Dans l'ombre de sa folie - Manon Lilaas - E-Book

Dans l'ombre de sa folie E-Book

Manon Lilaas

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Beschreibung

On lui avait pourtant conseillé de ne pas approcher Yuchan, mais Jiheon, jeune étudiant d'à peine vingt ans, n'avait pas écouté. Ça expliquait probablement pourquoi il s'était réveillé attaché à un lit, devenu le prisonnier de ce garçon convaincu qu'il était son âme soeur. Embarquez pour le thriller psychologique qui a fait polémique sur internet, un huis-clos dénonçant l'idéalisation des relations abusives.

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Seitenzahl: 976

Veröffentlichungsjahr: 2022

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À ma famille, mes amis, mes abonnés, qui demeureront mes plus indéfectibles soutiens. À ma sœur qui a tant contribué à ce roman, tant parce qu’elle l’a corrigé que parce qu’elle l’a illustré de façon magistrale. À tous ceux qui, quand la situation a dégénéré, ont été là pour me défendre. À ce groupe que j’admire, qui me donne des ailes, et sans lequel ce roman n’aurait jamais existé.

Du même auteur…

Sonate (mai 2021) Du bout des doigts 1 (août 2021) Du bout des doigts 2 (octobre 2021) À la croisée des suicides (novembre 2021) L’étoile de Noël (novembre 2021) Boy’s love Café 1 (février 2022) Symphonie (mars 2022) Boy’s love Café 2 (avril 2022)

Sommaire

AVANT-PROPOS

PARTIE 1 : L’OMBRE…

PROLOGUE

CHAPITRE 1

CHAPITRE 2

CHAPITRE 3

CHAPITRE 4

CHAPITRE 5

CHAPITRE 6

CHAPITRE 7

CHAPITRE 8

CHAPITRE 9

CHAPITRE 10

CHAPITRE 11

CHAPITRE 12

CHAPITRE 13

CHAPITRE 14

CHAPITRE 15

CHAPITRE 16

CHAPITRE 17

CHAPITRE 18

CHAPITRE 19

CHAPITRE 20

CHAPITRE 21

CHAPITRE 22

CHAPITRE 23

CHAPITRE 24

CHAPITRE 25

CHAPITRE 26

CHAPITRE 27

CHAPITRE 28

CHAPITRE 29

CHAPITRE 30

CHAPITRE 31

CHAPITRE 32

CHAPITRE 33

CHAPITRE 34

CHAPITRE 35

CHAPITRE 36

CHAPITRE 37

CHAPITRE 38

CHAPITRE 39

CHAPITRE 40

CHAPITRE 41

CHAPITRE 42

CHAPITRE 43

CHAPITRE 44

CHAPITRE 45

CHAPITRE 46

CHAPITRE 47

CHAPITRE 48

CHAPITRE 49

CHAPITRE 50

CHAPITRE 51

CHAPITRE 52

CHAPITRE 53

CHAPITRE 54

CHAPITRE 55

CHAPITRE 56

CHAPITRE 57

CHAPITRE 58

CHAPITRE 59

CHAPITRE 60

CHAPITRE 61

CHAPITRE 62

CHAPITRE 63

CHAPITRE 64

CHAPITRE 65

PARTIE 2 : SA FOLIE

PROLOGUE

CHAPITRE 1

CHAPITRE 2

CHAPITRE 3

CHAPITRE 4

CHAPITRE 5

CHAPITRE 6

CHAPITRE 7

CHAPITRE 8

CHAPITRE 9

CHAPITRE 10

CHAPITRE 11

CHAPITRE 12

CHAPITRE 13

CHAPITRE 14

CHAPITRE 15

CHAPITRE 16

CHAPITRE 17

CHAPITRE 18

ÉPILOGUE

DOSSIERS

Dossier n°1

Dossier n°2

Dossier n°3

Dossier n°4

Dossier n°5

LIVRE D’OR

AVANT-PROPOS

Je ne connais toujours pas le secret de la réussite Mais je pense connaître celui de l'échec Il suffit de faire les cons et de continuer à dire de la merde Comme vous le faites si bien « Give It To Me », Agust D, Agust D.

Choquée par les romances que j’ai pu trouver sur Wattpad, décrivant la relation idéalisée entre un violeur et sa victime, j’ai décidé de dénoncer ces atrocités dans un roman, Dans l’ombre de sa folie, duquel l’intrigue est centrée sur la psychologie tant du coupable que de la victime. Ce livre se veut miroir d’une réalité beaucoup plus atroce que ce que des auteurs naïfs écrivent voire encouragent.

Dans l’ombre de sa folie a déclenché en septembre 2020 un véritable raz-de-marée sur Wattpad, accusé de glorifier le viol par des adolescents qui ont admis n’avoir pas lu le texte qu’ils incriminaient pourtant et duquel ils n’étaient pas capables de citer la moindre phrase pour étayer leurs accusations. Je me suis défendue à l’aide d’un argumentaire d’une trentaine de pages, appuyé sur des citations de mon roman, mais les sourds sont demeurés sourds, ils n’ont pas même lu ma réponse à leurs attaques gratuites.

Ce roman, pourtant, a été très apprécié par ma communauté, reconnu comme un livre qui décrivait avec sensibilité une situation prise à la légère par beaucoup. Augmentée de mes explications en fin de livre, cette édition vous donne toutes les clés pour comprendre cette histoire et ses enjeux, et prouver la mauvaise foi des accusations que j’ai subies.

Le seul fait de lire cette histoire me lave de toute accusation calomnieuse, parce qu’il apparaît de manière évidente que ce texte n’a rien à se reprocher. Il m’a pourtant amenée à être traitée de pute, de salope, de connasse, pendant près d’une année entière. Une année que j’ai passée à me taire et prétendre que tout allait bien, de peur qu’on m’accuse en plus d’inciter à la haine. Jamais je n’aurais imaginé découvrir tant de mauvaise foi et de malveillance chez des adolescents qui jouaient aux justiciers.

Dans l’ombre de sa folie a finalement été supprimé par Watt-pad en août 2021, ce dont mes détracteurs se sont bien évidemment réjouis et félicités. Qu’ils croupissent dans leur stupidité et leur ignorance si ça peut leur faire plaisir, une chose est certaine en tout cas : c’est dans les moments difficiles que se révèlent les véritables soutiens. Mes amis, mes abonnés, d’autres auteurs de la plateforme, tous m’ont épaulée…

Parce qu’ils avaient lu mon livre, ou bien parce qu’ils connaissaient cette bande de faux héros qui, prétendant vouloir faire respecter les règles de Wattpad, se chargeaient en vérité d’une chasse aux sorcières en ligne. Jaloux, aveuglés par la popularité d’œuvres que leur pudibonderie jugeait indécentes, il était néanmoins évident que ce qui leur déplaisait n’était pas tant le contenu de mon livre que le seul fait qu’il affiche plus de cent vingt mille chapitres lus.

Un thriller n’est pas une romance.

La fiction reste de la fiction.

Ainsi, si j’en veux encore aujourd’hui profondément aux quelques misérables qui ont cherché la popularité en incendiant ce roman qui me tient à cœur, je préfère désormais voir le côté positif de cette histoire : j’ai découvert que ceux qui me lisaient chaque jour, loin d’être de simples pseudos sur mon écran, pouvaient se révéler aussi précieux que des amis. Chaque mot d’encouragement que j’ai reçu – et ils ont été nombreux – m’a réconfortée, rassurée, consolée.

Je ne remercierai jamais assez ceux qui ont défendu ce livre. Bien que la haine m’ait arraché des larmes de douleur, la tendresse m’en a également volé bon nombre. Je me suis débattue pour prouver mon innocence, mais c’est bien plus tard que j’ai compris que ça ne servait à rien : le point de vue de ces gens qui n’avaient pas lu mon texte n’aurait pas dû compter. Seul devait importer ce qu’en pensaient les personnes qui me sont précieuses, qui me connaissent et me lisent. Et eux savaient que cette histoire dénonçait ce qu’on l’accusait d’idéaliser.

Je ne pourrais pas citer tous ceux qui m’ont envoyé un message, qui se sont montrés bienveillants envers moi – mais ils se reconnaîtront. À tous un immense merci, vos paroles étaient inestimables.

Je voudrais adresser un merci particulier à ceux qui sont restés à mes côtés tout au long de cette année difficile. Ma sœur, Alyssa, mes amies Léa et Alex, ainsi que les deux auteures Onikaid et Ciriice. Vous n’imaginez même pas à quel point vous m’avez aidée. Merci, merci mille fois.

Toi qui m’as guidé à travers ce labyrinthe Tu es ma lumière et mon salut« Heartbeat », BTS World OST, BTS

PARTIE 1:L’OMBRE…

Depuis la première fois qu’il l’avait vu, Yuchan l’avait su : il était tombé éperdument amoureux de Jiheon, et il était prêt à tout pour l’avoir à lui, rien qu’à lui.

Quitte à le retenir contre sa volonté…

PROLOGUE

Avec l’impression d’un coup de massue qu’on venait de lui infliger sur le crâne, Jiheon finit par réussir à ouvrir les yeux après de longues minutes à lutter contre lui-même. Sa vue était troublée, tout semblait vaciller autour de lui et une soudaine envie de vomir le prit. Il voulut se pencher hors de son lit pour éviter d’en salir les draps avec ses nausées, mais aussitôt son sang se glaça.

Ses poignets étaient attachés.

Sa cheville était attachée.

Impossible de bouger, il avait été immobilisé. Immédiatement, la panique s’immisça jusqu’au plus profond de son être, glissant dans ses veines comme le moindre globule y circulait. Son corps se mit à trembler tandis qu’il essayait de s’éclaircir les idées : le coup reçu à la tête avait dû l’étourdir plus que de raison, car tout se mélangeait. Or une chose s’imposa à lui : il avait été kidnappé et était retenu prisonnier ici depuis un temps qui lui paraissait interminable.

Tout lui revint brutalement.

CHAPITRE 1

Jiheon salua Jaehoon et lui souhaita une bonne soirée avant de s’éloigner d’un pas tranquille de l’université. Son cousin et lui étudiaient dans la même filière, si bien qu’entre deux cours ils avaient pris l’habitude de s’attendre. De même, ils rentraient toujours ensemble puisqu’ils partageaient un appartement. Or, ce jour-là, c’était vendredi, autrement dit Jiheon ne rentrait pas directement chez eux. Il passait avant ça dans un petit café, au cœur d’un quartier paisible à une dizaine de minutes à pied de l’université.

Jiheon était en troisième année, Jaehoon en première. Chaque soir, ils passaient du temps tous les deux soit à travailler soit à discuter autour d’un jeu vidéo, mais le vendredi était différent. Jiheon avait en effet acquis la réputation d’être un garçon extrêmement serviable, et ce depuis qu’il s’était proposé pour apporter les cours à un certain Kim Yuchan. Ce dernier avait raté à deux reprises son diplôme : il n’allait plus en cours et personne ne s’était dévoué pour lui permettre de les rattraper. Néanmoins, cette année, il y avait eu Jiheon.

On lui avait transmis le numéro personnel de Yuchan qu’il avait contacté, et après une longue discussion, le jeune homme avait fini par accepter qu’ils se retrouvent dans un café à l’écart des autres étudiants. Ils s’étaient rencontrés ainsi. Jiheon lui avait passé ses notes de travail et lui avait expliqué l’essentiel. Ils fonctionnaient de cette façon depuis à présent deux mois, et tout se déroulait pour le mieux.

Au contraire de Jiheon, qui témoignait d’un caractère extraverti et d’une joie de vivre débordante qui se lisait sur son visage, Yuchan apparaissait comme un garçon maladivement timide et peu loquace. Lors de leur premier rendez-vous, ce dernier n’avait pas décroché une seule phrase, il s’était contenté de prendre les feuilles photocopiées par Jiheon et lâcher un « merci » si bas que l’étudiant avait cru le rêver.

Jiheon avait à juste titre songé que Yuchan était peut-être atteint de phobie sociale, ou d’un trouble similaire qui ne lui permettait pas de se sentir à l’aise une fois confronté à autrui – et plus encore quand il se tenait en face de quelqu’un comme Jiheon qu’il n’avait jamais vu auparavant.

De fait, la semaine qui avait suivi, alors qu’ils devaient de nouveau se retrouver dans ce même café, Jiheon avait tenté de se montrer avenant, sympathique, en bref de s’attirer l’amitié de ce camarade qu’il espérait pouvoir soutenir. Yuchan était un garçon de qui le physique prouvait la fragilité : il était chétif, pâle, et malgré tout Jiheon le trouvait d’une beauté ensorcelante. Son visage en effet arborait des traits parfaits, du moins selon l’avis de Jiheon. Il avait des yeux en amande plus fins que les siens, un nez joliment ciselé, des pommettes que sa maigreur rendait saillantes, et le front caché par les mèches brunes qu’il y laissait retomber.

L’enthousiasme de Jiheon, son sourire et son rire caressants avaient fini par tirer un léger rictus attendri à Yuchan, et au fil des semaines ils avaient ouvert le dialogue. Il ne s’agissait jamais de vraies conversations, longues et développées, mais disons que c’était des conversations à la manière de Jiheon et Yuchan. Des salutations, un bref « ça va », et des indications sur les cours qu’il lui photocopiait.

Entendre parler ce garçon introverti était devenu pour Jiheon un véritable bonheur : Yuchan possédait un timbre particulier, il était doué d’une voix traînante qui demeurait douce. Elle était grave et agréable, au contraire de la sienne, plus haut perchée.

Pourtant, malgré la nette évolution de leurs rapports, une chose n’avait pas changé : Yuchan ne parvenait toujours pas à soutenir le regard de Jiheon. Ce dernier en ignorait la raison, même s’il se doutait que c’était dû à sa timidité. D’une certaine manière, il trouvait ça mignon lui qui était son aîné, il ressemblait à un animal apeuré et inoffensif, incapable de se défendre face aux dures lois du monde extérieur.

C’était pour cette raison que Jiheon désirait l’aider à s’en sortir, à obtenir son diplôme. Yuchan était un garçon gentil, et ses joues qui s’empourpraient parfois ainsi que son demi-sourire à croquer soulignaient ce côté angélique. Le cadet s’était vite attaché à lui et à son tempérament d’une douceur incomparable.

Yuchan en effet, de peur peut-être de représenter un poids pour Jiheon, tenait toujours à payer pour eux deux, afin de le remercier pour son soutien précieux. Jiheon avait tout d’abord hésité, même s’il ne prenait qu’un soda, et finalement, face à l’insistance de son camarade, il avait fini par céder. Ça le rendait d’autant plus attirant.

Jiheon se sentait plus intéressé par les hommes que les femmes, et il devait bien admettre que Yuchan dégageait quelque chose de particulier, un charme mystérieux, ce quelque chose en plus qui faisait naître au creux de son ventre un sentiment de bonheur béat chaque fois qu’il réussissait à lui décrocher un sourire.

Cette fois encore, le plus jeune franchit avec une joie naïve l'entrée du café dans lequel il retrouvait son ami chaque semaine. Ce dernier était attablé avec devant lui deux boissons, dont Jiheon reconnut qu’il s’agissait de celles qu’ils commandaient habituellement. Il se dirigea vers son camarade qui se retourna en entendant la porte du petit commerce. Il paraissait toujours aussi tendu et stressé qu’à l’accoutumée, mais dès qu’il aperçut Jiheon, il sembla se calmer et lui offrit un sourire bienveillant. Jiheon lui adressa un salut bref auquel l’autre ne répondit pas, occupé à rougir timidement.

Le café s’avérait pratiquement vide, sans aucun doute parce que le vendredi soir, les étudiants privilégiaient les boîtes de nuit et les karaokés aux cafés tranquilles près de l’université. C’était un endroit agréable malgré son apparence banale. La décoration, bien que moderne, ne criait au luxe ou ni ne se démarquait. Il s’agissait d’un lieu paisible, et Jiheon se sentit heureux d’y retrouver Yuchan.

Arrivé à sa hauteur, il posa son sac à dos sur le sol et croisa un bref instant les iris bruns brûlants de son aîné.

« Bonsoir, hyung1 ! se réjouit-il en prenant la chaise en face de lui. Comment tu vas ? »

Incapable de soutenir le regard de son cadet lorsque ce dernier l’appelait « hyung », Yuchan baissa les yeux et balbutia un « bien et toi » que l’oreille désormais entraînée de Jiheon parvint à saisir. Il lui répondit avec gaité et lui retourna la question, après quoi l’autre affirma que de son côté tout allait pour le mieux.

Un silence s’ensuivit, pendant lequel Jiheon cherchait dans son cartable la pochette qu’il réservait aux cours qu’il photocopiait. Yuchan en profita pour pousser un verre de soda devant lui, visiblement commandé à peine quelques minutes plus tôt.

« T-Tiens, balbutia-t-il avec embarras. J-Je l’ai commandée pour toi, comme j-je sais que c’est toujours ce que tu prends… »

Jiheon releva la tête, sa pochette entre les mains, et ses yeux devinrent deux adorables fentes tandis que son sourire s’agrandissait.

« C’est super gentil, merci beaucoup ! s’exclama-t-il.

— De rien. »

Jiheon porta le verre à ses lèvres en même temps que son ami, et ils discutèrent de longues minutes (du moins, il expliqua les cours de la semaine à Yuchan pendant de longues minutes).

« Et c’est à peu près tout, termina-t-il.

— D’accord, m-merci beaucoup. »

Yuchan prit les feuilles d’un geste peu assuré et y jeta un coup d’œil en avalant une nouvelle gorgée de sa boisson dans l’espoir de cacher son éternelle gêne. Jiheon en sourit, attendri comme toujours, et s’apprêtait à poursuivre quand il fut coupé :

« Jiheon-ah2 ! Qu’est-ce que tu fais ici ? »

La voix joyeuse fut immédiatement reconnue par l’appelé qui se tourna pour voir arriver son meilleur ami et camarade de classe, Sanghyun, un garçon élégamment habillé et dont les cheveux d’un bleu éclatant étaient coiffés à la perfection. Le jeune homme arborait un large sourire d’une forme peu commune.

Aussitôt, Yuchan se rembrunit et baissa la tête sur les feuilles qu’il tenait, dans l’espoir de se faire le plus petit possible.

« Hyun, lança Jiheon sans remarquer l’embarras de son aîné, je te retourne la question.

— Je venais chercher mon frère, il travaille ici, indiqua-t-il. Et dis-moi, c’est qui ce charmant garçon ? »

Sanghyun coula un regard taquin vers Yuchan qui sentit ses joues s’empourprer immédiatement. Jiheon, constatant le malaise ressenti par son camarade, réagit rapidement :

« Yuchan, l’ami à qui j’apporte les devoirs. D’ailleurs, on était en train de parler des cours, on est un peu occupés.

— J’ai compris, je vous laisse, acquiesça Sanghyun avec un sourire angélique. Travaillez bien !

— Merci, passe un bon weekend !

— Toi aussi, mon Jiheon-ah ! »

Et ce faisant, Sanghyun claqua un baiser sur la joue de son ami avant de filer au comptoir demander si un certain « Kim Sangjin » avait enfin terminé son service.

« C-C’est un de tes amis ? balbutia Yuchan pour relancer la conversation.

— Oui, Hyun et moi, on se connaît depuis des lustres. Il est bruyant et pas très discret, mais c’est un amour. »

Yuchan se contenta de hocher la tête. Il appréciait très moyennement la conversation, du moins aux yeux de Jiheon, la lueur qui s’était allumée dans les prunelles de son camarade indiquait qu’il voulait changer de sujet – ou bien qu’il n’appréciait pas le moins du monde l’intervention de cet être exubérant pendant qu’ils discutaient.

Jiheon donc passa du coq à l’âne et raconta quelques nouvelles à Yuchan : ce qu'il vivait à l’université, etc. Quand les deux verres furent vides, les garçons rangèrent leurs affaires. Yuchan n’avait pas laissé échapper un mot depuis le départ de Sanghyun, et Jiheon s’en sentait coupable alors même qu’il n’avait rien à se reprocher. Il avait bien remarqué que la présence de son ami avait mis l'aîné mal à l’aise, mais il ne pouvait plus rien y faire, désormais. Et dire que Yuchan l’avait sans doute invité ici pour être tranquille et ne parler avec personne…

« Tu veux que je te rembourse ma consommation ? s’enquit Jiheon en sortant son portefeuille. Je m’en veux de te laisser toujours payer.

— C’est déjà payé, répliqua Yuchan d’un air neutre, t’embête pas… ç-ça me fait plaisir. Mais… »

Il hésita un instant, se mordilla la lèvre, mal assuré, et releva pour une des premières fois depuis leur rencontre les yeux vers Jiheon qui l’encouragea d’un regard.

« Est-ce que la semaine prochaine, t-tu voudrais bien qu’on se voie ailleurs ? Chez moi, ç-ça t’irait ? »

Jiheon déglutit mais acquiesça aussitôt. Bien sûr qu’il adorerait aller chez Yuchan, découvrir qui il était, se lier un peu plus avec lui. Leur rapprochement, aux yeux du jeune garçon, prouvait que l’aîné faisait des efforts, et il continuait d’espérer qu’à terme, il pourrait reprendre l’université et vivre une vie normale.

C’était tout ce que son cadet lui souhaitait.

« Cool, sourit Yuchan d’un air rassuré, je t’enverrai l’adresse.

— Pas de soucis, j’amènerai un petit truc à manger, si ça te dit.

— D’accord, on fait comme ça. Euh… je… je voulais encore te remercier, marmonna Yuchan qui retrouva sa timidité naturelle, c’est la première fois en deux ans que quelqu’un se montre aussi gentil avec moi et… ça compte beaucoup pour moi, tu sais.

— T’es quelqu’un de gentil, c’est normal que je prenne la peine de t’aider, ça me fait plaisir. Je suis heureux de t’avoir rencontré. »

Yuchan détourna le visage et s’en alla après un bref salut, sans trouver le courage de lever une fois de plus les yeux vers ceux de Jiheon. Ce dernier, malgré le départ précipité de son camarade, put voir sur ses pommettes d’adorables rougeurs qui le firent sourire. Décidément, cette excessive timidité le rendait bien trop attendrissant, son pauvre cœur n’allait pas survivre au fait de passer du temps seul à seul avec lui.

Il s’impatientait déjà, pressé qu’arrive la semaine suivante.

Peu après, son portable vibra contre sa cuisse et il le tira de sa poche pour y découvrir un message de Yuchan. Il le relut à plusieurs reprises, tout à coup surpris. Ses sourcils se froncèrent sans même qu’il s’en rende compte et il prit une moue dubitative.

1Parfois traduit par « grand frère », ce mot est utilisé par un garçon pour désigner un garçon plus âgé de qui il se sent proche (frère, cousin, ami, etc).

2Suffixe affectueux.

CHAPITRE 2

« Tu vas pas au café cette semaine ? s’étonna Jaehoon.

— Si, si, mais je dois passer prendre un truc à la bibliothèque avant, m’attends pas. »

Le cadet, un garçon au visage encore marqué par l’enfance qu’il avait pourtant quittée, observa avec un air surpris son cousin filer dans une direction qui n’était absolument pas celle de la bibliothèque universitaire. Jiheon avait toujours fait un bien piètre menteur, néanmoins Jaehoon esquissa un rictus en songeant qu’il allait probablement retrouver Yuchan dans un endroit un peu plus intime que le café.

Car Jiheon lui avait récemment avoué qu’il appréciait de plus en plus la compagnie de son aîné, et malgré ses camarades de classe qui lui répétaient inlassablement que ce jeune homme n’était pas fréquentable et qu’il valait mieux l’éviter, Jiheon avait refusé de les croire. Après tout, ils disaient simplement ça parce qu’ils ne le connaissaient pas, aucune de ces personnes n’avait tenté de savoir qui était Yuchan, alors bien sûr ils le dénigraient.

De nombreuses rumeurs circulaient à propos de ce redoublant. Ceux qui étaient dans sa promotion deux ans plus tôt avaient prétendu qu’il était devenu du jour au lendemain dépressif, et qu’il avait commencé à se montrer froid et distant. Ce n’était pas quelqu’un de bien. Mais Jiheon n’avait rien vu de tout ça : il avait vu en Yuchan un garçon charmant, touchant, mais très timide, maladroit en société, si bien que ça expliquait à ses yeux pourquoi c’était à lui qu’on s’en prenait. Les idiots en effet s’attaquaient toujours aux plus vulnérables, et Yuchan n’était pas en mesure de se défendre. Il ne savait même pas ce qu’on prétendait à son sujet.

Jaehoon s’était naturellement inquiété quand Jiheon avait dû rencontrer ce fameux Yuchan, celui qui nourrissait les plus folles rumeurs de leur département universitaire, mais son cousin l’avait rassuré en lui promettant qu’il ne verrait Yuchan que dans des endroits publics. Par la suite, mois après mois, Jiheon lui disait tant de bien de ce mystérieux garçon qu’il avait fini par déceler au fond de ses prunelles une étincelle, celle qui signifiait que son aîné s’était attaché à Yuchan.

Jaehoon en effet connaissait tout de lui, jusqu’à sa préférence pour les hommes, préférence pour laquelle il ne l’avait jamais regardé différemment. Au contraire, depuis quelques jours il se demandait quand son cousin lui présenterait Yuchan en tant que petit ami. Peut-être dès le lendemain, du moins si Jiheon allait bel et bien avec lui (et pour Jaehoon, aucun doute à ce sujet).

Le cœur léger donc, le plus jeune quitta l’université et rentra chez lui.

Jiheon quant à lui, une fois éloigné de Jaehoon, prit son téléphone et observa l’adresse envoyée par Yuchan une semaine plus tôt. Il peinait à croire que son camarade ne se soit pas trompé, si bien qu’il lui avait posé la question presque aussitôt. Et Yuchan avait confirmé qu’il s’agissait de son adresse.

Ce dernier trépignait d’impatience. Il en venait même à se ronger les ongles : Jiheon, son Jiheon, il allait enfin l’accueillir chez lui, lui faire visiter son appartement ! Il attendait juste derrière la porte, trop anxieux pour pouvoir faire quoi que ce soit d’autre que de s’inquiéter de l’arrivée de celui dont il s’était épris. Il n’était pas stupide : deux ans plus tôt, il avait bien vu que ses camarades commençaient à cracher dans son dos, à le haïr sans raison. Il n’avait jamais fait de mal à qui que ce soit, il n’avait jamais voulu de mal à qui que ce soit. C’était les autres qui lui faisaient du mal, c’était eux. Par conséquent, il avait préféré se terrer chez lui, dans l’appartement du dernier étage de cet immeuble de luxe que ses parents lui avaient payé avant de l’abandonner, seul comme toujours.

Il avait fini par ne plus sortir et un temps, il se laissait même dépérir, songeant que la mort était sans aucun doute plus douce que la vie. Il avait réfléchi : ce n’était pas lui qui méritait de périr, il n’avait jamais rien fait de mal. Mais il ne pouvait pas sortir, il n’en avait plus la force. Il lui semblait qu’un unique regard de travers pourrait le briser, il avait peur.

Du moins jusqu’à ce jour de mai, quand il avait reçu un message d’un numéro inconnu sur son portable :

Inconnu – Bonjour Yuchan, je m’appelle Jiheon et je suis dans ta classe. Je me demandais si on pourrait se voir, j’ai pris tes cours et je voudrais te les faire passer. :)

Yuchan avait aussitôt songé à lui proposer de les lui envoyer par mail ou bien de les photographier pour les lui transmettre par SMS. Finalement, sans savoir pourquoi, il avait préféré accepter la suggestion de Jiheon et lui avait donné rendez-vous dans ce petit café pas très loin de l’université. Il n’était plus sorti depuis des semaines, tout ce dont il avait besoin il se le faisait livrer, mais il avait hésité à peine quelques dizaines de minutes avant de décider de sortir pour Jiheon.

Il ne le connaissait pas, pourtant ce message, il l’avait perçu comme l’intervention d’un sauveur. C’était inexplicable, mais quand il avait constaté que les voix s’étaient tues pendant qu’il lisait le texto de Jiheon, il avait compris qu’il devait aller à ce rendez-vous. C’était le destin qui tentait de les réunir.

Et Yuchan avait très bien fait de s’y rendre : dès l’instant où il avait vu Jiheon, ses craintes s’étaient envolées. Ce garçon avait un visage d’ange tel qu’il était impossible qu’il se montre, comme les autres, méprisant envers lui. Dès l’instant où il avait vu Jiheon, Yuchan s’était senti détendu et en confiance – ce qui n’avait pas empêché son excessive timidité de refaire surface. Mais de toute évidence, ça n’avait pas gêné son camarade – qui au contraire semblait prêter toujours attention à ce qu’il disait pour ne pas l’embarrasser.

En somme, Jiheon était craquant, beaucoup trop craquant. Et bien sûr, Yuchan avait craqué. Garçon, fille, il se moquait du sexe : lui ce qu’il estimait, c’était que Jiheon demeurait la seule personne qui, en deux ans, ne l’avait pas jugé et avait préféré le connaître et lui sourire.

Mais il y avait eu Sanghyun.

Un sublime jeune homme, gentil, très proche de Jiheon, et à qui ce dernier avait laissé la chance de l’embrasser sur la joue. Ce geste avait profondément déplu à Yuchan : pour une fois que quelqu’un s’intéressait à lui, il avait la sensation qu’on essayait de le lui voler. Et puis, Jiheon semblait si heureux avec Sanghyun. Ils avaient beau n’avoir échangé que quelques mots, Yuchan avait bien compris à quel point l’un tenait à l’autre. Or le garçon avait toujours caché une nature très possessive. Son Jiheon, c’était son Jiheon, pas celui de Sanghyun. L’aisance financière de ses parents lui permettait de tout obtenir, et il n’avait jamais aimé partager.

Il craignait tant que ce garçon sorti de nulle part ne se mette à le dénigrer devant Jiheon et qu’ainsi ce dernier ne l’abandonne. Il ne voulait plus risquer de croiser Sanghyun. Quand il avait rendez-vous, il voulait qu’ils soient seuls, comme seuls au monde. C’était cette sensation qu’il éprouvait avec lui, et lorsque cet intrus s’était incrusté sans la moindre gêne, ça l’avait déstabilisé. Il ne courrait plus le risque que ça se reproduise, c’état trop embarrassant, et Jiheon pourrait se rendre compte que face à Sanghyun, Yuchan ne possédait strictement aucun charme.

Après tout, il n’était qu’un mec maigrelet, timide et peu intéressant. En à peine dix secondes quant à lui, Sanghyun avait su capter toute l’attention et la sympathie de Jiheon. Yuchan s’était senti beaucoup trop inférieur, pour la première fois mal à l’aise auprès de Jiheon.

Dans ses pensées, Yuchan passa nerveusement la main dans ses cheveux qu’il avait teintés en blond platine, dans l’espoir d’attirer le regard de Jiheon sur lui et, peut-être, qu’il lui dise qu’il le trouvait beau ainsi. Oui… si seulement Jiheon pouvait lui offrir un tel compliment, il serait le garçon le plus heureux du monde.

Probablement parce que son admiration s’était muée, au fil des semaines, en amour.

Deux coups timides frappèrent à la porte, immédiatement Yuchan se tendit avec au cœur une impression étrange, loin de ressembler à la chaleur qui l’envahissait lorsque son ami se tenait auprès de lui. Ça ressemblait à une sensation désagréable, presque inquiétante, une émotion qu’il ne saurait pas définir, un peu comme s’il avait au fond de lui la certitude que Jiheon allait fuir au plus vite. Allait-il être intimidé par les lieux ? Peut-être, après tout Yuchan avait vraiment soigné la décoration de chez lui, il aimait passer son temps entre ces murs, alors mieux valait qu’il s’y sente tout à fait à son aise. Pour autant, Jiheon n’avait peut-être pas les mêmes goûts.

Yuchan ouvrit en retenant un soupir de soulagement lors-qu’il vit Jiheon devant lui. Il était toujours aussi adorable, avec son visage de poupon et son corps de jeune homme. S’il le pouvait, Yuchan couvrirait ses joues enfantines de bisous innocents. Il s’imaginait déjà serrer contre lui cet être angélique qu’il idolâtrait.

« Bonjour, hésita Yuchan d’un ton gêné, entre, t’es le bienvenu. »

Jiheon avait beau tenter de se montrer discret, son regard allait de gauche à droite, de bas en haut, et il semblait analyser tous les recoins de l’appartement et du couloir dans lequel il se trouvait toujours, visiblement décontenancé par ce qu’il découvrait. Immédiatement, Yuchan en fut gêné : il était vrai que vivre seul dans un immeuble de luxe présentait quelque chose d’embarrassant quand on savait que Jiheon, lui, habitait un studio minuscule qu’il partageait avec son cousin (il l’avait avoué à Yuchan lors d’une précédente discussion).

Le propriétaire des lieux se décala, invitant silencieusement l’autre à entrer. Jiheon marqua un bref temps d’hésitation avant d’obéir. Les murs étaient décorés d’un papier peint teinté d’un blanc cassé élégant, tandis que les plinthes grises apportaient un contraste agréable. Tout était propre, parfaitement ordonné : l’entrée de l’appartement en effet s’ouvrait sur un large rangement de bois clair rempli de chaussures (alors que Yuchan portait toujours la même paire de baskets aux pieds). Sur l’étagère se trouvaient plusieurs bibelots, et le mur comportait de nombreux cadres qui contenaient de vieilles photos de famille. Au plafond, une petite lampe offrait un éclairage suffisant face à la nuit qui tombait lentement sur ce jour de début novembre.

Yuchan referma la porte, geste qui tira un étrange frisson d’appréhension à Jiheon qui cependant ne rajouta rien, heureux malgré tout de pouvoir passer un peu de temps avec son ami. L’ambiance semblait pesante – et encore, c’était peu dire. L’atmosphère en effet était devenue lourde, et l’hôte sentait bien son invité tendu. Dans l’espoir donc de l’aider à se mettre à l’aise, il le guida au salon, pièce sur laquelle donnait directement l’entrée. Elle était immense, et malgré l’orgueil qu’elle aurait pu inspirer à Yuchan, ce dernier demeura humble et convia Jiheon à s’asseoir sur le canapé pour qu’ils puissent étudier en toute sérénité.

Jiheon ne détachait plus son regard des baies vitrées. La nuit était tombée, il n’était pas si tard mais l’hiver approchait à grands pas, si bien que même s’il était à peine six heures du soir, on n’y verrait déjà plus rien les lampes éteintes. De lumineuses étoiles tapissaient la voûte sombre du ciel et pas un mot ne fut prononcé pendant de longues secondes qui permirent à Jiheon d’appréhender un peu mieux l’endroit dans lequel il se trouvait. Le canapé de cuir sur lequel il était assis faisait face à une table basse au socle de verre. La télévision trônait plus loin, sur une vitrine à deux rayons qui regorgeait de jaquettes en tous genres, allant des DVD jusqu’aux jeux vidéo. Autour d’eux, il n’y avait ensuite que des meubles du même bois que l’étagère de l’entrée. Parmi eux, on repérait immédiatement les hautes bibliothèques, qui volaient la vedette aux vases et bibelots de valeur installés sur de petits guéridons couverts d’un napperon blanc ornés de motifs soigneusement brodés.

« C’est… vraiment élégant chez toi, bredouilla Jiheon intimidé.

— Ce sont mes parents qui m’ont laissé cet immeuble, j’en voulais pas.

— Tout l’immeuble ?

— Oui. Les autres étages sont en rénovation, alors je ne peux habiter qu’ici. Les travaux ont été suspendus quand mes parents se sont barrés pour affaires. À l’origine, ils voulaient refaire tout à neuf pour pouvoir ensuite louer et toucher des rentes importantes.

— Tu ne leur parles plus ?

— Non. »

Jiheon acquiesça lentement avant d’adresser un maigre sourire à son hôte et de se décider enfin à sortir de son sac les cours qu’il avait pris pour lui.

CHAPITRE 3

L’ambiance ne s’était pas vraiment détendue, mais après quelques minutes à discuter des cours avec son aîné, Jiheon se sentait déjà plus serein. Il avait après tout appris à connaître Yuchan sans le juger pour ses biens, alors ce n’était pas l’apparence de son appartement qui le pousserait à changer d’avis.

Yuchan quant à lui, installé sur le tapis et face à lui, se sentait bien mieux que lorsque son camarade était arrivé. À présent, Jiheon lui expliquait ce qu’il devait réviser pour les partiels, le mois prochain, et Yuchan acquiesçait sans l’écouter tout à fait, plus intéressé par sa beauté que par ce qu’il lui racontait.

« Hyung, tu m’écoutes ? »

La petite moue qu’il affichait était à croquer, mais l’appelé se ressaisit bien vite et s’excusa, mettait son manque d’attention sur le compte de la fatigue. L’autre le considéra un instant avec un regard empli de curiosité et finit par opiner sans un mot de plus, revenant à ses explications qu’il tenta de rendre plus simples afin que Yuchan réussisse à saisir le sens du cours en dépit de son prétendu épuisement.

Le jeune garçon, déterminé à faire plaisir à son invité, se concentra au mieux, et ce fut ainsi que se passa la séance. Du moins, c’était ainsi qu’elle aurait dû se passer, car elle fut coupée lorsque Jiheon porta la main à son sac pour en sortir son téléphone. Malheureusement…

« Merde, jura-t-il, je suis con.

— Qu’est-ce qu’il y a ? s’enquit Yuchan d’un air inquiet.

— J’ai oublié de recharger mon portable chez Sanghyun ce matin, en venant j’ai utilisé mes derniers pourcentages de batterie. Heureusement que j’avais retenu où t’habitais, sinon j’aurais jamais trouvé.

— Il t’a lâché y a longtemps ?

— J’étais encore au centre-ville, mais j’avais le trajet en tête, je l’avais vérifié plusieurs fois. »

Puis une nouvelle question brûla les lèvres de Yuchan :

« Dis… t’as passé la nuit chez Sanghyun, du coup ?

— Ouais, ça m’arrive parfois, » approuva Jiheon qui cherchait dans son sac s’il avait ou non amené son chargeur.

Il fronça les sourcils, toujours à la recherche de l’objet, tandis que Yuchan continuait, tout à coup gêné de poser ces questions auxquelles il voulait absolument une réponse.

« Et pourquoi tu dors chez lui ? Tu m’avais dit que t’étais en colocation avec ton cousin, non ?

— Ouais, mais Hyun a une chambre d’étudiant, c’est juste à côté de la fac, comme ça j’ai pas besoin de rentrer chez moi. Il vient de Daegu et est venu étudier à Séoul pour se rapprocher de son frère, c’est pour ça que ses parents sont pas dans le coin. Et comme ça le dérange pas, souvent je m’incruste chez lui.

— Mais dans sa chambre, vous faites comment pour dormir à deux ?

— Bah on dort dans son lit. »

Immédiatement, Yuchan sentit une étrange forme de colère mêlée d’égoïsme monter en lui : il était jaloux de ce garçon, ce Sanghyun qui pouvait dormir avec Jiheon. Mais ce dernier ne s’en rendit pas compte, trop occupé qu’il était à se réjouir d’avoir enfin retrouvé son fil. Il alla le brancher au fond de la pièce et revint, demandant poliment à son hôte s’il était prêt à reprendre le travail. Yuchan lui adressa un sourire embarrassé et lui proposa une pause :

« Je suis crevé, expliqua-t-il, je vais aller me servir un verre de coca. Tu veux quelque chose ?

— T’as quoi ?

— Sodas, thé, eau, et jus d’orange.

— Je vais prendre un peu de jus d’orange, merci. »

L’autre acquiesça et se rendit à la cuisine. Il sortit du frigo les deux bouteilles ainsi que deux verres qu’il remplit aux trois quarts. Il s’apprêtait à repartir quand il se mordit la lèvre, tournant un regard hésitant vers un placard qui, visiblement, lui faisait de l’œil. De nouveau il centra son attention sur le couloir devant lui qui menait au salon où l’attendait Jiheon, ce garçon plein de douceur et d’amabilité.

Un dilemme naquit alors en lui, il songea qu’entre le portable déchargé de Jiheon et le fait qu’il n’avait probablement pas donné l’adresse exacte de l’endroit où il se rendait à Jaehoon, c’était le moment parfait. Néanmoins, il ne pouvait pas lui imposer ça, c’était une personne si bienveillante, ce serait cruel de vouloir la garder pour lui.

Malheureusement, l’image de Sanghyun, magnifique jeune homme qui avait embrassé la joue de Jiheon, lui revint en tête. Il revit le sourire de son ami à ce geste, la tendresse dans ses prunelles. Pourquoi jamais personne ne l’avait regardé comme ça, lui ? Pourquoi le haïssait-on ? Être marginal n’excusait pas le mépris, tout ce qu’il avait toujours souhaité, c’était qu’on le soutienne, qu’on croie en lui, qu’on l’aime. Or, entre sa situation familiale compliquée et sa timidité qui s’était changée en sociophobie, il n’avait jamais trouvé l’occasion d’entendre des mots d’amour.

Jiheon, en deux ans, avait été le seul à lui sourire, il ne pouvait pas le laisser s’en aller, car un jour Jiheon finirait par l’abandonner, comme tout le monde. Il n’y pouvait rien, c’était écrit, gravé dans le marbre de la peau blanche de Yuchan. Ce jeune garçon au visage angélique avait beau se révéler d’une extrême gentillesse, il en viendrait nécessairement, tôt ou tard, à l’oublier.

Le cerveau de l’aîné bouillonnait, il réfléchissait plus vite que jamais, pourtant il n’y voyait pas plus clair.

Ce fut lorsque Jiheon, l’appelant depuis le salon, le sortit de ses pensées qu’il réussit à trancher, dans la précipitation. Aussitôt, il clama qu’il arrivait, et il reposa les verres sur le plan de travail avant de tirer de son placard une boîte de comprimés.

« Mais qu’est-ce que je fais, murmura-t-il, qu’est-ce qui me prend ? »

Ces comprimés et tant d’autres qu’il ne prenait plus depuis des mois malgré les ordres de son médecin (qu’il ne voyait plus non plus depuis des mois) étaient rangés dans ce placard pour que, quand il les consommait encore, il soit certain de ne pas les oublier après les repas. Antidépresseurs, somnifères, antipsychotiques. Lorsqu’il avait commencé à s’isoler, il avait subi bon nombre de problèmes résolus à présent. Or, une forme de paranoïa peu prononcée revenait lentement, s’insinuait en lui de façon sournoise : Sanghyun comptait lui voler Jiheon. Yuchan avait disposé d’une semaine entière pour ruminer ce petit baiser qu’il avait surpris, et apprendre désormais que les deux inséparables amis dormaient ensemble, ça avait fini de le convaincre. Sanghyun était lui aussi tombé amoureux de Jiheon, c’était évident !

C’était pour ça que Yuchan désirait le garder, le protéger à tout prix du monde extérieur, le faire sien. Il ne lui voulait aucun mal, au contraire il en s’était épris de lui : rencontrer Jiheon demeurerait la meilleure chose qui lui soit jamais arrivée, et il n’allait pas laisser tout ça s’effondrer pour voir ensuite l’homme de sa vie se promener au bras d’un autre. Car Jiheon était son âme sœur. C’était lui qui était venu le tirer de sa solitude, lui qui l’avait poussé à parler de nouveau en ignorant que Yuchan s’était depuis des lustres muré dans le silence.

Depuis Jiheon, il se sentait revivre, il se sentait amoureux, et il souhaitait encore pouvoir ressentir ça plutôt que de ressentir son infinie jalousie pour ce foutu Sanghyun.

« Je suis désolé, Jiheon, murmura l’étudiant en laissant tomber deux comprimés dans le verre de jus d’orange, j’espère que tu me pardonneras… »

Les médicaments effervescents se diluèrent rapidement, heureusement qu’ils n’avaient aucun goût particulier.

Il annonça son retour et Jiheon n’insista pas plus longtemps. Le pauvre garçon était convaincu que si Yuchan avait passé tant de temps à la cuisine, c’était pour prolonger la pause et ne pas avoir à reprendre tout de suite le travail. Sa naïveté faisait son charme, mais elle allait le perdre. Son aîné en sentit son cœur se tordre douloureusement.

Rongé par les remords à la simple idée du plan qu’il s’apprêtait à exécuter, Yuchan revint au salon d’un pas traînant que Jiheon interpréta une fois de plus (à tort) comme l’expression de sa lassitude face au cours. D’un côté son hôte voulait lui donner ce verre, pouvoir le garder auprès de lui, et d’un autre côté il savait qu’il s’agissait là de pure folie. C’était horrible d’infliger ça à un garçon qu’il aimait. Mais… justement, il en était amoureux, si amoureux. C’était atroce de l’imaginer, mais c’était cet amour qui allait le pousser à faire souffrir Jiheon.

Pourtant il devait bien exister une alternative, non ? Non, pas pour Yuchan, parce que personne ne pourrait jamais aimer un sociophobe incapable de tenir une conversation plus de cinq minutes. Personne ne l’avait jamais chéri et personne ne le chérirait jamais, du moins c’était ce que les voix prétendaient jadis – et elles avaient toujours eu raison. Jiheon pourrait peut-être s’éprendre de lui, mais pour ça il ne devait plus voir Sanghyun, plus voir personne d’autre que lui.

Tout se confondait de manière insoutenable pour le pauvre Yuchan qui ne savait plus s’il devait ou non servir à son ami le breuvage qui allait décider de la suite des évènements. S’il le retenait contre sa volonté, Jiheon allait le haïr, mais il pourrait très bien changer d’avis en voyant à quel point Yuchan l’aimait, à quel point il était prêt à tout pour lui, pour être aimé en retour.

Il devait vraiment être désespéré pour penser ça, oui, c’était finalement peut-être le cas. À force d’avoir entendu son médecin répéter des inepties ridicules, il avait fini par remettre son esprit en question, par se demander s’il n’était pas parfois un peu trop plongé dans ses rêves, dans cet univers qu’il s’était créé pour éviter de souffrir. Il savait ses problèmes, mais il savait également qu’il les avait surmontés des mois plus tôt. Et Jiheon n’était pas étranger à cette victoire.

Il détenait la solution à tous ses maux, Yuchan en était certain. Alors il ne pouvait pas le laisser partir, il ne pouvait pas le perdre, car Jiheon pouvait très bien l’abandonner du jour au lendemain, comme tout le monde l’avait fait. Mais venant de son âme sœur, Yuchan ne le supporterait pas : il était si profondément épris de lui que si jamais il le délaissait lui aussi, il préférerait tout lâcher et mettre fin à ses jours plutôt que de poursuivre son existence misérable avec l’espoir d’un bonheur irréel et d’un amour que personne ne serait en mesure de lui apporter.

Jiheon… il représentait bien plus qu’un ami, plus même qu’un coup de cœur. C’était sa dernière chance de trouver le bonheur dans une vie qu’il avait toujours estimée d’une effrayante noirceur. C’était sa dernière flamme pour se repérer dans la brume obscure de ses tourments les plus dévorants.

Il posa les verres sur la table et adressa un sourire timide à son cadet qui le remercia.

Les minutes s’écoulèrent, et à mesure que Jiheon parlait, il sentait ses paupières s’alourdir. Yuchan en eut un nouveau pincement au cœur à le voir ainsi ensommeillé. Il en devenait encore plus beau que d’habitude, avec sa petite mine fatiguée.

« Je vais envoyer un message à mon cousin pour lui dire de venir me chercher, je suis KO, soupira Jiheon en se redressant dans un effort qui lui parut surhumain. On terminera les cours plus tard, ça marche ?

— Ouais, pas de soucis. »

Yuchan se releva à son tour, observant d’un œil inquiet les faits et gestes de son ami qui peinait à mettre un pied devant l’autre. Il chancelait presque, si bien que Yuchan lui attrapa le bras pour lui éviter la chute.

« Heonie, t’es tout pâle, t’es sûr que ça va ?

— Je sais pas, j’ai dû choper un coup de froid, j’aurais dû attacher mon manteau… Mais c’est rien, t’inquiète.

— Tu veux pas passer la nuit ici, t’es sûr ?

— Non, non, ça va, t’es gentil. »

Mais, venant immédiatement le contredire, ses jambes le lâchèrent brusquement et son corps s’affaissa contre celui de Yuchan qui le soutint comme il le pouvait.

« Jiheon !

— Je… je me sens pas bien tout compte fait, soupira Jiheon au bord de l’endormissement.

— T’inquiète, ça doit être un simple coup de fatigue, t’as beaucoup bossé aujourd’hui ?

— Je sais pas… hyung… »

Déjà, c’était tout son être qui abandonnait Jiheon, dont l’esprit était désormais trop brumeux pour qu’il puisse comprendre que s’effondrer si brutalement n’était pas dû à un simple coup de fatigue. Yuchan le retint, tout contre lui ; c’était la première fois qu’il l’enlaçait.

Il pouvait encore changer d’avis, il pouvait lui faire croire qu’il avait subi un coup de fatigue fulgurant et le laisser partir. Néanmoins, maintenant qu’il avait son Jiheon dans les bras… son agréable odeur si proche de lui… le laisser s’en aller était devenu impensable.

Il le voulait pour lui, rien que pour lui.

CHAPITRE 4

Lorsqu’il reprit connaissance, Jiheon éprouva un mal fou à soulever une seule paupière. Il n’insista pas et la referma aussitôt, étonné de sentir sous lui un matelas douillet et sur lui une couverture bien chaude. Il tenta de bouger mais en fut incapable, encore trop endormi. Il se situait entre rêve et réalité, prêt à retomber dans sa léthargie. Il ne savait même plus ni où il était ni pourquoi, mais il ne se souvenait pas de s’être couché la veille…

En fait, pour dire vrai, il ne se souvenait plus de grand-chose.

Il geignit dans son demi-sommeil. Aussitôt il entendit des pas se rapprocher, signe que quelqu’un se trouvait dans sa chambre avec lui – sûrement Jaehoon.

« Jiheon ? »

Yuchan ?

« H-Hyung, souffla-t-il tant bien que mal, j-je… j-je…

— Chut, essaie pas de parler, ça sert à rien, répondit l’autre d’une voix attendrie, j-je t’ai filé deux comprimés, c’est plutôt lourd, surtout pour une personne sans problèmes d’insomnie… »

Jiheon, toujours confus, ne comprit pas ce que ça signifiait. Il tenta de bouger mollement, mais son corps ne lui obéissait pas.

« Je… je suis désolé, balbutia Yuchan, bouge pas, tu te fatigues pour rien. »

Jiheon tenta de se battre encore contre l’épuisement, mais il échoua et finit par se rendormir peu après ce bref réveil. Tout était trop trouble, il n’arrivait pas à rejoindre la réalité. Ses mouvements avaient consisté en réflexes plutôt qu’en des gestes voulus. Finalement, il n’avait pas réussi à lutter et s’était assoupi de nouveau sous les yeux à la fois gênés et attendris de Yuchan qui ignorait quelle attitude adopter.

Il lui restait une chance de le laisser partir, une ultime chance de prétendre que tout ça n’avait été qu’une fulgurante fatigue passagère… mais déjà il savait qu’il ne pourrait plus se séparer de Jiheon. Le voir endormi dans son lit était quelque chose de bien trop féérique pour qu’il exprime désormais la moindre hésitation. Il voulait le garder auprès de lui, tant pis pour sa réaction : Yuchan lui montrerait qu’il n’était pas quelqu’un de mauvais.

Certes, il lui faudrait sûrement du temps, beaucoup de temps, mais il parviendrait à le raisonner et à lui prouver tout son amour. Il était convaincu que ça fonctionnerait, il était déterminé.

De longues heures plus tard, Yuchan était agenouillé sur le sol, les bras appuyés sur le matelas, une main dans la chevelure brune de son ami qu’il caressait affectueusement et avec la plus touchante des tendresses. Jiheon devenait encore plus beau quand il dormait, car le voile du sommeil qui lui couvrait le visage lui donnait une allure innocente, juvénile. C’était le plus merveilleux des hommes.

Égaré dans sa contemplation, Yuchan ne s’aperçut que l’élu de son cœur ouvrait les yeux que lorsqu’il vit son regard de jais dirigé sur lui, l’air perdu.

« Hyung, marmonna-t-il d’une voix fatiguée, il est quelle heure ?

— Dix heures du matin, répondit Yuchan, t’as dormi toute la nuit ici.

— Je suis désolé, réagit Jiheon en se relevant, je dois… »

Il s’interrompit en même temps que son geste lui-même fut interrompu : ses mains étaient liées entre elles par des menottes de métal. Elles étaient assez serrées pour l’empêcher de s’en défaire, mais pas assez pour le blesser. Ses jambes, c’était d’épaisses cordes nouées aux barreaux du lit qui les retenaient. Par chance, elles étaient peu tendues, si bien que Jiheon gardait une certaine liberté de mouvement (du moins assez pour qu’il puisse fermer les jambes et se recroqueviller, car il avait l’habitude de dormir dans cette position). En revanche, ses menottes, attachées par une autre paire à la tête de lit, lui interdisaient une trop grande amplitude dans ses gestes.

Il jeta aussitôt un regard d’incompréhension à son hôte qui recula et, se redressant, se passa une main gênée dans la nuque sans oser croiser les yeux de celui qu’il avait capturé.

« Yuchan, c’est quoi ce délire ? demanda-t-il d’un ton froid.

— J-Je suis désolé, Jiheon…

— Détache-moi, tout de suite.

— Je suis désolé, si je le fais tu vas partir. »

Déconcerté, Jiheon entrouvrit les lèvres. Il resta muet de longues secondes avant de reprendre :

« Yuchan, détache-moi immédiatement, c’est vraiment pas drôle, si c’est une blague je te jure que ça m’amuse pas.

— J-Je ferais mieux d’aller à la cuisine te chercher un truc à manger, tu dois avoir faim, balbutia-t-il en quittant la pièce.

— Quoi ? Non Yuchan, attends ! Hyung ! Détache-moi, putain ! C’est pas drôle ! »

Les yeux écarquillés par l’invraisemblance de la situation, Jiheon observa son ami s’en aller et refermer la porte derrière lui.

Certes, en franchissant l’entrée de l’immeuble, il n’avait pas éprouvé un bon pressentiment, mais c’était impossible que tout ça s’avère sérieux. Son aîné devait lui faire une farce, tout simplement, une caméra cachée, sans plus. Peut-être que ça amusait Yuchan, mais Jiheon, lui, ne se sentait absolument pas d’humeur à rire : s’il avait bel et bien passé la nuit ici, Jaehoon devait donc probablement être mort d’inquiétude. Jiheon en effet le prévenait toujours quand il ne pouvait ou ne voulait pas rentrer.

Et dire qu’il n’avait pas indiqué à Jaehoon où il se rendait ! Il aurait dû, mais il n’avait pas désiré le lui avouer. D’une part, s’il lui avait dit qu’il allait chez Yuchan, pour sûr Jaehoon ne l’aurait plus lâché avec ses sous-entendus salaces, et d’autre part, révéler où habitait Yuchan se serait avéré tout aussi gênant, Jaehoon lui aurait fait subir un véritable interrogatoire – peut-être même ne l’aurait-il pas laissé venir.

Il aurait dû lui dire où il allait…

Jiheon profita d’être seul pour tester la solidité des cordages. Les nœuds étaient parfaitement serrés, tirer en revanche lui frottait douloureusement la peau des chevilles… Quant à ses mains, eh bien il ne pouvait pas les ramener plus bas que ses épaules (et encore, il s’estimait heureux : Yuchan aurait très bien pu utiliser une unique paire de menottes, auquel cas il aurait été obligé de garder les bras levés au-dessus de la tête). Il essaya de bouger, mais bien vite le métal le fit souffrir et il n’insista pas.

Il était coincé, pas de doute. Et pourtant, il n’arrivait pas à croire que Yuchan puisse se montrer sérieux : il était bien trop gentil et timide pour agir de la sorte, il se moquait forcément de lui. Ce fut pour cette raison que Jiheon se convainquit que Yuchan allait probablement le libérer d’ici peu en lui annonçant qu’il allait poster la vidéo sur YouTube. De fait, il lui suffisait d’attendre. Après tout, aujourd’hui était un samedi, et il n’avait pas cours : ce n’était rien s’il perdait un peu de temps à servir pour une caméra cachée de Yuchan.

Par contre, mieux valait que ça ne dure pas trop, il risquait de rapidement perdre patience. Il n’aurait jamais dû dormir là, de toute façon, c’était pareil avec Sanghyun : chaque fois qu’il s’endormait, l’autre en profitait pour lui faire une farce. Un jour, son meilleur ami lui avait dessiné sur le visage pendant son sommeil… il avait gardé la photo, d’ailleurs. Il s’en servait pour faire pression sur lui et obtenir par le chantage tout ce qu’il voulait de Jiheon.

Sanghyun était un garçon adorable mais fourbe.

Donc Jiheon songea qu’il pouvait bien demeurer ici pour un repas en compagnie de Yuchan. Néanmoins, il ne pouvait pas rester longtemps, d’autant plus qu’ainsi attaché, il se sentait particulièrement mal à l’aise, vulnérable.

Yuchan revint peu après avec entre les mains un plateau garni de mets pour le petit déjeuner. Jiheon avait passé ces quelques minutes de solitude pour observer la pièce : une grande chambre avec, contre le mur du fond, le lit sur lequel il était allongé. C’était un large lit double dans lequel on pouvait à coup sûr faire dormir quatre personnes à la fois. Il y avait juste à côté une table de chevet sur laquelle était simplement posé un réveil qui indiquait qu’il était bel et bien dix heures du matin, et contre le mur en face il se trouvait, outre quelques étagères de bibelots et cahiers de cours en tous genres, une armoire de bois clair. Face au lit, enfin, il y avait un bureau sur lequel était installé un ordinateur portable ainsi que des feuilles entassées et des stylos.

Une chambre banale, en somme, à cela près qu’elle était particulièrement grande pour une seule personne.

« Cherche pas à utiliser l’ordi, pour le connecter au wifi il faut un mot de passe que j’ai moi-même modifié. Enfin bref, je savais pas trop quoi préparer, alors j’ai pris un peu tout ce qui venait, hésita Yuchan en posant le plateau auprès de son ami. Tu veux quoi ? »

Jiheon observa ce qui lui était proposé : un hotteok attira son attention, au détriment des céréales et du riz.

« Si ça te dérange pas, je veux bien ça, dit Jiheon en tendant l’index vers la petite pâtisserie.

— Pas de soucis. Je… enfin, j’en ai fait plusieurs ce matin, alors si ça te plaît, je peux t’en réchauffer d’autres. Je trouve que bien chaud, c’est meilleur.

— Oh c’est gentil, sourit Jiheon en essayant de tendre ses mains liées pour attraper le gâteau, mais de toute façon je compte pas trop manger. Jaehoon va me tuer quand je rentrerai, je pense l’inviter au restau pour le déjeuner, comme ça je me ferai pardonner. »

Yuchan fronça les sourcils à ces mots : d’une part Jiheon semblait convaincu qu’il allait le libérer, et d’autre part il comptait aller au restaurant avec son cousin ? Non, il n’y avait qu’avec lui qu’il avait le droit d’aller au restaurant, pas avec ce foutu Jaehoon !

« Mais… t’as pas l’air d’avoir compris, prononça Yuchan avec un peu plus d’assurance. Je compte pas te laisser partir…

— Bien sûr, c’est ça, ricana Jiheon. Et tu vas attendre que je panique, comme ça, ça fera des vues sur YouTube, c’est ça ? Désolé mais j’y crois pas, je suis pas si con. »

Yuchan allait répliquer quand il se rendit compte qu’au moins, de cette façon, Jiheon ne paniquait pas et restait à peu près calme. Mieux valait qu’il croie le plus longtemps possible à une blague, ainsi il ne serait pour le moment pas trop fâché contre lui.

« Par contre, sourit Jiheon en terminant le petit gâteau, je t’avoue qu’on m’avait jamais fait ce coup-là, l’espace d’une minute j’ai sérieusement failli y croire. »

Il sourit, amusé de sa propre naïveté : quelle idée, Yuchan n’était absolument pas du genre à capturer et retenir des gens, c’était stupide ! Jiheon ne l’aurait jamais cru adepte des caméras cachées, mais ça ne pouvait être que ça. D’ailleurs, il songea que son ami aurait dû mettre un masque, ça aurait été plus crédible. Là, c’était évident que c’était une simple farce : Yuchan prenait soin de lui comme rarement on avait pris soin de lui, impossible que ce soit sérieux.

« Tu peux juste me passer mon portable ? Je voudrais vite fait envoyer un message à Jaehoon et Sanghyun, je les connais : si je réponds pas dans les dix minutes, ils commencent à s’inquiéter, je voudrais les rassurer.

— Je suis désolé, je peux pas, balbutia Yuchan d’un air gêné.

— Si, il est dans le salon, je l’ai branché hier, je…

— Non, reprit Yuchan d’un air plus convaincu. Tu peux pas les contacter, c’est trop risqué.

— Bon écoute c’en est trop, j’ai pas le cœur aux blagues ce matin, d’autant plus que celle-là est vraiment de mauvais goût ! Détache-moi, je veux récupérer mon portable et me casser d’ici ! »

Pour appuyer ses dires, il tira brutalement ses menottes, si bien qu’un glapissement de douleur lui échappa. Yuchan réagit aussitôt et s’assura qu’il ne s’était pas blessé. Jiheon le repoussa avec véhémence. La blague commençait à durer, et plus les secondes passaient, plus il perdait patience.

« Allez putain, détache-moi ! cracha-t-il excédé.

— Non, je veux pas que tu partes, répliqua Yuchan avec aplomb, tu restes ici.

— Je te jure que si tu fais pas cesser cette connerie tout de suite, je te le ferai payer : je supporte pas ceux qui se foutent de ma gueule, là ça va trop loin ! Si je préviens pas mon cousin il va s’inquiéter comme un dingue, alors file-moi tout de suite mon portable !

— Non, je suis désolé.

— Putain mais Yuchan, arrête ! »

Le hurlement féroce de Jiheon fit pratiquement sursauter l’autre qui recula avec entre les mains le plateau qu’il tenait toujours. Le jeune garçon, désemparé face à cette réaction à laquelle il ne s’attendait absolument pas, leva les yeux sur son ami qui le dévisageait avec un regard empli de haine.

« Jiheon, hésita-t-il, tu comprends pas… je t’aime… »

CHAPITRE 5

C’était le signal de fin de la caméra cachée ? C’était maintenant qu’il devait rire ? Confus, Jiheon ne lâchait plus son aîné du regard.

Yuchan, amoureux de lui ? Qu’une fille se déclare à lui, oui, ça lui était déjà arrivé, mais qu’un garçon lui avoue son attirance… Est-ce que Yuchan le savait homosexuel ? Est-ce qu’il essayait de le piéger de sorte à pouvoir ensuite se moquer de lui ? Cherchait-il à lui faire admettre son homosexualité pour l’humilier ?

« Et alors ? répliqua donc Jiheon.

— Je veux que tu restes avec moi. »

Là il n’y comprenait plus rien. C’était tellement… ridicule ! Est-ce que Yuchan se rendait compte de ce qu’il disait ? Ça ne pouvait pas être sérieux, c’était une blague, une énorme blague, tout simplement ! Dans tous les cas d’ailleurs, ça n’avait aucun sens !

Jiheon tenta de saisir le regard de Yuchan, toutefois le jeune garçon semblait presque détaché de la réalité. Il paraissait absolument convaincu de ce qu’il racontait, et cela fit naître un frisson le long de la colonne vertébrale de Jiheon qui réprima ses inquiétudes pour finir par sourire de façon gênée :

« Écoute, Yuchan, tu devrais me détacher, comme ça on en discuterait. T’en penses quoi ?

— Jiheon, je suis pas stupide : si je te détache, t-tu vas t’enfuir et tu m’abandonneras, et plus personne ne voudra jamais de moi, e-et je serai de nouveau seul. »

Jiheon fronça les sourcils, les lèvres entrouvertes comme s’il voulait répliquer quelque chose. Yuchan ressemblait à un enfant avec cette mine abattue et ce ton apeuré. Il se ravisa donc et chercha rapidement une bonne réponse à donner à