elle semble plus exclusive que notre héros.

Paulette : Concubine de René. Rien que ça dit tout d’elle. Sa tendance à la maladresse fait d’elle une très bonne cliente des urgences. Si vous la croisez, faites semblant de ne pas la voir. Si elle vous tend la joue, vous êtes foutu.

Et sans oublier Raoul et sa nièce, Lulu, qui tenaient le bistro de l’Interpascher, siège social de notre détective… Vous ne les verrez plus, ils ont vendu leur rade à Félix Yu, un Chinois cent pour cent made in RPC.

Voilà, voilou… Bonne lecture !

« Dans l’univers, il n’y a que deux endroits :ici et là-bas. »René, astrophysicien.

PROLOGUE

La Bretagne, ça vous gagne. Le slogan est bien connu. Par les paysages, par les villes, les villages, les ports, les plages, les goélands. Même les embruns ont leur charme. J’aime ses parfums iodés et ses odeurs, saturées de beurre salé, de kouign-amann. J’aime ses bises qui remuent les hortensias, ses ardoises et son granit. Ses calvaires et ses bigotes. Les menhirs aussi. Et puis, tout au bout, là où s’arrête la terre, l’océan qui vient se frotter à la Manche et leurs courants qui font un bras de fer qui n’en finit jamais. Et aussi, soyons honnêtes, il y a mon éditeur qui n’a rien d’alsacien. Vous l’avez constaté, Cicéron et sa bande ne prennent jamais de vacances. De là à déclarer que ce sont des travailleurs infatigables… je ne franchirai pas ce cap. Mais de temps en temps, l’instant d’une enquête, leur donner des couleurs, leur faire respirer un bon air est un avantage que je leur dois bien. Nous autres, banlieusards, on serait assez casaniers, assez accrochés à notre rocher en béton armé, à nos squares pelés. Et même si, bien sûr, on a Montparnasse qui est aux Bretons ce que le XIIIe arrondissement est aux Chinois, parfois l’air du large nous manque. L’envie d’échanger le roucoulement feutré de nos pigeons contre les cris braillards des goélands peut nous titiller périodiquement. Nos péniches plates et grises contre des chalutiers colorés et pétaradants. Alors, de « fille en aiguille » comme dirait René, qui va vous prouver, dans ce bouquin, qu’il sait de quoi il parle, voilà Cicéron, Vanessa, Momo et, accessoirement, René qui débarquent en Ille-et-Vilaine. Je leur offre cette virée qu’ils ne seront pas près d’oublier. Je les ai précédés à Saint-Malo et j’ai énormément aimé cette ville (même si le côté trop carte postale m’a un peu dérangé comme si j’étais Malouin de souche), sa richesse, son histoire, ses corsaires, ses perspectives et ses environs. Ses remparts, ses pavés qui résonnent et les vagues qui s’acharnent. Ville éternelle ancrée dans son histoire et qui regarde l’avenir avec sérénité (non, l’office de tourisme ne m’a pas payé). Je l’ai arpentée en tous sens et, faites-moi confiance, ça ne sera pas pour rien. Ils vont en ch… mes trois mousquetaires et ne seront pas trop de quatre pour relever le défi que je leur impose. Quelques huîtres sur le quai de Cancale, le tour des remparts de la cité corsaire et vous êtes dans l’ambiance. Venez, la Bretagne va nous gagner.

Claude Picq

1.

René pêche à pied

— Madame, madame… Vous rechercheriez pas un amant par hasard ?

Une heure que je regarde René apostropher ainsi chaque bonne femme seule qui pousse un caddie sur le parking du centre commercial. Sans succès apparent. Pourtant il n’est pas sélectif. Opiniâtre, c’est sûr, mais il n’a pas d’œillères. Aucun préjugé. Les gamines, les vieilles, elles y passent toutes. Même deux ou trois dont il n’avait pas vu les maris à la traîne. Des mecs qui garaient la voiture pendant que madame affrétait un chariot. Pas de bobo, René a su trouver les mots : « Z’êtes un veinard, vous ! Z’avez dégoté la bonne ! » Et puis, à René, on ne se fie pas spontanément. Il a quelque chose de poutinien dans la détermination. Je suis donc là, à le regarder, sur la terrasse que Félix a improvisée à proximité de son rade en privatisant quatre places de parking. Sans l’accord du patron du centre, mais celui-ci, qui a de plus en plus de mal à dénicher des locataires pour les boutiques de sa galerie, a préféré trouver un accord plutôt que de se lancer dans une procédure. Pas très pratique puisque le serveur doit emprunter l’entrée du centre pour acheminer les consos. Rentable ? Je ne sais pas parce qu’il faut affecter un employé en permanence, car, du bar, il n’y a aucune visibilité sur l’endroit. Quelques bacs avec des bambous en plastique pour délimiter la zone, six tables, vingt-quatre chaises en alu, deux immenses parasols carrés, et basta, la terrasse est opérationnelle. C’est vrai qu’il y a plus glamour que le mur en tôle du centre, mais malgré tout, avec quatre bouts de ficelle, Félix a su donner une ambiance au lieu. Les tables s’y arrachent. Un matin qu’il était en veine de confidences, le tenancier innovateur m’a expliqué :

— L’année prochaine, je ferai une terrasse en bois et je collerai un décor sur le mur. Mais faut y aller doucement avec monsieur le directeur. Il est pas facile.

Ce matin donc, désœuvré et sans Momo qui a pris sa journée pour répondre à une convocation de la Cotorep qui, une fois encore, voulait vérifier que son bras n’avait pas repoussé pour maintenir ou non son allocation adulte handicapé, je me distrais en regardant René manœuvrer auprès de la ménagère val-de-marnaise. À ce propos d’AAH (allocation précitée), il me vient une suggestion à l’intention des services publics : pour mieux exploiter la novlangue, il conviendrait de rebaptiser cette prestation en AAESH (allocation adulte en situation de handicap) puisque, dorénavant, il est convenu de ne plus appeler un chat un chat. Voire DAESH (dédommagement adulte en situation de handicap). Passons ! Bon, il est temps que je vous explique pourquoi et comment mon pote en est venu ainsi à quémander des faveurs sexuelles sur le parking de son employeur. Toute une histoire ! Mais avant il faut aussi que je vous raconte, une histoire en entraînant une autre, la grande nouveauté du bistro de Félix. En plus de sa terrasse pirate, le Chinois a fini par trouver que ses serveurs, par trop formatés RPC, ne favorisaient pas le développement du chiffre d’affaires de sa salle. Il a donc embauché une serveuse. Et quelle serveuse ! Une compatriote tout juste débarquée de son village (Maï Yo Nèz, il me semble qu’il s’appelle), une gamine craquante qui n’a pas froid aux yeux et qu’il a dû briefer façon « entraîneuse ». D’un certain côté, surtout vestimentaire, elle me rappelle un peu Lulu, la serveuse du patron d’avant. La môme, outre en foutre plein les yeux et remplir les braguettes, a reçu la mission de se montrer avenante et familière. Et je peux vous garantir que, chez ces gens-là, la discipline est respectée. Pour l’instant elle ne baragouine qu’un français très approximatif, mais je n’ose imaginer quand elle maîtrisera la langue aussi bien que le déhanché. Il va y avoir du fait divers dans la galerie. La ravissante se prénomme Li Chou Ye et je l’ai toujours vue avec un crop top folklorique mais surtout minimaliste, un short assorti et des tongs. Dommage qu’il lui manque un peu de fesses. La petite s’est très rapidement familiarisée avec la clientèle et encore plus avec la clientèle régulière dont nous sommes, mes potes et moi. Un peu trop. Elle se mêle facilement des conversations, malgré son sabir aléatoire, n’hésite ni à vous coller une bise ni à vous tripoter en passant. Au début, ça gêne. Et puis, comme à tout, on s’y fait. Pour en revenir à René, toujours en prospection sur le parking, tout a commencé avant-hier matin où il s’est pointé de fort mauvaise humeur. Chez lui, contrairement à Momo, ça se voit tout de suite. La question a donc fusé :

— Qu’est-ce qui t’arrive ?

— C’est Paulette…

— Elle est malade ? Elle a encore fait une connerie ?

Il nous regarde tour à tour. Le ton haut, vous vous en serez douté, attire Li Chou Ye qui vient se coller à notre table en posant sa main sur mon épaule. Ça arrive assez souvent et je dois avouer me sentir, à tort, un peu coupable et que, dans ces moments, je ne cesse de surveiller l’entrée de la salle des fois que Vaness’ se pointerait. Elle ferait un carnage. Dans son état (elle est enceinte, je vous le rappelle, et un peu plus chaque jour), elle ne supporte plus rien. Il y a peu de chance que ça se produise, car, à l’heure où nous zonons ici, elle bosse. René entre dans des explications :

— Poulette a décidé qu’on partirait en croisière. Huit jours sur un paqu’bot, un gros machin qui ressemble à un HLM comme sur les pubs. Une croisière à thème comme ça s’appelle.

— C’est plutôt sympa, non ?

— Tu parles ! Elle se fout du paysage. D’ailleurs, sur la mer, y’a pas de paysage. Non, c’qui lui plaît, c’est que la croisière sera animée par Jean-Paul Faucult, çui qu’a remplacé Guy Lux à la télé. Elle est croque de lui depuis qu’elle l’a croisé au salon des arts ménagers, il y a vingt ans. Il débutait et tenait un stand de couteaux électriques.

Je vois bien le libidineux personnage qui bavouille dans les décolletés à sa portée, mais je l’imagine assez mal en qualité d’animateur sur un rafiot pour retraités baby-boomers. Je pose la question, l’explication jaillit :

— C’est l’soir. Il lira des extraits de Barbara Cartland. Tous les soirs. En plus, en payant un supplément, on pourra dîner à sa table un soir. Mais faut vite réserver. Y’a que quarante places à chaque fois.

Momo commence à saturer.

— Ben alors, c’est plutôt sympa. Et puis tu ne seras peut-être pas obligé de participer aux lectures du soir. Pour le reste, tu visiteras.

— Visiter ? Mon cul, oui ! Paske, Poulette, en réservant, elle a vu que JP. Ça lui a suffi. Elle a pas r’gardé l’programme touristique. Les escales c’est, à l’aller : Dunkerque, d’où on part, Le Havre et Brest, où on fait demi-tour et rebelote dans l’aut’sens.

On comprend mieux. J’ose :

— Tu vas faire quoi ?

— J’en sais rien, mais ce que je sais, c’est que j’irai pas. J’vais m’chercher une gonzesse pour faire la soudure.

Momo s’énerve :

— Tu peux pas t’en passer huit jours ? Tu faisais comment avant ?

— Avant, j’étais plus jeune, y’avait pas d’urgence. C’est maintenant que ma teub vit ses plus belles années. Après y s’ra trop tard, j’serai comme Faucult, j’lirai du Cartland pour m’endormir.

Ça se tient, et c’est là qu’ayant enfin assimilé le sujet, la serveuse, qui n’a pas lâché mon épaule, intervient :

— Mais pourquoi toi bateau pas aller ?

Je ne peux pas décrire le regard que lui lance René.

Il écume et finit par éructer :

— Paske moi nager pas savoir.

C.Q.F.D. ! Voilà, on a l’explication. Momo est dépité :

— Et alors ? Tu crois que ceux du Titanic qui savaient nager s’en sont mieux sortis ?

— Raison de plus.

— T’es bien con. Tu prends bien l’avion…

— Et alors ? Pas souvent mais quel rapport ?

— Tu sais voler ?

Je modère avant qu’ils n’en viennent aux mains. La lutte serait inégale. Cette incartade n’aura fait que déterminer encore plus René dans sa quête d’amour intérimaire. Et c’est ainsi que je suis là, ce matin sur la terrasse, à le regarder prendre râteau sur râteau. J’exagère, car certaines s’attardent plus que d’autres. Il y en a même un petit nombre d’entre elles qui ont pris la peine de faire quelques pas en arrière pour bien examiner le bestiau avant de décliner. De là à penser qu’il finira par trouver, il n’y a pas des kilomètres. Ça me rappelle un stage que j’avais dû suivre à la Chambre des Métiers, pour m’installer. On nous avait expliqué, en évoquant la distribution de tracts publicitaires dans les boîtes aux lettres, qu’il ne fallait pas espérer plus de trois ou quatre retours de coupons-réponse pour mille flyers écoulés. Et que, sur ces trois ou quatre retours, rien ne garantissait l’achat. Comme quoi la distribution de prospectus est un vaste scandale écologique. Ah ? Je suis médisant, il semblerait que René ait une touche. Pas jobarde la dame, mais, avec Paulette, il a l’habitude. Je les vois qui parlementent. D’ici je n’entends pas car ils chuchotent. Je les imagine mettre en place les modalités adultérines, les conditions générales et les conditions particulières, les aspects pratiques et les contreparties. En tous les cas, ils échangent leurs numéros de portables. Je suis du regard la dame qui arrive, derrière son chariot, vers la porte du centre commercial, juste à deux pas de moi. Il ne va pas s’ennuyer, le René, on sent tout de suite l’expérience, le savoir-faire suranné, le lavage au gant de toilette et la culotte en viscose vieux rose. Probablement une pilosité grisonnante dans son jus. L’Origine du monde (tableau célèbre de Courbet) version Portrait de Dorian Gray. Bon, j’arrête. Pas envie de gerber mon café tiède. René, vainqueur, accourt me raconter son exploit, mais se ravise en calculant le directeur de l’Inter qui vient à sa rencontre. Peut-être aura-t-il eu des échos de ce qu’il se passait sur son parking. Je le vois regrouper deux caddies qui encombraient une place de stationnement. Voir René bosser est si rare. Son patron, ayant raté le flagrant délit, fait demi-tour. C’est ce moment que Saint Antoine choisit pour se pointer. De mauvaise humeur, il me récupère sur ma terrasse.

— Venez, on va à l’intérieur, c’est moins pouilleux.

… Et « légèrement plus discret », je pense en me levant.

2.

Billet pour le Far West

La salle est vide. Effet terrasse et soleil conjugués. Li Chou Ye est au chômage. Elle anime le bar en alimentant les rires gras des piliers de comptoir par ses maladresses verbales. Nous voir arriver l’extirpe de cet enfer matinal déjà bien alcoolisé.

— Bonyour, Pandore ! lance-t-elle au commissaire.

Forcément, en apprenant le français dans un bar à Vitry, on intègre le vocabulaire de Vitry. Un que ça ne fait pas trop marrer, c’est le vieux. Mais il n’a pas de prise sur une telle jeunette d’importation, la baffe serait de trop et la remontrance inutile. Un que ça fait bien marrer par contre, c’est Félix. Il me confiait, il n’y a pas longtemps et en se fendant la poire, que s’il avait une opportunité de trouver un local en face du commissariat, il y ouvrirait un resto chinois qu’il baptiserait « Le paon d’or ». Ça nous a fait la matinée. On s’installe en fond de salle et la gamine nous apporte des cafés. Elle a un petit geste de sympathie à l’égard de Pandore en lui secouant l’épaule. Le crop top m’émoustille un peu, mais la tronche du vieux rétablit l’équilibre. Pour faire la balance positive, il faudrait ad minima l’équipe complète du Crazy Horse en tenue de fonction. En vieillissant, il se laisse envahir par la morosité, notre flic communal. Déjà le voir ici et à cette heure est totalement incongru. En plus, il ne prononce aucun mot. Ses pensées noires lui suffisent. Ça en devient gênant. J’étais mieux sur ma terrasse, au soleil, à regarder René braconner. Pour l’instant il boit son café en silence, les yeux dans le vide. Puis, enfin, il se tourne vers moi.

— Je suis dans la merde.

Un tel aveu de sa part ne peut qu’interroger. J’évite de le faire autrement que par le silence. Un moment se passe et il explique :

— Vous connaissez Mireille ?

Il déraille ou quoi ? Bien sûr que je connais madame Saint Antoine. Quelle question ! J’opine. Il retombe dans un silence de plomb. C’est longuet. Il ne calcule même pas Li Chou qui est restée au garde-à-vous entre nous deux. C’est que, de profil, il faut la deviner, elle est épaisse comme un hologramme. Je n’ose intervenir. Un clignement d’œil et il se réveille un peu.

— Mireille a un demi-frère… une longue histoire… quand ses parents se sont séparés, son père est retourné vivre en Bretagne d’où il était originaire. Il y a refait sa vie et a eu un fils, Loïc, le demi-frère.

Oui, et ? Je le laisse poursuivre maintenant qu’il est parti.

— Loïc a cinq ans de moins que Mireille…

Ça n’est donc plus un gamin. Je trouve l’histoire plus généalogique que passionnante. Mais je patiente, ce n’est pas ça qui le met dans cet état.

— Loïc s’est marié à son tour, mais, malheureusement, il a perdu sa femme juste après la naissance de leur fils. Nous les fréquentons peu à cause de la vie qui est ce qu’elle est…

Avec ça, on est bien avancés.

— … mais quand même. Mireille est la marraine de son neveu… Enfin son demi-neveu…

Mais quel gros con !

— … et le gamin, Gwendal il s’appelle… je me demande bien où ils ont été trouver un tel nom. Bref, il a disparu !

Je ne vois guère où il veut en venir. S’il y en a un de nous deux qui a la capacité d’agir, c’est bien lui. Je fais mine de m’intéresser malgré tout.

— Il y a longtemps ?

— En fin de semaine dernière.

Inquiétant, en effet, quatre jours se sont écoulés. Le père doit être dans tous ses états. La marraine aussi. Le silence se réinstalle, alors je réalimente la conversation :

— Mais le père n’a pas signalé la disparition aux autorités locales ?

Il me toise comme si j’avais dit une connerie.

— Si, évidemment, vous croyez quoi ?

— Et alors ? Ils font quoi ? Un môme dans la nature, c’est une priorité.

— C’est plus un môme, il a vingt-huit ans. J’vous l’ai dit que sa mère était morte juste après la naissance ?

Il a un regard noir et quasi sanguinaire. J’espère qu’il n’a pas son arme de service sinon, à la prochaine réflexion de ma part, il me flingue sur place. Je tente quand même :

— Je ne pouvais pas deviner quand la mère est morte.

Il se reprend car, en effet, rien ne me renseignait à ce propos dans les siens, de propos. J’y vais avec des gants.

— Et vous n’êtes pas intervenu auprès des flics du coin ?

— Si, j’ai appelé le patron de Saint-Malo, le big chef, un certain Buan. Il m’a envoyé chier poliment mais fermement. Remarquez, à sa place, j’aurais fait pareil. Tous les jours il y a des jeunes qui larguent les amarres.

Je n’abonde pas, conservant une neutralité de prudence. J’attends la suite.

— Mais tous les jeunes qui disparaissent ne sont pas les filleuls de Mireille. Elle est devenue hystérique. Soi-disant qu’elle ressent des choses. Elle me mène une vie infernale.

— Qu’en dit votre beau-frère ?

— Beau-demi-frère, corrige-t-il aussitôt. Rien, il ne comprend pas, il est inquiet. Mettez-vous à sa place.

J’aimerais bien, mais il me manque objectivement des éléments. Et puis je me demande où il veut en venir. Rien n’est innocent de sa part. S’il est là, c’est qu’il a un autre motif que de venir se faire appeler Pandore par la serveuse. Même un sympathique moment de convivialité en ma présence ne justifie pas ce déplacement hors ses murs. Je reprends donc :

— Pourquoi vous me racontez tout ça ? C’est bien triste, mais je ne vois pas ce que…

— Vous allez y aller.

— En Bretagne ?

— À Saint-Malo. Mon demi-beauf a de quoi vous loger, vous et Momo.

— Et vous pensez que je vais laisser Vaness’ ici toute seule dans son état ?

Il n’avait pas envisagé la situation sous cet angle. La grossesse de sa lieutenante, toujours pas capitaine, le contrarie, mais la perspective de devenir parrain brouille le signal dans sa tête. L’embarras le replonge dans le silence. Il marmonne puis réclame, en aboyant, deux cafés. Li Chou en sursaute. René nous rejoint. C’est sa pause. La présence du vieux le dérange et vice versa. Je sens qu’il a envie de me faire des confidences, mais le moment est inapproprié. Pépère glisse la tasse, qui vient de lui être servie, devant René et se lève en me disant :

— Bon, on en parle plus tard.

Il laisse un billet de dix euros sur la table et disparaît. Au revoir, Pandore ! René récupère le bifton et le tend à la serveuse afin d’encaisser la monnaie. Pas de petit profit.

— Il voulait quoi ? se renseigne René en réclamant un verre d’eau.

— Je ne sais pas trop, tu l’as interrompu.

— Eh ben, moi, ça a marché. J’ai deux 06 et une adresse. Une veuve qu’a perdu son mari y’a pas longtemps et qui a pas encore repris la main, une ex à moi qui veut bien me rendre service et une plus jeune qui aime les hommes mûrs. Pas mal pour une demi-matinée. J’me d’mande même si j’vais continuer à recruter. Trois pour huit jours, c’est pas mal. Non ?

J’avoue qu’un tel talent me troue le derrière.

Surtout quand je le regarde. On ne peut pas le confondre avec Richard Gere. Même de loin et de dos. Mon téléphone vibre discrètement dans mon jean. René parlemente avec Li Chou pour le cas où une intégration accélérée lui serait profitable, mais la gamine n’entrave rien. Elle lui répond en chinois, j’imagine bien quoi, et tourne les talons.

— Tu crois qu’elle m’a dit oui, elle aussi ?

Je regarde mon téléphone après m’être levé pour le décoincer de ma poche et je lis le message du commissaire : « Rappliquez dès que vous vous serez débarrassé de l’autre blaireau. Je vous attends au bureau. » Il n’a pas été long à réfléchir et je crains qu’il n’ait trouvé la solution. Avant de le rejoindre, j’inquiète un peu René pour le freiner :

— Attention, la petite, je pense que, dans son pays, elle est encore mineure. Et ils ne rigolent pas avec ça là-bas.

Un éclair effrayé traverse ses yeux.

— Tu as raison, j’vais attendre un an ou deux et qu’elle grossisse un peu. Et pis j’ai mes trois. Tu me conseilles laquelle pour commencer ?

— La veuve, je la sens plus motivée. Nécessité fait loi.

— J’pensais comme toi. En plus, c’est la plus belle.

J’imagine que celle qui poussait son caddie dans ma direction, c’était l’ex qui rend service. Je regrette de n’avoir pas vu cette veuve très prometteuse. Il encaisse la monnaie de la soucoupe et se lève à son tour. Royal, il laisse vingt centimes. Sa pause est terminée.

— Tu bouffes où, à midi ? tente-t-il.

— Je ne sais pas, mais pas ici.

Sous le soleil et un peu désœuvré, je décide de rallier le commissariat à pied. Ça fait une trotte, mais quand je marche, je réfléchis. Et puis voir des gens, même ceux d’ici, ça me rappelle que je suis vivant. Pas de nouvelles de Momo qui doit être en train de faire un bras de fer avec l’expert de la Cotorep. On n’a rien sur le feu et c’est bien qu’il soit un peu occupé avec ses formalités administratives. J’arrive assez vite et sans m’en apercevoir en vue du commissariat. Depuis que le tram est en fonction, le quartier fait moins zone. Cette bande de pelouse qui le traverse l’allège. Et, finalement et contrairement à ce que je craignais, la circulation n’est pas pire qu’avant. Sauf, bien sûr, à hauteur du tabac où il est de tradition locale de stationner en double file pour acheter ses clopes et taper la discute avec des copains. Et comme, dorénavant, il n’y a plus qu’une voie, je vous laisse imaginer. Quand je pénètre dans la maison poulaga, j’ai la bonne surprise de voir ma compagne à l’accueil. Son patron la ménage. En plus d’un horaire amplement allégé, il lui réserve des tâches plus reposantes que d’aller se coltiner avec la racaille inculte et locale. Mais elle fait peine à voir. Elle n’est pas dans son élément. Après une bise, elle me précède jusqu’au bureau directorial. De dos, on ne voit pas qu’elle est enceinte, mais de profil, son ventre s’arrondit un peu. Les carrés de chocolat s’estompent carrément (ce qui est un comble pour des carrés). Saint Antoine est au téléphone et ça l’agace qu’elle m’introduise ainsi sans prévenir. Il me fait signe de m’installer sur une chaise. Je devine que c’est sa femme qui vient aux nouvelles. Il ne peut pas en placer une. Il lui balance un : « Justement, je m’en occupe » avant de raccrocher brutalement.

Il demande à Vanessa :

— Vous pouvez faire de la voiture dans votre état ?

— Ben oui, je ne suis pas malade et j’ai passé les trois premiers mois. Pourquoi vous me demandez ça ? Vous voulez m’emmener en week-end ? Dans mon état ?

Il se rabougrit et la congédie d’un geste sec. On attend que la porte se referme et il me rejoint sur le siège visiteur à côté de moi.

3.

Un séjour breton, tous frais payés ?

J’ai l’impression que le commissaire tourne autour du pot. Il n’a rien préparé, mais l’insistance de sa bonne femme le presse un peu. Je le sens assez indifférent au sort de son demi-neveu. Il n’a pas réellement de plan ni d’idée. Mon esprit divague déjà en direction de l’Ille-et-Vilaine. Je ne connais pas ce coin-là. Pas au-delà des images touristiques de Saint-Malo et de ses remparts. Si j’ai bien tout compris, il voudrait que j’aille fureter sur place. Je le laisse venir. Aux frais de qui ? Je ne suis pas contre aller visiter l’endroit et goûter les galettes, mais le quand, comment et pourquoi restent à définir. Et puis je ne laisserai pas Vanessa seule. Pas dans son état. Je n’ai pas de talent particulier en obstétrique prénatale, mais ça me rassure d’être à proximité. Et elle aussi, je pense. Sans doute que c’est pour ça qu’il lui a demandé si elle pouvait faire de la voiture. Pendant qu’on se regarde, le vieux et moi, je sais qu’il construit son scénario. Peut-être a-t-il même déjà dégrossi les modalités. Il se lance :

— Les flics de là-bas ne bougeront pas le petit doigt. Je le sais, Buan n’a pas été encourageant ni ambigu. J’ai donc pensé que vous pourriez vous y rendre, juste histoire de tâter le terrain et de vous faire une idée. D’ici c’est très flou pour moi, et puis je connais mal ces gens. On choisit ses amis, pas sa famille, dit-on. Eh bien, c’est exactement ça. Aucun atome crochu avec les Le Goff. Même Mireille, qui fait tant de foin avec cette histoire, a coupé tous les ponts avec sa branche paternelle. Elle a la rancœur aussi tenace que sa détermination. Loïc, mon beau-frère comme vous dites, avait fait un beau mariage. Il a donc un beau veuvage.

Ça le fait marrer d’avoir trouvé ça.

— Il a repris les rênes de l’entreprise familiale de sa femme, des ostréiculteurs renommés de Cancale. Il a été particulièrement gâté, car il a aussi hérité d’un beau pactole venant de sa mère, la seconde femme du père de Mireille, dont il était le fils unique.

Je n’aime pas les huîtres, mais je l’écoute religieusement. Un environnement se dessine.

— Un type verni, en quelque sorte, qui n’a jamais eu à se baisser. Malgré tout, il sait maintenir le cap et, selon sa demi-sœur, il aurait même bonifié ses acquis. Cancale et ses huîtres ont une bonne réputation et il en profite avec professionnalisme. Et le fiston, fils unique lui aussi, celui qui s’est volatilisé, allait dans le même sens. Ostréiculteur, de mère en fils, avec un sens certain des affaires. C’est lui qui a su mettre en exergue l’authenticité de la production, en faire un vrai produit de terroir et y apporter une forte valeur ajoutée auprès de la clientèle saisonnière. Un peu comme ces meilleurs ouvriers de France qu’on voit défiler à la télé plus que derrière leurs fourneaux, beaucoup d’esbroufe, mais il n’y a plus que ça qui marche maintenant. C’est Gwendal qui a pris en charge toute la partie commerciale. Il a aussi créé un stand sur le marché aux huîtres de Cancale dans lequel il surfacture les touristes à longueur d’année. Ça les amuse de bouffer des huîtres, assis par terre, et de balancer les coquilles vides sur la plage. Vous verrez, c’est pathétique. Une belle affaire qui fait le gros de son chiffre principal d’octobre à avril. Il a aussi mis sur pied un fort réseau de revendeurs et de distributeurs sur toute la Bretagne et bien au-delà. Vous trouvez des bourriches Le Goff jusqu’à Rungis. Il est donc inconcevable qu’il disparaisse en pleine préparation de la saison.

J’en sais plus, mais rien d’autre que des généralités. J’oppose directement un :

— Il a peut-être pris des vacances. Octobre, c’est encore loin.

— Selon Mireille, qui le connaît mieux que moi j’avoue, c’est impossible. Selon son père aussi.

— Une amourette ?

Je le vois rougir un peu, gesticuler sur sa chaise, se décoller le col de chemise et se racler la gorge. J’ai touché un point sensible.

Il bafouille :

— Ça m’étonnerait… Comment dire ? C’est pas facile… Gwen est gay.

Et alors ? Ça change quoi ? Je n’ai pas le temps de poser la question, qu’il se justifie :

— Il doit tenir ça de sa mère.

— Vous m’apprenez que c’est héréditaire. Et puis alors ? Une amourette est une amourette. Et ça conforte l’hypothèse, si j’en juge par la réaction familiale.

— Quelle réaction ?

— Vous semblez gêné avec ça. C’est quoi ? Un secret de famille ?

— N’allez pas croire ça ! D’ailleurs, j’adorais Charles Trenet.

— Comment votre neveu…

Je sais, je remue le couteau dans la plaie en qualifiant ainsi le disparu.

— … vivait ça ?

— J’en sais rien, moi ! Je vous ai dit qu’on les fréquentait pas, et pas pour cette raison. N’allez pas imaginer des choses. Vous demanderez ça à son père. Vous pouvez y aller quand ? Et comment ?

Il me prend de court. Pour lui, les carottes sont cuites. Il est comme ça. Sans autre argument, j’évoque les frais.

— Vous allez me donner une fourchette et je la soumettrai à Loïc. Il est aux abois et il a les moyens. Paraît-il même qu’il vivrait dans une sorte de manoir en granit et ardoises comme ça se fait là-bas. Je n’y suis jamais allé, mais Mireille, si. Il y a longtemps.

— Le fils vivait chez lui ?

— Non, à cause de son… de sa… situation, il a préféré s’éloigner de la vie de patelin. Il a acheté un appartement à Saint-Malo. C’est plus anonyme et il y est moins connu. Il a fui les cancans de Cancale.

Et il se marre. Il a avalé un clown au petit déjeuner, c’est pas possible autrement. Il se lève. La séance est terminée, et la balle est, si je comprends bien, dans mon camp. Il attend ma « fourchette ». Puisque les carottes sont cuites, je ne vais pas le faire lanterner. Pas besoin d’essayer d’argumenter pour le convaincre de l’inutilité que je vois à ce déplacement. On est debout, face à face, à se regarder sans rien dire. Je lâche :

— Trois mille…

— Trois mille quoi ?

— Trois mille balles plus les frais, essence, péages, etc.

— Vous comptez y rester le mois ? À ce tarif…

— Non, trois ou quatre jours. Mais on sera trois.

— Deux, mon coco. Je vous rappelle que votre « femme », puisqu’il faut bien l’appeler comme ça maintenant, sera payée en congé exceptionnel que je lui accorderai. Je vais devoir lui inventer des récupérations pour justifier auprès de l’administration. Si elle pouvait me fournir un arrêt maladie, j’avoue que ça m’aiderait. Vous êtes cher.

— Faut tenir compte du risque.

Il s’étouffe :

— Du risque ? Quel risque ? L’Ille-et-Vilaine, c’est pas la Colombie ! Bon, soit, je soumets et je vous dis ça vite.

Il me serre la main tout en me raccompagnant fermement vers la sortie. Vaness’ est toujours derrière la vitre de l’accueil. Elle fait peine à voir. Il est en train de me la rabougrir, ce vieux con, avec ses précautions. J’ai juste le temps de lui dire :

— Un séjour à Saint-Malo, ça te botterait ?

— C’était ça son histoire de voiture ?

— Oui, je te raconte ce soir. Courage !