Mourez, on s'occupe de tout - Cicéron Angledroit - E-Book

Mourez, on s'occupe de tout E-Book

Cicéron Angledroit

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Beschreibung

L'enquêteur Cicéron reprend du service ! Cette fois, le mort prend la poudre d'escampette et il faut le rattraper !​​


Pendant que René se met en ménage, Momo et moi on rame entre Seine et Rhône.​Un macchabée qui prend la poudre d’escampette entre la mise en bière et l’enfouissement éternel, c’est pas tous les jours que ça arrive. Il a suffi d’un gros grain de sable de quatre-vingts kilos pour que l’évasion ne passe pas inaperçue.​Une famille éplorée, une loueuse de camionnettes bien sous tous rapports, une Fiat Ducato baladeuse, une vieille Parisienne nymphomane et du fil à retordre, il en faut plus, au manchot et à moi, pour nous impressionner.
Alors, pas à pas, on va tout faire pour remettre le mort dans le droit chemin.
Suivez-nous, vous verrez du pays !

Découvrez sans plus tarder le treizième opus des aventures du détective Cicéron !

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE (à propos de la série)

Voilà encore une belle découverte ! Un style bien personnel qui permet d'avoir le sentiment de lire près de l'auteur ou mieux d'être dans le livre de l'auteur… Il narre son histoire tout en s'adressant à ses lecteurs, les narguant, les amusant… C'est un vrai délice à lire. Et quel tombeur ce Cicéron non mais sans blague !
En bref, un personnage bien vivant, qui nous fait vivre son quotidien au présent, au passé quand il revient à un souvenir, au futur quand il envisage ses prochaines activités… Qui a une famille, des amis bien malgré lui, et qui a surtout ses lecteurs qui le suivent avec grand plaisir ! Merci Mr Cicéron Angledroit pour cette lecture très divertissante. - neluay, Babelio

À PROPOS DE L'AUTEUR

Banlieusard pur jus, l’auteur – de son vrai nom Claude Picq – est né en décembre 1953 à Ivry, ceinture verte de Paris transformée depuis en banlieue rouge.
Il a été « poursuivi » par les études (faute de les avoir poursuivies lui-même) jusqu’au bac et est aussitôt entré dans la vie active par la voie bancaire.
Très tôt, il a eu goût pour la lecture, notamment les romans : Céline, Dard, Malet et bien d’autres. Et très tôt aussi, il a ressenti le besoin d’écrire.
Mourez, on s’occupe de tout ! est le treizième titre de sa série d’enquêtes humoristiques.

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Couverture

Page de titre

CE LIVRE EST UN ROMAN.

Toute ressemblance avec des personnes, des noms propres, des lieux privés, des noms de firmes, des situations existant ou ayant existé, ne saurait être que le fait du hasard.

Retrouvez ces ouvrages sur www.palemon.fr Communiquons : [email protected] Échangeons sur Facebook : Cicéron Angledroit Suivez l’actualité : www.ciceron-angledroit.fr

À toi… Oui, toi ! Et bonne lecture… « Si haut qu’on monte, on finit toujours par des cendres. »

Henri de Rochefort. 1981-1913

PRÉAMBULE

Pour celles et ceux qui entrent directement, par ce bouquin, dans l’univers de Cicéron et qui, de ce fait, n’ont pas eu le bonheur de lire les précédents ouvrages, voici une courte, mais opportune, présentations des personnages principaux :

Les Z’Hommes :

Cicéron Angledroit : Détective, la quarantaine indéfinie mais bien tassée, si vous voyez ce que je veux dire, pas très grand, mal peigné, assez loser et très opportuniste. Il est le père d’Elvira, une gamine préado délurée (Elvira Angledroit… autre calembour) qui vit à Paris chez sa grand-mère paternelle. Il fait ce qu’il peut pour vivre, c’est surtout un observateur. Il passe le plus clair de ses nuits, si on peut dire, chez Vanessa, à Choisy. Son ancien deux-pièces de Vitry est devenu son agence de détective. Il a aussi un fils, Enzo, mais c’est une autre histoire (voir un peu après).

René : Caddie-man à l’Interpascher de Vitry… mi-ouvrier, mi-traîne-savates… un homme bourru, rustre mais attachant (un peu le Béru de San-Antonio en moins exotique). Ex-alcoolique pas anonyme, il fréquente, chaque matin, le même bistro (dans la galerie de l’Interpascher) que Cicéron… Ils se sont rencontrés à l’occasion d’un attentat qui a touché le troisième larron important de l’histoire (Momo). René, sous ses airs de boulet, est un homme bien et plein de bon sens qui se remet miraculeusement d’un AVC qui l’a transformé.

André dit Momo : Un taciturne à l’allure de SDF, intellectuel « rentré », pas expansif ni vantard. Il vendait des Belvédères (journal d’insertion) à la sortie d’Interpascher… Il déployait une telle psychologie que cette activité était très lucrative pour lui. C’est le penseur de la bande. Il connaissait déjà René. Mais un attentat (Lire Sois zen et tue-le) dans la galerie marchande l’a privé de son bras droit et lui a permis de sympathiser avec Cicéron qui les croisait, lui et René, chaque jour, sans faire attention à eux. Son handicap et les soucis administratifs lui ont fait renoncer à son activité. Désormais, il émarge à la Cotorep et à l’AAH (allocation adulte handicapé) et, la vie se montrant souvent facétieuse, il est devenu le bras droit de Cicéron. Il a une chambre au mois à l’Hôtel de la Gare de Vitry.

Le commissaire Théophile Saint Antoine : Un flic à l’ancienne, près de la retraite, bien forgé par une longue expérience du terrain, désabusé mais très droit. Est devenu pote avec Cicéron, auquel il confie quelques affaires en marge quand il n’a pas lui-même les coudées franches. Pote, mais avec, quand même, la barrière des convenances et du respect qu’ont ancré en lui son éducation et une longue carrière poussiéreuse de fonctionnaire de terrain.

Les Nanas :

Monique : Veuve de Richard Costa qui a été au cœur de Sois zen et tue-le. C’est aussi la maîtresse de Cicéron mais plus épisodiquement. Elle est également lesbienne et vit désormais avec Carolina, son ancienne belle-sœur (sœur de Richard). Elle vient d’avoir un bébé, Enzo, avec Cicéron qui, ne sachant pas dire non, a accepté d’être le géniteur de cet enfant. Mais Carolina et elle en sont les parents officiels aux yeux de la loi.

Carolina : Juste ci-dessus évoquée, c’est le fantasme number one de Cicé. Manque de bol, lui si talentueux d’ordinaire, se métamorphose en cloporte dès qu’il l’approche. Au fil des aventures, ils se familiarisent tous les deux mais ce n’est pas facile. D’autant que Carolina connaît très bien la relation « passée » de Monique et de Cicé et qu’elle semble plus exclusive que notre héros.

Vaness’ : Fliquette, adjointe du commissaire, qui accorde aussi ses faveurs à Cicéron. Mais c’est du donnant-donnant. À la moderne. Sexuellement, elle le bouscule un peu par sa jeunesse et il a parfois du mal à s’accrocher aux branches. Au fil du temps, Cicé et elle sont devenus concubins.

Jocelyne : Euh, là, c’est compliqué. Pour résumer : l’ex-femme du père « inconnu » de Cicéron que celui-ci retrouve par hasard, fracassé sur sa table de cuisine (voir Qui père gagne) et qui ne laisse pas notre narrateur de marbre. Enfin si, quand même… si on peut dire. Mais elle a décidé, unilatéralement, de prendre ses distances. Elle est la mère de Jérôme, pizzaïolo à Vierzon, qui est, de fait, le demi-frère de notre détective.

Et sans oublier Raoul et sa nièce, Lulu, qui tenaient le bistro de l’Interpascher, siège social de notre détective… Vous ne les verrez plus, ils ont vendu leur rade à Félix Yu, un chinois 100 % made in RPC.

Voilà, voilou… Bonne lecture !

1

Changement de décor

La jeune femme assise devant moi – elle a quoi… entre trente et quarante ans, je dirais – n’a pas l’air très en forme. Moi non plus, je l’écoute à peine. Elle me saoule depuis une demi-heure qu’elle est entrée dans mon bureau… Ah oui, là aussi, il y a du changement. Je vous raconte vite fait. Maintenant que je vis à plein temps chez Vanessa, maintenant que Momo bosse, à plein temps aussi, avec moi, il a bien fallu que je me structure. Le mec qui a inventé Microsoft dans son garage l’a quitté depuis belle lurette. C’est peut-être pas Microsoft qui a été inventé dans un garage mais un truc comme ça. Une légende industrielle américaine pour persuader le gogo qu’il peut y arriver. Bref, j’ai quitté, si on peut dire, le bistro de l’Inter comme siège social pour m’établir dans mes meubles. Où ? Chez moi, dans mon deux-pièces. Il a suffi d’un coup de peinture, de cloisonner la cuisine ouverte, de virer les meubles et d’en mettre d’autres. J’ai juste gardé le tableau de Constant Vrbain comme décor au mur (voir un bouquin précédent, je ne me souviens plus lequel ou chercher sur le Net). Une occasion supplémentaire de regretter de ne pas en avoir acheté un plus grand. Mon seul souci c’est de ne pas avoir « pignon sur rue » comme on dit. Pas facile de faire passer mes rares clients par la cour. Pas très extra non plus comme « première image ». Momo a sa clé. Pas son casier, faut pas pousser. J’ai flanqué mon clic-clac, parfois utile, dans ma chambrette que j’utilisais déjà comme fourre-tout. C’est devenu notre salle de détente, notre entrepôt et nos archives. La kitchenette, même cloisonnée et aveugle, a conservé sa fonction. Le frigo, le micro-ondes et la Nespresso n’ont pas changé de place. Le décor du « cabinet » est sobre, de bon goût j’imagine, et fonctionnel. Un vaste bureau, un ordinateur, un téléphone, une imprimante, des appliques contemporaines aux murs, un fauteuil de direction et trois sièges visiteurs confortables. Le tout chiné sur Le Bon Coin chez un assureur qui prenait sa retraite. Le rideau poussiéreux de la fenêtre a été remplacé par un store à lamelles qui fait très détective américain des années 60. Dommage que la vue ne soit pas au rendez-vous. Je me suis même fendu d’une petite table annexe avec quatre chaises en plexiglas. Un clin d’œil au coin « réunion de travail » du commissaire Saint Antoine. Bien utile cette petite table qui sert en réalité de bureau à Momo. Mais on y est si peu souvent. C’est toujours mauvais signe quand on est là tous les deux. Sauf pour recevoir. Comme aujourd’hui. Je reviens donc à la jeune femme qui laisse refroidir son café devant moi en pleurnichant. Moi, les femmes qui pleurent… Elle est très jolie. Elle ne s’est pas trop présentée et je l’imaginerais volontiers prof de danse ou coach en bien-être. Quelque chose d’actuel et de branché. Brune, fine, ni trop grande ni trop petite. À ma taille, en quelque sorte. Un visage régulier qui donne place à de multiples expressions et mimiques qui appuient ses paroles. Une robe fluide et près du corps avec de fines bretelles. Et son regard ! Beau et désespéré à la fois. Sûrement que ce désespoir qui s’en échappe est dû à la situation qu’elle me présente. Elle me parle sans me quitter des yeux. Ça me gêne un peu. J’ai noté son nom sur le dossier : Jessica Dumortier. J’en ouvre systématiquement un à chaque nouvelle affaire. Je n’ai encore rien écrit d’autre, même si elle parle, elle parle. Insensible à ma déco, tout juste si elle a accepté mon café d’accueil, elle a attaqué directement en commençant par :

— Si vous voulez comprendre, il faut que je commence par le début.

Peut-être. Si elle le dit. Seulement, pour l’instant, je ne capte rien d’autre que des impressions. Je ne consigne toujours rien. Pourtant, généralement, les notes que je prends me servent à asseoir la confiance, à attester de mon écoute et, voire, de ma compétence. Là, rien. C’est dans un flot qu’elle me débite sa vie. Je vous résume ce que je retiens malgré tout. Je lui ferai repréciser les points que je jugerai intéressants plus tard. Sa famille vient de la région lyonnaise, elle vivait à Bron. Son père était ingénieur Recherche et Développement chez Fabert Technologies, une entreprise de pointe en matière de vérins hydrauliques, installée à Vénissieux. Un groupe qui possède plusieurs usines sur le territoire national. Quand elle a eu treize ans, environ, la famille a migré en région parisienne puisque le paternel a été nommé directeur technique du site de Vitry. Une belle promotion qu’il ne pouvait pas refuser et qui l’a mené à troquer les bords du Rhône pour ceux de la Seine. Fabert Technologies est un fleuron de la zone industrielle du quai Jules Guesde. Pas folichon pour l’adolescente en crise qu’elle était à ce moment-là mais, très vite, la famille a pris ses marques. Après des débuts difficiles de locataire de l’autre côté du fleuve, les Dumortier se sont stabilisés dans un pavillon bourgeois d’Ablon-sur-Seine, à quelques kilomètres de là. Un autre monde. Jessica a vite tiré avantage de la situation et est entrée dans le moule. Elle raconte, elle se raconte. Pourquoi est-elle là ? Je n’ose l’interrompre. Je lui fais signe que je reste attentif et je me lève me faire un second café. Le sien ne fume plus. Dans ma kitchenette, je peux respirer un peu, me redonner un air pro, me réveiller. Quand je reviens, elle me parle de ses études, de Paris, de sa vie d’étudiante. Les larmes laissent place à des sourires fugaces. J’ai envie de lui demander d’en venir aux faits. Je note quand même les dates importantes. Elle avait treize ans, il y a vingt-trois ans, quand ils sont arrivés. Entre-temps, son père a pris du galon puisqu’il est devenu directeur général du groupe. Je lui demande, pour faire diversion :

— Vous connaissez peut-être les Rousseau-Bonichon ?1

— Bien sûr ! Isabelle est une grande amie !

Ça nous fait un point commun. Mais quelle question idiote ! Comment voulez-vous qu’un industriel de Vitry ne connaisse pas son voisin ? Surtout quand ils sont du même niveau. Pas perturbée par mon incartade, elle poursuit son topo. Le papa était à deux ans de la retraite et il commençait à lever le pied. Son principal boulot et sa principale préoccupation étaient de se trouver un successeur. Doucement, il se préparait à cette étape pas facile dans sa situation. Mais c’était resté un homme simple, un « rural ancré », insiste-t-elle. Ses passions étaient modestes et il vivait près de la nature. Toujours. L’emploi de l’imparfait me suggère qu’il s’agit du papa. La nature qu’il arpentait de long en large à l’occasion de randonnées hebdomadaires de plus en plus longues. À la saison, il laissait femme, fille et petits-enfants – elle-même, fille unique, ayant quitté le cocon familial depuis quelques années – pour aller aux champignons. Sa grande passion. Il avait ses coins. Notamment aux alentours de Champcueil et La Ferté-Alais, dans l’Essonne. Je sens qu’on arrive quelque part et je recommence à m’intéresser. Je note « champignons », « Champcueil ». Il partait tôt, souvent le week-end mais, de plus en plus souvent, en semaine également. Un matin, il n’est pas revenu. Des promeneurs ont retrouvé son corps exsangue (c’est son mot) près des Roches du Père la Musique, dans la forêt sur la commune de Ballancourt (un endroit incroyable que je vous recommande de visiter, ça vous fera un bol d’air). L’enquête a vite conclu à une attaque de sanglier. Il a dû déranger une meute et être chargé par un des mâles du groupe. Un coup de défense dans la cuisse. Fatal. L’artère fémorale a été percée. Hémorragie brutale et massive. Les secours ne seraient pas arrivés à temps. Il y a de la tension dans le bureau. Revivre, par la pensée, ces instants bouleverse Jessica qui se remet à pleurer et hoqueter. J’essaie de me détendre en imaginant René nous disant : « J’ai toujours dit que les champignons c’était dangereux. » Je pose quelques questions : l’autopsie ? Elle a bien confirmé que c’était un sanglier qui avait causé cette blessure. De l’ADN de la bestiole partout : dans la plaie, sur les vêtements, sur les mains, sous les ongles. Si on l’attrape, le quadrupède irascible aura du mal à nier. Probablement une seule charge, le temps que la meute prenne la fuite. C’était quand ? Il y a pile dix jours aujourd’hui. En semaine, donc. Peu de chance que le coin soit très fréquenté et qu’un randonneur ait pu appeler les pompiers à temps. Je réfléchis. Que veut-elle ? Que je retrouve le sanglier ? Ah ! Si seulement Momo était là ! Il saurait quoi dire, lui. Je me lève, fais le tour du bureau et tapote maladroitement l’épaule de ma cliente. Faut se méfier, maintenant, de nos élans de tendresse ou de compassion, ça pourrait être mal pris. Putain d’époque où même les réflexes humains doivent être contrôlés ! Mais elle accepte mon initiative et se blottit contre moi en se levant et en s’excusant. Je lui propose de remplacer le café qu’elle n’a pas touché et qui est froid. Elle accepte et se fend d’un sourire. Diversion bien utile, je me réfugie devant ma Nespresso. Quand je reviens, elle s’est refait une apparence. Ça m’aide. Elle me regarde et comprend mes interrogations. « Attendez, c’est pas fini », semble-t-elle vouloir me dire. Elle renifle, se mouche, boit son café sans sucre et se rassoit. Moi aussi.

1. Voir Tout est bon dans le boulon, même auteur, même collection.

2

Cap au sud

Jessica a repris un peu de couleurs. La pause-café lui a fait du bien. Je me demande où est Momo. Il était prévu qu’il me rejoigne pour assister à ce rendez-vous pris hier en fin de journée. Et ça n’est pas son genre d’être en retard. Je suis préoccupé. Ma cliente hésite, je l’aide :

— Je comprends votre peine et votre douleur mais qu’attendez-vous exactement de moi ?

Dans d’autres circonstances, je lui aurais demandé si elle a pensé à moi pour retrouver le sanglier. Mais, là, quand même…

— Oui, excusez-moi… J’y viens. J’ai été longue mais il fallait que je vous explique la situation. Bon… Mon père voulait être incinéré, telle était sa volonté. Mais ma mère, pour des raisons d’éducation ou de croyance, par peur peut-être, s’est opposée à cette décision. Sa famille a un caveau au cimetière de Bron et son souhait à elle, c’est d’y reposer auprès de ses parents. Elle n’envisage pas ce repos sans papa. Bref, après une courte cérémonie aux pompes funèbres de Vitry où il y a eu foule pour lui rendre un dernier hommage – la famille mais aussi de nombreux cadres et employés de chez Fabert – le cercueil est parti par la route pour rejoindre le cimetière de Bron où le reste des réjouissances (c’est son mot, prononcé avec un léger haussement d’épaules désabusé) était programmé pour le lendemain matin…

Elle se remet à pleurer mais conserve la maîtrise de sa narration.

— … Excusez ce terme mais tout ce tintouin et toute cette hypocrisie m’ont ébranlée. Fabert avait mis un autocar à la disposition de la famille et de quelques très proches collaborateurs de papa pour nous rendre à l’inhumation. Nous sommes donc tous partis de Vitry le lendemain très tôt afin d’être à l’heure à l’enterrement prévu en fin de matinée. Je ne connaissais pas le cimetière de Bron. J’ai quitté la ville assez jeune et à l’époque, ça n’était pas pour moi un lieu de promenade. Je le regrette car c’est vraiment un cimetière très apaisant. Un endroit chargé d’âmes si je peux dire. La cérémonie, vous vous en doutez bien, a été empreinte d’émotion. Sereine aussi, le soleil brillait et le ciel était bleu, sans nuages. Tout se déroulait dans un protocole convenu et de circonstance. Nous suivions, j’étais au premier rang avec ma mère, les porteurs du cercueil dans les allées du cimetière. Derrière nous, la délégation du car était là et d’autres connaissances de mes parents s’étaient jointes à nous. C’est fou ce que ça attire comme monde, les enterrements ! Beaucoup de visages étaient parfaitement inconnus de maman et elle redoutait les condoléances en fin de cérémonie. Elle me le répétait et ne me lâchait pas. Elle n’a pas eu cette peine : un des porteurs a fait un malaise subit. Sans aucun signe avant-coureur. Il allait bien et, pffuit, il est tombé sans prévenir. Naturellement, les trois autres, surpris, ont trébuché et le cercueil s’est retrouvé par terre. Dans le choc – à l’origine, on avait prévu une crémation et donc, pas investi dans une qualité exceptionnelle. À part les poignées et une décoration un peu spéciales, c’était vraiment du bas de gamme. De toute façon, papa n’aurait pas aimé que cela en soit autrement – il s’est cassé en deux.

Son récit devient haletant, au sens figuré pour moi et au sens propre pour elle. Elle se remet à pleurer, incapable d’articuler plus. Je la laisse se reprendre.

— Et… et là… On craignait tous de trouver le corps de papa dans une position insupportable, grotesque et déplacée. Et vous savez ce qu’on a trouvé ?

Moi ? Euh non. Je le lui dis. Elle ne laisse pas planer le mystère plus longtemps :

— Deux sacs de sable de quarante kilos chacun. Des sacs longs qui prenaient toute la place. Vous vous rendez compte ?

Oui, je me rends compte. En même temps, j’ai du mal à organiser mes pensées. Je balbutie un :

— Qu’est-ce que c’est que cette histoire ?

— C’est pour ça que je suis là. Pour le savoir.

Pour tout vous dire, cette mission annoncée ne me motive pas plus que ça. Que veut-elle que je trouve ? Je lui demande :

— La police n’a pas été avertie ?

— Bien sûr que si ! Et aussitôt. Ça s’est passé avant-hier. Mais les commissariats de Bron et de Vitry semblent se renvoyer la balle. À Bron, on est persuadé que la substitution a eu lieu à Vitry, et ici, c’est le contraire. À moins, nous a-t-on dit, qu’elle ne soit intervenue sur le trajet. Auquel cas ni l’un ni l’autre ne se sent concerné. Puisque le sanglier meurtrier est identifié formellement et qu’il court toujours, le sort du corps de papa ne les intéresse pas. Ils ont d’autres chats à fouetter. C’est ce qu’a dit le commissaire d’ici à un cadre de Fabert qui me l’a rapporté. Et devant moi et ma mère, il fait l’hypocrite, comme s’il avait perdu un ami de longue date.

Je ne suis pas étonné. J’imagine tout à fait Saint Antoine dans ce rôle.

— Faut avouer que ça n’est pas banal.

— Certes ! Mais est-ce une raison ?

Momo, en arrivant, fait diversion. Il s’excuse sans trop en faire. Il a été retenu par la police en qualité de témoin, à propos d’une bagarre qui vient de se dérouler dans l’hôtel où il habite. Un des protagonistes a été balancé du quatrième pour s’écraser sur le pavé. Il a juste entendu un cri et vu le bonhomme passer devant la fenêtre de sa chambre. Scène de la vie ordinaire. Pas de quoi en faire un fromage mais contrariant quand même quand on a la ponctualité gravée dans ses gènes. Je lui résume la situation et en cinq minutes, il en sait autant que vous et moi. Je ne décèle pas, à l’expression de son visage, un enthousiasme débordant. Pour gagner du temps et avoir l’air de considérer l’affaire importante, je demande à Jessica de me préparer un topo précis du timing des deux jours de funérailles en me décrivant chronologiquement les faits tels qu’elle les a vécus. Ma nouvelle cliente me promet ça pour cet après-midi. Elle va rentrer chez elle et réunir tous les éléments qu’elle pourra. Je la raccompagne à sa voiture, lui ouvre sa portière – service trois étoiles depuis que j’ai un vrai bureau – mais une question me titille (j’aurais pu écrire « me brûle les lèvres » pour rajeunir mon lectorat) :

— Au fait, comment êtes-vous parvenue jusqu’à moi ?

— C’est justement le commissaire de Vitry, Saint Quelque chose, qui m’a conseillée de m’adresser à vous.

Il n’en rate pas une, le vieux. L’art et la manière de se débarrasser de la patate chaude. Je la regarde partir en évitant de lui faire des petits cœurs avec les doigts et rentre rejoindre Momo qui se fait un café.

— T’en veux un aussi ? qu’il me propose.

— Volontiers !

3

Par où commencer ?

Le café ingurgité, on se regarde, perdus dans nos réflexions.

— T’en penses quoi ? attaqué-je.

— Pas grand-chose. Rien de bon, en tout cas. Sauf que c’est bizarre que le commissaire prenne ça à la légère.

— Pas tant que ça puisque c’est lui qui nous a envoyé la fille.

— Raison de plus !

Il n’a pas tort. C’est pas le cadeau du siècle. Momo commence à penser tout haut, un peu comme le lama dans Tintin au Tibet, sauf qu’il reste assis sur sa chaise :

— Quel intérêt de voler un corps comme ça ?

— Je ne sais pas. Pour les organes, peut-être…

Je me rends compte en prononçant ces paroles de la connerie que je viens de dire.

— Les organes ? Après le traitement du corps par les pompes funèbres ? Pour en faire quoi ? Des pendentifs ?

— Oui, tu as raison, ça m’a échappé. Je ne pige pas non plus. Je n’arrive pas à me mettre dans la tête de ceux qui ont fait le coup. Et comment ont-ils fait ? Pourquoi prendre de tels risques ?

— Je ne connais pas les risques réels à enlever un macchabée. Ils ne doivent pas être formidables, vu la réaction des keufs.

— Bon, on va quand même interroger notre généreux bienfaiteur. Il aura sans doute quelques explications. Et le mieux, ensuite, sera d’attendre le topo chronologique de la fille pour voir où il y a des trous.

En disant ça, j’attrape mon téléphone et sollicite une audience auprès du vieux. Il doit savoir exactement ce qu’on lui veut car il ne lutte même pas :

— Arrivez. Et vite, j’ai réunion dans moins d’une heure.

Dans moins d’une heure, il sera midi. Mais il nous faut moins de dix minutes pour toquer à sa porte. Open bar, ce matin, au commissariat. Pas de planton à l’accueil. Pas de filtre. J’entends des bruits de verres dans la salle de réunion juste derrière le hall. Pépère en sort en rigolant. Sans doute voulait-il anticiper notre arrivée. Raté ! Son verre à la main lui interdit toute explication dont, ordinairement, il a le secret.

Il se justifie donc :

— On fait une petite fête car le commissariat vient d’augmenter sa note annuelle au tableau national.

— C’est-à-dire ?

— Vous ne pouvez pas comprendre. Pour nous, c’est un peu comme une étoile au Michelin.

En expliquant, il nous précède et une fois sa double épaisseur de porte refermée, son bureau nous mure dans un silence de cathédrale. Il est vraiment très gai. Ça doit être quelque chose que ce tableau d’honneur !

Il tapote le bras de Momo :

— Fais pas cette tête d’enterrement, André, y a pas mort d’homme.

Et se reprend aussitôt :

— Bon, vous voulez quoi ? C’est à propos de Dumortier, je parie…

— C’est exactement ça, commissaire. Nous venons de quitter la fille de la victime qui nous a fait part de cette histoire incroyable.

— Vous avez raison, c’est incroyable !

— En passant, merci de nous refiler le bébé ! Qu’est-ce qui s’passe ? Pourquoi avez-vous si vite laissé tomber ?

— Parce qu’on a vraiment d’autres choses à faire dans le coin. Et qui vous dit qu’on a laissé tomber si vite, comme vous dites ?

— Ben le truc a eu lieu avant-hier, et hier, quand elle m’a appelé pour prendre rendez-vous, l’affaire était classée à votre niveau.

Il pose son verre, regarde ses pieds, réfléchit et se racle la gorge. Il va parler :

— On a fait vite, c’est tout ! La famille a été interrogée, les pompes funèbres aussi, et il est impossible que la substitution ait eu lieu à Vitry. Impossible !

— Comment pouvez-vous en être sûr ?

— La procédure a été respectée d’un bout à l’autre de la chaîne locale. Le corps a été exposé dans son cercueil pour la première partie des obsèques. Le cercueil a été scellé puis pris en charge aussitôt pour être livré au confrère dans le Rhône. Il fallait qu’il y soit avant la cérémonie d’enterrement qui était programmée pour le lendemain en fin de matinée, à l’arrivée du car des invités. Le convoi est donc parti avec deux chauffeurs, deux anciens de la maison, en milieu d’après-midi. Il n’y a eu aucun temps mort propice au remplacement du corps par des sacs de sable. C’est forcément à Bron, dans la nuit, chez le confrère, que ça s’est passé. Donc c’est du ressort des collègues lyonnais.

— Vous êtes certain de tout ça ?

— Absolument ! Comme je suis certain que vous allez me mettre en retard. Mais vous avez l’affaire, maintenant, alors faites votre boulot. Allez vous renseigner aux pompes funèbres. Profitez-en, ils sont dans leurs petits souliers. Ce genre de fait divers la fiche mal dans la corporation.

Je sens qu’on va l’énerver en insistant. J’aurai sûrement besoin de lui. Je joue l’apaisement :

— Juste une dernière question, un conseil même : vous qui avez bourlingué, avez-vous une idée de la raison pour laquelle on aurait dérobé ce corps ?

Il aime la flatterie et baisse la garde :

— Là, je suis sec. On a aussi essayé de comprendre, vous pensez bien ! Il n’avait même pas une seule dent en or. Pas de prothèse en platine non plus. Et le corps avait été traité avant l’enlèvement. On a réfléchi, mais rien n’est venu. À part pour demander une rançon… Mais ce serait déjà fait !

— Bon, merci, commissaire, on va attendre les éléments que doit nous fournir mademoiselle Dumortier. Vous le connaissiez ce Dumortier ?

— Oui, vite fait, comme ça. Il nous est arrivé de faire, dans la grande salle de réunion de chez Fabert, des concertations « sécurité » avec le tissu industriel local… Un gars sympa… De là à dire que je le connaissais… Je savais qui c’était, point barre.

On le quitte, pas bien avancés mais soulagés, en lui serrant la main. Le vieux nous a assurés pouvoir compter sur lui : « Dans la mesure du raisonnable, bien sûr. »

Comme il est midi et que nous n’avons rien d’autre à faire que d’attendre le topo de l’héritière – qui n’héritera pas de l’entreprise, son père était directeur général mais pas propriétaire de la boîte –, nous rejoignons René qui doit s’inquiéter de ne pas nous avoir vus ce matin.

René inquiet, ça se saurait. Il est déjà attablé devant une assiette contenant de la tête de veau ou des tripes, je ne sais pas. Les revisitations chinoises de nos cuisines traditionnelles de banlieue nécessitent encore quelques réglages.

— J’ai commencé sans vous paske je vous voyais pas arriver et qu’y avait plus qu’un seul plat du jour.

Tant mieux, ça nous évitera de tomber dans ce piège culinaire. On s’installe. On commande. Steak frites. On évite l’aventure. Faut laisser du temps au nouveau cuistot pour les choses plus complexes. On en a le parfait exemple sous les yeux… et sous le nez… Ça pue l’aigre, ce truc. L’attablé, qui sauce son assiette, nous demande ce qu’on fait en ce moment. Depuis qu’on est comme qui dirait associés, Momo et moi, il fait ostensiblement la gueule et mine de ne s’intéresser que de loin à notre sort. « Vos trafics, je m’en lave les pognes », qu’il nous a sorti il n’y a pas longtemps. En réalité, il est jaloux. Et ça se ressent, en bien, dans son boulot sur lequel il compense. Je lui résume quand même l’affaire. Il se marre :

— Des sacs de sable ? Il va avoir l’air fin, vot’ client, le jour de l’érection !

— En attendant la résurrection, t’en dis quoi ?

Toujours lui demander ce qu’il pense car, malgré un cheminement mental aléatoire, il lui arrive souvent d’avoir de bonnes idées. Nos steaks arrivent. Cuits vapeur. Momo hésite à attraper le serveur par le bras puis renonce. Inutile. René lorgne nos assiettes :

— Du pot-au-feu avec des frites, pas con ! Bon, j’en dis quoi… Tu veux que j’en pense quoi ? J’en sais rien, moi, je suis technicien de maintenance, pas détective.

Et vlan, Prends ça dans les dents.

— Mais encore ?

— J’en pense qu’enterrer quatre-vingts kilos de sable ou quatre-vingts kilos de macchabée, le boulot est le même et le résultat aussi. Une fois l’caveau refermé, c’est du pareil au même. Ni vu, ni connu, j’t’embrouille !

Comment lui donner tort ? Mais on n’est pas avancés. Il continue :

— Mais quand même, c’est bizarre c’t’histoire. Les gus qu’ont fait l’coup, ils se sont donnés beaucoup d’mal. Pourquoi ?

— Justement, c’est la question qu’on se pose.

— Moi aussi ! On a analysé l’sable ?

Quelle drôle d’idée ! Je réfléchis… Après tout, ça ne serait pas idiot dans ces circonstances. Je ne pense pas que les flics, qui se rejettent la balle et les sacs de sable, aient pris cette initiative.

— Pourquoi tu demandes ça ?

— J’en sais rien. Mais comme ça ne tient pas debout, faut bien trouver un motif à tout ce boulot. Ça s’rait un moyen comme un autre de transporter discrétos un trafic quelconque. Moi, j’ferais comme ça. Je fourguerais l’industriel dans un élevage de cochons et je ferais voyager ma came incognito. Un cercueil plombé, on n’en fait pas l’inventaire. Et une fois en place, c’est facilement accessible.