Châtelaine, un jour - Max du Veuzit - E-Book

Châtelaine, un jour E-Book

Max du Veuzit

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Beschreibung

Devenir châtelaine... Le plus fou des rêves! Quand la jolie Colette, simple employée de bureau, apprend un jour qu’elle a hérité d’un lointain parent du magnifique château de Grandlieu, en Normandie, elle ne peut s’empêcher de murmurer : « Me voilà châtelaine ! » Toutes les roses, hélas, ont des épines... La châtelaine a un cohéritier, François. Elle le découvre en découvrant le château. François est jeune, assez beau garçon, mais un peu inquiétant... si entreprenant que Colette se réfugie dans une auberge afin d’y réfléchir en paix. Ce magnifique château, il va sans doute falloir le vendre ? Un acquéreur éventuel, Pierre Chantenay, est descendu lui aussi dans l’auberge qui accueille Colette. Il lui parle, la trouble... Ses révélations inquiètent la récente châtelaine. Elle soupçonne une intrigue...

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Veröffentlichungsjahr: 2019

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Max du Veuzit

CHÂTELAINE, UN JOUR

Copyright

First published in 1953

Copyright © 2019 Classica Libris

1

Pont-Audemer, le 18 mars 19...

Mademoiselle,

Vous êtes priée de vouloir bien passer à mon étude pour une affaire vous concernant.

Veuillez agréer, mademoiselle, mes salutations distinguées.

R. Lemasle

Colette Semnoz resta un moment à regarder fixement ce billet. Elle le lut de nouveau, et regarda l’enveloppe. Lina qui enlevait déjà son chapeau, la voyant rêveuse, lui demanda :

– Un ennui ?

– Je n’en sais rien. C’est une lettre d’un notaire qui me demande de passer le voir. Il ne me dit pas pour quel motif.

– Tu le connais, ce notaire ?

Colette regarda l’en-tête de la lettre.

– Maître Lemasle, à Pont-Audemer. Non, je ne le connais pas.

– Tu ne vas pas aller à Pont-Audemer ! Pourquoi ne lui écris-tu pas ? Tu as de la famille à Pont-Audemer ?

– Non. Tu sais bien que mes parents étaient d’Annecy, ainsi que toute ma famille, sauf ma grand-mère maternelle, née à Épinal. Tout cela est assez loin de Pont-Audemer.

– Tu as peut-être un oncle d’Amérique, qui est venu finir ses jours en Normandie ?

– Je crois que c’est beaucoup plus simple que cela ; il s’agit certainement d’une erreur. Je le souhaite, d’ailleurs, car je préférerais que cette lettre ne me fût pas destinée. J’éprouve toujours une sorte d’appréhension à voir le papier à lettres d’un homme de loi. J’en ai tellement vu s’empiler sur le bureau de mon pauvre papa.

Puis, comme si elle eût voulu chasser un fantôme, Colette fit de la main un signe qui voulait dire : « Au diable les soucis », et déclara :

– Tu n’es pas venue passer la soirée avec moi pour que nous nous morfondions. Assieds-toi, ma chérie, et, si tu veux, écoute la radio pendant que je prépare notre dînette.

– Je vais t’aider.

– Non, non, je t’en prie.

Prestement, Colette retira son chapeau et son manteau ; elle rangea ses vêtements, puis ouvrit le placard qui lui servait de cuisine.

– C’est extraordinaire comme tu as su arranger cette mansarde.

– Cette pièce n’est pas une mansarde. C’est un ancien atelier d’artiste. Malheureusement, avec la verrière, je n’ai pas eu chaud l’hiver dernier.

Lina tourna le bouton de la radio, puis s’approcha de l’immense baie qui s’ouvrait sur une nuit scintillante de lumières, trouée par la masse du Sacré-Cœur illuminé.

– C’est amusant de voir Paris de ce côté-là.

Colette, qui coupait des pommes de terre, s’arrêta :

– Qu’y a-t-il de si étonnant ?

– Eh bien ! pour moi, le Sacré-Cœur est l’étoile polaire de Paris et, de chez toi, il me semble que l’étoile polaire a changé d’hémisphère.

– Tu deviens poétique ; continue, je t’en prie, railla Colette. Mais sois moins hermétique.

– Ne te moque pas de moi, tu comprends très bien ce que je veux dire. Quand je suis chez moi, ou à mon bureau, je vois le Sacré-Cœur au nord ; il me paraît à la limite de Paris et me sert de point de repère. Mais, de chez toi, avec la tour Eiffel à droite, je me sens perdue, il me semble que je suis hors de Paris.

– Ta démonstration est magistrale. Allons, il est temps de mettre le couvert. Bientôt, nous pourrons dîner.

Tandis que Lina contemplait ce panorama si nouveau pour elle qu’il la dépaysait, Colette jeta une nappe sur un guéridon et disposa les assiettes.

Il y eut un silence assez long entre les jeunes filles et quand, intriguée, Lina se retourna, elle vit Colette, debout près de la table, relisant le billet du notaire.

– Cette lettre te tracasse ?

Colette leva les épaules.

– Elle m’agace, parce qu’elle ne me donne pas le motif de la convocation. C’est absurde. Oui, cette lettre si brève me tourmente l’esprit. Je ne sais pas ce que je vais faire. Elle va gâcher notre soirée...

Lina posa affectueusement sa main sur le bras de son amie.

– Écoute-moi, Colette. Nous allons dîner rapidement et, après, nous irons au cinéma. Le spectacle te changera les idées et je reviendrai la semaine prochaine. Tu sauras alors à quoi t’en tenir au sujet de cette lettre. Nous passerons alors, en toute quiétude, la bonne soirée que nous nous étions promise.

Après une nuit où les cauchemars les plus fantastiques avaient été coupés par de longues insomnies, Colette décida, non pas d’écrire, mais de téléphoner à Pont-Audemer.

À la pensée qu’elle connaîtrait bientôt le mystérieux motif de la lettre, ses inquiétudes se dissipèrent. Ce fut fort joyeusement qu’elle se prépara pour aller à son travail. Elle entra dans un bureau de poste non loin de son bureau. Comme elle ne commençait qu’à neuf heures, elle avait le temps d’appeler Pont-Audemer, si toutefois Maître Lemasle ouvrait son étude avant cette heure.

Colette allait et venait assez nerveusement, en attendant que la communication fût établie. Elle se répétait : « Il faut que je sois calme, il faut que je sois calme... »

– Pont-Audemer, cabine 9 !

La jeune fille sursauta et, reprenant ses esprits, bondit vers la cabine 8. La standardiste l’interpella et, toute confuse, Colette se glissa dans la cabine qui lui était désignée. D’une main tremblante d’énervement, elle décrocha l’écouteur :

– Allô ! Pont-Audemer ?... L’étude de Maître Lemasle ?

– ...

– Pourrais-je parler à Maître Lemasle ?

– ...

– Oui, j’attends.

Colette entendit plusieurs déclics et une voix grave lui demanda qui elle était.

– Mademoiselle Colette Semnoz... Non, monsieur, je vous téléphone de Paris... Oui, j’ai bien reçu votre lettre... je vous avoue qu’elle m’intrigue et j’aimerais connaître pour quel motif vous me convoquez... Je comprends bien, monsieur, mais je travaille et nous ne sommes pas encore en période de vacances... Demander un jour de congé à mon patron ?... Oui... Ce n’est pas impossible, mais il faut que je donne un motif... Lui montrer votre lettre ?... C’est évident, mais sans me dire l’objet de votre convocation... Vous pourriez peut-être me laisser entendre pourquoi vous me demandez de venir... Très important !... Mais j’espère bien, monsieur... Alors vous ne voulez pas ?... Vous ne pouvez pas ?... Vous me recevrez n’importe quel jour ?... Bien... Sauf le jeudi après-midi... Et le samedi... Oh ! mais je n’attendrai pas tant... À bientôt, monsieur.

Colette sortit tellement bouleversée qu’elle faillit oublier de payer la communication.

– Trois unités ? Mais je ne suis pas restée neuf minutes à parler.

– Vous avez eu la communication à huit heures cinquante et une et il est cinquante-neuf. Vous avez huit minutes, ce qui fait trois unités.

– Il est neuf heures moins une !

Colette paya sans discuter plus longtemps et elle se précipita vers la sortie. Tout essoufflée, elle arriva à son bureau.

– Colette, le patron t’a déjà demandée.

La jeune fille posa son sac sur sa table et, ramassant au passage un bloc à sténo, frappa à la porte du bureau directorial.

Monsieur Fourcaud, qui écrivait, ne leva pas les yeux. Il dit simplement :

– C’est vous, mademoiselle Semnoz ?

– Oui, monsieur, je m’excuse, mais...

– Dites-moi, au sujet d’Angel, avez-vous écrit ?

Colette, qui était décidée en arrivant à demander deux jours de congé pour se rendre à Pont-Audemer, répondit qu’elle n’avait pas écrit à Monsieur Angel parce que Monsieur Fourcaud ne lui avait pas encore dit quand il pourrait le recevoir.

– Eh bien ! mercredi matin.

– N’avez-vous pas une cérémonie ce jour-là ?

– Vous avez raison, le mariage de Chavanay, un ami de mon fils. Disons jeudi après-midi, je n’ai rien jeudi ?

La jeune fille regarda l’agenda qui était sur le bureau.

– Aucun rendez-vous n’est inscrit pour ce jour-là.

– Donc, jeudi à trois heures.

Fourcaud reprit l’étude du dossier ouvert devant lui. Colette, debout à côté du bureau, se répétait à elle-même :

« Monsieur, j’aurais besoin de deux jours pour aller voir mon notaire... Monsieur, voudriez-vous me donner... non, m’accorder... Auriez-vous la gentillesse... non, l’amabilité ?... Non, ça ne va pas... »

Monsieur Fourcaud, tout à coup, releva la tête. Il vit sa secrétaire qui remuait les lèvres sans parler et se dandinait en roulant les yeux et en faisant d’étranges signes avec ses mains.

Étonné, il hasarda :

– Vous aviez quelque chose à me demander ?

Tirée brutalement de sa répétition intérieure, la jeune fille sursauta et elle bredouilla :

– C’est au sujet du notaire...

– Du notaire ! Quel notaire ?

– Excusez-moi, monsieur. Hier soir, en rentrant chez moi, j’ai trouvé une lettre d’un notaire me demandant de passer le voir « pour affaire me concernant ». Il ne me donne aucune explication et...

– Eh bien ! allez le voir, ce notaire !

– Bien sûr, monsieur, mais...

– Vous voulez une heure ? Je vous l’accorde.

– C’est-à-dire qu’il me faudrait deux jours.

Fourcaud fronça ses épais sourcils, ce qui lui donnait un air redoutable, bien qu’il fût le meilleur des hommes.

– Deux jours ! gronda-t-il. Qu’est-ce que c’est que cette histoire ?

– Je ne pense pas pouvoir faire l’aller et retour de Pont-Audemer dans la journée.

– Il habite Pont-Audemer, votre notaire ? Quelle idée d’avoir un notaire à Pont-Audemer !

– Je ne l’ai pas choisi, monsieur. Je n’avais même jamais entendu parler de lui avant qu’il m’écrive et j’ignore tout à son sujet. Je lui ai téléphoné avant de venir au bureau, il n’a rien voulu me dire. Il faut que j’aille le voir.

Fourcaud haussa les épaules et prit le ton bougon d’un monsieur qui craint d’être trompé, mais qui n’en est pas sûr.

– Prenez un jour, prenez huit jours, comme vous voudrez, mais si vous êtes trop longtemps absente, sachez que je vous retiendrai cela sur votre congé.

Colette le remercia et, comme elle restait immobile...

– Que voulez-vous encore ?

– Quand pourrai-je partir, monsieur ?

– Partez immédiatement, et que je n’entende plus parler de cette histoire.

La jeune fille bredouilla des remerciements et s’esquiva rapidement, craignant que son patron ne se ravisât. Elle venait d’arriver à sa table de travail, quand la lampe rouge indiquant que le directeur la demandait s’alluma. Elle entrebâilla la porte, passa la tête.

– Avant de partir, vous me ferez la lettre pour Angel.

2

Vers cinq heures de l’après-midi, Colette Semnoz descendait en gare de Pont-Audemer d’une voiture de seconde classe. Il tombait une pluie fine et pénétrante qui, en quelques minutes, vous fait ressembler à une naufragée, mais à laquelle la Normandie doit ses riches pâturages.

Après s’être informée de la direction dans laquelle elle trouverait l’étude de Maître Lemasle, la jeune fille s’aventura dans les vieilles et pittoresques rues de la petite ville. Sur la place, non loin de l’église gothique, Colette aperçut le rituel panonceau du notaire. Elle se hâta de pénétrer sous le porche où elle put s’ébrouer à plaisir. Après avoir réparé le désordre de sa toilette, elle entra dans l’étude.

L’annonce de son nom ne provoqua pas le mouvement de surprise qu’elle attendait. Le clerc, auquel elle s’adressa et qui était peut-être muet, se contenta de lui indiquer une chaise. Sans plus s’occuper d’elle, il reprit l’œuvre de calligraphie sur laquelle il était penché, en tirant la langue avec application.

Colette s’assit entre un imposant paysan moustachu et une petite vieille desséchée par les ans. Elle se mit à contempler les rayons chargés d’énormes livres reliés en peau verte, qui portaient chacun un millésime. Cette extraordinaire collection – l’orgueil du notaire – remontait jusqu’en 18... Certains volumes, beaucoup plus larges que d’autres, marquaient les années de prospérité. Il y avait même deux volumes pour 19..., année remarquable par le nombre d’actes enregistrés.

Soudain, une double porte s’ouvrit. Toute une famille sortit du cabinet du notaire et le paysan se leva, fendit hardiment le groupe pour remonter jusqu’à Maître Lemasle, qui lui tendait la main.

Contre toute attente, le paysan ne fit qu’une rapide incursion de l’autre côté de la double porte. Quant à la petite vieille, elle fut appelée par un clerc retranché derrière un paravent.

– Mademoiselle Semnoz.

Colette bondit de sa chaise. Elle salua discrètement Maître Lemasle et franchit avec émotion la porte que le notaire lui tenait largement ouverte, d’un geste un peu théâtral.

– Asseyez-vous, mademoiselle.

Maître Lemasle fit le tour de son bureau, s’assit avec précaution en tirant sur le pli de son pantalon et, mettant ses lunettes avant de regarder la jeune fille :

– Vous êtes bien mademoiselle Colette Semnoz ?

– Oui, monsieur.

Il semblait réfléchir. Enfin, d’un geste onctueux, il décrocha le téléphone.

– Veuillez m’apporter le dossier Letellier.

Tandis qu’ils attendaient, Colette se tenait immobile, assise sur le bord de sa chaise, tout intimidée ; Maître Lemasle, ses lunettes relevées, se bassinait les paupières avec un plaisir non dissimulé.

Un clerc apporta le dossier demandé. Maître Lemasle l’ouvrit, le feuilleta et, levant un regard inquisiteur vers la jeune fille, lui demanda :

– Votre père se nommait bien Jean-Joseph-Louis Semnoz, né à Annecy, le 24 juillet 18..., et votre mère Marie-Léontine Gerlaz, née également à Annecy, le 31 décembre 18... Votre mère est décédée le 7 juin 19..., et votre père le 9 mars 19.. Votre grand-père Jérôme-Jean-Marie Semnoz avait une sœur, Lucie-Armande-Marie, et un frère, Thomas-Marie-Joseph. Thomas-Marie-Joseph épousa en premières noces Armande Duquesnay et en secondes noces...

Submergée par cette avalanche de noms et ce flot de questions auxquelles le notaire ne demandait pas de réponse, Colette ne chercha pas à suivre cet extraordinaire arbre généalogique.

Son oreille distraite ne retrouva de curiosité qu’en entendant prononcer le nom de Letellier.

– ... Anthime-Ernest Letellier est donc votre cousin au troisième degré et vous héritez de ses biens pour une part égale avec Monsieur François-Gustave-Victor Lesquent, descendant direct de Lucie-Armande-Marie Semnoz.

Colette ne trouva rien à dire qu’un « ah ! », qui ne reflétait même pas son étonnement.

Elle ignorait jusqu’à ce jour l’existence d’Anthime-Ernest Letellier. Jamais elle n’avait entendu parler de François-Gustave-Victor Lesquent et n’était pas très sûre de se souvenir du nom des deux femmes du grand-oncle Thomas.

– Vous héritez donc, pour une part égale avec Monsieur François-Gustave-Victor Lesquent, des biens d’Anthime-Ernest Letellier, répéta Maître Lemasle.

Colette hocha la tête.

– Anthime-Ernest Letellier, poursuivit Maître Lemasle, avait acquis une belle fortune dans l’industrie du cuir et, vers 19..., celle-ci pouvait s’élever à vingt millions de francs, chiffre coquet pour l’époque. Malheureusement, la crise économique qui sévit durant les années 19.. à 19.. le ruina à peu près. Il ne conserva qu’une petite tannerie qu’il vendit deux ans avant sa mort et se retira dans son château de Grandlieu où il devait s’éteindre il y a un an. Je n’eus aucune peine à trouver votre cousin Lesquent, mais ce ne fut qu’après d’innombrables recherches que Maître Duvignac, notaire à Annecy, me donna votre adresse, votre ancienne adresse, devrais-je dire. Enfin, je passe sur tous ces détails, et j’ai le plaisir de vous faire savoir que, si la fortune d’Anthime-Ernest Letellier n’est pas celle que vous étiez en droit d’espérer, il reste néanmoins le château de Grandlieu et des titres de rentes pour deux cent mille francs environ.

Colette, que ce déluge de paroles et cette nouvelle inattendue éberluaient, murmura en souriant :

– Je suis donc châtelaine.

Colette imaginait déjà de grosses tours couronnant une éminence, qui surplomberait elle-même un petit village aux toits de tuiles brunies par le temps.

Maître Lemasle eut un sourire teinté de commisération.

– Je vous rappelle que le château ne vous appartient que pour moitié avec Monsieur Lesquent. En outre, vous aurez des droits de succession assez élevés à payer, parce que Anthime-Ernest Letellier n’était votre parent qu’au troisième degré. Il est donc possible que vous soyez amenée à vendre cette propriété. Dans ce cas, il vous restera une somme coquette, peut-être trois ou quatre cent mille francs.

Colette fut toute désappointée de voir son château s’évanouir si brusquement.

– Monsieur Lesquent, poursuivit le notaire, est désireux de vendre et m’a chargé d’une proposition. Voulez-vous racheter sa part ?

Colette eut un sourire voilé de tristesse.

– Quand même le voudrais-je, je ne le pourrais pas. Je suis orpheline, mon père est mort ruiné et, n’ayant fait que des études classiques peu poussées, j’ai dû me contenter, pour vivre, d’un emploi assez modeste dans une maison d’exportation. Je n’ai pas de fortune.

– Dans ce cas, vous ne ferez pas de difficultés pour vendre votre part ?

– Certes, non !

– Eh bien ! Mademoiselle, c’est parfait, j’ai déjà reçu quelques propositions d’achat.

Il feuilleta le dossier.

– Oui, une Caisse de Sécurité Sociale qui cherche un château afin d’y installer une maison de repos pour enfants et un particulier. Je vais écrire à l’un et à l’autre et leur demander de préciser leurs offres.

Maître Lemasle referma le dossier. Il se leva de sa chaise pour faire comprendre à sa visiteuse qu’il jugeait l’entretien terminé.

Colette se leva et remercia le notaire de son accueil. Comme il la reconduisait jusqu’à la porte, elle lui demanda :

– Vous n’avez pas de photographie de ce château ?

– Malheureusement, non. C’est un château de style Louis XIII. Il est entouré d’un parc de deux hectares et demi, dont une partie est plantée d’arbres fruitiers. La toiture nécessiterait quelques réparations, mais l’état général est bon.

Colette fit encore quelques pas.

– Où est-il situé ?

– À dix kilomètres d’ici, sur le bord de la Seine, non loin de la forêt de Bretonne.

– Je vous remercie, maître... Si, un jour, vous avez l’occasion de vous en procurer une photographie, envoyez-la-moi. Je serais très heureuse d’avoir un souvenir de notre château.

– Je n’y manquerai pas. Au revoir, mademoiselle.

Colette se retrouva sur la grand-place, déserte et sombre. La pluie n’avait pas cessé de tomber et, par endroits, de grandes flaques d’eau miroitaient dans l’ombre. En face, la lumière jaune d’un café l’attira.

L’éclairage médiocre, les tables aux marbres poisseux, la grande glace au tain piqué, le plafond noirci duquel pendait un papier à mouches, tout cela écœura la jeune fille qui rêvait de hautes frondaisons, de tapis de gazon et de fenêtres s’ouvrant sur la perspective d’un parc à la française.

Elle y entra cependant, ne but qu’une gorgée du café qu’elle avait commandé pour se réchauffer et, après avoir payé, se dirigea, sous la pluie fine et tenace, vers la gare à demi obscure qui sentait la poussière, la colle sure et la fumée.

3

– Tu disais donc : un château Louis XIII au bord de la Seine, avec un parc et une forêt !

Colette, qui préparait le thé, rectifia :

– Près de la forêt de Bretonne. La forêt ne fait pas partie du domaine.

– Et tu ne l’as pas visité ?

– Non, j’aurais aimé le voir en photo...

Les deux jeunes filles venaient de terminer leur dîner dans le logement de Colette Semnoz et, durant tout le repas, Colette avait tenu son amie en haleine en lui racontant par le détail son voyage à Pont-Audemer.

– Châtelaine, un jour... fit Lina en riant.

– Le château sera vendu, poursuivit Colette. J’ai reçu ce matin une lettre de Maître Lemasle, qui me fait part des propositions qu’il a reçues. Il me conseille d’attendre, car un troisième amateur, un industriel parisien, vient de demander nos conditions... Tu vois, je suis encore châtelaine.

– Et ton cousin ?

– Quel cousin ?

– Eh bien ! Lesquent. Comment est-il ?

– Je n’en sais rien. Depuis, j’ai pensé à lui et je me suis aperçue que je n’avais même pas demandé à Maître Lemasle où il habitait, ce qu’il faisait, l’âge qu’il pouvait avoir.

– Avoue que tu as une famille bien extraordinaire. Tu ignorais un cousin millionnaire et tu ne connaissais pas l’existence de ce Lesquent.

– J’avais bien entendu parler de tante Lucie quand j’étais petite, mais très rarement, et j’ai toujours pensé qu’un mystère peu honorable était attaché à elle. D’ailleurs, je crois qu’elle ne vivait plus en France et j’ignorais qu’elle eût des enfants. Quand j’aurai l’occasion de revoir Maître Lemasle, je lui demanderai ce qu’il sait sur ma famille. J’étais tellement émue que je ne savais quoi dire et je n’ai pensé à rien.

– Et le château, comment est-il ? C’est un vieux château du Moyen Âge, comme dit la chanson, avec un fantôme à chaque étage...

– Je ne sais pas, je me l’imagine avec des tours dominant la Seine, tel un burg rhénan.

Soudain, les deux jeunes filles s’aperçurent qu’il était une heure du matin.

– Eh bien ! reste ici, tu coucheras sur le divan.

– Je ne peux pas, maman s’inquiéterait.

Un voile de mélancolie couvrit le visage de Colette.

– Oui, c’est vrai, je ne pensais pas...

Lina, s’apercevant de la tristesse de son amie, l’embrassa affectueusement.

– Pense à ton château... châtelaine.

– Oui...

– Dis-moi, fît Lina qui tenait à chasser la peine de son amie, si nous allions un dimanche visiter ton château ?

– Tu as une bonne idée. Nous partirions le samedi à midi pour Pont-Audemer, nous y coucherions le soir et, le lendemain, nous irions au château.

– Il y a mieux que cela. Pâques est dans quinze jours, nous pourrons rester là-bas tout le dimanche et ne rentrer à Paris que le lundi soir. Tu seras vraiment châtelaine une journée entière.

Colette serra le bras de son amie.

– Ton idée est merveilleuse. Dès demain, j’écris : à Maître Lemasle pour l’informer de ma visite et lui demander où je pourrai avoir les clés. Ma chère Lina, à Pâques, j’aurai l’immense plaisir de te faire les honneurs de mon château.

Les deux jeunes filles se saluèrent cérémonieusement et pouffèrent de rire.

Quelques minutes plus tard, alors que Lina était partie, Colette, tout en remettant en ordre son petit logis, souriait, heureuse, à la pensée de cette journée de campagne, de ces vingt-quatre heures de sa vie de château.

4

– Mademoiselle Semnoz ?

Colette venait de rentrer hâtivement chez elle afin de préparer son départ pour Pont-Audemer avec Lina. Elle regarda ce jeune homme assez élégant qui se tenait devant sa porte.

– C’est moi-même, monsieur. Vous désirez ?

– Je suis votre cousin François Lesquent.

Le jeune homme mit sur le compte de l’étonnement la réserve dont la jeune fille fit preuve à son égard. Puis, comme elle restait muette et embarrassée, il ajouta :

– Je dois votre adresse à Maître Lemasle. Il m’a même annoncé que vous viendriez dimanche à Grandlieu.

– Oui, c’est exact, mais excusez-moi de vous laisser à la porte. Voulez-vous entrer ? Je suis tellement surprise de faire la connaissance de mon cousin inconnu...

Le jeune homme sourit, puis il entra sans aucune gêne, d’un pas délibéré. Examinant la pièce, il s’approcha d’une photographie pour la regarder.

– C’est maman, dit Colette.

– Elle était jeune.

– Oui, elle est morte peu après ma naissance.

Lesquent détailla le mobilier assez modeste, mais fort coquettement arrangé, et, d’un ton détaché :

– C’est gentil, chez vous. Vous vivez seule ?

– Oui, depuis la mort de papa. J’ignorais qu’il me restât de la famille.

– C’est amusant, n’est-ce pas, cette histoire d’héritage. Amusant pour vous, parce que, moi, je connaissais très bien Anthime.

Colette sourit et demanda :