Heptagon - tome 3 - Davy Artero - E-Book

Heptagon - tome 3 E-Book

Davy Artero

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Beschreibung

Rejoignez un univers fantastique glaçant, baigné par le mal...

Après toutes ces années, le mal est sur le point de régner en maître, partout. Ce n'est plus qu'une question de jours avant que sa terrible soif de vengeance soit assouvie. Se réveiller aussi brutalement et être plongé dans un monde qui n'a rien à voir avec celui qu'on a connu, il ne le souhaite à personne, mais c'est pourtant sont cas. Être au centre de toutes les attentions et avoir une si lourde responsabilité sur l'avenir de tous ces gens, il s'en serait bien passé. Il a perdu tout repère et il ne comprend rien à cette nouvelle façon de vivre.
Pourquoi a t-il fallu que ce soit lui ? Ne pouvaient-ils pas le laisser tranquille ? Rester endormi à jamais aurait sans doute été préférable... Il y a un temps pour tout, même pour la plus sordide des histoires. Et le temps est venu d'y mettre un terme.

Découvrez sans tarder le troisième tome de ce thriller psychologique absolument glaçant et horrifiant. Ce livre vous laissera sans voix !

EXTRAIT

Face à lui se trouve l’homme en noir, debout devant le lit, capuche rabaissée sur le haut de la tête, le visage couvert de petites plaies sanguinolentes.
— Anthony…
L’homme sourit, comme s’il était ravi qu’André se souvienne de son prénom. Un sourire effrayant, aux dents jaunâtres et pointues.
— Tu dois te révolter et tuer tous ces hypocrites !
Il se met à avancer, sauf qu’André voit bien que ce n’est pas l’homme qui marche, c’est le lit qui s’approche de lui.
— Tu dois réagir et nous sauver. Réagis ! dit l’homme en noir en élevant la voix sur ce dernier mot.
La gorge d’André se serre. Il est incapable de faire le moindre geste pour se reculer, sauter du lit et échapper à cet homme au visage si laid, couvert de marques qui semblent être tracées au scalpel. Le lit avance. L’homme reste impassible. Le lit n’est pas un obstacle pour lui, il le traverse. Le cœur d’André bat de plus en plus vite, il sent qu’il est proche de la crise cardiaque.
Il ferme les yeux, prêt à mourir, et ne peut s’empêcher de sursauter, lorsqu’il entend un énorme bruit ressemblant à un coup de tonnerre. Il ouvre les yeux, ses jambes sont tendues et le drap ne recouvre plus que ses pieds, le reste pend sur le côté droit du lit. Il se penche. Les livres et la plaque sont au sol. C’est le choc de ces objets tombant du lit qui a provoqué ce drôle de bruit et l’a fait sortir de son état de somnolence.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE - À propos du tome 1

L'auteur a su créer avec brio la descente aux Enfers ! Stressant et envoûtant, il démontre comment la folie peut s’emparer de nous sans prévenir. Je conseille fortement ce livre à tous les passionné(e)s d'horreur et de psychologie ! - Fellix, Booknode

Un horrifique qui monte en puissance, des personnages réalistes, en bref de quoi donner des sueurs froides. À découvrir ! - Blog Chroniques livresques

Un très bon roman, une belle évolution dans l'écriture de l'auteur, mais âmes sensibles s'abstenir ! - Blog Cocomilady

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Davy Artero

HEPTAGON

Grimoire des Sept Branches

Acte III - Hécatombes

Prologue

Fine Mundi{2}

Le monstre relève doucement la tête et scrute le paysage de ses yeux perçants. À travers l’épaisse brume orangée à l’odeur fétide, il peut apercevoir de nombreuses ombres difformes aller et venir. Ce sont ses proies, devenues d’humbles serviteurs sans âme qui ne cessent de décimer tout ce qu’ils trouvent. Les êtres vivants se font rares, mais ses sbires continuent de chercher, car c’est leur unique but, trouver de la chair fraîche et tendre à se mettre sous leurs canines acérées.

Lorsqu’il n’y aura plus aucun être vivant, ses esclaves putrides commenceront à se dévorer entre eux. Les plus forts contre les plus faibles. Lui aussi devra se mettre à les étriper, un à un. Et ensuite, que fera-t-il ? Qu’adviendra-t-il de lui lorsqu’il n’aura plus aucune nourriture ? Il ne sait pas. Il avait une telle soif de vengeance, il était si préoccupé à semer la terreur et le chaos qu’il ne s’est jamais réellement posé ces questions. Il verra en temps voulu.

Le brouillard se dissipe légèrement. Des habitations en ruine, des carcasses de véhicules et divers objets abandonnés jonchant le sol se dévoilent peu à peu. Un monde de désolation à l’atmosphère suffocante. Son monde, celui qu’il a créé en quelques années et qui, lorsqu’il le voit, lui procure une extrême jouissance. Le résultat de sa revanche sur tous ces humains qui le répugnaient tant. Un bien beau résultat.

Ses narines se dilatent soudainement. Il sent une odeur de transpiration humaine. Il devine qu’elle provient d’êtres effrayés et inquiets. L’odeur vient du sud, à un kilomètre à peine, peut-être moins. Il se lève. Un cri rauque et puissant sort de sa gorge. Les autres comprennent immédiatement, ils vont suivre leur chef à la peau de cuir rougeâtre.

Un horrible rictus se dessine sur son visage difforme. Il savait bien que la fin n’était pas encore pour aujourd’hui.

PARTIE 1 – CATACOMBES

Certaines choses n’ont pas encore d’explications.

Tu le sais bien, ne pas être maître des événements m’est insupportable.

Ce sont souvent les mêmes symptômes qui se succèdent. Une bouffée de chaleur, des tremblements puis des visions étranges.

C’est incompréhensible… J’ai l’impression de me dédoubler et de voir défiler devant mes yeux les images de la vie d’une autre personne.

Je ne sais pas si c’est mon cerveau qui commence à me jouer des tours ou si c’est lui qui est parvenu à m’atteindre et qui s’amuse avec moi.

Je devrais peut-être ralentir le rythme ou faire une pause.

Non, tu as raison, je ne peux pas arrêter ma mission. C’est trop important et personne ne pourra la faire à ma place.

Ce n’est qu’une passade. Un simple coup de fatigue temporaire. Je vais reprendre le dessus et poursuivre.

Tu me connais bien, quoiqu’il advienne, je parviens toujours à m’en sortir.

18 janvier - page 150 - Marie H.Grimoire des Sept Branches

1

Une légère bise caresse la surface du lac, provoquant de faibles ondulations qui paraissent perpétuelles.

Il tourne légèrement la tête. Le long de l’allée en gravillons, il peut voir les branches des différents arbres dénudés vaciller lentement, en rythme. Elles se sont mises à l’unisson et effectuent une étrange danse, suivant les variations de la douce musique répétitive provoquée par l’eau qui s’écrase aux abords des troncs. Un décor magnifique et apaisant. Il pourrait rester là des heures tant cet endroit respire la sérénité. D’ailleurs, il y a un long moment qu’il est là, seul, assis sur ce banc en fer forgé, mais ça n’a pas d’importance. C’est si bon d’être là, de n’avoir personne en ces lieux pour perturber un tel moment de tranquillité.

— Bonjour !

Il sursaute. Perdu dans ses pensées, il n’a pas vu l’homme arriver et s’installer à ses côtés. Pourtant, avec sa corpulence, il aurait dû le ressentir lorsqu’il s’est assis.

— Bonjour… répond-il timidement.

L’homme a à peine la trentaine, un visage rond bordé de longs cheveux châtains ondulés et une chemise colorée à manches courtes, ce qui est un peu surprenant vu la fraîcheur qu’il règne ici. Il le regarde avec un petit sourire aux lèvres.

— C’est un bel endroit, n’est-ce pas ?

— Oui, en effet.

— Je l’ai toujours trouvé fascinant ! dit-il en fixant l’horizon.

Il regarde ce nouveau compagnon de banc, surgi de nulle part, puis fixe l’horizon à son tour. Il se sent un peu frustré d’être dérangé en pleine quiétude dans son endroit préféré, mais ce bonhomme semble connaître les lieux lui aussi. Peut-être pourra-t-il répondre à ce qu’il se demande depuis un certain temps ?

— Vous connaissez le nom de ce lac ?

— Je ne sais pas s’il a un nom officiel. Entre nous, on le surnomme le Styx.

— Ah ? Ce nom me dit quelque chose…

— Sans doute, dit l’homme avec un grand sourire.

— Vous savez ce qu’il y a de l’autre côté ?

— Là-bas, en face ? Non, désolé mon vieux, mais je ne sais pas, je ne l’ai jamais su !

« Mon vieux ». Il trouve que cette marque de familiarité est un peu déplacée pour quelqu’un qui vient juste de le rencontrer.

— On se connaît ? ose-t-il demander après avoir longuement scruté le visage de l’inconnu.

— Moi oui, enfin un peu. Mais je ne crois pas que la réciproque soit vraie !

— La réciproque ?

— Oui, l’inverse… Enfin bon…

Le jeune homme se lève doucement et se tourne vers lui.

— Je suis désolé de vous annoncer ça, mais il est temps de partir !

— Ah bon ? Au revoir, alors…

— Non. Je parle de vous.

— Pardon ?

— Le moment est venu, il faut vous préparer. Ce sera un peu douloureux, mais ne craignez rien, tout se passera bien. À tout de suite !

Le jeune homme fait volte-face et s’éloigne.

— Qu’est-ce que c’est que ce rigolo ? marmonne-t-il en fixant le lac à nouveau.

Il ne comprend pas l’attitude de cet individu. Pourquoi est-il venu le perturber ici ? Il n’avait rien de mieux à faire ? Il ne pouvait pas aller déranger quelqu’un d’autre ? Encore un de ces illuminés qui ne sait pas quoi faire de ses journées !

Il l’a énervé. Il remue frénétiquement ses jambes puis il se lève à son tour. Le fait de se mettre debout lui procure une drôle de sensation, comme s’il ne l’avait pas fait depuis fort longtemps. Il regarde l’étendue d’eau puis l’allée, pour voir où s’est dirigé le drôle de type rondouillard. Mais l’homme a déjà disparu.

Il commence à s’inquiéter. Ce n’est pas possible, il ne peut pas être déjà hors de sa vue. Était-ce une hallucination ? Il observe à nouveau le lac qui a toujours eu cet effet apaisant. Il devrait sans doute se rasseoir, continuer à contempler ce paysage et oublier cette étrange rencontre, mais il ne parvient plus à faire le moindre mouvement.

— Bon sang, qu’est-ce qui m’arrive ?

Le centre du lac s’assombrit. Il plisse les yeux pour mieux voir ce qui se passe. La surface de l’eau est devenue lisse et les arbres ont stoppé leur curieuse chorégraphie.

Soudain le paysage s’étire, comme s’il n’était qu’un décor peint sur une grande toile élastique et qu’on en pinçait le milieu. Tous les éléments se déforment et se mettent à fondre vers ce point central qui se recule peu à peu.

Voir ce site somptueux se distordre de cette manière l’horrifie. Il ressent brusquement une vive douleur au niveau de la gorge. Il aimerait crier, hurler à s’en faire exploser les cordes vocales, mais aucun son ne sort de sa bouche grande ouverte. Il a juste cette impression atroce qu’on est en train de lui arracher les amygdales.

2

Il ouvre les yeux et inspire si fortement qu’il se met à tousser. Il lui faut quelques secondes pour comprendre qu’il vient de sortir de son sommeil et que tout ceci n’était qu’un drôle de rêve. Il fixe le plafond. Entièrement en ciment gris, celui-ci semble avoir été réalisé à la main, avec une fine truelle passée dans tous les sens, sans aucune logique. Soit une tentative de décoration malheureuse, soit l’œuvre d’un artisan incompétent. À quelques endroits apparaissent des marques plus sombres, sans doute des trous rebouchés avec un ciment différent, et un peu partout, des griffures, dont celles-ci, juste au-dessus de sa tête, qui semblent former maladroitement un mot : « Fuis »

Il relève le torse d’un bond, son cerveau ayant réalisé qu’il ne connaissait absolument pas cet endroit. La pièce est étroite. Les murs sont réalisés avec aussi peu de soin et le même mortier que le plafond. En haut du mur qui lui fait face, une applique ovale au verre fissuré est la seule source de lumière de la pièce. Dans l’angle à gauche se trouvent une petite table en acier et formica bleu clair, d’à peine un mètre de large, et une chaise à l’assise et au dossier de la même couleur. Sur sa gauche, une table de nuit en mélaminé, aux coins ébréchés, sans aucun objet dessus. Ni réveil ni lampe. Sur sa droite, un mur avec en son centre une ouverture donnant sur une pièce sombre, et tout au bout, une porte lisse en métal.

Il ne comprend pas comment il est arrivé là, dans cette chambre d’hôpital vétuste, où les murs semblent avoir été montés une fois le lit posé, avec juste de quoi passer tout autour. Il baisse les yeux. Le drap du lit est complètement défraîchi, jaune fadasse. Il constate qu’il comporte des auréoles plus sombres à de nombreux endroits.

— C’est dégoûtant, et puis cette odeur… marmonne-t-il.

Il remue ses narines, comme si le fait de les dilater par à-coup permettait d’enlever l’odeur nauséabonde persistante, mélange de moisissure et d’eau croupie, mais ça ne change rien. Il relève le drap et s’assoit au bord du lit. Il observe ses pieds nus touchant le sol. Une drôle de sensation inexplicable. Sans doute la fraîcheur du sol en linoléum qui lui hérisse les poils, ou la présence des petits granulés qu’il ressent à travers sa voûte plantaire qui pourrait lui évoquer de vieux souvenirs.

Il se lève et reste immobile, comme si son corps mettait un peu de temps à réaliser qu’il était debout. Ses oreilles se mettent à bourdonner, et sa vue se floute.

— Non, non, non…

Il ne sait pas vraiment ce qui lui arrive, mais son cerveau lui dicte de fermer les yeux et de respirer calmement. Il obéit. Le bruit cesse dans ses oreilles. Il ouvre les yeux et sourit. Il s’est levé trop vite, tout simplement.

Il se dirige vers l’ouverture sans porte, à quelques pas de son lit. À peine a-t-il franchi le seuil qu’une lumière vive apparaît et l’éblouit. Il baisse la tête et attend que ses yeux s’habituent à cette lueur éclatante. La pièce est vraiment étroite, sans doute un mètre sur deux de large. Le sol y est identique, mais les murs sont couverts de fins carreaux couleur crème. Un w.c. suspendu se trouve sur sa droite, sans eau, mais rempli de traces de calcaires et de taches dont il ne souhaite pas en connaître l’origine, et devant lui un lavabo en céramique aussi bien entretenu que le toilette. Accroché au mur, au-dessus du lavabo, un miroir terne écaillé à de nombreux endroits.

Il s’en approche, et parvient à se voir malgré le peu de surface réfléchissante. Il se passe la main dans les cheveux. Ils lui paraissent plus épais et bien plus foncés. Même son visage semble étiré, mais en même temps aminci. Il s’imaginait plus jeune et un peu plus potelé. Et ce roux de cheveux, où est-il passé ?

Il essaye de réfléchir. Pourquoi est-il là ? Pourquoi est-il ainsi ? Ses pensées se mélangent et aucune n’arrive à lui donner de réponses. Il ferme les yeux, essaye de se concentrer, mais à part un simple et immense écran noir, il ne voit rien d’autre.

Il ouvre les yeux, déçu. Pas le moindre souvenir. C’est comme si avant ce réveil sur ce lit crasseux, il n’y avait rien, le néant. Peut-être qu’un peu d’eau froide sur le visage lui rafraîchirait les idées. Il presse l’unique bouton au-dessus du petit robinet terni par le calcaire. Seule une petite goutte marron en sort. Il presse le bouton à plusieurs reprises. Rien de rien.

— Fichu hosto…

Il se regarde à nouveau dans le miroir. Il tourne légèrement la tête. Il pensait qu’il avait des taches de rousseur sur les joues, mais elles se sont estompées.

— Qu’est-ce que…

Il s’approche pour mieux voir son reflet. Quelque chose l’intrigue à l’arrière de son cou, comme une tige fine argentée. Il tend sa main gauche pour la toucher. Ce qu’il sent sous ses doigts est froid et ondulé. Ce n’est pas très large, mais cela s’étale sur dix centimètres le long de sa nuque.

Ses oreilles se mettent à bourdonner une fois de plus. Il ramène sa main gauche devant lui pour pouvoir s’agripper au rebord du lavabo. La vision de sa main gauche lui donne encore plus le tournis. Elle n’a que quatre doigts, son auriculaire n’est plus qu’un bout ridicule de peau.

Il sent qu’il vacille. Il ferme les yeux et essaye de faire de grandes inspirations. Alors qu’il se sent partir en arrière, il entend du bruit dans la chambre.

— Monsieur Adams, vous êtes là ?

3

Il n’est pas si lourd, finalement.

— Et bien, c’était moins une !

Le trentenaire souffle et le relève doucement. Il s’est précipité lorsqu’il l’a vu tomber à la renverse dans la salle de bain, et l’a récupéré in extremis dans ses bras.

— M… merci…

— Harry, je m’appelle Harry ! Et voici notre infirmière en chef, Jeanne.

Il s’avance un peu et se tourne. Harry ressemble beaucoup à l’homme qu’il a rencontré devant son lac, sauf qu’il n’a plus un seul cheveu sur le crâne et qu’il est bien moins gros. La personne qui se tient à ses côtés, portant le même costume bleu ciel qu’Harry, est un peu plus grande que ce dernier. Elle semble toute fine, toute fragile par rapport à lui. Le visage légèrement ovale, les yeux marron foncé presque noir, elle porte un foulard sur la tête, un peu à la manière d’un pirate, avec le nœud placé à l’arrière. Elle lui rappelle vaguement quelqu’un, mais il sait au fond de lui qu’il ne l’a jamais vu. Il n’aurait pas oublié un visage si pur.

Elle s’avance vers lui en ne cessant de le fixer du regard. Ses joues rougissent et elle lui tend du linge plié de ses deux mains.

— Je pense que vous devriez vous habiller, Monsieur Adams.

Il écarquille les yeux et se met à rougir à son tour en prenant les vêtements que lui tend l’infirmière. Il n’avait pas du tout réalisé qu’il était nu !

— Pardon, bafouille-t-il en commençant à enfiler le pantalon.

Il veut faire vite et fait tomber la chemise au sol.

— Ce n’est rien mon vieux. On aurait dû t’habiller, mais on n’a pas osé… Tiens !

Harry se baisse puis lui tend la chemise.

— Merci… Harry, c’est cela ?

— Tout à fait, André ! Ah, heu, je peux t’appeler André ?

Après un bref temps d’hésitation, il se met à lui sourire.

— Bien sûr, puisque c’est mon prénom !

Harry sourit à son tour. Jeanne garde un visage inexpressif. Elle s’avance vers André et pose sa main sur le linge bleu clair.

— Attendez, je dois vous ausculter avant…

Elle prend la chemise des mains d’André et la tend à Harry, qui la prend en faisant une petite moue. Elle se penche légèrement afin de scruter son torse. André cesse de bouger. Il se demande s’il doit cesser de respirer ou s’il doit faire de grandes inspirations suivies de longues expirations. Il sait qu’il faut se comporter ainsi lorsqu’on est chez le médecin. Pendant qu’elle observe chaque parcelle de peau de son torse, il en fait de même avec son visage, en se demandant quelle peut être l’âge de cette femme, et comment elle procède pour avoir une peau si lisse. Elle a une odeur étrange. Mélange de subtil parfum et d’une légère odeur de transpiration. Elle relève les yeux. André change tout de suite la direction de son regard, fixant un point invisible sur le côté.

— Vous pouvez vous tourner, s’il vous plaît ?

André s’exécute sans broncher. Elle pose ses doigts fins sur le creux de ses reins puis remonte doucement le long de sa colonne vertébrale. André voit soudainement l’image de cette infirmière, les yeux fermés, quelques perles sur son front, comme si elle souffrait. L’image disparaît aussi vite qu’elle est apparue. Il se met à frissonner.

— C’est douloureux ?

— Non, balbutie-t-il.

Comme son dos est étrange…

André sent ses poils se hérisser sous cette étrange caresse. Puis il sent qu’on appuie sur quelque chose de dur dans son dos, puis à nouveau la tiédeur du doigt de l’infirmière qui remonte, puis une nouvelle chose dure.

— Vous avez mal quand j’appuie sur vos prothèses ?

André tourne la tête sur le côté, tentant d’apercevoir l’infirmière.

— Mes… prothèses ?

Il se moque de moi ?

— Pardon ? demande André, surpris d’entendre cette réflexion.

Elle ne répond pas et continue de faire glisser son doigt jusqu’au cou. Il sent qu’elle contourne la plaque qu’il a aperçue dans le miroir.

— Oui, vos différentes protubérances métalliques, se met-elle enfin à répondre. Vous sentez quand je les presse légèrement ?

André se sent mal à l’aise. Il aurait ainsi plusieurs boutons en métal dans son dos. Comment est-ce possible ?

— Je… je ne sais pas. Oui, un peu.

— C’est une sacrée opération que vous avez eue là, du beau travail. Vous n’avez aucune douleur quand vous bougez votre cou ?

André remet son cou droit, et fixe le mur gris en face de lui.

— Non, je… je ne crois pas.

— Tiens, il reste du gel ici… Harry, s’il te plaît ?

— Ah, oui !

Harry lui tend un grand mouchoir usagé à carreaux noirs et gris. Elle se met à frotter le bas de la hanche droite d’André.

— Il va rester une fine tache jaunâtre, mais elle partira lors de la prochaine séance d’eau.

— Une tache ? Qu’est-ce que c’est ?

— Un reste de liquide amniotique. On a dû mal vous nettoyer ! dit-elle en jetant un regard sombre à Harry, qui se met à hausser les épaules.

L’infirmière tend le mouchoir au contenu visqueux à Harry, qui le remet dans la poche droite de son pantalon. Elle pose ensuite ses mains sur les hanches d’André.

— Restez les jambes raides. Vous pouvez baisser votre buste et toucher vos pieds avec vos mains ?

— Je… oui, mais…

Mille et une questions se bousculent dans son esprit. Tant et si bien qu’aucune ne parvient à sortir de sa bouche. Il se baisse et tend ses bras vers le sol. Ses doigts frôlent ses doigts de pied.

— Il me manque un doigt, se met-il à dire soudainement en voyant sa main gauche à quatre doigts.

Harry se penche.

— Sans doute perdu dans ton accident. Estime-toi heureux de n’avoir que ça comme membre manquant…

Nouveau regard foudroyant de Jeanne envers Harry.

— Ba quoi ? demande-t-il en tournant les paumes de ses mains vers le haut.

— Vous pouvez vous relever, Monsieur Adams.

André se relève et fait un pas de côté.

— André ! dit-il en s’asseyant sur le bord du lit. Mon prénom c’est André. Je suis bien trop jeune pour avoir du Monsieur, lui dit-il en lui faisant un grand sourire.

Jeanne le regarde, dubitative.

— Vous allez bien ?

— Oui, j’ai juste la tête qui tourne un peu. Je crois que c’est quand je me relève trop vite.

— Tiens, mets ta chemise ! dit Harry.

— Où est-on exactement ? Et c’est quoi cette drôle d’odeur ?

Harry regarde Jeanne avant de répondre.

— L’odeur ? C’est sans doute parce que tu n’es pas encore imprégné des lieux. Dans quelques heures, tu ne sentiras plus rien.

— Mais on est où, ici ?

— Ça, c’est le boulot de Harry, qui va tout vous expliquer, dit Jeanne.

— Je… C’est grave ? Mon accident ? Je suis le seul à avoir survécu ? Vous êtes là pour me soigner ?

— Je vous laisse voir calmement avec Harry. Ne paniquez pas, quand on se reverra tout sera plus clair pour vous… Tout est bon pour moi, Harry va maintenant s’occuper de vous.

— Je… d’accord.

— Harry, n’oublie pas de le faire raser.

— Ne t’inquiète pas, miss !

Nouveau regard rempli d’éclairs. Harry sourit.

— À plus tard, André ! s’exclame-t-elle avant de se diriger vers la porte.

André se relève du lit. Un automatisme de politesse qu’il ne s’explique pas.

— Merci Madame…

Elle tourne la tête vers lui, les joues un peu rosies.

— Jeanne, appelez-moi Jeanne…

Puis elle ouvre la porte métallique et s’éclipse de la pièce. La porte se referme lentement toute seule, tirée par un piston automatique silencieux. Harry se racle la gorge.

— Bon, à nous deux maintenant !

André le regarde, ses yeux sont légèrement cernés. Harry sent que l’incompréhension monte en lui. Il pose la main sur son épaule.

Courage !

— Ne t’en fais pas mon vieux, je sais que tu vas encaisser comme un chef !

4

— Je ne sais pas par où commencer… En fait, à bien y réfléchir, je crois que je n’ai jamais su !

André se rassoit au bord du lit. Il tourne la tête de droite à gauche.

— C’est quoi cet endroit ? Un hôpital ?

— Non, pas vraiment. Disons que c’est ta nouvelle chambre, rien qu’à toi.

— On est où ?

— Houla… Je pense que je vais t’emmener faire un tour juste après, ce sera beaucoup plus simple et puis ça te permettra de marcher un peu.

André regarde ses bras, écarte les doigts de ses mains et les observe.

— Je n’avais pas des mains si marquées et…

Il se lève d’un bond et se précipite dans la petite salle de bain, suivi de Harry, surpris et quelque peu inquiet par son attitude.

— Je n’étais pas comme ça, avant ! dit André en fixant le miroir.

— J’avoue que tu me laisses perplexe. Les précédents n’avaient pas cette particularité.

— Les précédents ? dit André en fixant Harry.

Harry a à peine le temps d’entrouvrir la bouche pour répondre qu’André l’agrippe par le cou et se met à devenir rouge de colère.

— Qu’est-ce qu’il se passe ici ? Vous m’avez fait quoi ?

Tu vas répondre, espèce d’enflure ?

Harry essaye de retirer les mains d’André, mais il n’y parvient pas. Ses yeux commencent à se révulser. André lâche prise, comprenant que ce qu’il fait est totalement stupide.

— Pardon… Je…

Harry s’adosse contre le mur, pour reprendre son souffle. Il se demande s’il a rêvé ou si c’est bien la voix d’André qu’il a entendue dans sa tête. Il cligne plusieurs fois des yeux. Le brusque énervement d’André a dû lui jouer des tours. Ce dernier s’est assis sur le sol, près de la cuvette de toilette, il a l’air complètement anéanti.

— C’est un cauchemar, je suis dans un cauchemar…

— Non, il ne faut pas dire ça, répond Harry d’une voix encore haletante.

André lève la tête vers Harry, ses yeux sont emplis de larmes.

— Je ne me souviens de rien ! J’ai l’impression d’être dans le corps d’un autre, je ne comprends rien ! Qu’est-ce qui m’arrive ?

Harry vient s’asseoir sur le sol également. Il pose sa main sur le bras d’André, comme si ce geste pouvait le réconforter.

— Je me doute que ce n’est pas facile, je vais essayer de répondre à tes interrogations.

— Oui, s’il te plaît, sanglote André.

— Hum, bon, ne t’inquiète pas, tes souvenirs vont revenir peu à peu. C’est peut-être un des effets de l’endormissement que tu as subis.

— L’endormissement ?

— Oui, en fait tu as passé ces derniers temps enfermés dans un caisson. Ton corps était en sommeil.

— En sommeil ? Vous m’avez congelé ?

— Non, pas exactement. Tu étais en biostase dans un caisson spécial, ce qui a permis de retarder le vieillissement des cellules et de ralentir le fonctionnement de tes organes. On parle de sommeil, mais c’est plus un ralentissement énorme de tout ton corps…

— C’est n’importe quoi !

— Il n’y a rien d’extraordinaire. On l’utilisait beaucoup en médecine avant. Bon, c’est sûr, je ne crois pas qu’on l’ait expérimenté sur plusieurs années comme dans ton cas… Mais c’est une preuve que ça marche quand même !

André regarde Harry. Ce dernier comprend que ses pointes d’humour ne fonctionnent pas. Il se ravise et tente d’expliquer clairement la situation.

— C’est moi qui étais chargé de la surveillance de ton caisson. Je le fais depuis une dizaine d’années, depuis que Jean nous a quittés. Apparemment, tu étais dedans dès que nous sommes tous arrivés ici, ce qui fait un long moment.

— C’est-à-dire ?

— Hum… Si je ne me trompe pas, ça fait dix-neuf ans.

— Dix-neuf ans ? Mais… putain, j’ai quel âge ?

— Alors d’après ta fiche, tu aurais quarante-cinq ans.

André reste bouche bée. Il fixe Harry sans cligner des yeux. Celui-ci s’en aperçoit et se sent mal à l’aise.

— Mais bon, tu sais, avec le caisson, ce n’est pas totalement exact car tu n’as pas vieilli d’autant. On peut dire que tu as eu moitié moins en âge. En gros, à peine une petite dizaine d’années…

André baisse le regard. Il observe à nouveau ses mains.

— J’ai quarante-cinq ans…

— Non, disons trente-cinq, corrige Harry, un poil plus âgé que moi, quoi !

Une larme coule le long de la joue d’André.

— Trente-cinq ans…

Il déboutonne les premiers boutons de sa chemise et penche la tête, puis il se passe la main sur les joues. Harry comprend son manège.

— Tu as vieilli, mais tes poils n’ont pas poussé. C’est un des avantages du caisson. Tu imagines sinon la touffe que tu aurais !

— Trente-cinq ans, répète André.

Harry le regarde, compatissant.

— Oui je sais, c’est perturbant… mais je t’assure, tu n’as rien manqué ! Je peux même te dire que tu étais mieux là où tu étais !

André relève la tête vers Harry.

— Non… tu ne comprends pas ! Je me souviens juste de comment j’étais à quinze ans. Je ne me rappelle pas avoir grandi depuis… J’ai vingt ans de plus… ou trente, c’est…

— Ne panique pas, ça va te revenir peu à peu ! Pour l’instant, tout ce que je vais pouvoir t’expliquer, c’est ce qui s’est passé tant que tu étais dans ce caisson, comment on s’est organisé, comment on vit et…

En voulant se relever, Harry sent un objet dur dans la poche de son fin pantalon.

— Ah oui, avant qu’on sorte d’ici pour la visite, il faut que tu utilises ça.

Harry sort un rasoir en plastique gris de sa poche et lui tend.

— Qu’est-ce que tu veux que j’en fasse ?

— Tu sais ici… Comment dire… On doit éviter au maximum de véhiculer des cochonneries, tu vois ? Les petites bêtes et ce genre de truc. Alors, on doit tous être sans poils, histoire de ne pas avoir ce genre de problème. Tu comprends ?

André reste muet, il prend le rasoir entre le pouce et l’index, et il l’observe attentivement.

— Il n’est pas tout neuf, certes, mais il coupe encore… dit-il en voyant les lames légèrement ébréchées.

Il se passe à nouveau la main sur les joues

— Je n’ai pas de barbe, mais merci quand même, ça peut servir…

— Heu non, répond Harry. Tu dois l’utiliser pour tous tes poils, heu… partout quoi ! Et même le crâne !

Harry sort de la petite salle de bain et s’assoit sur le lit.

— Je n’ai pas osé te le faire quand on t’a sorti du caisson, par… hum, par respect quoi ! Donc vas-y, fais-le, je t’attends.

— Maintenant ?

— Oui, on ne pourra pas sortir si tu ne le fais pas. Je reste là si tu as besoin de moi… Enfin ne te coupe pas, moi je veux bien juste t’aider pour la tête !

André se relève et se met devant le miroir terne. Il regarde son reflet, ce reflet qui ne lui rappelle rien. Il fixe les deux lames abîmées du rasoir. Il sait comment cet objet fonctionne, il lui semble en avoir déjà utilisé auparavant, quelques fois.

— Il n’y a pas de mousse ? demande-t-il soudainement.

— Oh, on n’en a plus depuis longtemps. Ça va marcher quand même. Appuie bien !

André défait un à un les boutons de sa chemise, qu’il enlève et pose sur le rebord de la cuvette en faïence.

Ça ne servait à rien de m’habiller, finalement !

Il baisse son pantalon et prend à nouveau le rasoir en main. Il serre fort le manche.

Courage, André !

5

Il jette un dernier coup d’œil dans le couloir avant d’entrer à son tour dans la pièce et refermer la lourde porte métallique derrière lui. Il tourne le verrou. Les voilà maintenant enfermés.

— Pitié, pitié ! J’ai compris…

Il se retourne et fixe l’homme qui vient de gémir, puis celui qui le maintient par le cou. Ce dernier, un être élancé au regard sombre, avec une longue balafre sous l’œil droit, paraît encore plus énervé qu’il ne l’est lui-même.

— Tu me l’as déjà dit, Pierre ! dit-il en s’avançant vers ces deux hommes.

— Je ne le referai plus…

— Tu oses mentir à notre prêtre ? vocifère l’homme balafré en lui serrant le cou un peu plus fort.

Il s’avance et pose un bras sur l’épaule de son homme de main, pour le calmer. Celui-ci desserre légèrement son emprise. Le prêtre fixe ensuite le pauvre homme.

— Tu connais les règles, Pierre. Nous les connaissons tous ici. Tu as déjà fauté il y a quelques mois et j’avais fermé les yeux pour te donner l’occasion de te racheter. Tu le sais, Pierre ?

L’homme, le visage écarlate, les mains autour des poignets de l’homme balafré pour tenter désespérément de lui faire lâcher prise, acquiesce.

— J’ai pris sur moi le fait de te laisser une seconde chance, poursuit-il. Ça n’a pas forcément plu à tout le monde, mais je me devais de faire confiance en ta foi, car sans elle on n’est rien ici. Et je croyais en toi, il ne pouvait pas en être autrement.

— Je te promets que…

— Que quoi ? Tu crois que cette situation m’amuse ? fulmine subitement le prêtre. Il y en a eu des brebis égarées, mais elles ont toutes retrouvé seules le chemin de la foi. Mais toi, toi tu oses me provoquer ? Tu me promets que tu ne recommenceras pas à coucher avec une femme, que tu n’engrosseras plus une de nos fidèles, et qu’est ce qui se passe ? Hein ? Quelques mois après ton premier impair, voilà que tu recommences !

— Je… Elle m’avait dit qu’il n’y aurait… rien ! 

Il s’approche et lui gifle violemment le visage.

— Abruti ! Tu veux me faire croire que c’est de sa faute maintenant ? Que c’est elle le problème ?

— Non… non, je…

Il lui donne une autre gifle, si forte qu’elle laisse une marque rouge sur la joue et qu’il ressent une douleur dans son poignet.

— Tu es le seul responsable ! Tu as déjà engendré un enfant difforme, tu savais que tu ne pouvais pas recommencer. Tu m’as désobéi !

Pierre n’essaye plus d’enlever les mains du balafré, il baisse les bras et de longues larmes se mettent à couler sur ses joues.

— Qu’est-ce que vous allez lui faire ?

Le prêtre se tourne et commence à marcher en rond dans la pièce aux murs capitonnés, couverts de taches et d’accrocs.

— Rien. Elle va continuer à venir prier avec nous autres, pour retrouver la pureté.

— Et l’enfant ?

— Tu sais ce qui va lui arriver.

Pierre se met à renifler. De plus grosses larmes se forment au bord des yeux.

— Et… moi ?

L’homme au visage tailladé resserre l’étau que forment ses deux mains autour de son cou.

— Devine ! dit-il entre ses dents.

— Non ! s’exclame le prêtre avant de revenir vers eux. Pas maintenant ! On ne peut se permettre de perdre un fidèle. Attache-le avec les chaînes !

L’homme pousse son prisonnier jusqu’à atteindre l’endroit où les bouts d’une chaîne rouillée pendouillent, suspendus à un large anneau rouillé fixé au plafond.

— Non, non… s’il vous plaît…

L’homme le force à lever les deux bras et entoure ses poignets avec les chaînes. À bout de force, Pierre ne parvient plus à tenir sur ses jambes. Retenu par les chaînes, il se met à osciller lentement, les genoux à quelques centimètres du sol.

— Tu vas rester un moment ici, le temps que tu réalises vraiment ce que tu as fait. Je n’ai pas vraiment envie que tu te retrouves tout de suite face à elle.

Pierre sanglote, même s’il est rassuré de s’en tirer qu’avec cette faible sentence.

— Oui, oui… d’accord… Je ne le referai plus… plus jamais…

— Je ne te crois pas Pierre, mais je t’accorde à nouveau mon pardon.

L’homme de main au visage balafré regarde son supérieur, l’air incrédule. Le prêtre lui fait signe de s’approcher de lui, ce qu’il fait immédiatement. Il fouille dans sa poche.

— Fais en sorte qu’il ne puisse pas recommencer, lui dit-il en lui tendant un couteau à la lame effilée.

L’homme s’en empare, mais le prêtre retient fort le manche.

— Juste, ne pas recommencer, lui répète-t-il en le regardant droit dans les yeux.

L’homme balafré fait un hochement de tête et lui sourit. Un sourire glacial. Il se retourne et s’avance vers Pierre, suspendu aux chaînes. D’un geste vif, il lui baisse le pantalon.

— Pitié, pitié…

Il ne le laisse pas se plaindre plus. Un mouvement rapide et une gerbe de sang les éclaboussent tous deux. Pierre se met à hurler de toutes ses forces.

Le prêtre, revenu près de la porte métallique, regarde la scène sans rien dire, en triturant machinalement le pendentif en forme de croix qu’il arbore autour du cou. Les cris de douleur sont insupportables, mais il ne craint pas qu’ils soient entendus d’ici, dans l’unique pièce insonorisée des lieux.

Voir la flaque de sang qui s’épaissit au sol et la verge coupée en deux du pauvre homme l’écœure, mais en même temps il est ravi que ce soit son second qui parvienne à faire ces choses-là. Il se dit qu’il a eu raison de le choisir comme homme de main et qu’il fait bien également de l’avoir constamment à l’œil. Qui sait ce qu’il serait capable de faire en étant totalement hors contrôle…

6

— Et voilà ! dit Harry en tendant le rasoir à André.

— Merci, fait André en se passant la main sur l’arrière du crâne.

— C’est sûr que tout seul, avec autant de cheveux, ça n’aurait pas été facile…

André regarde sa main, une trace sanguinolente étalée au bout de ses doigts.

— Ah oui, fait Harry, je t’ai fait une fine coupure là, juste un petit trait… Je m’excuse ! T’inquiètes, ce n’est rien, elle va vite partir. Heureusement que tu m’as demandé de l’aide que pour ton crâne… Enfin je veux dire… j’espère que tu ne t’es pas fait d’entailles ailleurs… enfin bref tu sais, quoi !

André ne réagit pas aux traits d’humour malheureux de Harry. Il observe son terne reflet dans le miroir. L’impression de voir un étranger est encore plus forte maintenant qu’il est chauve, mais quelque part, en regardant bien, le visage qu’il aperçoit lui rappelle quelqu’un qui devait être proche. Son père sans doute.

Nous ne sommes plus rien, pardonne-moi ma chérie…{3}

André sursaute.

— Ça va André ? s’inquiète Harry.

André se tourne, quelques gouttes de sueur sur le front.

— Oui, je crois. C’était juste… je ne sais pas, comme un flash. J’ai vu des arbres…

— Hum. Ça va revenir petit à petit, ne t’inquiète pas.

Harry se baisse et ramasse les dernières touffes de cheveux présents sur le sol, avant de les jeter dans la cuvette des toilettes.

— Tu es prêt ? demande-t-il en se relevant.

André se passe à nouveau la main sur le crâne. Ne rien sentir sous ses doigts lui fait tout drôle.

— Ça ira comme ça, non ?

— Oui, tu es très beau. Un conseil, pense à te raser le crâne matin et soir. C’est plus facile en agissant régulièrement ainsi, et à force ça pousse moins vite.

— OK…

— Par contre pour les aisselles et heu… l’entrejambe, enfin pour tout le reste, tu peux le faire deux fois par semaine, c’est suffisant. Enfin dès que ça te gratte, il faut raser. C’est ainsi que je fais…

André le regarde sans rien dire. Harry se sent quelque peu ridicule.

— Oui, bon, bref ! Le jour où tu as besoin de refaire tes lames, dis-le-moi, j’ai un petit outil à roulettes qui te les affûte en quelques secondes. Ce n’est pas top nickel, mais on n’a que ça sous la main.

— D’accord…

— Bon, fini les discussions de gonzesses maintenant, dit Harry en sortant de la salle de bain. Je vais te faire visiter la maison.

— La maison ?

— Ouais, c’est comme ça que je l’appelle. C’est moins déprimant avec ce surnom-là.

André sort de la salle de bain. Harry se dirige vers la porte et pose le regard sur les pieds d’André.

— Ah mince ! Bon, tu vas faire gaffe où tu vas marcher. On passera à la lingerie te chercher des mocassins.

André regarde ses pieds nus puis les pieds d’Harry, arborant deux chaussures en plastique marron.

— On dirait des sabots…

Harry se met à rire.

— C’est vrai. Je plaisantais quand je disais mocassins. Enfin, tu avais compris, non ? demande Harry, quelque peu inquiet.

— Oui ! répond André en faisant un clin d’œil à Harry, juste pour le rassurer.

Il a du mal à voir la limite entre le sérieux et l’ironie chez cet homme. Et être ici, dans un endroit totalement inconnu, ne lui donne pas envie d’être réceptif à l’humour. Surtout quand on est amnésique et que ses derniers souvenirs sont juste un fichu lac et des arbres sans feuilles tout autour.

— Ouf ! Bon, allez, suis-moi.

Harry tire la lourde porte métallique et sort. André le suit.

Les voilà dans un long couloir étroit au plafond arrondi, entièrement en béton. André a l’impression de se retrouver dans une galerie de métro, mais en taille réduite. Le plancher en linoléum fait place à un sol en fer grillagé, où il peut voir en dessous des tuyaux de toutes les tailles, maculés de rouille et de taches de graisse. Au plafond des faibles néons tous les trois mètres. Certains clignotent sans cesse, renforçant l’aspect peu convivial des lieux.

— On va aller par là. Suis-moi !

Harry part vers la gauche. André regarde à droite. À quelques mètres, le couloir semble obstrué par un éboulement.

— C’est bouché par là ? demande-t-il.

— Oui, suis-moi.

André obéit, en marchant doucement sur le grillage.

Le couloir semble interminable, avec des portes métalliques fermées vertes ou grises de part et d’autre.

— On est où ? demande André. C’est une station de métro ?

— Hé hé, non pas du tout. Nous sommes ici dans l’artère principale de la maison. À droite et à gauche ce sont les dortoirs, des pièces semblables à ta chambre, sauf que la plupart sont pour plusieurs personnes. Harry se retourne.

— Tu es un des privilégiés à avoir une chambre pour lui tout seul, tu sais, alors profites-en !

Puis il se remet à marcher.

— Là, juste à côté de ta chambre, c’est celle de Jacques et Guillaume, en face c’est Laurent et Christophe, ici c’est ma chambre, que je partage avec Loïc, je te le présenterai plus tard, en face c’est Amandine et Lise, elles sont un peu austères, tu verras, ici c’est les deux « J », Jérémie et Jérôme, en face c’est Léo et Brad. Là c’est le stock de conserves dont seul Polo, le chef cuistot, a les clés, et la porte d’en face, c’est la salle de culture. Tiens, je vais te montrer.

André a suivi sans rien dire, et aussi sans rien mémoriser. Ça lui fait trop de prénoms d’un coup. Harry ne devrait pas aller aussi vite, c’est trop tôt. Il se place derrière lui. Ce dernier ouvre la porte grise qui lui fait face et appuie sur un interrupteur. La pièce s’éclaire d’une lumière aussi faiblarde que celle présente dans le couloir. Elle doit faire un mètre cinquante sur deux mètres, à peine. Sur l’un des murs sont accrochés une vieille pelle et un râteau auquel il manque une dent sur deux. Le sol est entièrement en terre, avec des monticules de diverses hauteurs, et à de multiples endroits, de drôles de boursouflures blanches et beiges.

André baisse la tête.

— Qu’est-ce que c’est ?

— Agaricus Bisporus !

— Aga quoi ?

Harry émet un petit rire.

— Des champignons, mon vieux ! L’un des seuls trucs qui poussent ici-bas.

— Alors Harry, on cherche à piquer quelques pousses avant d’aller au lit ?

Harry et André se retournent. Un homme âgé, au visage fortement ridé, habillé de la même tunique qu’eux deux, se tient courbé dans le couloir.

— Mais non, Jacques ! Tu sais bien que je ne les adore qu’en gelée !

Le vieil homme sourit.

— Tiens, je te présente André, heu… Il nous a rejoints tout à l’heure.

Jacques se gratte le flanc gauche, à travers sa chemise bleu clair tachée.

— Hum. Bien. On manquait de monde ici.

— Jacques…

— Ouais. Allez, à demain les enfants !

Et le vieil homme se remet à marcher dans le couloir. André le regarde partir, il lui fait penser à un vieux cowboy avec sa démarche jambes écartées, main gauche dans le dos comme pour atténuer les effets de douloureux rhumatismes.

— Ne fais pas attention à ce vieux grincheux, dit Harry en refermant la porte de la champignonnière.

— Il n’a pas l’air tout jeune.

— Ça, c’est sûr. Je crois même que c’est le patriarche ici. Enfin le doyen… Tu vois, quoi !

— Ah…

Harry se remet à marcher dans le long couloir. Il s’arrête à un croisement et fait signe à André de s’arrêter.

— Alors là, sur ta gauche, tu as la cantine.

André se penche pour voir les lieux. Après un court tunnel, une grande salle emplie d’une lumière vive, avec de nombreuses tables où sont installées ici et là quelques personnes habillées de bleu.

— On peut aller manger quelque chose ? demande André.

— Non, pas aujourd’hui. J’ai déjà quelque chose pour toi, on va aller le chercher d’ailleurs. On ira chercher tes chaussures après. À ce propos, ça va tes pieds ?

— Ça peut aller…

— Je comprends. Ce n’est pas super agréable de marcher pieds nus sur ce quadrillage en métal.

— Pas trop. Je me sens faible aussi. On peut revenir à ma chambre ?

— Oui, mais avant on va aller de ce côté, dit-il en montrant le tunnel opposé à celui menant à la salle de restauration.

— Ça a l’air grand ici, dit André.

— Mouais, tu verras, t’en auras vite fait le tour. La maison n’est composée que de deux couloirs avec le resto au croisement. Une maison en T quoi.

— Hantée ?

— En forme de T, sourit Harry. Ce couloir en face est peut-être un peu plus long que celui où il y a ta chambre. Je ne sais pas combien il y a de surface en tout, mais rassure-toi, ce n’est pas si grand au final.

— Ah…

Harry reprend sa visite, tel un guide soucieux de préciser les différentes parties d’un monument historique.

— Alors là c’est la lingerie, où l’on viendra chercher tes pompes au retour, ici c’est la salle d’épuration d’eau. Le traitement de l’eau a lieu la nuit et permet d’avoir de l’eau pour tout le monde un dimanche sur deux. Là, c’est la chambre de Marco et Hector…

André suit péniblement Harry qui lui montre les différentes portes fermées à droite à gauche, sans réellement l’écouter. Que des portes identiques, grises et parfois vertes. Il se demande comment Harry fait pour s’y retrouver. Hormis la couleur de la porte qui change parfois, ce sont exactement les mêmes murs gris poussiéreux, les mêmes néons scintillants posés aux mêmes endroits entre deux portes. C’est gris, terne, déprimant.

— Ici, c’est la chambre de Jeanne et Béa, et là, c’est l’infirmerie où nous allons, juste à côté de la salle des machines…

— Il faudra que tu ailles faire un tour au fond, fait une voix grave éraillée provenant d’un peu plus loin dans le couloir.

Harry tourne la tête. Un homme s’approche, une longue chaîne se terminant par une croix argentée autour du cou.

— Dès que tu peux, lui dit-il en lui mettant la main sur l’épaule, avant de se pencher vers son oreille et lui chuchoter quelque chose.

André observe l’homme au comportement étrange. Son crâne rasé est bien luisant, comme s’il était ciré. Il a la peau plus sombre qu’Harry et lui. Sans doute un homme d’origine métis. L’homme cesse de parler à l’oreille d’Harry et poursuit son chemin, ignorant complètement André.

— Suis-moi, dit Harry en ouvrant la porte métallique devant lui.

André suit des yeux un instant le métis et entend des bruits de pas de l’autre côté du couloir. Ne souhaitant pas se retrouver seul, il suit de près Harry qui entre dans une large pièce. Harry referme la porte.

— Bienvenue dans notre infirmerie, André !

Une pièce étroite, au sol en ciment. En son centre, une table en aluminium recouverte d’un drap jaune, et tout autour des armoires et des meubles métalliques au look très austère et industriel.

— Qu’est-ce qu’il voulait cet homme ? demande André.

— Le prêtre ? Rien. Juste me dire qu’il y avait un blessé à soigner. Ce n’est pas trop grave, je vais y aller après.

— C’est un prêtre ?

— Oui. On a une chapelle dans le couloir qui longe la cantine. Je t’y emmènerai, mais une autre fois car j’ai encore des choses à faire avant l’extinction des feux.

— Des feux ?

— Oui, la lumière s’éteint tous les soirs à la même heure. Par souci d’économie, de simulation de la nuit, et aussi pour laisser le temps aux différentes batteries de se recharger.

Harry regarde André, qui a les bras ballants, ne sachant quoi penser.

— Oui je sais, j’explique mal, mais je ne sais pas trop comment te le dire. Je pense que l’on va faire une petite séance explicative demain matin, j’aurai plus de temps, ça sera moins expéditif. Pour aujourd’hui, on va limiter là les frais !

Harry ouvre une des armoires murales et en sort une poche plastique au contenu transparent.

— Voilà ton repas de ce soir !

André prend la poche que lui tend Harry.

— Glucides ?

— Oui, ça devrait te requinquer doucement ! Allez, un détour par la lingerie et l’on revient dans ta chambre.

— Oui, j’ai besoin de m’allonger…

— Je comprends. J’imagine que tu te poses plein de questions, et je ne suis pas un super guide aujourd’hui. Je te promets d’être plus loquace demain, d’accord ?

— Pas le choix…

— Ne t’en fais pas, tu verras, on vit bien ici. Allez, vite, les pompes !

Harry se dirige d’un pas pressé vers la porte. André le suit, en espérant avoir assez de force pour traverser à nouveau les longs couloirs lugubres en sa compagnie.

7

Ses yeux scrutent le plafond gris, à la recherche d’une surface plane parmi les bosses et les trous. Il sait que c’est une quête vaine, mais il s’obstine.

Voilà près d’une heure qu’il est là, allongé sur le lit, une perfusion dans le bras, à chercher quelque chose qui ne satisferait que lui. Il aurait aimé qu’Harry lui dise pourquoi ils étaient enfermés ici, dans ces étranges galeries souterraines, mais ce dernier ne souhaitait pas le perturber davantage, après une journée assez éprouvante. Sauf qu’à bien y réfléchir, ce n’était même pas une journée, juste un après-midi, tout au plus.

Harry a promis de venir tôt demain pour lui apporter de plus amples réponses. Il se souvient encore de son regard, les yeux dans le vague, quand il lui a dit ça, c’était à ce même instant qu’il lui a planté la perfusion dans le bras. Une aiguille qui n’avait rien de fine et qu’il a bien sentie.

Il regarde son bras, l’aiguille enfoncée à quelques centimètres du poignet, et la marque rouge qui l’entoure. Il va avoir un sacré bleu, il le sent. Il écarte les doigts puis les replie. Il grimace. Chaque mouvement de cette main fait bouger l’aiguille qui se met alors à racler la paroi de sa veine. Il cesse de bouger son bras et le repose, paume de main vers le haut. Il regarde la poche de plastique, à peine la moitié est partie. Combien de temps va-t-il devoir attendre encore ?

Il fixe à nouveau le plafond. Il sent que ses yeux s’humidifient. Il cligne plusieurs fois pour tenter de sécher ces larmes naissantes. Son cœur se serre à nouveau, comme lorsqu’il a suivi du regard Harry qui sortait de la chambre. Après avoir refermé la porte, il est resté quelques secondes immobile, ne quittant pas la porte des yeux. Va-t-il revenir, va-t-il vraiment le laisser là, comme ça, tout seul ?

Il a senti monter en lui un sentiment bizarre, un mélange de tristesse, de désespoir et d’angoisse. Et ce sentiment lui revient à nouveau. Il essaye de penser à autre chose, au peu qu’il sait de sa situation, ici. Il sait qu’il est en quelque sorte dans le futur, et qu’il n’a rien vu depuis de nombreuses années car il était congelé, ou bio-il-ne-sait-plus quoi.