Comme une louve - Lou-Ann'h Montana - E-Book

Comme une louve E-Book

Lou-Ann'h Montana

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Beschreibung

Comme une louve Livia est soulagée. Et pourtant, elle vient de se faire arrêter par les gendarmes. La cambriole, c'est terminé. Alors, derrière la vitre de la voiture bleue qui l'emmène vers la garde à vue et les interrogatoires, elle laisse défiler la nuit et se repose. Certes, elle sait que personne ne pourra comprendre ce soulagement étrange qu'elle ressent d'être enfin arrêtée. Mais comme elle est coupable, on va maintenant l'écouter. Alors que toutes ces années où elle était victime, personne ne voulait prêter une oreille attentive à ses souffrances, aux violences qui lui ont été faites, à elle, mais aussi à ses enfants. Ses enfants, qu'elle va protéger férocement, Comme une louve.

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Ce que nous vivons chaque jour détermine ce que nous serons demain.Patrick HENDERICKX

AVERTISSEMENT

Inspiré de faits réels, cet ouvrage est avant tout un roman. Les lieux et les noms des personnages ont été soit modifiés, soit créés.

Sommaire

CHAPITRE 1: Action !

CHAPITRE 2: Bonjour la vie

CHAPITRE 3: La vie continue

CHAPITRE 4: Ce devait être pour le meilleur

CHAPITRE 5: … ce fut pour le pire

CHAPITRE 6: Enfants otages

CHAPITRE 7: Enfants en danger

CHAPITRE 8: Le Palais d’Injustice

CHAPITRE 9: La goutte d’eau

CHAPITRE 10: De victime à coupable

CHAPITRE 11: Garde à vue

CHAPITRE 12: Maman, relève-toi !

CHAPITRE 13: Une décision inattendue

CHAPITRE 14: Les jours d’après

Epilogue

CHAPITRE 1 Action !

Livia

25 mai 2012 - 23 heures

- James, viens vite, il y a une voiture !

- Quoi ? Tu es sûre ?

- Oui, j’ai vu une voiture ! Je crois même que c’est une voiture de gendarmerie !

- Où elle est ?

- Elle doit être derrière le bâtiment, je l’ai vue passer par là !

- Ne bouge pas… Éteins ta lampe…

Lentement, et surtout sans faire de bruit, James se dirige vers le soupirail qu’il a lui-même fracturé une heure plus tôt, me fait signe de me placer juste derrière lui et de ne plus bouger. Pas un mot, pas un geste, pas un bruit. Nous retenons même notre respiration, guettant le moindre signe de présence extérieure. Tous nos sens sont en éveil. J’avais vu juste. Nous sommes traqués ! Postés devant le soupirail endommagé, nous devinons la présence des gendarmes par le faisceau lumineux de leurs lampes torche.

En un éclair, James lance son sac à dos par le soupirail et s’extrait de l’entrepôt. D’instinct, je fais de même et me mets à courir. Un rai de lumière éclaire immédiatement ma fuite, et un gendarme s’écrie :

- Arrête ou je tire !

Mais je ne m’arrête pas. Pourquoi m’arrêterais-je ? Qu’est-ce que ça changerait dans ma vie ? Est-ce que la justice reconnaîtrait les erreurs commises par une juge ? Est-ce que la justice reconnaîtrait la souffrance que mes enfants et moi avons endurée ?

Et ma récente agression… Comment vivre avec ? Je voudrais l’oublier, mais les cauchemars me la rappellent nuit après nuit. Non, je ne m’arrêterai pas. D’ailleurs, je n’ai pas peur, je n’ai plus peur… J’ai dépassé ce stade depuis longtemps. Et puis, peur de quoi d’abord ? Que pourrais-je craindre encore après tout ce que j’ai déjà vécu ? La « petite maman fragile » ne pleurera plus au tribunal, plus jamais !

Dans ma fuite, un amas de branchages me fait trébucher. Je pense que le gendarme va me tomber dessus, mais pourtant, je me relève et reprend ma course sans être appréhendée. « Ne pas suivre James, surtout, ne pas le suivre ». Je ne veux pas qu’il soit interpelé, car il risquerait trop. Je fais le choix de prendre une autre direction, afin que l’attention ne soit fixée que sur moi. Mon plan fonctionne. Les deux gendarmes sont à mes trousses. L’un d’eux fait une seconde sommation, mais je n’en tiens pas compte… Je cours toujours !

Puis, après dix minutes de course, dans un éclair de lucidité, ne sachant plus ni où aller ni pourquoi continuer de chercher à fuir, je m’arrête au pied de la fromagerie Peyras. Le premier gendarme ne tarde pas à me rejoindre, suivi du second. Ils sont essoufflés. Moi aussi. Leurs lampes torches m’éblouissent.

- Ne bouge pas ! Pose ce que tu as dans les mains ! Pose ce que tu as dans les mains ! Tout de suite, hurle l’un d’eux.

Je m’exécute, sans geste brusque. Je n’ai pas peur. Mon cœur bat à deux cents à l’heure, mais je n’ai pas peur.

- Lève les mains, doucement ! J’obéis et pose mes mains sur ma tête. Sur ses gardes, arme pointée sur moi, l’un des gendarmes s’approche et, d’un geste sec, me retire ma cagoule. Mes longs cheveux s’en dégagent, et je perçois la surprise des gendarmes. Eh oui ! Leur cambrioleur est une cambrioleuse !

- Ton nom, donne-nous ton nom !

- Je n’en ai pas !

- Tu te fous de nous ? Ton nom !

- …

- Où habites-tu ?

- Je ne sais pas.

- Tourne-toi… tourne-toi ! Les mains au mur !

Je me retourne et me place face au mur. Jusqu’alors éblouie par les torches des gendarmes, je devine facilement la méfiance des deux hommes, qui restent très vigilants en maintenant leur arme pointée sur moi. Le temps pour eux de vérifier que je ne dissimule rien de dangereux et ils me collent au mur avant de me saisir une main après l’autre, de me menotter dans le dos, puis de me placer dans leur véhicule.

À ce moment, je ne ressens rien de particulier. Aucune crainte, aucun sentiment d’échec, rien. J’éprouve juste une gêne respiratoire à la limite de l’évanouissement mais, dans ma tête, je n’ai aucun état d’âme. La petite cavale est terminée, l’avenir n’existe pas, le présent non plus. J’ai cependant une pensée pour James, en espérant qu’il parvienne à se sauver.

Tandis qu’un gendarme scrute les alentours tout en gardant un œil attentif sur son véhicule de service, son collègue inspecte le bâtiment fracturé et ses abords, dans l’espoir de débusquer le complice. Sans baisser la garde, le premier gendarme contacte sa brigade et dresse un rapport succinct de la situation au planton de service.

Pendant ce temps, je tente de ramener mes mains entravées devant moi, mais c’est peine perdue. L’exercice de contorsionniste me déclenche une violente douleur à l’épaule gauche. Dans le village endormi, les gendarmes, eux, sont à l’affût du moindre bruit permettant de localiser James.

James

Aïe ! Si les gendarmes sont sur site, c’est mauvais, très mauvais. Il faut qu’on réussisse à sortir de là, et vite. Mes pensées s’organisent très rapidement. L’habitude des imprévus. Hier encore, je passais la nuit dans un placard à balais alors que le propriétaire de la maison que je visitais était rentré plus tôt que prévu. Et aujourd’hui, les gendarmes… Mauvais karma !

Je sens leur présence aux abords du bâtiment. Je tente le tout pour le tout. Je balance mon sac par le soupirail et bondis à mon tour. Je saisis mon sac et cours le plus vite possible. Aux cris que je perçois, je comprends que Livia a réussi à sortir du bâtiment. Je comprends aussi qu’elle est leur cible. Je pénètre maintenant dans un terrain en friche. Au loin, j’entends les gendarmes crier. Je m’arrête un instant afin de savoir s’ils me suivent. Pour progresser plus vite au milieu de cette végétation dense, j’abandonne mon sac et tout mon matos. Je le récupèrerai plus tard. Ainsi allégé, je peux à nouveau accélérer et entame une course de fond jusqu’à ma voiture.

J’envoie un message à Livia lui demandant si elle est partante pour une descente en rafting demain. Si elle me répond, c’est qu’elle a réussi à s’enfuir, auquel cas j’irai la chercher là où elle est planquée. J’attends sa réponse durant une demi-heure. Mais mon téléphone reste silencieux. La possibilité qu’elle se soit fait arrêter n’est plus à exclure. Je roule jusque chez moi en prenant soin de bien respecter les limitations de vitesse afin de ne pas me faire flasher par un radar.

Arrivé à mon appartement, je tourne lentement la clé dans la serrure pour ne réveiller personne.

À peine ai-je posé un pied dans l’appartement qu’une lumière s’allume. Ma femme est là, qui m’attend.

- On a eu un problème. Je ne sais pas si mon complice s’est fait serrer ou non. On doit virer tout ce qu’on a dans le garage. Maintenant ! S’il parle, on est foutu !

Ma femme ignore évidemment tout de l’identité de mon complice. Ça m’évite toute crise de jalousie ! Elle ne me demande pas non plus depuis quand je travaille en binôme. Pendant des années en effet, j’ai travaillé en solo. Par contre, elle a une vague idée de mes missions nocturnes. Et si je lui dis qu’il y a un problème, elle suit mes instructions à la lettre sans discuter.

- Y’a un risque ?

- Y’a toujours un risque.

- OK. Je m’habille et je viens t’aider.

D’ordinaire assez à cheval sur la propreté de l’appart, ma femme ne m’engueule pas malgré mes chaussures pleines de terre et mes vêtements parsemés de ronces. Elle comprend l’urgence de la situation et m’accompagne dans le garage. Sans un mot, nous chargeons le Range Rover. Cela fait, je prends le volant et roule en direction de Claret, chez mon frère. Sans le réveiller, je décharge ma cargaison sous sa grange avant de rentrer à Tallard.

De retour à l’appartement, je rassure ma femme et file prendre une bonne douche, avant de mettre vêtements et chaussures dans un sac poubelle que je vais déposer dans la benne communale.

Il est trois heures du matin. Ma femme et moi nous couchons enfin. Je réponds à toutes ses questions et la briefe sur ce qu’elle devra dire au cas où. Ce soir, nous sommes plus unis que jamais et nous abandonnons l’un à l’autre.

Livia

Habituée à dormir n’importe où et n’importe quand, je me dis qu’un petit somme serait peut-être opportun. La nuit risque d’être longue. De toute façon, que puis-je faire d’autre dans l’’immédiat ?

Les battements de mon cœur sont maintenant plus réguliers. Je me cale contre le siège et la vitre du véhicule militaire et ferme les yeux. Malgré la situation, je suis calme, presque détendue. Je me sens à l’abri, à l’abri de moi-même, à l’abri des risques que je prenais depuis plusieurs mois. Je ne pouvais plus continuer comme ça. Mes enfants ont besoin de moi, vivante.

Après avoir prospecté l’intérieur de l’entrepôt et ses abords, un gendarme va à la rencontre du riverain témoin de l’effraction et lui demande de venir m’identifier. L’homme s’approche du véhicule, m’observe, mais ne peut rien dire à mon sujet. Il ne m’a jamais vue dans le coin. Le militaire remercie l’homme d’avoir fait son devoir de citoyen. L’homme explique qu’il était sur le point d’aller se coucher après avoir regardé le prix de l’Eurovision lorsqu’il a entendu un bruit de verre brisé à l’extérieur. Depuis la fenêtre de sa cuisine, il lui avait semblé voir une silhouette s’engouffrer dans le soupirail de l’entrepôt jouxtant sa maison. Il avait donc immédiatement composé le 17 et fait part de ses doutes au planton de garde, lequel avait dépêché une patrouille sur place. Et voilà comment ce qui devait être une nuit fructueuse pour James et moi s’était transformé en fiasco.

L’inspection du bâtiment achevée, l’évaluation des dégradations effectuée, les premières constatations faites, les gendarmes se décident à quitter les lieux. Ils cherchent maintenant ma voiture, une vieille Lada 4x4 dont ils ont saisi la clef dans mon anorak. Je les laisse chercher. Je me garde bien de leur signaler qu’on n’a pas pris ma voiture mais celle de James. Ma Lada dort paisiblement dans mon garage, à quelques dizaines de kilomètres de là. Je veux gagner du temps. Pendant que les gendarmes scrutent une à une les rues du village, ils ne cherchent pas James. Chaque minute perdue par la patrouille lui en fait gagner pour son repli.

Je sais aussi qu’il ne tentera rien pour me délivrer des pinces dans laquelle je me suis fait prendre. Le risque est trop grand pour lui, aussi grand que celui d’imaginer que je ne parle et ne révèle son identité. Depuis notre première expédition nocturne, je savais qu’à tout moment une arrestation pouvait survenir. J’y avais quelquefois pensé sans toutefois en être effrayée. James était un pro et j’avais toute confiance en lui. Il n’opérait jamais au hasard et était le plus souvent bien informé sur les cibles envisagées. Il me faisait confiance depuis le début. Il était hors de question que je le trahisse.

J’étais donc prête à tout assumer. J’avais franchi la ligne blanche et je venais de me faire prendre quasiment en flag. Il n’y avait donc rien à nier. Cependant, les gendarmes ne sauraient jamais rien de James, rien d’autre que son prénom… faux de surcroît !

Ma voiture étant introuvable -et pour cause !-, les gendarmes décident de se rendre à la gendarmerie de Tallard pour tenter de m’identifier. Je reste impassible, et pourtant… Dans cette gendarmerie, j’y ai deux amis avec qui je pratique régulièrement le rafting, l’escalade et la plongée, mais aussi ma pire ennemie : l’avocate de mon ex-mari, qui n’est autre que la compagne du Commandant de la brigade. Que le monde est petit !

Finalement, le planton chargé de m’identifier ne me connaît pas. Il ne semble pas bien réveillé car il estime mon âge à dix-sept ans. J’en ai trente-cinq !

Il est vrai que je fais plus jeune que mon âge : cheveux longs, yeux en amande, pommettes saillantes parsemées de petites taches de rousseur, bref, pour beaucoup, une frimousse qui ne laisse paraître ni les années qui ont passé, ni les souffrances endurées et larmes versées. Malgré cela, de là à me donner dix-sept ans, je suis déçue car mon acte est loin d’être un geste d’adolescente en crise mais bien un acte réfléchi marquant mon état de révolte actuelle.

Ne trouvant ni ma Lada, ni mon complice, la patrouille fini par renoncer aux recherches. Le jeu de piste en quête de mon véhicule ainsi que la tentative d’identification à la gendarmerie m’ont plutôt amusé. J’espère que la perte de temps occasionnée aux gendarmes a permis à James de rejoindre sa voiture. Les recherches vaines, les gendarmes se résolvent finalement à regagner leur brigade d’origine. Durant le trajet, je me repose.

Je suis assoupie lorsque le véhicule arrive à la brigade de La Saulce. Un gendarme m’aide à descendre et me conduit dans un bureau. Un gradé m’attrape alors fermement par un bras et me contraint à m’asseoir avec poigne. Quelques temps plus tard, la gendarme Sandra Muller, réveillée pour l’occasion, fait son apparition. Elle est chargée d’effectuer la fouille au corps.

Elle paraît douce et humaine, pas du tout le style de la policière du commissariat de police de Gap qui m’avait si mal reçue lorsque j’avais souhaité porter plainte à la suite d’une agression subie quelques mois plus tôt.

Je suis conduite dans une petite pièce. Tandis que la gendarme Muller inspecte un à un mes vêtements, elle tente de comprendre :

- Vous voulez me parler, m’expliquer ?

- Non, je n’ai rien à dire.

- Vous savez, je peux vous aider…

- Ça m’étonnerait. Personne ne peut m’aider, personne… C’est trop tard !

- Pourquoi ? Qu’est-ce qui s’est passé ce soir ?

- Je n’ai pas envie de parler. D’ailleurs, ça ne servirait à rien.

- Si vous n’essayez pas de m’expliquer, c’est sûr…

Tout en me restituant mes vêtements, après les avoir palpés et inspectés, la gendarme Muller continue de me parler. Puis elle me demande d’enlever bagues, bracelets, collier. Seule ma bague en forme de dauphin est impossible à retirer. Malgré le règlement, la gendarme n’insiste pas et accepte que je conserve l’anneau.

- Tenez, votre anorak. Normalement, on ne laisse pas un anorak pendant une garde à vue, mais vous en aurez besoin car il fait encore frais la nuit.

Deux entorses au règlement en si peu de temps, je ne suis plus habituée à recevoir autant d’attention ! J’apprécie cependant le geste de confiance qui m’est fait.

Je suis reconduite dans le bureau pour interrogatoire. L’adjudant Tavernier intervient. Si la gendarme Muller me vouvoie, l’adjudant, lui, me tutoie.

- Vous ne voulez toujours rien nous dire ?

- Ça ne changerait rien.

- Si vous voulez sortir vite, il faut nous aider.

- Si je parle, est-ce que je serais sortie pour demain soir ?

- Tout dépend de toi, de ce que tu diras.

- Si je suis sûre de sortir demain soir, je vous donne mon nom.

- Plus vite tu parleras, plus vite se terminera la garde à vue.

- Je veux être sortie demain soir, pour récupérer mes enfants.

- Vous avez des enfants ?

- Oui, deux.

- Quel âge ont-ils ?

- Huit ans et demi et dix ans. Je veux les revoir, demain soir.

- Où sont-ils ?

- Ils sont au Futuroscope. Ils reviennent demain soir.

- Si tu nous dis ton nom, on fera tout pour que tu sois sortie demain soir.

- Je m’appelle Livia Malaurie.

- Où habitez-vous ?

- À La Cascade.

- Et ton complice, qui est-ce ?

- Je ne sais pas !

- Tu ne nous aides pas, là !

- Je ne connais pas son nom. Juste son prénom.

- Et son prénom, c’est quoi ?

- James.

- James comment ?

- Je ne sais pas.

- Tu crois qu’on va gober ça ?

- Croyez ce que vous voulez.

Notification m’est alors faite de ma mise en garde à vue. J’ai le droit de téléphoner à un proche. Je refuse car les proches, c’est justement ce qui m’a manqué pour être épaulée quand j’en avais besoin. Je suis aussi autorisée à consulter un médecin et à voir un avocat. J’opte pour ces deux propositions. Dans l’attente de trouver l’un et l’autre, l’interrogatoire se poursuit. Il dure peut-être deux heures, voire plus. Difficile à dire. D’ailleurs, le temps importe peu.

Au début, le rythme est soutenu et le volume élevé, mais je ne m’en effraie pas. C’est normal, après tout, de se voir un peu secouer après avoir commis un cambriolage. Je réponds aux questions, espérant que mes réponses leur conviennent.

Aucun médecin n’est joignable. Même le médecin de garde est introuvable. Seule solution : l’hôpital, à dix-huit kilomètres. Il est trois heures du matin lorsque l’adjudant Tavernier ordonne aux deux gendarmes ayant procédé à l’arrestation de me conduire à l’hôpital de Gap. Après m’avoir à nouveau entravé les poignets, ils me conduisent au véhicule. Je leur demande si les menottes sont vraiment nécessaires.

- C’est la règle pendant les trajets.

- Vous me les enlèverez, à l’hôpital ?

- Oui.

Je profite de ce nouveau trajet pour me reposer. Bien calée contre le siège arrière, je ferme les yeux et tente de me détendre. C’est bon pour les nerfs, et le trajet est suffisamment long pour cela. Les gendarmes, quant à eux, commencent à montrer des signes de fatigue.

- P’tain, je suis nase, moi… Pas toi ?

- Un peu que je suis crevé ! Deux arrestations en deux nuits, j’en peux plus… Et il fallait que ça tombe sur nous !

- Ouais, vivement demain qu’on puisse dormir !

- Vivement tout à l’heure, tu veux dire !

- Ouais, mais c’est encore trop long !

Je suis tentée de compatir à leur douleur, mais m’en garde bien. Toutefois, je comprends immédiatement que moins je leur mettrai la pression, plus ils seront cools avec moi. De toute façon, vu la situation, autant que la cohabitation imposée se passe au mieux. Finalement, à cet instant précis, je trouve ma place plus confortable que la leur.

Nous arrivons enfin à l’hôpital. Comme promis, le gendarme Carlino m’ôte les menottes et je suis escortée par le binôme au service des urgences. Là, je suis placée dans le box « Police », celui où j’avais été soignée sept mois plus tôt à la suite de mon agression.

L’interne de garde me prend la tension et quelques autres constantes d’usage dans le cadre d’une garde à vue. Il s’étonne de me voir si calme dans de telles circonstances. De mon point de vue, je n’ai plus que ça à faire, d’être calme. Pas vraiment vivante, mais pas encore morte non plus, je pense que cette arrestation est peut-être la meilleure chose qui me soit arrivée depuis longtemps car, au point où j’en étais, je ne me donnais plus aucune limite dans la délinquance, voire dans le banditisme. De plus en plus de propositions m’étaient faites en raison de mon sang-froid et de mon air inoffensif. En tout cas, cette arrestation assurait à Albane et Timothée d’avoir encore une maman vivante, ou plutôt en état de vie apparente.

Dans le petit box médical, je me détends encore un peu. Curieusement, je ne vais pas plus mal que d’habitude, mais pas mieux non plus. Je n’imagine plus vraiment l’avenir. Je vis sur l’instant et, pour le moment, je me repose. C’est tellement bon de se reposer, de confier sa vie à d’autres.

Je me plains de l’épaule gauche suite à ma sortie brutale du bâtiment fracturé. L’examen médical est très rapide et se solde par une prescription d’anti-inflammatoires.

Puis c’est le retour pour La Saulce, soit encore une vingtaine de minutes de route. Pour moi, cela signifie menottes à partir du hall de l’hôpital, relaxation dans le véhicule de service et retour dans le bureau. Les gendarmes sont épuisés. Ils n’ont qu’un souhait : aller dormir.

De retour à la gendarmerie, le temps de boire un petit verre d’eau, je suis placée en cellule.

C’est nu, une cellule. Quatre murs bruts, un lit en béton, deux couvertures, des sanitaires à la turque. Pas même une petite peinture pastel pour détendre le gardé à vue. Il serait bon que Valérie Damidot se penche sur la déco des cellules de gendarmerie sans tarder !

Je dois laisser mes chaussures à l’entrée. Je fais un pas vers la cellule.

- C’est sale.

Le gendarme Carlino m’apporte une couverture propre. « Sympa, ce gendarme », me dis-je. Pas trop bavard, faisant son devoir, mais attentif malgré tout. Il referme la porte, une épaisse porte en métal sans poignée ni serrure apparente. Epuisée, je m’allonge sur la couche en béton comme un petit animal enfermé dans un chenil. Je me couvre avec la couverture propre et glisse mon anorak sous ma tête.

Mais sous ma carapace de femme insensible à l’épreuve qui m’attend se cache une lassitude extrême due, entre autres, à dix années de bataille contre un ex-mari intouchable qui a fait d’un rêve un cauchemar. Lasse d’avoir été blessée dans mon corps, dans ma chair et dans mon âme pendant de nombreuses années, je me suis endurcie au point de perdre la notion des valeurs qui m’étaient si chères. Cependant, au fond de moi, j’en ai assez de toujours être obligée de faire comme si tout allait bien. Je suis lasse de cette vie qui ressemble à un perpétuel combat.

Ici, dans la petite cellule, je me sens en sécurité. Contre moi-même, contre le monde qui m’entoure et qui me semble de plus en plus étranger. Là, ma vie ne m’appartient plus, et je m’en sens soulagée. Bien emmitouflée, je finis par m’endormir.

Lorsque je me réveille, le jour est déjà là mais, dans la gendarmerie, pas un bruit. Quelle heure peut-il être ? Je l’ignore. Compte tenu du silence qui règne encore dans la brigade, j’estime qu’il doit être environ six heures. Le service d’étage ne devrait pas tarder à se manifester. De toute façon, je m’en fous. Même si je n’ai rien dans la cellule pour me distraire, ni lecture, ni radio, ni télé, je ne ressens aucun manque, aucun besoin. Je suis vide d’émotion.

Je suis si fatiguée de l’intérieur. Je resterais bien ici, à l’abri de tout … si mes enfants ne rentraient pas ce soir.

James

Je me réveille en sursaut. Il est six heures du matin. L’heure des perquis’. Je jette un œil par les fenêtres. Rien. Personne. Aucun gendarme en vue. Aucun mouvement extérieur suspect. Je consulte mon portable pour voir si Livia a répondu à mon SMS. Toujours rien. Plus de doute, elle est en garde à vue. Mais apparemment, elle n’a rien lâché. Soulagement. Ma femme vient me rejoindre à la cuisine. Elle m’embrasse. Je prépare le café. Nous n’échangeons aucun mot. Nous partageons l’instant, simplement, avant le réveil des enfants.

Aujourd’hui, c’est la fête des mères. Mon destin, ainsi que celui de ma femme et de mes enfants dépendent de Livia. Si elle craque, on est foutu. Tout ce qu’on a construit ensemble sera anéanti. Le regard de ma femme en dit long sur la pression que nous avons sur les épaules. Cette fête des mamans peut être une belle journée ou devenir un cauchemar.

Arthur, le plus jeune de nos fils, entre dans la cuisine, encore tout ensommeillé. Il ne doit s’apercevoir de rien. C’est un enfant. Il n’a pas à souffrir du stress de ses parents.

Allez, zou ! Je soulève Arthur et le lance en l’air, avant de l’embrasser. Aujourd’hui, Emilie et moi allons profiter de chaque minute avec nos enfants, aussi intensément que possible.

And we will see …

Livia

La gendarmerie se réveille peu à peu. Des bruits de pas, quelques rires, un brouhaha, puis un bruit de clé. Le gendarme Carlino m’informe que l’avocat est arrivé. Ce n’est pas le mien, mais un jeune avocat commis d’office. Il me notifie mes droits, les risques encourus dans ce type de délit et les différentes suites possibles. Certaines me paraissent équitables, d’autres me semblent difficiles à accepter car je veux continuer à prendre soin de mes enfants.

L’entrevue avec l’avocat dure environ trente minutes, pendant lesquelles je livre tout ce que j’ai sur le cœur et, en particulier, tous les événements douloureux survenus dans ma vie et celle de mes enfants depuis pratiquement leur naissance.

Puis je me souviens de ma propre enfance. Même si je ne l’évoque pas auprès de l’avocat, les souvenirs remontent à la surface, les heureux comme les moins heureux.

CHAPITRE 2 Bonjour la vie

Livia

Enfant, j’étais une petite fille espiègle, pleine de vie et d’énergie. Toujours en action, je rêvais de vivre avec les Indiens d’Amérique, dans les grands espaces, dans un tipi avec un petit loup de compagnie. La nature était mon univers. Il faut dire que j’avais de quoi rêver. En effet, mon grand-père était à l’origine de la création d’un camping exclusivement composé de tipis à Névache, dans un petit paradis des Hautes-Alpes. Là, aucun véhicule ne venait troubler la quiétude du lieu. Sans être indianiste, mon grand-père aimait la philosophie des amérindiens. Un tipi était réservé à ses petits-enfants. Avec mes cousins, nous y passions des heures. Ce tipi était notre « quartier général ».

Chaque été, lorsque j’étais confiée à mon grand-père, c’était le bonheur. Toujours pieds nus, je passais mes journées en plein air, de mon lever jusqu’à la tombée de la nuit. Lorsque l’heure du repas arrivait, mon grand-père sifflait trois coups. Nous dévalions alors de la montagne et accourions dans son chalet d’alpage pour partager le repas, avant de repartir gambader dans l’immense terrain de jeu qui s’offrait à nous.