Comme une bouteille à la mer - Tome 1 - Emily Chain - E-Book

Comme une bouteille à la mer - Tome 1 E-Book

Emily Chain

0,0

Beschreibung

Et si vous suiviez le carnet d'une inconnue pour retrouver le bonheur ?

Luc a décidé de rejeter tout sentiment depuis que sa femme enceinte a perdu la vie dans un accident de voiture. Pas de sentiments, pas de chagrin. Juste un grand vide. Le jour où son enfant aurait dû naître, il pense à mettre un terme à sa propre existence. Jusqu'à l'irruption de Victoire, qui incarne la vie. Elle lui lègue un carnet, dans lequel elle notait ses pensées, ses souvenirs, ses conseils, pour réussir à apprécier la vie, et à partager aux autres des petites parcelles de bonheur. Luc se prend au jeu et utilise ce carnet comme un guide. Mais jusqu'où cela le mènera-t-il ? Une chose est sûre, Victoire lui fera faire des choses qu'il n'aurait jamais pu imaginer...

Emily Chain décrit avec justesse les sentiments d'un homme abandonné par la vie, mais aussi et surtout sa résurrection et sa réouverture au monde qui l'entoure. Un roman qui nous emmène en voyage ...

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

"J'ai beaucoup aimé la plume d'Emily. Elle est douce, authentique et parfois un peu poétique et philosophique. J'ai adoré le message qu'elle a souhaité nous transmettre dans son oeuvre." LiliCL sur Babelio

"J'ai été embarquée dans cette histoire du début à la fin, j'ai dévoré page après page, jusqu'au dénouement... Emily Chain a une très jolie plume, ses mots nous attrapent, nous capturent." La Biblio de Clo sur Instagram

EXTRAIT

Mes doigts tapotent nerveusement le petit carnet rose. Je suis stoïque, debout devant le petit trottoir qui donne sur le café. On me regarde mais je ne vois personne. Je m’apprête à faire demi-tour quand le carnet m’échappe des mains. Je me précipite pour le ramasser. Il est ouvert sur une page que j’ai déjà lue.
« Souvenirs d’enfance. Après-midi crêpes avec l’odeur de l’eau-de-vie dans la cuisine. J’ai recommencé à faire cette recette de ma grand-mère depuis peu. C’est vraiment important de ne pas garder uniquement des souvenirs dans une boîte du passé. Mieux vaut les rendre consistants et réels. »
Je n’ai pas la tête à parcourir mes souvenirs aujourd’hui et encore moins à les réaliser. Je soupire et me relève avec le carnet ouvert. Je tourne les feuilles et tombe sur celle que je voulais.
L’écriture bleu azur de Victoire est plus ronde, comme si elle avait porté plus d’attention sur ces mots.
« Lieu préféré. Ouh là, tellement facile comme question. Je dirais instinctivement, le café Mirabelle. Déjà parce que le nom est ultra chouette et de plus, quoi de mieux qu’un café en plein centre-ville pour se sentir vivante ! »
— Se sentir vivant, répétai-je pour moi.

À PROPOS DE L'AUTEURE

Âgée de 22 ans, Emily Chain écrit depuis toujours et dans des styles diversifiés : des récits fantastiques aux thrillers en passant par la romance. Après les sagas L’Interne et Aux Délices d'Amsterdam, elle se lance dans le feel good avec Comme une bouteille à la mer chez Feel So Good.

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern
Kindle™-E-Readern
(für ausgewählte Pakete)

Seitenzahl: 254

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



1RE PARTIE — LA THÉORIE DE LA VIE

Chapitre 1 :SAUT DANS LE VIDE

La nuit est noire ce soir.

Je ne vais pas bien, mais ce n’est pas nouveau.

Il y a de nombreuses raisons pour expliquer ma présence ici aujourd’hui.

Certains diront qu’elles ne sont pas suffisantes, superficielles ou inventées.

D’autres pourront comprendre mon geste, sans parlementer durant des heures sur ce qu’il était bon de faire ou non dans ma situation.

Juger ou comprendre… Les deux seuls choix qu’ils semblent prendre en compte.

Ce n’est pourtant pas ce que je demande. Je ne veux rien de personne. Si mon corps est là à cet instant, ce n’est que pour moi.

Je suis ici, par choix.

Un choix lâche et égoïste, pris d’une manière lucide et raisonnée.

J’ai choisi de fuir la réalité.

Et ce soir, je contrôle tout.

Tout ou presque.

*

Je ne sais pas pourquoi elle est là.

Elle, cette inconnue. Je ne l’ai pas entendue arriver. Elle est apparue sans que je puisse réagir.

Tel un petit démon, elle a sauté sur mon choix, l’a bafoué sans respecter ce que je souhaitais. Se sentant peut-être investie d’une mission divine, enivrée par l’alcool des bars du coin, elle a basculé mes certitudes et mes intentions.

C’est son taux d’alcoolémie qui l’a poussée à l’inimaginable. Du moins, c’est ce que j’ai cru au début.

Et malgré l’incompréhension et la colère que j’éprouvais pour son geste… C’est vrai de quoi se mêlait-elle ?

Je suis persuadé que c’était une bonne personne, je l’ai su au son de sa voix.

Cette inconnue, au si doux visage, a commencé à me parler de son père. Pourquoi, je ne sais pas. Elle m’a dit qu’il avait perdu son travail quelques mois auparavant, qu’elle comprenait que la vie pouvait être dure. Elle avait ce ton léger, celui d’une femme heureuse, épanouie mais dans son regard, il y avait autre chose.

Elle m’a fixé attendant une réaction de ma part. Peut-être de la compassion.

Je n’ai pas réagi. Je ne crois pas lui avoir dit un seul mot. Les souvenirs sont embrouillés aujourd’hui.

C’était hier. Je crois.

Le temps est figé ou accéléré. Je ne sais plus distinguer un lever d’un coucher de soleil. Ce dont je me souviens, c’est de moi.

Debout sur ce petit rebord en pierre, je regardais l’immensité se profiler devant moi. J’avais envie de hurler après le monde, la vie, le destin. Mais je restais silencieux face à la nuit.

J’étais intimidé, ne me sentant en rien différent des autres, je n’osais pas me lancer.

Elle n’y est pour rien, elle n’a rien changé. C’est en tout cas, ce que j’ai voulu me faire croire.

C’est ce que je me répète encore. C’est plus supportable.

Debout, face au vide, je n’avais pas besoin d’elle.

Elle sortait de nulle part. D’un bar sûrement bondé et plein de vie. J’ai entendu ses amies quand cela est arrivé.

Pourquoi a-t-elle voulu m’aider ? Je ne lui demandais rien. Elle rigolait avec ses amies.

Pour quelles raisons a-t-elle interrompu sa soirée, sa tranquillité pour moi, alors que personne ne me voyait plus depuis des mois ?

Je me souviens encore de l’odeur du vent au moment où j’ai entendu sa voix…

*

Elle a déboulé sans crier gare, alors que je suis debout, face au vide.

À cet instant, le vide me fait peur et je suis en train de changer d’avis.

Je crois.

Je n’entends personne sauf le brouhaha d’une ville qui festoie.

— Vous savez, j’ai un peu le vertige, me prévient innocemment la jeune femme.

Je ne l’ai pas vue arriver. À ce moment-là, j’aurais pu tomber en sursautant. Vu son expression paisible, elle n’a pas eu l’air d’y penser.

Elle est penchée au-dessus du vide, accoudée à la petite murette de pierre. Elle ne semble effectivement pas très à l’aise face au vide.

— Je ne sais pas d’où il vient mais j’ai toujours eu cette sensation d’être attirée par lui.

Je ne vois pas de qui elle parle. Elle semble le comprendre et redémarre son monologue dans la pénombre de la nuit, à la recherche d’une oreille attentive.

— Le vide… Je ne sais pas d’où vient cette peur… Le vertige est un phénomène assez complexe, je pense. Une de mes amies m’a dit ressentir ça, dans certaines situations compliquées. Elle se sent attirée par un vide abstrait quand on lui demande de prendre des initiatives ou de faire des choix. Vous ressentez ça, vous aussi ?

Pendant une fraction de seconde, j’ai envie de répondre à sa question, avant de réaliser que réfléchir à ça n’ouvrirait qu’une nouvelle fois la boîte de pandore.

J’inspire profondément pour faire abstraction de sa présence, l’ignorer et ressentir ce vide libérateur pour moi.

J’aimerais qu’elle parte. J’ai honte d’être là.

De manière quasiment imperceptible, j’ai bougé. Rien de flagrant et on ne pourrait pas dire que je me suis tourné vers elle, cependant elle semble l’avoir remarqué. Elle se sent écoutée.

— Je ne sais pas pourquoi vous êtes là, mais il est un peu tard pour faire un plongeon.

Elle tente d’opter pour un ton humoristique. Je ne comprends pas pourquoi elle veut instaurer un dialogue. Ironiquement, je n’ai qu’une envie, être seul. La seule chose que je souhaite à cet instant, c’est de la voir partir. Et cette pensée m’oblige à me focaliser sur elle.

— Vous n’êtes pas très loquace, note-t-elle, légèrement espiègle.

Ce n’est pas une question, elle observe juste un état de fait. Elle a raison, je n’aime pas parler pour rien. Et pour moi, à ce moment précis, elle n’est rien.

— Virginie m’a toujours dit que j’étais une oreille attentive, alors si vous souhaitez vous confier, je suis là. D’ailleurs, si vous voulez parler, vous n’avez que moi, car à cette heure-ci, les quais sont un peu vides.

Je me demande pourquoi elle n’est pas avec cette Virginie, justement.

Elle jacasse sans prendre en compte mes multiples soupirs.

Je m’éloigne d’elle petit à petit en faisant des petits pas sur le côté, technique vaine pour retrouver le silence.

À ce moment-là, je suppose qu’elle croit que je m’apprête à me jeter dans le vide. Et comme dans tous ces films d’action, elle veut faire un mouvement pour m’empêcher de sauter. Elle enjambe le petit muret pour s’asseoir. Sur le coup, son geste me surprend.

Je la regarde du coin de l’œil. Je n’ai plus trop envie de sauter. Je ne sais même pas si c’est ce que j’ai vraiment voulu un jour.

Elle m’intrigue.

Je n’ose rien dire, persuadé qu’elle va parler à nouveau. Ce qui ne tarde pas.

— Vous êtes malade ?

Sa voix est plus basse. J’ai du mal à cerner son ton. S’interroge-t-elle ? Pense-t-elle que je suis mourant ? Souhaite-t-elle simplement me faire réagir ?

Je ne sais pas si elle se pose la question à elle-même ou si je dois lui répondre. Mon mutisme n’a pas l’air de la déranger.

— Vous savez, pour communiquer, nous n’avons pas besoin d’ouvrir tous les deux la bouche.

Elle laisse un silence, quasiment l’un des premiers depuis son arrivée. Mais cela ne dure pas longtemps et elle recommence à m’interroger sans attendre de réponse de ma part.

— Je peux être la voix et vous la pensée. Pourquoi pas ? Qu’en dites-vous ? Vous n’êtes pas chiant comme gars, faut bien l’avouer.

Sa réflexion me fait sourire entre deux mots. Elle semble partie pour un nouveau monologue.

— Jamais un mot plus haut que l’autre. Jamais de remontrance ou de critique. Un homme à marier en somme.

Je ne sais pas si c’est mon sourire qui disparaît lorsqu’elle invoque le mariage, ou si j’ai déjà le profil du veuf. Tout du moins, à peine quelques secondes après avoir prononcé cette phrase, elle s’excuse.

Au fond, je n’ai plus vraiment envie qu’elle parte.

Cela fait longtemps que je n’ai pas eu une conversation avec quelqu’un d’autre que mon entourage. Et même si je ne lui réponds pas, j’ai l’impression qu’elle comprend et communique avec moi.

J’ai peut-être cette sensation à cause de ma solitude aiguë de ces derniers mois.

Personne n’ose me parler. Ils se disent que mon deuil doit être déjà assez dur à supporter.

*

Je suis une de ces personnes endeuillées par la vie. Ma femme, Gil, est morte il y a huit mois.

Huit petits mois, pendant lesquels j’ai tenu bon. J’ai fait face à tous les obstacles. L’annonce, l’enterrement, le testament, le déménagement de ses affaires… Mais aujourd’hui est différent.

Les médecins avaient donné une date approximative, mais j’ai l’impression, je l’ai toujours su au fond de moi, que cela aurait été aujourd’hui.

Elle n’a été enceinte qu’un minuscule mois. Il devait lui en rester huit pour se construire et se préparer à la vie. Une période durant laquelle j’aurais décoré une chambre d’enfant. Gil et moi, nous nous serions battus pour un prénom, la première peluche, les couleurs de ses nouveaux vêtements, nos premières nuits blanches, les disputes nocturnes pour savoir lequel d’entre nous devrait se lever.

Sauf que cela n’est pas et n’arrivera jamais.

Il y a huit mois, une voiture est venue percuter la sienne. Rien d’impressionnant. Un de ces chocs lambda, filmé par les collégiens dans le bus. Personne n’a cru à la mort de la conductrice. Le choc semblait si minime.

Ce qui a été le plus dur, c’est que rien ne soit impressionnant. L’incompréhension se lisait sur le visage des pompiers, les phrases hésitantes remplissaient les silences de l’hôpital. Ils ne savaient pas pourquoi elle était morte.

A-t-on besoin de savoir pourquoi, comment ? Je savais simplement que ma femme venait de décéder avec notre enfant d’un mois. Un seul petit mois.

Tout le monde semblait oublier notre bébé. J’avais beau répéter qu’il devait se faire enterrer, personne de ma famille ou de celle de Gil ne considérait ce petit bout de vie de seulement un mois. Ils ne parlaient que d’elle. Elle, qui aurait dû prendre soin de notre bébé, le garder en vie…

Personne ne considère un être tant qu’il n’est pas né. Avant l’accident, j’étais du même avis. Mais les mois se sont écoulés et mon obsession a été de plus en plus forte.

Je me suis renfermé. J’ai arrêté de pleurer ma femme. Mon seul chagrin venait de la perte de mon enfant. Ne pas savoir s’il était un garçon ou une fille me donnait des insomnies.

Ma belle-famille m’a tourné le dos, la mienne a fini par s’éloigner petit à petit. Je n’avais jamais eu d’amis avant de rencontrer Gil.

Ma vie a connu un nettoyage brutal. Comme si je n’avais jamais évolué depuis les six dernières années.

Sauf qu’au fond de moi, aujourd’hui, je deviens père. Un père sans enfant.

Le plan était de partir avant que le jour ne se lève. Avant de voir un jour supplémentaire, sans mon enfant en vie. J’ai tenu les quelques mois qui me séparaient de cette date pour une raison qui m’est obscure.

*

— Vous pensez à quoi ?

L’inconnue vient de me tirer de ma rêverie.

Elle s’agite.

Le fait d’être sur ce muret ne lui semble pas confortable. Même avec la faible luminosité, je peux voir qu’elle a pâli.

L’idée qu’elle ait vraiment le vertige me vient à l’esprit.

Mais qui viendrait au bord du vide parler à un inconnu, si c’était le cas ?

— Mon père a perdu son travail, vous savez. Je ne sais pas ce que vous avez mais je suis sûre qu’il y a une raison, une histoire, une fracture.

Elle a raison. J’ai une faille en moi. Un gouffre vide qui aurait dû se remplir de haine, de ressentiment envers le conducteur de cette maudite voiture ou même de tristesse, de nostalgie, mais non. Depuis l’annonce de l’accident, aucune émotion n’a réussi à me pénétrer.

Je suis incroyablement insensible à ce qui m’entoure.

Je ne sais pas comment cela peut être le cas, mais je regarde les personnes autour de moi comme si elles n’existaient pas.

Cette femme ne fait pas exception à la règle. Elle me paraît gentille, aimable, même attentionnée, mais je n’éprouve absolument rien en la regardant. Je suis totalement impassible. Une partie de moi tente de trouver un semblant d’émotion, quelque chose qui pourrait me faire espérer une fin moins morne, moins triste, moins définitive. Mais ce soir, près du vide, mon cœur est rempli de silence.

— Vous allez m’obliger à faire une connerie.

Sa voix est claire. Elle n’a pas l’air d’avoir trop bu. Cette inconnue est en pleine possession de ses moyens. C’est à cause de ça que je ne porte pas réellement d’intérêt à ses mots.

J’aurais dû peut-être l’écouter.

Cependant, l’humain est un être capable de dire une incroyable quantité de bêtises à chaque fois qu’il ouvre la bouche. Comme s’il se sentait investi d’une mission, celle de remplir le vide qui l’entoure. Certaines personnes sont angoissées par le silence, tandis que d’autres s’en nourrissent.

Elle doit faire partie de la première catégorie de personnes et moi de la deuxième. Je ne prête pas attention à ce qu’elle me raconte car je ne pense pas en avoir le devoir.

Pourtant, elle est là pour moi, et pas le contraire. C’est en tout cas ce que la situation me laisse supposer. Elle veut m’aider, pensant être face à un suicidaire avec une vie qui vaut la peine d’être vécue. Mais je sais pertinemment que je ne manquerai à personne.

Elle ne s’en doute pas.

Elle change de position si vite que je n’ai pas le temps de réagir. Je crois que sa main a glissé. Les images défilent sous mes yeux au ralenti. Elle me sourit, me crie de la rattraper avant de comprendre qu’elle tombe réellement dans le vide.

Son corps cogne contre la pierre. Son expression en cet instant restera gravée à jamais dans ma mémoire, elle vient de comprendre ce qui lui arrive.

Le choc de son crâne contre la roche du muret lui fait perdre connaissance. Les quais de Paris sont vides à cette heure tardive et la nuit noire empêche quelqu’un de nous apercevoir.

Ainsi, je suis le seul spectateur de sa longue chute vertigineuse.

Chapitre 2 :RÉCEPTION DOULOUREUSE

Quelques minutes, quelques heures, quelques jours… face à mon plafond, je n’arrive plus à m’accrocher à quelque chose de fiable. Le temps file, puis s’arrête, et ceci sans cesse.

— Luc, sors de là !

Sa voix, venue de nulle part, me sort de cette torpeur. Ma sœur est la seule à avoir le courage de venir me voir. Et pour cause, les journaux se déchaînent contre moi. Pour certains, je suis le responsable de sa chute, je l’ai poussée. D’autres disent qu’elle ne serait jamais venue si je n’avais pas été un lâche suicidaire.

Ils ont tous raison et tous tort d’une certaine manière.

Peu importe.

Aujourd’hui, ils l’enterrent.

Je ne suis pas le bienvenu. Je le sais. Mais j’ai envie de lui dire au revoir. Une partie de moi s’en veut. C’est tout du moins ce que je crois percevoir. Je ressens une émotion mais je peine à mettre un mot dessus. L’analyser, la comprendre, l’accepter me paraît impossible. Voilà pourquoi je fixe mon plafond blanc, à la recherche d’une explication.

Ma sœur martèle la porte. Elle a peur que je tente à nouveau de me suicider. Elle ne sait pas que j’ai peur de ce quai, peur de revoir Victoire. De fixer une nouvelle fois son visage, impuissant.

Au moment où son corps a basculé, j’ai vu dans ses yeux sa dernière supplique.

Mon cœur s’est rouvert douloureusement. J’ai ressenti une multitude de sentiments, enfouis depuis des mois. Terrifié de la voir mourir, j’ai hurlé. Instinctivement, j’ai sauté. Je voulais la sauver, me sauver.

Le courant m’a vite entraîné. J’ai vu son corps flotter sur l’eau, je me suis débattu pour l’atteindre, ce que j’ai réussi après plusieurs minutes.

Son visage face à l’eau ne bougeait plus, son corps était raide. Je hurlais à pleins poumons et deux hommes sont venus nous repêcher.

Ma mémoire me fait défaut à partir du moment où ils ont pris son corps.

Allongé sur mon lit, je regarde mon plafond sans le voir. Les yeux de cette inconnue me transpercent, ils jugent mon âme et me rappellent ce que je n’ai pas fait.

*

Ma sœur vient de partir sans m’avoir vu, sûrement décidée à recommencer dans quelques heures à marteler à ma porte. Il est treize heures. L’enterrement est à quatorze heures. Je décide de m’habiller.

Je sors le costume de l’enterrement de Gil. Je le dépose sur le lit et sors de la chambre. Il me faut une douche rapide, la quinzième de la journée. J’ai l’impression d’avoir encore le goût du canal dans la bouche, l’odeur des eaux usées qui s’y mélangent.

L’eau sur ma peau me brûle, je rejoue la scène encore une fois. Je me demande pourquoi je ne suis pas mort, pourquoi ce n’est pas ma tête qui a heurté le bord en ciment. De nombreuses questions m’assaillent, et aucune réponse ne m’aide.

Il est treize heures trente quand je sors de mon appartement. Je le quitte sans savoir si je vais revenir. Ne plus avoir d’émotions me paraissait le plus dur des châtiments mais maintenant que j’arrive de nouveau à souffrir, je regrette le vide.

Mon cœur dégouline. Je ne comprends pas ce geste, cette aide providentielle récompensée aussi injustement.

Je vagabonde dehors. Le cimetière est à quelques pas de mon appartement mais je préfère marcher un peu avant. Le silence me pèse autant que le bruit. J’étouffe à l’intérieur de moi-même. Comme si respirer devenait compliqué, marcher douloureux et parler inconcevable.

Les pompiers ont tenté de m’arracher autre chose qu’un hurlement mais rien n’y a fait, je ne pouvais plus exprimer un seul mot. Cette inconnue m’a figé dans cet instant. Nos fragments de vies, liés à jamais dans ce canal.

Sans faire attention, je change de direction. Le paysage se modifie.

La peur envahit mon corps et mon esprit. L’eau est face à moi, en contre bas. Je suis à quelques mètres de l’endroit. L’équipe scientifique a fait des relevés, mais personne n’a laissé les bandes jaunes. Il n’est pas illégal de s’en approcher.

Je m’avance, hésitant.

Ce n’est pas une bonne idée. Je le sais.

Aurais-je dû voir l’uppercut arriver ? Sûrement.

L’ai-je vu ? Absolument pas.

L’homme qui me projette à terre avec son poing me semble inconnu. Son visage, plutôt bien fait, ne m’est pas familier. Il crie, ça j’en suis sûr. Je dois me concentrer pour comprendre le sens de ses hurlements qui résonnent dans mon crâne endolori. Le sol frais m’aide à garder conscience.

— Tu as tué victoire, répète-t-il inlassablement.

De quoi parle-t-il ? De quelle victoire ?

Sonné, en manque de sommeil et dans un état pitoyable, j’ai du mal à rassembler mes idées en une suite logique. C’est pour cette raison que je ne fais pas directement le lien, entre l’inconnue et ce prénom. Parce que je n’ai pas tout de suite compris que c’était un prénom.

Trop obnubilé par mes échecs, j’ai l’impression que le monde autour de moi n’est fait que de victoires inconnues.

Alors que cet homme n’en avait pas plusieurs. Juste une. La plus importante.

Atterré de me faire agresser sans raison apparente, je fixe cet homme.

— C’était la femme de ma vie. Tu l’as tuée !

Son ton est écrasant, presque oppressant. J’halète, incapable de bouger.

— Elle était la personne la plus gentille qui soit, pourquoi ? Pourquoi ?

Son hurlement s’est changé en sanglot bruyant.

Je le regarde, dubitatif, encore allongé sur le sol, prêt à recevoir d’autres coups. Mais il semble déjà ne plus s’intéresser à moi. Il fait des allers-retours, marmonnant des choses incompréhensibles, avant de s’asseoir le long d’un de ces fameux troncs d’arbres sans écorces. Typique des villes, propre, discret et beau.

Je ne sais pas pourquoi mais j’ai commencé à ramper au lieu de me relever. Une petite voix me dit que cet homme est capable de me pousser dans le canal. Et décider d’y aller seul ne me pose pas de problème mais me faire pousser, ce n’est pas la même chose. Voilà que même face à la mort, j’ai un égo… On ne change pas la nature humaine…

Je m’arrête à quelques centimètres du muret où quelques jours avant je me tenais debout. Mes mains se posent sur les pierres solides et cela me rassure.

Je pivote pour lui faire face.

Le dos collé au muret, dans un semblant de courage, j’affronte sa colère. La roche froide me rentre dans la chair, aussi douloureuse qu’un fer chaud. Je regrette de ne pas m’être habillé plus, sûrement parce que je n’avais pas l’idée de rester dehors si longtemps.

L’homme vigoureux qui a été capable de me mettre à terre est maintenant l’ombre de lui-même. Il continue de sangloter, recroquevillé.

La scène est surréaliste. Tous les deux assis, nous attendons. Quoi ? Je n’en sais rien. Le sait-il lui-même ?

M’a-t-il suivi ou est-ce un hasard de s’être croisés ici, lui se recueillant une dernière fois sur le lieu de sa disparition et moi, sans raison, errant ici ? La police a-t-elle donné mes coordonnées à la famille de cette Victoire ? Impossible… Ils n’ont pas le droit.

Je déglutis, peu sûr de ça.

Je ne sais pas combien de temps j’attends avant de pouvoir m’expliquer avec lui.

Ses sanglots durent un temps infini et lorsqu’ils se calment enfin, le silence qui s’ensuit me pèse autant. Je n’ose pas l’interrompre de peur de recevoir un nouveau coup ou de réenclencher sa douleur. Après tout, je sais ce qu’il traverse plus que quiconque.

Sans prévenir, il se relève, les yeux rougis et s’installe contre un autre arbre à quelques mètres de moi. Son regard est rempli de haine et de doutes.

— Tu couchais avec ? lâche-t-il.

Son ton est différent. Il est froid, il ne me pose pas vraiment la question. Pour lui, c’est évident.

— Vous voulez dire… avec la femme qui est tombée dans le canal… Celle qui est morte ?

J’hésite à préciser, mais j’ai besoin d’être sûr. Une certitude malsaine pour savoir si nous parlons bien du même cauchemar que je suis en train de vivre malgré moi.

— Oui. Victoire. C’est comme ça qu’elle s’appelait, celle qui est morte.

Le prénom résonne dans mon esprit. Il imprègne chaque vide en moi. Je ne le sais pas encore mais ce nom va me suivre pour le reste de ma vie.

— C’était ta…

— Ma fiancée.

Il n’a pas attendu que je finisse ma phrase. Il est tendu. Un geste de sa tête m’indique qu’il veut que je réponde à sa question.

— Non. Je ne la connaissais pas.

— Alors pourquoi elle t’a aidé ?

Je tressaille. Il est le premier à me croire. Cet homme ne croit pas que je suis celui qui l’a poussée. Il voit ma réaction, il sait que je suis étonné mais il continue à me poser des questions.

— Tu es sûr que tu ne l’as pas vue un peu plus tôt dans la soirée ?

Je ne sais pas où il veut en venir. Je suis sur mes gardes.

— Non. Je ne l’avais jamais vue.

J’en suis sûr, son visage m’était inconnu avant qu’elle ne vienne au bord. Rien d’elle ne m’est apparu comme familier. Elle semblait bien plus à l’aise d’ailleurs à m’approcher que l’inverse. Comme si elle avait répété une dizaine de fois son discours. Suis-je le premier qu’elle aide ainsi ? Était-ce une héroïne de la nuit ? Inconnue des autres…

— Je te crois.

Ses épaules s’affaissent en me disant ça.

Je le regarde dubitatif. Personne ne me croit, pourquoi le fiancé de cette inconnue me croirait-il ?

— Tu es bien le seul, avoué-je.

— Pour l’instant.

Je n’ose pas le regarder. Au fond, je suis d’accord avec les autres. Sans moi, elle ne serait jamais tombée. Il n’y a pas que celui qui pousse qui est responsable d’une chute. Parfois, quand on observe sans rien dire ou sans rien faire, nous devenons le pire pour la victime.

J’ai été un élément dans cet accident, un qui aurait, comme toujours, pu faire changer la donne. Mais ce n’est pas le moment de lui avouer ça pour raviver le feu. Cette haine qui animait cet inconnu quelques secondes auparavant semble s’être légèrement atténuée. Même si, tapie dans l’ombre, elle est prête à ressurgir.

— Tu vas devoir m’aider… et je t’aiderai.

Voilà où il voulait en venir. Il me fait du chantage.

— Je n’ai rien à me reprocher, mentis-je, le cœur lourd de regrets.

— Tu l’as laissé mourir.

Son ton n’est même pas rempli d’amertume. Il vient seulement d’énoncer une vérité, de manière froide et laconique.

Je le regarde, interdit.

Il a raison, je ne l’ai pas poussée mais je ne l’ai pas retenue. La lenteur de mes mouvements lui a coûté la vie. Et je ne pourrais jamais me le pardonner…

— Je ne dis pas que tu es responsable de sa mort. Mais je pense que tu aurais pu la sauver.

Je n’attends pas un instant pour répondre. Comme si dire ces mots me délivrait d’un poids immense :

— Je suis d’accord.

Les mots sortent de ma bouche sans que je puisse les retenir.

— Comment puis-je t’aider ? enchaîné-je.

À la mort de ma femme, je n’ai eu personne dans ce cas. Aucun soutien dans la compréhension de ma peine, ni de la culpabilité et la vengeance qui soufflaient dans mes veines. Si j’avais su le nom du chauffeur, j’aurais voulu lui asséner le coup fatal. Mais pour ça, j’aurai eu besoin de quelqu’un à mes côtés. Pour planifier une des plus belles représailles. Un plan diabolique qui m’aurait permis de tenir et de faire regretter à…

J’arrête mes pensées à cet instant. S’il veut se venger… Je suis la victime présumée de ce plan. Mais alors que veut-il de moi ? Que je me laisse faire ?

J’ai peur de la réponse. Et s’il me demandait de sauter dans le canal, à charge de revanche ?

Œil pour œil.

Je déglutis.

Chapitre 3 :PROMESSE PARTICULIÈRE

— J’ai besoin qu’elle survive, encore quelque temps, souffle-t-il.

Je cligne plusieurs fois des yeux, de peur de ne pas comprendre. Il est face à moi, le visage fermé. Il semble très sérieux. L’air grave qu’il a mis dans sa phrase me laisse supposer qu’il ne rigole pas.

— Comm… Comment ça ?

Ma voix déraille, bégaye. Des images de films de science-fiction me viennent à l’esprit. Les voyages dans le temps, les pouvoirs magiques… absolument chaque idée étrange pouvant expliquer sa phrase m’agresse en quelques secondes. Je secoue la tête pour avoir un minimum d’idées claires.

J’ai envie de vomir. Quelque chose remonte en moi, j’ai mal au ventre, ma tête me hurle de partir en courant.

Sa voix reprend, je m’y accroche pour ne pas perdre pied.

— C’était ma raison de vivre. Je ne peux pas arrêter de penser, voir, entendre ou imaginer ce qui va changer sans elle.

Il est abattu, son regard se porte au loin, nostalgique d’un moment pourtant encore proche.

Je suis nerveux et mal à l’aise. Je regrette d’être venu ici, je me demande pourquoi je l’ai fait. Il semble penser la même chose lorsqu’il me lance abruptement, cette question si personnelle.

— Pourquoi être venu ici ?

Au fond, ce n’est même pas une question. Il m’invite à me taire d’un seul regard.

— Je pensais vouloir te tuer, avoue-t-il.

Il s’arrête dans son élan. Comme si quelqu’un venait de lui intimer de se taire. Il baisse les yeux vers moi.

— Mais elle n’aurait pas fait ça, elle t’aurait tendu la main. C’est pour ça que je suis là.

Que répondre à ça ? Je ne suis même pas sûr de vouloir encore être là, de préférer sa pseudo gentillesse à sa dureté tapie dans l’ombre. Cette situation est injuste mais je ne sais pas pour qui.

— C’était une bonne personne…

Je ne sais pas quoi lui répondre d’autre. Je suis assez pathétique, lui aussi.

Il a l’air si perdu, si confus.

— Et c’est ce que tu vas devenir.

Le ton est proche de l’ordre, mes yeux croisent les siens et je déglutis une nouvelle fois. La colère est revenue, il est de nouveau déterminé.

— Ce… que… quoi ?

J’ai bégayé. Quelque chose me montre qu’il contrôle parfaitement la situation contrairement à moi.

Je n’arrive plus à suivre la conversation. Je pose ma tête sur mes genoux, recroquevillés près de ma poitrine. Il s’avance vers moi, et se penche. Il a un petit objet rose dans la main, je n’y avais pas prêté attention jusqu’à maintenant. Obnubilé par son regard dur, son poing fermé prêt à rougir ma peau et à briser mes os.

— Tu es, d’une manière ou d’une autre, responsable de sa disparition, déclare-t-il.

Il a laissé un vague silence comme s’il voulait que j’intègre l’information correctement.

— Ce que je veux que tu fasses, c’est que tu prennes sa place. Être là pour les inconnus, ses amis, ses collègues. Qu’importe ce que cela va te coûter, tu lui dois bien ça. Pour rééquilibrer la vie, tu dois changer pour elle. Devenir une bonne personne.

Ses paroles paraissent creuses. On dirait un acteur, plutôt mauvais, qui répète un nouveau rôle. Il me parle de choses abstraites, comme si changer revenait à une simple formalité, tel que cocher la bonne case sur un formulaire.

Il me tend ce qu’il a dans la main. Je le prends, et l’examine en silence. Il s’agit d’un petit cahier rose. Je l’ouvre, et y découvre une page quasiment blanche avec une seule phrase marquée en bleu.

« À un sourire, on ne peut répondre que par un sourire. »

Cette phrase m’arrache un léger sourire, sarcastique, peut-être même hautain.

La main qui a écrit ces mots était naïve. Le sourire est une ouverture sur notre âme, et nous rend si vulnérable. Je déteste sourire, de peur d’être déçu.

Je referme le petit cahier que je tends au fiancé de Victoire. Ce dernier s’est relevé et ne semble pas en vouloir.

— Il est à toi, me précise-t-il.

— Que dois-je faire avec ça ? Un journal intime écrite par une adolescente ne va pas m’aider à…

— Il était à Victoire, me coupe-t-il.

Il est cassant, mais je le comprends. Je viens à nouveau de franchir une autre ligne. Il me toise. Je déglutis, encore effrayé par cet homme.

— Je ne comprends pas ce que tu attends de moi ?

— Je veux que tu me prouves qu’elle n’est pas morte en vain.

Mon silence lui intime de continuer. Mes doigts se resserrent sur ce petit carnet. Mon dos est toujours collé à la roche, le froid mordant contracte mon échine. Instinctivement, je souhaite m’enfuir le plus loin possible de cet homme.