Canova et Napoléon - Adolphe de Bouclon - E-Book

Canova et Napoléon E-Book

Adolphe de Bouclon

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Extrait : "L'élévation, la dignité du caractère de Canova, qui ne s'est jamais démentie, excite autant d'admiration que ses œuvres immortelles. Rien de plus beau, de plus instructif que ses rapports avec Napoléon le Grand et la France, que nous nous proposons de retracer dans ce récit entièrement historique. Nous avons puisé à des sources authentiques, dans les œuvres de Quatremère de Quincy, et principalement dans les derniers écrits du chevalier Artaud."

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• Fiction : roman, poésie, théâtre, jeunesse, policier, libertin.
• Non fiction : histoire, essais, biographies, pratiques.

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Seitenzahl: 80

Veröffentlichungsjahr: 2016

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Préface

L’élévation, la dignité du caractère de Canova, qui ne s’est jamais démentie, excite autant d’admiration que ses œuvres immortelles. Rien de plus beau, de plus instructif que ses rapports avec Napoléon le Grand et la France, que nous nous proposons de retracer dans ce récit entièrement historique.

Nous avons puisé à des sources authentiques, dans les œuvres de Quatremère de Quincy, et principalement dans les derniers écrits du chevalier Artaud : ces deux hommes éminents furent tous deux intimes amis du grand artiste dont se glorifie l’Italie, comme Athènes se glorifiait de Phidias.

On verra avec un intérêt saisissant d’actualité comment Canova, cet homme si vrai, si judicieux, si ardent dans son amour pour la patrie italienne, envisageait en face du tout-puissant empereur la question romaine de son temps. Les hommes qui osent dire la vérité aux têtes couronnées sont si rares, qu’il est bon de proposer comme modèle et exemple Canova, qui eut ce grand courage.

Dans la paix de la solitude, loin des hommes ingrats, jaloux, méchants et trompeurs, la composition de ce petit ouvrage a été pour nous pleine de charmes. Comme Abulcher, Malchus, Ferrand et Mariette, l’Histoire de Mgr Olivier, etc., il est le fruit des loisirs qui nous ont été faits, et des heures dérobées à des études plus sérieuses, à des devoirs austères. Puisse-t-il trouver grâce et indulgence aux yeux de nos candides lecteurs !

 

Sacquenville, 6 janvier 1865.

I

Pendant que le général Bonaparte, dans les immortelles campagnes d’Italie, en 1796 et 1797, commençait à remplir le monde de la gloire de son nom, à côté de sa renommée naissante il y avait, dans les arts, une renommée déjà faite, au moins égale à la sienne. Si l’Italie admirait les victoires de Montenotte, Lodi, Arcole, Castiglionne et Rivoli, elle n’avait pas moins d’enthousiasme pour les chefs-d’œuvre de son grand sculpteur Antoine Canova, né à Possagno le 1er novembre 1757, dans les États de Venise. Ses tombeaux, ses nymphes, ses bas-reliefs, ses statues où l’art uni à l’inspiration représentait tout ce que la nature a de plus noble, de plus terrible, de plus charmant et de plus ingénieux, la captivaient tout entière. Elle voyait dans Bonaparte l’envoyé de Dieu qui avait reçu d’en haut la mission d’enchaîner les passions révolutionnaires, déchaînées par l’impiété voltairienne, et d’ouvrir au monde une ère nouvelle : elle saluait, dans Canova, le restaurateur de la sculpture moderne, un génie surnaturel, comme celui du brillant général, auquel le ciel avait donné une sorte de puissance créatrice pour souffler au marbre la grâce, le mouvement et la vie. Les chefs-d’œuvre du grand artiste, Hercule lançant Lycas à la mer, Thésée vainqueur du Minotaure, la Madeleine, le groupe des trois Grâces, la danse des trois fils d’Alcinoüs, la mort de Priam, Criton fermant les yeux à Socrate, le cippe d’Angelo Emmo, le tombeau de Clément XIV, Hébé, l’Amour et Psyché, étaient des noms aussi retentissants en Italie et dans toute l’Europe que ceux d’Arcole et de Rivoli.

Rivaux de gloire, l’un dans la guerre, l’autre dans les arts, ces deux hommes extraordinaires devaient nécessairement se trouver un jour en présence l’un de l’autre. Alexandre voulut être peint par Apelles : Napoléon devait être sculpté par Canova.

Dans ses rapports avec l’homme qui voyait l’Europe tremblant à ses pieds, Canova développa une grandeur de caractère égale à son talent : l’artiste se montra aussi grand que le héros.

II

Canova, que la magnificence des Papes avait fixé à Rome, était alors à l’apogée de sa gloire. Mais les immenses travaux dont il avait enrichi les musées, les temples, les palais des grands, Venise et Rome, avaient épuisé sa santé : la destruction de sa patrie par les armes de Bonaparte, la chute de la république de Venise, y avaient porté une dernière atteinte : il pleurait sa patrie esclave et livrée par le traité de Campo-Formio au joug autrichien. La reine de l’Adriatique n’était plus qu’un chef-lieu de gouvernement de la maison de Hasbourg, et son nouveau maître lui dictait des ordres absolus dans une langue qu’elle n’entendait même pas. La douleur qu’en avait conçue Canova menaçait de le conduire bientôt au tombeau. Il se plaignait amèrement de survivre à sa patrie. Que n’eût-il pu s’ensevelir avec elle sous les ruines de la liberté ! il serait, du moins, mort libre, Vénitien et non Autrichien.

Pour rétablir une santé si précieuse au monde, si chère à tous les amis des arts, les médecins le contraignirent d’aller respirer l’air natal à Crespano, dans les anciens États de Venise, non loin du bourg de Possagno, lieu de sa naissance.

Là, il retrouva une mère adorée, mariée en secondes noces à François Sartori, femme d’un caractère doux et tranquille, pieuse, et remerciant Dieu tous les jours de la grande illustration de son fils, À côté des grands talents il y a presque toujours une femme admirable : les grands génies ne sont pas complets s’ils n’ont pas été formés par l’amour maternel. Il manqua à Voltaire l’amour et la piété d’une mère.

III

À Crespano, Canova se retrouva auprès de la première amie de son cœur, Betta Biasi, remarquable par des yeux étincelants de grâce et de beauté, et par une chevelure que le grand artiste disait n’avoir rencontrée que dans les descriptions d’Apulée. Si les encouragements du généreux et bienfaisant Faliéro, sénateur de Venise, n’eussent pas entraîné Canova à Venise, puis à Rome, Canova eût été l’époux ignoré d’une simple bergère de la province vénitienne de Trévise, mais Phidias et Michel-Ange n’eussent point eu peut-être de successeur dans notre siècle.

Betta Biasi était alors mariée et vivait heureuse dans la compagnie d’un époux qui avait acquis de l’aisance dans le commerce : heureuse autant qu’on peut l’être quand l’ami du cœur est absent et perdu pour toujours ! Elle eut, du moins, un beau jour dans sa vie : elle n’était pas oubliée ! Elle vit avec transport que son image n’était pas effacée dans les rayons de gloire qui couronnaient alors le front de Canova, jadis un pauvre petit pâtre comme elle dans les montagnes qui lui parlaient sans cesse de lui.

En effet, après avoir respiré avec l’air natal les principes de la vie et de la santé, celui qui n’avait pas d’autre nom que le Grand Artiste, âme délicate et tendre, conservant un pieux souvenir des premières impressions de son enfance, voulut illustrer de sa présence le foyer de son ancienne amie. Il la retrouva toujours belle, toujours radieuse, et admira de nouveau en elle la pureté de ces lignes et les perfections de ces formes artistiques dont les nymphes et les déesses que son ciseau consacrait à l’immortalité étaient une gracieuse réminiscence. C’est un trait de ressemblance de plus de Canova avec Raphaël, deux génies qui virent le beau des mêmes yeux, le sentirent et l’exprimèrent avec le même cœur. Betta revit dans les déesses de Canova ; les amies de Raphaël sont devenues autant de vierges divines. Admis au foyer domestique comme un frère de la maison, Canova félicita les deux époux de la sagesse qui leur avait fait trouver le bonheur dans la concorde et l’union ; il s’en réjouit comme du sien propre.

Un homme tel que lui ne pouvait oublier l’humble toit où il avait pris naissance. Possagno, de son côté, voulait revoir l’enfant qui faisait sa gloire, et c’est là que l’attendait, par les soins et par l’enthousiasme de Betta Biasi elle-même, un modeste triomphe qui laissa plus de joie et plus d’attendrissement dans son âme que s’il avait reçu au Capitole les ovations du peuple-roi.

Betta Biasi, à l’insu de son hôte illustre, s’était mise à la tête d’un complot, dans lequel entrèrent les habitants de Crespano de tout âge, de tout sexe, de tout rang, et qui fut couvert du silence le plus absolu.

Canova, après avoir pris congé de ses hôtes et de sa mère, s’était mis en route, seul, un bâton à la main, les larmes dans les yeux, cherchant les sentiers détournés pour donner un libre cours aux pensées aux rêveries tristes et douces, qui assiégeaient à la fois son esprit et son cœur. Il avait jeté un dernier regard sur l’église de Crespano et sur la route déserte qu’il avait parcourue, lorsqu’une foule de jeunes gens placés en embuscade fondent sur lui de toutes parts, en poussant de cris de joie, d’admiration, où l’on distinguait ces exclamations : « Viva il grande nostro Canova ! Viva il maggior genio de l’Italia ! Viva il Phidias veneziano ! (Vive notre grand Canova ! Vive le plus grand génie de l’Italie ! Vive le Phidias vénitien !) »

À ces cris, Canova s’arrête sans pouvoir parler. La jeunesse, se livrant à tous les transports de l’enthousiasme italien, exécute autour de lui une de ces danses antiques, telles à peu près qu’il les avait figurées lui-même dans son groupe d’Antinoüs, puis elle s’approche respectueusement de lui, en déposant une couronne de fleurs sur sa tête, et le contraint d’avancer. Malgré sa répugnance naturelle pour les honneurs et les acclamations, le grand artiste s’avance au milieu de cette brillante jeunesse. Mais ce n’était là que le prélude de son modeste triomphe. Vingt pas plus loin, au détour d’une colline, il aperçoit la route jonchée de fleurs, de lis, de roses, d’immortelles et de branches de laurier. À droite, à gauche, toute la population de Possagno et des environs s’était rassemblée en habits de fête.

Possagno donnait là l’exemple, unique peut-être dans les annales de l’histoire, d’un prophète inspiré, d’un grand homme reçu en triomphe parmi les siens, et traité avec honneur dans sa propre patrie.