Le moine au tablier rouge - Cicéron Angledroit - E-Book

Le moine au tablier rouge E-Book

Cicéron Angledroit

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  • Herausgeber: Palémon
  • Kategorie: Krimi
  • Sprache: Französisch
  • Veröffentlichungsjahr: 2021
Beschreibung

Rien ne se passe jamais comme prévu. Cette nouvelle enquête en est la preuve...


Pour une affaire foireuse, c’est une affaire foireuse !
Nous voilà partis, par monts et par vaux, Momo et moi, à la recherche d’un moine défroqué, d’une Mère supérieure intérimaire et de l’assassin d’une boiteuse qui s’est pris les pieds dans une racine de pissenlit. On va se balader, et surtout se faire balader, entre Vitry, Clairefontaine et Rungis pour arriver (ou pas) à nos fins. Une belle occasion pour roder ma nouvelle voiture d’occasion presque neuve.
René, quant à lui, a choisi de partir en stage d’accrobranche avec sa Paulette. Il a même renoncé à l’enterrement de son cousin pour s’envoyer en haut des cimes des arbres. Eh bien, croyez-moi, il a eu raison !
Entre un couvent fantôme et le pavillon des viandes de Rungis, on rame pour gagner notre beefsteak, le manchot et mézigue. Et puis, il y a cette veuve qui réveille chez moi de vieux démons.
Accrochez-vous et retenez bien ceci : dans la vie, il faut toujours attendre le contre-ordre avant de se lancer bille en tête. Vitesse et précipitation…


Cicéron Angledroit n'a pas d'égal pour mêler intrigue et humour ! Il signe ici son quinzième ouvrage du genre.


À PROPOS DE L'AUTEUR


Banlieusard pur jus, l’auteur – de son vrai nom Claude Picq – est né en décembre 1953 à Ivry, ceinture verte de Paris transformée depuis en banlieue rouge.
Il a été « poursuivi » par les études (faute de les avoir poursuivies lui-même) jusqu’au bac et est aussitôt entré dans la vie active par la voie bancaire.
Très tôt, il a eu goût pour la lecture, notamment les romans : Céline, Dard, Malet et bien d’autres. Et très tôt aussi, il a ressenti le besoin d’écrire.
Le moine au tablier rouge est le quinzième titre de sa série d’enquêtes humoristiques.



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Couverture

Page de titre

PRÉAMBULE

Pour celles et ceux qui entrent directement, par ce bouquin, dans l’univers de Cicéron et qui, de ce fait, n’ont pas eu le bonheur de lire les précédents ouvrages, voici une courte, mais opportune, présentations des personnages principaux :

Les Z’Hommes :

Cicéron Angledroit : Détective, la quarantaine indéfinie mais bien tassée, si vous voyez ce que je veux dire, pas très grand, mal peigné, assez loser et très opportuniste. Il est le père d’Elvira, une gamine préado délurée (Elvira Angledroit… autre calembour) qui vit à Paris chez sa grand-mère paternelle. Il fait ce qu’il peut pour vivre, c’est surtout un observateur. Il passe le plus clair de ses nuits, si on peut dire, chez Vanessa, à Choisy. Son ancien deux-pièces de Vitry est devenu, désormais, son agence de détective. Il a aussi un fils, Enzo, mais c’est une autre histoire (voir un peu après).

René : Caddie-man à l’Interpascher de Vitry… Mi-ouvrier mi-traîne-savates… un homme bourru, rustre mais attachant (un peu le Béru de San-Antonio en moins exotique). Ex-alcoolique pas anonyme, il fréquente, chaque matin, le même bistro (dans la galerie de l’Interpascher) que Cicéron… Ils se sont rencontrés à l’occasion d’un attentat qui a touché le troisième larron important de l’histoire (Momo). René, sous ses airs de boulet, est un homme bien et plein de bon sens qui se remet miraculeusement d’un AVC qui l’a transformé. Il s’est récemment mis en ménage avec Paulette, une ravissante quinquagénaire dont personne ne voulait.

André dit Momo : Un taciturne à l’allure de SDF, intellectuel « rentré », pas expansif ni vantard. Il vendait des Belvédères (journal d’insertion) à la sortie d’Interpascher… Il déployait une telle psychologie que cette activité était très lucrative pour lui. C’est le penseur de la bande. Il connaissait déjà René. Mais un attentat (Lire Sois zen et tue-le), dans la galerie marchande l’a privé de son bras droit et lui a permis de sympathiser avec Cicéron, qui les croisait, lui et René, chaque jour sans faire attention à eux. Son handicap et les soucis administratifs lui ont fait renoncer à son activité. Désormais, il émarge à la Cotorep et à l’AAH (allocation adulte handicapé) et, la vie se montrant souvent facétieuse, il est devenu le bras droit de Cicéron. Il a une chambre au mois à l’Hôtel de la Gare de Vitry.

Le commissaire Théophile Saint Antoine : Un flic à l’ancienne, près de la retraite, bien forgé par une longue expérience du terrain, désabusé mais très droit. Est devenu pote avec Cicéron, auquel il confie quelques affaires en marge quand il n’a pas lui-même les coudées franches. Pote, mais avec, quand même, la barrière des convenances et du respect qu’ont ancré en lui son éducation et une longue carrière poussiéreuse de fonctionnaire de terrain.

Les Nanas :

Monique : Veuve de Richard Costa qui a été au cœur de Sois zen et tue-le. Elle aussi maîtresse de Cicéron mais plus épisodiquement. Elle est également lesbienne et vit désormais avec Carolina, son ancienne belle-sœur (sœur de Richard). Elle vient d’avoir un bébé : Enzo, de Cicéron qui, ne sachant pas dire non, a accepté d’être le géniteur de cet enfant. Mais Carolina et elle en sont les parents officiels aux yeux de la loi.

Carolina : Juste ci-dessus évoquée, c’est le fantasme number one de Cicé. Manque de bol, lui si talentueux d’ordinaire, se métamorphose en cloporte dès qu’il l’approche. Au fil des aventures, ils se familiarisent tous les deux mais ça n’est pas facile. D’autant que Carolina connaît très bien la relation « passée » de Monique et de Cicé et qu’elle semble plus exclusive que notre héros.

Vaness’ : Fliquette, adjointe du commissaire, qui accorde aussi ses faveurs à Cicéron. Mais c’est du donnant-donnant. À la moderne. Sexuellement, elle le bouscule un peu par sa jeunesse et il a parfois du mal à s’accrocher aux branches. Au fil du temps, Cicé et elle sont devenus concubins.

Paulette : Concubine de René. Rien que ça, ça dit tout d’elle. Sa tendance à la maladresse fait d’elle une très bonne cliente des urgences. Si vous la croisez, faites semblant de ne pas la voir. Si elle vous tend la joue, vous êtes foutu.

Et sans oublier Raoul et sa nièce, Lulu, qui tenaient le bistro de l’Interpascher, siège social de notre détective… Vous ne les verrez plus, ils ont vendu leur rade à Félix Yu, un Chinois 100 % made in RPC.

Voilà, voilou… Bonne lecture !

« Une vie ne se termine pas plus qu’elle n’a commencé »Michel Terguil

1 On commence mollo, dans le léger

« Une vie ne se termine pas plus qu’elle n’a commencé. » Ces paroles n’ont pas quitté ma tête de la nuit. Le commissaire de Vitry, Théophile Saint Antoine, est là, le regard éteint, perdu dans ses pensées. Morose. René également, assis devant moi, en costume « grand deuil » loué au débotté. Il fixe Félix, le patron du bistro, comme s’il était une bouée à laquelle se raccrocher. Seul Momo, debout à quelques pas et discutant avec un consommateur qui m’est inconnu, paraît « comme tous les jours ». Ordinaire, étranger à ce qu’il se passe. « Une vie ne se termine pas plus qu’elle n’a commencé » ont été les derniers mots prononcés par Michel Terguil quand je lui ai lâché la main, hier soir. Il venait de recevoir ses résultats. Le matin, tout allait bien, sauf cette douleur persistante dans le milieu du dos. Et le soir, plus rien ne tenait debout. « Évolution à bas bruit », lui avait lâché son toubib. Trop tard. Tout était trop tard. J’ai essayé de le rassurer : « La science fait de si belles choses aujourd’hui. » Mais pas à lui. On ne la lui fait pas, à lui. « Il y a plus à enlever qu’à laisser », m’avait-il répondu, résigné. Et puis cette phrase : « Une vie ne se termine pas plus qu’elle n’a commencé. » Quelques mots prononcés comme ça, sans réflexion. Quelques mots qui me hantent. J’en cherche le sens, même s’il m’est devenu plus clair. Maintenant. Qu’était-on avant de naître ? Que devient-on après la mort ? Si quelqu’un, parmi vous, a la réponse, je suis preneur. La vie serait-elle une exception au milieu de la normalité ? La nouvelle est tombée ce matin, brutale : suicide. « Il a regardé un Columbo, sa série préférée », selon sa pauvre femme. « Puis un second. Je suis allée me coucher et… » Sanglots. Au milieu de la nuit, elle s’est relevée, étonnée de ne pas le sentir contre elle, et l’a retrouvé dans son fauteuil. Mort. Inexistant, désormais. Plus là ! La bande-annonce du DVD tournait en boucle. Les secours n’ont été d’aucun secours justement. Ingratitude de ce métier. On ne sait même pas comment il est mort. On sait juste que ce n’était pas encore l’heure. Pas tout à fait. Il avait de « beaux jours » devant lui. Difficile de parler de mois, même de semaines. La seule certitude c’est qu’il savait. Un mot laconique, Au revoir, je vous aime, le confirme. Un mot et deux photos. C’est tout. Comment il a fait ? On n’en sait rien. Sans aller jusqu’à l’autopsie, Saint Antoine a confié le corps à l’institut médicolégal. Ce matin, on pleure.

Un mot, deux photos. La première, facile : c’est Michel, ado, avec trois autres gamines de son âge, assis en rond. Il est de face, les cheveux longs, vaguement romantique. Ils ont les mains réunies comme s’ils pactisaient. Un truc de mômes. À gauche, sur l’image, sa sœur Céline. À droite, Véro, celle qui deviendra, bien plus tard, sa femme. La troisième, celle qui tourne le dos, Véro ne se rappelle pas bien qui ça peut être. Une cousine peut-être ou une copine de classe. Elle ne se souvient pas non plus du moment ni des circonstances. Les vacances, sûrement, mais le plan est trop serré pour reconnaître l’endroit. Et puis elles étaient si nombreuses, à l’époque, les occasions de se retrouver… Pourquoi cette photo ? Pourquoi la sortir maintenant, pile maintenant ?

La seconde, bien plus énigmatique : un curé, tout jeune, soutane et sandales, lunettes et souriant, sa main droite tient un parapet. Il est sur une allée gravillonnée rouge, couleur court de tennis, qui longe une pelouse impeccable. Derrière lui, un banc public blanc. Vide. En arrière-plan, une église ou une basilique. Le curé est fier d’être curé. Ça se sent. Véro découvre ce type. Elle ignore complètement de qui il peut s’agir. Elle a beau fouiller ses souvenirs, scruter son visage, rien ne lui vient. Même pas une ressemblance familiale. Nada ! Les lieux ne lui évoquent rien non plus.

Aucune inscription sur les photos. Pas de date. Sur celle du groupe d’ados, ils devaient avoir quinze ans environ. Ça remonte. Juste le logo « Fujicolor paper » filigrammé sur les versos. Mais ça n’assure pas du tout que les deux clichés ont été pris à la même époque, Fuji ayant longtemps régné sur l’argentique. Nous, on est abasourdis. Drôle de façon de commencer la semaine. Même si notre décor habituel est là. Félix respecte et ne nous harcèle pas pour qu’on rentabilise sa table. Il perçoit le malaise et la présence du commissaire le tient à distance. Momo, qui connaît pourtant tout le monde, ne connaissait pas Michel. Ou le connaissait trop, on ne peut jamais dire avec Momo. Ses sentiments, il ne les exprime jamais. Pas devant la galerie. Il est comme ça. Saint Antoine considérait Michel comme « un bon flic sans éclat », mais aussi comme « un fidèle camarade de longue date ». René, comme « un pote d’école », et il précise « primaire ». Il n’est jamais allé plus haut. Et moi ? Comment vous dire ? Je ne l’ai jamais évoqué avant, et voilà que je vous le sers maintenant comme tous ces « RIP » qu’on voit fleurir sur les réseaux sociaux quand une vieille vedette, oubliée de tous, devient un « talent qu’on va regretter », en cassant sa pipe. Pour moi, Michel c’était juste Michel, ce pote de trois ou quatre ans de plus que moi qui habitait dans la même cour et qui venait me « garder » et m’aider à faire mes devoirs quand j’étais petit et que ma reum devait aller bosser. Il n’était pas flic à l’époque, bien sûr, mais il avait déjà le sens du devoir de ce qui se fait et de ce qui ne se fait pas. Sans doute m’a-t-il épargné une forme de déshérence oisive qui menait nombre de mes contemporains banlieusards vers une voie délinquante toute tracée. Et puis on a grandi. Il est devenu flic et moi pas grand-chose. On s’est revus quand, ma carte de détective en poche, j’ai commencé à fréquenter la maison poulaga. Pas au début, car il n’était pas en poste à Vitry. Il pointait à Créteil, à la préfecture, où il occupait une vague fonction administrative. On s’est recroisés plus tard, par hasard. Quand on s’est retrouvés adultes, un large sillon s’était creusé mais on avait fini par le resserrer un peu. Pas autant qu’avant mais presque. Je ne lui en ai jamais voulu d’avoir épousé Véro, dont j’étais amoureux à l’époque du lycée. Elle était mon aînée et sa cadette. Moi encore au lycée, lui déjà parti. L’époque où nos chemins ont divergé. Aujourd’hui, je pleure le temps perdu. Et je vois Véro autrement. Là, j’avoue, j’ai du mal à croiser son regard. Je ne sais pas affronter la peine des autres. La comprends-je d’ailleurs ? Est-elle partageable, la peine ? Ils ont eu un fils : Ludovic. Encore un Ludovic ! C’est fou ce qu’il y a comme Ludo ! C’est comme les Nico. Ça pullule. Le fiston est officier marin sur un porte-avions. Pas sûr que je le vois à l’enterrement. Il a suivi le chemin paternel, le prestige en plus. Je l’appellerai, je le connais un peu. « Enseigne de vaisseau de première classe Ludovic Terguil », ça claque ! L’armée évolue. Les officiers se prénomment Ludovic, Jordan, Tom. Terminée, l’époque des Charles, Pierre et Paul de quelque chose. Le vieux se lève. Il a fait main basse sur les photos, « les indices », comme il dit. Il ne trouve pas les mots. C’est inutile, il paye les cafés et s’en va. J’ai promis à Véronique de passer la voir. Je vais y aller. Momo m’accompagnera s’il le veut. Ou pas, ça n’a aucune importance. René est comme un con en grand deuil. Il embauche dans un quart d’heure et je le vois mal pousser ses caddies dans cette tenue. Félix reste commerçant et, sourire jusqu’aux oreilles, nous annonce que la tournée à venir est pour lui. Il est toujours content quand le flic quitte son établissement. La clientèle locale revient. On en profite, même si le cœur n’y est pas. Momo ne m’accompagnera pas. Il ne voit pas l’intérêt de venir en « délégation ». Il ne connaissait Michel que de vue. Et il n’est pas du genre à en faire trop. René a regagné son vestiaire.

Je me retrouve seul, au volant de ma nouvelle voiture. Je vous en parlerai plus tard. Une nouvelle voiture, c’est toujours un peu intimidant. Même d’occase. On a l’impression d’être quelqu’un d’autre. Je démarre. Je vais avoir besoin de ce quelqu’un d’autre. La tristesse et la consolation ne font pas partie de mes talents ni de mes gènes. Et, pour moi qui suis incorrigible, une veuve est avant tout une femme. Surtout Véro, que j’avais pris l’habitude de ne plus voir telle qu’elle est réellement. Les Terguil vivent… vivait pour Michel… à Alfortville. Pas loin, mais la Seine nous séparait. J’avais eu l’occasion d’aller chez eux deux ou trois fois maximum dans les dix dernières années. Pas plus. Et encore, j’inclus ma visite d’hier soir. En traversant le pont du Port à l’Anglais, je suis content de penser que le corps a été expédié à l’IML. Les morts me font peur. Pourtant, ils ne feraient pas de mal à une mouche. Au contraire ! Ma nouvelle voiture n’est pas vraiment du format de ma Ford Ka qu’on a réussi à me voler la semaine dernière. Mauvaise période. Il va falloir que je me familiarise avec le gabarit. Je vous raconterai, promis. J’ai trouvé une place pas trop loin de l’immeuble. Un créneau laborieux au son de nombreux « bip-bip » anxiogènes, et je coupe le contact en appuyant sur un bouton. Le progrès ! J’embarque la clé laissée dans le vide-poches pour éviter un rappel à l’ordre et la bagnole se verrouille toute seule. Je sonne en bas, Véro m’ouvre. Trois étages dans un ascenseur grinçant me permettent de reprendre mon souffle. La porte de l’appartement est béante. J’entre. J’ai un souci manifeste de contenance. Je cherche mes mots dans ma tête qui aimerait tant être ailleurs. La veuve – quel vilain mot ! Pourquoi éprouver le besoin de donner ainsi un qualificatif à celui qui n’est pas mort, comme s’il devait prendre sa part ? – est assise dans le salon. Elle n’en « fait pas trop ». Ça m’aide bien. Merci, Véro. Elle se lève et on se serre dans les bras l’un de l’autre. Une légère gêne s’installe entre nous. Une ambiguïté qui se réveille. Pas au meilleur moment. Les mots ne viennent pas. Inutiles. On se regarde, on se comprend. Elle me propose un café. Je regarde par la fenêtre pendant qu’elle le prépare. Machinalement, je surveille ma voiture presque toute neuve. Je me rattache ainsi à ma réalité, me protège, mais l’émotion est là. Le café arrive, précédé de son odeur rassurante.

2 Puis on monte un peu dans les tours

Désorienté, je retourne vers le commissariat en mode pilote automatique. La voiture connaît bien le chemin. Je vous raconte : le vol de ma Ka, outre avoir fait bien rire le vieux, « Ils sont tombés bien bas, nos malfrats ! », lui a donné l’idée de changer la sienne.

« Elle a plus de cent mille mais elle peut encore en faire le triple. Si ça vous dit, je vous la laisse pour l’argus. Et encore, je vous compte pas les options. C’est une affaire ! » Il avait raison. Comme neuve. Pas une rayure, un carnet d’entretien blindé comme un carnet de bal, quatre pneus neufs, disques et plaquettes idem. Et voilà comment je roule en automatique ! J’ai mis trois jours pour cesser de martyriser le frein et bouffer le pare-brise en voulant changer de vitesse. Par chance, aucun de ces freinages intempestifs n’a provoqué d’emboutissage. J’ai le cul intact. Je ne vous raconte pas le prix, c’est carrément délictueux : corruption de civil. Un cadeau. Il m’aime bien le vieux. La voiture connaît donc bien le chemin et, même si je manœuvre plus que son ancien proprio pour la caser entre deux bandes blanches, nous arrivons à bon port. Vaness’ vient à ma rencontre :

— C’est quoi cette histoire ? Il est mort ?

Elle était déjà en route pour le taf quand j’ai appris la nouvelle. Mais je lui avais raconté ma visite de la veille au soir. Elle avait refusé de m’accompagner. « J’aime pas trop ce mec, il a un regard vicieux. » C’est comme ça maintenant, toutes celles qui ont la chance d’avoir un beau cul le traînent comme un boulet. Michel, vicieux ? Elle pousse. Elle regarde trop la télé. Je ne lui en veux pas, elle vit avec son époque. J’ai la chance qu’elle ne parle pas en « canard », comme c’est désormais la règle pour exister en tant qu’« influenceuse ». Elle me gratifie quand même d’un petit geste de réconfort en me frottant le dos. Bonne camarade. Sa sollicitude s’arrête à la porte de son patron. Elle a autre chose à faire. Le commissariat continue de tourner et son brigadier Verrazzini l’attend un peu plus loin en me lorgnant méchamment. Je frappe, j’entre. Pépère est au téléphone. Il me fait signe de m’asseoir. J’arrive au moment des politesses : « Merci beaucoup, je vous revaudrai ça… C’est ça, oui… On en reparle bientôt. »

— C’était l’IML. Suicide confirmé. Et pas une TS, hein ! Une bonne dose de Cytochloridrate, un médicament qui n’a aucune autre propriété que de vous tuer. Et c’est pas un effet secondaire. Bonne dose. Comment a-t-il pu se le procurer ? Ça ne se trouve nulle part, même avec ordonnance. Il devait avoir un complice dans le corps médical. Et pas son médecin de ville. Bref, on va pas creuser. Le permis d’inhumer a été signé. L’affaire est close. Vous avez vu madame Terguil ? Comment elle va ?

— Elle est courageuse. Elle fait face. Je ne pense pas qu’elle se rende encore bien compte.

— Mettez-vous à sa place. Elle apprend, un dimanche en plus, que son mari est condamné et le retrouve mort au milieu de la nuit. Ça fait court pour se faire une raison. J’ai eu le fils…

— J’allais l’appeler.

— Faites-le, ça lui fera plaisir. Mais il ne pourra pas être là pour les obsèques. Son bateau est en manœuvres au large du Niger.

— Il n’y a pas de côte au Niger.

— J’ai dû mal comprendre. Faites pas chier, c’est pas le jour.

— Et les photos ?

Il me regarde et met un petit moment à raccrocher les wagons. Il joue avec sa souris.

— Je les ai scannées. À tout hasard. Et je les ai quand même transmises à Roudoudou…

— Roudoudou ?

— Oui, Roudoudou. Tout le monde l’appelle comme ça, je ne sais pas pourquoi. C’est une collègue du labo, un peu touche-à-tout.

Je crois comprendre pourquoi on l’appelle comme ça, la technicienne. Surtout si elle est un peu touche-à-tout. Je note avec plaisir que cette histoire l’intéresse. Sinon, pour quelle raison prendrait-il tant de soins pour deux photos bien anodines ? Le labo a d’autres chats à fouetter. Il poursuit sur sa lancée :

— Roudoudou m’a assuré qu’elle pourrait dater les photos et retrouver l’église. Peut-être même le curé. La vie est belle !

— On aura ça quand ? Et on va en faire quoi ?

Ma question le réveille. Oui, en faire quoi ? Il réfléchit :

— Si, dans un tel moment, Terguil a pris la peine de cette mise en scène, c’est qu’il avait un message à faire passer.

— Certainement, mais pas forcément à nous.

— À qui, alors ? Même sa pauvre femme ne comprend pas ce qu’il a voulu dire. Ça vous embêterait de creuser un peu ?

— Vous ne pouvez pas le faire vous-même ? C’est un collègue à vous.

— On n’enquête pas sur les suicides une fois qu’ils sont avérés. Et puis cette église nous éloigne du Val-de-Marne. Je ne peux pas vous dire encore où elle se trouve, mais je peux vous garantir que c’est pas dans le coin.

— Et d’où vous tenez qu’elle a de l’importance ? C’est peut-être juste le curé. Et si on le retrouve, on va en faire quoi ? À part le prévenir et lui dire que son pote Michel s’est suicidé. Comme on dit chez moi : « L’enterrement porte conseil ». Attendons de voir avant de nous emballer.

— Première fois que j’entends cette expression. Je la note.

Il se marre. Il a enfin réussi à retrouver l’image de l’église sur son disque dur, où tout est en vrac. Il tourne l’écran vers moi.

— Ça vous dirait de la visiter ? Elle a l’air belle, non ?

Je regarde l’image. Elle est bizarre cette église. C’est plus qu’une église, à mon avis. Une basilique peut-être. Pas une cathédrale mais presque. Elle semble posée sur le sommet d’une colline vide, presque plate. Un dôme blanc la chapeaute. Je n’y connais rien en style religieux mais elle ne me paraît pas dater de si longtemps que ça. Un peu comme le Sacré-Cœur de Montmartre. Genre cathédrale néo-classique. Bernard Buffet en aurait fait une magnifique toile. Le curé attire mes yeux. Sa bouille de ravi, son sourire, ses sandales nu-pieds, sa soutane, qui me semble marron, aux manches un peu trop longues. Je lui cherche des ressemblances. Mais rien ne me vient. Il porte des lunettes. Signe que croire n’écarte pas la myopie. Un cordon non serré autour de la taille. La bande de pelouse est étroite. Juste la largeur du banc. Mais il n’y a pas assez de recul pour me faire une idée. L’important, pour celui qui prenait la photo, c’était le curé, et pas cet édifice imposant, probablement symbolique. Qu’est-ce qui peut pousser un homme qui va mourir à sortir ses vieilles photos et à se les coller devant le pif en dernière vision de ce monde ? Et si le message n’était pas juste pour lui ? Momo m’appelle. Il se demandait où j’étais. Depuis qu’on fait équipe officiellement, il a des difficultés à assumer son indépendance en journée. Nous sommes censés bosser et il n’a toujours pas intégré que notre métier n’était pas tout à fait comme les autres. Surtout en période transitoire, comme maintenant. Il se sent redevable. Sans doute parce qu’à la fin du mois, je lui créditerai un salaire. Et je ne pense pas que la chasse au curé m’aidera à faire le virement. Je lui demande de me rejoindre. Il est avec René qui est en pause. Le commissaire lit ses mails. Il ne me calcule plus mais ma présence ne le dérange pas.

— On attend quoi ? qu’il me demande.

— Momo qui arrive.

— C’est pas une maison de passe ici. Allez faire vos affaires dans votre bureau.

Je sens comme du dédain dans sa manière de prononcer le mot « bureau ». Je relance le jeu :

— Elle vous a donné un délai, Scoubidou ?

Je fais exprès de déformer le nom de la dame. C’est pas moi qui risque d’oublier Roudoudou. Ça serait un comble. Il ne relève pas.

— Non, mais je la connais. Elle ne passera pas à autre chose avant d’avoir des biscuits à me donner. Filez, je vous sonne quand j’ai du nouveau.

Je sors attendre l’arrivée de mon collègue devant le commissariat. Le tram circule enfin. Ça donne une nouvelle perspective à l’avenue. Il fait beau. Pas un temps pour mourir. La 208 de Vaness’ a quitté le parking. Où est-elle partie avec son binôme ? Pas le temps de trop me poser de questions, le manchot débarque. Et on embarque aussitôt pour le bureau. Il adore ma nouvelle voiture, bien plus à sa taille que l’ancienne. Je suis encore un peu gauche pour la rentrer dans ma courette. Je me foutais du vieux qui préférait la garer à l’extérieur. Les plants de cannabis du petit voisin sont devenus de belles plantes. Sa mère, qui a gobé sa passion nouvelle pour l’horticulture, en est toute fière. Sauf qu’elle aurait préféré qu’il fasse des courgettes. L’ingrate. Ma nouvelle 3008 dissimule bien mieux l’exploitation que ma pauvre Ka qui doit, à cette heure, croupir au fond de la Seine, quelque part entre ici et Ablon. Momo coupe quelques feuilles qu’il va faire sécher sur la paillasse de notre kitchenette, désormais à l’abri des regards. Vous nous voyez là, comme ça, mais ne croyez pas qu’on est au chômage. Non, on a une mission. Peu invasive, il est vrai. Elle nous occupe surtout les après-midi. Un job alimentaire, confié par une compagnie d’assurances, qui consiste à filer un expert automobile soupçonné de gonfler les devis de réparations et de se partager le bonus avec quelques garagistes complaisants qu’il chapeaute. L’après-midi parce que le monsieur commence tard son taf et le termine tôt, ce qui a mis la puce à l’oreille de son employeur. Il se contente de trop peu pour vivre décemment. Et le lundi, il ne bosse jamais. Nous sommes donc de congé aussi. Pas de quoi en faire un bouquin, croyez-moi. On a déjà largement assez pour le coincer, des preuves irréfutables de son trafic, mais nous aussi, on fait un peu traîner. Contrairement à lui, on veut vivre décemment. Et c’est payé au temps passé, pas au forfait. Les affaires se font rares, c’est la crise. Ça l’est depuis que je suis installé. C’est comme le gel pour les arboriculteurs et vignerons : tous les ans, ça recommence. Tous les ans, on va perdre 50 % de la production et, tous les ans, on n’arrive pas à écouler tout. À cause des Espagnols. Le gel, les Espagnols, même combat !

Momo nous roule les feuilles de vendredi dernier. Pas de quoi voir le monde en rose mais ça détend. On se fume nos deux bidies maison dans la réserve, fenêtre ouverte. C’est devenu un rituel. Tellement que Momo surveille l’état de la plantation et n’hésite pas à corriger l’arrosage. Il n’a rien de particulier à me dire. Selon ce que va nous annoncer le commissaire, je déciderai de clore ou de poursuivre encore un peu la mission contre l’expert.

3 Légère pause et on démarre

Une dernière taffe et on se brûle les doigts. C’est le signe de la reprise des activités. Mon collègue a regagné sa place et allume son ordi. Un rituel aussi. Je fais pareil. Ça nous laisse un petit temps pour réintégrer le monde réel, plus laborieux.

— Elle t’a raconté quoi, la veuve ?

— Rien. Elle ne comprend pas. Le suicide, elle connaissait suffisamment son bonhomme pour savoir qu’il risquait de ne pas se contenter de vivoter en arrêt de travail en attendant la mort. En revanche, le reste, la mise en scène avec les photos, elle ne voit pas. Même le mot « Au revoir, je vous aime » ne lui ressemblait pas. Surtout le « Au revoir », Michel ne croyant que ce qu’il voyait et n’ayant jamais vu quelqu’un revenir de chez les morts. Elle s’étonne de cette vocation néo-mystique tardive et, encore plus, de cette photo de curé qui donne une drôle de résonance à l’ensemble. Elle regrette d’avoir confié les clichés à Saint Antoine. Je vais lui demander de les lui restituer puisqu’il n’a pas motif à enquête.

— Elles sont où ?