Gisèle - Gisèle Roy - E-Book

Gisèle E-Book

Gisèle Roy

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Beschreibung


Que d’interrogations, de dénis, de frustrations, de peines des années durant, avant d’accepter de pouvoir renaître ! Ce ne fut en rien un choix, un jour une nouvelle existence s’est imposée à moi comme une évidence, une nécessité vitale. Dès lors, la femme pressentie au fond de mon âme commença à apparaître. Quel apaisement, Gisèle allait naître… Il ne s’agissait là que d’une banale dysphorie de genre, simplissime dit ainsi ! Patricia fut la première à qui je révélai ma nature profonde, à vrai dire non, la deuxième. La première fut la mère de mon fils, à qui je m’étais confiée avant d’attenter à mes jours. Quel drame, mon profond désarroi face à sa totale incompréhension et son vif rejet, ne m’avaient pas permis d’imaginer d’autres issues ; j’avais alors vingt-deux ans. Samedi 18 juillet 2015, quelle merveilleuse journée, après toute une vie de questionnement naissait, Gisèle ! Suivirent bien des péripéties engendrées par ma transition, mes voyages médicaux, la vie, l’amour, la danse, la danse encore et toujours…

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Seitenzahl: 1474

Veröffentlichungsjahr: 2025

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Couverture

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ISBN : 978-2-38625-910-4

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit, est illicite et constitue une contrefaçon, aux termes des articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Page de titre

Gisèle ROY

Gisèle

Son cœur battait pour une rumba…

Prologue

Des moments essentiels, lourds, douloureux parfois, allaient bouleverser mon existence, et je savais un jour les oublier. Les oublier certes, mais jamais totalement les perdre, car dès les premiers instants, je m’étais mise à écrire, écrire, et écrire encore. Retranscris ici tel que je les avais engrangés au fil du temps, ils sont le reflet le plus fidèle des moments vécus et de mes ressentis. Ces mots sont le reflet le plus intime de ma perception du moment. Ils ne sauraient nullement prétendre décrire une vérité absolue ; je vous les livre avec bonheur…

Au commencement était le déni

Printemps 2015

– Vietnam, un temps qui nous sourit. Des paysages magnifiques autant que grandioses, des gens merveilleux, des senteurs, des couleurs, des matières exotiques, et nous voilà bercées d’une suave étrangeté orientale… Min, une Franco-Indochinoise née d’un père français, et moi avons quasiment le même âge. Nous attendons deux miracles, elle, espère retrouver sa mère, moi, de manière spirituelle, espère retrouver mon père tel qu’il était jeune militaire, au Cap Saint-Jacques, à Saïgon, ou Hanoï… De cette lointaine époque coloniale me restent les quelques photos jaunies qu’il avait si précieusement gardées. Ce père dont je n’ai jamais réussi à faire le deuil, amoureux des années de guerre durant de ce beau pays, aurait fort bien pu être le sien ! Ici, au bout du monde, avec Patricia, ma compagne, la vie, illusion, nous semble merveilleusement belle et douce. Nous avons trois semaines, pour de l’ancienne Saïgon, descendre au Sud jusqu’au delta du Mékong, puis remonter vers le Nord de village en village, de ville en ville, arriver à Hanoï, puis, le jour suivant, nous diriger vers une ferme hôtel au Tonkin, destination ultime avant de prendre notre vol de retour Hanoï-Charles de Gaule. Au Tonkin, point d’affluence, dans des temples reculés, seuls un guide et un chauffeur nous accompagnent, les touristes se sont faits rares, bien souvent absents. Pieds nus, dans un temple bouddhiste à l’air saturé d’encens, empruntant la robe d’un moine et ses prières, soudain, l’image de mon père ressurgit du néant. Là, au bout du monde, mon deuil s’achève enfin ! Quel apaisement, je peux voir mon père en pleine force de l’âge, évoluer dans les sublimes paysages qu’il nous avait maintes et maintes fois contés lors de ma tendre enfance.

– Après mon retour en France, mon poids se met brusquement à chuter, en quelques mois, je perds treize kilos, il flirte avec les soixante-trois, nombre anormalement bas au vu de ma taille d’un mètre quatre-vingt. Une chose s’est brisée, peut-être une partie de moi est-elle restée au Tonkin. Une tristesse sans fond s’immisce en mon âme, rien ne va plus, je me sens dangereusement vide, je ne suis plus qu’un zombi. Une froideur sans nom s’installe au sein de notre couple. Un pressant besoin se fait jour de me retrouver seule. Dès lors, pesamment, les mois sombres s’écoulent ; douloureux et triste, juin passe à son tour…

– Pour des raisons de santé qui se révéleront sérieuses, je ne suis pas autorisée à suivre ma compagne dans le Vaucluse. Seule pour deux semaines, dès lors, sans que j’y prenne garde, sans cesse mon esprit est assailli d’omniprésentes pensées troublantes, antagonistes, et cruellement lourdes de conséquences. Mon déni a pris fin, mes sempiternelles interrogations n’ont plus le caractère fugace que je leur avais connu naguère. Cette fois, je ne peux les contenir, à vrai dire, je ne le veux plus. Concentrée sur moi-même comme jamais je n’y étais parvenue, je me lance sans même en prendre totalement conscience dans de longues et profondes séances d’introspection… Dans un premier temps, je procède seule, sans méthode, sans aide, puis à trois reprises tente de confier mon trouble à mon médecin de famille, qui dès lors m’invitera à poursuivre l’exercice avec l’aide d’une psy. Cela ne me rebute en rien, ma psy et moi, nous nous connaissons de longue date. De manière fulgurante, mes interrogations ont laissé place à des certitudes, je sais enfin vers quoi ira ma vie…

– Après une éternité passée à me questionner, finalement, il ne m’avait fallu que quelques jours, quelques fringues de Patricia, deux ou trois autres achetées sur le moment, un miroir et un appareil photo pour qu’enfin je comprenne et accepte ma véritable nature. Soudain, un brillant espoir était né : prendre le plus sévère virage qu’il m’ait été donné de négocier au cours de mon existence. Oui, assurément le plus sévère ! À cinquante-huit ans, il n’était plus question de vainement tenter de ressembler à mon père. Oh non, plus jamais ! Mais pourquoi ? La raison est simple, depuis ma plus tendre enfance, aux tréfonds de mon âme j’ai toujours éprouvé un trouble, un mal-être, un besoin, une nécessité d’exister autrement que dans un corps qui n’était pas vraiment le mien. Que d’interrogations, de déni, de frustrations, de peines des années durant, avant d’accepter de pouvoir renaître ! Ce ne fut en rien un choix, une nouvelle existence s’imposait à moi comme une évidence, une nécessité vitale, la femme pressentie au fond de mon âme commençait à apparaître. Quel apaisement, Gisèle allait naître… Quand, je ne pouvais encore le savoir… Il ne s’agissait là que d’une banale dysphorie de genre, simplissime dit ainsi !

Révélations à ma compagne

Juin 2015

•• Samedi 13 – À son retour, Patricia sera la première à qui je révélai ma nature profonde, à vrai dire non, la deuxième. La première fut la mère de mon fils, à qui je m’étais confiée avant d’attenter à mes jours. Quel drame, mon profond désarroi face à sa totale incompréhension et son vif rejet, ne m’avaient pas permis d’imaginer d’autres issues ; j’avais alors vingt-deux ans. Pour Patricia, le choc sera violent. Étrange consolation, ces révélations lui apportaient une réponse aux questions qu’elle s’était maintes fois posées au cours de nos quatre années de vie commune. L’avais-je décidé seule, l’avait-elle décidé ? Je ne saurais le dire. Une évidence s’imposait : elle ne voulait plus de moi dans son lit ni dans sa vie. Non, pas une femme ! Je l’aimais, dans un profond respect mutuel, nos vies se séparèrent là avec des larmes et des larmes encore. Lorsqu’on tente de faire un choix de manière rationnelle, on peut assurément en déduire que le moment n’est pas venu d’entreprendre une quelconque chose irréversible. Par contre à l’instant où une irrépressible nécessité de vivre sous une autre forme se fait jour, là il est impératif d’agir. Aussi, quel que soit le vent auquel j’allais devoir faire face, et même si, par moments, il devait se jouer de moi, je savais qu’il me faudrait écouter ma conscience, mon cœur bien plus que la raison. Souvent, j’avais dû tenter de ne pas trop brusquer mon existence, parfois de ne pas trop la négliger. Jamais, il ne me faudra y renoncer ! Confiante en mon destin, j’avance vers lui…

•• Samedi 20 – Passaient les Noëls, les anniversaires, les fêtes, les fêtes des Mères, les fêtes des Pères, et rien, un néant ! Prenant mon courage à deux mains, une fois encore, je viens d’écrire à mon fils ! Est-ce une énième bouteille à la mer ? « Maxence, le temps est assassin, chaque jour, chaque semaine, chaque mois, il fait mal, très mal. J’ai caressé l’espoir de te connaître un jour, et le temps passe, passe, passe encore… Qu’y puis-je désormais, qu’y pouvons-nous si le passé nous a séparés ? Tu es le fils que ta mère et moi avons désiré, rien n’y pourra changer, tu es mon fils. Je t’aime Maxence, j’espère tant un jour prochain te voir, t’entendre, te parler, te tenir dans mes bras, te connaître… Fasse que, tu puisses passer au-delà de tout ce qui peut nous tenir éloignés l’un de l’autre. J’espère que tu es heureux de vivre et que la vie te sourit, oui, je l’espère du plus profond de mon cœur. Je ne vais pas te parler de moi ; à quoi bon ? Je t’embrasse très affectueusement. Mille et mille baisers. Gisèle » Pourvu qu’il me réponde, il me manque tant…

•• Mardi 14 – Juillet concurrençait en noirceur les mois passés. Qu’importe, j’allais aller danser. Pour rien au monde, un tel bal ne pouvait se manquer !

•• Mercredi 15 – Le besoin de sortir habillée en femme, se fait plus pressant chaque jour, impossible d’y résister. Être habillée ainsi à l’intérieur m’est facile, mais cela ne peut me satisfaire. Une pulsion irrésistible me pousse à furtivement me mettre à la fenêtre ou sur le pas de ma porte. À diverses reprises, j’ose. Si seulement un voisin, une voisine pouvait me voir ainsi, ce serait simple : fini de me cacher ! Mais non, rester plus longtemps que quelques secondes est au-delà de mes forces ! À l’extérieur, impossible de sortir habillée comme je le souhaite. Lors de mes promenades dans le parc, un large T-shirt cache un caraco rouge porté dessous. Là, j’imagine qu’il suffirait qu’une bretelle tombe, qu’on la voit, qu’on sache comment je suis habillée, qu’on sache qui je suis. Et, comme une enfant prise la main dans le pot de confitures, je pourrais avouer mon crime et me sentir libérée d’un poids trop lourd à porter… La fin de journée approche, cette fois, je dois pouvoir y parvenir, autrement comment espérer recommencer à vivre. Je me lance, passe une jupette, un chemisier… Non ; je ne vais pas pouvoir sortir ainsi ! À l’idée d’être vue, je suis terrorisée. Une idée me vient : je pourrais passer par-dessus mes vêtements un pantalon de sport très large, ainsi qu’un haut qui le serait tout autant. Je pourrais aussi emporter un sac où se cacherait ma perruque. Je mets ce projet à exécution : sortie dehors ; le jour est presque tombé. Quelle folie, pas un instant je n’avais envisagé les risques auxquels je pouvais m’exposer de nuit en un lieu trop isolé. Petite tête ! Peu vaillante, j’avance dans les allées, cherche une zone à l’abri des regards, ces bosquets devant moi devraient pouvoir convenir. Je marche un peu encore… j’y suis. Mais là, tétanisée, je n’arrive pas à me défaire de mes survêtements. J’attends un peu, reprends mon souffle, essaie de trouver une once de courage. Peine perdue, anéantie, je rentre. Être femme au-dehors est encore au-delà de mes forces !

•• Jeudi 16 – Nouvelle tentative nocturne, même stratagème, même échec ! Sortir est totalement inaccessible, jamais je ne crois pouvoir y parvenir !

•• Vendredi 17 – Nous sommes à la veille de ma renaissance, rien ne peut encore me le laisser penser ! Nouvelle tentative nocturne, même stratagème, cette fois j’ai emmené mon chien. Je me dirige vers le parc central, un banc m’attend… Je m’approche à grands pas, puis m’assieds. La nuit est tombée, l’air est doux, des réverbères illuminent l’endroit d’une chaude lumière tamisée. L’inspiration me vient, j’enlève ma veste, attends un peu, un peu encore, vient le tour du pantalon, lui aussi rejoint le sac emporté à cet effet. Je ne saurais me rappeler à quel moment j’ai enfilé ma perruque. Ça y est, j’ai réussi l’exploit, me voilà telle une débutante assise de nuit en jupette sur un banc ! Je ne mesure plus le temps, savoure ces instants de grâce, l’air caresse ma peau, je suis bien… L’heure a tourné, il me faut rentrer. Comme à l’aller, je n’ai qu’à repasser mes vêtements de sport. Non, je ne peux m’y résoudre, autant rentrer telle que je suis, si j’y parviens… J’observe les lieux, personne ! Effort surhumain, je me dresse debout pour la première fois, ferme un instant les yeux, inspire, fais un premier pas. Mon cœur bat la chamade, je me rassure, je me dis être une grande fille, fais un second pas, un troisième, un autre encore, j’avance, je suis en marche. J’ai effectué plus de la moitié du chemin, soudain Alff se met à tirer comme un fou sur sa laisse, il aboie. Un chien que je reconnais comme celui d’un ami vient à sa rencontre. Mince, je n’ai pas besoin de ça ! Son maître se tient à côté des box à une bonne distance de moi, pourvu qu’il ne m’ait pas reconnue. Quelle ineptie, qu’il reconnaisse mon chien, soit ; mais moi, avec une perruque, un chemisier et une jupe, ce n’était pas possible. Pourtant, une folle terreur m’envahit, je tremble, mon cœur palpite encore un peu plus, je presse le pas, jamais je n’ai dû marcher si vite. Arrivée à proximité immédiate de chez moi, personne. Je suis à l’abri. J’ai eu trop peur. Plus jamais ça ! Quelle déception ! Je n’aurai jamais assez de courage pour me promener à l’extérieur en tant que femme !

– Il faut absolument que j’en sache plus, je m’inscris sur un site LGBT1. Pour commencer, il faut renseigner son profil. Cela me semble aisé. « Gisèle Leroy, femme transgenre, née le 19 janvier 1957, je vis en Île-de-France » Quelle idée, mon véritable nom n’est pas "Leroy", mais "Roy" ! La suite de l’exercice est plus ardue, en rien je n’y suis préparée. Redoutable et délicat ; il me faut décrire en quelques lignes mon parcours et les raisons intimes qui m’ont amenée là. Je laisse parler mon cœur. « N’étant pas née femme, ma condition, je l’ai plus souvent endurée qu’appréciée. Depuis au moins trois décennies, j’imagine comme une issue de secours la possibilité un jour de m’extirper de ce corps. Enfant, je souffrais déjà ! Je suis donc venue sur ce site pour me rapprocher de celles qui ont eu la chance de pouvoir changer. Je souhaite tellement qu’un jour mon corps puisse être à l’image de mon âme. À terme, je rêve d’une totale métamorphose. » Quelques mois plus tard, j’aurai plaisir à ajouter : « Je ne suis plus au commencement du chemin. Ma transition est engagée ; fasse qu’un jour prochain, cette femme qui n’est déjà plus une chimère, soit bien mon entière et douce réalité. »

Naissance de Gisèle

Juillet 2015

•• Samedi 18 – Quelle merveilleuse journée, après toute une vie de questionnement naissait Gisèle ! Dès lors, j’apprécie tant ma nouvelle nature, que vivre autre chose me serait impossible, je suis femme du matin au soir. Prenant mon courage à deux mains, je me suis mise en tête de me rendre chez une amie. Ça y est, je suis partie pour une demi-heure de marche à travers la Ville… Guère trop rassurée ; une paire de sandales aux pieds, j’arpente les trottoirs, affublée d’une jupette cent fois trop courte, et d’un chemisier passe-partout. Je n’ai rien trouvé d’autre à me mettre sur la tête qu’une vilaine perruque prise dans des accessoires de déguisement qui traînaient depuis une éternité à la maison. Pour compléter le tableau, un panama est vissé sur mon crâne, une paire de lunettes de soleil tente de me dissimuler aux yeux du monde. Si mon objectif est de passer inaperçue, je crains d’avoir peut-être complètement loupé le truc, de toute évidence, avec toute l’affection que j’ai pour eux, j’ai peur de respirer davantage le vieux travelo que la ménagère de plus de cinquante ans. Qu’importe, il faut commencer un jour, arrête de gamberger, marche, ma fille. À marcher, mes craintes se dissipent un peu, je marche, fière, pas très rassurée, mais je marche… Ce que j’accomplis dépasse l’entendement, j’existe, sous une forme très perfectible certes, mais j’existe telle que je me sens. Il y a dix minutes à peine, je pensais qu’on ne voyait que moi à cent mètres, mais non, marchant avec mon chien en laisse, je n’affole pas les foules, et ne m’attire aucunement la foudre, je suis invisible dans le paysage. Non, pas tout à fait, mon entrée dans le monde féminin a failli être fracassante ! Un cycliste, les yeux rivés sur mes longues gambettes, se dévissait tant le cou en passant à côté de moi qu’il s’en est fallu de peu qu’il se retrouve le cul par terre.

– Arrivée à destination, je sonne, Monica ouvre la porte. « Oui, madame, c’est pourquoi ? » Surprise ! Bon signe, elle ne m’a pas reconnue. Mais comment donc aurait-il pu en être autrement ? Sans mes lunettes, mon regard, ma voix, elle m’a enfin reconnue. L’étonnement est sans limites, bla-bla-bla, bla-bla-bla, il lui faut quelques explications… Café, petits gâteaux, bavardages, elle se met en tête de me faire des cadeaux, vêtements divers, sous-vêtements, rouge à lèvres, fard à paupières, fard à joues, eyeliner, colliers, bracelets, montre, bagues. Mon trousseau se constitue, enfle à vue d’œil… Café, gâteaux… Ensuite, c’est parti ! Direction le centre commercial pour y arpenter la galerie marchande… Je commence à vivre, mon temps passe à bouger sans cesse… Sentant avec volupté le vent caresser ma peau, je ne désire qu’une chose, marcher seule, dans un parc, un chemin, une forêt… La nuit venue, je voudrais encore pouvoir me sentir femme, mais, pour mon plus grand malheur, nue comme un ver, l’illusion ne tient pas !

– Si des amies ont bien des fois qualifié mon geste de courageux, je peux témoigner que ce n’était en rien ma perception du moment. L’espace d’une nuit, les obstacles, les freins s’étaient évanouis. Un matin, je suis sortie de chez moi sans crainte, pleinement consciente de mon état de femme, de la nécessité de le vivre pleinement et de le faire savoir… Je suis comme un oiseau prenant son premier envol, simplement parce que c’est dans la nature des choses que d’accomplir cela.

•• Lundi 20 – Mon existence féminine n’a d’âge que deux jours, pour la première fois, je me fais épiler les sourcils…

•• Mardi 21 – Troisième jour de ma nouvelle vie ! Après une visite à l’Institut Montsouris pour y effectuer une IRM cardiaque, j’appelle ma petite sœur, lui fais part des nouvelles. Nous restons une heure à gentiment converser, je la trouve émue, compréhensive. Infirmière en psychiatrie, elle se dit troublée d’être passée toute sa vie à côté de moi sans jamais me voir, et encore moins discerner la dysphorie de genre qui m’affectait. Apparemment plus simple, entre elle et mon frère se disait autre chose, à leurs yeux, assurément, je devais être gay.

Aussi efficace qu’un bataillon de psys

– Juste après ce troublant moment de partage, je me rends chez Angel Mode dans le 17e. Une fois dans la boutique, je fais la connaissance d’Angela et d’une cliente venue essayer une robe confectionnée sur mesure. L’ambiance est surréaliste. Angela s’affaire, une pince ici, une autre là ; la discussion va bon train. Par moments, elle me pose quelques questions afin de s’enquérir de mes besoins. Ici, pas de gêne : les voluptueuses rondeurs de la cliente s’affichent sans complexes. Des kilos de silicone, l’effet est saisissant ! Impressionnée, la nouvelle venue que je suis se fait petite. Je préfère attendre un peu, à vrai dire, je ne sais pas encore ce que je suis venue chercher. La plantureuse cliente sortie, nous voilà toutes deux. Le courant passe entre nous, à elle seule Angela se révèle aussi efficace qu’un bataillon de psys. On prend le temps de la discussion, elle évoque avec force détails, sa jeunesse, l’Amérique latine, sa vie, la boutique… À mon tour, je me confie, mon enfance, mes interrogations, le déni, mon père… La conversation continue, ma chérie par-ci, ma chérie par-là. Des conseils avisés fusent. Ma liste d’emplettes s’allonge, s’allonge : perruque, maquillage, prothèses en silicone, soutien-gorge, jupe fourreau, ballerines. Il faut ajouter l’inévitable cache-barbe et l’incontournable "tuck". Avant que je ne passe en cabine, Angela me prodigue de précieux conseils. Je la laisse dire, même si, sur ce point délicat, je peux parfaitement m’en passer. En effet, depuis ma plus tendre enfance, je sais parfaitement ajuster ces petites choses afin de les soustraire à ma vue. Tour de passe-passe ! Et hop ! Mon anatomique protubérance s’efface sur-le-champ ! Dans une main, mon soutien-gorge, dans l’autre, une prothèse que je dois faire passer par une petite fente à l’intérieur des bonnets. Angela m’a montré comment faire avec la première ; je dois en faire autant avec la seconde. Eh oui, ça va par paires, ces petites choses-là. À la voir faire, ça m’avait semblé facile, j’ai peur de déchirer la poche de silicone, fort heureusement, elle est plus solide qu’il n’y paraît. Je procède à la mise en place et à l’ajustement de mes faux seins, miracle, ma poitrine est parfaitement réaliste. Une fois maquillée, chaussée, habillée et équipée, je suis instantanément propulsée, boostée, mise sur orbite ! Sortie de la boutique, je veille à me tenir tête haute, et à gonfler ma poitrine, je commence à soutenir les regards, et avec ravissement me joue du trouble parfois provoqué.

– De retour à ma voiture restée à vingt-cinq mètres à peine, j’appelle mon frère, puis me rends à son domicile au sud de Paris. Inconsciente peut-être, je n’ai d’autre choix que celui d’exister. Accoutrée d’une perruque un peu trop chip, et d’un maquillage par trop prononcé, j’arrive. Des questions fusent : « Lui, ma belle-sœur, lui, elle, lui encore… » C’est incessant, dans un état d’exaltation sans bornes, je m’efforce sans trop y parvenir de garder le calme nécessaire pour répondre à leurs questionnements, et leur faire part de mes ressentis. Seule ombre au tableau, mon frère me fait quelques remarques malhabiles, et, surprotecteur vis-à-vis de ma mère, tente de s’immiscer dans la nouvelle relation qui, inévitablement, allait se nouer entre elle et moi. « Surtout, tu ne lui communiques pas de photo, et tu ne lui dis pas que tu es habillé2 en femme dans les lieux publics ! » Cela m’affecte sur le moment, mais rien ne peut ébranler mes convictions. « Ce n’est pas un jeu, pas une passade, et cela va de soi, j’entends gérer seule ma relation avec Maman. » Après bien des rires, une ou deux larmes, je peux prétendre avoir vaillamment résisté à l’inquisition. Pour finir, nous passons la soirée à la terrasse d’une pizzeria…

•• Jeudi 23 – Un moment hautement symbolique, je fais réaliser le piercing de mes oreilles chez Claire’s. Il me faudra de la patience, mes boucles fantaisie vont devoir attendre… – Sûre de moi, sans aucune inquiétude, je suis juchée sur un tabouret au milieu du magasin Sephora : soins du visage, maquillage… L’esthéticienne se confie à moi, c’est fou ce que parfois on peut me dire de choses très intimes. Gisou, semble-t-il, doit pouvoir tout entendre, tout comprendre. Mon âge laisse croire à une longue et grande expérience, mais non, la pauvre Gisou ne fait que commencer sa vie. Je la laisse parler… écoute avec attention…

•• Vendredi 24 – Au téléphone, je me confie à ma mère. « Je me suis toujours sentie femme au fond de moi, et depuis peu, je vis ma féminité au grand jour… » Ébranlée dans ses convictions, ses certitudes, elle semble cependant en mesure de m’accepter tel que je suis. Par le passé, en surjouant le rôle de l’aîné mâle de la famille, j’avais peut-être contribué à l’instauration de relations conflictuelles entre elle et moi. Comment aurais-je pu faire autrement ? Toute jeune, d’instinct, je m’étais employée à ne rien laisser transparaître de mon hypersensibilité et de ma véritable et profonde nature ; ainsi s’étaient faites les choses. Pour la première fois, je sens ma mère très proche de moi, attendrie, aimante. Elle me témoigne de l’amour qu’elle a toujours donné à son fils "qui, aujourd’hui, veut s’appeler Gisèle !". Cruel désamour ; ce garçon, je n’ai jamais pu le comprendre, ni même l’aimer, peut-être même l’ai-je détesté parfois. Comment pouvais-je percevoir de l’amour. Fille désormais, je me suis surprise à pleinement ressentir cet amour maternel. Au moment de nous quitter, elle me demande des photos, elle veut se faire une idée, et par la suite être en mesure de raconter à ses amies ce qu’il m’est arrivé. Quelques heures plus tard, noyée d’émotions, elle me téléphone pour me demander de ne plus l’appeler. Lorsque la force lui sera revenue, elle me contactera. Sur une des photos, elle se voit jeune fille tant nous nous ressemblons ! Est-ce si étrange ? Passeront quelques jours, puis ma Mère me rappela pour me demander de lui renvoyer la troublante photo, au motif qu’elle l’avait effacée par erreur. Par erreur ? Elle semble me comprendre, mais préfère différer nos retrouvailles de quelques semaines, voire davantage… Trois interminables mois allaient passer.

Mon coming out se poursuit

•• Samedi 25 – Exercice ô combien délicat, je continue de faire mon coming out auprès de mes anciens amis. « Sylvette, tu me connaissais d’avant, de loin en loin, nous gardions un contact, puis, un jour sur Facebook, une Gisèle inconnue t’a invitée à devenir son amie, tu lui as répondu oui, je t’en remercie. On vient de me faire part de ton trouble, ton désaveu peut-être. Si tu devais te sentir choquée dans tes convictions, mal à l’aise vis-à-vis de moi ou de celle vers laquelle je veux tendre, dis-le-moi simplement, et surtout, ne t’en inquiète pas, je saurai s’il le faut me retirer sur la pointe des pieds. Si désormais je parviens un peu mieux à m’aimer telle que je suis, je ne peux te demander d’accomplir l’exploit de tout comprendre, accepter, intégrer en seulement quelques instants. Imagine, il m’a fallu cinquante ans pour parvenir à le faire. Bien amicalement. Gisèle » — « Je ne suis absolument pas choquée, mais effectivement troublée. Ça ne remet pas en cause l’amitié que j’ai pour toi, ça me fait juste de la peine, car je crains que ton changement d’identité te marginalise et te nuise. J’avoue que c’est troublant et que ça me fait bizarre. Il faut du temps pour s’habituer. Ce n’est pas tous les jours qu’on a un ami qui devient femme. J’espère que ça se passe bien et que tu es heureux. C’est ça le principal. Je ne te désavoue pas. C’est ton choix, ta vie, quelque chose de personnel. Troublée ne veut pas dire choquée ou opposée à ton choix de vie. Quand on se reverra, tu m’expliqueras ton ressenti et ton cheminement. Souvent, l’ignorance engendre la peur ou l’intolérance, mais ce n’est pas mon cas. N’hésite pas à me donner de tes nouvelles. Je ne comprends pas tout, mais je t’accepte telle que tu es. Amicalement. Bises. Sylvette - PS, je me relis et je vois qu’une fois j’utilise le masculin en t’écrivant, une autre le féminin. Tu vois mon trouble, mais je vais m’y habituer ! Ne m’en veux pas si je me trompe. » — « Sylvette, tu écris au garçon, à la fille, qu’importe, tu m’écris, je ne peux t’en vouloir en rien. Pour me faire comprendre que quelques lignes ne pourraient suffire, il faudrait y consacrer des pages entières, un livre probablement. Si, un jour, nous nous recroisons, j’essaierai de te faire partager mon ressenti. Je peux te l’assurer, c’est pour moi un bonheur de te compter au nombre de mes amies. L’amitié est si précieuse, je te quitte en t’embrassant affectueusement. Gisèle »

•• Dimanche 26 – « Gisèle, tu dois te sentir libérée, mais pourrons-nous encore danser le rock ensemble ? C’est une remarque égoïste, je sais. J’admire ce que tu fais et je suis très heureuse pour toi. Tu me donnes une belle leçon de vie. Moi qui n’ose pas souvent, je vois que tu as lâché ce qui te faisait du mal, pour le mieux. Chapeau ! » — « Deux danseuses peuvent parfaitement danser ensemble, où est le problème ? Alors un jour qui sait, à bientôt… »

•• Lundi 27 – Rayons produits de beauté, je laisse la vendeuse perplexe. Je cherche de la teinture pour cheveux et d’autres produits, mais je ne connais rien à ce sujet. Je lui demande de l’aide, adopte un profil bas ; je lui explique qu’il y a un début à tout, ce ne sont que mes tout premiers jours de femme.

•• Jeudi 30 – « Bonsoir Pierrette. En t’ouvrant ma page Facebook, tu peux le constater, je me mets à nu. Mais, pour te la maintenir ouverte, j’aimerais savoir qui veut vraiment regarder par-dessus mon épaule : l’amie, la psy, ou la curieuse ? Et surtout pourquoi ? Amitiés. Gisèle » — « Bonjour Machin3-Gisèle. Permets-moi de t’appeler par tes deux prénoms, Machin, parce que je te connais ainsi depuis plusieurs années et Gisèle parce que c’est le prénom que tu t’es choisi. C’est en tant qu’amie que j’ai accepté ton invitation puisque je t’appréciais déjà. La psy que je suis, pour avoir travaillé sur des problématiques semblables, imagine bien combien tu as dû souffrir de cette ambivalence non voulue depuis ton enfance. Curieuse ? Non pas du tout. Ce n’est pas quelque chose de nouveau pour moi. Pourquoi mon acceptation ? Simplement parce que nous nous connaissons depuis presque quatre ans et que, comme je te l’ai dit plus haut, je t’apprécie. Voili, voilou. Et toi, que penses-tu de mon message ? Bises. Pierrette » — « Bonsoir, Pierrette, je m’adresse à l’amie, mais la psy peut lire aussi. Je te reconnais bien là, et t’embrasse affectueusement. Vois-tu, je m’efforce de garder une distance vis-à-vis de notre ancien groupe d’amis, car, en son sein, je n’ai jamais su, ou plutôt jamais pu me positionner. Parfois proche des unes pour leur sensibilité, leur féminité, que sais-je encore ; parfois proche des uns, parce que c’était ma place. Jamais au bon endroit ! Lorsque je me sentais bien avec vous, mes amies, j’estimais ne pas être à ma place, et lorsque j’étais à ma place, je n’étais que rarement sur la même corde sensible, la même longueur d’onde que mes interlocuteurs. Tu connais parfaitement cette ambiguïté, cette ambivalence. Un jour, la conscience de m’être approchée dangereusement d’une issue fatale m’a fait abandonner la partie de poker menteur que je jouais depuis ma plus tendre enfance. J’ai jeté les cartes, désormais je vis en adéquation avec ma conscience, mon âme. Si le chemin est long et ardu, les difficultés me semblent surmontables pour enfin être femme à mes yeux, aux yeux des autres et de la société. Un retour vers mes tourments du passé est inenvisageable. J’ai consulté une psy qui me connaît de très longue date. Ravie, elle me trouve enfin radieuse, resplendissante. Adhérant complètement à ma démarche, elle est tout à fait favorable à mon traitement hormonal de substitution (THS), puis, dès que possible, à mon opération de réassignation sexuelle4. Elle se dit prête à me signer tous les certificats du monde. Moi, dans tout ça, j’essaie de discerner mon chemin, sereine et heureuse. Je t’embrasse. Gisèle »

•• Vendredi 31 – ETAM, un soutien-gorge…

Mes précieuses chaussures

– Mon modeste trousseau ne compte que quatre ou cinq paires de chaussures, deux ballerines à trois sous, une autre en cuir de meilleure facture, deux d’été, deux de plage. Presque rien encore ! Après déjà trop d’usage, une de mes premières paires de ballerines rend l’âme, l’autre est sur le point d’en faire autant. J’avais dû agir rapidement. Par manque de choix, mais aussi d’expérience, j’avais acheté ce que j’avais trouvé. L’été bat son plein, mais il me faut penser à l’automne, pire l’hiver. Je commence avec une pointe d’angoisse à m’inquiéter. D’urgence, il me faut des chaussures plus chaudes. La chose n’est pas aisée, car aux tout premiers temps, je chausse encore du 43-44. Je dis encore, car la suite de ma transition allait me réserver de bien surprenantes surprises, nous y reviendrons… Il me faut une pointure 43, un 431/2 me conviendrait davantage, mais cela ne court pas les rues. Ces pointures dites extrêmes sont inexistantes dans la plupart des magasins pour femme. Il me faut d’urgence trouver une alternative. On me suggère de m’orienter vers les zones commerciales, où de grandes enseignes proposent à leurs clientes quelques modèles pouvant aller jusqu’au 43. Je trouve le magasin, il me convient. Les bottines sont d’un prix très abordable, j’en achète deux paires, des noires, des rouges. Chaussée pour l’hiver, mais pas suffisamment rassurée, je me remets en quête… De nouveaux modèles sont attendus en magasin, les semaines passent… 25 août, ils sont là ! Dans les rayons, je rôde avec espoir et frénésie, mets la main sur deux paires de bottines hautes à lacets, l’une est noire, l’autre beige. Ce qui n’est pas pour me déplaire, contrairement aux deux premières achetées, celles-là possèdent des talons plus ambitieux. Ma carte bancaire chauffe un peu ! Mes nouvelles bottines rejoindront vite des étagères qui commencent à se garnir. Me voilà apaisée pour un temps seulement, car très vite deux autres paires, des bottes cette fois, iront les rejoindre. De style country, blanc, et beige, elles accompagneront parfaitement mes jeans. Les mois passants, mes étagères s’avèrent vite trop étroites. – Le port de talon change radicalement ma silhouette, mon maintien devient plus assuré, mes pieds me semblent plus fins. Dans la rue, le tac-tac rythmant mes pas tel un métronome me chagrina un peu, avant que très vite je ne l’oublie. Ai-je éprouvé des difficultés pour m’habituer au port des talons ? Non, les porter me fut infiniment aisé. Comme raison à cela, je ne vois qu’une chose liée à ma plus tendre enfance. En effet, je ne saurais compter le nombre de fois où je portais les bottines noires à talon de ma Mère. Je me rappelle aussi que, lorsque ces précieux souliers restaient hors de portée, je marchais sur la pointe de mes petits pieds. À l’époque, des talons seuls n’auraient pu me suffire, j’avais accès à nombre d’anciens vêtements, robes, chemisiers, lainages… Puis, un jour, sans préavis aucun, ma mère s’était ravisée, et tout cela disparut ! N’était-ce que des jeux d’enfants ? Longtemps, j’ai voulu y croire, désormais, je sais que non ! Le jour de ma première visite chez l’endocrinologue, j’allais apprendre que je ne mesurais que 1,80 m, soit 3 cm de moins que bien plus jeune. Alors sans complexes, par jeu, je m’amuse depuis à dire que ces centimètres perdus m’octroient le droit de porter des talons un peu plus hauts. Ne trouvez-vous pas que ce soit justice ?

Août 2015

•• Lundi 3 – Après une bonne nuit, j’ai retrouvé le sourire. Je m’affirme, mon goût, mon style, mes choix se sont précisés, affinés. L’après-midi, des soldes qui durent encore un peu m’attendent dans les boutiques… Je me sens infiniment heureuse, légère, revenue à la vie, et cette vie j’ai l’intention de la croquer à pleines dents… Être un jour femme à cent pour cent me comble d’espérances. Mon but est-il accessible, quand, comment ? Pour l’instant, qu’importe, à mes yeux, seul, compte le chemin déjà plaisant à emprunter. Je suis de plus en plus une femme ; heureuse et libre. Pourtant, il est des soirs où, face à moi-même, la solitude est grande, je chancelle, une perplexité rôde. Que le chemin ardu qui se présente à moi semble long et hasardeux. Heureusement, mon but ultime me permet de tenir bon. Je me livre un peu à mes nouvelles amies du web : « La blonde insouciante ne pense-t-elle qu’à son look ? Les apparences sont trompeuses, ma légèreté affichée trahit mon optimisme naturel, mais ne reflète en rien mes profondes interrogations, mes troubles. Comment vais-je m’y prendre ? » J’explore le site, dévore ses articles, m’en imprègne, il est riche d’une connaissance aussi utile que nécessaire. Je me préoccupe uniquement des aspects pratiques, les recettes magiques, aurait-on dit en d’autres temps.

•• Mardi 4 – Je relève mon courrier… dans la boîte se trouve une enveloppe adressée à Mme Gisèle Roy. L’émotion est grande, la joie immense, c’est le premier courrier reçu à mon nom. Je l’ouvre, c’est une lettre accompagnée d’un CD d’opéra. Ghislaine me parle de "Giselle" avec deux "l". Pour d’autres raisons que les miennes, elle aussi dansait éperdument. Dans la vie, elle me souhaite d’être accompagnée de ces deux "ailes" qui devraient me porter chance, elle me souhaite aussi du bonheur.

– Inscrite sur les forums depuis peu, j’avais promis de vite y revenir pour témoigner de mes heureux débuts. Je me lance avec plaisir et bonheur : « Après bien des maux passés, les mots que je vous destine me viennent droits du cœur. Je commence à partager ma modeste et très récente expérience de "Femme trans". Avant de m’exprimer ici, j’avais entretenu une correspondance avec Nadine, une grande sœur, une marraine. Que de sollicitude elle avait eue à mon égard, je lui témoigne ici toute ma gratitude ! » Nos premiers échanges : « Hello, Gisèle, tu es une jeune femme qui se révèle à elle-même. Que d’émois doivent remplir ton existence ! Chacune de son côté, nous vivons la même aventure. Au cas où tu voudrais partager ta partie féminine, je serais heureuse d’être ton interlocutrice. La femme honoraire que je suis ne peut qu’admirer celle qui a fait le "Saut de l’Ange". Je ne peux que me rabattre sur une masculinité qui m’amène plus vers la nature et la route. J’établis des contacts avec celles qui sont hésitantes, pour leur donner de cette aventure une tranche de vie inoubliable… » — « Nadine, je me montre telle que je suis depuis seulement trois jours. Correspondre, je te dirais oui, pourquoi pas, mais encore timide, j’avance sur la pointe des pieds. » – Des années plus tard j’écrivais ceci : « Nadine, continue de prendre la main des débutantes, la main de celles qui ont encore un pas hésitant. C’est une noble tâche que de les accompagner un moment, comme tu as su si bien le faire avec moi et plusieurs autres. Depuis, j’ai fait du chemin, je marche seule, d’un pas assuré, et, pour le détail, avec des talons hauts. Des talons hauts, dis-je, oui, il nous faut rire un peu de nous-mêmes. J’espère que nous aurons un jour prochain l’occasion de passer ensemble une soirée chez toi ou à Paris, mais ce ne sera pas aisé tant désormais je suis accaparée par mes soirées de danse. Lorsque vous passerez près de chez moi, faites-moi signe, il y a toujours du thé ou du café à partager… »

•• Mercredi 5 – On sonne à ma porte, Cathya et Bernard passent me voir, c’est avec joie que je les fais entrer. Ils s’inquiètent pour moi, j’essaie de les rassurer. Quelques instants passeront à bavarder aimablement avant qu’ils ne repartent. Nous nous disons à très bientôt… Cela peut sembler bête comme chou, mais cette aimable visite d’un couple d’amis me prouve un peu plus encore que j’existe ! Sereine et heureuse, ma vie se déroule au grand jour, en toute transparence vis-à-vis de ma famille, mes amis, mes connaissances… J’ignore pourquoi, mais la plupart de mes amis depuis longtemps sont des femmes. Au fil de mes rencontres, certaines amitiés passées se ravivent, d’autres se tissent et, parfois, s’oublient. Le conseil de bien des femmes est attentionné et chaleureux vis-à-vis de leur petite sœur en devenir. En partie grâce à elles, mon look s’affine, ma posture tend à devenir plus fluide, plus naturelle…

•• Jeudi 6 – J’effectue mon premier test COGIATI5, le score est de 385. Curieuse, je répéterai l’expérience : d’abord le 13/10/15 (425), puis le 26/02/16 (585). Sans jamais en rien me guider, ces scores en cohérence avec mon ressenti du moment, ont simplement évolué au fil du temps. Avais-je besoin d’être rassurée ? Peut-être, on en a toujours besoin avant d’effectuer le grand saut. En laissant parler mon cœur, mes tripes, nul doute au fond de moi. Avec lucidité et courage, il me faudra seulement garder patience…

– Joli souvenir ! Cet après-midi, en train de prendre un café au comptoir, j’étais assise à côté d’un homme d’un certain âge ; à mes pieds, mon sac à commission. J’ai fini. « Au revoir », je m’éloigne… Le vieux monsieur : « Madame, madame ! » Je le vois se plier, il peine à le faire. Il se baisse, ramasse mon sac, me le tend gentiment… C’est chouette la galanterie, je garderai en mémoire ce monsieur. Le matin même, souvenir désagréable, j’étais chez des amis, une dame ne cessait de m’appeler "monsieur", quand, dans le même temps, mes amis m’appelaient Gisèle… Je zappe cette dame, soyons vigilantes au moment d’engranger nos souvenirs !

•• Samedi 8 – « Solange, ce site n’est pas seulement virtuel, hier j’ai perçu ta présence, tu m’as été d’un grand réconfort, j’en ai été très émue. Sur tes conseils, j’ai passé une bonne nuit, et ce matin, je suis de nouveau avec le sourire. Maintenant petit-déjeuner, je me pomponne… puis je sortirai mon toutou, cela me permettra aussi de prendre l’air… » – Chez Francine, la voisine qui au premier jour m’avait avec une grande émotion gentiment prise dans ses bras, petits gâteaux, café, suivent des bavardages pleins de sympathie… ; très vite, nous allions devenir des amies.

•• Dimanche 9 – Les jours passent et ne se ressemblent pas. Aujourd’hui, je me suis sentie très forte et belle. Souvent, il suffit d’un rien, une bonne nuit pour que tout aille mieux.

•• Lundi 10 – À mes débuts, Nadine m’avait fait remarquer que, si un brin de timidité seyait toujours à une jeune débutante, il était dans l’ordre des choses que, plus tard, elle s’essaie à des tenues plus osées. Pour l’instant, je réserve ces tenues à mon miroir ou à mon appareil photo. Le narcissisme nécessaire et vital au début laisse place à autre chose de plus profond, de plus intrinsèque, à une féminité en devenir sans doute.

•• Mardi 11 – Nous sommes toutes très différentes, et pourtant sur bien des aspects, semblables. Lorsque la transgression va attirer l’une, l’autre pourra confier ne pas connaître ce sentiment, nous n’avons pas toutes les mêmes aspirations, les mêmes ressentis, et pourtant une grande proximité permet de nous comprendre. – Chaque soir, je suis en butte à un sentiment étrange, à une sombre émotion. Une fois démaquillée, déshabillée, nue face à mon miroir, je n’arrive plus à soutenir du regard mon reflet. Ce que je vois est encore trop différent de l’idée que je tente de me faire de moi-même. Il faut me résigner à voir cette triste apparence, et l’accepter. Je sais cette image temporaire, un jour, même dans le plus grand dénuement, je pourrai me voir femme, totalement femme…

•• Mercredi 12 – Sephora, mon premier parfum ! Avec la vendeuse, nous avons pris le temps pour arrêter mon choix, il me correspond, me colle à la peau. Ce choix devait s’avérer pertinent, car, depuis, je n’ai jamais voulu en changer et crois bien ne jamais devoir le faire. – Nouvelle épilation de mes sourcils, et coloration. La première fois, je ne savais pas encore vraiment, je n’osais pas. Mon goût s’est affiné, désormais, face à l’esthéticienne, je suis plus directive. Il semble que la jeune fille cède progressivement sa place à la jeune femme. Que ça va vite, et pourtant, je n’éprouve aucun vertige, aucune crainte, simplement un plaisir indicible renforcé de jour en jour. Bien reposée, bien dans ma peau, j’en reviens à un peu plus de patience, de raison. Dans le miroir, je me vois avec le sourire, quelle joie de se découvrir ainsi !

•• Jeudi 13 – « Chère amie, si seulement tu étais à côté de chez moi, j’aurais pu te proposer une sortie entre copines. À proximité de chez toi n’y a-t-il pas une amie qui pourrait te tendre la main comme on me l’a tendue en arrivant ici ? Si je n’ai guère d’expérience, et si nos trajectoires sont bien différentes, j’ai toutefois la conviction que, lorsque, pour toi, le moment sera le bon, tu le sauras… Ne force en rien les choses, en attendant, profite de tous tes instants de vie cachés… »

– Sephora, achat d’un rouge à lèvre Dior, rien n’est trop beau !

•• Vendredi 14 – Demain c’est l’anniversaire de Marine, mon ex-épouse avec qui nous sommes restées vingt-cinq ans en couple. Avec un jour d’avance, nous déjeunons ensemble, nous parlons beaucoup, rions aussi. Il y a un moment déjà, lorsqu’elle avait appris de ma bouche ma véritable nature, elle s’était soudain sentie apaisée, des réponses à ses questions étaient venues. Elle comprenait enfin pourquoi certaines choses intimes n’avaient pas été à son goût ; elle m’avoua même s’en être confiée à ma mère. Les pauvres, ni l’une ni l’autre n’y aurait rien pu changer. Là, elle me comble de cadeaux, boucles d’oreilles, colliers, bracelets, sac à main, vernis à ongles, et fringues en tous genres, je ne savais plus où donner de la tête… Sephora, C&A, trois leggings.

•• Samedi 15 – Visite de Patricia, une autre ex ; pas de stress, c’est une véritable amie. Elle reste un jour et une nuit. Fort heureusement, mes journées ne se passent pas toutes avec des psychiatres ou des médecins.

•• Dimanche 16 – Ma vie durant, je suis allée de déceptions sentimentales en déceptions sentimentales. Que de désillusions, de désastres ai-je provoqué ? À chaque fois, patatras, une Gisèle en gestation, je n’osais l’admettre, mettait tout par terre. Avançant vers une autre vie, je ne suis pas esseulée, mes amies ont vite oublié mon passé au profit de Gisèle. Chance immense : mes deux dernières ex sont devenues amies. Elles avaient certainement des choses à se dire. Et puis il y a mes nouvelles amies, celles du web, qui, elles aussi, sont particulièrement chaleureuses. Le jour venu, j’essaierai de restituer aux nouvelles tout le bien qu’elles m’ont fait…

•• Lundi 17 – À mon entière satisfaction, la femme que j’ai laissée transparaître, puis exister a pris toute sa place. Elle emplit désormais tout mon être, mon âme, mes pensées. L’homme qui était en moi n’est déjà plus qu’un lointain souvenir. Que cela va vite ! Quel ravissement, tout se passe en douceur, en parfaite adéquation avec mon moi profond, ma véritable aspiration. – Je viens récupérer la commande de lunettes passée par celui qui existait avant moi. Surprise dans la boutique ! Surprise, oui, mais sans gêne ni désapprobation. Évidemment, je ne les laisse pas sans quelques informations utiles. À leurs yeux, Gisou est une cliente. – C&A : mon premier sac à main

•• Vendredi 21 C&A. Essais de soutien-gorge. C’est à mourir de rire. Une vendeuse m’aborde : « Bonjourmadame. D’habitude, quelle taille prenez-vous ? » Je ne sais que répondre… « Je ne sais pas, je… » Infiniment plus perplexe que moi, la vendeuse semble déstabilisée, offusquée presque. Vite, je la rassure, lui explique des choses, mon cheminement… Enfin, elle va mieux ! Attentive et prévenante, elle me prend sous son aile aussitôt. Sephora : nouvelle teinture des sourcils, mascara.

•• Lundi 24 – Je teins mes cheveux pour la première fois ! •• Mercredi 26 – Je me rends à Sainte-Geneviève-des-Bois chez Triangle Coiffure pour y acheter une perruque. Plus confortable et durable, elle sera bien plus réaliste que la première. La vendeuse est aux petits soins. Qu’il est doux et réconfortant de trouver sur sa route des gens de la sorte ! Le délai de livraison prévu est de trois semaines. Au retour, je passe chez Dernoncourt, miroir grossissant, produits de soins pour les cheveux. Puis, Sephora, pinces à épiler, pinceaux de maquillage. Pour finir, Bleue Libellule, teinture et oxydant.

•• Jeudi 27 – Face à l’immensité du chemin, face aux difficultés de la tâche, je me sens totalement désarmée. Mes connaissances sont encore trop modestes, mon besoin d’apprendre est immensément grand !

•• Vendredi 28 – Gif Orthopédie, un soutien-gorge.

•• Dimanche 30 – Je suis allée à la rencontre du monde sans me poser de questions, sans me cacher, sans me protéger. Fallait-il faire ainsi, je ne le saurais jamais. Pour ce qui me concerne, il n’y a pas eu à proprement parler de décision, d’acte volontaire, mais plutôt une sorte de réflexe, celui de vivre. Oui, un réflexe, comme lorsqu’on reprend son souffle après une apnée bien trop longue. Si l’on peut en différer le moment, le reculer à l’extrême au risque de se mettre en danger, arrive toujours un temps où la volonté ne joue plus, on répond de manière instinctive, animale presque, à un besoin vital. C’est ainsi que je suis devenue femme au-dehors. Aller au-devant des autres me permet d’exister un peu plus chaque jour. Si je ne me sens pas l’âme d’une militante, pourtant n’est-ce pas une sorte de militantisme que de témoigner de sa propre expérience afin de tenter modestement d’éclairer les poseurs de questions et tous les autres… Je suis apparue au grand jour sans crier gare, il n’y a pas eu de signes précurseurs perceptibles. Maintenant que je suis là et bien là, suivant la perception, je suis une femme Trans, une femme en devenir, ou tout simplement une femme. Inutile de me cacher, mon entourage vivra ma transition, ma métamorphose, disais-je aux premiers jours. Mes proches en seront les premiers témoins, en tout cas, je savoure déjà ma vie. Lorsque j’avance avec assurance, je puise une partie de mon énergie dans les regards, tant certains sont aimants, compassionnels, admiratifs parfois. Pour le reste, je préfère l’occulter, ne pas m’y soumettre. Parfois, il m’arrive de penser qu’un jour je partirais peut-être pour une autre contrée, afin d’y vivre sans passé, sans étiquette aucune. Je comprends celles qui vivent sans référence à leur propre passé, mais je ne puis encore discerner ce que plus tard je serai amenée à faire…

Septembre 2015

•• Mardi 1er – Moment plein d’espérance : je prends rendez-vous avec ma future orthophoniste, Claudia Berliet-Péronne.

•• Mercredi 2 – En attendant une vraie poitrine, je me satisfais de mes faux seins en silicone. Il m’arrive parfois d’oublier que ce ne sont que des prothèses, tant elles sont réalistes. Ces seins lourds bougent naturellement, ils prennent la température de mon corps, et au toucher semblent vrais. Question silhouette, il n’y a pas photo ! Afin de maintenir "tout ça" bien en place, j’ai vite acheté des soutiens-gorges spécifiques. Confortables et sexy, on en trouve de tous modèles et de toutes tailles dans les établissements paramédicaux. Usuellement employés après une mastectomie, ils s’avèrent adaptés à l’usage que je veux en faire.

•• Jeudi 3 – Les rendez-vous vont bon train, cette fois en vue d’une épilation définitive du visage, je prends contact avec la docteure Laura Nestier à Paris 8e ; je ne donnerai pas suite. Prise de contact avec ma future orthophoniste, Claudia BR. – Je prends livraison de mes nouvelles lunettes commandées chez Optic 2000 le 17 août dernier. Évidemment, il s’agit d’un modèle féminin. – Quelle joie, la période de cicatrisation de mes piercings est terminée, je vais enfin pouvoir porter de vraies boucles d’oreilles.

•• Vendredi 4 – « Coucou Gisèle. Excuse-moi si, depuis le début août j’hésitais à accepter ton invitation ; il me semblait te connaître, mais aussi ne pas te reconnaître. Ce n’est que ce matin que j’ai eu le déclic en voyant la même photo sur tes deux comptes Facebook. Après acceptation comme amie, j’ai pu lire tes explications, et tout est devenu clair dans ma tête. Ce qui m’avait surprise c’est que tu ne m’en aies pas parlé le 14 juillet dernier. Après, je comprends aussi tes réticences, ce n’était peut-être pas le bon moment. En tout cas, j’espère que tu t’épanouiras dans cette nouvelle vie. On se retrouve bientôt pour la rentrée des cours de danse et pour les nouvelles soirées.Laurence » — « Merci Laurence, pour ton acceptation. Je comprends, ce n’était pas évident pour toi de savoir qui était la Gisèle qui t’invitait. Heureusement, comme tu l’as vu, j’avais semé quelques indices sur mon ancienne page. Te parler le 14 Juillet m’était impossible, j’étais encore en plein questionnement. Comme tu peux te l’imaginer, ce questionnement remonte à ma plus tendre enfance, mais ce n’est que le 18 juillet au matin qu’enfin, pour moi, tout était devenu limpide. Ce jour-là, en toute sérénité j’ai pris mon envol ! À la rentrée, je reprendrai des cours de danse de salon, peut-être de salsa et de bachata. Mais j’hésite pour ces dernières, il est possible que je ne prenne ces cours que bien plus tard, lorsque ma transition sera plus avancée. Le 14 juillet, tu as été la dernière femme avec qui a dansé celui qui précédait Gisèle. J’en garde un attendrissant souvenir, mais sans nulle ombre d’une quelconque nostalgie. Bisous »

•• Samedi 5 – Mon courage prit à deux mains, je m’inscris aux cours de danse de salon de ma précédente école. •• Mardi 8 – Rendez-vous chez ma psy en vue d’obtenir le certificat médical, sésame pour ma SRS. « Démarrer une transition c’est un peu comme s’engager dans la brousse, il faut y discerner son chemin, se le frayer. Heureusement, des éclaireuses sont çà et là, merci. » •• Jeudi 10 – Centre de radiologie, j’ai une sciatique ! La danse n’y est pour rien, je me suis seulement amusée sans compter mes forces à jouer les électriciennes chez Patricia. – Triangle Coiffure, perruque Sérinity. C&A… •• Vendredi 11 – Table de Clotilda : il s’agit de se retrouver dans un p’tit resto sympa l’Absinthe, entre femmes d’un jour, en devenir ou CIS, qu’importe…

•• Samedi 12 – En remerciement pour l’aide apportée à la réalisation du rallye cycliste du 12 mai dernier, le club a invité les bénévoles de l’équipe organisatrice à un repas. Vous imaginez qu’à cette époque, Gisèle n’existait aux yeux de personne. Quelle ne fut donc pas la stupéfaction des copains et de certaines de leurs épouses, lorsqu’à l’heure dite je me suis présentée au restaurant ! Dans un premier temps, tous ont cru à une plaisanterie de ma part, mais non, il fallait qu’ils s’y fassent, Gisèle n’était plus le copain qu’ils avaient connu. Les discussions vont bon train, on a un peu oublié Gisèle, puis l’apéritif est servi, on me zappe. « Eh, les gars, mon verre ! » — « Mais tu ne buvais pas d’apéro avant ! » — « Oui avant, mais j’ai changé… » — « Ah ça, oui, pour changer, t’as changé ! »Mon verre fut donc rempli à ma satisfaction, et à celle des copains qui, pour la première fois, me voyait déroger aux règles diététiques strictes auxquelles je m’astreignais par le passé. Le même processus se renouvela au moment de servir le vin. Même étonnement, Gisèle, contrairement à l’autre d’avant, ne "faisait plus le métier". « Eh bien, finalement, on te préfère comme t’es maintenant ! »

•• Mardi 15 – Ce matin, grand jour, j’ai rendez-vous avec ma cardiologue, la docteure Alice O’Hara. En dépit de mes antécédents médicaux, elle me suit totalement, favorable à ma démarche de transition, elle n’émet aucun veto pour mon THS. Mieux, elle se mettra rapidement en relation avec ma future endocrinologue, afin de définir un protocole adapté. Je pense à ma mère : ça doit quand même lui faire un drôle de choc de me voir fille et de se reconnaître en moi. L’acceptation de mes proches est essentielle à ma construction. Il me faut être patiente, laisser au THS le temps d’agir… Demain, j’irai au laboratoire d’analyses pour des tests sanguins. Aucune inquiétude, je suis régulièrement suivie, je sais que tout sera OK, mes hormones seront donc pour très bientôt.

•• Jeudi 17 – Feu vert de ma cardiologue pour le THS ! Avant de crier victoire, j’attends d’avoir vu mon endocrinologue. – Qu’il est précieux de se savoir comprise, aimée et soutenue par sa famille, mais, pour lutter contre les coups de blues, il faut aussi pouvoir s’entourer d’amies ! – Le froid arrive, je n’ai rien de chaud à me mettre, gentiment, Patricia me prête un manteau. – Idée saugrenue, je m’étais mis en tête de changer de nom. Pourquoi ? Pour rompre la filiation paternelle, ne pas avoir les mêmes initiales GR que mon père. Folie, j’y renonce ! Toujours la même, acceptée ou non par les miens, je garderai mon nom. J’oublie le "Leroy" que je m’étais imaginé porter, ainsi les procédures de modifications de mes divers papiers resteront plus simples. "Roy" est mon nom depuis toujours ! – Paris 11e, rue de Charonne, mes pieds n’ont pas encore changé, il me faut des chaussures de danse en grande pointure, c’est fait, je porte des "Felice de chez Werner Kern". D’un style neutre, unisexe, mes anciens sneakers noirs "Capezio" pourront encore faire de l’usage pour les entraînements. – {17h30} Chez Temps’Danses, cours de danse, salon débutant, west coast débutant et salon niveau 2. Miracle ! Tout est passé comme une lettre à la poste. Je découvre la danse sous un autre jour, j’essaie de me laisser guider, je lâche prise… Bonne nouvelle, après trois heures consécutives, j’ai suffisamment mal aux pieds pour oublier ma sciatique. – Aussi paradoxal que cela puisse paraître, depuis que je me laisse vivre au féminin, j’ai laissé s’envoler nombre de mes anciens soucis.

•• Vendredi 18 – Deux mois jour, pour jour, après la naissance de Gisèle, j’ai déjà entamé un gros travail de mise en conformité de mon état civil. Pour les divers organismes, il s’agit, lorsque c’est possible, de modifier mon prénom, et de donner mes nouvelles adresses mail. La première modification concerne mon abonnement à EDF, mes nouvelles factures me seront fort utiles par la suite. Je vous passe les Sephora, Kiko Milano, Calzedonia, et les diverses associations… Par ailleurs, j’attends l’acte de notoriété que doit établir mon notaire pour m’engager plus avant, carte d’identité, permis de conduire, carte vitale, carte d’électeur, cartes bancaires. •• Lundi 21 – Quelques achats. H&M, veste. Promod, doudoune. C&A, deux ou trois leggings. Western Candy, manteau noir salsa. Sephora, produits de beauté… – {19h30} Cours de rock 2 chez Temps’Danses, c’est la première fois en rockeuse ! Là aussi, c’est un moment de pur bonheur, tout se passe à merveille.

Programme de danse 2015-2016

– Sur la base de deux heures de danse hebdomadaires, c’est parti pour une saison (Lundi : 1 h de rock. Jeudi : 1 h de danse de salon 2)…

•• Mardi 22 – Ma vie continue même à vélo, je fais rectifier mes données personnelles auprès de la Fédération Française de Cyclotourisme. Ainsi, Gigi aura sa licence, et si elle porte un dossard, ce sera bien le sien !

Traitement hormonal de substitution

•• Mercredi 23 – En fin d’après-midi, je suis allée consulter la docteure Denise Sarde-Banon, endocrinologue à Paris. Directe et très sympa, elle s’était préalablement entretenue avec ma cardiologue. Après m’avoir longuement interrogée sur mon histoire et mes objectifs, elle m’indique qu’elle ne contactera pas ma psy, ma cardiologue ayant suffisamment plaidé ma cause. Elle m’établit une ordonnance pour mon THS, par contre, je ne le démarrerai pas immédiatement. Par sécurité, avant de me donner un feu vert, elle préfère que je refasse des analyses sanguines, et lui envoie les résultats. Allez, juste une petite attente de huit à dix jours seulement. Si mes antécédents médicaux (sténose des coronaires et infarctus) s’opposent à la prise d’androgènes, une chance, mon taux de testostérone est plutôt bas. L’absence d’effet sur ma pilosité sera compensée par une épilation définitive. Si mon THS m’avait été interdit, que serais-je devenue ? Dieu seul sait ! Je me serais retrouvée confrontée à un lourd problème existentiel pour lequel je ne pouvais absolument pas être certaine de posséder suffisamment de forces à le surmonter.

•• Jeudi 24 – {8h30} 1re séance d’orthophonie… Bien souvent nécessaire, je m’étais mis en tête de devoir rééduquer ma voix. Quelle chance ! L’avenir allait bientôt me montrer une autre perspective…

•• Vendredi 25 – {11h32} Mail de la Dre DSB : « Vous pouvez commencer votre THS ! » Je cours à la pharmacie. Mes chimères s’évanouissent un peu plus. Mon THS est engagé : 1 g d’Estradiol et 100 mg de progestérone par jour. Désolée, la chimie manque parfois cruellement de poésie. – {18h} Au restaurant Marco Polo, soirée organisée par l’ACM, "sympathiques nanas de tous genres"…

•• Mardi 29 – Mon protocole de soins pour Affection de Longue Durée (dit "ALD") est approuvé !

Choix du chirurgien

Octobre 2015

•• Jeudi 1er – Parmi tous les chirurgiens renommés, j’avais fait un choix. Il ne restait plus qu’à décider entre les deux. Mes demandes de dossiers d’inscription et de devis sont expédiées en Thaïlande. Les critères de choix sont subtils, ma préférence va au docteur Suporn qui m’a répondu. Ma SRS est programmée pour le 14 septembre 2016. Mes débuts de transition sont très prometteurs, j’attends la suite avec impatience… – {13h15} 2e séance d’orthophonie…

•• Vendredi 2 – J’essaie de garder ma bonne humeur habituelle. À quoi bon se morfondre ? Je ne m’appesantis pas sur les pleurs, le doute, l’angoisse, la détresse parfois. Ma seule force est mon optimisme quasiment sans failles, que je m’emploie à consolider sans cesse. Parvenir à s’aimer telle que l’on est, prend du temps, beaucoup de temps, parfois bien trop de temps, mais après quel apaisement. •• Samedi 3 – Je me vois déjà en Thaïlande, impossible de dormir, je suis devant mon PC. Virginia et moi avons choisi le même chirurgien. Ce serait si rassurant de pouvoir faire nos chirurgies au même moment, mais c’est mal engagé, son dossier de demande est loin d’être constitué ! •• Lundi 5 – Ce matin, favorable au principe d’établissement d’un acte de notoriété, mon notaire ne souhaite l’établir que dans quelques mois. À ses yeux, témoigner d’une notoriété nécessite que je sois installée dans ma nouvelle vie depuis six à huit mois. Il me faudra patienter… •• Mardi 6 – Un pas de plus, je me suis rendue à ma banque pour effectuer le transfert d’une avance au docteur Suporn. – Gif Orthopédie, un soutien-gorge.

•• Mercredi 7 – Je guette impatiemment la réponse du docteur Suporn. Elle arrive, mais c’est un fâcheux contretemps ! « Je vous remercie pour ces informations médicales complémentaires, qui malheureusement posent un problème potentiel (stent posé il y a un peu plus d’un an). Malheureusement, nous n’avons pas de cardiologue à plein temps à l’hôpital. Il est possible que le Dr Suporn ne vous accepte pas comme patiente. Afin qu’il puisse le faire, envoyer SVP les détails complets de tous les traitements et opérations que vous avez suivis. Ceux-ci doivent être des rapports formels de votre cardiologue. Une fois qu’il aura ces informations complémentaires, il pourra déterminer si le risque pour vous d’entreprendre cette chirurgie est acceptable ou pas. » – Mon moral tombe au plus bas, mais c’est mal me connaître, je contre-attaque aussitôt : « Cher Docteur, avant d’entreprendre ma démarche de THS puis SRS à venir, j’avais consulté ma cardiologue. Le 15 septembre dernier, elle me donnait le feu vert, car, pour elle, je ne présente aucun risque. Le problème antérieur est parfaitement réglé et sans effet négatif sur ma santé. Je passe les tests d’effort avec succès à plus de deux cent cinquante watts et continue de pratiquer mes activités sportives sans aucun problème. Je vais reprendre contact avec elle, afin qu’elle puisse vous fournir les justificatifs attestant de mon aptitude à supporter la chirurgie, et ainsi pouvoir continuer ma route… » M’exprimer en retour m’a apaisée, maintenant je dois me remettre de mes émotions…

•• Jeudi 8 – Ce matin, je me suis rendue en urgence au secrétariat de ma cardiologue. Absente huit à dix jours, elle n’établira les justificatifs qu’à son retour. Patience… – {13h15} 3e séance d’orthophonie…

– Très tard dans la nuit, un nouveau message du docteur Suporn me laisse bien en peine. « Merci pour votre email. Il ne sera pas possible de vous réserver une date de FFS6