Consciente Agonie - Davy Artero - E-Book

Consciente Agonie E-Book

Davy Artero

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Beschreibung

Plongée au cœur d'univers inquiétants.

J’aurais aimé connaître la gloire en écrivant autre chose que ces romans à l’eau de rose. Maintenant que je suis à la merci de ce monstre perfide, ai-je le temps d’écrire quelques histoires qui me tiennent à cœur avant qu’il m’achève ?

C’EST FINI ? : Pierre aimerait être un adolescent comme les autres et avoir une vie un peu plus agréable, mais depuis mercredi dernier, rien ne va plus. Il se sent mal dans sa peau, et n’arrive pas à retrouver la joie de vivre qu’il avait auparavant. Heureusement, son père est là pour veiller sur lui, et sa mère est très affective à son égard, mais il a tout de même ces envies suicidaires…
TORD-BOYAUX : Jamais Guillaume n’aurait pensé passer un après-midi aussi abominable. Le week-end commençait plutôt bien, et l’invitation à dîner chez des amis l’enchantait. Mais le voilà bloqué ici et c’est désagréable. Que lui arrive-t-il ? Aurait-il attrapé une vilaine chose avec l’une de ses conquêtes ?
LE SORT EN EST JETE : Elle ne sait pas comment elle va s’en sortir cette fois. Jusque-là, elle a réussi à grimper les échelons en usant de son charme et de sa facilité à manipuler les gens. Mais pour ce poste qu’elle convoite, la solution n’est pas si simple. À moins qu’elle aille encore plus loin qu’auparavant…
REPAS DE FAMILLE : Il y a bien longtemps qu’il n’avait pas passé une si bonne soirée, mais vaut mieux tard que jamais. Jean avait tout fait ce soir, préparé le dîner, choyé sa femme et son fils, et il leur avait annoncé toutes les superbes choses qu’ils allaient faire ensemble à partir d’aujourd’hui. Ils semblaient tous si heureux…

Je sens que la fin est proche, qu’il ne lâchera pas sa proie. Vais-je avoir le temps de donner une autre image de moi ?

Découvrez sans attendre ces quatre nouvelles d'horreur et fantastiques !

EXTRAIT DE C'EST FINI ?

Pierre regarde à nouveau le sol et continue de se poser des questions, se forçant à avoir l’esprit ailleurs que dans cette salle. Qu’est-ce qui est le plus triste ? Assister aux obsèques d’un de ses enfants ou d’un de ses parents ? Se rendre compte que l’évènement terrible ayant entraîné la mort se passe juste avant les fêtes de fin d’année ? Mais y a-t-il vraiment un moment dans l’année où une mort est moins grave ? Est-ce qu’une mort est moins grave qu’une autre ? Que des questions stupides dont Pierre ne cherche même pas les réponses, qui seraient également aussi absurdes. Assister à un rituel d’adieu de quelqu’un que l’on connaît est toujours déchirant, quel que soit la période ou le niveau de relation.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Davy Artero est un auteur de romans mêlant fantastique et épouvante, ses principaux récits se classent dans la littérature d’horreur.
Mais à chaque côté sombre, son côté clair : il a à son actif également de nombreux contes pour enfants, des romans jeunesse et un ouvrage d'humour..
À ce jour, il est impossible de savoir si son prochain ouvrage va ravir les plus jeunes, amuser les adolescents ou s’il va terrifier à nouveau les plus grands…

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Davy Artero

CONSCIENTE AGONIE

En Aparté

La vie à portée de main

Je sais que je vais mourir, ce n’est plus qu’une question de temps maintenant. J’ai ouvert les yeux il y a dix minutes à peine et je viens juste de comprendre où je suis. Une petite pièce d’une dizaine de mètres carrés à peine, aux murs et au plafond blancs. Une armoire en chêne massif à quelques mètres de moi et une fenêtre aux volets fermés, masquée par d’épais rideaux foncés. Une chambre.

Il m’a allongé dans ce lit et je ne peux plus en sortir. Je suis bloqué. La plupart de mes muscles ne répondent pas. Seuls ma tête et mon bras droit arrivent encore à bouger. Il n’est pas parvenu à me paralyser entièrement, tant mieux. J’ai pu, à tâtons dans le noir complet, trouver l’interrupteur de cette lampe de chevet posée sur la petite table en pin tout près du lit, et avoir enfin un peu de lumière pour découvrir cet étrange endroit.

Je ne me souviens plus à quel moment il m’a cloîtré ici. Ce que je sais, c’est qu’il ne va pas tarder à m’ôter la vie. Sûrement de façon horrible, car il est vicieux. On m’avait prévenu. Il ne lâchera pas prise tant qu’il n’aura pas réellement achevé son travail avec moi. Je le hais, mais je n’ai rien pu faire pour le contrer. Je m’en veux. J’aurai dû réagir, mais c’est trop tard maintenant. Je vais mourir dans d’atroces souffrances. Il ne peut en être autrement, c’est certain.

Il m’a séparé de ma famille, ma femme et mes enfants que j’aime tant. Dieu seul sait où ils peuvent être maintenant et dans quel état. Je le déteste. Il a tout détruit chez moi. Malgré ma peur, j’ai hâte qu’il en finisse. Sauf qu’il est pervers. Il préfère me faire souffrir un peu plus chaque jour sans réellement m’achever, ce monstre.

Dire que j’étais quelqu’un d’insouciant. Je menais une vie agréable et j’en profitais. Voyages, sorties, fêtes… Et tout ce qui va avec : nourriture, alcool, drogue… J’ai presque tout fait et tout essayé. C’est d’ailleurs à une de ces fêtes, organisée pour je ne sais plus quelle occasion superficielle, que j’ai rencontré ma future femme, Louise. J’étais déjà connu à l’époque, pas autant que maintenant certes, mais ma petite notoriété m’ouvrait déjà les portes de quelques soirées prestigieuses. Ce n’est qu’à la sortie de mon cinquième roman que la célébrité a été fulgurante et n’a jamais cessé d’être là jusqu’à aujourd’hui.

Dire que je n’ai jamais aimé ce que j’écrivais ! Mes deux premiers ouvrages avaient été écrits par défi, comme un pari stupide que j’avais fait avec mon subconscient : et si tu essayais d’écrire un de ces romans d’amour à la noix, toi qui les trouves tellement ridicules ? J’avais écrit une première histoire romantique complètement tirée par les cheveux en quelques semaines. Pour aller jusqu’au bout du pari, j’avais envoyé le manuscrit à plusieurs maisons d’édition et le plus grand éditeur de romans à l’eau de rose m’avait répondu positivement, à ma plus grande stupéfaction ! Avant de m’engager définitivement, il exigeait une deuxième œuvre. J’avais écrit un texte en encore moins de temps que le premier. Au lieu de m’envoyer paître comme je m’attendais à ce qu’il le fasse, tellement mon livre me semblait bâclé et incohérent, le patron de la maison d’édition en personne m’avait passé un coup de fil. Il était surexcité, ébloui par mon style d’écriture et mon talent, et il me voulait absolument dans son giron. C’est ainsi qu’il m’avait proposé un contrat mirobolant que j’avais signé sans aucun remords. C’est ainsi que tout a commencé et que je suis devenu le plus grand écrivain de romans à l’eau de rose. On me surnommait « le larmoyant », car tous mes récits faisaient pleurer les ménagères et les femmes sensibles. J’écrivais ces histoires avec une aisance déconcertante. C’était si facile de varier à l’infini l’histoire de la femme sensuelle et du bel homme attentionné. Sortir deux ouvrages par an me suffisait pour mener un train de vie des plus agréables. Ma femme n’avait pas besoin de travailler et elle m’accompagnait dans tous mes déplacements. Elle en a bien profité, ainsi que mes enfants ces dernières années.

Tout cela semble si loin aujourd’hui. Qui peut m’envier maintenant, prisonnier de cette chambre et de ce lit ? Il a fait les choses correctement. Je ne peux même pas me lever et je n’ai aucune nourriture, enfin je crois. Je tourne la tête vers la table de nuit. Le radio-réveil n’indique aucune heure. Volets fermés, radio-réveil éteint, tout est fait pour que je perde la notion du temps. J’essaye de triturer quelques boutons sur l’appareil, mais rien ne semble avoir un quelconque effet. Il doit sûrement être débranché. De colère, je le pousse du bout des doigts et il tombe au sol.

Ma main droite tâte le dessus de la table de chevet. Il n’y a rien à part un stylo bille placé derrière le pied de la petite lampe. Je le ramène devant mes yeux. Un stylo bleu du célèbre baron avec un tiers de l’encre consommée. Ça me fait une belle jambe ! Que vais-je bien pouvoir faire avec ? M’en servir comme une arme ? Ce qu’il me faudrait, c’est un objet tranchant. Un couteau ou un rasoir, par exemple. Mais un stylo ? À part l’enfoncer dans l’œil ou dans la gorge, l’effet ne peut pas vraiment être mortel !

La table de chevet a un petit tiroir sur le devant, si j’avance un peu le bras je peux peut-être l’atteindre. J’avance ma main, telle une énorme tarentule se promenant sur ce petit plateau de bois, et descends jusqu’au bouton de porcelaine permettant de tirer le tiroir. Ce vaurien a complètement immobilisé le reste de mon corps. Je suis obligé de contorsionner mon bras droit pour réussir à ouvrir ce fichu tiroir. Ça fait un mal de chien ! Si je pouvais hurler, je le ferais pour accompagner la douleur atroce que cette position m’inflige. Seulement ça aussi, je ne peux pas le faire. C’est qu’il a bien fait les choses, ce salaud !

Grâce à mes efforts, le tiroir est entrouvert. Je repose un peu mon bras le temps que la douleur passe. J’en ai les larmes aux yeux. J’attends un moment puis je relève un peu le bras. C’est bon, je peux le bouger sans me faire trop mal. Je m’essuie les yeux du revers de la main droite, prends une forte respiration, et pars explorer l’intérieur du tiroir. Je sens une petite chose plastique molle de forme carrée. J’arrive à la prendre entre les doigts et l’approche de mes yeux. C’est un paquet de mouchoirs en papier entamé, où le scotch permettant de le refermer est plié et couvert de poussière et de petits copeaux de bois. Pourtant, un seul mouchoir est manquant. La preuve que le ménage n’est pas souvent fait ici. Je pose le paquet près de ma tête, ça peut toujours servir.

Je poursuis ma fouille. Je sens comme un épais carton au fond du tiroir. Je parviens à l’extraire. Il s’agit d’un bloc-notes qui semble ancien. Pas sûr que le fabricant indiqué en bas de la grande couverture orange existe encore d’ailleurs, mais il est complet. Il n’a jamais été utilisé. Que vais-je bien pouvoir faire de ça ? Écrire mes dernières volontés ? Tu peux toujours courir ! Je n’ai qu’une seule volonté : vivre ! Le reste, tu peux te le mettre où je pense, espèce de pourriture !

J’essaye d’ouvrir un peu plus le tiroir, pour accéder à ce qu’il y a au fond. Dans un effort qui me paraît surhumain, j’arrive à l’ouvrir en grand et entame une nouvelle fouille. Mes doigts ne ressentent que la froideur du bois et quelques grains de sable qui s’avèrent être que de la vulgaire poussière. Je sens une nouvelle chose plastique, au fond, une sorte de cigare enroulé dans du plastique bruyant. Je suis intrigué. Mon poignet frotte contre le bord du tiroir et soudain, j’entends un craquement. Les fines glissières de bois du meuble cèdent et le tiroir se défait. Comme si ma vie en dépendait, j’agrippe fortement le côté du tiroir pour éviter qu’il ne tombe. Je suis épuisé, mais il me reste assez de force pour tenir un objet si lourd à bout de bras. J’ai horriblement mal et je sens mon front perler. Il ne faut pas que je le lâche, ce qu’il contient peut m’être utile. Je plie doucement le bras, faisant attention à ne pas cogner mon coude contre le meuble et tout faire tomber. Je pose l’avant-bras sur le lit. Il faut que je réussisse à lever le tiroir et à le ramener ici, sur le lit aux couvertures blanches délavées. Je serre les dents, relève une nouvelle fois la tête pour voir ce que je fais, puis me concentre. Ma main se plie un peu, je relève le bras et dans un effort terrible je parviens à poser le tiroir sur le lit. Je suis à bout de souffle. Je suis trop faible et il le sait. Il me détruit à petit feu et jusqu’à présent, il y est bien parvenu. Je sais qu’il va avoir ma peau, mais je résiste ! Pour combien de temps, encore ?

J’attrape le tiroir et je le rapproche. À l’intérieur, il n’y a plus rien à part une barre chocolatée. Super… Je la prends dans la main et la tourne entre mes doigts. La date de fin de consommation est dépassée. Encore mieux ! Je regarde ce que j’ai posé sur le lit. Je peux donc me nourrir et écrire, en attendant le retour fracassant de mon tortionnaire. C’est génial !

Je suis dépité. Combien de temps me reste-t-il ? Quelques heures ? Quelques jours ? Que vais-je faire en attendant à part me lamenter sur mon sort ? Dormir encore ? Non, je n’en peux plus de dormir. Je veux rester éveillé, je veux l’affronter en étant pleinement conscient !

Je regarde le bloc-notes et le stylo. J’avais un bloc similaire dans mon bureau pour noter les idées qui me venaient à l’esprit quand j’étais encore un homme libre, tout comme j’avais un petit calepin en permanence sur moi. Dès que quelque chose me venait à l’esprit, où dès que je voyais quelque chose qui pouvait être reporté dans un de mes livres, je le notais immédiatement afin de ne pas l’oublier. Quand on est écrivain, on a mille et une idées en tête dans la journée et si on ne les écrit pas, on les perd. C’est sans doute surprenant, mais même pour les romans à l’eau de rose on agit ainsi. Quelques notes sur le papier et tout le reste sur le clavier. Au début je réalisais mes romans sur une petite machine à écrire électronique, qui mémorisait la phrase en cours avant de la retranscrire sur la feuille. C’était pratique pour corriger les fautes de frappe, mais ça obligeait constamment à relire ses phrases deux fois. Avec le temps, la machine a été remplacée par un ordinateur, ce qui était beaucoup plus pratique pour les coquilles et la mise en forme. Écrire des romans était encore plus simple qu’avant, et il m’arrivait ainsi d’en écrire trois-quatre une année et rien l’année suivante ! Je pouvais ainsi fournir en toute circonstance deux romans par an à mon éditeur véreux. Ensuite est venu l’ordinateur portable, que je trimbalais presque partout. Encore plus simple. Avec l’arrivée des nouvelles technologies, comme la tablette portable légère ou autre Smartphone, c’est encore plus facile de nos jours, sauf que je n’aurai pas la chance de m’en servir réellement. En tout cas, plus maintenant.

Si mes lectrices me voyaient, là, enfermé dans cette pièce, que penseraient-elles de moi ? Auraient-elles de la pitié ? Seraient-elles en larmes ? Si elles savaient que leur auteur préféré, le maître absolu du roman d’amour, les a toujours détestées et considérées comme des idiotes ! Elles m’ont permis de vivre, c’est tout. Aucune d’entre elles n’a atterri dans mon lit, même lorsque je n’étais pas marié. Ce n’était pourtant pas les occasions qui manquaient, loin de là. On peut écrire des romans d’amour, avec de multiples héroïnes aux formes généreuses, évoquer par écrit tous les fantasmes possibles, en utilisant bien évidemment un langage imagé pour ne pas faire dans la pornographie, et rester un homme droit et un mari fidèle.Ma femme savait que je pouvais jouer de cette notoriété pour satisfaire ma libido et que je ne le faisais pas. Je me demande si parfois elle voyait que je regrettais d’être plié à cette règle que je m’imposais.

Moi, j’aurais aimé être un écrivain de polars, ou d’œuvres fantastique, voire même d’épouvante. J’ai toujours adoré lire ce genre de textes, et j’aurais aimé être reconnu en tant qu’écrivain de ce style. La plupart des écrivains me détestent et j’avoue que vu ce que j’ai pondu comme bouquins c’est normal. S’ils savaient que moi je les vénère ! Quelle ineptie !

J’ai écrit un roman fantastique, une fois, une seule. Une histoire d’invasion extra-terrestre que j’avais eu plaisir à faire, chose devenue rare avec mes romans à trois sous. Je l’ai montré à mon éditeur, qui n’a pas voulu le sortir tout de suite, il voulait bien le publier, mais ailleurs, sous un autre nom, afin que cet ouvrage ne nuise pas à ma carrière. Sauf qu’il ne l’a jamais fait. Quel crétin arrogant et hypocrite ! J’étais lié par contrat à cet homme et je n’ai jamais pu m’en défaire. Soit je faisais d’autres livres en cachette en risquant de perdre ma principale source de revenus, et Dieu sait que ces revenus étaient loin d’être négligeables, soit j’arrêtais là mes tentatives annexes. C’est ce que j’ai fait. Aujourd’hui, je le regrette.

Et si je profitais de ces derniers instants pour noter quelques phrases, raconter en quelques lignes ce que je n’ai jamais pu écrire jusqu’à présent ?

Je pousse un soupir. En voilà une drôle d’idée ! À quelques instants de la mort, je souhaite écrire des histoires plutôt que de chercher à m’en sortir, c’est absurde ! Que puis-je faire d’autre de toute façon ? M’étouffer avec la barre chocolatée pour le prendre par surprise ? Non, merci ! Il faut considérer ça comme mon dernier pied de nez à cette vie d’écrivain… Comme si enfin je réalisais mon rêve, en quelque sorte.

Je rapproche le tiroir et, en le bloquant avec mon torse, j’arrive à le tourner et à le pencher vers moi. Voilà ma petite table improvisée. J’ouvre le bloc-notes et le pose dessus de telle manière qu’il ne puisse pas glisser. J’enlève le capuchon du stylo et fais un petit gribouillis sur le haut de la feuille. Après quelques cercles, l’encre apparaît.

Me voilà prêt.

Mais l’angoisse me submerge. Vais-je avoir assez de temps ? Vais-je y arriver ?

Chapitre 1

Il ne pensait pas qu’une si petite salle pouvait contenir autant de monde. Tous les bancs sont pleins, ce qui doit faire au moins une soixantaine de personnes présentes. C’est beaucoup. Il n’imaginait pas que l’on pouvait blesser autant de gens en quittant ce monde.

Il est rentré dans les derniers, laissant entrer prioritairement la famille et les amis proches. Il se retrouve malgré lui en plein milieu de la salle, au cinquième rang, aux côtés de deux personnes âgées qu’il ne connaît pas. Des membres de la famille sans doute, vu leur mine déconfite.

Difficile de faire plus simple que ces bancs en contreplaqués recouverts d’une feuille plastifiée de décor imitation chêne. Il lui semblait pourtant que les propriétaires de ce genre de lieu gagnaient bien leur vie, eux qui dans leur métier ne connaissaient jamais la crise. Ils auraient pu se permettre de mettre des bancs en vrai bois. Preuve d’une pingrerie ou une volonté de neutralité, afin de ne pas avoir de mobilier authentique pouvant rappeler celui des églises ?

Pierre baisse la tête et regarde le sol en épais lino. Comme si le fait de regarder des choses futiles lui permettait de faire partir loin ce sentiment mélancolique qu’il a depuis qu’il est arrivé ici. Il relève la tête et regarde l’homme devant le pupitre qui parle d’une voix posée. Il se dit que cet individu a choisi un dur métier. Il se demande comment il fait pour être aussi compatissant avec les différentes familles et réussir à garder une certaine distance qui lui permet de ne pas avoir de fortes dépressions quand il rentre chez lui en fin de journée.

L’homme en costume sombre demande un moment de silence en l’honneur de Marc, puis il s’éclipse derrière un paravent de bois. L’introduction de la chanson « Something in the Way » sort doucement des enceintes dissimulées dans les murs blancs.

Pierre regarde le cercueil de bois clair posé sur son support de béton dans le coin de la pièce, entouré d’une multitude de couronnes de fleurs. Il essaye de revoir l’image de son camarade de classe. C’était un garçon simple, au visage fin. Il était assez discret et il avait eu l’occasion de lui parler quelquefois, notamment en sport où il était souvent dans son équipe lors des sports collectifs. Il venait d’avoir ses 18 ans et avait passé la soirée de ce samedi dans une discothèque des environs avec quelques-uns de ses amis pour fêter l’obtention de son permis. En revenant tôt le dimanche matin, pour une raison que Pierre ignorait, sa voiture avait percuté de plein fouet un arbre bordant la route, juste après un virage. Il était mort sur le coup. Heureusement, comme il avait pu l’entendre, il était seul dans le véhicule. Une photo noir et blanc de la voiture était parue dans le journal dès le lundi matin. Elle était méconnaissable, ce qui laissait deviner l’état désastreux du corps de Marc. Comme par ironie, devant la carcasse du véhicule, se trouvait un bout de pare-brise sur le macadam, affublé du A majuscule rouge.

Pierre avait hésité à venir à la crémation de ce copain de classe, non pas parce qu’il s’en moquait, loin de là, mais il n’appréciait pas trop ce genre de cérémonie. D’ailleurs, qui pouvait réellement aimer ça ? Il avait tout de même surmonté son dégoût et était venu par respect pour Marc, pour ce qu’il était et ce qu’il pensait de lui, pour lui dire un dernier au revoir.

Il faisait froid dehors en ce mois de décembre et malgré la température agréable à l’intérieur de la salle, Pierre n’arrivait pas à se réchauffer. Il lève les yeux et regarde à travers les carreaux de la petite partie vitrée du haut plafond. Le ciel est bien gris. Même le temps semble avoir triste mine, sûrement pour être en harmonie avec la situation. Il se dit qu’il ne devrait pas tarder à pleuvoir, la nature souhaitant sans doute mettre une touche finale à l’ambiance morne de cet évènement.

Le volume de la chanson commence à diminuer et se termine par des onomatopées du chanteur en fondu sonore. Chanson triste au possible. Pas sûr que le groupe ait pensé qu’elle puisse être utilisée un jour pour une pareille occasion.

Pierre regarde à nouveau le gentil organisateur, au visage impassible, lire une lettre poignante au pupitre. Pierre essaye de ne pas écouter, car il ne souhaite pas se laisser emporter par la mélancolie générale, et il observe les personnes devant lui. Au premier rang, il voit les parents, complètement affaissés sur le banc, le dos voûté. Ils se tiennent la main comme pour se retenir mutuellement. Ils semblent être prêts à flancher d’un instant à l’autre. Pierre n’ose imaginer à quel point leur douleur peut être grande. À leurs côtés, des personnes aux cheveux gris, sans doute les grands-parents. Ils sont moins voûtés, mais ils ne semblent pas comprendre la raison de leur présence, à moins qu’ils ne se demandent pourquoi il leur arrive un tel malheur, alors qu’eux, bien plus âgés, sont encore de ce monde. Les rangs suivants sont occupés principalement par des adultes, sûrement oncles, tantes et amis. Il y a deux enfants d’une douzaine d’années qui ne réalisent pas vraiment ce qu’il se passe, et il reconnaît juste derrière deux professeurs du lycée, à l’allure stoïque. La majorité des personnes ont les yeux rouges, les autres se contentent de rester le visage inexpressif, reniflant par intermittence. Personne ne dit un mot ou ne chuchote, comme il arrive parfois dans d’autres cérémonies. Ils attendent tous la fin de l’office, la fin du calvaire.

Marc a eu son accident ce dimanche matin, soit il y a quatre jours à peine. Le corps devait être dans un sale état pour qu’ils décident de faire aussi rapidement la crémation, dès ce mercredi 12 décembre. D’ailleurs, y a-t-il eu présentation du corps avant cette cérémonie funèbre, comme cela se fait habituellement ? Pierre ne le sait pas. De toute façon, il aurait été incapable de voir de visu le cadavre de son copain, même si ce n’était au final qu’une connaissance plutôt qu’un véritable ami. Il se demande quel effet cela doit faire de voir un cadavre, en vrai. Est-ce qu’il est tout livide avec une odeur désagréable comme dans les films ?

 Pierre regarde à nouveau le sol et continue de se poser des questions, se forçant à avoir l’esprit ailleurs que dans cette salle. Qu’est-ce qui est le plus triste ? Assister aux obsèques d’un de ses enfants ou d’un de ses parents ? Se rendre compte que l’évènement terrible ayant entraîné la mort se passe juste avant les fêtes de fin d’année ? Mais y a-t-il vraiment un moment dans l’année où une mort est moins grave ? Est-ce qu’une mort est moins grave qu’une autre ? Que des questions stupides dont Pierre ne cherche même pas les réponses, qui seraient également aussi absurdes. Assister à un rituel d’adieu de quelqu’un que l’on connaît est toujours déchirant, quel que soit la période ou le niveau de relation.

Pierre sent une larme se former au bord de son œil. Il desserre immédiatement ses mains jointes posées sur ses genoux et vient s’essuyer du bout de l’index, avant de reprendre la même position. Il fixe encore le lino, en se demandant combien de temps le supplice va encore durer.

Chapitre 2

L’homme au triste visage permanent montre le cercueil de la main et indique qu’une corbeille de fleurs séchées posée là, juste devant, est à leur disposition. Il invite les personnes présentes dans la salle à venir à tour de rôle rendre un dernier hommage en faisant le geste de leur choix au-dessus du cercueil.

Pierre lève la tête, surpris. Il ne pensait pas qu’il allait devoir avoir un rôle actif durant la cérémonie. L’homme au regard vide s’approche lentement de la première rangée et invite les personnes à se lever l’une après l’autre, tout en finesse et avec calme. Quel dur métier, pense Pierre. Il voit les parents se lever et avancer difficilement vers la grande boîte de bois. Pierre baisse les yeux. Voir ce couple désespéré dans une pareille situation lui est insupportable. Mais pourquoi est-il venu finalement ? Il n’est pas assez fort pour une telle épreuve ! L’âge sans doute, à moins que ce soit juste une question de distance qu’il n’arrive pas a prendre avec ce qui se passe sous ses yeux.

Le linoléum n’est pas ce qui est de plus passionnant à regarder, mais fixer une chose si insignifiante lui permet de se ressaisir, un tant soit peu. Dans ce lieu la température est plus élevée que dehors, mais Pierre a encore la chair de poule, il le voit sur le haut de ses poignets. Il sait que ce n’est pas le froid qui provoque cela. Il faut vraiment qu’il apprenne à se maîtriser dans de telles situations. À quoi bon, aussi ? Ce n’est pas le genre d’évènement qui arrive tous les quatre matins !

Les deux premières rangées viennent de défiler devant le cercueil. Chacun dépose une petite fleur séchée sur le couvercle, certains en faisant un signe de croix, d’autres en touchant le rebord du cercueil, comme s’ils disaient quelques mots au défunt par télépathie, et comme si ce dernier pouvait les entendre. Étrange défilé d’yeux rouges humides et de silhouettes nonchalantes sans sourires. Pierre sait que c’est bientôt son tour. Il a cette drôle d’impression, comme quand le professeur interroge un à un les élèves et que c’est à lui dans quelques secondes. Sa gorge est sèche et il perçoit les pulsations de son cœur dans son ventre, comme si tout son torse n’était qu’une immense cage vide avec pour seul organe un gros cœur en son centre. Boum boum, boum boum. Une angoisse terrible, la peur de répondre à côté, d’être la risée de tous. Ici, c’est plutôt la hantise de ne pas avoir assez de force pour se lever, pour avancer jusqu’au cercueil sans vaciller, pour déposer une simple fleur sur la tombe de son camarade de classe, et pour croiser tous ces regards de la famille et amis en revenant à sa place.

L’homme, le visage toujours aussi inexpressif, s’approche de Pierre. Ça y est, le moment est venu, c’est son tour. Si seulement il pouvait avoir la faculté de stopper le temps, il le ferait immédiatement et en profiterait pour s’enfuir, loin, très loin. Il n’aurait jamais dû venir, même si ses intentions étaient louables et qu’il avait voulu être là par respect. La situation le met vraiment mal à l’aise et il aimerait franchement être ailleurs. L’homme lui fait signe. C’est à lui d’aller faire ses adieux à Marc. Il a des fourmis dans les jambes, il pense qu’il n’y arrivera pas. Il relève la tête, prêt à chuchoter à l’animateur mortuaire qu’il restera là, lorsqu’il sent une main se poser sur son avant-bras. Pierre tourne la tête. Son père le regarde.

— Vas-y, je viens avec toi ! lui dit-il tout bas.

Pierre le regarde, l’air embarrassé. Michel a senti que son fils ne se sentait pas bien, chose compréhensible étant donné l’âge de son fils et la relation qu’il avait avec le défunt. Pierre sait que son père n’est pas venu pour Marc, il ne l’avait sans doute jamais vu de sa vie. Lui, il comprend ces choses et c’est pour ça qu’il est là, pour soutenir son fils dans une pareille épreuve. Michel le regarde droit dans les yeux. Il lui fait comprendre qu’il doit se lever, qu’il faut qu’il ait confiance en lui. Pierre lui fait un discret signe de tête. Il prend une grande respiration et se lève. Il sent que son père le suit, la main sur son épaule, mais il ne se retourne pas, il regarde droit devant lui et suit l’allée jusqu’au cercueil. Il se force à penser que ce n’est qu’une caisse de bois et que ce qu’il fait est tout ce qu’il y a de plus simple, que c’est sans conséquence, que c’est juste une coutume ridicule à laquelle il doit se plier.

Il s’arrête à quelques centimètres de la corbeille de fleurs séchées. Un tas de têtes de fleurs coupées est là, tel un immense pot-pourri. La plupart sont de couleur orange et rouge. Est-ce pour symboliser la couleur des flammes ? Sont-ce des fleurs qui ont une signification particulière ? Sans réfléchir davantage, Pierre prend la première d’entre elles dans sa main et la pose sur le rebord du cercueil, près d’autres fleurs déposées par les précédentes personnes. Il hésite un instant à poser sa main sur le bois brillant et à parler à Marc, comme d’autres avant lui. Étrange comme cela lui paraissait ridicule vu du banc et comment cela lui paraît cohérent et tout à fait normal vu d’ici. Il commence à lever la main et se résout finalement à faire un signe de croix. Il fait un pas de côté et laisse la place aux personnes suivantes.

Il retourne à sa place en regardant le sol, en se demandant s’il a fait le symbole de croix dans le bon sens, lui qui n’est pas un fervent catholique. Cela a-t-il de l’importance ? Pierre s’en moque. Il est soulagé d’avoir réussi à faire ce petit acte sans fléchir et sans avoir eu à croiser le regard de tous ces gens malheureux. Il aurait sûrement craqué en voyant leur état de tristesse profonde. Il est sans doute trop fragile même s’il veut faire croire à tout le monde qu’il est un homme, du haut de ses dix-sept ans.

Pierre se rassoit. Il observe ses chaussures comme s’il voulait les féliciter de ne pas avoir trébuché durant le petit parcours. Michel vient de se rasseoir sans un bruit. Il regarde son fils, un tendre sourire au visage. Pierre esquisse un sourire, puis il regarde fixement devant lui. Il ne sait pas combien de temps encore va durer le défilé de gens devant la dernière demeure de Marc et ce qui va bien pouvoir se passer ensuite. Sûrement que l’homme orchestrant toute cette cérémonie va dire quelques mots, peut-être y aura-t-il une nouvelle musique, puis le cercueil sera emmené derrière cet épais rideau, loin de tous ces yeux larmoyants, avant d’être mis dans le four et que tout ceci ne tienne plus que dans une petite boîte abominablement ridicule. Il a hâte de sortir, de prendre l’air frais. S’il ne se maîtrisait pas pour paraître fort et impassible, il se jetterait dans les bras de son père et éclaterait en sanglots. Il ne pensait pas que la mort d’un camarade de classe, qu’il ne côtoyait pas plus que cela en dehors du lycée, pouvait le chambouler à ce point.

Tout le monde est passé devant le cercueil, certains se sont approchés du couple de parents et les ont embrassés ou tapés délicatement sur l’épaule. Quelle dure épreuve pour eux ! Pierre s’empêche d’imaginer ses propres parents à leur place. Il faut qu’il soit fort et pour cela, il ne doit pas s’imaginer de choses encore plus tristes que celles-là.

L’homme reprend la parole. Pierre essaye d’écouter attentivement ses dernières paroles en se répétant sans cesse « c’est fini ? ».

Chapitre 3

Les mains dans les poches, Pierre scrute le bout de la rue. Il ne voit toujours pas la voiture arriver. Il se frotte les jambes l’une contre l’autre. Il a encore plus froid que tout à l’heure. Il attend, sans dire un mot sur le trottoir de cette rue résidentielle, près d’un panneau indiquant le stationnement alterné par quinzaine. Voilà une petite dizaine de minutes qu’il attend à quelques rues du crématorium. Le reste de la cérémonie est passé plus vite qu’il ne le pensait et dès qu’il est sorti de la salle, il est allé à l’extérieur du bâtiment. Il a envoyé un texto de son portable et il est venu attendre ici, accompagné de son père. Pierre le regarde. Il scrute le bout de la rue lui aussi, en silence. Il a les mains dans les poches et triture machinalement quelque chose entre les doigts de sa main droite. Pierre devine ce dont il s’agit. Le paquet de cigarillos qu’il a toujours sur lui. Il sait qu’il a envie de s’en griller une, mais qu’il n’en aura sûrement plus le temps maintenant. Dur pour lui de se débarrasser d’une telle dépendance ! Pierre sort les mains de son épais blouson, les amène devant sa bouche et souffle dessus, ensuite il se les frotte. Il a pensé à une petite phrase, histoire d’entamer une petite discussion avec son père et de décompresser un peu, mais le bruit reconnaissable de la voiture se fait entendre.

Il s’avance et voit la vieille berline noire approcher et s’arrêter juste devant eux. Pierre ouvre la portière arrière et se baisse, prêt à monter dans la voiture.

— Monte devant, Pierre ! dit la femme au volant, d’une voix douce.

— Ha bon ! Si tu veux, Maman !