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Davy Artero

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Beschreibung

Un monstre qui terrorise tous ceux qu'il croise... Réalité ou cauchemar ?

Le monde semble bien amer à leurs yeux. Les insomnies et les remises en question font parties désormais de leur quotidien.
Cela va-t-il durer ?
Ce n’est qu’une mauvaise période, avec le temps, tout peut s’arranger.
Le seul souci, c’est cette horrible créature qui surgit sans prévenir.
Ils ne savent pas ce qu’elle veut ni pourquoi elle a choisi de les terroriser, eux, maintenant.
Serait-ce un mauvais rêve ou la réalité ?
Ne sont-ils pas assez mal dans leur peau pour être confronté à ce genre de monstre ?
Le temps est-il venu pour qu’ils connaissent, à leur tour, la pire des souffrances ?

Un roman d'horreur dans la tradition du genre, frissons garantis !

EXTRAIT

Des milliers d’images se bousculent dans sa tête à la vitesse de l’éclair et, tel un coup de massue, il réalise où il se trouve. Les stèles, ces gens en deuils, ce curé près de cette fosse où il peut apercevoir le rebord patiné d’un cercueil.
Il sent ses lèvres trembler. Il veut remercier son fidèle ami, mais aucun son ne sort. Ses yeux le piquent, cette boule dans la gorge grossit sans fin et semble remonter. Il ne peut plus la contrôler, c’est plus fort que lui.
Il laisse échapper un cri inhumain et éclate en sanglots.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

En résumé, je vous recommande encore une fois pour les bonnes idées et l'univers atypique de l'auteur. - Blog Les perles de Kerry

À PROPOS DE L'AUTEUR

Davy Artero est un auteur de romans mêlant fantastique et épouvante, ses principaux récits se classent dans la littérature d’horreur.
Mais à chaque côté sombre, son côté clair : il a à son actif également de nombreux contes pour enfants, des romans jeunesse et un ouvrage d'humour..
À ce jour, il est impossible de savoir si son prochain ouvrage va ravir les plus jeunes, amuser les adolescents ou s’il va terrifier à nouveau les plus grands…

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Davy Artero

1

De vifs battements d’ailes l’emmènent au-dessus du haut mur de briques envahi par le lierre et la mousse en de multiples endroits. Après un court vol plané, il redescend vers les alignements de perchoirs en pierre et en béton. Il se pose au sommet d’un des plus hauts pour avoir une vision bien dégagée des alentours.

Quelques coups de bec sous une de ses ailes aux longues et fines plumes ébène, deux petits pas vers la gauche, et il s’immobilise. Le voilà désormais confortablement installé. Cet endroit fort paisible d’habitude semble bien agité ce matin. Ses yeux d’un noir profond fixent tous ces humains silencieux, ici et là, qui piétinent le sol de ce qui doit être, en temps ordinaire, un vaste terrain de chasse pour les moineaux et autres oisillons.

Un seul d’entre eux a remarqué sa présence et cela semble le déranger. Être dans la ligne de mire d’un être humain n’est pas une sensation agréable pour un animal sauvage.

Arthur fixe le volatile sans cligner des yeux. À quoi peut bien penser cet animal ? Est-il assez pourvu de matière grise pour avoir au moins la moindre pensée ?

Le corbeau penche la tête comme s’il souhaitait capter les intentions de celui qui l’épie. Il bouge légèrement les ailes et tourne la tête sur le côté, attiré par une proie potentielle ou un son que lui seul peut entendre. À moins que ce soit une ruse pour détourner le regard de son observateur.

Inconsciemment, Arthur délaisse l’animal et ses yeux errent dans le morne décor qu’offre le paysage en arrière-plan.

Il ne sait depuis combien de minutes il est là, immobile. Il se force à jeter son regard au loin, là où il n’y a que des choses futiles et dénuées de sens à observer.

Seule une voix grave et monocorde l’empêche de profiter de ce moment de quiétude. Cette voix insupportable résonne dans sa tête. Les paroles sont dans une langue qui lui est familière, mais il ne parvient absolument pas à en comprendre le sens. Des mots mis bout à bout que son cerveau refuse de rendre cohérents.

Une bêche est enfoncée près d’une petite butte de terre, à quelques mètres derrière. Arthur l’examine avec attention. Pourquoi avoir laissé là cet outil ? Est-ce un oubli volontaire et désinvolte, ou juste une faute d’inattention de la part d’un jardinier étourdi ?

Des pensées étranges et malsaines traversent son esprit. Il aimerait sortir de cette apathie et s’avancer dans les allées pour s’en saisir, l’extraire de sa fine tranchée et revenir avec.

Il baisse les yeux et manque de flancher. Il n’en revient pas, il n’a pas bougé de sa place, mais la bêche est enfoncée devant lui, à ses pieds. Ses mains tremblantes s’en approchent lentement. Il serre fort ses doigts autour du manche en bois épais et lisse, et tire l’outil vers le haut afin de libérer la plaque carrée de métal des quelques centimètres de terre.

Il fixe de ses yeux brillants la plaque aux angles droits saillants. Cette voix lancinante qui ne se tait jamais, il est temps de la réduire au silence.

Arthur lève l’outil de jardinage à bout de bras et se rue vers celui dont les lectures psalmodiques l’irritent au plus haut point. Le vieil homme n’a pas le temps de réagir. Arthur lui assène un premier coup sur le haut du crâne. L’homme chancelle, lâche son vieux livret lui servant d’aide-mémoire, et tombe sur ses genoux. Arthur relève la bêche, se contorsionne et effectue un large mouvement circulaire à la manière d’un joueur de baseball. La bêche s’enfonce violemment dans le cou et l’homme s’affale de tout son long sur le sol.

Un filet de sang jaillit de l’entaille et commence à teinter de rouge écarlate le haut de ses vêtements. Les yeux révulsés, il a la bouche entrouverte, mais plus aucun son n’en sort.

Le coup a été si fort que la bêche est coincée dans les chairs du vieillard. Arthur pose son pied sur le visage ensanglanté et tire de toutes ses forces. L’outil s’extirpe de la blessure dans un bruit de succion.

Arthur ouvre grand la bouche et laisse échapper un long hurlement. Jamais il n’a autant crié de sa vie. Il s’est trop retenu, il faut que tout cela sorte.

Placé au-dessus du corps inanimé il lève à nouveau la bêche et l’abat sur les côtes du pauvre individu, comme s’il y plantait une fourche. Encore et encore.

La bêche s’enfonce de plus en plus facilement à chaque coup, libérant un mélange de sang et de viscères dans un bruit spongieux.

Arthur hurle sans s’interrompre. Il hurle si fort que sa gorge expulse de fins filets de sang et ses lèvres, tendues au maximum, ont commencé à se déchirer aux coins de la bouche.

Mâchoires écartées, les yeux fermés, ses poumons ne cessent de chasser tout l’air qu’ils contiennent, mais ils semblent intarissables. Il s’égosille, dans le plus douloureux et réel sens du terme.

La voix monotone se fait entendre une nouvelle fois. Arthur cligne des yeux et baisse la tête. Il est toujours au même endroit, dans la même position. Aucun corps baignant dans son sang, les intestins à l’air libre, n’est à ses pieds.

Son esprit lui joue des tours. Une façon sans doute de se révolter contre ce corps qui reste ainsi debout, inerte, face à ce trou béant qu’il n’ose regarder.

Arthur a l’impression que tout ce qui se passe en ce lieu est irréel, qu’il est juste le spectateur d’un rêve qui n’est pas le sien. Il ne parvient pas à réagir. Il subit l’histoire plus qu’il ne la vit. Ce n’est plus qu’une coquille vide, un corps sans âme, incapable de comprendre ce qui se passe autour de lui, incapable d’avoir le moindre sentiment…

Il n’entend pas les reniflements et les discrètes quintes de toux ici et là. Il est ailleurs, complètement déconnecté de tout ce qui peut bien se dérouler près de lui.

Son regard se porte sur la haute pierre où se tenait le corbeau. Celui-ci n’y est plus. Il regarde au loin et l’aperçoit, près d’une grille en fer forgé au fond, donnant sur une forêt épaisse aux grands arbres verdoyants.

Une bien belle forêt, imposante, attirante. Il en détaille chaque élément comme si cette succession de chênes, de hêtres et de bouleaux était la chose la plus importante à voir ici. Il a l’impression d’en sentir les effluves boisés, loin de ces odeurs de vieilles pierres et de fleurs séchées qui imprègnent l’endroit où il se trouve.

Les arbres difformes et majestueux rappellent la forêt de Brocéliande. Il ne serait pas étonnant d’y rencontrer aux détours d’un sentier un vieux druide, un énorme troll ou un animal féroce, cousin de la créature du Gévaudan.

Il sait inconsciemment que ce n’est pas normal de se comporter ainsi, que ce bois n’a aucun intérêt, mais son cerveau l’oblige à se concentrer sur toute chose vide de sens. Avoir l’esprit ailleurs est sa principale priorité, c’est finalement vital.

La température commence à devenir plus agréable et il sent la chaleur du soleil d’août réchauffer ses joues.

En d’autres circonstances, il pourrait se sentir bien, mais il y a quelque chose qui l’en empêche, une sorte de boule douloureuse au fond de la gorge qui ne cesse de grossir et de s’enflammer.

Cela bouge entre les arbres. Peut-être un petit sanglier ou un chien égaré. En regardant mieux, Arthur reconnaît un être humain, un enfant sans nul doute.

Comme il aimerait revenir à cet âge-là… Ne plus avoir aucun souci et passer son temps à jouer, loin des misères de la vie d’adulte. La vie est si facile et insouciante quand on est enfant. Pourquoi est-ce si différent une fois adulte ? Pourquoi est-elle alors si abjecte et impitoyable ?

La voix s’est tue. Des visages se succèdent maintenant devant lui, mais il ne les voit pas. Son regard reste flou, perdu au loin.

Un défilé de faciès imprécis. Une salutation, quelques mots, il acquiesce en silence sans y prêter attention et sans s’en rendre compte.

Une main forte se pose sur son épaule. Sa vision cesse d’être floue et il reprend peu à peu conscience.

Son meilleur ami, Yvon, se tient face à lui. Costume noir, comme lui, il a le visage sombre avec un petit rictus compatissant. Arthur voit que d’autres personnes se tiennent derrière lui. Des amis et plusieurs membres de sa famille, tous ternes et tristes.

Des milliers d’images se bousculent dans sa tête à la vitesse de l’éclair et, tel un coup de massue, il réalise où il se trouve. Les stèles, ces gens en deuils, ce curé près de cette fosse où il peut apercevoir le rebord patiné d’un cercueil.

Il sent ses lèvres trembler. Il veut remercier son fidèle ami, mais aucun son ne sort. Ses yeux le piquent, cette boule dans la gorge grossit sans fin et semble remonter. Il ne peut plus la contrôler, c’est plus fort que lui.

Il laisse échapper un cri inhumain et éclate en sanglots.

2

Assis dans la cuisine sur une des trois chaises en bois placées autour de la table ronde en contreplaqué, Lionel, les yeux mi-clos, tourne la petite cuillère dans son mug depuis une bonne minute.

La tête au-dessus du breuvage noir sortit tout droit du percolateur, les vapeurs le réveillent peu à peu.

Voilà près de dix minutes qu’il s’est levé et ce matin, plus que tous les autres matins, il a bien du mal à émerger. Il repense à ce rêve étrange fait juste avant que son réveil ne se déclenche.

Il se baignait tranquillement dans un long bassin d’eau bleue, une sorte de grande piscine municipale où il n’y avait personne d’autre que lui.

Après avoir fait quelques longueurs en alternant crawl et brasse, il est sorti de l’eau et a longé le bord du bassin pour aller se mettre sur l’un des cubes servant de petits plongeoirs. Ce n’est qu’une fois debout sur le cube qu’il a vu le fond de la piscine. Des tas de choses ovales étaient visibles, partout.

Il a plongé. Un beau plongeon bien droit dont il était fier, lui qui jusqu’alors n’avait jamais réussi une telle prouesse.

Une fois sous l’eau, il a ouvert les yeux. L’eau ne piquait pas. Les choses ovales lui sont alors apparues clairement. C’étaient des œufs énormes, presque aussi grands que lui. Leurs coquilles étaient grises et boursouflées, avec de petites algues jaunes et vertes par endroits.

Il est remonté à la surface, a repris son souffle, et s’est à nouveau enfoncé sous l’eau. Il voulait les voir de plus près. Après quelques mouvements, il a réussi à poser la main sur l’un d’eux. C’était dur comme de la pierre et aussi granuleux que du papier de verre.

Il s’est mis à nager entre les œufs. Ils étaient tous identiques sauf un, qui rayonnait en éclairant l’eau d’un jaune vif autour de lui. À travers la paroi transparente de cet œuf, plus étrange que les autres, Lionel pouvait voir une forme rouge foncé.

Intrigué, il a approché son visage de la coquille pour mieux en voir l’intérieur. C’est alors qu’une main s’est collée contre la paroi, les doigts écartés. Une main pourpre, bien fine, aux doigts anormalement longs.

Lionel voulait crier, mais aucun son ne sortait dans cette eau. Terrorisé, il souhaitait remonter le plus vite possible à la surface, mais il était comme collé à l’œuf. Il se noyait, tout simplement.

Puis il vit un visage à l’intérieur. Une vision encore plus cauchemardesque, horrible. Il comprit ce qui était à l’intérieur.

Et c’est alors que le réveil s’est mis à sonner.

Une sonnerie stridente dont il a horreur. Il pourrait se réveiller en douceur avec juste la radio, mais dans sa chambre, pour une raison qu’il ignore, impossible de capter convenablement la moindre station. Peut-être que son radio-réveil est trop ancien. En attendant de le remplacer, il en subit la sonnerie désagréable chaque matin. Celui qui a inventé cette sonnerie devait être un pervers, ou à moitié sourd.

Un frisson parcourt son échine. Vêtu d’un simple tee-shirt blanc crème et d’un caleçon bleu délavé, il se dit qu’il aurait dû mettre sa vieille robe de chambre avant de venir prendre son café. Il ne pensait pas qu’il faisait si frais dans l’appartement à cette heure-là, surtout à cette période de l’année.

Il porte la cuillère à la bouche, la lèche puis la repose sur la table en bois. Il attrape ensuite le mug et en vide le contenu d’un trait. Il a assez tardé, il faut qu’il aille se préparer maintenant.

Il recule bruyamment la chaise, et va poser le récipient dans l’évier en inox, au-dessus d’une des assiettes laissées là la veille. Il faudra qu’il songe à faire la vaisselle un de ces quatre, mais pas ce matin, il n’a pas le temps.

Il sort de la cuisine, en n’oubliant pas d’appuyer sur l’interrupteur pour en éteindre la lumière. Il se rend compte de son geste et a une pensée pour sa mère. Il se rappelle que lorsqu’il était tout jeune, sa mère lui faisait la chasse aux lumières allumées. Jamais il n’éteignait les plafonniers, même quand il allait aux toilettes, et sa mère n’arrêtait pas de le houspiller pour cela.

Il se demande si elle a su un jour que ce n’était pas par fainéantise, mais parce qu’il avait une sainte horreur du noir. Se retrouver dans l’obscurité c’était comme se retrouver dans les ténèbres, et ça impliquait forcément la présence d’êtres monstrueux et diaboliques. Cette phobie a duré jusqu’à l’adolescence à peu près. Il sourit.

Paix à ton âme, Maman !

Il traverse le couloir aux fenêtres sans rideaux. Chacun de ses pas provoque un léger craquement du vieux parquet.

Quelque chose l’intrigue et il vient juste de réaliser ce que c’est :le silence.

Il n’y a aucun bruit de circulation dehors et c’est quelque peu surprenant. Lui qui s’était habitué aux concerts de klaxons le matin depuis qu’il habite dans cette grande ville, voilà que leur absence le perturbe.

Il a pourtant mis quelque temps à s’y faire. Venant d’un village calme de province, s’installer dans une grande ville où le bruit est omniprésent n’était pas chose aisée. Les premières nuits furent assez difficiles, puis, avec le temps, le cerveau occulte les bruits ambiants.

Même s’il avait prévu de quitter son village quelque temps avant, venir vivre ici sur un coup de tête était risqué. C’était aussi sa manière à lui de se changer les idées, d’échapper à tout ça, depuis ce repas.

Mais il ne veut pas y repenser, pas en ce moment.

Il s’approche d’une des fenêtres et regarde à l’extérieur. Le ciel a cette couleur particulière quand il quitte la nuit et que le jour commence à se lever. Une sorte de gris opaque qui modifie toutes les couleurs du décor. Même si ici le décor reste à chaque instant gris clair.

En contrebas, la rue semble bien calme. À peine deux piétons de l’autre côté du trottoir, un balayeur sur la gauche, et là, juste en bas, un taxi passant au ralenti dont il entend à peine le moteur.

L’air de la fameuse chanson de Dutronc lui revient en tête. Sans doute que son parolier en a eu l’idée un matin comme celui-ci, qui sait ?

Un choc bref contre la vitre le fait sursauter.

— Merde !

Un oiseau vient de se poser brusquement sur le rebord de la fenêtre, son corps le long de la vitre. Un volatile, bien plus gros que les pigeons qu’il a l’habitude de voir ici et qui sont la plaie de ce genre de ville.

Lionel baisse les épaules et penche la tête pour mieux fixer la bête à plumes. Son œil est bien rond, complètement noir et sans reflet. Difficile de voir la couleur exacte du plumage de l’oiseau, mais vu sa morphologie, ça lui semble être une corneille, avec un bec disproportionné.

— Qu’est-ce que tu fous là, toi ?

L’oiseau penche la tête également, par mimétisme sûrement, puis avance une patte et tourne la tête vers la rue. Lionel l’observe quelques secondes puis relève son buste brusquement, comme s’il prenait subitement conscience qu’il se laissait emporter dans ses rêveries.

Ce n’est pas le jour pour traînasser !

Il fait demi-tour et pousse la porte en bois de la salle de bain, dans un désagréable grincement de gonds.

Il appuie sur l’interrupteur et regarde les affaires posées négligemment sur le dessus du lave-linge. La chemise bleu ciel, le pantalon gris, les chaussettes en boule et au-dessus un slip rouge. Il prend ce dernier et une des chaussettes qu’il approche de ses narines. Il fait une petite grimace. Autant il peut sans trop de soucis passer une journée de plus avec ses autres vêtements, autant il doit changer de sous-vêtements et de chaussettes.

Il récupère la seconde chaussette et avance vers le meuble blanc faisant face au petit lavabo. Il tire sur la poignée permettant au grand tiroir de s’ouvrir. Celui-ci contient déjà quelques tee-shirts et slips froissés en attente de lavage. Il y fait tomber ses trois bouts de tissus malodorants et referme le tiroir.

Il fait demi-tour et s’observe dans la glace au-dessus du lavabo. Les cheveux hirsutes, signe d’une nuit agitée sur l’oreiller, des sécrétions oculaires au coin des yeux, le visage blanc… Il se trouve quelque peu déconfit ce matin.

— Tu ressembles à un mort !

Il se passe la main sur le menton puis la joue. Ça râpe. Il s’approche du miroir. Autant ses cheveux sont châtains, autant ses courts et fins poils de barbe sont noir foncé. Étrange comment le corps change quand on vieillit. Lui qui avait une barbe si claire, qui poussait très peu en une semaine, voilà qu’elle est foncée et drue et qu’il doit se raser tous les jours pour éviter de ressembler à un porc-épic. La nature est étrangement faite.

— Allez, vire-moi ces poils disgracieux !

De la main droite, il baisse la tirette située derrière le robinet afin d’obstruer la bonde puis il tourne le croisillon d’eau chaude. Sa main gauche attrape le blaireau posé entre le pot à savon resté ouvert et le robinet, et le plonge quelques secondes dans l’eau du lavabo.

Après avoir tourné le blaireau sur le savon blanc, il effectue le même geste dans le petit bol blanc en céramique resté de l’autre côté du lavabo afin d’obtenir une fine couche de crème moussante. Il l’étale ensuite machinalement sur les joues et autour de la bouche.

Il laisse le blaireau dans le bol et se tourne pour attraper le coupe-chou sur une des étagères du meuble blanc.

Le tympan de son oreille droite se met à le gratter. Un drôle de sifflements fait entendre, comme le bruit d’une théière fin prête. Ce n’est pas très fort, mais le son est tout de même gênant.

Les murs ne sont pas très épais dans ces immeubles. Lionel pense que ce doit être le voisin du dessous qui a laissé son radio-réveil allumé. Sûrement le même modèle que lui. Le pauvre !

Le bruit s’intensifie, il ressemble de plus en plus à un crissement de frein aigu. Lionel ne va pas supporter cela longtemps.

Il déplie le coupe-chou et pose la lame sur le bas de son cou. Il se tourne pour suivre son rasage dans le miroir.

Sauf que le miroir ne renvoie pas que son reflet.

— Putain !

Par peur, sa main s’est crispée et la lame s’est enfoncée de quelques millimètres dans le cou.

Il cligne des yeux, il n’y a plus rien. Il se retourne, puis fait volte-face et regarde à nouveau le miroir. Il n’y a rien, rien que son reflet avec sa tête ahurie.

Il pose le coupe-chou sur le rebord du lavabo et s’approche du miroir, cou tendu.

— Quelle merde !

Une fine rayure rouge de quelques centimètres à droite sur son cou, d’où coule lentement, à son extrémité, une goûte bien ronde laissant sur son passage une traînée de sang mélangée à de la mousse.

Il prend le gant posé sur le rebord du lavabo, le plonge dans l’eau et vient le presser sur sa blessure. Des gouttes d’eau tombent sur son tee-shirt, d’abord de couleur claire, mais rapidement teintées de rose.

Il repense à ce qu’il vient de voir dans le miroir. Cette chose étrange apparue soudainement. Qu’est-ce que c’était ? Qui c’était ? Elle était là, juste derrière lui…

Il soulève un peu le gant pour voir où en est la coupure. Elle saigne moins. Il pense que l’alcool de l’après-rasage qu’il mettra tout à l’heure finira de la cicatriser.

Il regarde ses yeux dans la glace. Le blanc est parcouru de minuscules veines rouge foncé un peu partout. Sous ses paupières, sa peau semble un peu distendue.

Quelle idée de se lever si tôt, il n’a pas du tout eu son compte de sommeil ! Se forcer à être debout aux aurores pour aller bosser et rattraper son retard… Et tout ça pour quoi ? Pour la gloire ?

Comme s’il avait eu le temps de se reposer ces derniers jours et qu’il pouvait se permettre de raccourcir encore ses nuits.

— Voilà ce qui arrive quand on est autant crevé. Des hallucinations de merde !

Il plonge le gant dans l’eau et le remue. Qu’est-ce qui lui a pris de penser à une chose pareille ? Où est-ce qu’il a vu ça ? Une affiche de cinéma dans le métro ? Un vieux souvenir de film d’horreur ?

Le coup du miroir, c’est tellement cliché !

Il observe son gant, hésite quelques instants et relève les yeux vers le miroir. Seulement son pâle reflet. Il sourit devant le ridicule de son attitude.

— Imbécile !

Il sort le gant, l’essore et le plie en deux sur le bord du lavabo. Il reprend le coupe-chou et penche la tête à gauche pour terminer de se raser le cou et entamer le bas des joues.

Il regarde la fine ligne marquant sa coupure. Elle est rouge, mais ne saigne plus. Elle doit faire au moins quatre centimètres. Les clients vont la remarquer, forcément, et ce genre d’entaille ne part pas avant quelques jours.

Il approche la lame au-dessus du trait rougeâtre et effectue un mouvement de bas en haut, enlevant poils et crème dans un geste précis.

Une nouvelle fois, il se met à parler tout seul à voix basse dans la salle de bain.

— C’est bien fait pour toi… Après tout, c’est ce que tu mérites !

3

Il ne faut pas en reverser. Il paraît qu’il faut regarder droit devant soi et non le plateau.

Arthur trouve cela idiot. En quoi le fait d’agir ainsi empêches es bras de trembler et de provoquer un désastre ?

Il avance doucement dans le couloir menant au grand salon en fixant les tasses, le liquide brunâtre tanguant légèrement à chacun de ses pas. Il s’approche puis s’arrête à quelques centimètres du bureau. Il arrive dans son dos, hors de son champ de vision, et ne souhaite pas lui faire peur. Il ne voudrait pas qu’elle rate son dessin à cause de lui.

Il baisse un peu le plateau pour ne plus être gêné par la fumée des tasses, et la contemple.

Les cheveux châtains ondulés, tête penchée au-dessus du grand bureau en chêne, Mylène ne cesse de bouger sa main droite de façon saccadée. Seuls les grattements de crayon sur le papier épais se font entendre.

Arthur la contemple travailler. Elle a un coup de crayon incroyable. Il se demande toujours comment elle arrive à représenter de si belles choses en quelques traits ici et là. Cela a l’air si facile, si simple. Elle donne l’impression de faire un dessin qu’elle a fait mille fois de tête alors que c’est la première fois qu’elle l’imagine et le réalise. Il est à chaque fois subjugué.

Son talent lui est venu comme ça. Elle gribouillait souvent sur ses cahiers de cours et il lui avait fait plusieurs remarques déjà à l’époque sur ses talents artistiques. C’est une fois le bac en poche, au moment de choisir sa voie pour la suite de ses études, qu’il lui a dit qu’elle serait bête de ne pas poursuivre dans cette branche, qu’elle avait cette chose formidable entre les mains et qu’elle devait absolument l’exploiter. Elle s’était laissée convaincre. De toute façon, elle ne se voyait pas s’engager dans d’autres types d’étude. Le droit ne l’intéressait pas, les sciences non plus, et faire un parcours général à l’université pour repousser l’échéance du choix de son futur métier ne lui disait rien.

C’est ainsi qu’elle a intégré une des plus grandes écoles de beaux-arts du pays, qu’elle a exploité et amélioré son don pour devenir par la suite illustratrice dans une grande maison d’édition.

Au départ, les illustrations qu’ils lui faisaient faire étaient de tout genre, pour des ouvrages variés comme des encyclopédies généralistes ou des ouvrages ésotériques, voire occultes, ce que n’appréciait pas trop Arthur d’ailleurs.