Heptagon - Tome 1 - Davy Artero - E-Book

Heptagon - Tome 1 E-Book

Davy Artero

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Beschreibung

Rejoignez le club d'Antony, David et Tom et assistez à leurs terribles méfaits !

La monstruosité peut prendre n'importe quel visage, même celui de ces jeunes collégiens qui en se réunissant dans un lieu malsain, vont se retrouver à commettre les actes les plus horribles. L'adolescence. Période étrange où le corps se transforme, où l'esprit se façonne, où l'on se sent exclus de la société et où l'on se cherche. Certains, dépassés par ce qui leur arrive, décident d'y mettre un terme et de tirer au hasard quelques cartouches, d'autres suivent le troupeau sans se poser de questions. Antony, David et Tom, eux, ont choisi de se réunir, de former un groupe, un club, un club pour partager leurs idées.
Ils ont quatorze ans, leur remise en question leur fait voir la vie autrement. Sans s'en rendre compte, ils vont s'enliser mutuellement du mauvais côté, un peu plus chaque jour, sans relâche, dans une spirale infernale où l’issue est incertaine. Jusqu'où sont-ils prêts à aller pour leur nouvelle idéologie ? Une descente infernale. Et cela ne fait que commencer.

Parviendront-ils à s'arrêter avant de sombrer définitivement ? Enlisez-vous dans ce thriller fantastique absolument glaçant et monstrueux !

EXTRAIT

Antony voit des larmes couler sur les joues de la dame. Elle est terrorisée. Il ne ressent aucune gêne ni aucun remords. Ça lui est totalement indifférent. La nature reprend ses droits sur lui et c’est tout ce qui compte.
— Je vous en prie, essaye de dire la femme en reprenant difficilement son souffle entre chaque mot, vous êtes dans une maison de Dieu…
Antony ne supporte pas qu’on invoque Dieu pour tenter de le raisonner. Sans le vouloir réellement, il serre plus fort ses doigts autour de son cou.
— Tenez-vous tranquille, nous serons bientôt partis !
Tom termine de remplir le sac d’Antony et essaye de le soulever. Il ne pensait pas que ce serait aussi lourd un sac à dos plein de bougies. Il se relève et se cogne la tête contre la dernière étagère de bougies. Des bougies multicolores tombent sur le sol en laissant des traces de cire un peu partout. Tom regarde le résultat de sa bévue, qui lui donne une idée. Il pose le sac d’Antony près du sien et s’empare d’une bougie rouge tombée au sol. Le mur au-dessus de la dernière étagère est tout blanc. Il y dessine rapidement une étoile à sept branches, celle qu’il arrive à faire parfaitement de mémoire.
Antony se retourne pour voir si Tom a fini et il le voit en train de faire leur symbole au mur. Il ne sait comment il doit réagir. Est-ce bien ? Est-ce mal ? Antony a un doute et c’est une notion qu’il ne devrait plus avoir. Il se sent soudain perdu comme si son cerveau se rebellait et l’empêchait de réfléchir.
La jeune dame sent que l’étau d’Antony devient plus lâche au niveau de son cou et tente de le repousser pour reprendre son souffle. Elle arrive à glaner quelques centimètres et se met à tousser. Antony reprend ses esprits. Il doit continuer à maîtriser la vendeuse, c’est ce qui était prévu. Sauf qu’il est extrêmement énervé. Voir le symbole du clan le rend nerveux et cette femme l’agace maintenant au plus haut point. Il retourne sa tête et pousse la femme violemment contre le mur.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

L'auteur a su créer avec brio la descente aux Enfers ! Stressant et envoûtant, il démontre comment la folie peut s’emparer de nous sans prévenir. Je conseille fortement ce livre à tous les passionné(e)s d'horreur et de psychologie ! - Fellix, Booknode

Un horrifique qui monte en puissance, des personnages réalistes, en bref de quoi donner des sueurs froides. À découvrir ! - Blog Chroniques livresques

Un très bon roman, une belle évolution dans l'écriture de l'auteur, mais âmes sensibles s'abstenir ! - Blog Cocomilady

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Davy Artero

HEPTAGON

Grimoire des Sept Branches

Acte I - Hérétiques

À cette période sombre qu’est l’adolescence

Prologue

In Sorte Deus{1}

Mercredi 16 décembre – 15h33

Il n’a aucune idée du temps qu’il lui reste avant que tout ceci ne cesse enfin. Il soulève légèrement la manche de son épais manteau et regarde ce qu’indique sa montre. La nuit ne fera son apparition que dans trois heures. Il soupire. Il va falloir attendre patiemment, mais ça, il en était conscient depuis ce matin. Il est assis sur un vieux banc de bois sombre, aux multiples traces de coups et de griffures. Vêtu d’une longue parka noire à capuche, il regarde la fine lame du long couteau qu’il tient dans sa main droite.

La lumière pénètre par de petites et longues ouvertures en haut des murs. Sûrement d’anciens accès pour déposer le charbon dans cette partie de la cave. Lorsque la luminosité sera moindre, il prendra un des cierges dans la caisse posée près du banc et l’allumera avec son briquet, puis il allumera un à un ceux qu’il a disposés méthodiquement dans la pièce. Il ne fumait pas, mais il avait toujours un briquet dans son manteau au cas où. Tout comme le couteau qu’il portait en permanence à la ceinture depuis quelque temps. Il ne s’en était jamais servi jusqu’alors, tout du moins pas de cette façon.

Un frisson l’envahit. Il fait encore bon en ce milieu d’hiver, mais rester dans la même position pendant de longues minutes le rend sensible au moindre courant d’air. Il lève le talon de ses grosses chaussures de cuir noir et commence à remuer machinalement ses jambes, comme s’il battait la mesure contre la grosse caisse d’une batterie imaginaire, puis il fait parcourir machinalement un à un les doigts de sa main gauche sur la pointe de la lame. Il y a encore de fines traces de sang le long du fil jusqu’à la garde.

Il regarde le corps immobile de son ami allongé sur le ventre, tout près du banc, les mains bien à plat sur le sol composé de dalles grises. Son corps gît dans une mare de sang, qui s’étend derrière son cou, où viennent se refléter les quelques rayons de soleil provenant de l’ouverture la plus proche. Ainsi se termine la courte vie du Grand Prêtre autoproclamé. Ils n’avaient plus besoin de ces appellations ni de cette pseudo-hiérarchie. Tout ceci n’avait plus aucun sens désormais.

Il parcourt la pièce des yeux. Elle doit faire six mètres de large et le double de long, la hauteur ne doit pas excéder trois mètres. Chaque paroi est constituée de larges pierres grises et blanches. Le plafond est légèrement incurvé, comme on le faisait beaucoup à l’époque. Cet endroit a dû faire une parfaite cave pour entreposer des fûts de vin, c’est du moins ce qu’il s’imagine. L’accès se fait par le petit escalier de pierres tout au bout de la pièce, presque face au banc.

Son regard se porte à nouveau sur le corps au sol, puis sur la large porte en bois près du banc où il est assis. Il l’avait fermée à clé. C’était leur salle. Il n’ira pas aujourd’hui.

Vers le milieu de la pièce se trouvent deux larges piliers en marbre. Un de chaque côté, à un mètre de leur mur respectif. Une vieille caisse de bois, contenant divers petits outils qu’il avait utilisés tout à l’heure, se trouve devant le pilier droit. Ligotée au pilier gauche, son autre victime bâillonnée est encore inconsciente.

Il ne pensait pas que le produit l’assommerait autant de temps. Il a même cru un court instant qu’elle n’avait pas survécu à la deuxième injection une fois arrivée ici et que tout son plan tomberait alors à l’eau.

Elle devait rester vivante, c’était sa seule préoccupation. D’ici quelques minutes, elle commencerait à bouger puis à se réveiller, il le sent.

Il pose le couteau sur le banc, près du gros livre à la couverture épaisse sur laquelle est dessinée une sorte d’étoile difforme à sept branches, la même que celle présente sur l’écusson de son manteau. Il remet la capuche sur sa tête. Il ne faut pas qu’elle le voie et le reconnaisse. Pas pour le moment.

Le produit qu’il a bu avant de s’asseoir lui avait chauffé fortement la gorge et il s’était mis à saliver un long moment avant de ne plus avoir cette sensation de brûlure. Il n’a pas encore essayé de parler, mais il sait que sa voix sera méconnaissable, le produit ayant attaqué quelque peu ses cordes vocales. Ultime autoflagellation avant que le reste de sa machination se poursuive.

Il croise les bras et baisse la tête. Il lui reste un peu de temps pour profiter du silence et méditer.

Comment tout ceci a pu dégénérer à ce point ? À quel moment ont-ils tous perdu leur bon sens ?

En attendant le réveil de sa victime, il essaye de se remémorer l’histoire de leur clan. Un nouveau frisson l’envahit. Ce n’est pas la fraîcheur de la pièce ou son manque de mobilité qui en est la cause. C’est juste l’appréhension de se rappeler trop clairement certaines choses.

PARTIE 1 – DE L’OMBRE A LA LUMIÈRE

Auprès de ton humble et majestueuse aura

Soumis à ta volonté suprême et sans failles

Tous unis devant toi, en silence ils t’écoutent.

Attentifs au moindre désidérata

Réunis et courbés face à ta grandeur

Obéissants et admiratifs, ils délaissent leur ego

Tous unis tête baissée, en symbiose, ils t’approuvent.

Humains reconnaissant ton existence, prêts à te rejoindre au zénith

6 mai - page 4 - David BOTISGrimoire des Sept Branches

1

11 mois avant, vendredi 6 février – 8h44

Il est temps qu’il arrive car il commence à ne plus sentir ses doigts avec ce fichu froid. Il faut vraiment qu’il trouve un moment pour aller s’acheter une paire bien plus efficace et épaisse que ces simples gants en laine qui laissent passer le vent à travers leurs mailles. Il doit avoir assez d’argent de poche : une telle chose doit coûter bien moins cher que de l’encre de Chine !

Encore quelques mètres et il pénétrera dans la cour du collège. Il pourra alors se précipiter dans le hall et se coller les mains contre un des radiateurs en fonte près du grand tableau d’affichage.

Il ralentit la cadence en s’engageant sur la route menant à l’établissement scolaire. De nombreux élèves viennent des habitations avoisinantes et marchent sur la route, en tirant leurs cartables à roulettes, pour les plus jeunes, ou portant leur sac à dos à bout de bras. Certains sont seuls, d’autres en groupe s’agitant dans tous les sens. Quelques-uns fument comme s’ils l’avaient fait toute leur vie et qu’il était normal qu’un gamin de douze ans ait une cigarette à la bouche. Tout ça pour paraître plus grand, donner l’illusion d’être mature, mais lui il sait qu’ils s’enfoncent dans une dépendance dont ils mettront bien des années à se défaire, et encore, pour ceux qui y parviendront. Son père avait commencé au même âge et malgré plusieurs tentatives, il n’avait jamais réussi à s’en débarrasser une fois adulte, jusqu’à ce jour où il avait fait un infarctus qui lui avait permis de remettre en question toute une sorte de choses et lui avait fait arrêter cette mauvaise manie du jour au lendemain. Lui, il n’avait jamais essayé et il n’avait aucune intention de le faire de toute façon.

Quelques slaloms entre les différents élèves et les cars scolaires multicolores alignés sur le grand parking et c’est bon, il arrive.

— Eh ! Fais attention Samcro !

Il arrête le moteur pétaradant de sa mobylette bleu foncé et pose un pied au sol, laissant l’autre sur le repose-pied central. S’il s’agissait d’une belle cylindrée, sa position paraîtrait classe et naturelle, mais sur un tel engin, elle frisait le ridicule. Il défait les lanières de son casque intégral noir à bandes rouges et l’enlève. Il déplace la mèche de ses cheveux blonds de devant les yeux puis il tend la main à celui qui l’a interpellé juste après le portail.

— Salut David !

— Comment ça va Tom ?

— Aïe ! Doucement ! Ne serre pas trop fort, j’ai les mains complètement gelées !

— Non, mais tu m’étonnes ! Tu as vu la tronche de tes gants ?

Tom lui sourit et fait un signe de la main pour lui indiquer qu’il s’en moque.

— Bon, attends-moi, je range ma Harley et j’arrive !

Tom descend de sa mobylette et se met à la pousser par le guidon. David le suit vers le long garage couvert où sont alignés les vélos et les différents deux-roues motorisés des élèves, il regarde Tom faire sa manœuvre pour mettre son cyclomoteur roue arrière contre l’un des poteaux en acier fixés au mur du fond.

Tom Haborym est le plus âgé des copains de David. Il a redoublé sa première année de collège. C’est ce qui arrive quand on sort d’une école primaire où les classes sont engorgées et qu’on refuse tout redoublement, même dans l’intérêt de l’élève, pour ne pas avoir de sureffectif. Tom faisait beaucoup de fautes de conjugaison, beaucoup trop, ce qui lui avait valu de faire deux années de sixième afin de corriger ces lacunes, et quelques cours du soir en prime. Maintenant son niveau de français est très bon et certains professeurs lui ont même conseillé d’envisager une filière littéraire lorsqu’il sera au lycée, mais Tom ne se voit pas faire du français à longueur de journée et il n’y voit aucun intérêt. Il pense plutôt s’orienter dans une filière artistique car le dessin est ce qu’il adore par-dessus tout. Il se voit bien dessinateur de bandes dessinées ou illustrateur de bouquins. Il passe beaucoup de son temps libre à faire des croquis et des petites planches de comics, mais il trouve qu’il n’a pas encore un bon coup de plume et qu’il passe beaucoup trop de temps selon lui à faire et refaire des illustrations qui pourraient être faites en une seule fois, s’il était plus doué.

Le visage tout rond, les cheveux blonds mi-longs avec en permanence une mèche devant les yeux, Tom est de ceux qui ne savent pas encore quoi faire de la tignasse qu’ils ont sur le crâne. Coiffure ridicule d’une jeunesse qui se cherche, qui apparaît toujours désinvolte et fun sur le moment, mais qui est toujours source de moquerie lorsqu’on vieillit et qu’on regarde des photos de cette époque. Et toujours cette satanée mèche devant les yeux qu’il met sur le côté d’un geste machinal qui, à force, est devenu un tic.

David, lui, a les cheveux courts, même s’il aurait aimé avoir les cheveux plus longs comme ces stars de rock qu’il apprécie, mais il n’a pas assez de patience pour les laisser pousser. Contrairement à Tom qui a la peau assez lisse, David a la malchance d’avoir quelques boutons d’acné sur les joues, dont quelques-uns trop visibles à son goût. Autre inconvénient de cette période de l’adolescence. Il considère Tom comme son meilleur ami et souvent, il est l’un des seuls à supporter pleinement le festival de plaisanteries qu’enchaîne Tom pendant les intercours, même si de nombreuses blagues sont lourdes et tombent à plat.

David est plutôt du genre scientifique et se fait parfois remarquer en classe par ses interventions inopinées et insistantes sur des détails dont la majorité des autres élèves se moquent. Il adore les cours de technologie où il apprend à manipuler divers matériaux. Il s’amuse parfois à faire un peu de bricolage chez lui, ce qui ravit son père qui lui demande souvent son aide lors des différents travaux d’entretien de leur maison.

Tous deux élèves de quatrième dans un collège d’une petite ville, ils passent la plupart de leurs temps avec Antony Raum, le troisième larron de leur bande, qui ne tarderait pas à les rejoindre ce matin.

Ils se sont tous les trois connus ici, sur les bancs du collège. Venant d’établissements différents, ils ont appris à se connaître en cinquième. Tom, qui avait alors passé deux ans dans le collège, leur avait montré toutes les astuces, tel un « Ancien », et ils ont parfois recours encore à sa connaissance des enseignants pour savoir si tel professeur est plus ou moins indulgent dans sa notation que tel autre.

Tom attache sa mobylette au poteau avec son gros cadenas en métal. Il n’y a jamais eu de problèmes de vol dans ce collège, mais il vaut mieux rester prudent, et puis à force de se garer un peu partout, c’est devenu instinctif pour Tom. Il n’y a que lui dans la bande qui possède un tel engin. David et Antony ont tous les deux leur brevet obligatoire pour conduire un cyclomoteur, mais ils n’auront quatorze ans que dans quelques mois. Ils pourront alors tenter de négocier l’achat d’un deux-roues avec leurs parents et ensuite faire des virées avec Tom dans les environs, mais en attendant, c’est transport en commun ou voiture de papa et maman.

— C’est bon ! Allez, je file me réchauffer les mains moi, sinon je ne vais pas pouvoir noter quoi que ce soit ce matin !

— Sans déconner Tom, faut vraiment que tu changes ces gants, ils ont des trous partout ! Tu héberges une colonie de mites chez toi ou quoi ?

— T’es lourd ! dit Tom en lui faisant un clin d’œil, comme pour lui signifier que c’est lui qui sort ce genre de réplique normalement. Je sais qu’ils sont vieux ! J’irai voir si je peux en trouver d’autres la semaine prochaine.

Ils ouvrent la porte vitrée du hall et pénètrent à l’intérieur, sac à dos en toile plein de graffitis sur le dos. Ils restent adossés quelques minutes contre un grand radiateur en fonte peint en rose pâle avant d’être rejoint par Antony, quelques secondes avant la sonnerie indiquant le début des cours.

— Et merde, encore à la bourre ! dit Antony.

— Les jours se suivent et se ressemblent, ironise Tom. Allez bosse bien ! À tout à l’heure !

Antony est le seul à être dans une autre classe, qu’il considère comme puérile. Il est du genre solitaire pendant les cours et lors des travaux pratiques de sciences où il faut se mettre en binôme, il a parfois du mal à trouver, et surtout accepter, un partenaire. En dehors des cours, il ne côtoie quasiment aucun de ses camarades de classe. Il ne se sent vraiment bien qu’en compagnie de David et Tom, et adore les taquiner. Antony dépasse ses deux acolytes d’une bonne dizaine de centimètres et doit approcher le mètre quatre-vingt. Cheveux bruns et corps fin, c’est le seul à ne pas encore se raser. Il a en permanence un duvet fin grisâtre au-dessus des lèvres et au bout du menton, ce qui le fait paraître plus vieux que Tom, au grand dam de celui-ci.

Antony leur fait un signe de la main et se dirige vers les salles de sciences, traînant ses baskets à chacun de ses pas. Tom et David délaissent avec regrets le radiateur à eau pour rejoindre leurs camarades de classe alignés devant la salle d’histoire, prêts à attaquer une nouvelle journée ordinaire de collégiens.

2

Le même jour – 9h36

David et Tom sont assis côte à côte, au dernier rang, devant une table à la large planche de contreplaqué qui a subi les attaques de gravures effectuées à la pointe de compas et qui comporte diverses inscriptions faites au marqueur indélébile par les nombreux élèves passés ici. Ils recopient sur leur feuille de classeur ce que marque la prof d’histoire-géographie à la craie sur le grand tableau vert, David au stylo à bille et Tom avec son stylo-plume noir.

Tom est assidu en cours d’histoire, David un peu moins. Il préfère lorsque la dame au chignon poivre et sel leur dispense des cours de géographie, les choses concrètes ça l’intéresse bien plus. Le temps qu’elle termine d’écrire sa ligne au tableau, David observe ce qui se passe dehors à travers les vitres des grandes fenêtres en aluminium. Il voit l’autre aile du bâtiment, là où se situent les salles de langues, et la rangée d’arbres qui bordent l’allée menant à la grande cour de bitume de l’autre côté où les élèvent passent leur intercours. Des corbeaux s’amusent à passer d’arbre en arbre, comme pour tester la vue qu’ils ont sur telle ou telle branche. Ils lui rappellent les merles et les moineaux qu’il peut apercevoir chaque matin lorsqu’il sort de chez lui.

David vient d’un petit village isolé à une quinzaine de kilomètres. Il vient en bus scolaire qui passe le chercher vers huit heures dix tous les matins, au dernier arrêt avant que le bus aille au collège. Et comme il est le dernier parti le matin, le soir il est déposé également en dernier près de chez lui vers dix-huit heures. Antony vient du même village que lui, mais sa mère l’accompagne chaque matin en voiture, avant de partir travailler au cabinet vétérinaire qu’elle tient avec un confrère dans une petite ville non loin de là. Le soir il prend le bus en compagnie de David, ce qui permet aux deux acolytes de s’entraider sur certains devoirs, et de faire passer agréablement la longue tournée du bus en blaguant. Antony avait emménagé dans ce village il y a bientôt deux ans et avait pris la sixième en cours de route. Malgré la différence de niveau, qui était plus faible dans son ancien collège, il était parvenu à avoir des résultats convenables malgré tout.

Tom vient d’un autre village se trouvant à peine à cinq kilomètres de celui de David et à une douzaine de kilomètres du collège. Il devait descendre une grande côte pour rejoindre la route de l’établissement. Il trouvait amusant de faire ce trajet le matin, tentant chaque fois de battre un record de vitesse, courbé au maximum sur sa mobylette en essayant d’avoir le moins de prise au vent. Malgré tous ses efforts, il n’avait jamais réussi à dépasser le soixante-dix kilomètres-heure, ce qui était déjà fort louable pour une mobylette non trafiquée. Le trajet l’amusait beaucoup moins en fin de journée lorsqu’il devait rentrer. Monter la côte à quarante-cinq lui donnait toujours l’impression d’aller aussi vite qu’un cycliste, et d’avoir le temps de cueillir les pâquerettes sur le bord de la route.

— Vivement ce soir ! J’en ai déjà marre ! dit David à Tom à voix basse.

— Courage ! Et puis ce soir, c’est les vacances ! dit Tom.

— Enfin ! Et du coup, tu viens demain après-midi ou pas ?

— Non, on va devoir annuler. Je pars au ski avec mes parents demain et on décolle de la maison à l’aube.

— Dites donc vous deux, interrompt l’institutrice, ça vous ennuie de revenir avec nous et Charlemagne ?

Tom s’apprête à répondre, mais David lui donne un coup de coude.

— Non non, m’dame… répond David.

Tom regarde David, qui le fixe en pinçant ses lèvres, et sourit. David devait se douter qu’il allait sortir une ânerie une nouvelle fois. Dommage, il avait une bonne réplique pour la prof en faisant allusion à la chanson bien connue sur ce roi.

À la fin de la journée, ils sont en vacances scolaires pour deux semaines. Tom allait passer ses vacances en famille dans les Alpes, comme chaque année. À force, il devenait de plus en plus à l’aise sur les skis, même s’il remettait toujours quelques heures en début de vacances à retrouver les bonnes attitudes du skieur. Il alternait ski de fond et ski alpin. Il avait essayé le snowboard une fois, mais avait passé le plus clair de son temps les fesses dans la neige. Il avait donc abandonné cette façon de skier, pourtant de plus en plus prisée par les jeunes, et se contentait du ski traditionnel qui lui procurait assez de sensations, surtout quand il s’amusait à dévaler les longues pistes tout schuss.

Ce n’est pas David ou Antony qui pourraient le charrier là-dessus. David n’avait fait qu’une semaine de ski dans sa vie, dans les Pyrénées avec ses parents et ses cousins, et il n’avait fait que du ski alpin, ce qui lui avait bien plu et il avait pu dépasser le stade du ski en chasse-neige très rapidement, mais il n’y était jamais retourné depuis deux ans, faute de moyens. C’est dépaysant et très sympathique comme vacances, mais elles reviennent vite chères. Et les revenus modestes des parents de David ne permettaient pas de partir en congés l’hiver et l’été. Ils privilégiaient plutôt les vacances d’été, plus importantes aux yeux du père de David. David passerait donc ses vacances chez lui à faire des jeux sur son ordinateur ou à se balader en vélo, s’il n’y a pas trop de mauvais temps.

Antony n’avait jamais pu aller aux sports d’hiver. Le travail de sa mère, qui était primordial pour elle, ne lui permettait pas de prendre des congés pendant cette période. Cette tendance à privilégier son travail plutôt que sa famille avait été l’une des causes de la rupture de ses parents. En compensation, son père essayait alors de passer du temps avec son fils en faisant des promenades en VTT, mais c’était avant qu’il intègre le collège. Cette année encore, Antony irait sûrement passer les vacances chez son père, qui vit désormais dans le centre de la France depuis qu’il est divorcé, et se contentera de la console de jeux et du lèche-vitrines dans les rues commerçantes jouxtant la maison.

David sait que ces vacances vont lui faire du bien. Il pourra faire des grasses matinées comme bon lui semble. Les réunions du week-end avec Tom et Antony vont lui manquer, c’est sûr, mais ce n’est que pour deux semaines. Ça va passer vite.

David regarde sa montre à aiguilles. Encore vingt minutes de cours et ils auront la pause de la matinée, ils pourront aller discuter un peu avec Antony et plaisanter. Il a hâte.

3

Samedi 28 février – 16h16

Antony et David sont assis sur le vieux banc en bois près du lavoir, jambes tendues et mains dans les poches. Le banc est plein d’écailles malgré le fait qu’il semble avoir été peint une bonne centaine de fois tellement la couche de peinture est épaisse. La poubelle en acier verte rouillée, placée à côté du banc, contient un vieux journal et leurs deux canettes de soda vides qu’ils viennent d’engloutir.

Ils entendent le bruit caractéristique du moteur détonant d’une mobylette.

— Ah ! Voilà la cavalerie ! dit David

Antony ne bronche pas, un long brin d’herbe dans la bouche, perdu dans ses pensées. Il regarde fixement le petit bassin d’eau sombre. Entièrement bordé de larges pierres plates et lisses, le bassin de quatre mètres carrés est un des rares vestiges du village. Les fermières et autres paysannes du coin venaient ici faire leurs lessives il y a quelques siècles, et étendaient leurs linges sur les grosses poutres de bois suspendues tout autour. Elles commencent à faire grise mine les poutres, et leurs attaches en fer forgé sont bien rouillées par endroits. Pas sûr qu’elles tiennent longtemps, et il ne faudrait pas que quelqu’un s’appuie fortement dessus. Ils n’avaient jamais essayé car ils ne voulaient pas dégrader l’endroit, leur endroit.

Le bruit se fait de plus en plus fort. Tom apparaît dans l’angle de la rue menant au lavoir. Il monte sur la pelouse bien rase bordant le plan d’eau et arrête le moteur.

— Salut les filles ! dit-il après avoir retiré et posé son casque sur son petit rétroviseur ovale.

Tom est rentré de ses vacances de ski le week-end dernier juste avant la reprise des cours du collège. Comme tous les ans, il est revenu au dernier moment. Et comme l’an dernier également, il a passé la première journée de cours à se faire charrier par ses amis sur son bronzage typique du montagnard, avec la fameuse trace blanche ridicule autour des yeux, provoquée par les lunettes de protection. Heureusement pour lui ce bronzage ne reste pas longtemps et il s’est peu à peu estompé cette semaine. De toute façon, sa mèche était constamment là pour masquer un peu la marque.

— Salut ! Un peu plus et Antony se tapait ta canette ! dit David en désignant la canette rouge posée à l’autre bout du banc.

— Oh ça va ! Je n’ai rien loupé, je parie ! dit Tom en mettant sa mobylette sur la béquille et ouvrant son blouson.

Presque tous les week-ends, quand le temps le permet, ils se retrouvent là, autour du lavoir couvert du village de David et Antony. Leur point de chute à eux. Ils passent une ou deux heures à parler de tout et n’importe quoi, des petits évènements ayant eu lieu au collège, de musique, de films à l’affiche au cinéma ou des séries vues à la télévision. Ils se voient toute la semaine, mais cette réunion en dehors du collège leur donne l’impression de pouvoir partager plus de choses, de se laisser aller aux confidences qu’ils ne pourraient se faire dans l’enceinte de l’établissement, de peur qu’elles atterrissent dans des oreilles baladeuses de gamins trop curieux.

Ils se racontent parfois des histoires cochonnes, mais ne semblent pas intéressés par la gent féminine ou le sexe pour le moment, ou alors ils ne se l’avouent pas. Il est vrai que la maturité chez les garçons est bien plus tardive que chez les filles, et malgré les bouleversements hormonaux qui arrivent aux hommes à cette période de leur vie, ils ont tendance à garder un esprit infantile, et ils sont plus intéressés par la revue sur les dernières deux-roues bidouillées que sur celle des playmates en petite tenue dans des positions peu naturelles.

Tom vient serrer la main de ses amis puis prend la canette et l’ouvre. Il s’affale sur le banc à côté d’Antony.

— On réfléchissait à un nom de club, dit Antony.

— Mais on n’a aucune idée ! poursuit David.

— Un nom de club, pour quoi faire ? demande Tom en essuyant le coin de sa bouche avec le revers de sa manche après avoir bu une gorgée de soda.

— Comme ça ! Ça fait cool, un nom ! C’est classe ! dit David.

— Mais bien sûr ! Un peu comme le Club des Cinq ! Sauf qu’on n’est que trois, dit Tom hilare.

Antony sort la main gauche de sa poche et donne une pichenette sur le bas de l’oreille de Tom.

— Aïe ! Mais quoi ?

— Ce que tu peux être con parfois, franchement !

— C’est vous qui n’êtes pas marrants ! dit Tom en se tenant l’oreille comme pour l’arrêter de vibrer. C’est bien de se trouver un nom, mais il va falloir être inventif car des noms de club, il y en a des tas !

— Ouais bah moi, je ne trouve rien ! dit David.

— Les trois Compagnons ? dit Tom en se reculant un peu d’Antony.

— Faudrait un seul mot, dit Antony.

— Triomino ?

— Putain Tom, t’es chiant ! dit David.

— Vous avez vraiment du temps à perdre ! dit Tom, avant de reprendre une nouvelle gorgée. Bon sinon, vous avez écouté le dernier album des Four Hoursemen ?

— Je ne savais même pas qu’ils en avaient un nouveau, dit David. Il est bien ?

— Pas mal, pas mal. Ils reviennent à du pur heavy métal, ça déchire !

— Pendant mes vacances, je me suis pris des disques de métal, dit Antony. Je traînais dans le rayon rock et métal dans un grand Virgin non loin de là où mon père habite, et j’ai pris deux trois disques en fonction des pochettes ! Je n’ai pas encore eu le temps de les écouter par contre !

— Et tu n’as pas pris celui du plus grand groupe de rock de tous les temps ?

— Ils ne l’avaient pas encore. Il n’est pas encore sorti d’ailleurs ! Tu n’aurais pas fait un peu de téléchargement illégal, toi ?

— Heu… Je ne parlerai qu’en présence de mon avocat ! Et alors, c’est quoi tes disques ?

— Faudra que je te redise… Les noms sont tous écrits en caractères déformés, ce n’est pas évident à lire ! C’est du black métal apparemment.

— J’en ai déjà entendu une fois, dit David. On a l’impression que le batteur est directement branché sur une prise électrique et que le chanteur s’arrache la gorge !

— C’est sûrement trafiqué par ordinateur, dit Tom. Et ça se laisse écouter ou ça donne envie de vomir comme ce fichu rap américain ?

— Je ne m’en souviens plus, dit David.

— Je vous dirais ça quand je les aurais écoutés, dit Antony. Sinon je les revends sur Internet !

Tom, David et Antony passent le reste de l’après-midi à parler musique et achats de disque, avant de dévier sur les achats de musique en ligne, sur le Net. Toujours de grandes discussions, ponctuées de petites tapes entre eux lorsqu’il y a une plaisanterie de lâchée, histoire de passer un bon moment. Tom repartira vers dix-huit heures trente, en faisant pétarader son engin, Antony et David rentreront ensemble à pied jusqu’à la première intersection où chacun ira de son côté rejoindre son habitation. Les trois amis n’ont pas trouvé de nom pour leur club. Ce point leur est même sorti de l’esprit au fil de leur discussion. Antony sait ce qu’il va faire en rentrant : écouter ses disques de métal afin de se donner une idée et voir si le contenu musical est aussi bien que le contenant très imagé.

4

Jeudi 5 mars – 19h45

La lumière de la petite lampe de bureau se reflète sur la vitre de la fenêtre et ce petit halo de lumière, au milieu du carreau, le gêne. Il recule sa chaise et se lève pour ouvrir la fenêtre à la droite de son bureau. Un petit courant d’air frais lui cingle légèrement le visage. Le temps s’est bien rafraîchi ce soir, il ne serait pas étonnant qu’il découvre un paysage couvert de gel demain matin lorsqu’il ouvrira les volets. Pour le moment ça n’a pas d’importance car il va au collège en voiture, mais lorsqu’il devra y aller par ses propres moyens, ce sera bien plus préoccupant.

Antony jette un coup d’œil rapide à l’extérieur. L’éclairage de la chambre illumine le jardin sur quelques mètres autour de sa fenêtre, le reste n’est pas visible. Il fait déjà nuit dehors et ce n’est pas le petit bout de lune présent ce soir dans le ciel qui va éclairer le reste du paysage. Antony attrape les volets en bois et les ramène à lui. Après les avoir attachés, il ferme la fenêtre, tire les fins rideaux bleus et retourne s’asseoir.

Antony a une petite chambre dans la maison de sa mère, qui est finalement sa maison principale. Chez son père, il y a aussi une pièce pour lui, mais c’est plus une pièce d’ami qu’une véritable chambre car elle n’est pas personnalisée et il y a très peu d’objets lui appartenant. Dans cette pièce-ci, la moindre parcelle des neuf mètres carrés à sa disposition est recouverte d’objets et jouets en tout genre. Ici un ballon de basket, là quelques jouets de construction, dans un coin diverses bandes dessinées… Un vrai capharnaüm. Le moindre bout de mur disponible est aussi utilisé et des petits posters de groupes de musique, des photos et autres cartes postales recouvrent le papier peint. Une grande affiche de film fantastique de Ridley Scott est ainsi juste à côté de son lit, fixée au mur.

Il fait toujours ses devoirs dans sa chambre, sur son bureau, qui paradoxalement est extrêmement bien rangé, et il met toujours une musique de fond, soi-disant que ça l’aide à se concentrer. Il reprend son stylo et lit une nouvelle fois le problème de mathématiques qu’il doit résoudre pour demain. Il ne sait pas par quel bout le prendre. Il commence à tracer à l’aide de sa règle la figure sur lequel porte l’énoncé. Sa règle bute sur le boîtier de CD qu’il a posé devant son petit poste radio-CD. Il pose la règle et prend le boîtier dans les mains.

Dommage que les pochettes soient si petites, il a du mal à voir les différents détails des illustrations. À l’époque de ses parents, il y avait ce qu’ils appelaient le vinyle, sorte de grosse galette plate à sillons avec un son pourri, mais une taille de pochette énorme. Son père en avait encore en sa possession près de sa chaîne hi-fi, et quand Antony allait chez lui, il lui arrivait de fouiller un peu dans sa discothèque rien que pour admirer les détails des grandes couvertures, même s’il ne connaissait pratiquement aucun des groupes ou interprètes marqués dessus. Il adorait la pochette de The Wall et de l’album des Beatles où il y avait tous ces personnages d’une autre époque autour d’un parquet de fleurs.

Le compact-disc était un bon support, avec un son impeccable, mais avait pour principal défaut cette miniaturisation des pochettes. Et ce souci n’allait pas s’arranger dans les années à venir. Avec l’avancée de la technologie numérique, il faudra bientôt changer de support. Quel que soit le prochain support retenu, clé USB ou minidisque Blu-ray, Antony se dit qu’il faut qu’ils trouvent une solution pour revenir à une taille de pochette plus convenable, plus visible. Il pourrait se contenter d’avoir des fichiers numériques sur son baladeur et ne pas acheter de « vrais » disques, mais il aime avoir l’objet entre les mains. À l’époque du tout numérique, avoir encore quelque chose de concret le liant quelque part à l’artiste était comme un luxe pour lui, voire un privilège.

Antony tourne l’objet pour voir les titres des chansons et les dessins répugnants qui illustrent le dos du boîtier. Il reconnaît l’air qui sort des petites enceintes de son appareil et tourne le bouton afin d’augmenter le volume. C’est la chanson qu’il préfère dans cet album, il adore l’ambiance pesante en fond de ce titre et les chœurs féminins. Ce titre lui donne l’impression qu’il s’agit de la bande-son d’un film d’horreur. La voix du chanteur lui donne même des frissons.

Il a écouté les trois disques de black métal qu’il a pu acheter pendant les vacances, grâce à la générosité de son père. À part un qui est très moyen, il apprécie les deux autres. Difficile de comprendre toutes les paroles chantées, les voix sont trop nasillardes ou au contraire très gutturales, et le débit est vraiment trop rapide pour distinguer nettement les différents mots. Il ne regrette pas d’avoir découvert ce genre de musique, même si elle est jugée anticonformiste par beaucoup. De toute façon, chaque style en son temps a provoqué les levées de boucliers des gens bien-pensants. Il paraît que même lorsque Elvis a fait connaître le rock’n’roll, les gens ont crié à l’hérésie ! Écouter ce style de musique lui donne l’impression qu’il est effectivement en dehors de la normalité, et il adore ça.

Antony regarde les illustrations du boîtier en se caressant son petit bouc naissant. Il faudra qu’il prenne un peu de temps pour se renseigner sur ces représentations et, par la même occasion, trouver les paroles et les traductions des titres sur Internet. Il ira voir lorsque sa mère s’absentera, afin qu’elle ne soit pas au courant et s’inquiète pour rien. Peut-être ce week-end, vu qu’ils ne feront pas de réunion avec Tom et David. Comme sa mère travaillait, il était réquisitionné pour garder la maison. Vivement la majorité !Antony pose les yeux sur son cahier. La figure qu’il a commencé à tracer n’est même pas complète. Il faut qu’il se concentre sur ses devoirs sinon il n’aura jamais fini lorsque sa mère va l’appeler pour venir manger. Il pose le boîtier sur le radio CD et baisse le volume de la musique. Il relit une nouvelle fois l’énoncé du problème de mathématiques, en essayant cette fois de ne pas penser à autre chose.

5

Mardi 10 mars – 14h25

Mais où a-t-il pu trouver tous ces prénoms imprononçables ? Antony regarde les différents noms des personnages sur le polycopié recto verso distribué par le professeur de Français. « Oreste », « Pylade », ils avaient vraiment des patronymes aussi alambiqués les Grecs à cette époque ? Antony est cependant admiratif en lisant cet extrait d’Andromaque. Les rimes plates, comme l’a indiqué ce brave professeur Hanbu, se suivent avec une facilité déconcertante. Il paraît que ce ne sont que des Alexandrins, et qu’il y en a plus de mille six cents dans cette œuvre de Racine. Antony essaie de compter les vers, mais n’ayant jamais vraiment compris comment ceux-ci se repéraient, il ne trouve pas que chaque ligne est composée de douze vers, mais bon si le professeur le dit, c’est que c’est vrai. Ce travail a dû être fastidieux pour l’auteur. Antony aussi aime écrire, mais jamais il ne s’est essayé à faire de la poésie. Trop compliqué et bien trop pénible selon lui.

Il appréciait les cours de Français, non pas à cause de la matière qui était souvent rébarbative avec ces études de textes d’auteurs morts, mais plutôt à cause de l’enseignant. Monsieur Hanbu était très pédagogue et ponctuait ses cours très sérieux et ennuyants par de petites remarques ironiques à l’anglaise, pas toujours comprises par l’ensemble des élèves, mais qui plaisaient à Antony. Ce dernier s’amusait parfois à comptabiliser le nombre de boutades prononcées par le professeur pendant l’heure de cours en traçant des bâtons dans la marge de son cahier. Ça faisait passer le temps lors d’études indigestes de documents qu’il ne relira jamais de sa vie. C’était l’un des rares professeurs du collège à être constamment en costume. Ses vestes et pantalons étaient certes démodés et souvent dépareillés, mais il présentait bien et il donnait tout de suite l’impression d’avoir affaire à quelqu’un de cultivé et d’intelligent, ce qui se confirmait lors de ses cours par sa manière d’enseigner.

Le professeur se promène doucement dans les rangs pendant que les élèves lisent le texte en silence. Comme à son habitude, Antony a lu très rapidement le texte et il s’amuse à faire de petits dessins avec son stylo-plume sur le haut de la feuille en attendant que les autres élèves de sa classe finissent leur lecture. Il repasse plusieurs fois sur les traits de l’étoile qu’il vient de dessiner avant de relever les yeux. Le professeur se tient devant sa table et le regarde tête baissée.

— Que faites-vous, monsieur Raum ? demande à voix basse le professeur.

Antony regarde le professeur, interloqué, et regarde à nouveau sa feuille. Deux pentagrammes sont tracés sur la feuille. Il voit constamment ce dessin sur ses disques et a essayé de le reproduire. La façon dont cette simple étoile réalisée d’un seul trait peut, en rajoutant quelques coups de crayon sur les pointes, représenter une tête de bouc cornu, lui plaît.

— C’est un logo, répond-il un peu gêné.

Le professeur le regarde d’un air dubitatif, comme s’il cherchait à savoir si Antony avait conscience de la signification du symbole. Il pose les deux mains sur la table et se penche, comme s’il souhaitait rester discret vis-à-vis de la classe.

— Ce logo est désuet et est devenu grotesque. Si j’étais vous, je chercherais quelque chose de plus original, qui soit plus en accord avec ce que vous êtes, dit le professeur en faisant un clin d’œil.

Antony acquiesce sans rien dire. Le professeur enlève ses mains de la table et poursuit sa promenade entre les rangs. Il pensait récolter une punition ou a minima une remarque désobligeante sur le fait qu’il ne prend pas soin des polycopiés fournis pendant les cours, mais rien. Juste cette curieuse remarque, dit d’une façon étrange, qui lui a donné l’impression d’être un conseil.

Antony suit des yeux la déambulation nonchalante de monsieur Hanbu et revient à sa feuille. Il prend son flacon de correcteur blanc et le dévisse. Il commence à sécher, il va falloir qu’il pense ce soir à en prendre un neuf dans son bureau. Il passe délicatement le pinceau sur le haut du polycopié et les pentagrammes disparaissent sous la fine pellicule de peinture blanche.

6

Samedi 21 mars – 17h20

— Je te préviens, si tu la fais tomber dedans, je t’encastre la tronche dans le banc !

Si David ne le retenait pas, Tom se serait jeté sur Antony et lui aurait sûrement collé un bon coup de poing sur le nez, copain ou pas. Il était rare de voir Tom aussi énervé, lui qui était constamment de bonne humeur et prenait que rarement la mouche lorsqu’on le taquinait, mais là, il était vraiment en colère. Il est vrai qu’Antony devenait de plus en plus provocateur et Tom était devenu la principale cible de ses railleries. C’était sans doute pour lui une façon de lui montrer son amitié, mais c’était par moments très agaçant et là, il s’en prenait au bien personnel de Tom, c’était pire.

Antony tourne une nouvelle fois la poignée de gaz de la mobylette de Tom, le bruit strident du moteur s’amplifie et la roue arrière tourne de plus en plus vite provoquant de longs jets d’eau vers l’autre côté du lavoir. Tom, qui n’est pas vraiment prêteur d’habitude, avait cédé aux supplications d’Antony qui le tannait depuis le début de l’après-midi pour faire le tour du pâté de maisons sur sa mobylette. Il prétextait hésiter entre deux modèles de cyclomoteurs et souhaitait tester l’engin de Tom pour savoir si l’achat d’un modèle équivalent pour ses quatorze ans était la bonne solution. Pour ne pas se froisser avec son ami, Tom avait accepté.

Tom et David discutaient du dernier épisode de leur série fantastique préférée sur le banc du lavoir quand Antony est revenu de son petit tour en mobylette sans casque, qu’il avait laissé sur le banc. Faisant fi de la ranger à reculons près du lavoir, il a plongé la roue arrière de quelques centimètres dans le bassin et maintenu la mobylette en équilibre en serrant fort la selle avec ses jambes. Il donne des à-coups sur la poignée d’accélérateur pour faire tourner la roue arrière dans l’eau de plus en plus vite. La fumée du petit pot d’échappement provoque un petit brouillard autour des pieds d’Antony, et le mélange sonore du moteur deux-temps et des jets d’eau est insupportable. David, qui a beaucoup moins de force que Tom, commence à avoir du mal à retenir son ami. Ne voulant pas que la situation dégénère, il tente de calmer Antony.

— Bon arrête maintenant, tu vas nous attirer des ennuis avec le voisinage en faisant tout ce boucan !

Antony lâche la poignée et avance la mobylette sur la pelouse. Il met le cale-pied, coupe le moteur et se dirige vers David et Tom. Cette petite séance lui a bien plu et il a encore le sourire aux lèvres. David le regarde sans rien dire, Tom va vers la mobylette en ignorant Antony lorsqu’ils se croisent. Vu comment il était rouge de colère, David pensait qu’il allait attraper Antony par le col au passage. Il est plutôt ravi que ce ne se soit pas passé ainsi.

— Je pense que je vais prendre le même modèle, c’est assez sympa au final ! dit Antony en se rasseyant sur le banc.

Tom fait le tour de son engin pour vérifier que rien n’a été sali pendant la brève escapade de son ami, et le rapproche du banc.

— Et quand il pleut, elle tient bien la route ? demande Antony

— Il a plu toute la semaine, Tom est toujours arrivé en entier au collège ! dit David en donnant une petite tape dans le dos de Tom.

— Si tu n’avais pas annulé notre réunion habituelle du week-end samedi dernier, tu aurais pu la tester sous la pluie, dit Tom en essayant de retrouver une humeur plus joviale après ce long moment de stress.

— Faudra que je fasse comme toi, me prendre un surpantalon imperméable pour les jours où il flotte. J’ai hâte de l’avoir !

— Ce sera quand, alors ? demande David.

— La semaine prochaine ou celle d’après… Ça va dépendre de l’humeur de ma mère. J’espère que je l’aurai avant les vacances de Pâques !

— Ce qui est cool, c’est que tu vas pouvoir arriver à l’heure le matin ! lance Tom.

— Ça, c’est sûr ! Et je vais être surtout moins dépendant de ma mère !

— C’est le début de la liberté, mec ! lance David.

Un couple de retraités passe sur la route, suivi de leur chien bâtard, truffe au sol. Les trois copains regardent ces gens âgés passer en silence. La vieille dame leur sourit et son mari les regarde du coin de l’œil. David, Tom et Antony disent bonjour en même temps. Ils attendent que le couple passe pour reprendre leur discussion. Le chien, sorte de fox-terrier à poil lisse, vient près du banc renifler les roues de la mobylette avant de lever la patte arrière. Tom tape du pied au sol pour éloigner l’animal. Extrêmement courageux, le chien s’en retourne et se met à courir pour rejoindre ses maîtres.

— Un jour, faudrait qu’on trouve un autre point de chute, lance Antony.

— C’est vrai que je commence un peu à en avoir marre de ce banc ! dit David en grattant avec son ongle le bord du banc écaillé.

— Il y a bien l’arrêt des cars au bout du village, dit Tom.

— Le cube tout vitré, là ? Tu parles d’un endroit ! Super intime en plus, toutes les voitures qui passent te reluquent !

— Et en plus, ça ressemble à une énorme cabine de douche, c’est naze ! surenchérit David.

— Excusez-moi les gars, mais c’est votre village, pas le mien. Moi je ne connais que ça, ici. On peut trouver un truc par chez moi sinon, dit Tom.

— Y a bien une vieille bâtisse abandonnée pas trop loin de chez moi, dans le haut du patelin, lance David.

— Un truc qui tombe en ruine qu’on risque de se prendre sur la gueule ? Non, merci ! dit Tom.

— Mais non, c’est du solide ! Ça fait des années que c’est là. Le terrain est tout tordu, plein d’herbes super hautes et la baraque est tout au fond. Y a pas plus discret !

— Ça donne envie ! Je ne viens que si c’est rempli de vipères, de chauves-souris et que c’est bien hanté !