Rookie Games - Manon Lilaas - E-Book

Rookie Games E-Book

Manon Lilaas

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Beschreibung

Le monde du divertissement avait changé. Il s'était développé. Il avait atteint son paroxysme. Cette année encore, ce serait des centaines de millions de curieux qui se précipiteraient sur leur écran pour découvrir les sept jeunes garçons sélectionnés pour participer aux Rookie Games, téléréalité qui promettait à celui qui l'emporterait un contrat mirobolant avec la plus grosse compagnie du pays, et une gloire éternelle. Ils étaient sept garçons qui, en dépit de leur talent, n'avaient jamais réussi à sortir de l'ombre. Sept garçons prêts à tout pour la célébrité, prêts à céder au moindre caprice des spectateurs, car ils savaient qu'un seul gagnerait. Un seul survivrait.

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Seitenzahl: 777

Veröffentlichungsjahr: 2022

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À chacun de ceux qui m’ont encouragée, qui m’ont permis de me dépasser, et qui, à leur manière, sont aussi derrière ce livre.

À l’une des plus merveilleuses personnes que je connaisse, celle de qui l’avis est le plus important à mes yeux, ma petite sœur.

À ce groupe fabuleux qui me donne le courage d’avancer en gardant le sourire.

Sommaire

Avant-propos

Prologue

Chapitre 1 – Namseo

Chapitre 2 – Jinho

Chapitre 3 : Taesung

Chapitre 4 : Junghyeok

Chapitre 5 : Jaehoon

Chapitre 6 : Myeongwoo

Chapitre 7 : Shiyun

Chapitre 8 : Namseo

Chapitre 9 : Shiyun

Chapitre 10 : Taesung

Chapitre 11 : Jaehoon

Chapitre 12 : Shiyun

Chapitre 13 : Junghyeok

Chapitre 14 : Namseo

Chapitre 15 : Myeongwoo

Chapitre 16 : Jinho

Chapitre 17 : Taesung

Chapitre 18 : Namseo

Chapitre 19 : Junghyeok

Chapitre 20 : Shiyun

Chapitre 21 : Myeongwoo

Chapitre 22 : Namseo

Chapitre 23 : Jinho

Chapitre 24 : Shiyun

Chapitre 25 : Junghyeok

Chapitre 26 : Jaehoon

Chapitre 27 : Taesung

Chapitre 28 : Myeongwoo

Chapitre 29 : Namseo

Chapitre 30 : Jaehoon

Chapitre 31 : Jinho

Chapitre 32 : Junghyeok – 96%

Chapitre 33 : Taesung – 87%

Chapitre 34 : Namseo – 68%

Chapitre 35 : Jaehoon – 59%

Chapitre 36 : Shiyun – 82%

Chapitre 37 : Myeongwoo – 93%

Chapitre 38 : Junghyeok – 96%

Chapitre 39 : Taesung – 88%

Chapitre 40 : Shiyun – 82%

Chapitre 41 : Myeongwoo – 93%

Chapitre 42 : Taesung – 88%

Chapitre 43 : Jaehoon – 59%

Chapitre 44 : Namseo – 68%

Chapitre 45 : Shiyun – 81%

Chapitre 46 : Taesung – 88%

Chapitre 47 : Myeongwoo – 93%

Chapitre 48 : Junghyeok – 96%

Chapitre 49 : Jaehoon – 54%

Chapitre 50 : Namseo – 67%

Chapitre 51 : Shiyun – 80%

Chapitre 52 : Myeongwoo – 94%

Chapitre 53 – Taesung : 88%

Chapitre 54 : Jaehoon – 52%

Chapitre 55 : Junghyeok – 96%

Chapitre 56 : Taesung – 88%

Chapitre 57 : Myeongwoo – 92%

Chapitre 58 : Shiyun – 81%

Chapitre 59 : Namseo – 68%

Chapitre 60 : Junghyeok – 96%

Chapitre 61 : Taesung – 88%

Chapitre 62 : Myeongwoo – 92%

Chapitre 63 : Shiyun – 81%

Chapitre 64 : Namseo – 68%

Chapitre 65 : Taesung – 88%

Chapitre 66 : Junghyeok – 96%

Chapitre 67 : Shiyun – 78%

Chapitre 68 : Namseo – 67%

Chapitre 69 : Myeongwoo – 93%

Chapitre 70 : Taesung – 86%

Chapitre 71 : Shiyun – 77%

Chapitre 72 : Junghyeok – 96%

Chapitre 73 : Namseo – 65%

Chapitre 74 : Taesung – 86%

Chapitre 75 : Junghyeok – 96%

Chapitre 76 : Namseo – 65%

Chapitre 77 : Shiyun – 76%

Chapitre 78 : Myeongwoo – 91%

Chapitre 79 : Taesung – 86%

Chapitre 80 : Namseo – 61%

Chapitre 81 : Junghyeok – 96%

Chapitre 82 : Taesung – 86%

Chapitre 83 : Namseo – 55%

Chapitre 84 : Shiyun – 75%

Chapitre 85 : Taesung – 86%

Chapitre 86 : Namseo – 49%

Chapitre 87 – Junghyeok : 96%

Chapitre 88 : Taesung – 86%

Chapitre 89 : Shiyun – 75%

Chapitre 90 : Myeongwoo – 91%

Chapitre 91 : Taesung – 86%

Chapitre 92 : Shiyun – 75%

Chapitre 93 : Myeongwoo – 91%

Chapitre 94 : Shiyun – 67%

Chapitre 95 : Taesung – 86%

Chapitre 96 : Shiyun – 62%

Chapitre 97 : Taesung – 85%

Chapitre 98 : Myeongwoo – 89%

Chapitre 99 : Myeongwoo – 88%

Chapitre 100 : Taesung – 86%

Chapitre 101 : Myeongwoo – 72%

Épilogue

Avant-propos

Après avoir lu Marche ou crève et Stephen King et Le dernier homme de Margaret Atwood, j’ai commencé à développer l’idée de cette histoire. Ce monde post-apocalyptique, cette émission qui mélange téléréalité et combats de gladiateurs : j’aimais l’idée de dénoncer les excès du divertissement à travers cette dystopie.

J’espère sincèrement que ce livre, en dépit de ses nombreux défauts (et de quelques probables coquilles ; ma sœur et moi en avons été les seules correctrices), vous plaira. Je vous souhaite une agréable lecture.

Prologue

« Carte d’identité, s’il vous plaît. »

Shiyun passa la main dans le scanner à sa droite d’un geste fatigué, sans prendre la peine de répondre. Un bip retentit, l’homme jeta un œil à l’écran de la machine, sur lequel toutes les informations contenues dans la puce s’affichèrent. Il les consulta un instant en acquiesçant lentement.

« Vous êtes attendu, Kim Shiyun, déclara-t-il d’un ton solennel. Permettez à mon collègue de vous indiquer la salle de réunion. »

Le jeune garçon le remercia sans enthousiasme avant de se tourner vers le collègue en question, un homme fin de qui on devinait cependant l’impressionnante musculature sous son élégant costume. Shiyun ne lui lança qu’un bref regard puis le suivit, s’enfonçant dans un couloir de l’agence qu’il n’aurait jamais cru avoir un jour l’honneur de sillonner.

Tout était neuf, reluisant, tout suintait la richesse, puait l’argent. En bref, il voyait un monde générateur de rêves et de paillettes. Aux murs s’accumulaient des objets à la gloire de divers artistes du label, qu’il s’agisse d’articles de journaux encadrés ou bien de trophées entassés sur des étagères. La vanité et l’orgueil dans toute leur splendeur : rien de bien spécial, en somme.

Shiyun ignorait la raison de sa venue, ou du moins il ignorait la raison pour laquelle il s’était lui-même, volontairement, jeté dans la gueule du loup. C’était pourtant ce qui se disait, à l’université : il fallait avoir un sérieux problème pour participer à un jeu pareil. Shiyun avait-il un « sérieux problème » ? Sans doute : si c’était ce qui se disait, ça devait forcément être vrai.

Dans ce cas, pourquoi est-ce que personne n’avait encore décidé de mettre fin à ce jeu ?

Ah oui, les audiences battaient chaque année des records. L’argent rentrait en masse. Inenvisageable, donc, d’éradiquer une telle merveille audiovisuelle. C’était une mine d’or, mais dans toute mine il y avait des pertes. Des pertes humaines. Shiyun savait qu’il compterait probablement bientôt parmi les pertes. Il y était préparé, il ne craignait pas la mort.

~~~

Junghyeok jetait de fréquents regards à sa montre, si fréquents qu’ils advenaient souvent dans la même minute. Il lui fallait simplement quelque chose à fixer, quelque chose d’autre que la place en face de la sienne.

Installé dans une salle qui vantait les derniers gagnants du jeu, il éprouvait un stress qu’il n’avait encore jamais ressenti jusque-là. Le petit brun, en effet, avait les jambes qui tremblaient, les mains moites, la gorge sèche, et il faisait de son mieux pour ne pas lever les yeux sur son idole, assis juste devant lui. Huit chaises entouraient une table : sept pour les candidats, une pour la personne qui s’occuperait du briefing.

Parmi les quatre garçons arrivés – et qui n’avaient pas osé prononcer le moindre mot –, il y en avait un que Junghyeok avait aussitôt reconnu : Cho Namseo, aussi connu sous le pseudonyme de RM. Rappeur underground plutôt populaire sur YouTube et dans le milieu du K-Rap indépendant, Junghyeok l’admirait comme il avait rarement admiré un artiste : RM était un auteur doué d’un talent fou, il composait, produisait, arrangeait, et sa voix s'avérait d’une insondable profondeur. Junghyeok était à peine tombé sur sa chaîne que déjà il avait saisi la beauté qui se dégageait de ses textes, la sensibilité dont il faisait preuve, l’intelligence et la maturité de ses propos.

Ainsi, depuis qu’il avait reconnu celui qu’il respectait tant, Junghyeok se sentait tout bonnement incapable de croiser son regard, raison pour laquelle il se concentrait sur la montre que lui avait offerte son père peu avant de mourir.

L’angoisse le tétanisait en même temps que l’impatience le dévorait. Il avait attendu ce jour pendant si longtemps qu’il peinait à croire qu’enfin l’heure était arrivée. Ses rêves allaient peut-être devenir réalité, il allait peut-être devenir quelqu’un, lui, Kwon Junghyeok, celui que tout le monde ignorait.

Quelle que soit l’issue de ce jeu, plus personne ne pourrait l’ignorer.

~~~

Taesung poussa discrètement la porte de la salle de réunion. Il arrivait bon dernier, ça commençait mal – pourvu que ça ne cache aucun mauvais présage… Il s’excusa rapidement en saluant d’un geste poli chaque garçon présent. Ce ne fut qu’ensuite qu’il s’aperçut que non, il n’était pas le dernier : il manquait quelqu’un, la personne chargée du briefing.

Ouf !

Le jeune homme prit place sur la seule chaise libre, entre deux candidats à qui il adressa un sourire. L’un le lui rendit, l’autre, après une courte hésitation, l'imita timidement. Celui-là, Taesung l’aimait bien. Il affichait une petite mine craintive, mais dans son regard brûlait le désir de faire ses preuves. La détermination, la même que celle qui brillait dans les prunelles de chacun ici.

Ça allait être intéressant, le nouvel arrivant se sentait étrangement pressé de découvrir le potentiel de ses futurs concurrents. Malgré tout, une certitude demeurait ancrée dans son esprit.

Il ne les laisserait pas gagner.

Chapitre 1 – Namseo

Son visage inexpressif lui donnait un air autoritaire. C’était pourtant un jeune homme sensible, intelligent et compréhensif qui se dissimulait derrière ces traits froids. Ils ne servaient, finalement, qu’à lui permettre de cacher le stress croissant qui lui nouait la gorge et l’estomac. Sa raison lui hurlait de s’enfuir à toutes jambes tant qu’il le pouvait encore, malheureusement, tout son corps était pétrifié tandis qu’un employé refermait autour de son poignet le bracelet qui contrôlerait désormais sa vie.

Probablement jusqu’à sa mort.

Namseo déglutit, mais son caractère poli l’obligea à remercier l’homme face à lui qui s’inclina respectueusement en retour. Un regard au bracelet lui arracha un désagréable frisson, il reporta son attention sur celle qui leur dictait la marche à suivre.

Il s’agissait d’une femme, une quarantenaire sans doute. Petite, brune, des yeux rieurs, elle affichait un air jovial malgré sa fonction digne d’un véritable croque-mort : elle se trouvait à la tête de l’équipe de production de l’émission Rookie Games. C’était elle notamment qui décidait d’ouvrir ou fermer les votes du public.

Une fois chaque candidat armé de son bracelet, le rictus que leur adressait cette déesse des enfers s’agrandit.

« Je vous souhaite officiellement la bienvenue à cette septième édition des Rookie Games ! se réjouit-elle. Je vais à présent vous faire découvrir ce qui sera votre lieu de résidence pour les semaines à venir. Suivez-moi. »

D’un signe, elle leur indiqua la direction qu’elle-même emprunta. Les jeunes garçons échangèrent un regard circonspect sans ciller pour autant. Ils la talonnèrent tandis que les explications reprenaient :

« Vous le savez, ce bracelet a un pouvoir de vie et de mort sur vous. Que l’aiguille affiche en dessous de cinquante pour cent de popularité parmi les spectateurs, et vous serez évincés dans la seconde. Le poison qui vous sera délivré a un effet instantané : il coupe court à chacune de vos fonctions vitales pour offrir une mort rapide et indolore. Vous n’avez donc rien à craindre : dans tous les cas, vous ne souffrirez pas.

« En signant votre Slave Contract, vous avez accepté de devenir le chiffre sur le cadran de votre bracelet, et un mauvais chiffre est un chiffre dont il faut se débarrasser. Nos internautes votent pour ou contre chacun de vous via le site des Rookie Games, ces votes déterminent votre pourcentage de popularité. Vous commencez à cent, et si vous tombez à cinquante, vous devenez un produit passé de mode, tout simplement bon à jeter : un idol qui a plus de haters que de fans est un idol qui ne nous intéresse pas.

« Ce que vous ignorez sans doute, en revanche, c’est que comme maintenant, votre bracelet sera souvent éteint. Il ne brille qu’à l’écran, il sert à vous indiquer quand la caméra bascule sur vous. S’il est éteint, vous êtes hors champ. Il clignotera deux fois juste avant que la caméra ne se tourne sur vous. Il restera ensuite allumé jusqu’à ce que ce soit un autre garçon qui s’attire les regards du public. De cette manière, il vous est possible de savoir quand il vous faut le plus tenter d’attirer l’attention du spectateur, et surtout quand vous ne pouvez plus vous permettre d’être vous-mêmes. Jouez de vos charmes, faites en sorte d’avoir le plus de temps d’écran possible : une plus grande popularité implique un plus grand nombre de fans. Il a été calculé qu’en moyenne, le gagnant de chaque Rookie Games apparaissait huit heures par jour à l’écran, contre une moyenne de six heures pour les autres candidats.

« Attirer les caméras peut vous sauver la vie, et nous tournons les caméras vers ceux qui agissent de manière intéressante : entraînez-vous, apprenez à vous connaître, créez des chansons – bref, donnez-nous de la matière, faites en sorte qu’on se dise que c’est vous qu’il nous faut montrer pour faire de l’audience. Arrêtez de penser en termes de talent et de mérite : ici, vous êtes tous extrêmement talentueux et méritants. Ce qui vous fera gagner, c’est la gueule. Devenez de bons produits de consommation et vous serez sauvés. Pensez marketing : qu’est-ce que les internautes veulent ? Qu’est-ce qui leur plaît ?

« Taesung, par exemple : tu chantes, mais tu ne montres jamais ton visage sur internet. T’es comme un membre mystère pour le public. Révéler ton visage, ta beauté, va sans doute t’apporter beaucoup. T’as un physique avantageux sur lequel il te faudra absolument jouer. Charme tes fans, il faut qu’ils te sauvent. Montre-leur ce que tu vaux – dans tous les sens du terme. »

Un garçon opina, Taesung probablement. Effectivement, c’était un magnifique jeune homme, comme chacun ici. D’une carrure proche de la sienne – tous deux grands et minces –, il arborait des traits harmonieux que soulignait un regard perçant. Ses cheveux, teints d’un élégant châtain foncé, lui retombaient de manière désordonnée sur le front. Malgré son air froid, Namseo pouvait deviner son appréhension et ses craintes : les mêmes que lui éprouvait.

Leur responsable fit halte lorsqu’un nouvel employé apparut au détour d’un couloir. Il lui remit un document qu’elle s’empressa de vérifier après l’avoir remercié. Namseo demeurait perplexe : depuis son arrivée ici, la prise en charge se révélait totale, si bien qu’il se laissait submerger par tout ce qui advenait. Son cerveau lui semblait s’être éteint pour lui empêcher toute réflexion susceptible de le pousser à rebrousser chemin aussitôt.

De toute façon, c’était désormais trop tard.

La femme se tourna vers le petit groupe derrière elle et lui adressa une fois de plus ce large sourire qui pourrait presque lui donner un air sympathique.

« Nous venons de recevoir les résultats de votre visite médicale, indiqua-t-elle, et je suis ravie de vous annoncer que chacun d’entre vous l’a passée avec succès. Aucune trace de drogue ou de maladie quelconque, et une très bonne condition physique. C’est parfait ! »

Chacun acquiesça sans un mot. Namseo jeta un regard vers un garçon aux cheveux bruns qu’il avait remarqué dès leur départ de la salle de réunion : il lui avait semblé que ce concurrent avait une démarche raide, et il jurerait l’avoir vu grimacer de douleur malgré la discrétion dont il avait tenté de faire preuve. Il souhaitait vivement pour lui qu’il ne s’agisse que d’un caillou dans sa chaussure, ou bien une simple crampe.

De ce que le jeune homme avait appris en fouillant divers forums, un participant s’était une année trouvé avoir consommé de la drogue plusieurs mois avant le début du programme. Il avait été renvoyé sur le champ. Les tests étaient effectués le plus tard possible afin que les candidats n’aient pas l’occasion de se blesser ou d'ingérer une quelconque substance illicite avant le tournage. De cette manière, leur santé était parfaitement encadrée.

Tracée comme l’était leur destin.

Ils poursuivirent leur chemin, qui les amena à sortir du quartier général du studio de production qui gérait l’émission. Sur le parking était garé un petit van noir dont la large porte coulissante leur était ouverte. Les garçons suivirent leur responsable qui leur fit signe de monter en reprenant la parole.

« Votre résidence se situe à l’extérieur de la ville, au beau milieu d’un décor bucolique. Vous serez dans un cadre idéal pour vous ressourcer et déployer au mieux tout votre talent artistique. Le trajet est relativement long, et pour ma part je me dois de rester ici pour régler quelques détails. Dès votre arrivée, vous serez pris en charge par deux managers, ce seront eux qui vous présenteront la villa et vous donneront les dernières consignes. Si vous avez besoin d’aide, ce sera également à eux qu’il vous faudra vous adresser. »

Nouvel acquiescement général.

« Parfait, alors bon Rookie Games, et puissent les haters se montrer cléments avec vous… »

Namseo déglutit, il observa tour à tour ses compagnons d’aventure : il pouvait associer un seul nom aux profils qui l’entouraient, celui de Taesung. Un appel avait été fait, mais l’anxiété en avait effacé le moindre souvenir.

Namseo surprit sur lui le regard d’un candidat qui, bien qu’à peine plus petit que lui, semblait beaucoup plus jeune. Ce n’était pas tant son visage que sa posture qui donnait cette impression : la tête rentrée dans les épaules, la mine soucieuse et le corps crispé, tout chez lui trahissait son état de nervosité avancée.

Dès lors que leurs yeux se croisèrent, l’inconnu détourna son regard, l’air honteux, et se concentra sur le chauffeur qui leur indiqua qu’ils pouvaient monter. Chacun obéit sans plus de cérémonie.

Namseo crut rêver lorsqu’il entra : les sièges étaient recouverts d’un cuir noir véritable, il y avait bien assez d’espace pour que chacun puisse s’installer confortablement, et tout ici paraissait neuf. La production, il fallait l’avouer, avait les moyens pour ces largesses, et cela n’avait finalement rien de surprenant. Pour autant, il s’agissait d’un luxe auquel Namseo n’était pas habitué, lui qui avait grandi dans une famille modeste. Il ne s’en était jamais plaint, ce que ses parents gagnaient avait toujours amplement suffi à leurs besoins… mais ce van à la carrosserie impeccable, cet immeuble sans la moindre salissure ; tout ça, ce n’était rien de plus qu’une énième preuve qu’il avait désormais intégré le monde des apparences.

Un monde duquel il n’avait plus qu’une chance sur sept de ressortir vivant.

Chapitre 2 – Jinho

De ce que Jinho avait entendu dire ces derniers jours, les six autres garçons assis dans ce van pouvaient tous se vanter d’une importante présence sur You-Tube, où leurs covers et leurs créations originales totalisaient bon nombre de vues.

Lui, il était le seul à venir d’Instagram.

Et il était le seul à être, à l’origine un « simple » ulz-zang.

Repéré pour sa beauté, en effet, son compte avait décollé, et le jeune homme s’était mis à poster autre chose que les photos de ses séances de mannequinat. Il avait fini par se filmer lorsqu’il chantait, passion qu’il avait toujours eue, et aussitôt il s’était distingué pour sa voix et son talent. Malgré tout, il savait à quel point son absence de YouTube pourrait s’avérer défavorable pour ce jeu.

Un futur idol se devait de se montrer assidu sur cette plateforme. Or sa seule présence se résumait à ses vidéos que ses abonnés repostaient. Pour autant, il n’ignorait pas que son charme naturel pouvait l’aider à gagner l’affection du public. Comme leur responsable le leur avait indiqué un peu plus tôt, à présent, tout se décidait « à la gueule ». Jinho avait espéré se démarquer sur ce terrain, bien qu’il doive admettre que maintenant qu’il découvrait ses concurrents, il sentait sa confiance en lui s’effriter peu à peu.

Il ne fallait surtout pas que quiconque puisse s’en apercevoir. Il était désormais comme plongé dans un bassin infesté de requins : inutile de chercher à combattre, le seul moyen d’en réchapper, c’était le calme et la réflexion. Il lui restait une chance.

« Salut. »

Jinho tourna la tête et leva un sourcil. Deux autres participants se trouvaient assis à la même rangée que lui : un petit brun à la mine pensive, et un garçon plus grand aux cheveux noirs méchés de rouge – ça lui allait bien. C’était ce dernier qui venait de lui adresser la parole, un sourire avenant sur le visage. L’ulzzang lui offrit un signe timide en guise de réponse, il ignorait quoi répliquer.

« Je m’appelle Jaehoon, reprit son voisin, et toi ?

— Jinho.

— Enchanté, Jinho ! T’as quel âge, dis-moi ?

— Vingt-deux ans, et toi ?

— J’ai fêté mes vingt-et-un ans en février. Ça me rassure, j’étais pas très à l’aise à l’idée d’être peut-être le plus vieux du groupe.

— Je te rassure, moi aussi j’ai vingt-deux ans, intervint le troisième garçon de la rangée.

— Oh, enchanté alors, hyung1. Je peux t’appeler comme ça ?

— Comme tu veux.

— Et comment tu t’appelles, toi ?

— Shiyun. »

Jinho observa de plus près son autre voisin. Son air distant ne l’avait pas quitté, sa voix traînante et son ton calme laissaient deviner qu’il s’agissait de quelqu’un de posé et réfléchi – quelqu’un qui, comme lui, se savait abandonné au milieu de prédateurs. Son visage dégageait quelque chose de délicat, c’était inexplicable mais envoûtant. Ainsi, ses traits juvéniles et sa carrure peu impressionnante lui donnaient cet avantage de paraître beaucoup plus jeune qu’il ne l’était, un avantage qui pouvait lui sauver la vie.

« Rappeur, n’est-ce pas ? s’enquit Jaehoon à l’intention de Shiyun.

— Ouais, comment tu le sais ?

— J’en avais aucune idée, mais avec cette voix, je t’imagine bien en tant que rappeur. Et puis t’as un style qui colle bien : avec tes accessoires, t’es classe.

— Ah… »

Jinho, comme Jaehoon sans doute, comprit aussitôt que l’absence de remerciements de la part de leur voisin n’était pas due à une quelconque impolitesse de sa part, mais bel et bien à son embarras. Déjà en effet le candidat détournait les yeux pour regarder à l’extérieur, et ses pommettes avaient soudainement rougi – détail d’autant plus évident que Shiyun était probablement celui qui, parmi eux tous, arborait la peau la plus pâle (atout supplémentaire pour lui).

Sa timidité à elle seule, sans qu’il le veuille, lui attirerait la sympathie de bon nombre de téléspectateurs. Quant à Jaehoon, c’était son sourire et son dynamisme qui feraient de lui quelqu’un de populaire. Jinho avait également pu noter la présence de garçons plus jeunes au physique particulièrement avantageux : sans connaître leur personnalité, il savait que ces participants recueilleraient eux aussi beaucoup de fans.

Il lui faudrait absolument se démarquer s’il souhaitait survivre.

« Hello, derrière, lança de nouveau Jaehoon en se tournant pour découvrir deux nouveaux visages, moi c’est Jaehoon, et vous ?

— Namseo, se présenta le premier.

— Myeongwoo, répondit le second.

— Oh, enchanté ! Et les deux du fond ? »

Les appelés levèrent la tête vers ce garçon qui leur paraissait beaucoup trop enthousiaste pour ce qu’ils vivaient à présent. Malgré tout, ils se nommèrent à leur tour : Taesung et Junghyeok. Parce qu’ils semblaient peu loquaces, Jaehoon n’insista pas et se replaça correctement sur son siège.

Jinho quant à lui demeura muet, incapable de trouver une manière convenable d’ouvrir le dialogue avec les autres candidats. Éprouvait-il au moins l’envie de leur parler ? Non, pas particulièrement. Il les regardait comme des adversaires autant que comme des camarades. Or, pour le moment, il ne souhaitait pas discuter. Il se sentait beaucoup trop angoissé pour ça. La seule chose à laquelle il pensait, c’était à ce bracelet autour de son poignet, bijou démoniaque qui déterminerait son avenir. Ça le hantait, alors que c’était lui qui avait décidé de participer.

En effet, de même que les six autres, Jinho avait lui-même envoyé sa candidature. Il avait choisi de s’inscrire à ce jeu de la mort, il avait choisi de porter ce bracelet, il avait même tendu le bras pour qu’on le lui passe au poignet. Est-ce qu’il éprouvait le moindre remords ? Curieusement, non. Il lui semblait que c’était son destin, qu’il lui fallait se tenir ici, dans ce van. Il ne parvenait pas à justifier ce que n’importe qui considérerait comme de la démence là où lui ne voyait qu’un acte d’une affligeante banalité.

Le monde était devenu fou, de toute manière. Il n’était qu’un fou de plus dans cette fourmilière. Plus rien n’avait de sens, plus personne n’avait plus ni raison ni émotions. Ils réclamaient de l’adrénaline, du frisson : quelque chose qui puisse leur faire ressentir ne serait-ce qu’une infime palpitation.

Et les Rookie Games étaient l’idéal pour ça, pour satisfaire les gens assoiffés de sensations fortes et de violence. Car aux Rookie Games, il fallait tout mettre en œuvre pour vaincre ses adversaires sans se compromettre afin de s’attirer la sympathie du public et non son mépris.

Tant de choses désormais témoignaient de la décadence d’un monde dont Jinho aurait souhaité voir l’apogée. Il ignorait quand tout avait dégringolé, quand la folie s’était propagée, quand les ambitions de paix s’étaient cassé la gueule. Il en avait entendu, des murmures, au sujet du monde d’avant, au sujet des gens d’avant, au sujet de la vie d’avant. Sans doute était-ce idéalisé, mais le fait était là : idéalisé ou non, ça ne pouvait être que mieux que l’épidémie qui sévissait à présent. Une épidémie qui prenait sa source dans l’argent, les intérêts, la haine et le sentiment naïf d’une quelconque supériorité des uns sur les autres.

Une épidémie de folie, une épidémie qui ne pouvait contaminer que les hommes, qui en étaient aussi bien les créateurs que les victimes.

Jinho poussa un soupir et tenta de trouver une position plus confortable sur ce siège luxueux. Peu à son aise, il se tortilla le plus discrètement possible avant de baisser les bras pour tourner son attention sur le paysage. Les champs succédaient aux forêts, la boue sale aux troncs morts, et par moments ils croisaient une ligne de train à grande vitesse. Un extérieur qu’il ne connaissait pas, extérieur duquel il préférait continuer de se tenir éloigné.

Il avait entendu beaucoup de rumeurs et, si la plupart le laissaient sceptique, d’autres en revanche lui semblaient tout à fait plausibles – c’était celles-ci qui l’inquiétaient le plus.

Devant tout ça, il ferma les yeux, conscient qu’il restait encore un bout de temps à leur trajet avant de s’achever. Ses songes lui parurent se diviser à la manière d’un feu d’artifice pour partir dans tous les sens, sans cohérence.

Il s’endormit probablement, car lorsqu’il rouvrit les paupières, ce fut à cause de la main de son voisin qui appuyait sur son épaule. Jinho mit quelques instants à retrouver ses repères avant de finalement adresser un sourire gêné et un « merci » timide à celui dont il se rappelait qu’il s’appelait Shiyun. Ce dernier ne répondit pas, il n’en eut pas l’occasion puisque déjà il quittait le véhicule.

Une fois sorti à son tour, l’ulzzang jeta quelques regards autour de lui pour découvrir ce qui ressemblait à un petit parking souterrain : ils étaient entourés de béton, un marquage au sol offrait une demi-douzaine de places numérotées, et outre un pilier ainsi que des néons pâles, tout ce qui se trouvait ici, c’était un escalier pour regagner la surface.

Un étau compressait le cœur de Jinho, oppressé comme si on lui avait affirmé que le plafond pouvait s’écrouler d’un instant à l’autre. Sans doute parce que ça signifiait que les Rookie Games avaient bel et bien commencé… et que ce qui l’attendait s’avérerait peut-être pire que le banal effondrement de ce plafond.

1Terme coréen qui permet, pour un garçon, de désigner un garçon plus âgé de qui il se sent proche (un frère, un ami, etc).

Chapitre 3 : Taesung

Jour 0 : ouverture des jeux.

Taesung tentait de se remémorer chaque nom donné dans le van. Myeongwoo, il s’en souvenait, Junghyeok aussi, et Jaehoon également. Quant aux autres… il n’était pas certain. Son regard aurait probablement dû s’attarder sur ces gens dont il ignorait encore l’identité, pourtant il ne pouvait pas le décrocher de la silhouette maigre de Myeongwoo qui grimpait à présent les marches devant lui.

Les sept candidats étaient encadrés par deux véritables mastodontes habillés d’un élégant costard cravate. Sans doute s’agissait-il de gardes du corps, mais les garçons se demandaient bien pourquoi il y en avait ici. N’étaient-ils pas supposés se trouver au milieu de nulle part ?

L’escalier en colimaçon les mena à une porte qu’ouvrit l’homme qui les précédait. Il fit signe à ceux qui le suivaient de passer devant, ils s’exécutèrent dans un silence presque inquiétant. Taesung frémit, toutefois il se rassura en entendant des exclamations émerveillées. Quand à son tour il quitta ce couloir glaçant, ses yeux s’écarquillèrent.

Ils débouchaient dans un immense séjour à la décoration moderne. Les teintes de blanc se mêlaient au marron clair des meubles de bois neufs, et il y avait assez de place pour que même s’ils se réunissaient là, ils ne s’y sentent pas à l’étroit. En effet, on pouvait voir un long canapé ainsi que deux fauteuils qui encadraient une grande table basse. Ils étaient orientés de sorte que chacun, où qu’il soit assis, puisse regarder la télévision. Or, il ne s’agissait pas de n’importe quelle télévision : c’était un large écran plat fixé au mur, au-dessus d’un meuble contenant bon nombre de DVD en tous genres. Plusieurs bibliothèques couvraient un pan de l’un des murs, faisant ainsi face à des baies vitrées immenses qui permettaient au soleil printanier d’inonder la pièce. Cette lumière naturelle offrait quelque chose de chaleureux à l’endroit.

Quelques tapis sur le sol apportaient un confort supplémentaire aux participants qui s’étaient empressés de se déchausser de crainte de salir cet intérieur digne des plus beaux hôtels : sur des étagères en effet, ils avaient remarqué d’élégants objets, auxquels s’ajoutaient quelques posters qui donnaient à la pièce une touche jeune.

À peine furent-ils tous entrés qu’une silhouette apparut devant eux, se dressant de manière presque majestueuse dans le large encadrement de l’ouverture béante qui reliait le salon au couloir. Il s’agissait d’un homme d'une vingtaine d'années, élancé et à la carrure plus massive que la norme. Il avait un regard perçant qui glaça Taesung, convaincu que cet homme tentait de lire en lui – et y parvenait. Son nez aquilin n’avait rien de très naturel, mais son visage demeurait si harmonieux que ce n’était pas quelque chose que quiconque chercherait à lui reprocher. Sa bouche fine se voyait voler la vedette par une mâchoire particulièrement dessinée, et outre les nombreux piercings qu’il arborait aux oreilles et les bijoux à son cou et ses poignets, on remarquait aisément ses cheveux bleus ébouriffés. Sa tenue, bariolée mais élégante, faisait de lui un personnage peu ordinaire à côté des deux hommes en costard qui le flanquaient.

Aucun doute pour les sept candidats… il s’agissait de celui qui, quatre ans plus tôt, avait gagné les Rookie Games.

Constatant qu’il n’avait pas à se présenter, le garçon sourit.

« Je suis simplement passé vous souhaiter bonne chance pour ces jeux, déclara-t-il avec une assurance époustouflante. Je vois déjà qui d’entre vous plaira plus que les autres au public, mais chaque année les votes nous réservent bien des surprises. Je ne resterai pas longtemps, j’ai des concerts à donner à New York dans deux jours alors je préfère ne pas m’éterniser. Quoi qu’il en soit, n’oubliez pas que, derrière l’amitié, il y a également la concurrence… mais qu’elle ne doit surtout pas se voir à la caméra. Montrez aux téléspectateurs ce qu’ils veulent voir et vous les aurez dans votre poche, c’est aussi simple que ça. Quant à ceux qui n’ont pas encore de noms de scène, songez sérieusement à en adopter un. Je vous souhaite de bons Rookie Games, et veillez bien sur votre bracelet. »

Taesung jeta par réflexe un regard à son poignet droit auquel était accroché son traqueur – il le considérait ainsi. Un frémissement inexplicable le prit, il n’y prêta pas attention.

Leur visiteur repartit aussi vite qu’il était venu, cette fois-ci avec les deux gardes du corps. Son départ fut cependant interrompu lorsqu’une voix s’éleva, celle de Myeongwoo, qui parla avec une neutralité surprenante.

« Pourquoi devrions-nous prendre un nom de scène ? »

Leur visiteur s’immobilisa, demeura un instant statique, et se retourna finalement. Ses yeux étaient voilés de sentiments sombres, sa voix et son visage avaient perdu leur chaleur lorsqu’il répondit.

« Le public veut se croire moralement irréprochable. Malgré ce qu’on pourrait imaginer, il n’aime pas l’idée d’être responsable de la mort d’êtres humains. »

Sa remarque glaça le sang de Taesung ; personne ne répliqua.

Laissés seuls, les sept garçons échangèrent un regard circonspect. Voir ce gagnant avait eu quelque chose de terrifiant…

Encore timides et parce qu’ils ne se connaissaient pas, les candidats demeurèrent silencieux. Ils s’interrogeaient à coup d’œillades dubitatives depuis une bonne trentaine de secondes lorsque l’écran plat de la pièce se déclencha par lui-même. Un sursaut secoua plusieurs participants, Taesung en revanche garda son calme et se concentra sur le téléviseur.

Il l’ignorait, mais son regard brûlait d’une étincelle sauvage. C’était comme s’il lançait à ces pixels qui s’allumaient le défi d’annoncer l’ouverture des jeux. Car il était treize heures cinquante-sept, bientôt cinquante-huit, et chacun savait parfaitement que les Rookie Games débutaient à quatorze heures sans faute, juste après dix minutes pendant lesquelles les présentations des garçons étaient diffusées – présentations tournées quelques jours auparavant dans un petit studio.

Tic tac.

Deux visages se dessinèrent, plus ronds et banals que celui de l’idol présent quelques instants plus tôt. Pour les avoir vus dans plusieurs émissions, les jeunes gens n’eurent aucun doute au sujet de leur identité.

« Bonjour, commença l’homme de gauche, nous serons pendant toute la durée du jeu vos managers. Ce sont nous et seulement nous que vous serez en mesure de contacter. En effet, vous nous avez confié vos téléphones à votre entrée dans les bureaux de la production : ils vont vous être restitués, mais avec pour seules fonctions celle d’aller sur le réseau social du jeu et de nous appeler, nous. Il va de soi que votre contrat vous empêche de mentionner ça devant les caméras.

« Chaque jour, ce sera également sur cet écran, à quatorze heures, qu’apparaîtra la tâche sélectionnée pour l’un de vous. Libre à vous de décider de l’accomplir ou non… mais refuser une tâche, c’est s’attirer les foudres du public, ça va de soi.

— Les caméras vont très bientôt tourner, indiqua l’autre homme. Vous pourrez profiter de ces premières heures de tournage pour apprendre à vous connaître et visiter votre jolie villa. Vous pouvez y circuler librement, et avec ce temps nous ne saurions que trop vous recommander d’aller apprécier les extérieurs. Détendez-vous, profitez de cet endroit magnifique pour exposer tout votre talent et… vivez chaque jour comme si c’était le dernier.

— Vos bracelets seront actifs d’ici quelques secondes, mais comme vous le savez, tout au long de votre première semaine ici, les votes demeurent clos, il ne peut donc rien vous arriver. Vous avez une semaine pour vous attirer les faveurs du public, alors bonne chance à tous. »

Aussitôt leur image disparut. Le cœur de Taesung se mit à battre devant le compte à rebours qui s’afficha à la place. Dix, neuf, huit, sept, six, cinq, quatre, trois…

Leur bracelet émit une lumière discrète mais immanquable qui s’éteignit immédiatement, puis une seconde. Le double clignotement…

Les bracelets demeurèrent allumés, ils étaient à présent en direct face au monde entier. Des millions de fans et de haters les regardaient pour savoir pour ou contre qui ils allaient voter dans sept jours. La première impression était déterminante. Les spectateurs avaient assisté à l’instant à leurs présentations, il était temps de leur donner le spectacle qu’ils attendaient.

Toutes les caméras et tous les micros avaient été soigneusement dissimulés, impossible de mettre la main dessus. Ils s’avéraient de toute façon si petits qu’ils en devenaient probablement introuvables. Il faudrait que les candidats agissent le plus naturellement possible alors même qu’ils avaient conscience de ces caméras braquées sur eux. Mieux, il leur faudrait agir de sorte à les attirer sur eux.

Ils étaient des gladiateurs condamnés aux lions, féroces combattants déchus que l’on abandonnait dans l’arène et que l’on surveillait en jubilant de manière perverse, avec un intérêt malsain. De tout temps les hommes avaient eu leurs gladiateurs et leurs lions, ils n’en avaient simplement pas toujours porté le nom.

Aujourd’hui, eux étaient les gladiateurs, et les lions étaient nul autre que les haters qui jouissaient de voter contre eux pour faire baisser leur jauge dans l’espoir de les tuer. Oui, ils ressemblaient aux fauves : fous, assoiffés de sang, avec un appétit contenu si longtemps qu’il en devenait insatiable. Taesung pouvait presque les imaginer derrière leur écran, fébriles, l’œil dilaté par le plaisir, à la recherche de celui qu’ils haïraient cette année.

C’était pourtant là la cruauté naturelle de l’homme, rien d’étonnant à tout ça. Ainsi, aux yeux de Taesung, ce n’était pas de se retrouver abandonné parmi ces carnivores prêts à les dévorer qui lui avaient fait la plus effrayante impression. Ce n’était pas non plus le discours dénué d’émotions tenu par leurs deux managers. Non, ce qui demeurait d'après lui la chose la plus horrifiante, c’était d’avoir vu cet idol qui avait remporté les jeux quatre ans plus tôt…

Et de savoir que si c’était lui qu’on avait envoyé ici, c’était parce que les gagnants des années qui avaient suivi s’étaient donné la mort peu après leur victoire.

Chapitre 4 : Junghyeok

Timide et peu enclin à se mettre en avant, Junghyeok dut fournir un effort colossal pour afficher un sourire et se tourner vers les garçons.

« Bon, dit-il, moi c’est Junghyeok. J’ai pas encore retenu vos noms, désolé.

— Pas grave, répondit un autre, ça viendra avec le temps. Moi c’est Taesung. »

Son air avenant rassura Junghyeok qui crut sentir qu’on lui retirait un poids du cœur. Il opina de manière enthousiaste et s’apprêtait à proposer qu’ils aillent visiter la villa quand Namseo le devança. Chacun lui donna raison et ils choisirent de rester ensemble pour l’instant.

Leurs sept bracelets brillaient d’un éclat faible, discret à la caméra mais qui suffisait à rappeler aux jeunes gens de faire attention au moindre de leur geste, à la moindre de leur phrase. Il leur fallait être parfaits, à la hauteur des attentes de leur public. Ils ne pouvaient pas décevoir ces gens qui décideraient de leur vie ou de leur mort…

Junghyeok, donc, forçait un port droit sans paraître altier, et il tentait de se concentrer pour sembler le plus serein possible : un téléspectateur serait sans doute ennuyé de voir un potentiel idol paralysé par l’angoisse. Ici, tout était question d’apparences. Junghyeok devait s’assurer de devenir le plus apprécié. Il devait rester dans la course jusqu’au bout. Il savait qu’il avait ses chances.

Comme un réflexe, son regard se dirigea sur son poignet. Ce n’était plus sa montre qui s’y trouvait, mais bel et bien son bracelet. Sa jauge indiquait cent pour cent. Pour combien de temps encore ? Une semaine, ensuite ça baisserait nécessairement. Personne ne restait à cent pour cent une fois le site ouvert. Il y avait trop de haters pour que les aiguilles ne vacillent pas. C’était toujours les premiers jours qu’elles s’affolaient le plus, car c’était là que tous se précipitaient pour voter. En quelques heures, ça se comptait en milliards de votes, tous traités par les serveurs de la production – des milliards parce qu’il était possible de voter plusieurs fois, à condition de visionner une courte publicité entre chaque clic, ou bien en se payant un abonnement.

Il fallait donc à peine plus d’une journée à l’émission pour devenir rentable.

Le sordide faisait vendre, après tout. Rien d’étonnant…

Ensemble, les candidats découvrirent que l’immense salon donnait sur un couloir qui, loin d’être étroit, permettait au contraire à trois garçons d’y marcher côte à côte. Aux murs étaient accrochées des répliques des récompenses gagnées par les précédents vainqueurs, par chance ça demeurait assez sobre puisque bon nombre avaient été omises pour éviter de surcharger la décoration.

La pièce la plus proche du séjour, c’était la cuisine, presque en face, juste à côté de ce qui était une porte menant à l’extérieur – mais ça, il irait y jeter un œil plus tard. Les garçons y entrèrent les uns après les autres pour découvrir un endroit qui les charma aussitôt par son luxe : équipée de toutes les technologies nécessaires pour qu’ils se mijotent de délicieux petits plats, la cuisine était presque aussi vaste que leur salon. Elle offrait plusieurs plans de travail dignes de professionnels, s’ils souhaitaient préparer les repas ensemble. Tout paraissait neuf, une odeur de produits nettoyants se dégageait même de ce lieu qui leur semblerait presque étinceler à la manière d’un paradis inatteignable – dans lequel ils se trouvaient pourtant.

« Ouah, c’est super classe ! s’émerveilla Jaehoon – lui, Junghyeok se souvenait de son prénom.

— Oui, opina un autre, je me vois déjà cuisiner des tas de choses ici ! Ça va être top ! »

Junghyeok ignorait son identité, mais il se rappelait que c’était un des garçons assis tout devant dans le van. Il retrouverait son nom plus tard. Pour l’instant, c’était le garçon de l’avant du van.

La visite se poursuivit avec une pièce plus éloignée mais qui jouxtait le salon. C’était une porte seule au milieu de deux longs murs, si bien que personne ne fut surpris en découvrant une chambre capable d’accueillir quatre jeunes gens. De l’avis de Junghyeok, cependant, ça n’avait rien à voir avec les dortoirs que les agences réservaient traditionnellement aux rookies : il s’agissait ici d’un dortoir probablement assez large pour qu’une centaine de personnes y tiennent si elles se serraient un peu – juste un peu. Ainsi, si les quatre lits constituaient la base du mobilier, il se trouvait autour assez de meubles pour donner l’impression de quatre petites chambres qu’on avait simplement oublié de séparer : chaque couchette était placée près d’un grand bureau sur lequel chacun pourrait s’éparpiller comme il le souhaitait et qui présentait plusieurs étagères. À chaque bureau était accolée une lourde armoire aux apparences de dressing. Aucun des sept jeunes gens ne possédait assez de vêtements pour remplir ne serait-ce qu’un cinquième de l’espace.

Chacun disposait également d’un coffre pour ses effets personnels et d’une commode… pour le reste des effets personnels (mais qui détenait autant d’effets personnels ?).

C’était si criant de luxe que c’en devenait ridicule : quelques jours plus tôt, ils avaient dû transmettre à la production les affaires qu’ils tenaient à retrouver à la villa, de sorte qu’ils n’aient pas à apporter quoi que ce soit. On leur avait indiqué de ne pas se limiter, qu’ils pouvaient leur confier tout ce qu’ils souhaitaient. Pour autant, si certains avaient amené plus de vêtements ou d’objets que d’autres, ils n’avaient malgré tout pas envisagé un véritable déménagement.

« C’est tout simplement énorme, » fit remarquer sans un très grand enthousiasme l’un d’eux.

Effectivement, c’était énorme, disproportionné, même. Presque indécent : les rookies n’obtenaient jamais rien de plus qu’une pièce de quelques mètres carrés où ils devaient s’entasser, et eux, sans doute parce qu’ils allaient mourir, on leur offrait un luxe digne des idols les plus célèbres. Les producteurs avaient-ils conçu cette villa afin de leur donner un sublime endroit où expirer ? Car aux yeux de Junghyeok, il existait un revers à la médaille : les téléspectateurs les plus naïfs pourraient imaginer à tort qu’il s’agissait du traitement que chaque agence réservait à ses artistes… ce qui s’avérait bien loin d’être vrai. Ces paillettes servaient à cacher la misère de ceux qui, pendant des années, s’entraînaient chaque jour dans le but de signer peut-être un contrat et lancer leur carrière.

Ce luxe dégageait quelque chose de dérangeant, opinion que chacun ici partageait mais qu’il n’était pas question d’évoquer tout haut, de peur de s’attirer l’indignation du public. La seule remarque du jeune homme qui avait parlé un instant plus tôt suffisait à traduire cet écœurement qu’ils éprouvaient tous, et cette seule remarque justement risquait de lui valoir quelques critiques.

Mais visiblement, ces critiques ne l’inquiétaient pas plus que ça : il affichait une moue dubitative et particulièrement détachée, comme s’il ne s’intéressait pas à ce qu’on pouvait penser de lui – chose étrange dans une émission telle que celle-ci.

Après ce dortoir, les garçons en repérèrent un second, en face, à peine plus petit et offrant trois espaces identiques à ceux de la chambre précédente. À côté se situaient des toilettes et, jouxtant le premier dortoir, ils découvrirent une salle de bains qui les étonna par son luxe : outre les trois lavabos qui s’alignaient contre un mur ainsi que les cinq étagères en face, on trouvait dans la pièce deux larges cabines qui arboraient un logo de baignoire, et deux autres plus étroites qui présentaient le symbole d’une douche.

Émerveillés par cette sublime salle de bains, seuls des murmures surpris échappèrent aux jeunes gens qui ignoraient quoi ajouter à ça : aucun d’eux n’avait jamais connu un endroit pareil. Le carrelage blanc les éblouissait et la pièce dégageait une odeur de gel douche qui enchanta leurs narines. Ça leur semblait parfaitement irréel.

De nouveau, ils rencontrèrent des toilettes, juste à côté de la salle de bains, puis le couloir tourna pour longer cette pièce. Une porte de plus offrait de les conduire à l’extérieur, mais les garçons préférèrent continuer leur découverte des lieux : dans ce nouveau couloir, les portes affichaient toutes un petit écriteau joliment encadré. « Studio 1 », « studio 2 », « salle de danse 1 », « studio 3 », « salle de danse 2 ».

« Ils sont sérieux ? lâcha Jaehoon. On a tout ça à notre disposition ? »

Si les studios et la seconde salle de danse proposaient un espace qui demeurait modeste pour l’endroit, la première salle de danse en revanche leur parut immense, si bien qu’ils décidèrent de la visiter en premier.

Aussi grande que les dortoirs, la pièce offrait tout le confort d’un local digne d’un groupe à la renommée mondiale : un parquet absolument parfait, des miroirs si propres qu’on croirait qu’ils venaient d’être lavés par une équipe entière de nettoyage, et un système audio dernière génération, pour un son parfait. Il allait de soi que cette salle, tout comme celles auxquelles elle était accolée, était insonorisée, si bien que l’un pouvait mettre la musique à fond pour répéter sans qu’un autre soit gêné pendant qu’il composait.

Impressionnant, tout simplement sidérant

Junghyeok n’avait pourtant pas grandi dans un environnement dénué de chic, sa mère gagnait très bien sa vie, pour autant il n’aurait jamais imaginé un jour pouvoir admirer une villa pareille. Il s’y sentait minuscule, comme perdu dans un labyrinthe immense où il n’avait pas sa place : il aimait chanter et danser, on lui répétait qu’il savait également rapper… mais il n’éprouvait pas la sensation de mériter toutes ces merveilles offertes sur un plateau d’argent (au sens propre, d’ailleurs, car il lui semblait bien avoir aperçu de l’argenterie dans un des placards de la cuisine).

Il fut presque étourdi à l’idée que toutes ces splendeurs constitueraient son quotidien s’il venait à gagner le jeu. Une vie de popularité et de luxe…

Chapitre 5 : Jaehoon

S’il y avait une chose que Jaehoon s’était juré en intégrant ce jeu de la mort, c’était de garder son caractère enjoué et enthousiaste. Les remords et la douleur ne comptaient pas… c’était en vérité une promesse bien difficile à honorer. Ainsi, s’il ne le montrait pas, ses jambes s’avéraient pourtant faibles comme du coton, et il ignorait bien comment il parvenait encore à tenir debout. Ça ressemblait à de la sorcellerie.

Une chance, il avait pu s'apercevoir que ces jeunes gens étaient tous aussi effrayés que lui, et que tous tentaient de le dissimuler à leur manière. Il y avait ceux qui étaient plus distants, et ceux qui forçaient un sourire ou bien une posture décontractée.

Jaehoon, à force de suivre année après année les Rookie Games, avait compris que c’était bien inutile : chaque émission débutait toujours avec des candidats angoissés et sur les nerfs. Chaque année ils s’efforçaient de le cacher, mais chaque année ça demeurait un cuisant échec. Cette fois ne ferait pas exception : si une seule caméra s’intéressait de près à leurs expressions, les téléspectateurs sauraient aussitôt qu’ils avaient affaire au même type de personnes que lors des saisons précédentes – autrement dit, des gens peu confiants mais remplis de motivation.

Ces gamins pleins de courage lui semblaient sympathiques. Il n’avait pas encore retenu chaque prénom, mais Jinho lui paraissait agréable et il se rappelait Shiyun pour son visage impassible. Quant aux autres garçons, ils dégageaient quelque chose d’indescriptible, de délicat et de touchant. Le regard de l’un par exemple criait une indicible détresse, un sentiment bouleversant que Jaehoon ne parvenait pas à comprendre. Un deuxième agissait de manière telle que malgré tous ses efforts, son stress était désespérément palpable – c’était sans doute lié à son âge, car il avait l’air plus jeune.

En bref, Jaehoon ignorait encore comment il avait bien pu signer ce regrettable contrat, mais… maintenant qu’il se tenait là, parmi les sélectionnés de cette saison, il comptait bien prouver sa valeur, tout faire pour témoigner de son talent, et l’emporter pour retourner auprès de sa famille et de son groupe de danse.

Il n’avait en effet jamais souhaité la célébrité. Il ne souhaitait que retrouver les siens. Malheureusement, plus il observait les visages angéliques de ses concurrents, plus il doutait de remporter la victoire. Il savait son corps bien fait, mais au sujet de ses traits… souvent, ses camarades de classe s’en étaient moqués, si bien qu’il n’avait aucune confiance en sa beauté. Si ses compétences en danse ne parvenaient pas à équilibrer la balance, il se voyait d’emblée condamné.

Optimiste, il devait rester optimiste.

Étrangement ou non, ces garçons autour de lui, tous aussi différents qu’ils soient, lui donnaient envie de se dépasser, de montrer le meilleur de lui-même et, en même temps, de les soutenir. Les plus jeunes lui inspiraient même le désir de les protéger. Il perdrait, certes, mais il perdrait avec panache, avec fierté : il partirait certain d’avoir vécu quelques agréables dernières journées, certain d’avoir profité jusqu’au bout de cette opportunité superbe, certain d’avoir peut-être aidé les autres à mieux appréhender et apprécier cette aventure extraordinaire.

Jaehoon était comme ça : généreux, altruiste et profondément bienveillant. Lui-même ne s’apercevait pas de la montagne de qualités dont il était doué, pourtant ses proches étaient les premiers à les lui faire remarquer. Il ne les prenait tout simplement pas au sérieux. Il ne s’en était pas rendu compte, mais c’était bel et bien parce qu’il se montrait toujours si charitable qu’il se trouvait désormais enfermé dans cette prison dorée.

Les garçons décidèrent, d’un commun accord, d’aller jeter un œil aux extérieurs. Deux portes y menaient : une dans le couloir qui conduisait aux studios de répétitions, l’autre au bout du même couloir, à côté de la cuisine. Ils sortirent donc d’abord par la porte la plus proche, celle vers la première salle de danse. Ce qu’ils découvrirent les laissa sans voix : il s’agissait d’une magnifique pelouse parfaitement entretenue qui s'étendait jusqu’à un lac, une cinquantaine de mètres plus loin. L’herbe était plantée par endroits de massifs fleuris, mais rien ici n’avait été aménagé. De cette façon, tout paraissait d’un naturel éblouissant. Le tout était entouré d’une épaisse forêt.

« Wow, heureusement que j’ai mon maillot de bain ! s’émerveilla Jaehoon. Hors de question que je ne profite pas au moins une fois de ces eaux paisibles !

— Moi aussi je veux y aller ! ajouta un garçon. Ouah, c’est vraiment beau, hein Myeongwoo-ah ? »

L’appelé tourna la tête vers son camarade qui lui offrait un sourire aussi lumineux que le soleil de ce chaud mois de mai. Il répondit en opinant avec une expression amusée malgré une évidente pudeur. Sans doute le stress.

Myeongwoo, donc. Jaehoon n’était pas certain de le retenir bien longtemps, mais nul besoin de ça : il apprendrait rapidement les noms de ses concurrents, de toute façon.

« On fait le tour pour voir le reste ? proposa un troisième jeune homme. Ce sera mieux que de passer par l’intérieur. »

Chacun approuva, et le groupe contourna la villa. Le lac disparut au profit d'un nouveau gazon qui, cette fois-ci, présentait de multiples installations : un magnifique salon de jardin avait été aménagé sous un élégant kiosque de bois. Ce dernier consistait en une toiture de chêne qui s’appuyait sur quatre piliers du même matériau. De cette façon, ce petit endroit était ouvert, et Jaehoon s’imaginait déjà assis dans un de ces sièges, avec la brise printanière et un verre de jus de fruits à la fin. Cette simple idée lui semblait si reposante !

Outre ce salon, constitué de sept fauteuils et trois petites tables, un hamac se tenait là, ainsi qu’une sublime balancelle de trois places, couverte et dont on pouvait déplier des rideaux pour s’y isoler. Enfin, la porte près de la cuisine donnait sur une terrasse dallée où trônait une longue table à laquelle était incorporé un barbecue.

Jaehoon s’apprêtait à manifester une fois de plus son enthousiasme quand ses yeux se déplacèrent du jardin jusqu’aux montagnes qui s’élevaient un peu plus loin, sûrement à une heure de marche d’ici. Alors ils habiteraient au milieu d’un relief ? Peu importait, finalement, tout ce qui comptait pour le jeune garçon, c’était que son tombeau lui apparaissait comme un endroit idéal pour fermer les paupières.

Oui, s’il devait périr, il serait ravi d’expirer là, dans un lieu si magnifique, le lieu de ses rêves. Oh il aurait bien souhaité que ses proches demeurent auprès de lui, mais dans le monde actuel, il se savait extrêmement chanceux de ce qu’il possédait déjà. Mieux valait ne pas en attendre plus – mieux valait ne pas attendre la victoire.

Tout à ses pensées, Jaehoon sursauta lorsqu’un cri de surprise le tira de sa torpeur : l’un des candidats, celui qui avait proposé qu’ils viennent ici en contournant la villa, avait trébuché sur l’une des dalles de la terrasse. Par chance, il s’était rattrapé au dernier moment : plus de peur que de mal.

« On pourrait fêter notre arrivée avec un barbecue, ce soir, suggéra Jinho. Le temps est idéal, faut en profiter !

— Et on pourra refaire un tour des noms et des âges, ajouta un garçon, parce que je vais pas vous mentir : j’ai pas retenu tout le monde. »

Chacun approuva. Après tout, ils n’avaient entendu les noms de leurs concurrents qu’une seule fois, quelques heures plus tôt, quand on leur avait demandé de se présenter brièvement lors d’un tour de table, au début de leur réunion. C’était le protocole : ils devaient tout ignorer les uns des autres, ainsi ils se découvraient en même temps que le public les découvrait. D’après les producteurs, ça permettait aux spectateurs de s’attacher plus aisément à chaque personnage.

Pour les candidats, cependant, ça demeurait frustrant : avec les noms de scène des participants, ils pourraient au moins rechercher sur le net pour savoir à qui ils se mesuraient. Là, pas question. Il leur faudrait évaluer leurs concurrents eux-mêmes, d’après ce qu’ils verraient dans les jours à venir.

Pas facile…

L’après-midi avait avancé quand ils se retrouvèrent au salon. Ils avaient décidé de retourner examiner les studios et les salles de danse, car c’était probablement ce qui les avait le plus éblouis en dépit des chambres luxueuses, de la cuisine neuve et de la salle de bain reluisante. Jaehoon ne pouvait pas cacher son enthousiasme quant à ces pièces qui lui apparaissaient comme de véritables cavernes aux merveilles. Jamais il n’aurait cru disposer un jour d’un tel matériel.

Il ne pouvait pas se mentir : cet endroit, il le percevait désormais comme un enfer doré. Il voyait en ce lieu l’ailleurs onirique en lequel chacun voulait croire, à la ville. Pas de pollution, l’air était pur, les températures supportables, la nature les entourait et les garçons se sentaient revenus des années en arrière, dans le monde dont seuls leurs parents et grands-parents parlaient.

Chapitre 6 : Myeongwoo

Le soir était tombé. Myeongwoo observait le ciel s’assombrir, la mine songeuse. Assis en tailleur sur l’herbe tendre, il ne souriait pas. Il ne se sentait ni heureux ni malheureux. Il était là, il était libre. Les autres se trouvaient sans doute encore aux studios et salles de danse. Il les avait laissés pour profiter d’un instant de solitude.

Même son bracelet lumineux ne le dérangeait pas. Il se moquait d’être surveillé, il se moquait du public. Tout ce qui comptait, c’était ce sentiment de paix qu’il éprouvait alors qu’il ne l’avait jamais connu jusque-là. La nature, le calme, la brise fraîche de cette douce soirée de printemps. Que rêver de mieux ? Sans doute une vie intérieure accomplie ressemblait-elle à ça.

Il était entouré de paix, de paix et de musique.

Quelle belle soirée, et dire qu’il vivrait au moins six jours de plus ici…

Myeongwoo grimaça lorsque le tranquille clapotis de l’eau du lac fut dérangé par des bruits de pas. C’était un son faible, si faible, pourtant le jeune homme fronçait les sourcils. Entendre l’herbe gémir sous l’effet de cette marche dont il connaissait le rythme, ça l’agaçait. Il lui sembla que la paix intérieure ressentie quelques instants plus tôt s’était envolée avec le petit oiseau qui avait fui sa branche, tout près de là.

« Myeongwoo-ah ? Tu vas bien ? »

L’appelé ne tourna même pas les yeux. Il savait parfaitement qui s’adressait à lui – d’une part parce que les autres garçons ne l’apostropheraient sans doute pas de cette manière, d’autre part parce que peu d’entre eux se remémoraient son prénom. Myeongwoo, pourtant, garda le silence. La question s’avérait stupide, son interlocuteur en avait conscience. Il ne pouvait simplement jamais s’empêcher de la poser. Myeongwoo s’y était habitué, depuis le temps. Il répondit de la même façon qu’à l’accoutumée, par un haussement d’épaules.

Taesung soupira, à son tour il s’assit. Son bracelet brillait, signe que lui aussi passait désormais en direct. Son ami, d’ailleurs, peinait à en comprendre la raison : les autres garçons devaient probablement déjà être occupés à s’entraîner, pourquoi concentrer l’attention des spectateurs sur eux deux ?

« Pourquoi tu t’es inscrit ? s’enquit Myeongwoo.

— J’allais te poser la question. »

Il fallait avoir abandonné tout espoir pour entrer ici, il fallait être fou pour signer un tel contrat.

« Alors ? insista le nouveau venu.

— Réponds d’abord.

— Je sais pas pourquoi je l’ai fait. Et toi ?

— Moi non plus. J’avais pas la sensation d’avoir quoi que ce soit à perdre.

— Pareil. »

Leurs deux bracelets étaient éteints. Pas de lumière, seulement les prémices d’une nuit qu’éclairerait une pleine lune.

« Est-ce qu’on a été lâches ? demanda Taesung.

— Ce n’est pas lâche que d’être fatigué.

— Alors t’étais fatigué ?

— Oui.

— Tu te sens mieux ?

— Je pense pas.

— Tu penses pas ?

— Je sais pas décrire ce que je ressens, expliqua Myeongwoo.

— Moi, je me sens bien.

— Ah bon ?

— Y a juste nous et la musique. C’est agréable.

— On va tous mourir les uns après les autres.

— Faut pas y penser, répliqua Taesung. Juste… profiter de ce que notre talent nous a offert – pour une fois qu’il nous offre quelque chose.

— Ouais, j’imagine. »

Le silence revint, lourd de sens. Myeongwoo sentait son ami crispé, en dépit de quoi Taesung tentait de paraître aussi tranquille que lui. Assis, jambes tendues devant lui, les bras derrière lui pour prendre appui sur l’herbe, il cherchait à adopter un air nonchalant. Pourtant, son malaise ne pouvait pas être dissimulé.

« Tu devrais retourner vers les autres, suggéra Myeongwoo.

— Ils sont en train de préparer le barbecue. En fait… ils m’avaient demandé d’aller voir si tu voulais te joindre à nous.

— Ils t’ont demandé à toi ?

— Je leur ai dit que je te connaissais.

— Tu leur as dit quoi d’autre ?

— Juste qu’on se connaissait. Tu viens ?

— J’arrive, ouais. »