Croque la vie - Isabelle Duchêne - E-Book

Croque la vie E-Book

Isabelle Duchêne

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Beschreibung

Isabelle, égarée dans la grisaille de son existence quotidienne, a depuis longtemps oublié ses rêves quand une opportunité exceptionnelle se présente. L’association Solidarité et Confiance la sollicite pour donner vie à une comédie musicale. Son premier défi est de rassembler une troupe parmi les bénéficiaires de l’organisation caritative. Malgré leur précarité et contre toute attente, certains d’entre eux décident de relever le challenge. Le chemin jusqu’au jour tant attendu est pavé d’incertitudes et de rebondissements, mais il révèle également des talents extraordinaires prêts à passer de l’ombre à la lumière.




À PROPOS DE L'AUTRICE

Isabelle Duchêne nous entraîne dans un incroyable récit, celui d’un défi artistique hors du commun relevé aux côtés d’une troupe en partie issue du monde de la rue. De la scène à l’écriture de ce roman autobiographique, elle rend hommage à ces oubliés de la société, exprimant ses premiers pas d’auteure avec le même trac que celui ressenti en attendant dans les coulisses. Que les rideaux s’ouvrent et que le spectacle commence.

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Seitenzahl: 122

Veröffentlichungsjahr: 2024

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Isabelle Duchêne

Croque la vie

L’aventure extraordinaire

© Lys Bleu Éditions – Isabelle Duchêne

ISBN : 979-10-422-2624-4

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Ne marche pas devant moi, je ne suivrai peut-être pas. Ne marche pas derrière moi, je ne te guiderai peut-être pas. Marche juste à côté de moi et sois mon ami.

Albert Camus

Chapitre I

Le grand jour

Nous sommes le samedi 21 octobre 2006, il est seize heures. Les trois coups viennent d’être frappés par Paul.

C’est incroyable, le public est au rendez-vous. Nous allons jouer à guichet fermé ! La troupe au complet est regroupée en coulisses côté jardin, serrée, concentrée, calme en apparence, mais fébrile intérieurement.

Une atmosphère très particulière règne à cet instant, faisant de ce moment une expérience de vie qui nous sublime tous. Pendant une heure trente, nos corps, nos cœurs, nos voix vont être transcendés. Nous sommes vingt-deux, membres d’une troupe atypique, âgés de sept à soixante-dix ans portés par cet événement préparé et répété durant neuf mois. Nous, les « Croque la vie », sommes nés d’un projet fou en février dernier, et le spectacle que nous jouons ce soir s’est peu à peu construit grâce aux récits autobiographiques de tous les protagonistes de cette aventure.

Mon regard se pose sur Juliette et Hugo, qui ne s’en aperçoivent pas tant ils sont concentrés. Mes enfants sont si beaux, si attendrissants ! C’est une immense fierté pour moi qu’ils fassent partie de la troupe.

La salle est à présent plongée dans le noir, silencieuse. Dissimulés dans les coulisses, nous éclairons le texte de notre prologue à l’aide d’une minuscule lampe torche. Invisible pour les spectateurs, son halo enveloppe nos ombres et illumine furtivement les visages de ceux qui vont parler dans un instant. Mon cœur cogne dans ma poitrine et ses battements résonnent dans mes oreilles. Les regards de la troupe sont tournés vers moi, il est temps que le spectacle commence. J’acquiesce silencieusement et leur dis dans un souffle le mot de Cambronne1 sans plus attendre, je m’adresse au public en voix off :

— À Pau, ou ailleurs, les destins se croisent chaque jour avec leur lot d’épreuves et de désillusions… Mais de l’humain peut naître l’espoir, une main tendue l’espace d’un instant, un regard positif, et alors… Tout peut changer !

Quelques applaudissements ponctuent la fin de mon prologue. Puis, très vite, le silence revient et mes comédiens prennent la suite avec un texte qu’ils ont choisi plusieurs mois auparavant. Ils lisent à tour de rôle, se partageant chaque phrase, chaque souhait, comme une prière universelle qu’ils dédient au public et à eux-mêmes. Ainsi, les voix de Christelle, Bruce, Sylvia, Camille, Aziz, Louisa et tous les autres s’élèvent hors champ, claires et fortes, enveloppant la salle d’une émotion palpable. Toujours dans la pénombre, les spectateurs entendent leurs voix pour la première fois et, d’ici peu, ils les découvriront, illuminant la scène de leur présence.

Je te souhaite des rêves à n’en plus finir

Et l’envie furieuse d’en réaliser quelques-uns

Je te souhaite d’aimer ce qu’il faut aimer

Et d’oublier ce qu’il faut oublier

Je te souhaite des passions

Je te souhaite des silences

Je te souhaite des chants d’oiseaux au réveil et des rires d’enfants

Je te souhaite de résister à l’enlisement, à l’indifférence, aux vertus négatives de notre époque

Je te souhaite surtout…

D’être toi !

(Tous en chœur)2

Les lourds rideaux de velours bleu nuit s’ouvrent lentement, dévoilant deux personnages au centre, se faisant face, une mère et son fils à la scène comme dans la vie, Louisa et Aziz.

Peu à peu, le clair-obscur se dissipe, d’autres acteurs apparaissent, la lumière se fait plus intense. Nous sommes dans le hall d’un aéroport qui prend vie. Les uns arrivent, d’autres se saluent de la main, entraînant leur valise avec eux. Au centre, dans l’indifférence des voyageurs, Louisa et Aziz entonnent a capela un chant d’adieu sénégalais. Entre espoir et tristesse, le fils part pour la France y commencer une nouvelle vie. Sa mère souffre de ce départ, mais elle sait qu’elle doit l’accepter. Aziz s’envole pour Pau…

Et les scènes s’enchaînent, de découvertes en rencontres dans cette ville où tout est nouveau pour lui. Le spectacle évolue entre théâtre, chants et danses. C’est une véritable comédie musicale abordant avec sincérité, tendresse, humour et émotion les expériences de vie des différents personnages.

Ils sont parfaits, sincères et justes, car ils parlent d’eux-mêmes dans ce spectacle. Le public le ressent et vit intensément chaque moment de l’histoire triste avec eux lorsqu’ils souffrent, hilare lorsqu’ils font les clowns et ému aux larmes quand la pièce touche à sa fin avec l’annonce du mariage de Christelle et Bruce. Dans une merveilleuse déclaration d’amour, ils reprendront mot pour mot, le regard de Bruce plongé dans les yeux bleus de sa belle, le texte d’introduction emprunté à Jacques Brel.

La salle est debout, nous offrant un tonnerre d’applaudissements. Et sous une pluie de confettis blancs, nous explosons de joie ! Nous l’avons fait, nous avons réussi, nous sommes allés tous ensemble au bout de cette extraordinaire aventure. Grâce à ce spectacle et ses comédiens hors du commun, durant quelques heures, notre monde, celui que nous avons offert au public du Palais Beaumont de Pau, est devenu un monde parfait.

Chapitre II

La gifle

9 mois plus tôt…

Huit heures cinquante-quatre. Décidément, je ne suis pas la reine du stationnement ! Mais bon, rien de grave puisque mon premier rendez-vous de la journée est à neuf heures et que j’ai de grandes jambes. Si je presse un peu le pas, j’arriverai pile à l’heure. De toute façon, je n’aime pas me présenter trop en avance, je préfère réduire au minimum cette attente où le temps semble suspendu, ouvrant la porte aux ruminations sans réponses.

Voilà, numéro 53. Je pose la main sur la porte de l’immeuble des années 30 qui s’entrouvre péniblement en grinçant. Comme chaque fois m’effleure la pensée qu’il y a bien longtemps cette bâtisse décrépie – comme à peu près toutes celles de la rue – a sûrement connu des décennies plus éclatantes. Mon esprit me pousserait même à m’interroger sur l’ébéniste qui, à l’époque, a sculpté cette porte, travaillé son bois, ou la provenance de ces ferronneries à présent rouillées.

À mi-parcours du hall, je stoppe net mes divagations, il n’est plus temps. Ma montre indique cinquante-neuf, je veux être dans la salle d’attente à neuf heures pile, pas une seconde de plus. Je cours presque pour achever ma traversée de l’entrée aux carreaux de ciment délavés et pour certains ébréchés. Personne sur mon chemin, j’entre et hop, neuf heures, me voici assise sur une triste chaise dont la paille dégarnie a dû supporter bon nombre d’individus, hommes ou femmes, au fil des années. Tous, comme moi, devaient posséder quelques points communs avec cette vieillerie. Être un peu bancals et avoir perdu une certaine fraîcheur.

De mon siège, je balaie la pièce morne et triste. Mon regard s’arrête sur la table basse où gisent quelques magazines cornés et passablement datés. Des vedettes y affichent en couverture des sourires splendides ou se cachent, contrariées, derrière des lunettes noires, figées sur le papier plus très glacé. Elles ont dû depuis longtemps passer à autre chose, grand bien leur fasse !

Les minutes semblent s’égrener au ralenti ; mon inconfort augmente et le silence est pesant. Je consulte une nouvelle fois ma montre : neuf heures quinze. Et dire que j’étais ponctuelle ! Ah, nous portons bien notre nom, nous, les « patients » ; le mot n’a probablement pas été choisi au hasard. Le patient patiente. En désespoir de cause, après un énième état des lieux de la pièce, je tends la main vers un des magazines que j’avais décidé d’ignorer jusque-là. Après tout, qui ne rêverait pas d’apprendre comment Mimie et Benoît se sont rencontrés et pourquoi ils se sont mariés cette année ! Il faut croire que je ne le saurai pas cette fois-ci, car un bruit de serrure se fait entendre, provenant de la porte latérale, et la silhouette hésitante – voire quelque peu somnolente – du Docteur Bricard apparaît dans l’encadrement. Malgré mon mal-être, la pensée qu’il ne ressemble vraiment pas au docteur Ross, alias Georges Clooney dans la série Urgences me ferait presque sourire. L’abord maussade de mon médecin me renvoie à la réalité, loin de la fiction télévisuelle. Je me reprends. Le physique d’un praticien n’augure sûrement pas de sa compétence. Cependant, j’avoue qu’une ébauche de sourire serait encourageante, bien que je suppose qu’en tant que psychothérapeute, il n’ait pas envie de rire tous les jours.

Je me lève, avance vers lui et, après une brève poignée de main, il m’invite à entrer, me désignant un des deux sièges face à son bureau. Ici, la décoration est plus soignée que dans la salle d’attente. Il y fait assez sombre ; seul un fin trait de lumière filtre d’un rideau entrebâillé et vient se poser en diagonale sur le bureau, dessinant une sorte de frontière entre patient et thérapeute.

Comme à chaque rendez-vous, le temps va se suspendre, de longues minutes nécessaires pour répondre aux questionnements, revivre les moments difficiles, essayer d’analyser pour peut-être finir par aller vraiment mieux. Cela fait plusieurs semaines déjà que je consulte. J’ai l’impression d’avancer, doucement. Le chemin est long, fastidieux, jonché de petites victoires et autant de déceptions. Aujourd’hui néanmoins, j’arrive avec du nouveau, du concret. J’en ressens même une certaine fierté, ce qui ne m’est pas arrivé depuis longtemps.

Ce que je ne sais pas encore, c’est que cet entretien sera le dernier.

Le docteur Bricard débute par quelques questions sur mon quotidien depuis notre dernière entrevue. Le décès de ma mère il y a treize ans, l’isolement engendré par le déménagement et un mariage à la dérive ont fini par me fragiliser à l’extrême. Je doute encore énormément de moi, mais aujourd’hui, j’annonce mes progrès avec une relative sérénité.

— Il me harcèle un peu moins, ces temps-ci, c’est plus calme à la maison. J’arrive à lui résister de plus en plus souvent. Je me bats pour qu’Hugo et Juliette souffrent moins de cette situation. Et puis j’ai trouvé un travail de metteur en scène. D’accord, vingt heures par semaine payées au SMIC pour une association caritative, mais c’est un début.

Le docteur Bricard relève la tête, m’observe un instant et lâche sa phrase d’une voix basse, lentement, pesant consciencieusement chacun de ses mots.

— Madame Fintlo, vous n’êtes pas capable de demander le divorce et vous acceptez un travail sous rémunéré. Au fond, vous n’avez que ce que vous méritez.

Son verdict est aussi rude qu’inattendu. Je pensais, je croyais naïvement que l’homme assis face à moi m’aiderait à m’en sortir. J’accuse le coup la seconde suivante, incapable de retenir mes larmes. C’est le KO technique, un électrochoc très mal dosé qui me fait l’effet d’une collision frontale avec un trente-huit tonnes. Je perçois très vaguement la gêne qu’il ressent de m’avoir tant blessée. Il me tend sa boîte de mouchoirs en papier, ébauche un rictus qui se veut probablement être un sourire de compassion et bafouille qu’il essaiera de ne pas me faire pleurer à notre prochain rendez-vous. Sa cruauté me plonge plus profond dans mon cauchemar éveillé.

Mes sanglots refusent de se tarir et redoublent même quand je réalise que, dans trente minutes, je commence ma première journée de travail. Je peux oublier la retouche maquillage, elle ne me sera d’aucune aide. Vu ma tête, la seule explication susceptible de tenir la route serait une sévère allergie à des moules pas fraîches et encore ! Plan B : tout laisser tomber.

Sans un mot, sonnée, je paie ma consultation ; j’entends à peine la porte du cabinet se refermer derrière moi. Je traverse le hall, chancelante, et me retrouve finalement sur le trottoir, complètement hébétée. Il est neuf heures quarante-cinq, j’ai les yeux brillants de larmes, je titube. Dans la rue, personne ne prête attention à moi malgré mes paupières gonflées. Des années d’épreuves, de coups bas, d’isolement, je suis tellement fatiguée. Alors, lutter ou arrêter de lutter ?

Une voiture s’engage à vive allure dans la rue ; elle n’aurait pas le temps si je faisais un pas de plus et…

Juliette ! Hugo ! Je vous aime tant ! Ce pas de trop, je ne vais pas le faire. Je reste pour vous. Dans ma vie quotidienne si sombre, vous êtes ma seule lumière !

Quelques jours plus tard, j’annoncerai à mon médecin traitant que je ne retournerai plus chez le docteur Bricard. Son métier ne lui donne pas tous les droits. Lui, il gagne sa vie, alors que moi, j’essaie de sauver la mienne.

Chapitre III

Mes débuts

Dix heures, je pousse la porte du 48 rue Parmentier, siège de l’antenne paloise de « Solidarité et Confiance ». La bâtisse est très grande, plutôt vétuste. L’association caritative en a hérité suite à un legs et y a emménagé quelques mois plus tôt. Très active auprès des personnes en situation précaire, elle a vite exploité la majorité des salles utilisables. Une épicerie sociale, un lieu d’écoute, un vestiaire, des sanitaires, une salle de repas, des hébergements de nuit pour ceux qui n’ont plus de toit. Et derrière chaque action, des bénévoles, beaucoup de bénévoles, et quelques salariés pour coordonner cette ruche un peu fissurée, faite de bric et de broc, où ceux qui se sont brisé les ailes peuvent passer une heure, un jour ou parfois bien plus longtemps. Elle s’apparente à une microsociété dans notre société d’aujourd’hui, en fait partie, mais nombreux sont ceux qui ne la connaissent pas ou préfèrent l’ignorer.