L'étoile de Noël - Manon Lilaas - E-Book

L'étoile de Noël E-Book

Manon Lilaas

0,0

Beschreibung

Découvrez trois nouvelles magiques... "Un souhait pour Noël" Se retrouver à la rue une semaine avant Noël, Jungwan n'aurait jamais pensé ça possible, et pourtant c'était le cas. Démuni, sans nulle part où aller, le jeune homme n'avait plus rien que l'espoir lorsqu'il adressa un voeu à l'étoile la plus éclatante du ciel nocturne. "L'étoile de Noël" Toute son enfance, Jaehwa avait été bercé par des histoires tendres et pleines d'espoirs. En grandissant cependant, il sentait peu à peu la magie disparaître, remplacée par la morosité du quotidien. Emprisonné par cette routine qu'il ne supportait plus, il décida, à une semaine de Noël, de lever les yeux au ciel. Il avait l'espoir fou que peut-être cette étoile magique, dont sa mère lui avait toujours conté l'existence, soit réelle et puisse exaucer son voeu le plus cher. "La magie de Noël" Sept jours avant Noël, tout bascula pour l'étoile lorsque pas un voeu ne fut formulé. Il semblait désormais que son temps était compté.

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern
Kindle™-E-Readern
(für ausgewählte Pakete)

Seitenzahl: 528

Veröffentlichungsjahr: 2021

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



Table des matières

Avant-propos

Un souhait pour Noël

J-7 avant Noël

J-6 avant Noël

J-5 avant Noël

J-4 avant Noël

J-3 avant Noël

J-2 avant Noël

Veille de Noël

Noël

Épilogue

L’étoile de Noël

Prologue

J-7 avant Noël

J-6 avant Noël

J-5 avant Noël

J-4 avant Noël

J-3 avant Noël

J-2 avant Noël

Veille de Noël

Noël

Épilogue

La magie de Noël

Prologue

J-7 avant Noël

J-6 avant Noël

J-5 avant Noël

J-4 avant Noël

J-3 avant Noël

J-2 avant Noël

Veille de Noël

Noël

Épilogue

À chacun de ceux qui ont lu ces histoires et les ont appréciées. À ceux qui m’ont aidée à les faire vivre trois années de suite, chapitre après chapitre, sept jours avant Noël. Et à l’une des plus merveilleuses personnes que je connaisse, celle sans qui Noël n’aurait pas la même signification, ma petite sœur.

Avant-propos

Merci tout d’abord pour l’intérêt que vous portez à ces histoires. J’espère sincèrement qu’elles vous plairont et vous feront rêver.

Ce livre est un recueil de trois nouvelles, je les ai autoéditées dans l’espoir de pouvoir en proposer à mes abonnés Wattpad une version papier. Ces textes ont été corrigés par mes soins, relus par ma sœur, pour autant nous ne sommes pas infaillibles, et il reste probablement de petites erreurs d’inattention.

Je m’en excuse sincèrement, j’espère qu’elles ne gêneront pas trop la lecture.

Un souhait pour Noël

J-7 avant Noël

« Tu vas faire quoi pendant les vacances ? lança le plus jeune au détour d’une conversation.

— Je vais en voyage, comme l’année dernière, sourit son aîné. On part dès que je rentre.

— T’en as de la chance. Moi je crois que cette année encore, ça va être la grosse solitude, à la maison.

— Tu peux déjà être content qu’on ait une semaine de vacances avant Noël : on va pouvoir bosser pour être tranquilles une fois qu’on aura reçu nos cadeaux.

— Pff, à ton avis, qu’est-ce qu’ils vont m’offrir ?

— Non, tu crois qu’ils vont te refaire le coup, Wanie ?

— J’en doute pas un seul instant… »

Jungwan soupira. Il se stoppa devant l’arrêt de bus le plus proche de l’université dans laquelle il étudiait en première année d’histoire de l’art. Jaehwa l’imita. Il se posta à ses côtés en lui accordant un regard compatissant.

« C’était pathétique, ronchonna son cadet, j’avais même pas réussi à faire semblant d’être heureux.

— Bah en même temps, un livre pareil, ça se fait pas, quoi… »

Les parents de Jungwan savaient parfaitement que leur fils n’avait qu’un rêve, se lancer dans la musique. Or, eux, ils formaient un tout autre dessein pour lui. C’était simple : de longues études dans un domaine quelconque pour faire de lui quelqu’un de brillant et de cultivé – comme s’il ne pouvait pas le devenir en tant qu’auteur-compositeur. Jungwan ne souhaitait qu’une chose, qu’on le comprenne.

Malheureusement, avec ses parents, c’était peine perdue : l’année passée, alors qu’il espérait encore intégrer une école d’art, eux lui avaient offert pour Noël un livre sur l’architecture baroque et classique en Europe, lui signifiant par là très explicitement qu’il n’avait pas d’autre choix, s’il voulait étudier l’art, que d’en étudier son histoire.

« Je crois que cette année je vais leur parler, conclut Jungwan.

— Allez, courage, mec, le soutint Jaehwa. Va savoir, chaque Noël a son miracle, il suffit d’un peu d’espoir. »

L’autre acquiesça en silence, remontant jusqu’à son menton son col roulé et son écharpe pour échapper au froid mordant de l’hiver. Son aîné avait raison : que ses parents changent d’avis, ça tiendrait du miracle. Ils étaient du genre borné, ce n’était pas pour le bonheur de leur fils qu’ils allaient réviser leur jugement. Ils estimaient qu’il prenait trop de risques à rêver, mais c’était ça que Jungwan trouvait excitant dans le fait de vivre : ignorer ce que réservaient les lendemains tout en s’assurant d’être à l’abri du besoin. Toutefois, ni sa mère ni son père ne partageait son point de vue à ce sujet. Le voilà donc désormais à l’université, dans le département d’histoire de l’art. Ça l’intéressait, certes, mais ce n’était pas ce qu’il souhaitait.

Jaehwa le regarda avec tendresse, il éprouvait pour lui une grande amitié. Les deux s’étaient connus de manière parfaitement fortuite : ils s’étaient inscrits sur un site de rencontre pour adolescents. Leur point commun était leur orientation sexuelle, détail qui avait amené Jaehwa à attarder son attention sur le profil de Jungwan. Il l’avait trouvé attachant, enfantin, et la discussion avait débuté ainsi entre eux.

Ils s’étaient vus après deux semaines à se parler. Bien qu’ils habitent la même ville, ils étudiaient dans des lycées différents, et Jungwan avait deux ans de moins que Jaehwa. Malgré l’attirance physique qui avait pu naître, leurs conversations les avaient poussés à devenir amis plutôt qu’amants. Jungwan avait alors quinze ans, Jaehwa dix-sept, et ils ne s’étaient plus jamais séparés depuis.

L’homosexualité n’était pas quelque chose de facile à avouer, d’autant plus que si la famille de Jaehwa savait pour ses préférences en matière d’amour, pour Jungwan il en allait autrement : seul son aîné connaissait ce secret qu’il traînait avec lui. Jaehwa avait, avec le temps, adopté une attitude particulièrement protectrice envers son cadet. Il l’avait beaucoup soutenu, Jungwan avait conscience qu’il lui devait beaucoup de choses sans que son ami ne lui réclame jamais quoi que ce soit en échange. Il était né comme ça : généreux, tout simplement généreux et profondément gentil.

De ce fait, Jungwan avait été ravi quand, l’année précédente, Jaehwa lui avait annoncé qu’il était en couple avec un garçon qu’il avait rencontré quelques jours auparavant, mais pour qui il avait éprouvé un véritable coup de foudre. Son cadet avait beau s’être d’abord inquiété pour lui, il s’était avéré que ce n’était pas nécessaire, car ça allait faire bientôt un an que les deux amoureux vivaient un bonheur sans nuages.

Quand le bus de Jungwan arriva, il salua son ami qui s’en alla à pied avec son éternel sourire : ce vendredi signait la fin des cours, ils étaient désormais en vacances d’hiver. Pourtant, alors qu’il aurait dû s’en réjouir, le plus jeune n’y parvenait pas. Quelque chose en lui savait que tout n’allait pas se dérouler comme prévu. Il avait un très mauvais pressentiment à propos des jours à venir, et une corde tressée d’anxiété lui nouait déjà l’estomac.

~~~

Pendant ses vingt minutes de trajet, Jungwan eut le temps de constituer en son esprit bon nombre de scénarios catastrophes au sujet de ces vacances. Il ruminait toutes les disputes récentes qui l’avaient peu à peu éloigné de sa famille, et il avait peur de voir tôt ou tard survenir la dispute de trop. Il avait d’ailleurs développé plusieurs théories à ce sujet : soit ses pa rents lui feraient une fois de plus remarquer que la musique, c’était de la merde, soit ils découvriraient d’une manière ou d’une autre que leur fils, en plus d’être féru de musique, était également homosexuel. Dans les deux cas, l’altercation se terminerait en cris qui se mêleraient de façon indistincte.

Jungwan savait que lorsque ça arriverait, il s’en irait, tout simplement. Il n’en pouvait plus de vivre dans le même appartement que deux personnes à l’esprit aussi étriqué que le couloir qui menait à leur cuisine.

Bien sûr, il n’avait nulle part où se réfugier, mais le connaissant, Jaehwa lui permettrait probablement de s’installer quelques jours dans la chambre d’amis de la grande demeure que possédait sa famille. Après tout, il y était déjà venu à plusieurs reprises quand son aîné l’avait invité, convaincu qu’il fallait que Jungwan prenne un peu de distances avec ses parents. Il se montrait toujours très attentif au fait que son cadet se sente bien dans sa peau et, sans le moindre doute, ce n’était pas auprès de sa famille qu’il réussirait à s’épanouir.

Par chance, la soirée se déroula sans encombre : Jungwan s’était isolé dans sa chambre et ses parents n’avaient pas cherché à l’en sortir, mettant son comportement sur le compte de la crise d’adolescence. Il ne restait qu’une semaine avant Noël, le jeune homme, impatient, espérait cette année l’indulgence de sa famille. Il espérait qu'ils avanceraient des arguments valables. Lui en avait préparé, il avait beaucoup réfléchi, avait longuement pesé le pour et le contre de ses choix. Il avait établi un véritable plan de carrière qui, très terre à terre, apparaissait comme tout à fait réalisable. Il s'agissait d'un rêve, certes, mais il avait mis toutes les chances de son côté.

Confiant, il avait décidé de leur parler pendant le repas. Oh ça oui, il savait que c’était une idée qui conduirait probablement à la catastrophe, mais peu importait. Il avait besoin, enfin, de leur dire en face ce qu’il avait sur le cœur.

Ainsi donc, au dîner, il trouva le courage d’aborder ce qu’il appelait le « sujet qui fâche »…

« Maman, je veux étudier la musique.

— Si tu veux, tu peux suivre des cours de piano, grinça sa mère de sa voix irritante tout en lui servant son plat.

— Non, je veux devenir auteur-compositeur, pas pianiste.

— Jungwan, je ne veux pas en parler.

— Mais moi si. Ça fait deux ans que j’ai choisi ce que je voulais faire sans jamais oser vous en parler, mais je sais que vous m’écouterez. Je vous demande pas de payer mes études, je veux juste…

— Stop, Jungwan, le coupa son père. On aura cette conversation un autre jour.

— On sait tous les deux que non, lui opposa son fils. J’ai cru que vous comprendriez quand j’avais formulé ce vœu après ma dernière année de lycée, mais vous l’avez changé sans mon accord. Mes profs l’affirment : j’ai le potentiel pour faire des stages dans des agences, je pourrais essayer de me former avec de petits labels qui ont besoin de main-d’œuvre en coulisse. Je… j’ai déjà fait quelques recherches, et une agence est intéressée par mes compositions et mon profil. J’apprends vite, si j’ai un peu de chance je pourrai même décrocher un travail après : avec l’explosion de la Kpop, l’industrie du divertissement recrute énormément. Je vous demande juste de me laisser ma chance. »

Mais ses parents ne l’écoutaient déjà plus, las de ses jérémiades. Ils avaient reporté leur attention sur leur dîner.

« Eh oh, je veux faire ce dont j’ai envie, vous comprenez ? »

Pas de réponse.

« Je veux arrêter mes études à la fac d’histoire de l’art. »

Pas de réponse.

« J’en ai marre d’avoir des parents aussi chiants que vous ! »

Un haussement de sourcils de la part de sa mère, rien que ça. Jungwan ne supportait plus cette atmosphère. Des années qu’il voyait ces visages fermés et qu’il acceptait sans s’en plaindre les critiques de ses parents. Aujourd’hui encore, ils avaient refusé de l’écouter ; c’en était trop, beaucoup trop pour lui.

« Réagissez un peu, bon sang ! »

Pas la moindre réaction.

« Papa, maman. Je suis gay. »

Ah, tiens, enfin ils réagissaient.

« Jungwan ! s’emporta brutalement sa mère. Cesse de dire des bêtises !

— Bah quoi, ça vous pose un problème ! En plus de ma vie professionnelle, vous voulez aussi contrôler ma vie intime ?

— On sait ce qui est bon pour toi, rétorqua son père.

— Je ne suis plus un enfant, je suis le mieux placé pour savoir ce qui est le mieux pour moi ! »

Le jeune homme venait d’abattre ses poings sur la table de ce dîner désastreux. Il s’était levé de sa chaise, faisant face de façon imposante aux adultes qui se trouvaient devant lui, comme s’il les provoquait et, d’une certaine manière, dominait cet échange.

« Va dans ta chambre, lui ordonna sa mère d’un ton froid.

— Non, faut qu’on parle.

— Nous n’avons rien à nous dire.

— Oh que si, on a même beaucoup de choses à se dire.

— Va dans ta chambre.

— Non, je resterai, j’ai besoin de vous parler. J’ai besoin que vous me répondiez. J’ai besoin de sentir que j’ai des parents.

— Dans ce cas, comporte-toi comme notre fils si tu veux qu’on te perçoive comme tel.

— Ah d’accord, parce qu’en plus, là, maintenant, vous n’avez plus l’impression de faire face à votre fils ? »

Pas de réponse.

« Je vois… donc j’imagine qu’effectivement, on n’a plus rien à se dire. »

Il sortit de table malgré son plat à peine entamé, dépité de cette réaction à laquelle il s’attendait pourtant sans vouloir y croire. Ses parents le voyaient comme un étranger. En vérité, il les percevait un peu de cette manière, lui aussi, alors peut-être n’était-ce pas si surprenant. Il allait en parler à Jaehwa, lui saurait quoi faire.

D’ailleurs, il n’avait plus la moindre envie de rester sous le même toit que ces deux demeurés.

Arrivé à sa chambre, il attrapa son sac de sport, y fourra tout ce qu’il avait de plus précieux, et enfila son manteau. Il traversa de nouveau le couloir, sortit de l’appartement sans un mot pour sa famille qui, même si elle l’avait vu, n’eut pas non plus un mot pour lui.

Jungwan s’en alla, une fois l’immeuble derrière lui, à travers l’hiver et la nuit. Son âme lui semblait aussi froide et sombre que la rue. Un instant, il se sentit complètement désemparé. Pourtant, plutôt que de s’apitoyer sur son sort, il préféra se dire que désormais, il pouvait exprimer librement ces choses qu’il avait jusque-là tues à ses parents. Il sortit son téléphone pour contacter Jaehwa – avec un peu de chance, il pourrait lui venir en aide.

« Allô… Wanie ?

— Jaehwa, je… »

Il n’eut pas le temps de finir sa phrase que déjà vinrent poindre les premières larmes à ses yeux. Il réprima avec difficulté un sanglot.

« Ça va ? s’inquiéta immédiatement son aîné.

— Est-ce que je peux venir chez toi ? Je me suis cassé de chez mes parents et j’ai pas d’argent. Je te jure que je me ferai tout petit, et…

— Jungwan, je suis désolé, le coupa Jaehwa, je t’entends mal, je suis à l’aéroport et y a un monde fou. Je viens de mettre mes écouteurs, tu peux répéter ?

— Je… Je voulais juste te souhaiter un bon voyage.

— T’es sûr ? T’avais l’air bizarre…

— Non, c’est rien, je me suis un peu accroché avec mes parents, mais j’ai vite abandonné. T’inquiète.

— Ah, d’accord. Dans ce cas, je te souhaite quand même de très bonnes fêtes, hésite pas à me téléphoner si ça va mal.

— Ouais, promis, pas de problème, merci beaucoup. Passe d’excellentes fêtes.

— Compte sur moi ! À plus ! »

Jungwan raccrocha et se laissa tomber sur le banc près duquel il se tenait, au beau milieu d’un parc à vingt minutes de marche de chez lui. Il était seul, sans nulle part où aller ; il avait complètement oublié que Jaehwa devait partir en vacances aujourd’hui même. Le voilà dans une belle merde, et pourtant il n’avait pas envie de rentrer en rampant. Il n’avait plus le courage de supporter ses parents, il avait déjà accepté trop de choses, consenti trop de concessions.

Tant pis, il dormirait ici s’il le fallait. Hors de question qu’il rebrousse chemin.

~~~

Le gardien venait de passer pour s’assurer que plus personne ne traînait dans le parc. Par chance, la nuit avait camouflé le corps mince de Jungwan qui s’était dissimulé derrière un arbre en attendant que la voie soit libre. Mieux valait qu’on ne l’attrape pas à rôder dans le coin, ce n’était jamais très bien vu de se reposer sur le banc d’un jardin public supposé fermé.

Une fois le tour du gardien effectué par deux fois, Jungwan retourna s’asseoir. Après tout, il ne faisait pas trop froid pour un mois de décembre, et il était bien habillé. Il allait survivre, mais dans quelles conditions… Heureusement, ce soir, il ne faisait pas mauvais. La météo avait eu la clémence de l’épargner, mais ça ne risquait pas de durer. L’étudiant savait que des perturbations arrivaient, et il craignait bien d’être toujours à la rue le jour où il pleuvrait ou neigerait.

Assis sur son banc, enroulé dans sa doudoune sous laquelle il avait enfilé un pull, il maudissait sa famille. Sous l’effet de sa rancœur, les larmes avaient commencé à couler naturellement. Comment, dans un pays comme celui-ci, pouvait-on se montrer à la fois si avancé technologiquement et si en retard mo ralement ? Oui, il souhaitait tracer sa propre voie, oui, il aimait les hommes, et alors ? Qui est-ce que ça pouvait bien déranger ? Qui est-ce que ça pouvait bien intéresser ? C’était choisir entre un rideau rouge ou jaune : il n’y avait aucune raison valable pour rejeter quelqu’un qui préfèrerait telle couleur, et il n’y avait pas plus de raisons pour se voir imposer l’une des deux. Eh bien, lui, il avait la sensation qu’on voulait absolument lui imposer une couleur qui, plus que lui déplaire, l’écœurait profondément.

Il savait qu’il pouvait réussir dans la musique, même ses professeurs les plus sévères le lui avaient affirmé. Et il savait qu’il pouvait aimer les hommes, son cœur le lui avait affirmé.

« Putain de merde, » lâcha-t-il en balayant ses larmes d’un revers de la manche rageur.

Jungwan leva les yeux sur le ciel dégagé, magnifique, constellé de myriades d’étoiles toutes plus lumineuses et rassurantes les unes que les autres. Un léger sourire prit place sur les lèvres du jeune étudiant : ces étoiles lui faisaient penser à Jaehwa. Il était le seul qui le comprenait vraiment, mais l’université ne leur permettait plus de se retrouver autant qu’avant, et il lui manquait énormément.

Jaehwa avait l’air si heureux de partir en voyage, Jungwan était ravi pour lui. Cependant, il aurait bien aimé avoir quelqu’un à qui se confier. Lui révéler tout ce bordel, ça reviendrait à l’inquiéter, lui qui ne méritait que de profiter de ses belles vacances. Jungwan ne pouvait pas lui infliger ça.

Alors il observait les étoiles, parce que quelques mois plus tôt, Jaehwa lui avait assuré qu’une vieille histoire racontait que s’il adressait un vœu à la plus éclatante d’entre elles, il se réaliserait. Pour cela, il fallait formuler un vœu sincère, simple, un vœu qui venait du plus profond du cœur. Mais son cœur, Jungwan le sentait déchiré, complètement vide. Chaque battement le faisait souffrir et entrecoupait sa respiration haletante de sanglots. Ainsi, chassant de nouvelles larmes qui menaçaient, il se mit à parcourir le ciel d’un regard désespéré. Ses yeux bondirent d’étoile en étoile avant de se fixer sur l’une d’elles. Elle irradiait dans la voûte nocturne. C’était elle.

Le corps de Jungwan tremblait, il avait les mains transies de froid. Il aurait dû prendre des gants, il n’y avait même pas songé ; finalement, il avait enroulé les doigts dans un t-shirt qu’il avait embarqué dans son sac. De ce fait, alors que sa mâchoire claquait doucement, il se recroquevilla sur le banc, posa ses mains enveloppées dans le tissu chaud contre son cœur et, après un soupir qui avait fait naître devant lui un petit nuage de vapeur blanche, il s’adressa à l’astre :

« Je voudrais simplement quelqu’un qui me comprenne et soit toujours là quand j’en ai besoin. »

Un instant, il crut voir l’étoile briller, mais ce n’était rien de plus que la larme qu’il avait au coin de l’œil qui lui avait donné cette impression erronée. Alors, dans un nouveau soupir, il s’allongea sur le banc et, malgré les quelques larmes qui s’échappèrent encore, il ferma les paupières puis sombra lentement dans le sommeil.

Plongé dans les bras réconfortants de Morphée, il ne vit pas l’éclat surnaturel que revêtit, l’espace de quelques brèves secondes, l’étoile.

J-6 avant Noël

« Eh… Eh, toi.

— Hum…

— Réveille-toi, le gardien va pas tarder. »

Jungwan ne comprenait strictement pas ce qui se passait : pourquoi venait-on le tirer de son sommeil un weekend de vacances ? Et à qui appartenait cette voix si grave, pourtant si tendre avec lui ? Puis, brutalement, tout lui revint en mémoire. Il écarquilla soudainement les yeux, affolé, rencontrant un regard brun qui fit sursauter son cœur sous l’effet de la surprise. Il faisait encore nuit. Le visage de l’inconnu, en revanche, était baigné par la lumière rassurante d’un lampadaire.

« Eh du calme, je ne suis pas là pour te faire du mal, sourit le jeune homme, je dis simplement que tu devrais ranger tes affaires et filer vite fait. Il est six heures, le gardien va venir ouvrir les grilles ; s’il te trouve à l’intérieur, ça va chauffer.

— Et toi, qu’est-ce que tu fais ici ? demanda Jungwan en le tutoyant spontanément tout en se frottant les paupières.

— Je t’ai vu alors je suis passé par-dessus la grille pour te prévenir. »

Jungwan parcourut du regard l’inconnu qui se tenait debout devant lui : des cheveux châtains coupés comme la mode l’exigeait, une peau au teint légèrement hâlé et sans imperfections, des oreilles percées en plusieurs endroits, des yeux sombres mais pénétrants et bienveillants, un nez fin, de jolies pommettes et des lèvres colorées d’un rose pâle naturel. Il portait un manteau noir, son cou était ceint d’une écharpe gris et bleu, et il avait également revêtu un jean et des baskets de ville en cuir. Avec son sac sur l’épaule, il devait être lui aussi un étudiant, peut-être rentrait-il chez lui pour les fêtes.

« T’as besoin d’aide pour ranger ? »

Le garçon désigna les quelques vêtements que Jungwan avait utilisés en guise de couverture. Il rougit de ce désordre et, s’en saisissant rapidement, il balança tous ses habits dans son sac, détournant son regard embarrassé pour ne pas voir le léger rictus qui avait pris place sur les lèvres du jeune homme.

« Oh non, t’embête pas, répondit-il précipitamment, je vais tout ranger moi-même. D’ailleurs, estce que je peux savoir ton… »

Il n’eut pas le temps d’ajouter « prénom » qu’en levant les yeux, il se rendit compte que le passant avait disparu. Sa tête pivota d’un côté et de l’autre, ahuri, mais l’étudiant s’était tout simplement envolé, comme par magie. Avec le gardien qui allait bientôt arriver, Jungwan supposa que ce garçon avait pris peur et avait préféré s’enfuir rapidement, mais il aurait au moins pu lui dire au revoir… Et puis, le petit brun aurait bien aimé le remercier, ne serait-ce que lui dire ce seul mot.

Les sourcils froncés, il tenta malgré tout un nouveau coup d’œil autour de lui ; personne.

« Depuis quand ça disparaît aussi vite, les gens ? »

Non, mieux valait ne pas s’attarder sur la question, il y avait plus urgent. Le jeune garçon fourra rapidement ses affaires dans son sac et bondit du banc avant de quitter le parc en escaladant la grille heureusement basse. Il portait son sac en bandoulière sur l’épaule gauche, si bien qu’il retombait du côté droit de son corps. Jungwan atterrit avec un certain panache.

Les rues, à cette heure, n’étaient pas encore très fréquentées, et il n’eut aucun mal à s’échapper. Une bonne chose de faite, mais restait à savoir comment il allait s’en sortir aujourd’hui : il ne possédait assez d’argent que pour un ou deux repas, pas plus – autrement dit, il pourrait tenir la journée, mais pas jusqu’au retour de vacances de Jaehwa. Il allait falloir jeûner…

Est-ce que ses parents s’inquiétaient pour lui ? Avaient-ils décidé de changer d’avis ? La colère de Jungwan avait été apaisée par la nuit et il se demanda s’il ne devait pas essayer de rentrer chez lui.

Mais les faits étaient là : tant qu’il vivrait sous ce toit, sa famille ne le laisserait pas en paix et s’accrocherait constamment à son dos. Devait-il mendier ? Ce serait dégradant ; et s’il croisait quelqu’un qu’il connaissait ? Il se sentirait inévita blement humilié… d’autant plus que c’était également risqué.

Il trouva refuge sur un autre banc pas très loin du parc où il avait dormi. Son ventre criait famine et il était en train de se demander ce qu’il pourrait bien acheter pour rester rassasié le plus longtemps possible. Il pourrait se payer des gâteaux secs ; les biscuits au blé complet ne coûtaient pas cher et ils tenaient au ventre. Il aurait bien envisagé de prendre du riz, mais il n’avait rien pour le faire cuire…

Deux heures défilèrent ainsi et, afin de penser à autre chose qu’à son estomac, l’étudiant avait sorti son téléphone. Il serra un peu plus son manteau contre lui, dans l’espoir vain de conserver avec lui sa chaleur corporelle.

~~~

Parce qu’il n’avait pas très bien dormi dans la nuit, Jungwan commençait à somnoler, son téléphone toujours entre les mains, et il dut se ressaisir pour éviter de le lâcher bêtement. D’ailleurs, l’appareil était en train de se décharger, mais à part dans un café où il devrait ensuite consommer quelque chose, le jeune garçon ignorait où il pourrait le brancher. Il avait amené son fil avec lui, ne manquait que la prise.

Il posa les coudes sur ses genoux, la tête au creux des mains, dépité. Mais qu’est-ce qu’il avait fait… Qu'est-ce qui avait bien pu lui traverser l'esprit ? Il n’aurait pas pu s’engueuler avec ses parents au mois du juin ? Non, lui il fallait qu’il ait la brillante idée de se barrer mi-décembre.

« Mais quel con, » soupira-t-il doucement.

Il ferma les yeux aussi fort qu’il le pouvait, peutêtre tous ses soucis s’évaporeraient-ils de cette manière ? Lorsqu’il les rouvrit, il constata que non, tout n’avait pas disparu si facilement. Il se trouvait toujours dans cette rue dans laquelle les passants marchaient sans le voir, et le temps continuait de s’écouler à mesure que sa batterie se vidait.

Si elle finissait par se vider, que ferait-il ? Que faire s’il lui fallait, pour une raison ou pour une autre, appeler à l’aide ?

Effrayé à cette idée, il mit son portable en veille et se redressa sur son banc, surprenant alors sur lui le regard d’un client du café dans lequel il hésitait à entrer un peu plus tôt. Honteux d’avoir été pris sur le fait, l’inconnu baissa la tête et retourna à sa boisson tandis que Jungwan lâchait un nouveau soupir.

L’heure du déjeuner arriva plus vite que ce qu’il avait imaginé, et son ventre hurlait au point que Jungwan se demanda si son estomac n’était pas, d’une façon ou d’une autre, relié à des cordes vocales internes. C’était déprimant…

« Petit, tu vis ici ? »

Jungwan releva dans un sursaut son regard jusque-là perdu dans la contemplation de ses mains posées sur ses genoux. Un garçon, plus âgé que lui d’à peine quelques années, se tenait devant lui, la mine inquiète. Il le dévisageait en cherchant probablement dans son expression la réponse à sa question. C’était un jeune homme grand, large d’épaules, détail qui intimida profondément Jungwan qui se sentit tout petit et tout frêle en comparaison.

« T’es ici depuis ce matin, reprit-il alors que le garçon restait muet, mon employé m’a averti que t’avais pas bougé en plus de quatre heures. »

Quatre heures ? Alors il s'était enfermé dans ses songes si longtemps ?

« Je suis désolé, balbutia-t-il.

— Désolé ? Y a pas de raison de l’être. Dis-moi tout d’abord pourquoi tu restes là. T’attends quelqu’un ?

— Euh… »

Son air complètement perdu le trahissait, et le visage du jeune homme en face de lui, déjà doux, se teinta d’une tendresse toute particulière face à ce gamin tout juste sorti de l’adolescence et qui semblait si déboussolé.

« T’habites où ?

— Je… À environ vingt minutes de marche.

— Alors pourquoi t'as ce sac avec toi ?

— Je voulais aller chez un ami.

— Et tu attends cet ami ici ?

— Hier, il m’a dit qu’il viendrait pas.

— Hier ? »

Jungwan baissa les yeux, gêné de ce que l’autre venait probablement de comprendre. Ce dernier, d’un geste tranquille, l’obligea à relever la tête, emprisonnant son menton entre son pouce et son index. Il parla lentement, comme s’il cherchait à s’assurer que le garçon saisirait parfaitement sa question :

« Où as-tu dormi, cette nuit, petit ? »

Face à l’absence de réponse de Jungwan, de qui la mine trahissait l’angoisse de se faire juger, l’inconnu recula d'un pas et se passa la main dans les cheveux, l’air songeur.

« Laisse-moi deviner : t’es pas rentré chez toi ? »

L’autre acquiesça.

« T’as mangé aujourd’hui ? T’as de l’argent avec toi ? »

À ces deux questions, Jungwan apporta la même réponse : il hocha la tête de façon négative.

« Reste pas là, tu vas finir en bonhomme de neige. Je gère un magasin de vêtements à l’angle de la rue, tu peux rester dans la réserve si tu veux te réchauffer un peu.

— Oh non, je veux absolument pas déranger.

— Si ça me dérangeait, je te le proposerais pas. C’est bientôt Noël, hors de question que je laisse un pauvre garçon mourir de froid dehors. Au fait, comment tu t’appelles ?

— Jungwan.

— Enchanté, lui sourit-il chaleureusement, moi c’est Hyunjin, mais appelle-moi Jin. »

Il lui tendit la main et, alors que Jungwan hésitait à la lui serrer, plus habitué à s’incliner pour saluer quelqu’un, Hyunjin prit l’initiative de la saisir luimême. Or, dans un geste qui surprit l’étudiant, l’autre le tira avec force de sorte à l’obliger à se relever.

« Allez, moi je me les gèle, indiqua-t-il avec humour. Viens vite, en plus on a des boissons chaudes à la boutique. »

Hyunjin ne se considérait pas comme quelqu’un de généreux, du moins pas plus que la moyenne des gens qu’il connaissait, ce qui se résumait à un petit cercle d’amis très proches, dont son unique et fidèle employé. Or, voir ce garçon au visage angélique, à peine majeur, déprimer seul dans la rue alors que l’hiver arrivait à grands pas, il ne pouvait pas le supporter.

Les deux se mirent donc en route pour un court instant de marche pendant lequel Jungwan jetait de fréquents regards à ce bienveillant jeune entrepreneur. Il n’avait pas l’air d’avoir trente ans, c’était admirable qu’il détienne déjà sa propre affaire. D’une certaine façon, Jungwan imagina qu’il devait se sentir heureux et il l’enviait pour ça.

« C’est ici. Allez, viens vite au chaud. »

La boutique était très humble, sûrement à l’image de son propriétaire. C’était un petit endroit dont l’extérieur ne montrait aucune particularité : il s’agissait d’une devanture qui présentait des habits de fête, depuis le beau costard jusqu’au ridicule pull de Noël. Il n’y avait là que des vêtements pour hommes dont les prix variaient, permettant à tous les budgets de se faire plaisir. Le nom du magasin, inscrit en lettres lumineuses, était paré de décorations de Noël ; il en allait de même pour la vitrine qui arborait deux minuscules sapins absolument adorables et sur lesquels on avait installé de modestes guirlandes.

« C’est vous qui avez décoré ? demanda le plus jeune, désireux d’entamer la conversation.

— Tutoie-moi, je suis pas si vieux… Mais, oui, c’est mon employé et moi qui avons décoré. »

Hyunjin ouvrit la porte et fit signe à Jungwan de passer le premier, le garçon s’exécuta avec la même timidité qu’au moment de leur rencontre. Quand il sentit la chaleur s’abattre de plein fouet sur lui, l’étudiant ne put que lâcher un soupir de bien être. Aussitôt, ses doigts se détendirent autour de l'anse de son sac qu’il laissa tomber au sol. Il était midi, il n’y avait personne à cette heure creuse de la journée, probable raison pour laquelle Hyunjin avait décidé de le ramener maintenant.

À l’entente du petit carillon qui signalait l’ouverture de la porte, une tête blonde s’extirpa d’un des rayons. Immédiatement, Jungwan reconnut l’homme qu’il avait surpris à le fixer depuis le café en face duquel il était assis quelques heures plus tôt. Ainsi, c’était lui, l’employé de Hyunjin ? Ils formaient une sacrée paire : il était grand également, doué d’un charisme naturel que le jeune brun percevait rien qu’en le voyant. Quand il prit la parole, ce fut d’une voix grave mais aussi bienveillante que celle de Hyunjin.

« Oh, alors j’avais raison ?

— Oui, le pauvre garçon sait pas où aller, confirma le gérant. Jungwan, je te présente mon employé, Sanghoon. Sanghoon, voici Jungwan, le petit que tu as probablement sauvé de la cryogénisation.

— Ça va ? » demanda l’employé en question à son cadet.

Jungwan s’apprêtait à répondre quand son ventre le devança, émettant un son particulièrement gênant. Le garçon plaqua les mains sur son estomac et rougit, reprenant la sangle de son sac en la serrant fort contre lui, les yeux honteusement rivés sur le sol alors qu’il acquiesçait.

« Viens, on a des gâteaux de Noël et du chocolat chaud dans l’arrière-boutique, indiqua Hyunjin. Sang, tu peux l’y amener ? Je dois remettre des trucs en rayon.

— Je m’en charge. »

Le jeune homme fit signe à Jungwan de le suivre. L’étudiant arriva en quelques rapides enjambées à sa hauteur, sans toutefois oser regarder celui qui l’avait sorti du froid polaire de cette matinée : puisqu’il faisait beau et que le ciel était dégagé, toute la fraîcheur de la nuit était restée en dépit du grand soleil, l'air s'avérait encore plus frais encore que la veille au soir. Heureusement qu’il avait rencontré ces deux anges gardiens.

« Je viens bosser tous les jours à six heures et demie, indiqua alors l’employé, c’est moi qui fais l’ouverture à sept heures. Ce matin, quand je marchais, je t’ai vu franchir la grille du parc avec ton sac à l’épaule. Il était même pas six heures dix, ça laissait peu de doutes quant à l’endroit où t’avais dormi, et quand je t’ai vu sur ce banc alors que je prenais ma pause dans le café du coin… Je suis désolé si tu préférais rester seul, mais je pouvais pas te laisser dehors. Et puis Jin était d’accord avec moi.

— M… Merci beaucoup, balbutia le jeune garçon. Je suis désolé, j’espère ne pas déranger…

— Mais non, t’inquiète. Seul le personnel a accès à cette partie du magasin, alors ça dérange pas. On a une petite salle de détente au fond de la réserve… Bon, en fait, on a installé une table, deux chaises et une machine à café dans un coin où y avait aucun carton, mais ça revient au même, pas besoin de plus. »

Jungwan acquiesça en se décidant enfin à jeter un regard à son gentil bienfaiteur. Il s’agissait d’un jeune homme, grand avec des yeux fins et rieurs, des oreilles percées et un joli sourire qui soulignait ses charmantes fossettes.

Ils entrèrent dans une salle sur la porte de laquelle il était indiqué qu’elle était strictement interdite aux clients. Ça faisait bizarre à l'étudiant de la franchir, il éprouvait la sensation de ne pas se trouver à sa place. Il y avait dans cette pièce d’une vingtaine de mètres carrés un amas de cartons soigneusement rangés et, tout au fond, une petite table contre l’angle du mur et deux chaises. Sur la table se tenaient une machine à café et une assiette de cookies au glaçage vert sapin. Il y avait sous la table un mini frigo surmonté d’une boîte de capsules qui fonctionnaient avec la machine.

« C’est la copine de Jin qui a fait les gâteaux, sourit Sanghoon. Cette fille est une perle, Jin a de la chance de l’avoir. La machine permet de faire du café ou du chocolat chaud, à moins que tu préfères que je te fasse chauffer de l’eau pour un thé. On a de tout.

— Je veux bien un chocolat, acquiesça Jungwan.

— Pas de problème. »

Il sortit le nécessaire et enclencha l'appareil qui émit un bruit de tous les diables pendant que Jungwan dégustait un cookie qu’il trouva délicieux. Hyunjin arriva pendant ce temps dans la salle, et Jungwan lui offrit un sourire sincère sans savoir quoi dire pour le remercier.

« Dis, Sang et moi on a l’habitude de se prendre un plat à emporter le midi, reprit Hyunjin une fois la machine stoppée. Ça coûte pas cher, tu veux que je te prenne quelque chose ?

— Oh c’est très gentil, mais je…

— Je vais considérer que c’est oui, te fatigue pas à refuser.

— Mais…

— T’as pas d’argent n’est-ce pas ?

— Euh… non.

— Et j’ai pas d’intérêt à prendre un employé de plus, sinon crois bien que je t’aurais embauché. Mais si tu veux me rembourser, tu pourras apporter ton aide de temps en temps plutôt que de rester seul ici…

— Oh c’est vrai ? Si je peux vous être utile en quoi que ce soit, ce sera avec plaisir, merci beaucoup !

— Arrête d’être toujours aussi gêné, rit Hyunjin. Bien sûr que tu pourras aider un peu. Et puis, si tu peux remplacer Sang simplement pendant ses pauses, ça me fera déjà moins de boulot, alors ça m’arrange.

— Dans ce cas, si vous avez besoin de moi, n’hésitez pas. »

Il porta sa tasse chaude à ses lèvres et, après avoir soufflé dessus, il en but une bonne partie d’une seule traite, assoiffé. Hyunjin et Sanghoon échangèrent un rapide regard à la fois heureux et plein de complaisance : Jungwan finissait par s'ouvrir.

« D’ailleurs, y a une prise sous la table, ajouta l’aîné, tu peux brancher ton téléphone. Sang, viens, on a du boulot. Je voudrais mettre de jolies décorations un peu partout vers les caisses.

— Jin et ses décorations, je te jure, il va me rendre dingue, » murmura Sanghoon de sorte que seul Jungwan l’entende.

Le benjamin retint un éclat de rire alors que les deux hommes quittaient la pièce, emportant avec eux des cartons remplis de guirlandes, de boules de Noël et autres objets chatoyants. Quand il se retrouva seul, il brancha son fil, le relia à son portable et alla rapidement regarder s’il n’avait pas de message de ses parents. Rien. Il aurait dû s’en douter après tout…

Il soupira mais ne se laissa pas abattre. Une fois sa tasse de chocolat terminée, il prit soin d’aller la laver dans le lavabo des toilettes des employés, indiqués par Hyunjin quand Jungwan était allé lui demander où nettoyer la vaisselle. Vers une heure, le patron était revenu avec le déjeuner, et les trois avaient mangé ensemble dans la « salle de détente » en discutant de façon tranquille et conviviale.

Au fil de la journée, la timidité du plus jeune s’envolait. Toutes les deux heures, quand Sanghoon prenait dix minutes de pause, Hyunjin allait chercher Jungwan pour lui proposer de venir le remplacer. À l’occasion de ses premières minutes de travail, ils se chargèrent tous les deux de la décoration de la boutique. Par la suite, le garçon s’occupa de remettre en rayon des vêtements laissés au sortir de la cabine d’essayage par les clients.

Il obéissait sagement à chaque directive donnée par le patron du lieu, il ne discutait rien et était extrêmement poli, si bien que Hyunjin s’attacha très rapidement à lui. Au début, il avait craint que Jungwan ait fui sa maison parce qu’il était un ado à problèmes, ou ce genre de choses qu’on entendait parfois aux informations, cependant ce n’était pas du tout le cas. Jungwan parlait peu de lui, mais le jeune gérant avait réussi à apprendre qu’il était à l’université et qu’il était un élève studieux qui avait de bonnes notes.

« Je sais que ça va te sembler carrément personnel, peut-être même malvenu, alors te sens pas obligé de répondre, dit Hyunjin tandis qu’il tendait à Jungwan des pulls à ranger. Je me demandais simplement pourquoi t’es à la rue alors que t’as une famille qui te pousse à aller à la fac et une vie paisible. »

Jungwan se trouva tout à coup embarrassé ; il ne souhaitait pas évoquer ça, pas maintenant. Hyunjin lui apparaissait certes comme quelqu’un d’adorable, mais il ne se sentait pas prêt à se confier à lui. Lui parler de ses études et de ses rêves, peut-être, mais ce qui avait tout bousculé chez lui et l’avait motivé à fuir, c’était avant tout l’aveu de son orientation sexuelle, chose terriblement gênante à admettre auprès du jeune homme qu’il ne connaissait que depuis quelques heures à peine.

« Je vois, acquiesça Hyunjin. C’est rien, je suis pas pressé, ça m’apportera rien de le savoir, je voulais simplement satisfaire ma curiosité. Je suis désolé si je t’ai embarrassé. Allez viens, on continue de bosser, Sang ne va plus tarder et s’il retrouve le magasin dans le même état qu’il l’a laissé, il va se poser quelques questions quant à notre efficacité, et après c’est moi qui vais me faire engueuler.

— Mais t’es pas le chef ? répliqua Jungwan avec humour.

— Un bon chef est avant tout un ami… surtout quand il a un seul employé… Enfin, un employé et demi disons. »

En entendant qu’il s’était corrigé, Jungwan ne put réprimer son sourire. Il se savait chanceux d’avoir été surpris et secouru dès le premier jour de son errance par Sanghoon. Ce dernier aurait pu le laisser dehors, mais non, il avait préféré prévenir son patron et ami pour lui demander de lui venir en aide à lui, un garçon dont les deux jeunes gens ignoraient tout.

« Tu veux dormir chez moi ? proposa Hyunjin à Jungwan alors que la boutique allait fermer.

— Oh non, je vais me débrouiller, t’inquiète pas. Je veux surtout pas m’incruster comme ça dans ton intimité.

— Tu voudrais pas rester ici, cette nuit aussi ? Je te fais confiance, par contre tu serais enfermé dans le magasin. De toute façon, t’as mon numéro s’il y a le moindre problème. »

C’était vrai, Jungwan avait pris le numéro de ses deux aînés à l’occasion d’une pause générale en milieu d’après-midi.

« Non merci, vous avez déjà beaucoup fait pour moi.

— Tu vas dormir dehors ? s’inquiéta Sanghoon.

— Je sais pas… j’imagine.

— Non, c’est pas possible, refusa Hyunjin. Reste ici, ça vaut mieux. »

Mais Jungwan avait cette étrange impression au fond de lui, ce sentiment qui lui criait qu’il ne devait pas rester. Il lui fallait s’en aller.

Dormir ailleurs.

Dormir là où il avait aperçu l’étoile.

Il tenta d’expliquer à ses deux bienfaiteurs qu’il préférait regagner ce banc sur lequel il avait dormi la nuit précédente.

« Bon d’accord, acquiesça Sanghoon après un bon quart d’heure de discussions, mais demain je viendrai te voir avant de bosser pour m’assurer que tu vas bien.

— Et ça tient toujours : si t’as le moindre souci, même pendant la nuit, appelle-moi, ajouta Hyunjin. Tu peux revenir à la boutique, tu nous déranges pas, je t’assure. Au contraire, on a deux mains de plus pour nous aider, et en période de fêtes, c’est pas de refus, surtout si ça ne nous coûte que quelques tasses de chocolat et un peu de nourriture. »

Plus tôt dans la journée, Hyunjin avait proposé à Jungwan une paie pour rester encore deux semaines, jusqu’à la fin des fêtes. L’offre s’avérait intéressante, même si la somme se révélait très basse – car comme il l’avait indiqué, le patron ne pouvait pas lui verser un vrai salaire. Pourtant, l’étudiant l'avait déclinée : tout ce qu’il voulait, c’était un endroit où se réchauffer et où manger le temps qu’il trouve une autre solution. Il ne possédait aucune économie, ses parents n’auraient jamais été du genre à lui ouvrir un compte pour lui mettre de l’argent de côté.

« Passez une bonne soirée, sourit Jungwan en s’en allant.

— Toi aussi, et fais bien attention à toi, conseilla Sanghoon. Ton portable est rechargé ?

— Batteries pleines, hyung1, rit Jungwan. T’en fais pas.

— Cet enfant va me donner des cheveux blancs, Sang, soupira Hyunjin une fois Jungwan parti. Je suis trop jeune pour être vieux, ça va pas du tout.

— Même avec des cheveux blancs, ta chère et tendre te trouverait à croquer, hein, « Jin oppa » ? se moqua son employé.

— Fais attention à ce que tu dis, le magasin est pas encore fermé, je suis toujours ton patron.

— Mais bien sûr. Allez, viens ranger au lieu de faire ta diva.

— Je ne fais pas ma diva, je suis une diva. »

Il repoussa une mèche d'un geste exagéré, tirant un sourire à Sanghoon qui rentra le premier à la boutique. Son aîné aimait bien jouer les idiots, il se présentait comme la caricature d’un parfait abruti, quand il le voulait. Or, derrière les apparences, il s’agissait d’un garçon plein d’humour et d’autodérision.

Jungwan se dirigea vers le parc d’un pas lent mais assuré. Oui, il ignorait ce qui l’avait incité à refuser l’offre alléchante de Hyunjin ; une voix puissante au fond de son âme lui avait conseillé ce choix comme le meilleur qu’il pouvait formuler. Il éprouvait ce sentiment qu’il se devait de retourner là où il s’était trouvé la nuit passée. C’était un sentiment d’une force telle qu’il se sentait presque pousser des ailes.

Il était tard, le magasin était resté ouvert jusqu’à dix heures du soir. Les trois employés avaient vu arriver une flopée de clients à partir de la fin d’aprèsmidi : Jungwan n'en pouvait plus. Il estimait d’emblée que cette nuit allait probablement se révéler plus paisible que la précédente, et l’espace d’un instant il se demanda si le mystérieux garçon qui l’avait réveillé avant le lever du soleil referait surface le lendemain matin. Il l’espérait – notamment parce que si c’était le gardien qui le trouvait là, il aurait quelques ennuis.

Le parc restait encore ouvert pour une petite demi-heure lorsqu’il entra. Aussitôt, il chercha un endroit où se terrer en attendant que l’homme passe. Il y avait bien une cabane en bois que des enfants avaient construite quelques semaines plus tôt et qui s’avérait plutôt bien réalisée, mais Jungwan préféra trouver refuge derrière un arbre, comme la veille. Et comme la veille, il sut demeurer assez discret pour ne pas se faire repérer.

Une fois convaincu que le gardien avait déserté les lieux, Jungwan se dirigea vers le banc qui lui avait déjà servi de lit, ce banc qui se situait à peine à quelques mètres des grilles du parc. Pas étonnant que le garçon de ce matin l’ait vu, finalement, d’autant plus qu’il se tenait à l’endroit exact où se déversait la lumière d’un lampadaire. Ces rues de la ville avaient beau ne pas être très fréquentées de nuit, il y avait quand même du passage.

Il s’endormit avec la quasi-certitude que quelque chose changeait progressivement dans sa vie, et pas parce qu’il avait fugué, mais parce que pour la première fois depuis bien longtemps, son cœur ne lui paraissait pas froid et vide. Il brûlait d’espoirs en tous genres ravivés par la bienveillance des quelques personnes qu’il avait rencontrées.

1 Terme utilisé en Corée du Sud par un garçon pour désigner de façon affectueuse un garçon plus âgé (un grand frère, un ami très proche, etc.).

J-5 avant Noël

« Eh… Réveille-toi… »

Jungwan ouvrit les yeux avec difficulté. La nuit obscurcissait encore le parc, en dépit de quoi le lampadaire au-dessus de lui l’aveuglait partiellement. Il distinguait la silhouette qui se tenait près du banc sur lequel il s’était assoupi, mais nul besoin de le regarder pour savoir de qui il s’agissait : le timbre du mystérieux garçon lui paraissait beaucoup trop unique pour qu’il ne le reconnaisse pas. Il était revenu.

« Quelle heure il est ? s'enquit Jungwan d’une voix éraillée.

— Six heures, comme hier. »

Il parlait d’un ton bienveillant, enjoué. Une fois ses yeux habitués à cette violente luminosité, Jungwan put observer le plus magnifique sourire qu’il ait jamais vu. Il n’imaginait pas qu’un sourire puisse se révéler si doux, mais chez ce garçon, son visage en était sublimé.

« Comment est-ce que tu t’appelles ? osa demander Jungwan sans pouvoir détacher son regard du beau châtain.

— Shin. Et toi ?

— Jungwan. »

Shin lui sourit avec tendresse et s’installa à côté de lui, rejetant son sac de son épaule pour le poser à ses pieds et fouiller dedans, arquant le dos pour se pencher. C’était un geste banal, mais exécuté par ce jeune homme, c’était tout de suite complètement différent. Jungwan sentait quelque chose d’étrange émaner de lui, quelque chose qu’il ne saurait qualifier.

Quand le garçon se redressa, toujours assis auprès de Jungwan, il tenait dans la main un sachet provenant de la boulangerie la plus proche. Il le tendit au sans-abri tout en lui offrant son rictus le plus chaleureux.

« Ce matin, je l’ai acheté en me disant que si je te croisais, je pourrais au moins te filer ça.

— C’est pour moi ? s’étonna son cadet.

— Ouaip, à moins que t’en veuilles pas. Allez, prends-le. »

Voyant que Jungwan hésitait, Shin lui donna le petit paquet de papier recyclable. L’autre ne put qu’accepter, mais il sentait ses joues chauffer et son cœur s’emballer.

« Pourquoi ? Pourquoi tu fais ça pour moi ?

— Ça te fait pas plaisir ?

— Si, si, bien sûr !

— Eh bien voilà pourquoi je fais ça. »

Il pencha la tête très légèrement de côté, ça lui conférait un air absolument adorable. Jungwan lui sourit et détacha enfin son regard de Shin pour ou vrir le sachet et en sortir la pâtisserie qui s’y trouvait, sa préférée.

« Comment t’as su que… »

Jungwan s’interrompit ; à côté de lui, personne. Avec le même réflexe que la veille, il tourna la tête d’un côté et de l’autre, espérant apercevoir le jeune garçon marcher le long du chemin de graviers qui traversait le parc, mais il s’était évaporé. L’étudiant dirigea son regard sur la grille derrière lui : personne non plus. Il se leva, glissa le sachet dans son sac qu’il rangea à la hâte et passa en bandoulière sur son épaule, puis il jeta un dernier coup d’œil circulaire.

« Shin ? »

Pas un bruit. Vraiment étrange, mais Jungwan n’eut pas l'occasion de réfléchir plus longtemps qu’une main se posa sur son épaule. Il fit brutalement volte-face pour se trouver devant Sanghoon qui, tout à coup, le plaqua violemment contre l’arbre près d’eux en lui intimant de se taire. Des pas s’élevèrent, le cœur de Jungwan accéléra en découvrant la silhouette du gardien. Shin l’avait pourtant prévenu, il aurait dû partir plus rapidement plutôt que de s’éterniser ici.

Quand le vieil homme se fut éloigné, Sanghoon soupira de soulagement en relâchant la pression qu'il effectuait sur les clavicules de Jungwan qui se détendit à son tour. Ils s’écartèrent l’un de l’autre ; le plus jeune resserra sa prise sur la bandoulière de son sac, comme s’il pouvait lui échapper à tout moment.

« Heureusement que je suis arrivé à temps, sourit l’aîné, j’ai bien cru que tu verrais pas le vieux se pointer.

— Désolé, j’étais ailleurs.

— En tout cas, je suis content de constater que tu vas bien.

— Oui, j’ai mieux dormi que la nuit dernière.

— Par contre, hésita Sanghoon, du coup, c’est qui, Shin ? »

Jungwan rougit brusquement à la simple entente de ce prénom qui le fit frémir. Il n’avait jamais ressenti au premier regard une attirance particulière pour quiconque, mais avec Shin, ça n’avait rien à voir, une sensation étrange fleurissait en lui. Il n’était pas question d’amour, après tout ils se connaissaient à peine, pour autant il sentait bien que quelque chose lui donnait envie de le découvrir.

Un voile de mystère enveloppait le châtain, et Jungwan voulait comprendre. Au fond de lui, quelque chose lui murmurait de ne pas craindre Shin. C’était ce même instinct qui l’avait poussé à revenir dormir sur le banc plutôt que dans le magasin de Hyunjin, et l’étudiant ne pouvait pas attribuer ça à un hasard. Peut-être son vœu était-il tout simplement en train de s’exaucer… mais non, enfin. C’était ridicule, depuis quand une grosse boule de gaz lumineuse exauçait les vœux ?

« C’est personne, répondit-il finalement, du moins, je crois.

— Personne ? T’es sûr ?

— Je t’assure, je sais pas qui c’est. Ça fait deux fois qu’il vient me réveiller pour me prévenir que le gardien va passer et qu’il faut que je m’en aille, mais je sais strictement pas qui il est.

— Hum, c’est bizarre. Méfie-toi quand même. T’es vraiment sûr de pas vouloir dormir au magasin ce soir ?

— Merci beaucoup, Sang, c’est gentil, mais je sais qu’il est pas méchant. Il est simplement… étrange.

— Comment ça ? Il a fait des trucs bizarres ? Il avait l’air bourré ou drogué ?

— Non, non… enfin, j’ai l’impression que dès que j’arrête de le regarder, il s’évapore.

— Sérieux ? Comme un fantôme ? T’es sûr qu’il est réel, au moins, t’as pas rêvé ? »

Jungwan s’apprêtait à répondre quand un éclair lui traversa l’esprit. Il porta la main à son sac et tira fiévreusement la fermeture éclair avant d’en sortir le sachet provenant de la boulangerie d’à côté.

« Il m’a offert ça, ce matin.

— Oh… donc c’est pas un rêve ni un fantôme, plaisanta Sanghoon. Bon, viens, j’ai une boutique à ouvrir, moi, et tu vas m’aider.

— Pas de problème ! »

Jungwan suivit Sanghoon, les deux préférant quitter le parc en passant par-dessus les grilles plutôt que par le portail, de peur que le gardien ne les repère et les regarde d’un œil méfiant. Arrivés dans la rue, ils marchèrent sans échanger le moindre mot : Jungwan mangeait son petit déjeuner, qui consistait en ce gâ teau généreusement offert par Shin. Il continuait de s’interroger à son sujet, mais toutes ces questions furent dissipées quand son ami ouvrit la boutique, en alluma les lumières et demanda à ce qu’il aille dans la réserve préparer une tasse de café bien chaud – Sanghoon en aurait bien besoin.

« Et toi, ajouta-t-il, fais-toi chauffer ce qui te ferait plaisir. T’es ici comme chez toi. »

Jungwan acquiesça avec un sourire. Une fois à l’arrière du magasin, il posa son sac dans un coin, se sépara de son manteau, puis s’empressa de s'occuper du café pour Sanghoon avant de s’offrir un chocolat chaud. Il apporta la tasse à l'employé qui se trouvait à la caisse et s’en retourna à la réserve après que le jeune homme l'eut remercié. Il s’assit sur une des chaises, soupira en avalant sa boisson, et il alla s’enquérir auprès de Sanghoon de la façon dont il pourrait se montrer utile.

« Jin arrive à huit heures, ce serait cool si tu pouvais lui faire un café, à lui aussi, ça lui fera plaisir. Je pense qu’il sera ravi que tu rajoutes quelques décorations dans les rayons. Il doit nous rester un carton de guirlandes dans le stock, fais-toi plaisir.

— J’y fonce ! »

Avec toute la bonne volonté qui le caractérisait, Jungwan obéit. Le petit climat de fête qui régnait dans la boutique lui plaisait énormément. Il se sentait heureux que Sanghoon se montre si à l’écoute, au point même de venir le chercher quand il l’avait vu dans le parc. Hyunjin, quant à lui, s’était révélé absolument adorable, tout autant que son employé.

Jungwan éprouvait la sensation que ces garçons lui offraient bien plus que ce qu’il méritait : il voulait à tout prix les remercier de lui proposer un endroit où s’abriter tout au long de la journée et de quoi manger une fois l’heure du déjeuner arrivée.

~~~

« Sang ! l’appela son patron depuis l’entrée de la boutique.

— Oui ? s’enquit l’employé en sortant la tête d’un des rayons.

— C’est toi qui as demandé à Jungwan de me faire mon café ?

— Oui, pourquoi ?

— Merci beaucoup, pour une fois il est assez sucré.

— C’est ça, moque-toi. J’y peux rien si j’ai toujours peur de trop en mettre…

— Il faut qu’on garde ce petit avec nous ! »

Debout aux côtés de Hyunjin, Jungwan se trouva gêné d’assister à la conversation, mais l’aîné avait posé la main sur ses cheveux dans un geste tendre, il ne souhaitait pas le repousser. Cela l'apaisait, il était rassuré d'avoir rencontré quelqu'un de si affectueux. Certes, Jaehwa comptait aussi beaucoup, mais les deux garçons ne se voyant plus autant qu’avant, il endurait parfois une certaine solitude. Depuis la veille, en revanche, il éprouvait l’agréable sensation que peu à peu tout se bousculait et qu’enfin le monde se révélait tel qu’il l’avait espéré… sauf en ce qui concernait le fait de dormir dans la rue, bien sûr.

« Encore faudrait-il que ce petit veuille rester avec nous, le railla Sanghoon. Tu vas lui faire peur si tu continues de te prendre pour son père.

— Mais je suis sûr que ma copine l’adorerait, protesta Hyunjin avec humour, tu crois que je pourrais l’adopter ?

— Je crois qu’il est un peu vieux pour être adopté…

— Mais c’est vrai, t’as quel âge d’ailleurs, Wanie ?

— Euh, j’ai vingt-et-un ans, répondit enfin le benjamin.

— Mon dieu, ça grandit si vite, se lamenta Hyunjin. Mon fils est devenu un homme.

— Arrête de faire l’idiot, lui reprocha Sanghoon, les clients vont pas tarder, les effraie pas, s’il te plaît.

— Parfois, je me demande qui de nous deux est le patron… »

Sanghoon lâcha un profond soupir, puis il reprit le rangement du rayon qu’il s’affairait à ordonner depuis déjà plusieurs dizaines de minutes. Jungwan posa sur lui un regard rieur mais se passa de commentaires. Il aimait bien observer ses deux aînés se chamailler, il les trouvait tendres l’un avec l’autre, leur amitié sautait aux yeux.

« Wanie, tu veux manger quoi, à midi ? lança Hyunjin depuis la réserve tandis que le benjamin encaissait un client.

— La même chose qu’hier, répondit-il. Le menu le moins cher.

— T’es sûr ? Tu veux pas plus ?

— Non, non, ça me va largement, t’inquiète pas.

— Comme tu veux, c’est toi qui vois.

— Merci, hyung ! »

Jungwan adressa un regard à son aîné avant de remercier par la suite le client et le saluer avec courtoisie. Depuis quelques heures, la boutique ne désemplissait plus, il était bientôt une heure de l’après-midi et Jungwan se demandait quand ils auraient le temps de manger.

De leur côté, Hyunjin et Sanghoon étaient surmenés, la présence de leur cadet à leur côté leur apparaissait comme une bénédiction : altruiste, particulièrement aimable, il suscitait la curiosité des deux autres qui s’interrogeaient quant à la raison de sa fugue. Quoi qu’il en soit, ils voulaient l’aider du plus profond de leur cœur. Peut-être était-ce là le fait de l’esprit de Noël qui les habitait, mais ils souhaitaient se montrer généreux avec lui en retour. Ils voulaient l’aider sans savoir comment.

Après le déjeuner, Sanghoon et Hyunjin avaient décidé de laisser carte blanche à leur nouveau collègue pour habiller l’un des mannequins de la devanture selon ses goûts. Du coin de l’œil, les deux amis surveillaient leur protégé qui s’occupait avec tranquillité, incarnation d’un véritable petit ange.

Jungwan, en effet, prenait beaucoup de plaisir à soigner sa tenue. Il trouvait ce travail apaisant, d’autant plus que sa position lui permettait d'observer à travers la vitrine les allées et venues de potentiels clients dans la rue. Il espérait créer l'ensemble le plus harmonieux possible et attirer toujours plus de monde dans la boutique de Hyunjin.

Cependant, tout à coup, il se figea : dehors, ses écouteurs dans les oreilles, un garçon marchait nonchalamment et longeait le trottoir sans le voir, les yeux perdus dans le vague et fixés sur son chemin. Aussitôt se réveilla la petite voix en Jungwan, petite voix qui lui hurla : « cours ! »

Il lâcha brusquement le pull qu’il tenait entre les mains et, comme hypnotisé, il sortit en courant du magasin, le cœur battant, manquant de bousculer Sanghoon qui ne comprit ce qu’il se passait qu’en entendant le très faible murmure de son cadet :

« Shin… »

Jungwan traversa la rue en quelques foulées et s’élança à la suite de Shin. Les trottoirs étaient chargés de passants qu’il bousculait, s’excusant sans cesse. Peu importait, il ne voyait que le mystérieux garçon, il ne le lâchait pas du regard, il savait au plus profond de lui qu’il ne le devait pas. De toute façon, il ne pouvait pas laisser ses prunelles se séparer de cet être envoûtant. Shin lui cachait quelque chose, il en était convaincu, et même s’il avait conscience qu’il était ridicule d’imaginer que ce garçon puisse entretenir un lien avec son vœu (après tout, la magie, ça n’existait que dans les contes), il savait que d’une manière ou d’une autre, il était spécial.