Tout est bon dans l’boulon - Cicéron Angledroit - E-Book

Tout est bon dans l’boulon E-Book

Cicéron Angledroit

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Beschreibung

Après deux mois et demi de chômage technique forcé suite à l’hospitalisation du commissaire Saint Antoine, Cicéron Angledroit va pouvoir reprendre du service !

Un industriel qui pète un boulon, ça peut arriver... Mais quand c'est le roi du boulon, à qui tout a réussi, qui se tire une balle dans la tête - comme ça, pour rigoler, pour voir ce que ça fait - c'est plus difficile à avaler.
La police a classé l'affaire puisque le bonhomme a revendiqué son geste dans une lettre voyageuse. Sauf que personne n'y croit.
Alors, automatiquement, je me retrouve le nez dans ce merdier qui va me balader de Roseraie en Golf et de surprise en surprise, tout en supportant la gastro de René et l'infarctus de Saint-Antoine. Manquerait plus que Momo perde l'autre bras.
Devenez actionnaire, lisez ce bouquin industriel qui vous donnera envie de vous mettre au vélo.
On retroussera ses manches et on y va !

Découvrez sans plus tarder le septième opus des aventures du détective Cicéron !

EXTRAIT

Vous ne pensiez tout de même pas que j’allais vous faire un bouquin sans Saint Antoine ! Vous l’avez pas cru, j’espère. Pas question ! Impensable ! Baltringuor m’a refilé des allergies. Je ne vais même pas vous raconter comment j’ai agrémenté les quinze jours de vacances de Vaness’. J’en ai encore des cernes sous les yeux.
Il s’est passé quoi pendant ces deux mois ? Deux mois et treize jours pour être précis. Alors je vous fais un résumé rapide et on retrouve nos habitudes : le suppléant a pataugé un peu, au début. Surtout pendant que la lieutenante a pris nos vacances et qu’il s’est trouvé pas plus motivé que ça. Il a observé. Eh bien, il a constaté, comme vous et moi, que ça ronronnait pas mal dans la maison poulaga de Vitry. Les habitudes, les compromis avec les carences de l’administration, le manque de moyens et toutes les bonnes excuses qui font que la machine s’érode tout en continuant de pétarader.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Banlieusard pur jus, Cicéron Angledroit - de son vrai nom Claude Picq - est né en 1953 à Ivry, ceinture verte de Paris transformée depuis en banlieue rouge. « Poursuivi » par les études (faute de les avoir poursuivies lui-même) jusqu’au bac, il est entré dans la vie active par la voie bancaire.
Très tôt il a eu goût pour la lecture : Céline, Dard, Malet… Et très tôt il a ressenti le besoin d’écrire.

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CE LIVRE EST UN ROMAN.Toute ressemblance avec des personnes, des noms propres, des lieux privés, des noms de firmes, des situations existant ou ayant existé, ne saurait être que le fait du hasard.

REMERCIEMENTS

Un grand merci aux Palémonettes !

« Et pis tu sais, l’amour,plus ça va, moins ça vient. »

René

À Sébastien, éternel petit prince.Où que tu sois, fais gaffe, je t’observe.

PRÉAMBULE

Pour celles et ceux qui entrent directement, par ce bouquin, dans l’univers de Cicéron et qui, de ce fait, n’ont pas eu le bonheur de lire les précédents ouvrages, voici une courte, mais opportune, présentation des personnages principaux :

Les Z’Hommes

Cicéron Angledroit : Détective, la quarantaine indéfinie, pas très grand, mal peigné, assez loser et très opportuniste. Il élève, seul, sa fille de trois ou quatre ans, Elvira (Elvira Angledroit… autre calembour). Son ex-femme est partie à l’étranger où elle enchaîne les missions humanitaires. Sa mère, yougoslave, vit à Paris et elle s’occupe pendant la semaine de la petite. Il fait ce qu’il peut pour vivre, c’est surtout un observateur. Il vit à Vitry, dans un deux-pièces, dans une maison divisée en appartements. Ses voisins africains comptent beaucoup dans sa vie.

René : Caddie-man à l’Interpascher de Vitry… mi-ouvrier, mi-traîne-savates… un homme bourru, mal dégrossi mais attachant (un peu le Béru de San-A mais en moins exotique). Il fréquente, chaque matin, le même bistro (dans la galerie de l’Interpascher) que Cicéron… Ils se sont rencontrés à l’occasion d’un attentat qui a touché le troisième larron important de l’histoire (Momo). René, sous ses airs rustres, est un homme bien et plein de bon sens.

André dit Momo : Un taciturne au statut de SDF (faux statut), intellectuel intériorisé, pas expansif ni vantard. Il vend des Belvédère (journal de réinsertion) à la sortie d’Interpascher… Il déploie une telle psychologie que cette activité est très lucrative pour lui. C’est le penseur de la bande. Il connaissait déjà René. Mais un attentat (lire Sois zen et tue-le), dans la galerie marchande, l’a privé de son bras droit et lui a permis de sympathiser avec Cicéron qui croisait ces deux-là chaque jour, sans faire attention à eux. Depuis qu’il est manchot, il a doublé son chiffre d’affaires…

Le commissaire Saint Antoine : Un flic à l’ancienne, près de la retraite, connaissant bien la vie, désabusé mais très droit. Est devenu pote avec Cicéron auquel il confie quelques affaires en marge quand il n’a pas les coudées franches. Pote mais avec, quand même, la barrière des convenances et du respect qui est la conséquence de son éducation et d’une longue carrière poussiéreuse de fonctionnaire de terrain.

Les Nanas

Brigitte : La maîtresse « officielle » et régulière de Cicéron. Elle est préparatrice dans une pharmacie et mariée à Jacques, un conducteur de travaux qui alterne, selon les bouquins, chômage et missions lointaines. Faut donc que Cicé et elle jonglent avec l’emploi du temps du monsieur.

Monique : Veuve de Richard Costa qui a été au cœur de Sois zen et tue-le. Elle aussi maîtresse de Cicéron, mais plus épisodiquement. Elle est également lesbienne et vit désormais avec Carolina, son ancienne belle-sœur (sœur de Richard). Elle est enceinte de Cicéron qui, ne sachant pas dire non, a accepté d’être le géniteur du futur bébé de Carolina et d’elle.

Carolina : Ci-dessus évoquée, c’est le fantasme number one de Cicé. Manque de bol, lui, si talentueux d’ordinaire, se métamorphose en cloporte dès qu’il approche d’elle. Au fil des aventures, ils deviennent familiers, mais ça n’est pas facile. D’autant que Carolina connaît très bien le passé de Monique et de Cicé, et qu’elle semble plus exclusive que notre héros.

Vaness’ : Fliquette plus récemment arrivée, mais pas tièdement, dans la vie de Cicéron. Sexuellement, elle le bouscule un peu par sa jeunesse et il a, parfois, du mal à s’accrocher aux branches. Elle était mariée à un CRS baraqué et africain, dont l’existence créait des angoisses abyssales (et justifiées) dans la tête du détective. Heureusement, pour Cicéron, le couple bat de l’aile et ils vivent désormais séparément.

Jocelyne : Euh, là, c’est compliqué. Pour résumer : l’ex-femme du père « inconnu » de Cicéron que celui-ci retrouve, par hasard, fracassé sur sa table de cuisine (lire Qui père gagne) et qui ne laisse pas notre détective de marbre. Enfin, si quand même, si on peut dire…

Voilà, voilou… Bonne lecture !

UN (faut bien commencer)

Baltringuor, Igor Baltringuor.

Tout un programme ! C’est ce type tout en longueur et maigreur, au corps surmonté d’une toute petite tête qui atteste que sa mère a connu le virus Zika avant l’heure, que l’administration a décidé de nommer au commissariat en remplacement, provisoire (précision importante) de Saint Antoine qui, suite à un malaise à tendance cardiaque, vient de subir, selon René qui s’y connaît, un triple curetage. Vous ignoriez que le vieux avait fait un infarctus compliqué ? Cherchez pas, c’est écrit nulle part. J’y reviens un peu plus loin. Il n’est pas franchement antipathique, ce commissaire suppléant, mais on sent bien qu’il n’est que de passage. Sans doute un placardisé. Godiche, il se donne des airs. Je me mets à sa place : ça ne doit pas être facile. Mais s’il y a un domaine où ce mec prend un peu ses marques, c’est bien à propos de Vanessa. Pas que je sois jaloux et que je prône une fidélité exemplaire, vous me connaissez, mais il y a des limites. D’autant que mon lieutenant préféré est très sensible à la hiérarchie. Elle serait un peu arriviste que ça ne m’étonnerait pas plus que ça. J’imagine le genre :

« — Oh, monsieur le commissaire, que vous êtes grand !

— Appelez-moi Igor, lieutenant.

— Alors, moi c’est Vanessa. »

J’imagine mais je sens que je ne suis pas loin de la vérité et ça me bouffe de l’intérieur. Surtout qu’avec cet intérimaire, j’ai moins mes entrées dans la maison poulaga. Je n’ai même plus rien à y faire. Un : je suis un civil, et deux : je suis dans le privé. Et allez parler de privé à un fonctionnaire, vous ! Et vice versa. Ça va être coton. Le vieux, au chevet duquel nous sommes présentement, Momo, René et moi, vient de nous annoncer qu’il en avait pour deux mois avant de retrouver son bureau dont la peinture est à peine sèche. Qu’est-ce qu’il lui est arrivé ? Oui, j’y viens… Dimanche dernier, ils avaient du monde, Mireille, sa femme, et lui. Après le déjeuner, un peu lourd, un de ses beaux-frères a voulu le défier au bras de fer. Vraiment le genre de jeu con que je fuirais personnellement. Pas lui. Il avait un peu picolé et il n’a pas l’habitude. Alors il a relevé le défi. Et il n’y a que ça qu’il a relevé car il s’est écroulé à la première pression. Douleur thoracique intense et perte de connaissance. Il s’est retrouvé aux urgences de Juvisy et, aussitôt, transféré au Kremlin, dans le service cardio du professeur Quilet qui se trouve être la sœur de Mireille. Maintenant, il a été opéré : triple pontage avec alésage veineux et détartrage des artères. L’ambiance est morose aux soins intensifs où il reste sous surveillance constante. Lui qui a toujours été un peu vieux jeu, le voilà branché. Mais, face à nos mines de circonstance, c’est quand même lui qui paraît le plus vaillant. Vous pensez, échapper de peu à la mort, ça redonne d’autres couleurs à la vie qui reste. Il nous sourit de travers en nous dévisageant l’un après l’autre. Ça fait bizarre de le voir dans une chasuble légère, à moitié à poil. Ça le rend plus petit, plus ordinaire. C’est René qui se lance avec cette sortie réconfortante :

— Heureusement que ça vous est arrivé à votre âge et pas quand vous étiez jeune !

— Tu l’as dit, ânonne pépère d’une voix traînante.

Momo dépose sur sa table de nuit les derniers numéros du Belvédère. Il ne s’est pas cassé. René a aussi pensé à un cadeau.

— Je vous ai amené un tire-bouchon. Ça sert toujours. Même quand on en a déjà un. Des fois, on le trouve pas et c’est bien pratique d’en avoir un autre.

Saint Antoine fait un vague remerciement de la tête. Moi, j’ai pas pensé à apporter une offrande. Je réagis à l’annonce des deux mois d’arrêt :

— Faut vite vous retaper, sinon on va être au chômage technique, nous…

— Je ne compte pas jouer les prolongations. Vous inquiétez pas ! Vous avez vu mon remplaçant ?

— Juste aperçu. Ils n’ont pas traîné pour le trouver. Vous le connaissez ?

— Jamais entendu parler ! Il aurait deux ou trois bavures à son actif et, depuis, il était sans affectation.

Je ne suis pas très à l’aise avec cette nouvelle configuration. Vous le savez, mes enquêtes ne durent que quelques jours. Alors deux mois ! Je me demande si je ne vais pas directement passer au bouquin suivant. Parce que, vous l’avez constaté, les affaires que je traite me sont généralement apportées par le commissaire. Et que, sans lui, je pourrais m’inscrire à Pôle emploi. Je ne suis guère fortiche pour dégoter des clients. Et puis, c’est la crise. On nous le rabâche à longueur de journée. Et aussi, avec le relâchement des mœurs, il n’y a plus de « cocus » mais des « couples libres ». Nous sommes, contrairement aux croque-morts, une profession sinistrée. Un interne qui fait sa tournée, nous demande de partir :

— Vous êtes trop nombreux. C’est une personne à la fois, dans ce service.

René récupère son tire-bouchon au prétexte que, justement, il a égaré le sien et que, de toute façon, le vieux n’en aurait pas besoin ici.

— Je vous le rendrai quand vous serez sorti.

On salue le multi-ponté et on sort. Dans le couloir, on croise Vanessa qui arrive. À peine un regard. Elle a bien été maraboutée, la gamine. Je la chope par le bras.

— Ah, c’est toi ! J’étais dans mes pensées, réagit-elle mollement.

Tu parles ! Elle me suit un peu à l’écart pendant que mes potes continuent leur chemin sans nous calculer. Sans eux, je vais encore me perdre dans les méandres de ce labyrinthe qu’est l’hôpital de Bicêtre. Je ne suis pas rendu. Eux non plus, c’est moi qui conduis. J’interroge la fliquette :

— Alors ? Ça se passe comment avec le nouveau ?

— M’en parle pas, un vrai con !

— Sérieux ?

— Ben oui, sérieux ! Tu crois quoi, toi ? Je ne sais pas comment je vais tenir deux mois ! Si ça ne dure pas plus encore… Je ne tiendrai pas ! Heureusement, j’ai plein de congés. Il voulait pas en entendre parler au prétexte qu’il avait besoin de moi pour remettre le bahut en ordre de marche. Le con ! Comme si on avait besoin de lui ! Mais j’ai imité la signature de Théo et j’ai antidaté la demande de congés. J’arrête demain pour quinze jours. C’est toujours ça. Et je compte bien sur toi pour m’aider à les occuper, ces quinze jours.

Me voilà rassuré et, presque, euphorique. Mais je cache ma joie. Pour toute réponse, je lui glisse un bisou non réglementaire, qui l’assure de mon parfait agrément à ses projets oisifs. Je la laisse filer et je rejoins mes collègues bloqués à un portillon de sécurité. Le tire-bouchon de René a déclenché un détecteur quelconque et le vigile a alerté la sécurité.

Je vous passe ses explications qui finissent par convaincre et nous nous retrouvons à l’air libre.

DEUX(je la fais soft pour les numéros de chapitres)

Vous ne pensiez tout de même pas que j’allais vous faire un bouquin sans Saint Antoine ! Vous l’avez pas cru, j’espère. Pas question ! Impensable ! Baltringuor m’a refilé des allergies. Je ne vais même pas vous raconter comment j’ai agrémenté les quinze jours de vacances de Vaness’. J’en ai encore des cernes sous les yeux.

Il s’est passé quoi pendant ces deux mois ? Deux mois et treize jours pour être précis. Alors je vous fais un résumé rapide et on retrouve nos habitudes : le suppléant a pataugé un peu, au début. Surtout pendant que la lieutenante a pris nos vacances et qu’il s’est trouvé pas plus motivé que ça. Il a observé. Eh bien, il a constaté, comme vous et moi, que ça ronronnait pas mal dans la maison poulaga de Vitry. Les habitudes, les compromis avec les carences de l’administration, le manque de moyens et toutes les bonnes excuses qui font que la machine s’érode tout en continuant de pétarader. Baltringuor s’est d’abord attaqué à la base de l’activité d’un commissariat de quartier : les patrouilles. Ça en avait bien besoin. Il a réorganisé toutes les tournées en y ajoutant beaucoup d’aléatoire, aussi bien géographiquement que dans le timing. Maintenant, elles couvrent plus de territoire et se font de manière inopinée. Avant, c’était carrément, pour reprendre son expression : « la tournée du marchand de glaces, ce bordel ! ». Et c’était bien vrai. À chaque jour son itinéraire et toujours le même. Il était donc facile à la racaille locale de savoir, en creux, où n’étaient pas les keufs à tel moment de la journée. Ça assurait une certaine tranquillité, certes, des deux côtés, mais question efficacité il y avait beaucoup à redire. Dorénavant, c’est réglé par un ordinateur qui gère tout et qui évite les fuites. Les fonctionnaires ont bien un peu rouspété, mais on est dans la police. Pas à la SNCF. Le flic, ça rouscaille en fermant sa gueule et ça file droit. La Clio banalisée ou la 208 bicolore, ça se déroute plus facilement qu’un TGV. Le résultat a été aussitôt convaincant. C’est devenu bien moins facile d’organiser des comités d’accueil ou de se planquer, depuis qu’on ne sait plus d’où et quand la patrouille va débouler. Et s’il n’y avait qu’une chose à mettre à l’actif du grand Igor, ça serait bien celle-ci.

Sinon, à part ça et côté affaires, on ne peut pas dire qu’il se soit passé grand-chose. La routine. Juste un jeune Marseillais de vingt ans à peine venu, au volant de sa BMW X6, se faire descendre sur le parking de notre Interpascher. Ils connaissent une réussite fulgurante, ces jeunes des Bouches-du-Rhône, mais ça ne dure pas. Un témoin a pu relever la plaque de la Golf utilisée par les tueurs, elle-même volée, la veille, aux Pennes-Mirabeau. Et retrouvée, le lendemain, complètement cramée dans la cour d’une ferme abandonnée, dans l’Yonne, à deux kilomètres de l’autoroute. C’est donc naturellement au SRPJ de Marseille que l’affaire a été confiée.

Sinon pas grand-chose : quelques cambriolages, deux voitures brûlées, des faux facteurs vendant des calendriers aux petits vieux des quartiers pavillonnaires, un chouïa de violences conjugales, des vols à l’étalage et surtout, faut bien faire bouillir la marmite, des infractions routières en pagaille.

Mais tout ça, c’est du passé. Il est bien là, devant moi, tout beau, tout neuf, le commissaire. Il râle parce qu’il ne trouve plus ses affaires qui sont désormais bien rangées. Mais ça ne lui convient pas. Pareil pour les patrouilles, il y trouve à redire mais n’a aucun argument. Ça n’est pas encore la grande forme malgré la rénovation de son système cardio. On le sent encore un peu convalescent. Vaness’, coincée debout derrière son fauteuil directorial, me fait penser plus à une infirmière qu’à une poulette. Il a pas mal maigri et il fait moins DSK maintenant… Pas encore Clooney. Entre les deux, si ça vous évoque quelque chose. Mireille a dû faire une razzia au C&A de Belle Ep’ car son costard est à la dimension de sa nouvelle morphologie. À moins qu’il n’ait emprunté des fringues à son fiston. Ça me fait drôle car je sais que c’est lui et, en même temps, je dois me réadapter. J’en serais presque intimidé. Mais ça va passer.

Les cafés fument. Bon signe, les choses reprennent, enfin, leur place. J’évite de trop le détailler, il y a eu droit en arrivant, de la part de tous ses collègues, maladroits, qui ne savaient pas trop comment se comporter pour accueillir leur patron de retour au bercail. Maintenant, nous sommes claquemurés dans son burlingue. Une zone d’intimité se recrée autour de lui et il se détend. Je suis là par solidarité car je n’ai strictement rien à y faire : je sens que ma présence le réconforte un peu. Mais ça ne dure pas au-delà du café avalé.

— Vous avez peut-être des choses à faire… Laissez-moi reprendre la boutique en main, et on se voit plus tard.

Oui et non que j’ai autre chose à faire. Mais il est tôt et j’ai hâte de rejoindre mes sbires chez Raoul. Et puis je comprends qu’il ait besoin de tranquillité pour digérer son retour à la vie ordinaire de fonctionnaire zélé. Je me lève et il se sent un peu ingrat.

— Demain c’est mardi…

— Bravo commissaire, je vois que votre sagacité n’a rien perdu…

— Vous foutez pas de moi ! Demain c’est mardi et c’est tête de veau aux Belles Fontaines. Je vous y invite et on causera. Vous aussi, lieutenant.

— J’aime pas trop la tête de veau.

— Y a pas que ça.

J’interromps ces débats culinaires :

— Je suis partant, mais en fait c’est quoi les Belles Fontaines ?

— La brasserie de Juvisy, pas loin de chez moi. Au marché.

Ah oui, je me souviens1. Un peu bruyant comme rade. Je lui dis, mais il a réponse à tout :

— Y a pas de marché le mardi. Mais faut réserver.

— Ben réservez pour trois… Mais ça fait un peu loin d’ici, non ?

— On prendra bien le temps de mourir !

Je file en embrassant, machinalement mais correctement, Vanessa. Là non plus, il ne réagit pas, le vieux. Y a pas à dire, frôler la mort ça vous change un bonhomme ! Plutôt en mieux, d’ailleurs…

1. Voir Riches un jour, morts toujours, même auteur, même collection.

TROIS

Trois têtes de nœud pour une tête de veau

Difficile de reconnaître le veau qui a porté cette tête dans l’assiette qui nous est servie. Saint Antoine est aux anges. Vanessa a pris de la pintade aux petits légumes. Je l’envie presque mais je n’ai pas osé contrarier l’enthousiasme du commissaire.

— Vous allez voir ! La meilleure tête de veau de la région.

En effet, et malgré mes réticences, je dois avouer que c’est goûteux. Mais la sauce y est pour beaucoup. J’avale des trucs abominables, sans trop oser les mâcher, avec plaisir. C’est contradictoire quand même.

Nous sommes arrivés tôt.

Midi pile. Restau vide.

Mais la réservation a été une bonne idée. Il est midi trente et tout est complet. Le patron a fait la bise au vieux, à notre arrivée. Dans quel monde vit-on ? Accueil trois étoiles :

— Salut Théo, je t’ai réservé une table un peu tranquille pas loin de la cuisine. Comme ça, ça arrivera chaud.

Le Théo et le taulier, complices, se marrent. C’est la première personne, hors giron des vieux flics de sa classe, que j’entends tutoyer le vieux. Les temps changent à une vitesse, en ce moment…

Nous sommes un peu à l’écart de la salle et ça nous permet une relative intimité bien que sur le passage obligé du patron et de la serveuse qui n’arrêtent pas les allées et venues de la cuisine où officie un talentueux cuistot interpellé à tout bout de champ :

— Et un magret, Lolo ! Tu fais marcher deux têtes, Lolo ! P’tain, Lolo, j’avais demandé sans sauce pour la quatre !

D’où nous sommes installés, je ne vois pas le Lolo en question mais je me l’imagine un peu en divinité hindoue multi-bras. Le commissaire n’a pas perdu l’appétit et le voir s’empiffrer ainsi de bon cœur rassure sur les progrès de la médecine.

Vaness’, installée à côté de lui, m’envoie des yeux en l’air pour me signifier qu’elle s’emmerde à nous regarder nous bâfrer. Nos dernières « vacances » sont maintenant loin et ses hormones ont repris leur vitesse de croisière. Elle a tout dépiauté sa pintade et chipote sur les morceaux qu’elle trie avec une méthode dont je ne comprends pas la visée. Nous sommes, nous les hommes, moins bégueules et nos assiettes sont vides de chez vide quand la serveuse dessert. (Ce restaurant n’a pas les moyens de se payer une desserveuse, c’est donc la serveuse qui dessert.)

Aucun mot n’a fusé de toute la dégustation et, repu, je me demande un peu ce que nous faisons là.

C’est le vieux qui rompt le silence :

— Vous avez vu l’affaire Bonichon ?

Ça ne me dit rien comme ça. Il insiste devant mon regard vide :

— Mais si, Bruno Bonichon, l’industriel !

Ah oui, si, bien sûr que j’ai vu. Une vedette de l’industrie française, vitryotte de surcroît, qui s’est suicidée le mois dernier. Comment ne pas l’avoir vue, cette affaire ? La télé en a fait des tonnes. Le président a même assisté aux obsèques. Entre les capitaines d’industrie qui filent en Belgique et ceux qui vont au cimetière, il a fort à faire ces temps-ci. Il est rodé pour les nécros.

Mais qu’est-ce que ça vient faire entre notre tête de veau et notre île flottante ? J’interroge pépère du regard. Il a la glotte qui fait du yoyo. Avant, quand il était gros, il avait pas ça. Il se sent obligé de développer :

— C’était un copain à moi. Depuis le primaire. Nos chemins se sont séparés au niveau des études : j’ai continué dans le droit, et lui, il a arrêté après le bac pour reprendre le petit atelier de mécanique de précision de son père qui était, à l’époque, là où est maintenant son siège social. La suite, vous la connaissez : c’est lui qui a réussi.

— Ah ben, toutes mes condoléances. J’ignorais que c’était un ami à vous.

— Ami, c’était exagéré. On se croisait de temps en temps, mais le succès dans les affaires l’avait changé. Il m’appelait, dédaigneusement, « le fonctionnaire » ou « le petit fonctionnaire ».

Bon, je me demande alors ce qu’il en a à foutre. Je ne le connaissais pas si sensible aux « pipoleries », notre commissaire. Sans doute les épreuves qu’il vient de traverser le rendent-elles plus sensible au sort de ses contemporains… Mais il poursuit. Ce qui n’est pas plus mal, ainsi vous saurez de qui il s’agit. Il me fait une bio de son pote d’école :

— Après le bac, il est rentré directement dans l’atelier de son père qui a dû mourir quatre ou cinq ans seulement après. Si bien qu’il s’est retrouvé rapidement et brutalement patron. L’atelier vivotait et servait une clientèle très locale de mécanos bricoleurs comme il en existait encore à l’époque. Mais Bruno a vite pris conscience que ça ne pourrait pas durer. Il était mariolle dans son genre et ça a été le début de son ascension. Vous vous souvenez de la pub, dans les années quatre-vingt : « Le boulon Bonichon, le boulon qui dure ! » ?

Non, je ne m’en souviens pas particulièrement mais je ne l’interromps pas ; il est parti pour nous faire l’après-midi.

— Il a été parmi les premiers à saisir que, pour se développer, il fallait innover. Et c’est à partir du moment où il a créé toutes sortes de boulons compliqués que sa croissance l’a conduit là où il est…

— Au cimetière ?

Je l’agace, mais il ne relève pas et continue :

— Une première usine de décolletage rachetée en Maurienne, puis modernisée. Un centre de recherche et de développement. Ça n’existait même pas encore à l’époque. Vous saviez que c’est lui-même qui a inventé le boulon à combinaison inviolable ?

— Je ne savais même pas que ça existait. C’est quoi ?

— Un boulon à combinaison. Il faut le serrer et le desserrer en suivant un rythme alternatif dont les combinaisons sont infinies. Bien sûr, en prenant son temps on y arrive, mais souvenez-vous, il y a eu des concours à l’époque de la sortie des premiers prototypes et, je crois me rappeler que le record pour dévisser un écrou sur une tige de boulon de seulement cinq centimètres de longueur a été de quatre heures. Et encore, c’était un surdoué, le détenteur de ce record toujours invaincu depuis.

— Un coup de scie à métaux…

— Vous n’y êtes pas du tout, mon vieux ! C’est là qu’il était fortiche, le Bruno. Il pensait à tout. Dans la tige du boulon, qui est creuse, il y a une seconde tige complètement libre. Si bien que votre scie à métaux, une fois qu’elle a attaqué la première couche, ne fait que faire tourner dans le vide la seconde tige sans pouvoir l’accrocher.

C’est très intéressant, mais la mécanique ça me saoule et c’est l’île flottante qui nous sauve. Vanessa est complètement partie. Elle gigote d’une fesse sur l’autre, sur sa chaise. Je ne lis pas dans ses pensées, pas celles-ci, mais je suis certain qu’elle regrette que nous ayons fait véhicule commun. J’hésite à marquer ma solidarité en lui faisant du pied car si le commissaire, assis face à moi, a bien maigri, il n’a pas rapetissé d’un centimètre et ses guibolles prennent toute la place sous la table. On mange donc nos îles tout en imaginant des boulons sciés qui tournent dans le vide. Je m’interroge à haute voix :

— Mais pourquoi il me raconte tout ça ?

— Quoi ?

— Votre histoire de suicidé.

— J’y viens.

Et le revoilà parti, mais en moins technique. Je réfléchis toujours à son boulon et je suis persuadé que si on scie tout autour de la tige fixe, on doit pouvoir le couper, son boulon, sans avoir à couper la tige centrale. C’est peut-être pas facile mais faisable. Mais je me garde bien de lui faire part de mon ingénieuse idée car il risquerait d’abattre une carte supplémentaire et de transformer ainsi ce bouquin en mémento industriel. Nous l’écoutons donc. Moi notamment, car Vaness’…

— Je ne crois pas un instant au suicide. J’ai pu avoir le rapport. Comme c’était un copain, je m’y suis intéressé. D’ailleurs, personne dans sa famille n’y croit. Une balle dans la tête, c’était pas son genre. Il était en quasi-retraite. Il supervisait juste. Ce sont ses deux enfants : Blondeau, son fils aîné, et Isabelle Rousseau, sa fille, qui tiennent les rênes de l’empire Bonichon depuis quelques années. J’ai eu la fille, qui est restée copine avec mon fils, et elle m’a même dit que la semaine d’avant sa mort, il avait fait fabriquer un VTT sur mesure qui lui a coûté un œil. Et c’était pas le genre à gaspiller.

— Il y a eu une enquête ?

— Bâclée. Mon remplaçant a commencé et, étant donné l’envergure du bonhomme, c’est directement à la direction nationale que c’est remonté. Soi-disant qu’il avait confié à son notaire de Vitry un courrier, à n’ouvrir qu’après sa mort, où il expliquait qu’il allait se suicider en précisant même le jour. Ses deux héritiers étaient en Corée pour négocier un contrat de partenariat avec un industriel local. Le fils est directeur technique et Isabelle, directrice générale. Il avait gardé la présidence du groupe. Ça ne tient pas debout. Surtout, en plus, avec cette histoire de vélo. Vous vous imaginez, vous, remettant un tel courrier à votre notaire le lundi et allant, le mercredi, vous faire mesurer la longueur des pattes pour vous faire fabriquer un vélo ?

Les cafés et l’addition nous font mettre en pause. Bon prince, Saint Antoine sort sa carte Gold. Vanessa se lève et s’excuse en se dirigeant vers les toilettes. Et on attend son retour pour quitter les Belles Fontaines.

QUATRE

Chaud, chaud devant !

Le retour à la maison Poulaga est placé sous le signe de la digestion et des rots réprimés. La tête de veau, ça cale sans en avoir l’air. Vaness’, derrière, boude et somnole. Le vieux conduit comme un automate. Et moi, je cogite.

Pas à son affaire du roi du boulon qui en a pété un de boulon, mais à mon avenir qui me semble incertain. Pas vraiment de boulot, un gamin à naître dans des conditions zarbies, et une relation vaguement incestueuse avec mon ex-belle-mère en quelque sorte. C’est morose dans la 3008 du vieux. Je pense que c’est sa voiture perso car il y a une sorte de petit cadre, où on le voit en photo avec Mireille et son grand fiston, collé sur la planche de bord. Manquent plus que le saint Christophe, la fiole d’eau bénite de Lourdes et le rosaire accroché au rétro… Vraiment, frôler la mort ça vous transforme un homme ! Pépère se décide enfin à rompre le silence. Il parle tout seul, mais ça fait passer le temps. La RN7 est blindée.

— Faudrait que je vous organise un rendez-vous avec Isabelle. Je suis sûr qu’il y a quelque chose qui cloche. Mais comme l’affaire est classée, ce qui semble plutôt arranger tout le monde, je ne peux pas y mettre officiellement le nez.

Il se tait, espérant une réaction de ma part. Un assentiment, une ruade. Que je me garde bien d’exprimer. Pas envie, envie de rien. Il redémarre donc et, s’arrêtant à un feu :

— Cette histoire de biclo, de notaire… Rien ne colle avec le bonhomme. Pour le vélo… si, peut-être. Mais je ne le vois pas aller confier à un notaire un tel projet. Et puis je ne le vois surtout pas se suicider. Il avait tout et encore pas mal d’années pour en profiter. On aurait trouvé un truc à l’autopsie, genre tumeur incurable, je dirais pas. Mais alors comment expliquer le vélo ? Non, ça ne tient pas debout ! Bon, je vous organise un rendez-vous avec les gamins…

Là, bien obligé de réagir :

— Holà, commissaire, comme vous y allez ! Faites rouvrir l’enquête ! J’ai d’autres choses à faire et puis, ça ne m’intéresse pas.

Il fait son contrarié. Ça, il sait toujours le faire. Il ne moufte pas mais cogite à fond. Je le connais. Je ne lui donne pas plus de deux feux rouges pour trouver la parade. Premier feu : rien. Deuxième feu, c’est parti.

— Je vous demande ça parce que vous êtes un ami (la brosse à reluire, nouvelle technique) et que, si j’en parle à ses héritiers, je suis certain que non seulement ils approuveront mais qu’en plus, ils sauront passer vos frais en comptabilité.

Ça, je n’en doute pas, mais la descente sur Vitry et l’arrivée au commissariat mettent provisoirement fin à la négociation.

On arrive, privilège de la nomenklatura, directement dans son bureau, par l’entrée arrière du commissariat. Il nous installe autour de sa table ronde avant de s’absenter quelques instants pour aller signifier son retour à ses collègues du hall. Il revient vite. Laconique :

— Alors ?

— Remarquable, cette tête de veau ! Vous aviez raison.

Il me gratifie de son air à la Ventura sans aller, toutefois, jusqu’à la beigne. Vanessa se lève.

— Bon, j’ai à faire ! Merci Théo pour ce merveilleusement rustique moment. Je suis en bas si vous avez besoin de moi…

Pépère ne fait même pas mine de la retenir. Comme s’il venait juste de prendre conscience de sa présence. Transparente, la gamine. Elle quitte le bureau, apparemment soulagée.

On se retrouve tous les deux avec nos remontées gastriques et nos questionnements qui divergent. Je réfléchis, il porte l’estocade en décrochant son téléphone. Il consulte un drôle de truc, sans doute chiné dans un vide-greniers, où il faut faire glisser une tirette le long d’une colonne figurant l’alphabet et appuie sur un bouton qui ouvre le bidule. Le curseur s’est arrêté à B. Il a de la suite dans les idées. Je vois son index parcourir les lignes et son visage s’illuminer.

— J’ai même son portable !

Il compose un numéro tout en me racontant sa life :

— C’est Isabelle Rousseau-Bonichon, la fille, une copine de mon fils, la seule que je vois de temps en temps. Elle est sympa, vous verrez…

Je n’en doute pas un instant. Quand il a une idée derrière la tête, rien ne peut se mettre en travers. Pas moi en tout cas. Et puis, on verra bien. Après tout, c’est pas le boulot qui m’occupe en ce moment. En plus, tout se ligue contre moi, ça décroche. Je n’imaginais pas aussi facile d’avoir, au téléphone, une DG de ce niveau. Il m’épate, le Théo.

— Isabelle ? Bonjour…oui…c’est Théophile Saint Antoine, le père de…

— …

Je ne vais pas vous transcrire la partie que je n’entends pas. Il ne met pas le haut-parleur. Sait-il au moins qu’il y en a un ? La fille a dû lui dire qu’elle savait exactement le père de qui il était. Il lui balance toute la sauce comme si c’était lui qui payait la communication.

— Figurez-vous que j’ai un ami détective qui pense comme moi pour Bruno…

Ben voyons, habile entrée en matière. Bientôt, ça sera moi qui aurai insisté pour ouvrir le dossier. Tordu, va ! Il ne se laisse pas abattre. Au ton de la conversation, je sens que la fille est réceptive. Je vous passe les détails et je passe directement à la conclusion de cet appel :

— C’est entendu, il passe demain matin à votre bureau. Merci Isabelle… Mais je vous en prie… Blablabla…

Et ça raccroche. Ah, il est content, le vieux ! Le voilà débarrassé, et haut la main, d’un souci qui le turlupinait et qui n’était certes pas bon pour sa santé. La patate chaude vient de changer de main. Et moi, je change de chapitre.

CINQ

Choisy-le-Roi, mais pas Bourg-la-Reine (vous allez comprendre)

Aussitôt son forfait accompli, il me fiche dehors. Il a le culot de se justifier :

— J’ai des affaires officielles à traiter.