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Début des années 2000, un Suisse en Suisse romande entame une transition très médicalisée, voire trop ! Ce qui devait durer trois ans se prolonge sur une dizaine d’années. Ce parcours est rempli de combats, dans plusieurs domaines, jalonné d’incertitudes et d’humiliations particulièrement choquantes quand elles émanent des professionnel-le-s de la santé. Le manque de reconnaissance et de soutien officiel renforce le sentiment d’exclusion sociale. C’est une véritable crise personnelle, entraînant une remise en question profonde du système et de l’identité. La reconstruction s’avère être un processus complexe et difficile.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Jérémy Lepatient a été inspiré par deux motivations pour écrire ce livre : partager son histoire et offrir de l’aide à ceux qui traversent des épreuves similaires. Aider ne serait-ce qu’une personne à éviter certains travers dans lesquels il est tombé constituerait pour lui une immense victoire.
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Seitenzahl: 271
Veröffentlichungsjahr: 2024
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Jérémy Lepatient
Étranger chez soi
Une histoire de genre
© Lys Bleu Éditions – Jérémy Lepatient
ISBN : 979-10-422-2862-0
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122- 5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122- 4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335- 2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Une entrée étourdissante dans une société genrée, qui a été parfois incompréhensible, douloureuse et remplie d’incertitudes, comme de certitudes.
Souvent, des questions restent sans réponse… avec un grand sentiment de solitude face à certaines douleurs et souffrances, aussi bien physiques que psychiques. Un changement dans le regard et le comportement des autres, des bouleversements au niveau de la famille, du travail, des amitiés et des corps de métier – et ils sont nombreux – face auxquels on doit sans cesse justifier de notre identité ; et enfin, la peur, ou plutôt les peurs, face auxquelles il faut sans cesse se battre et s’adapter.
Chaque parcours, histoire et être humain est singulier.
Mon identification en tant que garçon vient du plus profond de mon être. Déjà vers l’âge de huit ans, je pensais qu’on m’identifiait à une fille parce que mon pénis n’était pas suffisamment développé et croyais que mon corps avait du retard, ce qui me provoquait de la honte et du mépris vis-à-vis de celui-ci. J’étais haut comme trois pommes et convaincu que certaines parties intimes de mon corps allaient encore se développer en grandissant. Je m’interrogeais souvent : Quand mon corps va-t-il se développer ?
Pourquoi cette petite « bosse », que j’appelle mon « petit pénis », ne grandit-elle pas assez vite, même si je tire dessus pour l’aider à se développer ? Est-ce la longueur qui permet d’avoir des enfants ? Vais-je quand même pouvoir fonder une famille et être un bon père et un bon mari, malgré le développement tardif de mon corps ? Serai-je aimé en tant que garçon à part entière, autrement dit en tant que moi-même ? Aurai-je une place dans le monde des grands ?
Je me demandais en effet pourquoi le monde des adultes en général, et à l’école en particulier, ne me voyait pas. Pourquoi se focalisait-il sur une apparence qui n’était pas la mienne ? Pour les « autres », mon apparence de fille, signifiait que j’étais une fille alors que pour moi, mon apparence ne dévoilait rien d’autre qu’une façade, sans représenter qui j’étais. Mon apparence n’était qu’un voile qui dissimulait qui j’étais ?
Cela signifiait-il qu’une personne habillée en lapin était un lapin ?
Ne pouvions-nous pas tous rire, pleurer et nous amuser ensemble ?
Alors, pourquoi mettre en avant une apparence pour me différencier ? Surtout si elle ne correspondait pas à la perception et à l’image que j’avais de moi. J’avais l’impression que cette différence établie par la société mettait de côté les valeurs humaines qui vont avec le respect de soi et des autres, et du droit à la différence.
Je me sentais garçon et on me traitait en tant que fille, je ne comprenais pas cette situation. L’apparence prime-t-elle sur le reste ?
On essayait de me faire intégrer des automatismes de « fille », « féminins ».
Par exemple : une fille devait savoir bien faire à manger et le ménage, pour prendre soin de son mari, de ses enfants et de sa maison. Une fille, n’est-ce que cela dans notre société ?
Exprimer toutes mes interrogations, oui, mais auprès de qui ?
Que ce soit à l’école ou à la maison, ces questions dérangeaient ; elles étaient évitées par des réponses qui n’en étaient pas, donc rien pour me sentir mieux.
On me disait par exemple :les garçons naissent dans des choux et les filles dans des fleurs. Pourquoi un garçon ne pouvait-il pas naître dans une fleur ?
Cette simple question restait systématiquement en suspens…
Entre enfants, les mots zizi, pénis, bite, boule, vagin, sein circulaient, mais rien ne désignait cette petite « bosse » que j’avais. Pourquoi ce silence ?
Pourquoi les parties intimes du corps des garçons étaient-elles tant verbalisées ? Pourquoi ce tabou sur celles des filles ? Cependant, mes interrogations principales ne portaient pas sur le sexe même, mais sur le développement de mon corps : pourquoi avais-je une poitrine qui se développait contre mon gré ? Et pourquoi mon mini-pénis, lui, restait-il petit ? Pourquoi ne pouvais-je pas faire pipi debout comme les autres garçons ?
Il était difficile pour moi de grandir dans les eaux troubles d’une société qui avait établi des règles incompréhensibles, avec des tâches et des attitudes en rapport avec une apparence : Les futures poitrines et les non-poitrines…
À la maison, les choses me paraissaient plus simples, car on ne m’imposait rien en fonction de mon apparence physique. Chacun devait savoir tout faire, on se partageait les tâches. Il ne m’a pas semblé voir une différence entre les filles et les garçons.
Par contre, en dehors de la maison, j’ai vu rapidement qu’il n’en était pas ainsi, et que les catégories filles-garçons entraient en ligne de compte partout. À l’école, les filles faisaient de la couture et les garçons allaient à l’atelier bois. Cette différenciation était difficile à supporter, car je voulais autant travailler le bois que savoir coudre un bouton ! Pour moi, me situer dans l’une ou l’autre de ces catégories était impossible. Cette classification me fragilisait et m’empêchait de me construire. Pourquoi ne pouvais-je pas choisir mes activités ? Pourquoi m’étaient-elles imposées, selon mon apparence et non selon mes goûts ou mes capacités ?
Lorsque je faisais quelque chose, par exemple à la couture, on me disait :
Il est important de savoir bien coudre : quand tu auras un mari et des enfants, ta famille comptera sur toi pour ces tâches ! Pourquoi ne pas simplement me dire que savoir bien coudre c’est utile dans la vie, que l’on soit fille ou garçon ?
J’avais le sentiment d’être conditionné pour devenir « femme à la maison » et pas en tant qu’individu à part entière. Où se trouve le sens du partage des tâches dans ce genre de propos ?
Je trouvais cela étrange, cette représentation des filles « domestiques »… mais, je n’avais pas d’autres choix que de garder tout cela en moi.
À cet âge-là, le monde des adultes se limitait aux adultes de la famille, aux amis de la famille ou aux adultes rencontrés à l’école. Je n’étais pas encore en âge de choisir à qui en parler ; de plus, j’étais très timide et rougissais facilement. Malgré mon jeune âge, je réfléchissais beaucoup, mais n’avais personne avec qui en parler et pas suffisamment de mots pour verbaliser toutes mes impressions. J’avais également peur que l’on se moque de moi.
Pourtant, ces catégorisations me posaient un réel souci et une vraie souffrance psychologique. Ce silence était pesant et angoissant !
Par exemple, à l’école, au cours de gymnastique, je devais aller jouer dans l’équipe des filles. J’acceptais mal l’humiliation d’être classifié dans le rang des filles. Non pas parce que j’avais des préjugés envers elles, mais parce que, en tant que garçon, je souhaitais aller jouer dans l’équipe des garçons. Dans les vestiaires, j’étais obligé de me changer avec les filles, alors je prenais mes vêtements et me changeais dans les toilettes. J’avais l’impression que si l’on me découvrait, on m’accuserait d’être un voyeur, je baissais toujours la tête de honte. Je ne me sentais pas à ma place, étranger parmi les filles avec un immense sentiment de solitude. Je refusais de faire des sports collectifs, car cela déclenchait chaque fois un drame pour moi :
Le sport et la formation des équipes : quelle angoisse !
Je me posais souvent la question suivante : Était-il plus facile de faire des équipes, garçons et filles, que de choisir au hasard les équipes ?
Cette séparation se retrouvait également dans plusieurs autres situations :
1– L’apprentissage du français
Le cours de français n’était pas évident, car lorsqu’on me demandait d’écrire un texte parlant de moi (raconter ses vacances par exemple), j’écrivais tout au masculin. J’étais vraiment content de mes textes. Malheureusement, ce sentiment n’était pas partagé par les maîtres d’école, et ma note était souvent basse, pour une raison simple : Tout était au masculin, « tu as oublié les “e” ». Évidemment, cela comptait comme des « fautes » de français. Je donnais ma feuille avec le sourire et la recevais en retour avec le cœur lourd. Que pouvais-je dire… En français, le féminin et le masculin sont une réelle problématique contre laquelle je me suis très vite braqué : avec quoi et comment accorder le féminin et le masculin ? Malgré les diverses aides reçues, personne ne comprenait pourquoi le féminin et le masculin étaient une aussi grande difficulté pour moi. Cette complexité n’a pas pu être éclaircie durant ma scolarité, car, je n’avais pas les mots pour l’exprimer. Ma famille ne comprenait pas ce qui se passait, j’avais le sentiment qu’elle croyait que je le faisais exprès. Donc je recevais des punitions pour faire et refaire des dictées et ceci même pendant les vacances pour que cela rentre enfin ! J’étais puni à cause de mon incompréhension du « féminin / masculin » de la langue française… Nous étions dans une impasse !
2– Dans certains jeux ludiques et non compétitifs
Lorsque je jouais à « papa et maman », je me projetais dans un avenir rempli d’enfants, où je portais un beau costume le jour de mon mariage. Je refusais de jouer si je ne pouvais pas être dans le rôle du papa, ou alors de l’enfant. Il était exclu que ces moments de jeu, qui devaient être des moments de joie, se transforment en souffrance ou en cauchemar. Je refusais de me travestir en maman.
3– Le développement du corps
Mon corps se développait précocement, alors que je n’avais pas encore deux chiffres à mon âge, « ma » poitrine se développait ! J’avais honte de cette poitrine ! J’avais l’impression d’être un garçon avec des seins. J’étais envié par certaines filles qui souhaitaient que leurs seins grandissent, elles me disaient : T’as de la chance !
J’avais envie de leur dire ou parfois de leur crier : « Ne m’envie pas, car pour moi, c’est une honte… tu ne sais pas la chance que t’as de ne rien avoir ». Mais je ne pouvais rien dire, je m’interdisais tout propos qui pouvait me « trahir ». Dans un même temps, je constatais également que le regard et le comportement de certains garçons envers moi avaient changé ou changeaient.
À cet âge-là, j’étais encore innocent et ne saisissais pas vraiment ce qui se passait, mais je savais que quelque chose d’important était en train de changer. À cette époque-là, il n’y avait pas internet, ou un lieu pour pouvoir se renseigner : je restais donc dans mon ignorance et une grande solitude.
Tous les soirs, bien que peu porté sur la religion, je priais de toutes mes forces pour que mes attributs masculins se développent enfin. Et chaque matin, au réveil, j’étais déçu et triste qu’ils n’aient pas changé.
Voilà, je rentre au cycle d’orientation, je peux enfin dire que je fais une crise d’adolescence. Selon ce que j’avais entendu dire, avant un certain âge, il paraît que c’est juste des caprices d’enfants ! Dans ma chambre, je m’étais créé une sorte de bulle d’air, en tapissant mon armoire de posters de chanteurs et d’acteurs. Pour les personnes qui entraient dans ma chambre, elles pouvaient prendre cela pour de l’admiration ou encore une amourette d’ado envers une personne publique. Or ce n’était nullement le cas. Ces posters d’hommes me permettaient de m’identifier à eux et à ce à quoi je voulais ressembler une fois grand, coupes de cheveux, barbes, moustaches, etc.
Durant cette période, je suis tombé amoureux d’une camarade de classe. Chaque fois que je me trouvais assis à ses côtés, j’étais heureux. Même si je ne pouvais rien dire, par peur de la perdre, de ses moqueries ou de celles des autres élèves.
J’ai commencé à imiter mes copines de classe en sortant comme elles avec des garçons, sans trop savoir pourquoi. Je souffrais au quotidien de cette situation, je sentais bien que cela ne me convenait pas, mais que faire d’autre pour se fondre dans la masse. De plus, il n’existait aucun cours qui abordait le sujet, même les pseudo-cours sur la sexualité ne disaient pas grand-chose, voire rien sur ces sujets. Au début du cours, ils nous distribuaient des préservatifs : nous étions plusieurs à jouer avec pour en faire des bombes à eau… Une information ludique m’aurait mis plus à l’aise que les vidéos et autres documents que l’on pouvait nous montrer sur la naissance. En plus, ils ne m’intéressaient pas particulièrement, j’avais d’autres préoccupations : la pluralité des couples à ce moment-là m’intéressait beaucoup plus. Mais voilà, cela ne faisait pas partie du cours.
Il y a eu également les explications concernant l’utilisation des préservatifs. Elles ne me semblaient pas ou peu complètes. C’est un moyen de contraception et également de se protéger de maladies sexuellement transmissibles. Oui, mais, lesquelles ? C’est quoi des maladies sexuellement transmissibles ? Ne se transmettent-elles que lors d’une relation sexuelle ou également pendant les préliminaires ou les embrassades ? Quels sont les symptômes, les risques et les conséquences réelles ? Par ailleurs, où se trouvait la place des sentiments amoureux dans un tel cours ?
Suite à ce cours, ma souffrance n’a pas changé. Je continuais à accuser régulièrement mon corps de me faire souffrir et n’avais aucun respect pour lui. En effet, les autres – ainsi que le miroir – ne me renvoyaient pas l’image que j’avais de moi. C’est une souffrance invisible, et donc incompréhensible. J’ai commencé à me couper régulièrement les bras pour exprimer ma souffrance, mais cela n’y changerait rien : Suis-je le seul à ressentir ce mal-être ?
Ma scolarité obligatoire s’est enfin terminée et j’ai commencé un apprentissage qui par la suite m’a permis de rester dans l’entreprise. Même si j’étais malheureux dans mon corps, j’avais un emploi pour subvenir à mes besoins, me sentir utile et être quelqu’un en apparence.
Vers l’âge de 18/19 ans, pour la première fois, j’ai enfin osé verbaliser à une personne « je suis un homme » et que je ne pouvais pas continuer à vivre avec cette enveloppe féminine. Je me suis senti soulagé d’avoir pu nommer ce mal-être qui me rongeait depuis si longtemps.
On m’a répondu : Sors avec une fille, t’es simplement homo et tu ne veux pas l’assumer. Je ne me suis pas senti entendu. Comment pouvais-je dire : je ne suis pas homo, mais hétéro, dans ce corps… !
C’était un nouveau rôle et un masque de plus qui m’étaient imposés. J’aurais souhaité qu’on prenne en considération le fait que j’étais un garçon, bien que privé de ses attributs. L’homosexualité me rangeait encore du côté des filles.
La personne qui m’a tenu ces propos a été ma première petite amie. Elle avait saisi que je n’étais pas bien dans ma peau. Alors, elle m’a emmené voir un psychiatre(1) pour adolescents/jeunes adultes. J’ai exprimé pour la première fois à un psychiatre mon sentiment de décalage entre ce que mon apparence reflète et qui je suis. Suite à mes paroles, ce psychiatre a éclaté de rire et m’a dit qu’il ne s’agissait là que de purs fantasmes. Il me donna un second rendez-vous.
Je me présente à ce rendez-vous : le psychiatre(1) a l’air surpris de me revoir. Je lui dis que je m’étais senti blessé par ses propos et rires de la dernière fois. Il n’en est pas du tout étonné. Par contre, il ne s’attendait pas à me revoir. Justement, je suis venu vous dire que je ne souhaitais plus revenir et je préférais vous le dire en face ! Il me remercie d’être venu le lui dire.
Je n’ai plus osé évoquer ce mal-être qui me rongeait à un professionnel de la santé. Mon amie a ensuite organisé un rendez-vous avec un autre psychiatre(2), mais cette fois-ci pour adultes. Nous nous sommes retrouvés les trois dans son bureau. Lors de cet entretien, où j’espérais trouver des solutions, cette amie m’a brusquement annoncé qu’elle souhaitait rompre et que si j’avais été « un homme » elle serait restée avec moi. Après ses propos, j’ai exprimé tout mon désarroi et toute ma souffrance, sans exprimer mon sentiment d’être un homme. C’était la première fois que je me sentais aimé et partageais mes sentiments avec quelqu’un.
Pourquoi vivre, si tout ce en quoi je croyais, tout ce que j’espérais se cassait la figure ?
J’exprimais clairement devant le psychiatre(2) que je ne voulais plus vivre.
Vu mes propos, celui-ci m’expliqua qu’il était dans l’obligation de me faire interner pour mon bien. Le rendez-vous se termina donc avec un « bon » pour un internement « volontaire ». Il prit tout de même le temps de m’expliquer la nuance, entre un internement volontaire et non volontaire. Je n’étais pas à mon aise dans cet établissement, car je n’avais pas l’habitude de dormir dans un lieu inconnu avec des inconnu-e-s. Certains infirmiers me parlaient comme si j’étais un gamin, style : tu sais que tu n’as pas le droit de t’approcher de la porte, ou encore, il faut tout manger ce qu’il y a dans ton assiette, si tu veux aller mieux, etc.
Il y avait aussi le pétage de plomb de certain-e-s patient-e-s qui hurlaient ou cassaient tout. Ce milieu était vraiment hostile et peu rassurant.
Je ne souhaitais qu’une chose, sortir, ce qui heureusement put être fait rapidement, grâce à une amie, des médecins et ma sœur, qui à contrecœur avait tout de même accepté que je loge chez elle pour sortir de cet établissement. J’étais devenu insupportable et agressif « verbalement » avec mes parents, ils ne souhaitaient pas que je revienne chez eux. Ce que je comprenais en partie.
Au bout de quelques mois, mes parents m’ont trouvé un appartement. Leur signature était indispensable, car la majorité pour signer un bail était de 20 ans à cette époque-là. Nous étions contents que cette situation trouve une solution positive, de plus j’avais un nouveau psychiatre(3). Plusieurs années après ce passage difficile, je me suis décidé à parler avec mes parents pour leur dire : Voilà, je suis homo !
Ce n’était pas de gaîté de cœur que j’ai dit ça, mais c’était devenu important de pouvoir exprimer une partie de ma souffrance. J’étais conscient que je n’étais pas homo, mais je ne me sentais pas la force d’en dire plus. Pour mes parents, cette nouvelle ne les a pas trop étonnés, même s’il leur a fallu un peu de temps pour la digérer. Il était facile de trouver des parents de personnes homos avec qui parler et échanger, pour leur enlever un sentiment de culpabilité : qu’avaient-ils bien pu louper dans mon éducation, qu’avaient-ils fait de faux, etc.
Le fait d’avoir pu discuter avec d’autres parents leur a permis de comprendre que la différence de leur enfant ne remettait pas en question leur éducation. C’était juste que l’attirance que je ressentais envers la gent féminine allait me faire vivre un couple différent du leur ou du modèle dominant établi par notre société. Cela ne faisait pas de moi une mauvaise personne, mais juste une personne avec une petite différence.
Je me suis rendu compte que ce n’était pas seulement moi qui étais jugé, mais également mes parents. Ce genre de jugement, avec cet effet ricochet, est difficile à vivre. Malheureusement, pour le moment, dans notre société, c’est ainsi.
Ce fut important pour moi de leur annoncer de vive voix cette « petite différence », je n’aurais pas souhaité qu’ils l’apprennent par quelqu’un d’autre. En parlant avec d’autres personnes, j’ai constaté que chaque être qui avait été confronté à cette réalité avait annoncé ou vécu son coming in/out1 différemment.
Quelques années plus tard, je rencontre une nouvelle amie et ne lui parle pas de mon ressenti. Au bout de 2 ou 3 ans ensemble, je décide de lui en parler, mais elle ne semble pas réceptive à mes propos. Je n’ai pas insisté. En même temps que j’avançais sur mon chemin, j’étais toujours suivi par le psychiatre(3). Or, celui-ci m’annonce un jour qu’il doit quitter le canton et ne pourra plus me suivre. Il me conseille un confrère(4), que je contacte et avec qui le suivi se passera bien. J’avais toujours besoin de soutien, je me sentais souvent dépressif, inutile et sans grande estime de moi.
Un jour, je décide d’exprimer à nouveau mon sentiment de n’être pas dans le bon corps à l’amie qui partage ma vie depuis 4 ans et lui annonce que je ne peux plus continuer à vivre ainsi. Là, elle m’informe que si je décide de franchir le pas, ce sera sans elle !
Après un temps de réflexion, je prends la décision de rompre. Cette situation m’a beaucoup affecté. Je me décidais également à verbaliser mon sentiment d’appartenir à l’autre genre auprès du psychiatre(4) qui me suivait.
Suite à mon annonce, celui-ci m’informe qu’il n’est pas d’accord de trancher ! Je ne saisis pas le sens de ses propos, car à aucun moment je ne lui demandais de trancher quoi que ce soit. J’avais juste besoin qu’il m’aide à être en accord avec moi, pour aller mieux. Le fait que je sois dans la catégorie homo ne lui posait apparemment pas de soucis, mais le fait de vouloir faire une transition, si ! Sa position me choque !
Un psychiatre ne doit-il pas aider son patient à aller mieux, et ce, sans préjugés ? Peut-être n’ai-je pas compris le travail du psychiatre…
Ce psychiatre(4) a été clair, si je voulais faire une transition, ce ne serait pas avec lui ! (Par transition, j’entends changer officiellement de genre).
Suite à ce refus, je me suis beaucoup interrogé et j’ai pris la décision d’avancer sans lui. Je ne pouvais pas continuer une thérapie qui coûtait cher et qui au final, me laissait toujours aussi mal. Je n’ai aucun lien avec des personnes qui ont un ressenti similaire au mien et ne peux donc pas être conseillé. Il n’existe aucun numéro visible pour recevoir des informations précises face à mes interrogations. Je suis perdu.
Tout ceci ne m’empêche pas de faire des recherches et téléphones auprès de différents psychiatres. Chaque fois que j’en contacte un nouveau, je l’informe toujours de la raison pour laquelle je souhaite le voir. Ainsi, en cas de refus de m’accompagner dans ma démarche, cela m’évite une perte de temps et d’argent.
Était-ce la bonne solution pour un premier contact avec un psychiatre ?
Pendant cette période, je rencontre une nouvelle amie. Tout de suite, avant d’entamer cette nouvelle relation, je l’informe de ma décision de changer de genre : à mon grand soulagement, elle m’accepte comme je suis et me soutient dans mes démarches.
Après une dizaine de téléphones, je trouve enfin un psychiatre(5), début des années 2000, qui accepte de me suivre. J’obtiens un rendez-vous pour le début de l’année suivante. Par contre, je suis surpris que le seul psychiatre qui ait accepté de me recevoir soit un psychiatre de l’Unité de sexologie de l’hôpital de mon canton : mon identité de genre n’est en rien liée avec la sexualité ! Je prends sur moi et mets ce « non choix » de côté.
Janvier. Premier rendez-vous avec le nouveau psychiatre(5). Étonnement, lors de ce rendez-vous, un autre psychiatre est également présent. Ensemble, ils me posent beaucoup de questions de tout genre, mais principalement orientées sur mon intimité, le sexe et la sexualité…
Pourquoi suis-je obligé de parler de choses intimes avec plusieurs psychiatres en même temps ? Pourquoi toutes les questions tournent-elles autour de la sexualité ?
Le rendez-vous suivant, le psychiatre(5) m’informe qu’il me transfère chez un de ses confrères de l’unité en formation : d’après ses dires, un psychiatre en formation doit suivre une personne trans en consultation, pour compléter celle-ci. Je suis surpris et heurté par cette demande, mais passe par-dessus et accepte sa décision. Je n’ai qu’un seul but, faire ma transition, et me sentir enfin en harmonie avec mon corps.
Cette jeune psychiatre(6), durant plusieurs séances, ne me parlera que de sexe et de sexualité. Je m’interroge sur cette façon de faire et n’ose pas le lui dire, car non seulement je suis gêné par ces questions ciblées, mais je ne vois pas le rapport entre ma sexualité et mon identité de genre.
Je suis une personne dans son intégralité et pas qu’un « point » du corps !
Après quelques rendez-vous, je décide tout de même de lui exprimer mon malaise face à ses questions qui ne sont orientées que sur le sexe et la sexualité. Je ne suis pas d’accord de parler uniquement de ces deux sujets, je trouve cela réducteur et ne m’aide pas à avancer ! Je lui demande si elle-même n’est qu’un sexe « ou quelque chose du genre ». Un silence s’installe dans la pièce… Puis elle me remet en question du fait que c’est moi qui ai un problème, non elle. Poser cette question n’était peut-être pas une bonne idée… Mais je ne pouvais rester dans cette situation de malaise constant lors des séances.
Le rendez-vous suivant, j’ai le sentiment d’avoir été entendu, car on commence à parler de la totalité de ma personne. Malheureusement, au milieu de la séance, le sexe et la sexualité sont très vite réapparus dans les propos de la psychiatre(6). La séance se termine de façon un peu tendue… elle me demande de prendre le prochain rendez-vous auprès de la secrétaire de l’Unité. Le lendemain, je téléphone, mais celle-ci me demande de rappeler quelques jours plus tard, car elle est dans l’impossibilité de me donner un rendez-vous. Au téléphone suivant, elle m’informera que la psychiatre(6) ne sera plus disponible pour me recevoir.
Ce manque de franchise et de respect m’a beaucoup secoué. Je ne m’attendais pas du tout à ce genre de comportement de la part d’un professionnel de la santé, censé aider, respecter et soutenir un patient !
Suite à la lecture d’un article paru dans un grand quotidien, je vois le nom d’une psychiatre, apparemment spécialiste de la question trans. Je décide de la contacter et prends rendez-vous. Je suis soulagé, car elle a l’air sérieuse et semble bien connaître le sujet. C’est un pas en avant important pour moi, je vais enfin recevoir des informations et une aide appropriées.
Lors de la première séance avec cette psychiatre(7), elle m’informe de quelques obligations et lois que je serai dans l’obligation de suivre, selon ses dires :
C’est le psy qui décide de la durée et de donner ou non l’accord pour les opérations ; s’il ne le donne pas, mon parcours est stoppé net.
Je lui demande si elle serait d’accord de prendre en compte les six premiers mois de thérapie, effectués chez sa consœur. Selon ses dires, cela pourrait se faire, mais dans mon cas, elle ne les prendra pas en compte !
Ses exigences pour la transition dans l’autre sens, MTF4 : porter une jupe, avoir les cheveux longs, aimer faire à manger, le ménage, etc.
Des stéréotypes typiquement genrés sur les normes de la société.
Peu conscient des conséquences de ces exigences sur le long terme, je me suis senti rassuré par le fait qu’un système ait été mis en place, entre professionnels, lois et assurances, pour me permettre d’avancer en toute sécurité, et ce dans un esprit de respect et de soutien. Oui, innocemment, je croyais que j’aurais un soutien adéquat pour chaque étape difficile à surmonter. Je m’imaginais tout de même que tout ne serait pas rose, entre les remarques, le rejet et que les opérations engendreraient des douleurs.
Au fur et à mesure des entretiens, la psychiatre(7) continue de me donner beaucoup d’informations. À un moment donné, elle exige que je me coupe les cheveux, vu qu’un homme se doit d’avoir les cheveux courts, selon ses critères. Je lui demande un peu de temps, car je souhaite le faire progressivement, vu que personne dans mon entourage familial, ou professionnel n’est encore au courant de mes démarches. De plus, je n’ai commencé ni hormones ni démarches officielles. Elle refuse ma demande et me fait comprendre que si je n’obtempère pas, elle est en droit de ne pas me donner l’accord pour la suite ! Elle exige également de rencontrer ma compagne et ma famille. À nouveau, je lui demande un peu de temps pour informer ma famille, car seule ma compagne est au courant de ma démarche. D’ailleurs, même si ma compagne me soutient, elle aussi préfère ne rien dire à son entourage concernant notre relation tant que mon parcours officiel n’est pas terminé. Toutefois, la psychiatre(7) exige de rencontrer ma compagne lors du rendez-vous suivant et m’annonce vouloir voir ma famille avant la fin du mois. Autrement, elle remettra en question la durée de la thérapie et ma motivation, ce qui signifie que si je refuse, je n’aurais pas l’accord pour les hormones et les opérations.
Je ne soupçonnais pas me trouver dans un système dictatorial où je dois faire ce que l’on me dit, quand on me le dit. Tout mot ou refus de ma part peuvent engendrer des sanctions quant à la durée de ma transition ou, pire encore, la stopper net !
De plus, si je suis dans l’obligation de devoir changer de psychiatre, la thérapie peut repartir à nouveau de zéro, car c’était au bon vouloir du psychiatre de prendre en compte les thérapies précédentes.
Après 8 mois, en comptabilisant la première et la deuxième psy, je n’avais pas la force de refaire des démarches auprès d’un autre psychiatre et prendre le risque de voir ces mois déjà faits et payés, tomber à l’eau. Et, rien ne me garantissait qu’un autre psychiatre agirait différemment. Dans cette thérapie, je suis donc devenu spectateur et non-acteur de celle-ci !
Suite aux exigences de la psychiatre(7), j’ai demandé à mon amie si elle était d’accord de venir au rendez-vous. Elle a accepté. Malheureusement, nous nous sommes pris la tête en chemin. Elle déversa sa colère et tout ce qu’elle pensait de négatif envers moi devant la psychiatre, je me suis senti profondément blessé par sa réaction. Au cours de ce même entretien, ma compagne a également réagi vivement aux propos de la psychiatre(7), quand elle a essayé de lui faire dire qu’elle était homo et ne voulait simplement pas l’assumer ! Ce qui l’avait justement attirée en moi, c’est l’homme que je suis. J’ai trouvé cette colère-là légitime. Malheureusement, son attitude négative envers la psy durant toute la séance et ce, même avant ces propos, pouvait avoir une incidence directe sur mon parcours !