Import-export - Patrick Vendruscolo - E-Book

Import-export E-Book

Patrick Vendruscolo

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Beschreibung

"Import-export – Trafic illégal et amour adultère" vous plonge au cœur d’une fresque où se mêlent les errances d’un jeune homme désabusé et les tumultes d’une époque en quête de repères. Dans les années 1980, marqué par le chômage, la toxicomanie et des amours interdits, il entreprend un voyage clandestin au Maroc avec des compagnons d’infortune, animé par l’ambition risquée de réaliser un profit grâce au trafic de cannabis. Mais derrière cette aventure périlleuse se dessine un récit plus intime : celui d’une enfance fracturée par les blessures, d’une adolescence égarée et d’une passion interdite avec une femme mariée, dont l’ombre continue de hanter son existence.

Des décennies plus tard, une révélation bouleversante surgit : il est le père de l’enfant qu’elle a porté. Ce roman, à la croisée des genres, tisse habilement aventure, introspection et quête identitaire pour dévoiler les failles d’une génération à la dérive. 

À PROPOS DE L'AUTEUR

Patrick Vendruscolo, auteur passionné, partage dans son autobiographie plus de trois décennies d’aventures et de souvenirs marquants. De son raid au Maroc en 1981 à sa relation atypique avec Gisèle, il tisse un récit captivant, mêlant exploration, amour et résilience. Inspiré par une émission de radio en 2015, il enrichit son manuscrit initial pour offrir un témoignage authentique et émouvant. Son œuvre est une célébration de la vie, de ses défis et de ses surprises.


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Seitenzahl: 219

Veröffentlichungsjahr: 2025

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Patrick Vendruscolo

Import-export

Trafic illégal et amour adultère

© Lys Bleu Éditions – Patrick Vendruscolo

ISBN : 979-10-422-5781-1

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Remerciements

Je témoigne ma profonde gratitude :

À M. François Fuentes, auteur de Crime à Bordeaux dans un quartier chic, pour son amabilité, ses excellents conseils et la qualité de ses romans !

À Mme Marcelly, ma correctrice, pour son travail et sa gentillesse.

ÀHélène Maurin, professeur des écoles et auteure de Planète Marseille – un superbe roman de science-fiction qui se lit comme du Marcel Pagnol – pourson aide précieuse et bénévole.

Chapitre 1

Je ressemble à une bête en cage dans mon petit deux-pièces. Je marche sans but. Je tourne en rond. Je ne sais que faire de mes dix doigts au travers desquels le temps s’écoule inutilement. Je suis un animal qui va et vient continuellement, se cognant aux barreaux de sa cage. Je marche le long du mur. À ma gauche, la porte d’entrée, puis une passerelle suivie d’un escalier de pierre qui descend d’un étage pour finir dans le hall pavé menant à la rue. À ma droite, une cloison. Je fais demi-tour : en face de moi, une cheminée. Au milieu de la pièce, sur ma droite, la fenêtre et le puits de jour du vieil immeuble. Après, une ouverture sans battant donnant sur une mini-cuisine d’à peine un mètre sur deux avec simplement un évier et un petit plan de travail. Au bout, la porte des WC. Il n’y a ni douche ni eau chaude. J’habite au 21 rue Gratiolet, près de la place de la Victoire, à Bordeaux.

Je vis dans cette grande ville depuis un peu plus de trois ans. Obligé de quitter ma verte vallée de l’Isle pour venir travailler dans la Cité parce qu’à la campagne, le travail ne court pas les chemins. Mais elles me manquent, la campagne, la verdure. Me manquent aussi les jeux de gosses dans les champs, avec mon frère et mon cousin. On avait fabriqué dans la grange des grands-parents une cabane avec des bottes de paille ; on avait déclenché un incendie en l’éclairant avec une bougie. J’ai des souvenirs nostalgiques de longues balades au milieu des bois, de parties de pêche à la ligne, fructueuses et ensoleillées, du braconnage des anguilles durant les chaudes nuits d’été.

Elles mordent comme des folles, ces bestioles, lorsque le temps est orageux. Et elles sont tellement meilleures, parce que pêchées dans la plus stricte illégalité ! Le goût de l’interdit, c’est quelque chose ! Maintenant, je foule le goudron et le béton cerne l’horizon. Il est pourtant chouette, cet appartement, décoré à mon goût. Quand je le prends, il est dans un état lamentable. La première fois qu’elle y vient, Gisèle dit :

« C’est triste ! »

C’est Pierre qui l’habitait avant moi, avec une demi-douzaine de chats. Ce qui explique le modeste loyer de deux cent cinquante francs. En raison de l’état des lieux, les propriétaires ne peuvent exiger plus. Je retape tout avec l’aide de mon père, peintre en bâtiment. Alors que je sors à peine d’une adolescence qui s’est très très mal passée avec mes parents. Mais cette génération qui, toute jeune, connaît l’exode depuis le fin fond de l’Italie, pour ma mère, et l’occupation allemande durant l’enfance suivie de la guerre d’Algérie à l’âge du service national pour mon père, ne produit pas des pédagogues capables de faire s’épanouir leur progéniture, mais des « éleveurs » d’enfants. Ils me dressent depuis tout petit. Surtout ma mère, qui gère le foyer, mon père étant chef d’entreprise. Elle me dresse à grand renfort de baffes et de coups de martinet avec son manche et ses lanières de cuir pour fouetter les mollets des culottes courtes, et de toilettes à l’eau bouillante. Grâce à elle, je sais depuis longtemps que mon petit frère et moi ne sommes pas des enfants désirés, que ma naissance a été longue, qu’elle a beaucoup souffert. Pire, je suis né avec un « bec-de-lièvre » qu’il faut opérer par la suite. Pauvres parents ! Je comprends leur détresse : mettre au monde un enfant non voulu, difficile à expulser (quatre kilos cinq cents !) et en plus moche ! il y a de quoi avoir une piètre opinion de sa descendance.

Durant mon enfance, à l’âge de l’école primaire, impossible de sortir de la maison, et difficile de faire venir ou d’aller chez des camarades de classe. C’est plus fort qu’elle, il faut qu’elle fouille dans mes affaires, qu’elle en dispose et parfois découvre certains petits secrets de gosse. Pas étonnant que je fasse une fugue à l’âge de douze ans ! Un jeudi matin, au lieu d’aller au catéchisme, je me rends à vélo de chez mes parents jusque chez mon cousin à Bordeaux, soixante-dix kilomètres à pédaler avec mes mollets de coq ! Arrivé à « la ville », je ne me débrouille pas trop mal pour un gamin de mon âge, douze ans. Je connais le nom de la rue où je veux me rendre, je m’adresse aux gens et leur demande mon chemin. Deux jeunes femmes, très aimablement, me l’expliquent et même me le montrent sur un plan. Après quelques errements supplémentaires, je finis par atteindre mon but. Chez mon cousin, oui, chez mon oncle et ma tante !

À mon arrivée, branle-bas de combat : on l’a retrouvé ! Dans mon patelin, c’était la panique. Alerte à la gendarmerie, interrogation de mon frérot et grosse inquiétude générale : ma mère a peur que j’aie été kidnappé et s’inquiète plus du montant de la rançon à payer que du risque que j’ai couru de m’être fait aplatir par un camion ou égorgé par un détraqué. C’est ce qui m’a le plus marqué… Un enfant, c’est de l’argile : dès qu’on le touche, on le marque, et souvent à vie !

Pour m’aider à rénover et décorer mon petit nid, mon paternel n’hésite pas à venir les samedis et dimanches pour refaire le sol et poser la tapisserie. Il a pourtant bien assez de ses chantiers pendant la semaine ! Mais c’est un homme en constante activité, il travaille tout le temps ! Il prend juste quinze jours de vacances par an sur le bassin d’Arcachon. Dans un camping à Claouey, très exactement.

Dans mon logement, je prépare les murs et fais les peintures. Le soir, après le boulot, jusqu’à parfois une ou même deux heures du matin. La première pièce a deux murs peints en rose pâle et les deux autres couverts d’une tapisserie mauve. Le plafond est peint en bleu foncé, les menuiseries en bleu roi, les ferrures en noir brillant. Le sol est recouvert d’un linoléum de première qualité, cadeau de papa comme tout le reste des fournitures : papier peint, peintures, etc. Comble de bonheur, une cheminée en parfait état de marche, surmontée d’un immense miroir, orne le mur du fond. La seconde pièce, ma chambre, est tapissée, moitié bleu frais pour l’été, moitié orange bien chaud pour l’hiver. Le plafond est revêtu du même papier orange. Malheureusement, il n’y a pas de fenêtre pour éclairer cette seconde pièce. Un minuscule coin cuisine prolongé de W.-C. complète ma garçonnière. Ce qui me manque le plus, à part une douche, c’est un coin atelier pour m’occuper en bricolant. J’aime travailler le bois, le sculpter, le scier, le clouer, le transformer. Avec un couteau de poche et un morceau de bois tendre, je crée des statuettes d’animaux ou de personnages. Je suis doué de mes mains. Je ne réalise rien d’exceptionnel, seulement des petites choses simples. Mais pendant que je suis en train de créer une « œuvre », l’existence a meilleur goût. Je plane au paradis de la création. C’est une sorte d’extase. L’activité manuelle et artistique est idéale pour passer le temps.

Oui, pour passer le temps ! Parce qu’à vrai dire, même en travaillant toute la journée, je trouve encore le temps de m’emmerder. Les soirées sont longues et à part la sordide masturbation ou les onéreuses virées chez les prostituées, rien ne vient apporter un peu de distraction. Je n’ai même pas la télévision ! Il y a bien sûr les trop rares passages chez Gisèle. C’est une femme mariée, de onze ans mon aînée, que je connais depuis trois ans. En 1979, je travaille à l’hôpital Pellegrin, le CHU de Bordeaux. Je fais sa connaissance à l’Institut de formation aux carrières de santé. Cette année-là, je vis alors avec Christine, la sœur d’un copain, ma toute première concubine, avec qui je suis si heureux, au début… Je l’ai rencontrée lors d’un concert de Georges Moustaki au Palais des Sports, à Bordeaux. Je la revois ensuite. Elle est jolie, elle a un sourire malicieux, de beaux yeux bleus et une épaisse chevelure qui lui arrive à la taille. Je prends l’habitude, à chaque rencontre, en l’embrassant, d’ajouter un rapide baiser sur la bouche pour lui manifester mon intérêt.

Un soir, durant les vendanges 1978, dans « l’Abreuvoir », une ferme habitée par des hippies, elle se jette sur moi. J’essaie de me lever de la natte où je suis avachi pour lui dire au revoir. Elle me plaque au sol en me roulant une pelle à couper le souffle.

Je suis un semi-puceau complexé ! Ma mère m’a tellement interdit de sortir pendant ma puberté que je ne parviens à coucher avec une fille qu’après mes dix-huit ans. Et ça n’a pas été sans des moments pénibles ! J’étais très perturbé par ce fichu pucelage pendant toute mon adolescence ! À l’époque, j’étais « interne-externe » au lycée des frères reclus à Sainte-Foy-la-Grande. Mes parents me louaient une chambre dans le bourg. Pour l’anniversaire de ma majorité, j’ai organisé une fête dans mon logis avec des camarades de classe et des copains de bistrot. Bien sûr, l’alcool a coulé à flots. Nous étions tellement ivres que nous avons redécoré ma chambre avec des graffitis sur tous les murs : le symbole de la paix, gloire à Woodstock, etc. Un vrai désastre ! Ensuite, nous sommes retournés au lycée en titubant et le directeur a immédiatement convoqué mes parents qui ont rappliqué illico. Imaginez leur humeur en me voyant, hébété et bégayant.

— Chuis pas bourré, hé, hé, euh !

— Tais-toi et monte dans la voiture !

Puis pendant que mon père constate l’étendue des dégâts dans la chambre, ma mère me fracasse à tour de bras !

« Mais qu’est-ce que tu as dans la tête ? J’en ai marre de toi ! C’est comme ça que tu nous remercies après tout ce qu’on a fait pour toi ? Tiens, prends ça et ça encore ! Oh, j’en ai marre de toi ! »

Et vlan ! Et bim ! Et bam ! Les baffes tombent comme un orage de grêle (un gros orage !).

Je hurle :

« Je m’en fous que tu me cognes, tu peux continuer, je sens rien, je suis trop saoul ! »

Quelques jours après cet esclandre, une discussion familiale s’engage. Sur le ton péremptoire qui le caractérise, mon père lance le débat :

— Patrick, je crois que ce qui t’arrive, ça vient d’un problème d’ordre sexuel : tu as eu des échecs avec des filles ?

— Comment ça ? Qu’est-ce que tu veux dire ?

— Ben, des échecs, des problèmes d’érection, quoi ! Tu n’as pas réussi à assurer avec une fille ?

Là, j’éclate.

« Mais bon sang le problème, c’est pas que je sois impuissant ! Le problème, c’est que je suis encore PUCEAU ! Et par votre faute ! Vous ne m’avez jamais laissé sortir. Comment rencontrer une fille en restant bloqué à la maison ? Toutes ces soirées où vous m’avez empêché de me rendre, toutes les fois où je vous ai demandé la permission d’aller à des réunions entre jeunes : vous avez toujours dit NON ! Une fois, avec Michel, on avait invité des voisines, Christine et sa cousine, pour une petite fête tranquille chez lui, juste à côté. Eh ben, il a fallu que je rentre ! »

Je leur en sors toute une litanie avec les dates, les heures et presque la météo de toutes les occasions ratées par leur faute :

« Pardon Patrick, on ne savait pas, on ne pensait pas… »

Fin du débat. Ils remâchent leurs responsabilités, leurs erreurs éducatives, leur bêtise.

Quelques mois après, durant l’été 1977, je pars en stage d’animateur de colonie de vacances. Dans le bus qui nous emmène au centre de formation, je suis assis à côté d’une jeune et souriante blonde.

« Bonjour ! Moi c’est Patrick !

— Maryline.

— Tu viens d’où ?

— De Bordeaux, et toi ?

— Libourne.

— C’est l’entre deux mers ?

— Oui, à côté de Saint-Émilion.

— C’est un joli coin !

— Ici aussi, c’est joli. T’as vu le paysage ?

— Ah oui, le pays Basque, c’est superbe !

— Et tu écoutes quoi comme musique ?

— Les Stones, mais aussi Anne Sylvestre, Graeme Allwright…

— Moi j’adore Georges Brassens. »

Et blablabla, et blablabla. Tout au long de la conversation, on se découvre de nombreux goûts communs.

Sans surprise, on se retrouve dans les bras l’un de l’autre, le soir même. C’est la première fille que je tiens dans mes bras, que j’enlace, que j’embrasse…

Elle me dit :

« Viens, on va dans les chambres du fond, là-haut.

— Je te suis. »

En continuant à s’embrasser, on se déshabille. Elle est nue, je suis nu. Oh là là ! Ça y est, c’est le moment tant attendu. Je suis mort de peur et fou de désir. Que faut-il faire maintenant ? Et comment faut-il le faire ?

Je m’allonge sur le dos ; elle s’assied sur moi ; elle m’engloutit. Ça y est : mon sexe est dans celui d’une fille, je ne suis plus puceau ! Alléluia ! Alléluia !

Je ne ressens presque rien à la pénétration. Sans trop savoir la marche à suivre, je m’agite mécaniquement et m’épanche sans m’en rendre compte. Elle s’étonne :

« Il y a un problème ? Tu es pour l’acte pur ?

— Non c’est pas ça, c’est que, c’est que…

— Patrick, vas-y parle, explique-moi, dis-moi ce que tu as à dire, n’aie pas peur.

— C’est la première fois !

— Ce n’est que ça ! Ne t’inquiète pas, c’est normal la première fois ! Tu es content ?

— Oui, énormément !

— C’est le principal ! Allez, viens, on rejoint les autres : ils vont se demander ce qu’on fait. »

Bien sûr que je suis content : ça y est, j’ai atteint le Graal des adolescents en souffrance de virginité.

Le lendemain, sous la douche je vérifie mon sexe : rien n’a changé ! Aucune trace de transformation sur mon corps. Mais maintenant, quand on me dira avec un sourire ironique : « Tu l’as encore ? » je pourrai répondre : « Non » sans rougir. Merci Maryline ! Tu m’as brisé le cœur par la suite en m’abandonnant, mais tu m’as libéré d’un gros poids.

Mais revenons à Christine.

Elle suit des études à Bordeaux et ses parents lui louent un meublé près de la gare Saint-Jean. Grâce à l’aide financière des miens, je loue un studio, non loin de son école, pour nous y aimer le soir lorsqu’elle vient me retrouver après sa journée d’école et son travail scolaire. Un jour, elle décide, pour économiser un loyer à ses parents, dit-elle, d’abandonner son meublé pour s’installer chez moi. Je la préviens que nous risquons de nous lasser rapidement l’un de l’autre et qu’il est préférable qu’elle termine sa scolarité avant de prendre une telle décision, mais elle préfère suivre son idée.

Notre vie de couple commence. Bien sûr, les amis passent régulièrement nous rendre visite, même un peu trop souvent ! Certains tapent carrément l’incruste, se moquent de l’heure à laquelle je me couche, qui est celle où ils partent au cinéma et dont ils rentrent tard, réintégrant MON studio sans aucune discrétion et même en parlant très fort. Il est trois heures du matin, je dois me lever à cinq heures pour partir travailler ! Ma réaction extrêmement énergique les calme illico ! On peut se foutre de tout, mais pas de tout le monde ! Les proverbes disent souvent la vérité : trop bon, trop con ! Tu ouvres la porte de ta maison et les prétendus amis qui y entrent trouvent d’eux-mêmes celle de ton frigo et calent leur cul en foutant le bordel dans ton territoire, sans aucun souci, ni honte, ni excuse !

Gisèle, je la rencontre parce que je travaille avec elle à l’hôpital. La première fois c’était à l’aube d’un jour d’été devant les portes de « l’Institut de Formation aux Carrières de Santé » du complexe hospitalier Pellegrin. Je venais embaucher. Elle était assise sur le sol, le dos appuyé contre la vitre de la porte d’entrée en train de bavarder joyeusement avec deux autres dames en attendant l’ouverture. Elle surclassait ses deux collègues par sa lumière. Elle avait les cheveux longs, teints au henné. Elle portait une robe fleurie, légère et moulante qui mettait son corps en valeur. Malgré sa beauté, je ne la drague pas, je me montre décontracté et naturel avec elle. Comme un petit coq qui a de quoi picorer chez lui, mais aime bien jeter un œil au-dessus de la clôture, sans oser la franchir. Je lui raconte de gentilles cochonneries, mes goûts musicaux, ma passion pour le cannabis, l’acte d’amour, l’érotisme, mes déboires conjugaux et mon angoisse de perdre mes cheveux. Lorsqu’elle marche dans les couloirs, je me place toujours derrière elle pour entrevoir, grâce aux rayons du soleil, sa fine silhouette à travers sa blouse blanche. Elle le sait bien et, en riant, évite de passer trop près des fenêtres. Mais elle m’accepte dans son vestiaire et se change devant moi. Se met en sous-vêtements, et enfile sa tenue de travail. J’en suis secoué jusqu’aux ongles des doigts de pied. Elle parle beaucoup d’argent ; de celui que gagne son mari, avec sa bonne situation de banquier au Crédit municipal. Elle ne le porte pourtant pas sur elle, ce fric. Elle s’habille plutôt baba cool, voire gitane. Elle partage avec les gens du voyage le même intérêt pour la voyance et le monde des esprits. Couturière de formation, elle réalise elle-même une partie de ses toilettes. À propos de son mari qui gagne si bien sa vie, elle m’explique qu’après sept ans de vie conjugale, l’amour ressenti pour lui s’est usé. Elle souhaite autre chose. Plus clairement, elle veut quelqu’un d’autre ! Elle me dit en me regardant droit dans les yeux :

« Patrick, si j’ai l’occasion d’avoir une aventure… Je la saisis. Je le fais. »

Je comprends bien qu’elle veut devenir ma maîtresse, mais je prétends ne pas saisir pour éluder sa demande. Je vis avec Christine et je suis fidèle. Assoiffé sexuel, certes, mais fidèle. Même si après six mois de parfait bonheur, ça commence à tirailler entre nous. D’ailleurs, un jour, en lui faisant l’amour, je réalise que je m’emmerde entre ses jambes ! Je me demande vraiment ce que je fous là-dedans. J’y éjacule tristement. Je ne suis amoureux de personne d’autre, mais mon cœur est sec, le sien aussi, je le vois dans ses yeux. Le bel amour est mort, étrange comme la routine use et lasse…

Hélas, ma prévision se révèle vraie. La journée, je travaille, elle termine ses études. Puis pendant les grandes vacances, elle vit dans un studio exigu où elle s’ennuie mortellement quand elle y est seule. On n’a plus rien à faire l’un avec l’autre ! Peut-être que seul, l’inaccessible me paraîtrait attirant, désirable. Je confie mes petits chagrins à Gisèle. Elle me conseille de rompre avec Christine. Pour m’avoir à elle, bien sûr, ou je crois aussi, tout simplement, pour mon bien. Je suggère à Christine de nous séparer, je lui conseille de retourner chez ses parents puisqu’il n’y a plus rien entre nous. Mais elle me joue le sketch de l’amoureuse éplorée et moi, bonne pomme, je pleure avec elle. J’espère que la situation va s’arranger, que l’amour va revenir. Mais je m’aperçois qu’en réalité, elle ne veut surtout pas retourner à la ferme parentale où elle doit participer aux travaux des champs. Elle préfère m’offrir son cul, c’est malgré tout moins fatigant. Un mois plus tard, elle se trouve un mec, à l’occasion de vendanges, décidément, et m’annonce qu’elle me quitte en proclamant :

« Il n’y a pas plus indépendante que moi ! »

L’indépendance, c’est quand on part seule, connasse !

Mais je n’ai aucun sens de la répartie et je ne le lui dis pas, dommage !

Démoralisé par ce coup de poignard dans le dos, je passe voir Gisèle dans son service, pour lui proposer un rendez-vous, chez moi, le jour même, après le boulot. Je lis dans ses yeux qu’elle est heureuse de mon invitation.

Elle ne me pose pas de lapin, elle vient !

Une semaine à peine après une séparation, je tiens à nouveau une femme dans mes bras. Je suis en transe : être désiré par une vraie femme. J’ai vingt ans, je suis perdu et ne sais rien faire d’autre, à part la serrer contre moi.

Juste avant notre premier baiser, elle me dit : « Tais-toi ! ».

Elle respire un corps nouveau pour la première fois depuis longtemps. Elle se rapproche et je connais son goût. C’est le premier baiser, le meilleur, celui de la découverte.

Hélas Gisèle ne réussit pas à quitter le bien-être matériel procuré par son mari, alors je la vois seulement pendant qu’il est au travail. Ou bien elle vient me rejoindre dans ma « maison de poupée », comme dit Marcel, toujours propre et bien rangée. On fait l’amour à la sauvette, je suis plutôt maladroit, je n’ai pas une grande expérience des femmes. C’est avec Christine que j’ai appris à bien faire l’amour et elle m’a trahi. Il me faudrait plus de temps et de meilleures conditions pour retrouver tous mes moyens…

Mais cette femme je la trouve belle, encore plus depuis qu’elle a eu son fils Uriel. Sa poitrine et ses hanches autrefois si ténues ont gagné des courbes ravissantes. Je suis probablement le « papa » biologique de son ravissant petit garçon et j’attends que la maman et son bébé viennent vivre avec moi. Hélas, je n’ai rien de sécurisant comme compagnon, je suis chômeur, sans formation ni diplôme, inexpérimenté dans tous les domaines de la vie. Me suivre est un gros risque et elle ne se décide pas à faire le grand saut. Alors, pour atténuer mon mal-être, il y a la fumette, tous les soirs, jusqu’à atteindre le coma pour oublier la morosité quotidienne. On peut s’ennuyer beaucoup à Bordeaux, s’y amuser aussi à condition d’avoir les moyens.

Plus jeune, au milieu des années soixante, je rêve beaucoup. Après la classe de troisième, je veux devenir gardien des Eaux et Forêts. Pour être au contact permanent de la nature et voir la société du plus loin possible. Mais les études foirent, en partie parce que je ne m’adapte pas à l’internat ni à la plupart de mes professeurs, qui me semblent incompétents.

Je ressens un grand choc en arrivant dans ce lycée agricole du Langonais. Un pourcentage de filles réduit à sa plus simple expression, dans ma classe, il y en a deux pour trente élèves. Quant au reste, ce ne sont quasiment rien que des costauds, des brutes alors que je suis musclé comme un coton-tige. Quelle horreur, la vie d’interne ! Il faut supporter la promiscuité, les brimades bêtasses des plus balèzes. Je marine dans cette ambiance délétère vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Il me manque ma bulle protectrice, mon « chez-moi » qu’en classe de troisième je retrouvais tous les soirs en rentrant à la maison. Je suis tellement bloqué par le manque d’intimité que durant les heures d’étude après les cours, je n’arrive pas à me concentrer sur mon travail scolaire. De trimestre en trimestre, ma moyenne chute, tend vers le gouffre. De plus, les compétences pédagogiques de certains profs sont assez médiocres. Ils semblent n’accorder aucune importance à leur mission d’enseignant et nous déversent leur savoir comme on vide un pot de chambre.

Écœuré par cet échec, j’arrête mes études après une dernière tentative en seconde littéraire. Et depuis, n’ayant aucun métier en main, j’en exerce moult, peu gratifiants et mal rémunérés. De plus, je ne suis pas d’un abord facile : introverti, timide, fauché, mal à l’aise en société. Pour corser le tout, je viens de perdre mon boulot à cause d’un enfoiré de chef. Celui-là, j’ai bien envie de lui éclater les couilles à coups de pied, sans témoin, surtout. Un ancien bidasse de carrière, sale race ! L’armée, je n’y suis pas resté pas longtemps… Au bout d’un mois et demi, ils me rejettent : je suis qualifié P4 ! C’est une échelle qui mesure l’état de folie d’un individu. Le stade le plus grave, c’est P5. Je suis fier d’être « réformé définitivement ». On ne me fait quand même pas faire n’importe quoi, à moi. Quand je ne veux pas, je ne veux pas !

(1981) Je suis pourtant heureux de travailler, cet emploi m’occupe, me sécurise. Même si le salaire n’est pas énorme tant s’en faut, il me plaît. Je fais fonction de brancardier. Grâce au contact avec les gens, je deviens plus sociable. J’effectue mon travail avec tant de bonne volonté que l’un des malades, un vieux monsieur m’invite, avec les infirmières, à venir déjeuner chez lui dès sa sortie de clinique. Je ne peux m’y rendre, car je suis licencié avant la fin de sa convalescence. J’y avais mis tout mon cœur, dans ce boulot, et à cause de ce sale type, mon rêve s’écroule. Plus rien, retour à la case chômage. Ce n’est pas juste, je ne mérite pas ça !

Ce boulot, c’est dans une clinique de rééducation fonctionnelle. Je remplace les titulaires, absents pour maladie ou autre motif. Je m’investis à fond, on me donne un ordre, je l’exécute aussitôt. J’accepte tout : après que j’ai fait mes huit heures comme jardinier, on me demande de remplacer le veilleur de nuit en non-stop et je dis oui. Malheureusement, lors de cette veille, je ne nettoie pas les couloirs du rez-de-chaussée. Tout simplement parce que j’ignore l’emplacement de la « cireuse » ou mono-brosse, une espèce de machine électrique pour nettoyer le sol des couloirs. Rien ne m’est expliqué avant que je prenne mon poste. Mais il faut le faire et je ne le fais pas. Je fais une ronde de nuit supplémentaire pour compenser, hélas, ça ne suffit pas ! Au matin, cet enculé de chef m’enfonce auprès du directeur, aussi enfoiré que lui. Il ne veut rien entendre, ce salaud ! Il me jette à la rue…

Alors, puisque l’on ne veut pas que je travaille, eh bien, je reste chez moi. Les ASSEDIC me donnent presque autant que mon salaire (on est encore dans les bonnes années), la perte correspond à peu près à mes frais de déplacement !