Heptagon - Tome 2 - Davy Artero - E-Book

Heptagon - Tome 2 E-Book

Davy Artero

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Beschreibung

Une romancière à qui tout sourit est torturée par une détresse incompréhensible...

L'histoire ne pouvait pas se terminer ainsi. Croire le contraire était une terrible erreur. Le mal semblait enfoui à jamais, mais il n'en est rien. Il revient un peu plus chaque jour, insidieusement, un peu plus chaque jour, plus violemment qu'avant.
Connaître le succès auprès du public, avoir des moyens financiers importants, profiter des petits plaisirs de la vie sans se soucier de l'avenir, sa vie pourrait se résumer de la sorte. Malheureusement pour cette célèbre romancière les choses ne sont plus aussi simple ; pour des raisons incompréhensibles, un sentiment de déprime grandit en elle, et les coups de malchances s'accumulent. Ne serait-elle pas en train de replonger ?

Plongez-vous dans le second volet de ce thriller psychologique, fantastique et horrifiant, là où le mal submerge tout sur son passage !

EXTRAIT

Elle écarquille les yeux. Elle aimerait hurler jusqu’à ce que ses cordes vocales explosent, mais il lui est impossible d’ouvrir la bouche. Un son étouffé sort de sa gorge. La jeune femme est toujours là. Elle s’est revêtue, chemisette fermée jusqu’en haut, et a détaché ses cheveux. Son regard est sombre. Le petit visage angélique qu’elle avait tout à l’heure a complètement disparu. Sa main droite est tendue, tenant une petite pince coupante aux bords ensanglantés. Un cri contenu sort à nouveau de sa bouche maintenue fermée par une bande de scotch épaisse. Elle a mal, horriblement mal. Elle qui d’habitude résiste à la douleur, la voilà qui souffre le martyre. Quelque chose ne va pas. Elle tourne la tête et sa gorge se serre. Ce qu’elle voit la paralyse complètement, même ses poumons ont cessé de fonctionner et ne lui permettent plus de respirer.
Son petit doigt n’est plus là. À la place, une plaie ovale béante. Des effluves de sang incessants s’en échappent, recouvrent entièrement sa main gauche et coulent lentement le long du bras, de l’avant-bras jusqu’à son aisselle. Une partie des coulures se rejoignant au coude se met à goutter sur le sol. Elle sort de son immobilisme et secoue énergiquement la tête, puis les bras et les jambes. Les menottes font un bruit sourd lorsqu’elles se choquent contre le tube métallique, et elle ne parvient pas à soulever ses jambes. Elles sont jointes par un bout de tissu relié au gros parpaing sous elle. La jeune femme se baisse puis se relève. Elle lui approche du visage ce qu’elle vient de ramasser au sol. Son doigt, qu’elle tient dans un tissu blanc imbibé de produit qui lui irrite le nez. Le bout de tissu qu’elle avait pris pour sa lingerie usagée. Elle s’était fait avoir, elle l’avait éthérisée, cette traînée ! La jeune femme ramène le bout de chair vers elle et l’enveloppe délicatement dans le tissu avant de le mettre dans son sac à main.
Elle a trop mal, elle se sent si misérable. Des larmes se mettent à couler sur ses joues. La jeune femme le voit et semble s’en amuser.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE - À propos du tome 1

L'auteur a su créer avec brio la descente aux Enfers ! Stressant et envoûtant, il démontre comment la folie peut s’emparer de nous sans prévenir. Je conseille fortement ce livre à tous les passionné(e)s d'horreur et de psychologie ! - Fellix, Booknode

Un horrifique qui monte en puissance, des personnages réalistes, en bref de quoi donner des sueurs froides. À découvrir ! - Blog Chroniques livresques

Un très bon roman, une belle évolution dans l'écriture de l'auteur, mais âmes sensibles s'abstenir ! - Blog Cocomilady

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Davy Artero

HEPTAGON

Grimoire des Sept Branches

Aux pulsions malsaines et autres actes atroces

Prologue

In Tempore Infelicis{1}

Un autre trait a rejoint les milliers d’autres sur le pourtour en pierre et a commencé à être recouvert d’une fine pellicule de poussière. Il n’est pas encore assez près de la surface. Il s’en approche. Il parvient désormais à ressentir ce qu’il y a autour, même ce qui n’est pas fait de roche. Ce n’est pas suffisant. Encore un peu de patience. Il aurait pu devenir fou dans cette étroite geôle depuis toutes ces années. Sa hargne était si forte, sa colère si intense, qu’il avait su résister aux éventuels égarements. Dire qu’ils pensaient l’anéantir, ces pauvres fous ! Par leur faute, il n’était plus qu’un corps éthéré, coincé sous une épaisse couche de minerais compacte, mais il vivait encore.

Un jour, il parviendra à quitter cet endroit. Il le sait. Il retrouvera alors cette apparence charnelle, difforme et repoussante aux yeux de ces pauvres êtres humains et ils comprendront tous leur erreur. Ils avaient échoué. Pour l’instant, la tâche n’est pas aisée. Il doit se concentrer et user de son emprise pour parvenir à ses fins et il sent qu’on lui résiste. Il lui faut une âme plus perméable.

L’évasion sera bientôt possible, il le ressent et il a hâte. Être à nouveau dehors, debout. Piétiner la terre fraîche du monde actuel, respirer l’air de ce nouveau siècle et entamer enfin sa vengeance. Car tel est son seul et unique but, sortir et laisser pleinement exprimer sa rage. Le temps a poussé sa colère à son paroxysme et il n’y a qu’un seul moyen de l’apaiser, c’est de la laisser éclater.

Il y aura sans nul doute un horrible carnage. Il s’en délecte déjà.

PARTIE 1 – PRÉMICES

Maintenant, il est temps de reprendre nos activités

Et nous poser les bonnes questions.

Plus que jamais, nous devons être unis et réfléchir.

Hommes ou simples animaux ?

Innocents ou responsables ?

Simples d’esprit ou êtres intelligents ?

Tout n’est qu’une question de point de vue

Ou de compréhension sur ce que l’on est réellement.

Plus jamais nous ne laisserons d’autres individus dicter nos actes.

Hommes libres, nous sommes,

Êtres supérieurs, nous deviendrons.

L’histoire doit suivre son cours

Et nous emmener vers la vérité,

Sa vérité.

31 août - page 66 - Anthony RAUMGrimoire des Sept Branches

1

Sentir le satin de ses gants contre sa peau l’émoustille de plus en plus.

— C’est délicieux !

Elle lui sourit et continue son tendre massage. Ses mains fines glissent sur ses épaules, se rejoignent au milieu des pectoraux puis passent sur chaque relief de ses abdominaux.

Son âge frise le demi-siècle, mais il a conservé un physique d’athlète, ce qui n’est pas pour lui déplaire. Étendu de tout son long sur le lit, presque entièrement nu, il ferme les yeux. Quelques râles discrets s’échappent de sa bouche ouverte. Être dans cette position, pleinement à sa merci, est curieusement bien appréciable. D’habitude, par la force des choses, les rôles étaient inversés avec ses autres partenaires. Là, elle avait réussi à le convaincre et il s’était laissé faire. Il ne le regrettait pas.

Elle l’avait accosté dans son bar habituel. Il avait jeté son dévolu sur une autre ce soir-là, mais elle l’avait pris de court. Décontenancé, puis amusé par le culot de cette femme, il s’était laissé séduire. Rouge à lèvres pourpre sur une bouche pulpeuse, un décolleté attirant, sa perruque ébène coupée au carré indiquait bien qu’elle était danseuse de cabaret, ce qu’elle lui susurra à l’oreille, juste avant de lui mordiller le lobe. Ce geste coquin avait suffi à le faire vaciller et à accepter sa proposition d’aller dans un endroit beaucoup plus tranquille après avoir fini son verre.

La chambre d’hôtel était minable, mais c’était un des rares établissements dans le coin à être entièrement automatisé. Après avoir réglé la chambre via le monnayeur, il l’avait prise par le bras et entraînée dans l’ascenseur. Aucune résistance, elle aussi était pressée. C’était si nouveau pour lui.

Et c’est une fois dans la chambre, porte fermée à double tour, qu’elle a sorti le grand jeu. Dans ses rêves les plus fous ou même ses fantasmes les plus alambiqués, jamais il n’avait imaginé une femme agir comme elle l’avait fait. Elle s’était éclipsée dans la salle de bain avec son sac à main et en était revenue métamorphosée. Elle avait ôté sa perruque et mis un petit couvre-chef blanc estampillé d’une croix rouge par-dessus ses cheveux châtain foncé tirés en arrière, retenus par un chignon. Sa robe de soirée avait laissé place à une blouse blanche transparente arrivant à mi-cuisse et elle avait enfilé des bas résille ivoire aux larges jarretières en dentelle. Elle avait conservé sa culotte en soie fine, mais n’avait plus rien d’autre sous la blouse. Il en était resté bouche bée en la découvrant ainsi.

Elle l’avait poussé sur le lit et s’était assise sur son ventre, puis elle l’avait déshabillé lentement, s’amusant à lui caresser doucement chaque parcelle de peau découverte à travers ses mains gantées. Pour pimenter ce jeu déjà bien coquin, elle avait utilisé ses affaires pour l’attacher aux barreaux métalliques du lit. La chemise pour la main gauche, le tee-shirt pour la droite, le pantalon pour la jambe gauche et la ceinture en faux cuir pour la jambe droite. Mains et jambes écartées, telle une étoile de mer, il subissait sans broncher, se délectant même de ce qu’elle lui faisait. Elle lui avait ôté tous ses vêtements, sauf son caleçon. Assise jambes écartées sur lui, il sentait la chaleur de son postérieur sur son sexe. Il savait que dans cette position elle devait ressentir la dureté de son pénis. Elle ne pouvait qu’en être excitée également. Son sexe est extrêmement raide, comme jamais il l’a été auparavant. Chaque mouvement qu’elle effectue procure un nouveau frottement sur son sous-vêtement et augmente l’afflux sanguin. D’où les râles qu’il ne peut retenir.

Elle se relève et se met à quatre pattes. Il rouvre les yeux.

— Oh non, reste sur moi… murmure-t-il.

Elle lui pose l’index contre sa bouche.

— Chut !

D’un mouvement de tête, il attrape le doigt dans sa bouche et se met à le lécher. Elle sourit et le retire délicatement. Elle baisse la tête et se met à donner des coups de langue sur le haut de ses pectoraux. Il ferme les yeux et ne peut s’empêcher de se trémousser, tirant sur ses liens bien serrés. Elle se relève à nouveau.

— Fais-moi jouir, salope d’infirmière !

Les automatismes sont durs à retenir. Ces mots lui ont échappé, mais ils ne semblent pas l’offusquer. Elle arbore toujours un doux sourire et il peut voir ses yeux briller. Il comprend qu’elle adore ça. Il sait qu’il va sans nul doute connaître la plus grande des jouissances. Il a hâte, mais paradoxalement il aimerait qu’elle fasse perdurer ce plaisir toute la nuit. Que cette traînée fasse monter en lui l’extase jusqu’à ce qu’il ne puisse plus se retenir et explose, remplissant son utérus d’une quantité phénoménale de sperme chaud.

Elle s’assoit sur son ventre et commence à faire vaciller son bassin. Il sent la soie de sa culotte se frotter contre sa peau, tout comme la chaleur humide de son sexe durant ses va-et-vient. Elle penche la tête en arrière et continue sa danse sensuelle. Un massage de sexe féminin, une sensation nouvelle pour lui. Elle remonte peu à peu, puis vient poser son entrejambe au-dessus de sa tête. Une odeur fine d’ammoniaque et une autre qu’il reconnaît si bien, cette odeur de sexe féminin qu’elles ont toutes. Il est tout excité, tout comme elle sûrement. Il se met à lécher la culotte de soie, de plus en plus rapidement. Il aimerait qu’elle recouvre son visage de cyprine, puis qu’il parvienne à transpercer sa culotte avec sa langue et enfoncer celle-ci loin dans son vagin. Ressentir toutes les aspérités de ses muqueuses et les nettoyer du bout de la langue. Il la sent se contracter puis elle émet un petit cri. Elle remonte le buste et se relève du lit si brusquement qu’elle en perd sa coiffe d’infirmière. Il se met à geindre.

— Non, non, non…

Elle marche en sautillant vers la salle de bain et s’y engouffre. Elle n’y reste que quelques secondes, qui lui semblent durer une éternité. Il a du mal à reprendre ses esprits. Il veut que ce jeu de doctoresse lubrique se poursuive, et l’inquiétude disparaît quand il la voit revenir. Dans sa main, elle tient le tube cartonné du rouleau de papier toilette. Il se demande ce qu’elle va encore inventer pour le faire jouir à nouveau. Elle s’assoit sur le haut de ses cuisses. Elle le regarde tendrement. Il lui sourit à son tour.

— Sale garce, continue s’il te plaît !

— Chut ! C’est prévu, ne t’inquiète pas ! chuchote-t-elle.

Elle agrippe les rebords de son caleçon et le descend de quelques centimètres. Son sexe se met à sortir, telle une marionnette à ressort de sa boîte. Elle le touche du bout des doigts, délicatement. Il se prépare à subir enfin l’assaut final, une fellation suivie d’une pénétration peut-être. Il ferme ses paupières et attend. Il espère juste ne pas avoir d’éjaculation précoce.

Elle agrippe son sexe d’une main et le ramène vers elle, tentant de le mettre bien droit. De l’autre main, elle se met à masser lentement les testicules, puis elle s’arrête. Son sexe est bouillant, toujours aussi dur. Il ne pensait pas qu’il pouvait rester érigé ainsi aussi longtemps, sans doute l’érection la plus longue qu’il ait eue jusqu’alors. Il ouvre les yeux et l’observe. Elle a la tête baissée, sa main maintient son sexe droit. Elle le sert fort, si fort qu’elle peut en ressentir les battements de cœur. Elle relève la tête et le regarde. Ses yeux ne brillent plus.

Elle va passer aux choses sérieuses, il le sent. Enfin ! Elle prend le tube cartonné et le fait glisser autour du pénis. Le gland vermillon dépasse à peine. Elle lui lance un nouveau sourire puis attrape ses testicules. Elle se met à les glisser elles aussi dans le tube. Elle passe son doigt autour de la base du carton. Plus rien ne dépasse. Il ne sait pas où elle veut en venir, sans doute une version moderne de l’anneau pénien pour décupler son plaisir.

— Vas-y, vide-moi !

— J’y compte bien !

Elle penche la tête et retire la longue et fine tige chromée tenant son chignon. Ses cheveux tombent sur ses épaules. Il ne pensait pas qu’elle les avait aussi longs. Elle ramène l’objet chromé devant elle, lentement. Il a déjà vu cette forme particulière quelque part. Elle lève son bras gauche et s’y enfonce la pointe de quelques millimètres. Elle ferme ses yeux et expire lentement, comme si un début d’orgasme s’immisçait en elle une nouvelle fois. Elle ne le sait pas encore, mais elle aura cette sensation à chaque fois. Elle porte son bras à la bouche, dans un geste sensuel qui émoustille l’homme qui ne cesse de l’observer, attendant patiemment qu’elle l’emmène au septième ciel. Elle rouvre les yeux et se penche au-dessus du sexe emmitouflé dans le tube. Elle se met à faire un geste rapide de la main.

Il sent un bref picotement frais au niveau du bas-ventre puis une chaleur anormale descendre jusqu’à ses fesses. Alors qu’elle effectue à nouveau le même geste, il parvient à trouver le nom de l’objet qu’il vient de voir, juste avant de se mettre à crier. Un scalpel.

Il sent un liquide chaud et épais couler sur le haut de ses cuisses et sur son postérieur. Son sexe devient mou, mais elle continue de le serrer à travers le tube cartonné. Il hurle et elle recommence avec sa fine lame coupante, encore et encore. Chaque coup lui inflige une douleur atroce. Ses yeux se convulsent machinalement et il se retient de perdre connaissance. Il l’entend émettre un petit rire. Ce qu’elle fait lui plaît énormément.

— Tu apprécies, j’espère !

Il aimerait répondre, mais sa bouche reste grande ouverte, figée, un cri long et plaintif n’arrête pas d’en sortir.

— C’est bien insonorisé, tu peux t’égosiller à souhait, sale con !

Elle effectue un dernier mouvement de scalpel et lève la main gauche bien haut. Il parvient à voir ce qu’elle contient et manque de déglutir. Le tube cartonné recouvert de sang, et un grand morceau de chair rougeâtre à l’intérieur. Son sexe, dégoulinant d’un mélange de sang et de liquide séminal.

Elle le jette sur le côté. Cet organe ne lui sert à rien, elle coupera ce dont elle a réellement besoin plus tard. Elle penche son buste au-dessus du sien. Il sent une longue pointe s’enfoncer dans sa poitrine. Sa respiration devient saccadée. Elle retire le scalpel dans un bruit de succion et le plante à nouveau en bas du pectoral gauche. Un long filet de sang jaillit et éclabousse la blouse. Elle sourit à pleines dents. Elle a atteint le cœur.

Il a du mal à respirer. Sa vue devient trouble. Il réalise qu’il est en train de mourir. Il aimerait comprendre pourquoi elle agit ainsi, tout était si bon, si savoureux. Elle était en train de l’emmener vers l’extase suprême puis tout a basculé. Pourquoi agir ainsi ? Pourquoi vouloir le tuer là, maintenant ? Sa bouche tremble. Il est incapable de prononcer le moindre mot, comme si tout son corps était déconnecté de son cerveau.

Elle rapproche sa tête de son visage, scalpel ensanglanté devant elle, un sourire sordide aux lèvres.

— Tu vas les rejoindre, fumier !

Elle lève le bras et il sent la lame s’enfoncer au milieu de son front. Ses yeux se ferment. Avant d’expirer une dernière fois, il l’entend, au loin.

— Bonne descente aux enfers !

2

Un long soupir.

Voilà tout l’effet que lui procure la lecture du dernier paragraphe imprimé en petits caractères.

John parcourt rapidement le bas de la page, pour ôter tout doute possible. La date, les signatures, tout y est, en bonne et due forme. Il replace la feuille avec les autres documents dans la chemise cartonnée, referme celle-ci et la jette négligemment sur son bureau. Il reste immobile un instant, les yeux dans le vague, le temps qu’il réalise la véritable signification de toute cette paperasserie judiciaire. Il se redresse sur sa chaise et regarde à nouveau le nom inscrit en majuscules dans le cadre haut de la couverture. Un nom qui n’a cessé de le hanter depuis le début de cette affaire. Un rictus de satisfaction se dessine sur son visage.

— Je t’ai eu !

Il relève la tête et regarde la pendule numérique placée au-dessus de la porte de son bureau.

— Si tard, déjà ?

Il faut qu’il envoie un message à Rita. À cette heure, elle n’est pas encore couchée. Savoir que son mari ne va pas passer une nouvelle nuit au bureau va lui faire plaisir. Il laisse échapper un bâillement avant de s’étirer longuement.

— Mais avant, il faut fêter ça !

Il fait craquer son cou puis se penche pour ouvrir le premier tiroir droit de son large bureau en merisier. Il en sort une fiole, cachée sous un tas de feuilles. Il en dévisse le bouchon en pensant à son prédécesseur qui avait la même manie à chaque fin d’enquête. Il aurait adoré travailler sur une affaire comme celle-là, tout comme il aurait adoré partager une gorgée du malt contenu dans cette fiole.

— À la tienne, Jordan !

John prend une gorgée. Le liquide savoureux qui descend lentement le long de son œsophage lui fait un bien fou. Il revisse le bouchon et replace soigneusement l’objet du délit dans le tiroir, sous la pile de papiers. Il défait les premiers boutons du haut de sa chemise puis se lève.

Cette histoire a été bien plus dure qu’il ne l’avait imaginé au départ. Il savait pourtant qu’il ne fallait jamais se fier à ses premières impressions. Malgré sa perspicacité et sa ténacité, le meurtrier, un être machiavélique à l’intelligence pernicieuse et déroutante, avait bien failli lui échapper. Il avait suffi d’un malheureux faux pas pour que John parvienne enfin à le débusquer, juste avant qu’il ne fasse une nouvelle victime.

Ils ont beau imaginer les complots les plus saugrenus, œuvrer dans l’ombre et prendre garde à ne pas laisser de traces, il y a toujours un moment ou un autre où les criminels dérapent et commettent la faute qui le fera remonter jusqu’à eux. John sera toujours là pour être le grain de sable dans leurs plans diaboliques et leur tomber dessus au moment où ils s’y attendent le moins.

Celui-ci ira rejoindre les autres dans la prison de haute sécurité. À moins que le jury décide de l’emmener immédiatement du côté du couloir de la mort, ce qui ne serait pas étonnant au vu des sordides crimes commis.

Devant la grande baie vitrée de son bureau, il observe les immeubles aux multiples fenêtres illuminées. Une nuit calme et paisible. Il sait que ce n’est qu’une fausse impression. Cette ville ne dort jamais. Combien de temps le calme va-t-il durer ?

Des frappements retentissent. John se tourne.

— Oui ?

La porte s’ouvre et un jeune officier apparaît. Il semble essoufflé. Ses joues sont rouges et la lumière vive du néon fait briller quelques gouttes de sueur sur son front.

— Lieutenant, il y a eu un meurtre entre la septième et la neuvième. Il faut que vous veniez voir, vous n’en croirez pas vos yeux !

John lui fait un signe de la main. Le jeune officier a compris. Il laisse la porte entrouverte et va patienter quelques mètres plus loin. John regarde à nouveau à travers la grande baie vitrée.

— Une ville qui ne dort jamais… murmure-t-il.

Il va devoir changer son message pour Rita. Elle comprendra, une fois de plus. En s’aidant de son reflet dans la vitre, il remet les boutons de sa chemise. Il termine en fixant son visage. Sa barbe commence à faire un peu négligé. Quand trouvera-t-il le temps de se raser ? Il ne peut s’empêcher d’esquisser un léger sourire. Le repos fut vraiment de courte durée !

Identifiant utilisateur : WD

Document enregistré le mercredi 16 décembre - 770 ko - zone privée

3

Wendy recule sa tête et se frotte les yeux. L’étape fastidieuse de relecture sur le large écran est enfin terminée ! Elle pose une nouvelle fois son index sur le symbole en bas de l’écran. Un énième message indiquant le bon enregistrement du document apparaît.

On n’est jamais trop prudente ! pense-t-elle. Il est vrai qu’il serait dommage de tout perdre, là, maintenant, même si technologiquement c’est impossible. Mais on ne change pas comme ça ses vieilles habitudes.

Elle regarde le compteur affiché en bas à gauche. Un peu plus de quatre-vingt mille mots, presque autant que son avant-dernier manuscrit. Elle aurait voulu le faire exprès, elle ne s’y serait pas mieux prise ! Elle se lève de son fauteuil en cuir blanc et vient prendre une ramette de papier dans un des tiroirs de son caisson. Elle ôte la fine pellicule transparente entourant les feuilles et place ces dernières à l’arrière de l’imprimante. Elle tend le bras vers l’écran et semble hésiter. Est-elle obligée de continuer à procéder de cette manière ? Doit-elle faire uniquement confiance à ces multiples bouts de plastique qui contiennent les différentes sauvegardes de ses documents ? Elle tourne sa tête vers le mur du fond, en son centre est accroché un imposant tableau du siècle dernier, éclairé par deux petites lampes. La représentation d’un majestueux Lipizzan en pleine pesade devant un décor vallonné masque un coffre-fort dernière génération contenant toutes ses versions papier. Elle a toujours fait ainsi. Une sécurité supplémentaire, primordiale et inaltérable selon elle.

— Allez !

Elle remet machinalement ses longs cheveux bruns derrière l’oreille et de l’autre main touche du doigt le symbole gris de l’écran. La première feuille glisse immédiatement à l’intérieur de l’imprimante.

Tout se termine ici et maintenant ! dirait John, son héros.

Elle traverse la large pièce au plafond surélevé. Son antre, comme elle la désigne, où de multiples bibliothèques blanches supportent des rayonnages complets de livres. Elle se sent légère et en même temps son cœur la serre. Elle sait ce que c’est. Elle a toujours ce même ressenti quand elle achève un nouvel ouvrage. Un mélange de satisfaction, de soulagement, mais aussi d’une certaine amertume. Une sensation étrange qui envahit tout son corps et qui lui donne parfois des frissons. Elle soulève une de ses manches et regarde son avant-bras couleur miel. Elle a la chair de poule. Elle sourit.

— Il est temps de fêter ça !

Elle s’arrête devant un grand meuble et ouvre la porte. Elle tire vers elle une des étagères. Elle agrippe la bouteille carrée translucide qui s’y trouve et remplit le verre juste à côté. Elle l’approche de son visage et renifle le liquide brunâtre qu’elle vient de se servir. Ces senteurs boisées avec un soupçon de vanille la font saliver d’avance. L’un des quelques comportements de son personnage de roman qu’elle a calqué sur elle. Sauf que l’homme issu de son imagination enchaîne bien plus les verres qu’elle. Elle se contente d’un verre de temps en temps, une fois par semaine grand maximum, alors que son héros frise l’alcoolémie. Elle se demande d’ailleurs si ce n’est pas par vengeance qu’elle le fait boire autant, plus que de vouloir coller à l’imagerie populaire ancrée chez tout lecteur. Tout comme elle en a fait un grand mâle de type caucasien, le parfait négatif de ce qu’elle est, femme métisse d’à peine un mètre soixante-dix. Elle repose le verre à moitié bu et attrape sur l’étage du dessus une boîte en bois au large rectangle de cuir apposé sur le couvercle.

Il est temps de passer au rituel de fin d’écriture de roman !

Elle ouvre la boîte au bois précieux et en sort une longue et fine cigarette au filtre doré. Elle contemple l’intérieur de la boîte. Cinq cigarettes sont déjà manquantes. Elle essaye de se remémorer la dernière fois qu’elle s’en est grillé une. C’était il y a plus d’un an, vers la fin août. Elle se souvient l’avoir fumée tranquillement allongée sur un des transats de la terrasse, à l’ombre d’un grand parasol. Le temps était encore beau pour cette époque de l’année. Un moment très agréable.

Elle tourne la tête vers l’une des grandes fenêtres. Dehors, le brouillard s’est installé, englobant les différents arbres et la fontaine en pierre installée au milieu du jardin. Elle va devoir aller fumer dans le grand salon. Quand elle aura terminé, elle demandera à Martha de laisser aérer la pièce pour éviter que les odeurs de tabac restent imprégnées, elle a horreur de ça. Mais seulement après, car elle veut fumer bien au chaud. Dehors le thermomètre doit avoisiner le zéro. Le temps s’est bien rafraîchi en ce début décembre.

Elle replace la boîte à cigarettes sur son étagère et repousse la planche coulissante où se trouve la bouteille pleine de rhum vieilli. Le verre à la main, la cigarette dans l’autre, elle revient vers son bureau. Elle pose le tout devant l’écran et enfile le gilet laissé sur le bord du bureau par-dessus sa longue robe pastel. Tout en fermant les boutons un à un, elle jette un œil à l’imprimante qui ne cesse d’engloutir les feuilles. L’afficheur digital indique qu’il reste une trentaine de pages à imprimer.

Elle soupire. Elle a bien eu du mal à le terminer celui-ci. Non pas à cause du manque d’inspiration, mais plutôt par un manque d’envie. L’envie de se remettre devant son écran et de remplir ces feuilles virtuelles de mots réels. Elle n’a cessé d’en reporter le démarrage. Il lui aura fallu quelques semaines avant de s’y remettre vraiment et quatre longs mois sans interruption pour le réaliser. Mais le résultat est là. La sixième aventure de l’inspecteur John Timothy, le beau brun au regard ténébreux. Elle voit déjà la couverture plastifiée brillante avec son nom en capitales dessus et une belle illustration énigmatique juste en dessous. Son éditeur a un don pour trouver des illustrations intrigantes qui mettent toujours le livre en valeur.

Avant d’en arriver là, elle va envoyer par message sécurisé le lien vers le manuscrit à son éditeur fétiche qui, comme d’habitude, la convoquera d’ici une petite semaine pour lui parler vente, publicité et tout un tas de termes commerciaux qui n’intéresse que lui. Si ce n’est pas malheureux de réduire la littérature à des courbes de ventes !

L’impression se termine. Elle va pouvoir ranger le document dans une belle pochette cartonnée, y noter le titre sur la tranche et le placer à côté de ses prédécesseurs dans le coffre-fort. Elle pourra ensuite envoyer le fameux message à son éditeur. Mais pas maintenant. Elle va s’accorder une petite heure de répit avant.

Elle reprend le verre et la cigarette en main et se dirige vers la porte du fond, menant au couloir et au grand salon. Se détendre avant de terminer définitivement le rituel administratif de fin de réalisation de roman. Elle avance doucement, pensant à ce qui va se passer ces prochains jours. Elle va pouvoir se reposer, se promener, oublier ce dernier ouvrage et pendant un temps oublier ses personnages. Se changer les idées pour en avoir de nouvelles pour de prochains romans, voilà ce qu’elle va pouvoir faire.

Cette période de calme ne sera perturbée que par l’entretien avec son éditeur, lorsque celui-ci aura pris connaissance du manuscrit. Et même si ce dernier est un ami de longue date, elle déteste ce genre d’entretien. Mais bon, ce ne sera qu’un petit moment peu agréable au milieu d’une longue période de tranquillité.

4

Le rouge alterne avec le jaune et le bleu, les pointes multiples effectuent une danse improbable et chaotique au-dessus des bûches noircies. Wendy, assise à même le sol devant l’âtre de la large cheminée, observe en silence l’intense brasier. Elle a toujours été fascinée par ces langues brûlantes qui dévorent tout sur leur passage, réduisant le moindre bout de bois sec en charbon incandescent. Elle comprend l’attraction et la dépendance que peuvent avoir les pyromanes. Assise ici, absorbée par cet élément qui a permis à l’homme de s’élever au-dessus de tous les animaux, elle se surprend même à les envier.

— Je vous sers un autre verre, Madame ?

La petite femme en robe noire, cheveux gris en chignon, se cambre vers Wendy. Le liquide de la bouteille qu’elle tient en main vacille légèrement, contrairement à la serviette blanche, autour de son autre bras, qui reste irrémédiablement figé.

— Merci, Martha, mais je crois que je vais arrêter là !

— Comme vous voudrez.

Wendy lui tend son verre à vin vide. Martha s’en empare et se relève.

— Vous pouvez disposer ensuite, Martha.

— Merci, Madame, bonne nuit.

Martha lui tourne le dos et s’éloigne, la tête bien droite. Wendy ne peut s’empêcher de sourire. Comme son monde a bien changé en quelques années. Elle s’était toujours moquée de ces gens nés avec une cuillère en argent, disposant dans chaque pièce de domestiques prêts à satisfaire le moindre de leur désir. Elle les exécrait. Après quelques best-sellers, elle a agi exactement comme eux et a eu elle aussi des esclaves modernes.

Elle grimace. Non, elle, elle ne les considère pas comme des esclaves. Ce sont des employés de maison qui sont là pour la soulager de toutes ces activités qu’elle n’a plus le temps de faire, de par son métier.

Tu exagères ! T’amener du vin ce n’est pas de l’esclavage ? Nantie !

Elle lève haut ses sourcils et soupire. Après tout, elle aurait tort de s’en priver. Et puis dans ce monde où le taux de chômage est extraordinairement élevé, elle peut se targuer d’offrir à ces personnes un emploi convenable où ils sont logés et nourris qui plus est.

Tu es une sainte, finalement !

Et puis Martha ce n’est pas une personne ordinaire pour Wendy. Toujours attentionnée, à l’écoute, c’est un peu sa deuxième mère.

Sauf qu’elle est à ton service…

Elle relève ses genoux et les serre dans ses bras. Elle se rapproche du foyer pour mieux en ressentir la chaleur. Son regard fixe à nouveau les braises et les indomptables danseuses qui glissent au-dessus. Elle se sent apaisée. Des flammes qui provoquent plus de fumée que les autres l’attirent. Elles sont plus rondes, plus vives également. De fines particules noirâtres s’en échappent et voltigent sur quelques centimètres.

Wendy tend son cou pour voir de plus près cette curiosité. Les particules sont de plus en plus grosses, certaines commencent à avoir la largeur d’un ongle. Elle en observe une d’entre elles qui virevolte dans les airs jusqu’au rebord de briques rouges. Elle lâche ses genoux et fait glisser son postérieur sur le sol pour se rapprocher. C’est une sorte de confetti gris foncé. Si elle le touche, elle sait qu’il va se réduire en cendre. Il semble y avoir quelque chose dessus. Elle force son regard pour mieux voir. C’est un demi-cercle orange, ou un rond aplati d’un côté.

C’est un D !

Elle cligne des yeux et les relève. Les confettis carbonisés sont plus nombreux, et plus imposants. Une petite dizaine atterrit sur le rebord de la cheminée, l’un d’entre eux, plus espiègle, se pose dans le creux de son entrejambe. Elle baisse la tête. Le large confetti gris-blanc comporte des lettres. Elle parvient à distinguer le mot « soudain » et juste en dessous « lieutenant ». Ses yeux s’écarquillent. Faisant fi de la chaleur intense, elle rapproche son visage des bûches. Elle y distingue un grand morceau rectangulaire dans le fond du foyer.

— Bordel de Dieu !

Elle se relève d’un bond, marchant sur le bas de sa robe. Le tissu se déchire et elle ressent un petit courant d’air frais sur son flanc droit. Pas le temps d’y prêter attention, elle prend le pic en fer forgé du serviteur et le plonge au milieu des flammes. Elle tente d’écarter les bûches pour parvenir à dégager ce qu’il y a au fond. La chaleur est si vive que, malgré la grande longueur de la tige de fer, elle ressent une vive douleur à la main. Celle-ci se met à brunir et des ronds rosâtres minuscules, grossissant à vue d’œil, apparaissent ici et là.

Elle se force à continuer son déblaiement et parvient à pousser les bûches sur le côté. Elle aperçoit ce qu’il y a au fond et de longues larmes se mettent à couler sur ses joues. Elle voit des piles de pochettes cartonnées recouvertes par les flammes. Des morceaux de feuilles calcinées ne cessent de s’en échapper. Elle compte cinq piles différentes.

Mes manuscrits !

Elle plonge la main plus profondément au sein des flammes et se met à hurler. Mélange de désespoir et de douleur. Une odeur de poils grillés envahit la pièce. Sa main se met à cloquer, des bouts de chair se mettent à se décoller de ses doigts et à se recroqueviller sur eux-mêmes, avant de tomber au milieu des charbons ardents. Elle hurle, elle ne peut s’arrêter. Il faut qu’elle récupère ses manuscrits, c’est tout ce qu’elle a, c’est toute sa vie !

— Je vous sers un autre verre, Madame ?

Wendy relève brusquement la tête. Elle met quelques secondes avant de comprendre que la chose opaque qu’elle tient en main est un verre à pied contenant un fond de vin blanc.

— Heu, non Martha. Je…

Elle fixe à nouveau le verre vide puis sa main qui le tient. Une main lisse, sans aucune boursouflure ni brûlure.

— Je crois que j’en ai eu assez pour ce soir !

Wendy lui tend son verre. Martha s’en empare et marque un temps d’arrêt.

— Tout va bien, Madame ?

— Oui, je vous remercie. Vous pouvez disposer, Martha !

— Bien Madame, bonne nuit.

Martha lui tourne le dos et s’éloigne, la colonne vertébrale bien raide, lui donnant cette démarche faussement hautaine.

Wendy examine le foyer de la cheminée. Seules deux grosses bûches à moitié consumées s’y trouvent. Elle porte son index au-dessous de l’œil gauche et vient essuyer un début de larme. La fatigue cumulée de ces dernières semaines d’intense écriture ainsi que les doubles rations de ce bon vin liquoreux lui montent à la tête et la font rêver tout éveillée.

Il est temps qu’elle aille se coucher. Une bonne nuit de repos suivie de nombreuses autres. Voilà le programme qu’elle va se fixer pour ces prochains jours.

5

La secrétaire vient de l’appeler de sa voix fluette. Wendy cesse de regarder le mur d’images passant en boucle les mêmes spots publicitaires depuis son arrivée et se lève, ravie de quitter enfin le fauteuil monobloc inconfortable. Elle récupère son long manteau posé négligemment sur le dossier du fauteuil en cuir rouge lui faisant face et se dirige vers le large bureau en bois massif derrière lequel se redresse la demoiselle souriante aux cheveux bruns bien tirés en arrière.

— Monsieur Lemond vous attend, Madame, dit-elle en montrant le côté du grand hall de son doigt fin et manucuré.

— Merci, je connais le chemin ! répond Wendy.

La jeune femme rougit. Wendy s’en éloigne, ravie de l’avoir quelque peu piquée au vif par sa réplique. Elle connaît sûrement mieux l’endroit qu’elle. Ne l’a-t-elle donc pas reconnue ?

Mais qu’est-ce que c’est que cette jeunesse ?

Elle agrippe la main courante et monte doucement le petit escalier, en prenant soin de poser ses hauts talons sur le tapis bordeaux recouvrant l’ensemble des marches en marbre.

— Ah ! Mon écrivaine préférée !

Wendy lève les yeux. Son éditeur se trouve sur le palier, bras ouverts et grand sourire commercial aux lèvres.

— Bonjour, Paul ! dit-elle une fois arrivée à la dernière marche, en esquissant un sourire forcé au cinquantenaire en costume anthracite sur mesure.

— J’avais hâte de te voir ! Je t’en prie…

Il se met sur le côté et tend son bras vers la porte grande ouverte au bout d’un court couloir.

Wendy s’avance, suivie de près par l’éditeur qu’elle soupçonne plus d’agir ainsi pour contempler discrètement son anatomie que pour des raisons de pure courtoisie. Elle entre dans le grand bureau climatisé. Elle perçoit immédiatement la fine odeur âcre, mélange de tabac froid et de poussière, qui règne en ces lieux. Sans doute une des raisons pour laquelle elle déteste autant cet endroit. Paul entre dans la pièce à son tour et referme la porte derrière lui. Wendy accroche son duffle-coat sur le portemanteau près du mur, comme elle le fait chaque fois qu’elle est contrainte de venir ici.

— Ça s’est bien rafraîchi, hein ? Après cette longue période de temps clément que nous avons eu, ça surprend un peu !

Wendy fait un léger signe de tête. Il lui est déjà pénible de subir ce genre de rendez-vous obligatoire, elle aimerait également éviter les échanges de banalités de ce genre. Elle s’assoit sur le large fauteuil face au grand plateau de verre jonché de papiers et d’objets divers. Paul contourne le bureau et vient s’installer en face d’elle. Il replace correctement sa cravate rouge puis vient machinalement caresser le bout de ses moustaches.

— Bon…

Il se racle la gorge et reste quelques secondes les yeux baissés, bouche entrouverte, comme s’il cherchait ses mots. Wendy observe l’homme aux cheveux blancs soigneusement plaqués en arrière. Cette gêne apparente n’est pas dans les habitudes de cet homme qu’elle côtoie depuis ses premiers pas dans le monde littéraire. Elle décide de briser le silence la première.

— Un mauvais retour de la cinquième colonne ? tente-t-elle d’ironiser.

Paul laisse apparaître un sourire en coin, puis regarde Wendy.

— C’est bientôt ton anniversaire, je crois, non ?

— Oui, en effet ! dit-elle en souriant, ravie que Paul prête attention à ce genre de chose.

— Cela va te faire quel âge, maintenant ?

— Paul, on ne pose pas ce genre de question à une gente dame !

Paul se détend.

— Oh, pardon Comtesse ! Un homme de mon âge, bientôt cinquante-sept ans, sait bien ces choses-là !

Il regarde de gauche à droite puis penche la tête vers elle.

— Il n’y a personne, et j’ai débranché tous les micros !

Il lui fait un clin d’œil. Wendy sourit.

— Disons que j’approche grandement de la quarantaine…

— Le bel âge ! Un tournant de ta vie ! C’est une période de remise en question, de changements, où tu vas oser faire des choses que tu n’as jamais tentées avant.

Wendy ne sait quoi répondre. Cette approche de Paul la surprend. Elle a l’impression qu’il est en pleine représentation d’une scène qu’il a jouée maintes fois dans sa tête. Elle se demande où il veut en venir par ce chemin détourné.

— Depuis combien de temps maintenant tu nous écris les aventures de ce cher inspecteur Timothy ?

— Bientôt sept ans.

— Sept ans, déjà… comme le temps passe vite ! Et tu n’as jamais pensé passer à autre chose ?

La patience de Wendy commence à atteindre ses limites.

— Où veux-tu en venir, Paul ?

Ce dernier s’adosse pleinement sur son fauteuil et fixe Wendy. Elle sent qu’il est arrivé au bout de son introduction et qu’il va lui sortir une longue tirade, la plus importante de l’acte qu’il est en train de jouer devant ses yeux.

— Je te rassure, le retour du comité de lecture est bon, comme à chaque fois. Il n’y a pas de raison d’ailleurs ! Mais tu sais que nous sommes dans une période qui n’est pas vraiment facile pour l’univers de la littérature et, crois-en mon expérience, si nous sortons maintenant un nouvel ouvrage sur Timothy, les ventes ne seront pas à la hauteur de ton talent. Ils seront même en deçà du précédent qui, malgré ses très bons résultats, ça, on ne peut pas le nier, n’a malheureusement pas eu le retour escompté !

— Ah ?

Wendy sent son cœur battre plus rapidement. Elle espère que ses joues ne trahissent pas cette petite poussée d’anxiété. Paul enchaîne, comme s’il ne souhaitait pas perdre le fil de son argumentaire.

 — C’est bien dommage, mais c’est ainsi. Les conditions actuelles ne sont pas favorables du tout pour ce genre de roman !

— Pour ce genre de roman ?

Paul marque un temps d’arrêt et se met à triturer machinalement les quelques feuillets étalés devant lui.

— Le genre policier. C’est vrai, je suis d’accord avec toi et tu sais que je t’ai toujours suivi dans tes ouvrages, c’est un genre que j’ai toujours apprécié, et j’ai toujours approuvé que tu continues dans ce style, mais ça n’a plus le vent en poupe. Et, entre nous, à force, c’est un peu toujours la même chose. Les récits se ressemblent, il n’y a pas vraiment de grande nouveauté.

— Le polar, jusqu’à preuve du contraire, a toujours utilisé les mêmes schémas ! tente de se justifier Wendy.

— Oui, oui, mais le public s’est lassé. Toujours le même thème, le même univers… C’est compréhensible ! Et puis toi aussi ça doit te lasser un peu, non ? Combien de temps as-tu mis avant de trouver la trame de ce dernier livre ?

Wendy sent ses joues rougir. Elle ne lui a jamais dit qu’elle avait eu du mal avec celui-ci. Comment peut-il le savoir ? C’est parce qu’il la connaît bien ?

— Plus que d’habitude, avoue-t-elle à demi-mot.

— C’est normal ! La lassitude, tout auteur la connaît à un moment donné ! Crois-en mon expérience d’éditeur ayant quelques années de pratique. Tous passent par là. Très peu réussissent à le surmonter. Mais pas toi ! Pas mon écrivaine préférée !

Paul observe Wendy et laisse volontairement un court silence avant d’effectuer son assaut ultime.

— Faire autre chose ne te tente pas ? Écrire dans un autre genre ?

— Je…

— Le fantastique par exemple, coupe Paul. Le thriller ou pourquoi pas l’épouvante ?

— Ça ne m’attire pas du tout ! Et tu sais que j’en serai bien incapable.

Paul pose le doigt sur la bouche. Il réalise qu’il aurait été plus judicieux de sa part de prendre d’autres exemples. Il essaye de rattraper sa maladresse.

— Il y a de nombreux crimes dans tes ouvrages, mais il n’y a jamais une goutte de sang ! C’est tout à ton honneur, mais aujourd’hui le public veut plus de détails, même sordides. Il veut du sensationnel, voire de l’effrayant !

— Il y a des auteurs talentueux pour ce type d’écrits. Ce n’est pas pour moi !